Mercredi 13 décembre 2017
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 20.
Projet de loi ratifiant diverses ordonnances sur la loi d'habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social - Table ronde des organisations syndicales
M. Alain Milon, président. - Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi ratifiant les ordonnances sur le renforcement du dialogue social, en recevant les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel. Je remercie de leur présence Mme Marylise Léon, secrétaire nationale de la CFDT, qui est accompagnée de Mme Caroline Werkoff, secrétaire confédérale ; M. Fabrice Angei, membre de la direction confédérale de la CGT, accompagné de Mme Anaïs Ferrer, conseillère confédérale ; M. Didier Porte, secrétaire confédéral de Force ouvrière ; M. Gilles Lecuelle, secrétaire national de la CGC ; et M. Pierre Jardon, secrétaire confédéral de la CFTC.
Mesdames et messieurs, nous avions reçu vos organisations au mois de juillet dans le cadre du projet de loi d'habilitation, à un moment où se déroulaient en parallèle les consultations préparatoires à l'élaboration des ordonnances. Un certain nombre de sujets demeuraient alors en discussion et n'ont été tranchés qu'à la fin de l'été, avec la publication des ordonnances.
C'est sur des ordonnances publiées au mois de septembre, mais aussi sur les modifications intervenues à l'Assemblée nationale que nous souhaitons aujourd'hui recueillir votre sentiment.
Mme Marylise Léon, secrétaire nationale de la CFDT. - Les réformes se succèdent à un rythme effréné depuis plusieurs années. Le temps politique ne correspond pas au temps du social. Au regard de l'attitude attentiste du patronat sur beaucoup de sujets, la CFDT a considéré que le statu quo n'était pas souhaitable en matière de dialogue social. Deux objectifs centraux ont éclairé notre lecture des ordonnances : d'une part, le rôle de la branche professionnelle comme régulateur de la concurrence économique et sociale ; d'autre part, les modalités de la décentralisation de la négociation vers l'entreprise qui nous semble souhaitable quand l'efficacité économique se combine avec les droits des salariés et à la seule condition que le fait syndical soit majoritaire et garant de cet équilibre.
La CFDT est satisfaite des rapports que la première ordonnance établit entre la loi, la branche et l'entreprise. Nous apprécions que le thème de la qualité de l'emploi qui comprend la régulation des emplois atypiques, revienne à la branche.
Le pari que prend la troisième ordonnance qu'une flexibilisation à outrance créera des emplois est dangereux. S'il est vrai que l'augmentation des indemnités légales de licenciement n'est pas négligeable, les dispositions relatives aux prud'hommes et les ruptures conventionnelles collectives suscitent quelques inquiétudes.
Plutôt que de faire confiance aux acteurs pour trouver un compromis satisfaisant, les ordonnances privilégient une vision passéiste et comptable d'un dialogue social qu'il convient de circonscrire le plus possible pour gagner en efficacité économique. Un exemple criant concerne les entreprises de moins de 50 salariés où l'intermédiation des syndicats est rendue plus que facultative. Les relations directes entre employeur et salariés ne sont pas du dialogue social, car pour être de qualité, ce dialogue doit reposer sur des acteurs compétents, déliés de tout lien de subordination avec l'employeur.
La situation est pire encore dans les entreprises de moins de 20 salariés où les ordonnances rendent possible le contournement total des règles du dialogue social. La latitude quasi-absolue laissée à l'employeur pour adapter la loi de manière unilatérale dans les entreprises de petite taille sur l'ensemble des sujets ouverts à la négociation collective est une ineptie. Sur ce point, l'ordonnance ne respecte ni le cadre de la loi d'habilitation, ni les textes constitutionnels et conventionnels qui s'imposent à elle. Il est par conséquent urgent de faire annuler les articles du code du travail concernés. D'où le recours en Conseil d'État que nous avons déposé.
La fusion autoritaire et standardisée des instances représentatives du personnel est une autre marque de défiance vis-à-vis du dialogue social. Alors qu'il était possible de considérer que l'employeur et les salariés pouvaient en négocier la forme, ils ne peuvent en réalité que décider du calendrier, de l'organisation des informations de consultation et de la base de données économiques et sociales. Le nombre de salariés titulaires d'un mandat diminuera dans des proportions considérables. En prévoyant davantage d'heures ainsi que la possibilité de mutualisation et d'annualisation à l'intérieur d'une même organisation syndicale, le décret contribue cependant à rétablir l'équilibre. Il n'en reste pas moins que chaque mandaté aura plus de travail.
