Mercredi 7 février 2018
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 17 h 5.
Institutions européennes - Audition de Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes, sur le suivi des résolutions européennes du Sénat
M. Jean Bizet, président. - Madame la Ministre, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation pour cet échange sur le suivi des résolutions européennes du Sénat. Dans le cadre de sa fonction de contrôle, le Sénat souhaite en effet avoir un dialogue régulier avec le Gouvernement. Celui-ci est chargé de la négociation européenne et n'est pas lié juridiquement par ces résolutions. Mais celles-ci expriment une position politique de la part de notre assemblée. Légitimement, nos collègues souhaitent savoir ce qu'il est advenu des résolutions du Sénat dans la négociation européenne.
Nous avions dressé l'an passé un bilan assez positif du sort de nos résolutions qui ont été suivies totalement ou partiellement dans près de 70 % des cas. Je remercie le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) qui nous apporte son concours à travers l'envoi de fiches de suivi. Je souhaite que cette collaboration soit poursuivie et approfondie, notamment en intégrant l'ensemble de nos résolutions.
Concernant la phase I de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, nos collègues Fabienne Keller et François Marc avaient notamment souligné que les propositions de la Commission européenne ne pouvaient avoir de sens que si elles étaient associées à la mise en place d'une gouvernance politique et au renforcement de la légitimité démocratique.
Sur la politique commerciale commune, nos collègues Philippe Bonnecarrère et Daniel Raoul avaient en particulier mis l'accent sur les instruments de défense commerciale, les droits anti-dumping vis-à-vis de la Chine, la réciprocité dans les marchés publics et le sujet sensible de l'extraterritorialité des lois américaines. Il est pertinent que l'Europe s'engage dans des accords de libre-échange, à condition qu'ils soient équilibrés, précisément au moment où les États-Unis adoptent une posture de crispation. Ce sont autant de normes européennes qui prendront à terme une dimension mondiale.
S'agissant du paquet énergie, avec Michel Delebarre, nous avions mis en doute l'articulation proposée par la Commission entre compétences nationales et compétences européennes ; nous avions aussi insisté sur l'enjeu de la compétitivité industrielle de l'Union européenne.
Enfin, en ce qui concerne la politique agricole commune, sujet qui va revêtir une grande importance dans les mois à venir, notre groupe de suivi commun avec la commission des affaires économiques a appelé à une politique forte, simple et lisible. Il faudra être extrêmement attentif au cadre financier pluriannuel lors des négociations, car l'agriculture est une activité stratégique pour l'Union européenne.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. - Les résolutions adoptées par le Sénat éclairent le Gouvernement sur des sujets majeurs, mais parfois un peu techniques : la défense des intérêts économiques de l'Union européenne, l'avenir de la politique agricole commune, celui de l'Union économique et monétaire, la transition énergétique ou encore l'objectif d'une énergie propre pour tous. Le rapport des cinq présidents sur l'Union économique et monétaire, de juin 2015, est presque ancien compte tenu du rythme de nos travaux, mais sa structure en trois phases reste largement d'actualité.
La première phase, dite d'« approfondissement par la pratique », s'est achevée fin 2017, avec des réformes qui pouvaient être mises en oeuvre en s'appuyant sur les instruments existants : stimuler la compétitivité et la convergence structurelle, compléter l'union financière, poursuivre la consolidation budgétaire.
La seconde phase dite d'« achèvement de l'Union économique et monétaire » a commencé en 2017, avec un processus de convergence rendu plus contraignant, la fixation de normes se rapprochant des objectifs du pacte de stabilité et de croissance dans les domaines du marché du travail ou bien encore de l'environnement des entreprises, mais aussi la mise en place d'un mécanisme de stabilisation budgétaire pour la zone euro, conçu comme l'aboutissement de ce processus de convergence.
Enfin, au cours de la phase finale, d'ici à 2025, les réformes mises en oeuvre produiraient leurs fruits.
Le bilan de la première phase est considérable. Le semestre européen fonctionne bien, même s'il existe une marge de progression sur la mise en oeuvre des recommandations. Il a profondément évolué, avec une dimension sociale renforcée, que la France a fortement soutenue. Le dialogue avec la Commission est aussi désormais plus fluide, notamment grâce à l'envoi, dès février, du projet de rapport pays. Le comité budgétaire européen est désormais en place et a rendu un premier rapport en novembre 2017. Cette analyse d'un cycle complet de surveillance budgétaire permet de mettre en perspective la mise en oeuvre des règles budgétaires et présente aussi le mérite d'être disponible en ligne.
Mais les plus grandes avancées concernent l'Union bancaire dont le socle de règles communes et les deux premiers piliers sont pratiquement achevés. Les discussions au Conseil sur le mécanisme européen de garantie des dépôts bancaires, troisième pilier de l'Union bancaire, ont cependant montré une ligne de partage claire entre les États qui mettent l'accent sur la mutualisation du risque - la France, l'Italie, le Portugal ou l'Espagne -, et ceux qui insistent sur le respect des règles existantes pour réduire d'abord le risque - l'Allemagne et les Pays-Bas. Nous sommes très vigilants sur les conséquences possibles pour les établissements bancaires français
L'effort doit aussi porter sur l'achèvement de l'Union économique et monétaire, en mettant notamment en place une capacité budgétaire de la zone euro, pour permettre de résister aux chocs macroéconomiques, ainsi que de financer des investissements. Nous pourrons ensuite régler la question du pilotage politique par un ministre européen et d'un contrôle parlementaire européen exigeant. Il semble que, dans le contrat de coalition qu'ont signé ensemble la CDU, la CSU et le SPD, figure une mention explicite du soutien à l'investissement au sein de la zone euro et augure d'avancées intéressantes.
Sur la politique commerciale, le Gouvernement est mobilisé pour que l'Europe puisse mieux protéger nos compatriotes au travers d'une approche plus réaliste des rapports de force commerciaux. Cela va dans le sens de votre résolution de janvier 2017. Il s'agit, non pas de protectionnisme, mais du rétablissement des conditions de concurrence équitables. La France s'est fortement engagée au Conseil et a obtenu des avancées sur la réforme des instruments de défense commerciale. Un accord politique a été trouvé le 5 décembre 2017. La réforme, lorsqu'elle entrera en vigueur, je l'espère en juin prochain, permettra de lever la règle dite du « droit moindre » et de dissuader plus fortement ceux qui faussent la concurrence.
La nouvelle méthodologie anti-dumping est entrée en vigueur en décembre 2017. Elle nous permet à la fois de maintenir notre niveau de protection et de sortir du débat sur le statut d'économie de marché de la Chine, puisqu'elle s'applique à tous.
Comme le texte de votre résolution nous y invite, nous sommes déterminés à aller plus loin, en particulier sur les marchés publics. L'Union ne peut rester totalement ouverte si nos grands partenaires sont fermés. Nous travaillons pour que les discussions, bloquées au Conseil depuis 2016, reprennent sous la présidence bulgare.
Nous devons aussi être plus vigilants collectivement face aux investissements étrangers en Europe, car les dispositifs nationaux sont inégaux. La Commission a présenté, sur notre demande, une nouvelle initiative législative, en cours de discussion au Conseil, en faveur d'une meilleure coopération européenne dans ce domaine sensible.
Enfin, la résolution appelait à une plus grande transparence et à une meilleure information sur les sujets de politique commerciale. Une commission d'experts indépendants a été mise en place pour faire toute la lumière sur l'impact du CETA, cet accord économique et commercial global, ainsi qu'un plan d'action et un comité de suivi de la politique commerciale. Nous continuerons à travailler conjointement pour approfondir ce dialogue régulier entre le Gouvernement et le Parlement.
Avec les deux résolutions 101 et 129 sur le paquet législatif « Une énergie propre pour tous les Européens », le Sénat a réalisé un travail d'ampleur. La lutte contre le dérèglement climatique est un défi considérable, y compris pour créer des emplois sur le sol européen dans des filières industrielles innovantes. Quelle est la perspective d'ensemble ? Après les deux orientations générales sur l'efficacité énergétique de juin 2017, des avancées importantes ont été obtenues lors du Conseil du 18 décembre 2017 sur la directive et le règlement définissant le marché de l'électricité, sur le règlement relatif à la gouvernance de l'Union de l'énergie et sur la révision de la directive « renouvelables ».
Vous aviez souligné votre préoccupation à l'égard de la proposition de la Commission de supprimer les tarifs réglementés de vente. La France a su construire une coalition pour supprimer cette disposition : il restera possible de réglementer les prix, dans les limites de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.
Vous insistiez sur le danger de créer des centres de conduite régionaux qui pourraient imposer leur volonté au gestionnaire de réseau national d'électricité. Nous estimons aussi qu'il s'agirait d'une violation du principe de subsidiarité. Ce concept a disparu, on ne parle plus désormais que de centres de coordination régionaux.
Vous aviez souligné l'importance des mécanismes de capacité qui garantissent la sécurité d'approvisionnement et de l'ouverture transfrontalière réciproque de tous les types de mécanismes. La France a obtenu satisfaction : le niveau européen ne pourra pas interdire aux États membres de mettre en place de tels mécanismes, mais la charge de la preuve est inversée.
Enfin, la révision de la directive sur les énergies renouvelables constitue une étape essentielle pour la transition énergétique en Europe. Le Sénat nous avait mis en garde sur une ouverture par défaut des appels d'offres renouvelables aux capacités étrangères. Le Gouvernement a défendu une ouverture volontaire et a été largement suivi. Quant à une approche « technologiquement neutre » du soutien aux renouvelables, nous avons défendu la possibilité de conduire des appels d'offres spécifiques par technologie. La totalité de cette proposition n'a pu être reprise, mais nous avons desserré la contrainte.
Nous nous réjouissons que le Conseil maintienne le plafond actuel de 7 % pour les biocarburants de première génération entre 2020 et 2030 ; c'est un bon compromis. Seule reste donc ouverte la négociation sur le règlement ACER, sur lequel les positions du Gouvernement et du Sénat convergent.
Concernant l'avenir de la PAC, la Commission a publié, le 29 novembre 2017, sa « Communication sur l'avenir de l'alimentation et de l'agriculture », avec l'idée-force de recourir davantage à la subsidiarité.
Les principaux objectifs de la politique resteraient évidemment définis au niveau européen, mais les États membres auraient une marge de manoeuvre plus grande. Certains ont évoqué un risque de renationalisation de la PAC. Or la France, comme le Portugal et l'Irlande, n'acceptera aucune renationalisation, même partielle. Le commissaire Phil Hogan a rappelé lui-même, lors du Conseil agriculture du 29 janvier dernier, que cette option n'était pas envisagée par la Commission. Le contrat de coalition allemand confirme la nécessité de maintenir le niveau actuel de la PAC. Nous allons engager des discussions plus approfondies avec nos partenaires allemands pour obtenir un financement à 100 % communautaire du premier pilier de la PAC.
Le Président de la République a redit son ambition pour la PAC : assurer la sécurité et la souveraineté alimentaires de l'Union, mais aussi renforcer la compétitivité du secteur agroalimentaire, tout en garantissant aux agriculteurs un revenu décent. La future PAC devra être plus simple, plus efficace et moins tatillonne, permettre le développement des entreprises agricoles et agroalimentaires, en assurant un juste prix pour les producteurs, en favorisant le travail en filière et en adaptant les règles et dispositifs aux spécificités de chacune d'entre elles. Les financements européens devraient renforcer la gestion des risques qui est insuffisamment prise en compte, responsabiliser les acteurs, valoriser et rémunérer les services environnementaux de l'agriculture, favoriser les transitions climatiques, énergétiques, territoriales. Il nous faudra rénover le fonctionnement de la réserve de crise agricole européenne, mais aussi développer des outils comme les fonds de mutualisation, l'épargne de précaution ou encore les assurances climatiques. Il est nécessaire de se concentrer sur la valeur ajoutée européenne de la PAC, d'où notre opposition à tout cofinancement du premier pilier.
La négociation du prochain cadre financier pluriannuel, qui devrait débuter en mai prochain, permettra de trouver des financements. Mais la PAC ne sera pas la variable d'ajustement, nous l'avons dit haut et fort à la Commission comme à nos partenaires.
M. Jean Bizet, président. - Merci, Madame la Ministre, de ces éclairages. Je rappelle la nécessité en amont de débats très approfondis sur les accords de libre-échange. Il faudra toujours mettre en exergue la réciprocité et faciliter la levée de la clause de sauvegarde, à l'instar des États-Unis.
Le Président de la République a laissé entendre que le cadre financier pluriannuel de la PAC n'était pas intangible. La subsidiarité nous amène parfois aux frontières de la renationalisation, risquant de créer des distorsions de concurrence inacceptables. Quant à la gestion des risques, la première approche nous laisse dubitatifs. Pour les Allemands, le premier pilier est l'assurance la plus importante. Le couple franco-allemand manque de cohérence, mais nous continuerons à soumettre des propositions au travers du groupe de travail sur la PAC : aujourd'hui, 3 % du premier pilier pourraient glisser vers le deuxième pour l'assurantiel, ce qui suppose un cofinancement ; pour une vraie politique assurantielle, ce transfert devrait atteindre 10 %. Nos homologues outre-Rhin sont d'accord avec cette politique plus nationale.
M. Michel Raison. - Madame la Ministre, vos propos nous rassurent en partie sur la position de la France concernant la renationalisation de la PAC. Le soutien du Portugal et de l'Irlande ne suffit pas, et nous devrons être plus unis. Les Français préfèrent en général que les sujets soient traités à l'échelon national, mais sont également favorables à une harmonisation. Quant aux garanties et à la gestion des risques, nous devons agir, car la fluctuation des prix va perdurer. Nous devons adapter la PAC pour sécuriser le revenu des agriculteurs, en nous inspirant du farm bill américain. Nous sommes prêts à vous aider, Madame la Ministre, et à participer à des travaux avec d'autres pays européens.
Mme Laurence Harribey. - Je voudrais vous alerter sur le deuxième pilier qui inclut un enjeu sur le mode de développement économique et rural. Les dernières prises de position de la Commission laissent présager l'abandon de programmes comme le programme européen de développement rural (Leader). Ce programme est particulièrement intéressant en ce qu'il favorise une stratégie de développement territorial de manière novatrice, grâce au nouvel entreprenariat rural ou aux réseaux de circuits courts. Il présente en outre l'avantage de mettre autour de la table des partenaires variés sur un territoire et de favoriser la coopération européenne. Cette action est très liée à la politique de cohésion ; or, si elle est affaiblie, la fracture territoriale risque de s'en ressentir.
M. Franck Menonville. - Je partage les propos de M. Raison sur les négociations concernant la PAC. Le groupe RDSE est très attaché à la construction européenne au travers d'une politique solide, prioritaire et le plus de convergence possible. La subsidiarité pourrait davantage s'appliquer au niveau du deuxième pilier, c'est-à-dire des politiques territoriales mises en oeuvre par chaque État membre. Par ailleurs, les filières de biocarburants sont très malmenées du fait d'importations massives de biodiésel brésilien et argentin. Quel est l'état d'avancement des procédures entamées par la Commission pour contrecarrer ces pratiques ? Ce volet est important, les excédents de production sont tels qu'ils pourraient menacer 75 % du colza français.
M. Yannick Botrel. - Vos propos sont rassurants pour l'avenir, Madame la Ministre, puisque la future PAC devrait être plus simple, plus efficace et moins tatillonne, conformément au souhait des agriculteurs. Pour autant, certains problèmes subsistent comme le risque de renationalisation de l'agriculture. De plus, le Brexit aura une double incidence : d'une part, il entraînera une perte de recettes de 13 milliards d'euros pour le budget européen - espérons que l'agriculture ne devienne pas la variable d'ajustement - ; d'autre part, le retrait des Britanniques de l'union douanière susciterait des difficultés pour les exportations outre-Manche de produits français. Nous aimerions connaître le point de vue du Gouvernement à ce sujet. Enfin, quelles options retenez-vous sur les services environnementaux de l'agriculture ?
Mme Fabienne Keller. - Ma première question porte sur les aspects monétaires et économiques. La liste s'allonge par rapport à la résolution qui avait été prise en décembre 2016. Madame la Ministre, vous avez indiqué que la conférence de l'article 13 était mieux organisée ; or, le calendrier n'est toujours pas en phase avec celui des procédures budgétaires nationales. De plus, cette instance est purement consultative. Enfin, une convergence des règles relatives au marché du travail devrait être encouragée. Je voudrais maintenant faire un aparté. Un accord a eu lieu ce matin en Allemagne entre le SPD et la CDU : le ministre des affaires étrangères serait M. Schulz et le ministre des finances serait le maire de Hambourg. Cela semble plutôt un signe favorable pour le programme d'investissement européen souhaité par le Gouvernement. Pourriez-vous nous donner vos premières impressions à ce sujet ?