La CFDT souhaite revenir sur la possibilité laissée à l'employeur dans les petites entreprises de décider seul de déroger au code du travail, après un pseudo-référendum. Le mandatement syndical doit être considéré comme une priorité dans les entreprises de moins de 50 salariés, car dans le cas contraire, les répercussions sur les salariés risquent d'être importantes. La rupture conventionnelle collective est une des dispositions les plus dangereuses de ces ordonnances. Si les Direccte seront là pour veiller au grain, avec quels moyens le feront-elles ? Les seniors risquent de perdre massivement leur emploi. La Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle reçoit déjà beaucoup d'appels à ce sujet. Enfin, il faut prendre en compte la situation particulière des institutions représentatives du personnel des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) visés par les ordonnances.
M. Fabrice Angei, direction confédérale de la CGT. - Nous considérons que le texte, qui n'a été que très légèrement modifié à l'Assemblée nationale, ne permet pas de modifier notre jugement. L'objectif de ces ordonnances est-il vraiment de relever les défis du monde moderne dans le champ du travail ? Où sont les contrôles pour assurer l'égalité entre hommes et femmes ? Où sont les outils pour faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle ? Rien non plus sur la robotisation, la digitalisation, le numérique ou les plateformes. Les ordonnances ne font que relayer de vieilles revendications qui datent du Conseil national du patronat français (CNPF) et reprises par le Medef.
Quant à l'objectif qu'elles affichent, de gagner en efficacité économique et de créer des emplois, Muriel Pénicaud l'a elle-même décrédibilisé, en affirmant que « les ordonnances ne sont pas créatrices d'emploi ». Nous ne pouvons que dénoncer le non-respect du cadre de la loi d'habilitation. Comment ces ordonnances pourraient-elles créer autre chose que des travailleurs pauvres ?
Ces textes offrent un kit prêt à l'emploi pour que le patronat licencie en toute impunité : plafonnement des indemnités prud'homales, saisine raccourcie des prud'hommes, possibilité laissée à l'employeur de motiver après coup un licenciement, tout cela, alors que 92 % des saisines prud'homales portent sur des licenciements abusifs. On accorde toute liberté à l'employeur ; en contrepartie, les salariés n'ont que la précarité.
Ces ordonnances mettent l'accent sur la primauté de l'accord d'entreprise, de sorte que selon Muriel Pénicaud, tout est possible dans l'entreprise du moment que l'accord est majoritaire ou bien a été validé par référendum. Lors de la récente négociation des accords concernant les salariés des transports et de l'activité portuaire, le patronat a estimé qu'il fallait maintenir les garanties au niveau de la branche, reconnaissant ainsi clairement le risque de dumping social qui résulte de l'inversion de la hiérarchie des normes.
La loi d'habilitation se justifiait par la volonté de rendre le code du travail plus lisible. Or, les ordonnances aboutiront à une complexification des conditions légales d'emploi d'un salarié. Je suis en désaccord avec Marylise Léon qui considère que la gestion des contrats atypiques au niveau de la branche est plutôt bénéfique. Au contraire, les inspecteurs du travail, qui sont de moins en moins nombreux et de plus en plus assujettis à leur hiérarchie, auront davantage de difficultés à intervenir.
En revanche, je partage ses observations sur le dialogue social. Le projet de loi d'habilitation mentionnait qu'il fallait favoriser le lien de proximité entre les représentants du personnel et les salariés. Or, les ordonnances divisent par deux le nombre de ces représentants dans les instances fusionnées. La professionnalisation de ces acteurs essentiels au dialogue social et leur éloignement des salariés ne pourront qu'être préjudiciables aux entreprises car les questions de l'action collective et du sens du travail s'y posent au quotidien. L'affaiblissement du fait syndical à un moment où les salariés ont besoin de médiateurs solides au sein de l'entreprise n'exclut pas que des conflits violents surgissent, alors que les instances représentatives du personnel ont jusque-là réussi à les prévenir. Les entreprises y perdront en efficacité économique.