M. Philippe Bonnecarrère. - Les affaires européennes doivent être considérées comme les affaires intérieures de notre pays. Mais à écouter Mme Keller, j'ai l'impression que les affaires allemandes sont elles-mêmes devenues des affaires intérieures. Sans aucune discourtoisie, pourquoi ne pas proposer la fusion de nos deux pays ?
M. Michel Raison. - Cela s'est déjà produit pour les départements...
M. Philippe Bonnecarrère. - Sur l'achèvement de l'union bancaire, il est assez étonnant de ne pas pouvoir aboutir tant la fragilité économique est majeure. Une garantie globale des dépôts est un outil plus que puissant comme arme anti-crise. Madame la Ministre, vous avez expliqué les deux approches entre ceux qui insistent sur la solidarité et ceux qui ne veulent pas mutualiser les dettes possibles. Or, des solutions intermédiaires sont envisageables, comme ces propositions de quatorze économistes français et allemands visant à assurer un mécanisme assurantiel variable suivant les pays.
S'agissant de la politique commerciale, l'accord de décembre 2017 est pertinent, de même que la décision d'avoir reconnu à la Chine le statut d'économie de marché. Le Sénat est assez favorable aux accords commerciaux. Sur la stratégie, l'Europe a un boulevard devant elle avec l'isolationnisme américain. Néanmoins, nous nous heurtons toujours aux mêmes obstacles, car des secteurs de l'agriculture se perçoivent comme défavorisés.
Je regrette l'inaptitude du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation à répondre à cette question. Il ne dispose en outre que de 150 millions d'euros par an. Un ajustement du monde agricole à la mondialisation faciliterait les conditions de négociation des accords internationaux. Comment y parvenir concrètement ?
J'en reviens au deuxième pilier, car des manifestations ont lieu à propos des indemnités compensatoires de handicaps naturels, les ICHN. Cet ajustement franco-français devrait être traité par le ministère de l'agriculture, mais ce sera peut-être insoluble. Madame la Ministre, je doute que vous puissiez rouvrir la discussion sur les 10 % supplémentaires, mais d'autres moyens comme le classement des zones humides pourraient être utilisés. Comment pourriez-vous ajuster votre action à celle de M. Travert pour régler ce sujet ?
M. André Reichardt. - Dans le cadre des travaux préparatoires à la future PAC, l'attente des agricultures est forte concernant la rapidité du versement des primes. Les élections approchent : c'est en prouvant sa capacité à résoudre ces difficultés que l'Europe pourra démontrer son efficacité.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Beaucoup de questions tournent autour de la PAC, ce qui ne me surprend guère, et sont révélatrices d'un état d'anxiété justifié. En effet, construire un cadre financier pluriannuel avec le départ d'un contributeur net est plus difficile, avec près de 13 milliards d'euros de moins. Cela nécessite des décisions fortes comme la fin des rabais obtenus par certains de nos partenaires en « copie cachée » du chèque britannique.
Le débat porte aussi sur le volume du budget et donc sur le pourcentage du revenu national brut sur lequel il faudra se caler. Il faut être capable de concilier notre ambition européenne et notre volonté de restaurer des finances publiques plus saines.
Nous sommes également attentifs à de nouvelles ressources propres. Le groupe de haut niveau présidé par Mario Monti avait formulé des propositions de qualité. C'est le moment de les utiliser. Il est néanmoins difficile de concilier notre attachement à la PAC, à la politique de cohésion, aux nouvelles priorités avec notre budget. Mais nous devons boucler celui-ci rapidement, car le précédent cadre financier pluriannuel avait pâti du retard lors de son adoption. Stéphane Travert et son ministère travaillent activement pour rattraper le temps perdu qui handicape fortement nos agriculteurs.
Prenons garde aux rumeurs, car si la négociation n'a pas commencé, la désinformation, elle, a déjà démarré.
M. André Gattolin. - Le groupe de Visegrád est très fort !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - J'ai eu l'occasion de le dire publiquement à Bruxelles lors d'une conférence sur le cadre financier pluriannuel, et le Premier ministre et moi-même avons interpellé à deux reprises le commissaire Oettinger.
À côté de l'Irlande et du Portugal, d'autres États membres sont très attachés à une priorité de la PAC. C'est le cas de l'Espagne, longtemps hésitante entre la politique de cohésion et la PAC, de la Pologne et d'autres pays du groupe de Visegrád. Nous avons un dialogue très régulier sur la PAC et ne sommes pas isolés. Certes, des résistances existent parmi les pays du Nord, dont les Pays-Bas.
Concernant les non-renationalisations, j'ai surtout parlé du premier pilier, mais le deuxième est tout aussi important au travers du rôle de l'agriculture dans la transition écologique. Comme vous, j'accorde une grande valeur à des programmes comme le programme Leader.
S'agissant des biocarburants, l'augmentation de la part des énergies renouvelables est un point fort de la stratégie climatique européenne. Mais l'Union européenne a dû baisser les droits sur l'importation de biocarburants.
Je comprends les inquiétudes à l'égard de la négociation relative à un accord commercial avec le Mercosur. Les autorités françaises ont affiché clairement nos lignes rouges sur ce projet d'accord. Nous devons tirer profit de ce moment historique pour conclure des accords à travers le monde, à condition qu'ils soient équilibrés, maintiennent nos intérêts, notamment agricoles, et ne fragilisent pas les filières les plus touchées. Certains pays voudraient signer tout de suite ; de son côté, le Mercosur n'a pas apporté de réponses très claires. Nous veillerons systématiquement à garantir nos exportations comme c'est le cas avec le Japon, la Turquie et la Chine.
Sur le service environnemental de l'agriculture, la note des autorités françaises sur la PAC diffusée en décembre évoque une conditionnalité renforcée, une simplification des aides que la France a longtemps contribué à complexifier. Nous sommes favorables à un outil de paiement incitatif dont l'ambition environnementale serait rehaussée à l'occasion de la future PAC, ainsi qu'à la rémunération des services environnementaux auxquels contribue l'agriculture.
J'ai partiellement répondu sur le Brexit. Quant à l'union douanière, nous attendons une position officielle des Britanniques sur la future relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. C'est à eux de nous dire où ils veulent aller et à nous de répondre, et non l'inverse. Néanmoins, Mme Theresa May a manifesté à plusieurs reprises le souhait de sortir de l'union douanière, en contradiction avec les attentes des milieux d'affaires britanniques. Ce retrait aurait de lourdes conséquences pour le Royaume-Uni, mais aussi pour nos propres filières.
Madame Keller, l'accord préalable à l'accord de coalition est satisfaisant car l'Europe y tient une place essentielle, contrairement à ce que les négociations laissaient présager. Nombre de nos propositions ont fait l'objet de débats entre les trois parties de la grande coalition : leurs réponses sont encourageantes. On parle de plusieurs ministères-clefs pour le SPD : les affaires étrangères, les finances et les affaires sociales. L'orientation pro-européenne du futur gouvernement allemand est très encourageante.
Il est urgent, je vous l'accorde, d'achever enfin l'union bancaire. Des économistes français et allemands ont conjointement fait des propositions intéressantes en ce sens. L'Europe n'a que trop tardé. Pourtant, certains États membres - je pense notamment aux Pays-Bas - demeurent très réticents à toute initiative, qui, comme les garanties de dépôts, pourrait ressembler à une mutualisation plutôt qu'à une réduction des risques. Nous avançons, certes, sur la mise en oeuvre de mesures comme le filet de sécurité, mais il devient urgent de prendre des décisions plus ambitieuses : la croissance économique et la stabilité politique des États membres, établie à l'issue des élections italiennes, le permettent. Le sommet informel de la zone euro, qui se tiendra en mars, puis le Conseil du mois de juin devraient valider une feuille de route sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire. Il conviendra également de revoir, dans le prochain cadre financier pluriannuel, les modalités de fonctionnement du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation, peu opérationnel et dont les résultats n'ont pas répondu aux attentes de ses concepteurs.
S'agissant de l'ICHN, sujet plus particulièrement suivi par mon collègue Stéphane Travert, nous sommes effectivement en retard sur la définition d'une nouvelle cartographie et nos marges de négociation sont désormais étroites au niveau européen. Nous avons néanmoins pleinement conscience des inquiétudes soulevées par la réforme et les conséquences qui pourraient en découler.
M. Jean Bizet, président. - Vos services pourraient-ils nous faire parvenir une note circonstanciée sur les biocarburants ? Il me semble, en effet, que l'Union européenne a, il y a quarante-huit heures, porté plainte contre l'Argentine auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pour dumping fiscal et environnemental. Or le sujet avait fait l'objet d'un large débat au Sénat lors de l'examen de la dernière loi de finances.
Mme Pascale Gruny. - Notre commission a adopté une proposition, devenue résolution du Sénat le 17 février 2017, relative aux perturbateurs endocriniens. Nous y formulions un ensemble de critiques sur deux projets de textes en cours d'élaboration par la Commission : un acte d'exécution dans le cas des produits phytopharmaceutiques et un acte délégué pour les produits biocides.
Au cours de l'année écoulée, la question des perturbateurs endocriniens a fait l'objet d'une abondante actualité et la Commission a largement revu la rédaction de ces deux propositions de texte, dans un sens à nos yeux satisfaisant : les critères d'identification ont été élargis, conformément à la demande du Sénat, pour que davantage de substances puissent être identifiées comme perturbateurs endocriniens. Quelles sont, désormais, les prochaines étapes du dialogue engagé entre la France, les autres États membres et la Commission sur la question des perturbateurs endocriniens ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - La résolution du Sénat avait effectivement mis en évidence les insuffisances de la législation européenne : à la fois la faible lisibilité du cadre applicable et le manque de cohérence des critères d'identification des perturbateurs endocriniens dans les règlements de 2009 et de 2012. Fort logiquement, le Gouvernement a tenu compte de vos remarques et recommandations lors des négociations européennes, comme à l'occasion de l'élaboration de sa stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens. Les modifications apportées aux deux textes en discussion sont encourageantes, mais il convient d'approfondir encore, pour restaurer la confiance dans le système d'évaluation des substances chimiques, les objectifs de transparence et d'indépendance des agences chargées de cette mission. Nicolas Hulot a proposé à ses homologues, lors du Conseil Environnement d'octobre dernier, d'entamer un travail sur ce sujet. Vous aviez proposé de renforcer la coordination entre les agences européennes et nationales ; le Gouvernement examine attentivement cette option. Je trouve également fort intéressante la proposition sénatoriale consistant à retenir la notion de « perturbateurs endocriniens présumés ». Nous avons défendu cette position dans notre réponse à une consultation publique récente de l'Agence européenne des produits chimiques et de l'Autorité européenne de sécurité des aliments. Dans les prochains mois, sera définie par la Commission une stratégie européenne en matière de perturbateurs endocriniens, qui pourrait utilement s'inspirer de la stratégie française, robuste et concrète. Nous allons la promouvoir auprès de la Commission et intensifier nos échanges sur les mesures à mettre en oeuvre en matière de transparence et d'indépendance des agences d'évaluation. J'effectuerai prochainement une visite de terrain sur ce sujet avec ma collègue Brune Poirson.
Mme Colette Mélot. - Il y a presque un an, le Sénat s'engageait en faveur de la défense de la conception française du droit d'auteur en adoptant une résolution européenne sur le paquet droit d'auteur, réforme qui se décomposait en plusieurs textes d'importance inégale. Les dispositions relatives au traité de Marrakech visaient à faciliter l'accès des déficients visuels aux oeuvres publiées. Elles ont, depuis, été adoptées et nous en sommes globalement satisfaits. Le règlement dit « câble et satellite », auquel nous nous étions formellement opposés, a vu son champ d'application considérablement restreint. Même si la version définitive du texte n'est pas encore adoptée, les compromis réalisés semblent de nature à préserver le modèle économique de nos industries culturelles. Je souhaiterais revenir aujourd'hui sur le dernier texte du paquet qui harmonise le régime des exceptions au droit d'auteur, et plus précisément sur la question de la création d'un droit voisin au profit des éditeurs de presse. Nous nous étions interrogés notamment sur les contours de la notion de droit voisin au profit des éditeurs de presse. Je comprends que depuis une clarification est intervenue, pourriez-vous nous en dire davantage et nous indiquer quelles grandes orientations sont retenues actuellement ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - L'enjeu de la refonte du droit d'auteur, très justement analysée par la proposition de résolution de votre commission, est de moderniser la législation pour l'adapter à l'univers numérique et à l'émergence des plateformes, tout en préservant les droits des créateurs et en assurant, autant que faire se peut, un partage équitable de la valeur. À cet effet, je suis convaincue de l'intérêt que constitue la création d'un droit voisin pour les éditeurs de presse, même si elle est loin d'être garantie à ce stade : seuls onze États membres y sont favorables, les autres lui préférant la protection moins favorable d'une présomption de transfert de droits au bénéfice des éditeurs de presse. Les négociations se poursuivent avec, en perspective peut-être, la création d'un droit assorti d'une durée de protection réduite. Nous sommes également attachés à ce que soit clairement définie la communication publique en ligne et, partant, le régime de responsabilité des plateformes : celles qui réalisent un acte de communication au public devraient conclure une licence avec les ayants droit et toutes, y compris les simples hébergeurs, oeuvrer pour lutter efficacement contre la diffusion de contenus illégaux. Enfin, la France s'est opposée à toute remise en cause du principe de territorialité des droits, garantie de la juste rémunération des créateurs, par celui du pays d'origine du radiodiffuseur en ligne, avec quelque succès puisqu'elle a réussi à réunir une minorité de blocage sur sa position.
M. Didier Marie. - Depuis 2015, le Sénat a suivi avec une particulière attention la mise en oeuvre du plan Juncker visant à mobiliser quelque 315 milliards d'euros d'investissement au 31 décembre 2017, puis 500 milliards à l'horizon 2020. Il a ainsi adopté plusieurs résolutions pour en renforcer l'efficacité. Plus particulièrement, le Sénat a souhaité que les PME, voire les TPE, qui jouent un rôle majeur en matière de croissance et d'emploi, bénéficient de financements via des plateformes ouvertes à des investissements plus modestes. Pouvez-vous nous confirmer que l'accent a effectivement été mis sur le financement de ces investissements et nous indiquer si des résultats probants ont été enregistrés au profit de l'économie française ? Pouvez-vous, en outre, nous préciser comment et dans quelle mesure la mise en oeuvre du plan associe de manière plus étroite les collectivités territoriales, qui entendent appuyer le développement de l'économie dans les territoires ?
M. Cyril Pellevat. - Annoncé à l'automne 2016, un plan d'investissement européen spécifique devait constituer le volet externe du plan Juncker avec un objectif de mobilisation de 44 milliards d'euros d'ici 2020 pour financer de façon innovante des projets en Afrique et dans le voisinage méridional et oriental. Ce plan entendait encourager les investisseurs privés à participer au développement durable des pays partenaires de l'Union européenne en stimulant les investissements privés, notamment où des marchés économiquement viables peuvent contribuer à satisfaire certains besoins de la société et où les fonds publics peuvent jouer un rôle de levier dans la mobilisation des fonds privés. La Commission a indiqué qu'elle était prête à investir dans ce plan 4,1 milliards d'euros, à travers le Fonds européen pour le développement durable (FEDD), qui comprend une garantie d'un montant de 1,5 milliard d'euros et 2,6 milliards d'euros de mécanismes de financement mixte. Quel est l'état d'avancement de la mise en oeuvre de ce plan que la résolution du Sénat de décembre 2016 a entendu appuyer ? Par ailleurs, Le FEDD est ouvert aux contributions des États membres : qu'en est-il concrètement et quelles sont les perspectives en la matière ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - La France est le premier pays destinataire des investissements du plan Juncker et, Monsieur Marie, les PME et TPE en bénéficient très largement : trente-deux conventions les concernant ont d'ores et déjà été approuvées, pour 1,7 milliard d'euros au titre du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS). À l'échelle européenne, 30 % des financements générés au titre du FEIS se sont portés sur des PME et des TPE. Les collectivités territoriales jouent un rôle majeur pour accompagner cette dynamique. Elles ont, à cet égard, intérêt à articuler fonds structurels et FEIS pour financer de grands projets régionaux. Si ce n'est pas toujours possible en raison des modalités différentes de fonctionnement des fonds, cette stratégie est encouragée au cas par cas et devrait être facilitée par la simplification des règles actuellement applicables annoncée par la Commission. À titre d'illustration, grâce à la mobilisation conjointe du plan Juncker et des fonds structurels européens a pu être créé dans la région des Hauts-de-France un fonds d'investissement en capital dédié aux entreprises de la troisième révolution industrielle pour soutenir des projets de modeste envergure. Le plan Juncker contribue également au financement de projets d'intérêt local : une usine de traitement des eaux usées dans le Val-d'Oise ou six lignes de bus à haut niveau de service à Lens.