Par conséquent, il serait sage de donner la possibilité de maintenir par accord les instances représentatives actuelles, en la liant notamment à la question de l'égalité entre les hommes et les femmes car je rappelle que 25 % des agressions sexuelles interviennent sur le lieu de travail. Avec la disparition du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), les questions relevant du domaine de la santé, de la sécurité et de la prévention sont reléguées au second plan. On ne peut que déplorer également que l'obligation de mettre en place une commission sur l'égalité professionnelle soit considérée comme une mesure supplétive. C'est une régression qu'il faudrait supprimer.
Ces ordonnances soulèvent des questions juridiques. On nous demande de ratifier cinq ordonnances alors qu'une sixième est en cours d'élaboration qui autorisera le Conseil social et économique (CSE) à négocier dans tous les domaines. Cette situation est pour le moins curieuse. Des recours ont été déposés. Nous ne manquerons pas d'en déposer d'autres si les ordonnances sont ratifiées.
M. Didier Porte, secrétaire confédéral de Force ouvrière. - Depuis juillet, de nombreuses modifications ont été apportées aux projets d'ordonnances, et il faut le saluer même si elles ne vont pas aussi loin que nous l'espérions. En substituant le CSE aux instances séparées, on fait disparaître le CHSCT, ce qui aura des conséquences graves en matière de santé. Nous déposerons un recours à ce sujet.
L'institution du CSE remet en cause la particularité propre à chacune des instances séparées. Dans certaines entreprises, les élus exercent depuis vingt ans leurs compétences en matière de prévention et de sécurité. Il leur reviendra désormais de déchiffrer des documents économiques sans avoir reçu de formation spécifique.
Nous condamnons le référendum à la main de l'employeur dans les entreprises de moins de vingt salariés, tout comme le plafonnement des indemnités pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse.
En ce qui concerne l'articulation du niveau de la négociation collective, nous nous félicitons de la place conservée par la branche car en limitant la décentralisation de la négociation dans l'entreprise, on limite également le risque de dumping social. Un bémol demeure : la formulation qui consacre la primauté de la branche est moins impérative que celle retenue jusqu'alors. La sixième ordonnance précise que les accords d'entreprise primeront également sur les accords interprofessionnels, avec pour conséquence que sur certains sujets, un accord d'entreprise pourra être moins favorable qu'un accord professionnel.
En ce qui concerne la primauté de l'accord collectif sur le contrat de travail, le Gouvernement s'est montré moins ambitieux que prévu. Il s'agissait d'harmoniser les conditions de licenciement dans le cas où un salarié refuserait l'application d'un accord collectif sur son contrat de travail. On constate que la primauté de l'accord collectif vaut surtout en ce qui concerne le temps de travail et la rémunération. Alors qu'on nous avait promis de limiter la primauté des accords collectifs, on la généralise.
Quant aux règles de désignation du délégué syndical, la rédaction du texte ne permet pas d'atteindre l'objectif recherché. La limitation des mandats successifs provoquera dans une douzaine d'années un turn over important et réduira le nombre d'adhérents, potentiellement candidats aux futures instances représentatives du personnel.
La sixième ordonnance donne les pleins pouvoirs de négociation au conseil d'entreprise. Quid de l'avenir du délégué syndical ? Quid du monopole des organisations syndicales ? La mise en place d'une cogestion institutionnalisée remet en cause la représentation syndicale dans l'entreprise.
En ce qui concerne le budget du CSE, nous dénonçons la fongibilité entre le budget de fonctionnement et celui des activités sociales et culturelles. Malgré les précautions introduites à l'Assemblée nationale, les transferts risquent de se faire vers les activités sociales et culturelles aux dépens de l'exercice par les comités d'entreprise (CE) de leurs missions d'expertise. On constate déjà que la généralisation du cofinancement des expertises entraîne une chute des demandes d'expertise. Le manque de moyens des CSE les empêchera de demander des expertises. Nous condamnons le cofinancement car la polyvalence qu'il induit obligera les élus à se faire davantage accompagner sur les sujets touchant à l'économie et à la santé.
D'autant que les moyens seront réduits en matière de formation avec une seule possibilité offerte en douze ans contre quatre actuellement. Dans ces conditions, la commission de la santé et de la sécurité ne sera qu'un ersatz du CHSCT car ses membres manqueront d'expertise même si le CSE conservera certaines de ses attributions.