Monsieur Pellevat, les ressources allouées au Fonds d'affectation d'urgence (FFU) s'élèvent à 3,3 milliards d'euros, dont 2,7 milliards d'euros ont d'ores et déjà été versés, comprenant 1,2 milliard d'euros pour la région du Sahel, pour le financement de 143 projets sélectionnés en comité opérationnel. Le FFU est abondé par le FEDD, par des instruments communautaires et par les États membres, qui y ont contribué à hauteur de 378 millions d'euros. La participation de la France, si elle a récemment triplé, reste inférieure à 10 millions d'euros, soit fort peu en comparaison des 154 millions d'euros versés par l'Allemagne. Mais n'oublions pas combien nous sommes présents civilement et militairement au Sahel. Le FFU pourrait à nouveau être abondé par les États membres comme par le FEDD.
M. Michel Raison. - Notre commission a adopté une proposition, devenue résolution du Sénat le 21 janvier 2017, invitant à une convergence accrue au sein de l'Union, en matière d'étiquetage et de gaspillage alimentaires. En France, après avoir obtenu l'accord de principe de la Commission, deux expérimentations inédites sont en cours en matière d'étiquetage nutritionnel et des plats cuisinés. Dans les deux cas, la Commission a donné un accord de principe à notre pays. S'agissant de l'étiquetage nutritionnel, le feu vert de la Commission prévoyait que « les autorités françaises (s'assurent) que le logo sélectionné est compatible avec les dispositions de la législation applicable en la matière et en particulier le règlement INCO du 22 novembre 2011 ». Certains États membres ayant formulé des inquiétudes, la Commission juge également « crucial que le rapport que les autorités françaises se [sont] engagées à soumettre sur cette expérimentation, aborde aussi la question de l'accès au marché français des producteurs des autres États membres ». Qu'en est-il des échanges entre la France et la Commission sur ces deux dossiers ? Certains États membres formulent-ils toujours des inquiétudes sur l'expérimentation en cours portant sur l'origine des viandes et du lait ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - L'expérimentation, autorisée pour un an, sur l'étiquetage des plats cuisinés répondait à une forte attente des Français après le scandale des fraudes sur l'utilisation de viandes chevalines dans certaines préparations. L'Allemagne et la Belgique ont alors fait part de leurs craintes de voir leurs exportations vers la France s'éroder, tandis que l'Italie et l'Espagne y étaient plutôt favorables. À l'issue de l'expérimentation, la France s'est engagée à produire un rapport d'évaluation et à en transmettre les conclusions à la Commission. Dans cette attente, les deux parties ont suspendu leurs échanges.
M. André Gattolin. - Je m'inquiète des effets pervers de certaines initiatives européennes en matière commerciale, craintes confirmées lors d'un échange récent avec la commissaire au commerce Cécilia Malmström. Prenez l'accord « tout sauf les armes », qui devait originellement encourager la croissance des pays les plus pauvres en leur accordant un accès privilégié au marché européen grâce à l'élimination des quotas et droits de douanes. En réalité, pour ne prendre que l'exemple du commerce du riz, l'accord favorise exagérément le Cambodge, dont on connaît par ailleurs le degré de corruption, au détriment des sept pays rizicoles du Sud de l'Europe, qui se trouvent désormais en position d'importateurs. Nous aimerions disposer régulièrement de retours d'expérience des accords commerciaux conclus par l'Europe ; je m'en suis ému auprès de la commissaire européenne. Exception faite de l'accord de libre-échange conclu entre l'Union européenne et la Corée du Sud, je suis personnellement favorable à ces initiatives, mais leur multiplication rend difficile d'en connaitre l'étendue - qui comprend les règles en matière de quotas de boeuf, qui dépendent de différents accords commerciaux ? - et d'en dresser un bilan. Or, toute politique doit être suivie, évaluée et, le cas échéant, modifiée en conséquence.
M. Jean Bizet, président. - Je partage cette analyse s'agissant de la réactivité européenne pour le déclenchement de clauses de sauvegarde : il est fort dommage que nous ne disposions pas d'un mécanisme identique à la mesure 623, qui permet aux États-Unis de fermer leurs frontières en quelques minutes. Je souhaite rappeler en conclusion les travaux que nous avons conduits sur la nécessaire simplification du droit européen, qui constitue une exigence pour les entreprises comme pour les particuliers. Nous avons d'ailleurs, en collaboration avec la délégation aux entreprises, lancé une plateforme pour permettre aux entreprises de faire part de leurs préoccupations dans ce domaine. La simplification implique aussi de se prémunir contre les excès de zèle lors des transpositions en droit national. La dernière Conférence des présidents a souhaité, à cet effet, que notre commission exerce une veille sur les sur-transpositions, un peu comme la commission des finances le fait avec l'article 40. Je vous remercie, Madame la Ministre, de vous être prêtée à cet exercice qui nous a permis d'engager un dialogue fructueux.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Nous espérons ne pas vous donner un travail trop important, grâce à notre veille attentive pour éviter de faire preuve du génie français à tout compliquer et à aller au-delà de ce que l'Europe exige. Nous cherchons aussi à harmoniser les transpositions entre la France et l'Allemagne.
La réunion est close à 18 h 35.
Jeudi 8 février 2018
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Institutions européennes - Audition de M. Anguel Tcholakov, ambassadeur de Bulgarie en France
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes très heureux d'accueillir M. Anguel Tcholakov, ambassadeur de Bulgarie en France. Merci d'avoir répondu à notre invitation quelques semaines après le début de votre présidence de l'Union européenne. Nous vous souhaitons un plein succès. Si l'Union européenne bénéficie d'un contexte meilleur, les défis demeurent importants.
En premier lieu, c'est évidemment le Brexit qui focalise notre attention. Nous souhaitons la conclusion d'un accord de retrait, qui réponde aux trois conditions posées par l'Union européenne sur la situation des citoyens, l'Irlande et le règlement financier. Tous les engagements pris dans le rapport conjoint des négociateurs devront être formalisés juridiquement. Leur respect devra conditionner l'accord sur les relations futures. Une période de transition paraît inévitable. Mais le Royaume-Uni devra respecter toutes ses obligations - sans pouvoir participer au processus de décision puisqu'il sera devenu un État tiers. Pour ce qui concerne les relations futures, le Conseil européen devra fixer précisément ses objectifs en veillant à garantir l'intégrité du Marché unique. L'unité des 27, affirmée dans la première phase, devra être préservée. Nous nous réjouissons que, grâce notamment au travail de Michel Barnier, elle perdure.
Votre présidence s'ouvre dans une conjoncture économique plus positive. L'Union doit saisir cette occasion pour renforcer sa compétitivité. Nous soutiendrons vos initiatives sur le numérique. C'est un enjeu majeur. La cyber-sécurité et l'intelligence artificielle sont des priorités. La commissaire en charge du dossier est votre compatriote, et nous la recevrons prochainement. Pour faire émerger des champions européens, nous devons adapter les outils de la politique de la concurrence. Actuellement, cette politique consiste en des postures qui remontent aux années 1950, selon lesquelles le marché serait un régulateur optimal ; mais le monde a changé, et, malgré les orientations pertinentes prises par Mme Vestager, nous ne sommes toujours pas à la hauteur.
Il faut aussi approfondir la zone euro en renforçant sa gouvernance, en assurant un véritable contrôle démocratique à travers les parlements nationaux, en parachevant l'union bancaire et en lui donnant les moyens de réagir aux crises.
Nous soutiendrons vos initiatives en matière de sécurité et de politique migratoire. Ce sujet est sans doute la première préoccupation de nos concitoyens. Le contrôle effectif des frontières extérieures et l'échange d'informations sont des enjeux majeurs.
Nous voulons un débat ouvert et constructif sur le prochain cadre financier pluriannuel. Le retrait britannique, le contexte budgétaire et l'émergence de nouvelles priorités suscitent des inquiétudes. La politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion doivent être préservées. Le budget européen doit être doté de ressources propres. Vous savez comme la France est attachée à la PAC, qui fut la première politique fondatrice de l'Union européenne. Aussi avons-nous été choqué d'apprendre, au moment même où Mme Loiseau, ministre de l'agriculture, nous annonçait une hausse des moyens nationaux, que le commissaire à l'agriculture évoquait une baisse de 5 à 10 % des crédits de la PAC. Alors que l'État accroît son concours financier à une activité stratégique, est-ce le moment pour l'Union d'emprunter le chemin inverse ?
Nous partageons votre souci de stabilité dans les Balkans occidentaux. Certains de nos collègues se rendront prochainement au Monténégro et en Serbie, où l'on sent une tentative de déstabilisation. La priorité doit être de favoriser des progrès significatifs tant sur l'organisation institutionnelle - l'État de droit - que sur le plan économique.
Enfin, quelle est votre appréciation sur la situation en Ukraine, dont la Bulgarie est proche voisine, et sur les relations avec la Russie ? Ce pays demeure un partenaire incontournable en dépit des difficultés que nous rencontrons, et le Sénat lui porte une attention toute particulière : vous savez que nous avons voté récemment une proposition de résolution déposée par MM. Sutour et Pozzo di Borgo sur la question des sanctions, qui font surtout souffrir les peuples.
Vous le voyez, nous avons beaucoup de questions à vous poser !
M. Anguel Tcholakov, ambassadeur de Bulgarie en France. - Et j'espère que vous répondrez aux miennes, car je souhaite que cet entretien soit enrichissant pour tout le monde. Je souhaite en particulier connaître votre appréciation du système de présidence tournante. D'aucuns le considèrent comme un facteur d'inertie institutionnelle ; en Bulgarie, nous estimons qu'il a une véritable valeur ajoutée.
Merci pour votre invitation, et tous mes meilleurs voeux pour cette année déjà bien entamée. La relation franco-bulgare est une histoire d'amitié et une alliance qui dure depuis déjà douze siècles. Dès le IXème siècle, la Bulgarie avait une frontière avec l'Empire des Francs et, à chaque grand carrefour de l'Histoire, la France nous a tendu la main - à chaque fois dans un prisme européen.
Au dix-neuvième siècle, de grandes voix françaises, comme Lamartine ou Victor Hugo, se sont élevées pour encourager notre indépendance après cinq siècles de joug ottoman. Puis la France a mis son modèle et son expertise à la disposition du jeune État bulgare. Et c'est dès le mois de janvier 1989 que François Mitterand est venu chez nous, pour le fameux petit-déjeuner avec des intellectuels bulgares. Il nous a ensuite envoyé Roland Dumas, qui fut, avant de présider votre Conseil constitutionnel, conseiller pour l'Europe de notre premier président. Enfin, quand nous avons adhéré à l'Union européenne en 2007, la France nous a encore aidés avec son expertise.
C'est donc une longue histoire d'amour que retrace le fil de cette trajectoire émotionnelle commune, écrite depuis l'origine dans un paradigme européen.
Onze ans après notre adhésion, nous prenons pour la première fois la présidence tournante de l'Union, avec une grande confiance en nous, un fort enthousiasme européen et un puissant désir d'apporter notre contribution. Nous avons fixé à cette présidence quatre priorités.
D'abord, l'avenir de l'Europe, et l'avenir de cet avenir, c'est-à-dire la jeunesse. Nous sommes à un moment de transition puisque le débat sur les nouvelles perspectives financières est entamé. Il importe de renforcer la croissance économique et la cohésion sociale européennes. Comme c'est l'année européenne du patrimoine culturel, la culture et le sport sont à l'honneur, ce qui met en exergue le soft power européen.
Il est vrai qu'à un an des élections européennes, il est permis d'être inquiet. Alors que les prérogatives du Parlement n'ont cessé de s'accroître depuis 1979, puisque cette assemblée, initialement consultative et protocolaire, est désormais co-législateur, le taux de participation aux élections européennes est passé dans le même temps de 62 % à 42 %. Aussi comptons-nous amorcer une réflexion sur les enjeux des élections européennes, afin d'y sensibiliser davantage nos concitoyens. Certains politologues les qualifient désormais d'élections de second ordre ; de fait, elles mobilisent peu et les débats auxquels elles donnent lieu sont bien souvent de portée nationale et non européenne. Le Président Macron a appelé à une grande consultation civique - et les propositions françaises trouvent toujours beaucoup d'écho chez nous.
Deuxième priorité : les Balkans. Il me semble que, sur ce thème, la présidence bulgare a une vraie valeur ajoutée, ne serait-ce que pour des raisons géographiques - mais aussi du fait de notre expérience récente. Nous devons tenir aux pays des Balkans occidentaux un discours réaliste, et tenter de les connecter à une Europe qui devient de plus en plus digitale. Sans perspective européenne claire, le risque nationaliste s'accroîtra. Pour autant, nous devons nous montrer responsables et faire des propositions réalistes, sans s'engager encore sur un calendrier, mais en traçant des perspectives. Ces pays ne sont certes pas moins européens que nous, et ils attendent depuis longtemps un message positif de notre part. Nous pouvons d'ores et déjà leur prêter assistance en matière de transport ou de formation. D'ailleurs, l'un des projets qui nous tient à coeur est la création annoncée d'une antenne de l'ENA à Sofia, sur le modèle du collège européen à Bruges. C'est très important pour la modernisation de la classe politique.
La sécurité et la stabilité de l'Union européenne sont une autre priorité, dans un contexte de gestion déficiente, en interne, des flux migratoires, et de défaillance dans le contrôle de nos frontières extérieures. Nous comptons recadrer les concepts de gestion des flux migratoires et refondre l'European Asylum Office.
Enfin, nous travaillerons à l'achèvement du modèle digital européen. Cette thématique revêt une importance croissante, dans un monde où le débat sur la protection des données individuelles et la gestion des flux occupe le devant de la scène. Vous l'avez dit, l'une de nos compatriotes exerce les fonctions de commissaire européen à l'économie et à la société numériques. Ayant épousé un Français, elle connaît mieux la France que moi-même ! Je me réjouis que vous l'ayez déjà invitée, et m'offre à vous faire rencontrer tout autre personnalité bulgare que vous pourriez souhaiter entendre.
Dans quel état d'esprit abordons-nous cette présidence ? Toute l'Europe était représentée à Sofia lorsque nous l'avons inaugurée le 11 janvier dernier. Je me suis rendu à Bruxelles la semaine dernière, et je connais bien les équipes qui y travaillent avec nous car j'ai été le sherpa pour le Conseil européen du premier Gouvernement Borissov. Nous percevons un certain apaisement face à la perspective de confier la présidence à notre pays : le temps où il y avait des divisions entre anciens et nouveaux États-membres est derrière nous. Nous serons soucieux d'inscrire notre action dans le prolongement de celle de la présidence estonienne comme de préparer celle de la présidence autrichienne.
Merci encore de m'avoir invité. J'espère que nous aurons l'occasion de nous voir de nouveau au terme de notre semestre de présidence car, plus encore que de tracer des perspectives, il est important de savoir faire un bilan ! Je souhaite aussi, d'ores et déjà, vous présenter mon adjoint, M. Tassev, ministre plénipotentiaire, qui est un diplomate expérimenté.
En France, la présidence bulgare a été lancée en Haute-Savoie, grâce à l'un vos collègues, Loïc Hervé, qui préside le groupe d'amitié France-Bulgarie du Sénat.
M. André Gattolin. - Il sait faire !
M. Anguel Tcholakov. - Son enthousiasme est contagieux. Les festivités qui, à cette occasion, se sont enchaînés pendant plusieurs semaines ont fait la Une de tous les médias bulgares. Et vous, comment voyez-vous cette présidence tournante ?
M. André Reichardt. - Merci pour votre propos volontariste et porteur d'espoir, qui répond par lui-même aux interrogations que vous avez évoquées sur l'intérêt de la présidence tournante.
Merci aussi d'avoir fait de l'avenir de l'Europe une priorité de votre présidence, car les élections européennes sont très proches et nous craignons le pire. Les mois qui viennent, à cet égard, seront déterminants pour l'avenir de l'Union. Élections de second ordre ? Le qualificatif est grave, et nos institutions doivent relever ce défi. Il s'agit, en somme, de lutter contre le populisme, qui accuse l'Europe de tous les maux. À cet égard, il est bon que notre commission rencontre systématiquement l'ambassadeur du pays qui assume la présidence du Conseil, afin que nous puissions lui faire passer nos messages.
Pour que les électeurs aillent aux urnes - et votent bien -, l'Europe doit absolument progresser sur les questions de migration et d'asile. L'accent doit être mis sur la sécurité ; un discours volontariste et réaliste doit être tenu sur l'immigration et l'asile, et notre politique de retour et de réadmission doit être plus efficace, car nos concitoyens n'y croient plus. De fait, 95 % des déboutés du droit d'asile ne retournent jamais chez eux. La solidarité européenne doit aussi mieux jouer, et vous savez bien que certains États-membres n'acceptent pas les quotas qu'ils devraient prendre en charge.
Sur les Balkans : est-ce bien le moment d'en faire trop ?
M. André Gattolin. - Pas plus que sur l'Alsace !
M. André Reichardt. - Je n'ignore aucunement l'importance de la perspective européenne pour ces pays, mais il importe de leur tenir un discours réaliste, et surtout que nos concitoyens puissent entendre ; car nombre d'entre eux considèrent que la cause de nos maux actuels est à chercher dans un élargissement trop rapide.
Enfin, je souhaite que la présidence bulgare soit attentive à maintenir à Strasbourg son rôle de siège du Parlement européen, car c'est à Strasbourg que s'est créée l'Europe des peuples. Je connais votre background belge...
M. Anguel Tcholakov. - C'est exactement pour cela que j'emploie l'expression d'assemblée de Strasbourg - malgré mon background bruxellois !
M. Simon Sutour. - Il est agréable de vous entendre car vous tenez un discours volontaire et confiant, et votre français est excellent.
M. André Reichardt. - En effet !
M. Simon Sutour. - La présidence tournante est une très bonne chose, puisqu'elle place le focus sur des États-membres qui n'en bénéficieraient pas forcément sinon. Il y a de toute façon, outre la présidence du Conseil, une Commission et un Parlement européen...
Nous aimons la Bulgarie ; il y a quelques années, notre commission avait eu l'occasion de rencontrer une jeune femme politique, Liliana Pavlova, qui a ensuite rejoint le Parlement européen.
M. Anguel Tcholakov. - Cette enthousiaste de l'idée européenne est désormais vice-ministre pour la présidence bulgare du Conseil de l'Union européenne.
M. Simon Sutour. - Je m'en félicite ! Elle avait été désignée, à l'époque où nous l'avions reçue, personnalité politique d'avenir. Nous avions aussi été particulièrement bien reçus au Parlement bulgare, avant de visiter la magnifique ville de Plovdiv, qui sera capitale européenne de la culture en 2019.
Contrairement à mes collègues, j'estime que nous devons donner un coup d'accélérateur vis-à-vis des pays des Balkans. C'est une région qui a connu des événements très graves au XXe siècle. Certes, il ne faut pas aller trop vite - quelques exemples viennent à l'esprit - et M. Juncker a annoncé qu'il n'y aurait pas d'élargissement dans les cinq prochaines années. La Slovénie, la Croatie ont rejoint l'Union européenne ; les discussions avec la Serbie et le Montenegro progressent - à mes yeux, les enjeux concernant la Serbie me paraissent encore plus forts que pour le Montenegro. Aidons ces pays à se mettre aux standards européens.
Enfin, la Macédoine nous inquiète beaucoup ; elle est aux portes de l'Union européenne, mais il y a ce problème de dénomination... On l'appelle ARYM (ancienne république yougoslave de Macédoine) ; l'aéroport et l'autoroute Alexandre le Grand ont été débaptisés, on dit maintenant « autoroute de l'amitié »... Un accord entre la Grèce et la Macédoine sur le nom du pays, qui vient d'être conclu sous les auspices de l'ONU, a suscité des manifestations très importantes en Grèce. Pourquoi l'Union européenne n'a-t-elle pas conduit les négociations ? Quel est votre point de vue ?
Mme Laurence Harribey. - Je suis très sensible à la manière dont vous avez présenté la présidence bulgare, en rappelant le caractère historique des relations entre nos deux pays. J'ai apprécié la référence au Conseil de l'Europe : ayant été sensibilisée à l'idée européenne à travers les mouvements de jeunesse, je sais que le Conseil de l'Europe a construit un socle européen de valeurs communes.
Les précédentes adhésions ont été guidées par les critères de Copenhague, au nombre de trois : la mise à jour des législations nationales, la transition vers une économie de marché et le plus délicat, la structuration de la société civile et le respect des droits politiques. L'adhésion de la Bulgarie a pris deux ans de plus qu'initialement prévu, pour satisfaire à ces critères. Lesquels seront utilisés pour accompagner les nouveaux pays ? Il convient de les revoir.
Vous évoquez la création d'une antenne de l'ENA à Sofia. Je trouve l'approche quelque peu technocratique et susceptible de mettre en danger l'appropriation de l'idée européenne par les citoyens. Je vous suggère de mettre davantage l'accent sur le local. La construction européenne a besoin d'une colonne vertébrale sociétale.
M. Didier Marie. - J'ai moi aussi été impressionné par votre intervention. Je me suis rendu en Bulgarie dans le cadre de la mission d'information sur l'accord Union européenne-Turquie ; j'ai pu y constater les efforts considérables engagés par votre pays pour sécuriser la frontière extérieure et endiguer les passages non autorisés. Le volontarisme des autorités bulgares est à saluer. Mais la crise migratoire est toujours là, et il vous incombera d'obtenir, avec le président de la Commission, un accord sur la politique migratoire avant la fin juin. Au plus fort de la crise, la Pologne et la Hongrie ont refusé la politique des quotas d'accueil, et le groupe de Viegrad s'inscrit toujours dans cette logique. De leur côté l'Allemagne, l'Italie et la Suède ne veulent pas d'un accord au rabais qui se limiterait à la dimension financière et logistique du problème. Comment comptez-vous rapprocher les points de vue ?
La Bulgarie satisfait à tous les critères pour rejoindre l'espace Schengen, sauf celui de la fiabilité du système judiciaire et de la lutte contre la corruption. Je crois savoir que le président Boïko Borissov s'est opposé à un récent projet de loi anticorruption au motif de son manque d'efficacité. Où en êtes-vous ?
Le cadre financier pluriannuel 2012-2027 sera marqué par la fin de la contribution du Royaume-Uni au budget européen, soit dix milliards d'euros par an, la question des ressources propres du budget et la conditionnalité des aides au respect de l'État de droit.
M. Daniel Gremillet. - J'apprécie votre enthousiasme. Votre pays aura la responsabilité de faire partager l'idée européenne à une jeunesse qui ne se l'est pas appropriée.
La politique agricole est la seule politique vraiment européenne depuis le début de l'Union. Elle a été lancée à une époque où l'enjeu consistait, au sortir de la guerre, à nourrir les Européens. Je partage l'avis du Président de la République, pour qui la sécurité alimentaire est l'un des principaux enjeux pour le monde à l'horizon 2050. Cela se prépare dès maintenant, d'autant que le calendrier s'accélère : la réforme de la PAC doit être menée à bien avant les élections européennes.
Dans de précédentes fonctions, j'ai eu l'occasion de rencontrer des paysans bulgares, et j'ai pu mesurer à la fois leur espérance et ce qui restait à faire. Un fléchissement sur la PAC enverrait au mauvais signal aux agricultures européennes. Aucun président français n'a cédé sur le budget de l'agriculture...
M. Jean Bizet, président. - Sauf celui-ci !
M. Daniel Gremillet. - L'espace agricole et forestier français est un atout qui peut contribuer à la production d'énergie et à la lutte contre le réchauffement climatique. L'enjeu de l'aménagement du territoire est capital : si, au niveau européen, aucun signal fort n'est donné sur la place de l'économie rurale, 2019 sera l'année de tous les dangers pour l'Europe. C'est dire l'importance de votre présidence : faire en sorte que les paysans se réapproprient le défi de l'Europe agricole.
Mme Colette Mélot. - Vous avez fait souffler un vent de jeunesse, de dynamisme et d'espoir sur notre commission ! Particulièrement attentive aux questions d'éducation et de formation, je me félicite que vous mettiez ces sujets au premier plan de vos priorités. La modernisation des programmes éducatifs européens, Erasmus en premier lieu, est nécessaire. Depuis qu'il est devenu Erasmus +, les jeunes en apprentissage, qui ont moins souvent l'occasion de voyager en Europe, peuvent également en bénéficier. Quant à l'Erasmus professionnel, il reste peu utilisé. Allez-vous mettre l'accent sur ces dimensions ?
À l'égard de l'élargissement aux pays des Balkans, il convient de faire preuve de pédagogie en expliquant le projet européen et en montrant l'espoir qu'il peut susciter au sein des peuples concernés.
M. André Gattolin. - Plovdiv sera, avec Matera, la capitale européenne de la culture en 2019. J'avais recommandé dans un rapport que les deux capitales européennes de la culture désormais désignées simultanément chaque année construisent des échanges entre elles ; trop souvent, cette manifestation est utilisée comme un label touristique, sans aucun accent mis sur l'Europe ni travail pédagogique envers les citoyens. Votre présidence vous offrira l'occasion de faire en sorte que la capitale de la culture retrouve son esprit d'origine.
Pourquoi ne pas organiser, à l'ambassade, un débat avec l'intellectuel Ivan Krastev, auteur du Destin de l'Europe - même si sa conception du soft power diffère quelque peu de la vôtre ?
M. Anguel Tcholakov. - Je prends cela comme un mandat !
M. Benoît Huré. - La présidence bulgare apporte un vent de fraîcheur aux enfants gâtés de l'Europe que nous sommes. Vous représentez cet Orient compliqué aux portes de notre continent, avec votre approche des enjeux géostratégiques. L'Europe ne doit pas se renfermer dans ses égoïsmes. Rien n'est pire que la désespérance des peuples ; c'est pourquoi il est vital de donner des perspectives et d'entamer des rapprochements, surtout avec la jeunesse. Sinon, cette jeunesse quitte son pays et laisse la voie libre à des générations plus nationalistes. Nous en connaissons les dangers.
Je suis convaincu que la présidence bulgare sera un succès. L'enjeu n'est pas d'être un grand ou un petit pays, mais d'être à la hauteur. Vous prenez cette présidence à un moment clé, à quelques mois des élections européennes qui pourraient annoncer le pire.
M. Claude Kern. - L'un des points les plus sensibles de la campagne électorale européenne qui s'annonce est la sécurité. Avec la commission d'enquête sur l'avenir de l'espace Schengen, je me suis rendu à la frontière gréco-turque pour me rendre compte des efforts en matière de sécurité migratoire. Vous évoquez une justice efficace, rapide et équitable ; qu'en est-il de la justice de proximité au passage des frontières ? Lors de notre visite, on nous avait alertés sur le manque de magistrats dont les migrants profitaient pour passer entre les mailles du filet. Le problème est-il résolu ?
Je partage l'opinion d'André Reichardt sur l'ouverture aux pays balkaniques : ce n'est pas le moment d'ouvrir le dossier en période électorale, alors que nous entendons sur le terrain que les adhésions sont allées trop vite.
M. Christophe-André Frassa. - Vous avez désigné l'économie numérique comme une priorité de la présidence bulgare. Vous n'ignorez pas que la vision de la cybersécurité, du stockage de données et des menaces varient selon que l'on se dirige vers le Nord et l'Est ou le Sud et l'Ouest... Allez-vous lancer un chantier d'harmonisation de notre politique de cybersécurité ?
Toujours dans le domaine numérique, il conviendra de défendre les entreprises européennes contre les GAFA, qui leur font une concurrence déloyale par effet de masse. Ils ont toujours une longueur d'avance et débauchent nos meilleurs esprits. Comment rendre attractif le marché numérique européen ? Comment attirer chez nous ceux qui représentent l'avenir de la technologie ?
M. Yannick Botrel. - Vous avez évoqué les rapports anciens entre la Bulgarie et l'empire ottoman. Quel dialogue comptez-vous engager avec la Turquie et sur quels sujets ?
M. Jean Bizet, président. - Voilà beaucoup d'interrogations qui témoignent d'une attente forte, au moment où les valeurs de l'Union européenne sont bousculées et où le groupe de Viegrad prend des orientations qui nous préoccupent.
M. Anguel Tcholakov. - Je vous remercie d'avoir conduit la séance sous la forme d'une discussion, et non d'un cours ex cathedra. Nous représentons deux peuples européens entre lesquels la dimension émotionnelle est importante. La compréhension passe par l'échange. Merci aussi pour les paroles très positives adressées à mon pays, à mon peuple et à ma personne. Comme tous les ambassadeurs des pays partenaires ici, je suis, de mon côté, un amoureux de la chose française. Cela fait partie de la description du poste !
Les Balkans sont revenus dans plusieurs de vos questions. Je partage des éléments des deux points de vue exprimés. M. Sutour est un grand ami de la Bulgarie, qu'il a visitée à plusieurs reprises même lors de la longue stagnation des relations bilatérales.
Commençons par écarter une critique un peu facile : l'élargissement aurait été trop rapide. C'est possible, mais entre 2010 et 2013, lorsque la crise économique frappait les pays les plus riches, la Bulgarie -ce mouton noir - était le seul pays européen avec l'Estonie à satisfaire aux critères de Maastricht : elle affichait alors 0,7 % de déficit, une dette à 18 % et une inflation insignifiante. Ces résultats ont été obtenus au prix de sacrifices considérables de la population ; nos retraités, dont certains reçoivent 80 euros par mois, ont résisté à la dérive nationaliste. La Bulgarie reste un exemple de stabilité macroéconomique, de rigueur et de discipline judiciaire. Les gens se sont appauvris, mais sont restés européens d'esprit. Quant à notre voisin, la Roumanie, elle a connu une croissance de 8,2 % ! Peut-être l'élargissement a-t-il été trop rapide ; je crois au contraire qu'il a été un accélérateur de la prise de conscience européenne dans tous ses aspects : économique, sociétal, civilisationnel.
Il n'est pas question de fixer des dates ou de nourrir de faux espoirs. Soyons réalistes et responsables. Votre président a dit qu'il fallait sortir de l'hypocrisie vis-à-vis de la Turquie ; je dirai : sortons du silence vis-à-vis des Balkans. Nous ne pouvons leur offrir une adhésion, mais une feuille de route, davantage d'aides - avec une augmentation annoncée de 1,1 milliard d'euros - et surtout de l'espoir à une époque où l'Europe se fragmente dangereusement. Peut-être donnerons-nous ainsi du grain à moudre aux nationalistes ; mais nous avons des frères européens qui attendent un geste de Bruxelles. D'après Habermas, le simple fait d'introduire la démocratie dans le discours public contribue à la renforcer ; dans le même esprit, il convient de faire revenir les Balkans dans le discours européen. Les Français ne connaissent pas bien la région, au-delà d'une sympathie historique pour la Serbie. Relancer le débat aidera à l'émergence, dans l'opinion publique, d'une identité européenne.
Madame Harribey, votre Président a annoncé sa volonté de calquer Schengen sur les réalités du XXIe siècle ; il en va de même des critères de Copenhague qui doivent être repensés et modernisés.
Il n'est un secret pour personne que la Bulgarie souhaite depuis longtemps intégrer l'espace Schengen. Monsieur Marie, vous vous êtes exprimé de manière très franche sur la sûreté de la frontière bulgare. C'est pourtant une frontière beaucoup mieux gardée que d'autres dans son voisinage ; paradoxalement, c'est le pays le plus pauvre de l'Europe qui mobilise des ressources considérables à cette fin. Conseiller diplomatique du Premier ministre Boïko Borissov entre 2009 et 2014, j'ai pu constater que le traitement des migrants représentait une charge 4,5 fois plus importante que les retraites bulgares...
Malgré une déclaration du conseil Justice et affaires intérieures (JAI) et deux appels du président du Conseil européen de l'époque, Herman Van Rompuy, la Bulgarie n'a pas pu adhérer à Schengen. Nous continuons pourtant à jouer le jeu, ce qui a été reconnu.
La jeunesse est une priorité pour notre présidence - même si notre population est celle qui vieillit le plus rapidement en Europe - et nous lancerons une évaluation préliminaire sur Erasmus +. Je puis assurer, madame Mélot, que nous serons particulièrement actifs dans ce domaine. Il faut préparer notre jeunesse, qui sera bientôt appelée aux urnes, à la vie professionnelle. C'est l'avenir de l'Europe. Un travail pédagogique sur l'état d'esprit européen s'impose.
La Bulgarie a été fortement critiquée pour le manque de magistrats ; j'ai été entendu par le Parlement européen dans le cadre de notre mécanisme de vérification et de coopération. Certains États s'en plaignent comme d'une entrave à leur liberté, et vont jusqu'à parler de mécanisme de chantage communautaire. La Bulgarie a toujours adopté une attitude beaucoup plus constructive. Ce mécanisme est notre GPS : il nous montre la voie.
Les relations avec la Turquie, monsieur Botrel, sont une question très sensible. La Turquie est pour la Bulgarie un partenaire commercial très important. Nous avons aussi une minorité turque historique très bien intégrée, qui représente 10 % de notre population. C'est pourquoi nous envisagerons les relations avec la Turquie sous l'angle du pragmatisme, du respect et du bilatéralisme, avec une attention accrue aux libertés fondamentales, au pluralisme des médias, à la protection des ONG.
Monsieur Gattolin, j'organiserai une rencontre avec Ivan Krastev à notre ambassade.
Sur la question de la PAC, monsieur Gremillet, nous partageons la vision de la France ; je viens justement de m'entretenir sur ce sujet avec le ministre de l'Agriculture. La PAC ne doit pas être une variable d'ajustement.
M. Jean Bizet, président. - C'est pourtant ce qui se prépare !
M. Anguel Tcholakov. - Nous y serons attentifs. La Bulgarie est un grand producteur agro-alimentaire. Je vous invite à un déjeuner traditionnel à notre ambassade, où vous pourrez le constater de façon empirique !
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie !
La réunion est close à 10 h 35.