Nous n'étions pas opposés à l'élaboration de modèles Cerfa pour la lettre de licenciement. De là à établir un formulaire de licenciement - pour les nuls, mais je n'ose pas le dire - c'est aller trop loin.
M. Gilles Lecuelle, secrétaire national de la CGC. - Nous débattons dans un temps contraint et chacun court après un calendrier démentiel. Nous l'avions signalé dès le début de la concertation.
Après six mois de discussion, nous avons largement eu le loisir de nous exprimer au sujet de ces ordonnances. Les organisations syndicales partagent le même constat négatif. Ces textes risquent de renforcer le contentieux et de créer des emplois dans les cabinets d'avocats et de conseil.
Le projet de loi adopté en première lecture à l'Assemblée nationale, le 28 novembre dernier, a supprimé l'obligation faite à l'employeur de prévoir un cadre collectif pour le télétravail. Après concertation, les partenaires sociaux ont décidé d'avertir le législateur en lui indiquant que le télétravail ne pouvait être sécurisé que s'il était inscrit dans un cadre collectif. L'inverse susciterait un lourd contentieux et de graves problèmes sociaux. Il serait dommage que l'instauration du télétravail, qui est un point positif de ces ordonnances, se heurte finalement à des conséquences négatives.
Pour ce qui est de l'organisation des différents niveaux de négociation (branche, entreprise, loi), force est de constater que les expertises juridiques que nous avons commandées concluent à un flou artistique du texte en particulier sur les notions d'ordre public absolu, social et dérogatoire : certains articles sont très précis, d'autres non. La sixième ordonnance amplifie le risque de contentieux lié à de telles imprécisions.
Avec la notion de « garanties équivalentes » qui permet à un accord d'entreprise de primer sur un accord de branche, les négociateurs en viennent à se demander s'il ne faut pas considérer que même les accords interprofessionnels seront dérogeables au niveau de l'entreprise. Pour éviter tout contentieux, il faudrait supprimer cette notion au niveau des négociations d'entreprise.
La différence entre salaire et rémunération est un autre sujet qui risque de donner lieu à des difficultés d'interprétation. Dans la branche, seule la notion de salaire minimum existe. Dans l'histoire de l'entreprise, les définitions du salaire et de la rémunération ont toujours différé, ce qui laisse place à une grande marge d'interprétation. Les transporteurs et les dockers ont contourné le problème en introduisant le thème du niveau des primes dans celui des salaires minima au niveau de la branche. Certaines branches discutent actuellement de la définition des primes. On limiterait le contentieux et le risque de dumping social en traitant au niveau de la branche tout ce qui concerne la rémunération.
On ne gagnera rien à modifier le code du travail en profondeur si on multiplie les contentieux. Au printemps dernier, dans une enquête de l'Insee les entreprises ont classé les règles du droit du travail au quatrième rang des freins à l'embauche.
M. Alain Milon, président. - Le temps est contraint mais vous pourrez nous apporter des précisions écrites, notamment sur la notion de « garanties équivalentes ».
M. Pierre Jardon, secrétaire confédéral de la CFTC. - Les ordonnances visent à renforcer le dialogue social au niveau de l'entreprise. La CFTC n'y est pas opposée tant que deux principes prévalent : la branche doit conserver son rôle de régulateur ; les négociations d'entreprise doivent être loyales et les acteurs formés ou accompagnés. Les domaines réservés à la branche sont passés de six à treize et la branche peut verrouiller quatre domaines. Nous regrettons que les primes ne soient pas concernées par ce verrouillage, car elles portent un risque de dérive important, tant du côté des employeurs que du côté syndical. Les négociations des transporteurs et des dockers en sont la preuve. Mieux vaudrait intégrer les primes dans le deuxième bloc.
Quant aux domaines verrouillés, le texte indique qu'un accord d'entreprise peut y déroger à condition de prévoir des garanties au moins équivalentes. Cette formulation reste très floue. Comment définir le périmètre de ces garanties ? Un amendement introduit à l'Assemblée nationale précise qu'il faut le définir par rapport à l'ensemble des garanties se rapportant au même objet. Nous souhaitons que ce critère du « même objet » soit strictement respecté.
Nous sommes très satisfaits des dispositions relatives aux TPE en ce qui concerne la branche.
Le code du travail prévoyait des dispositions pour compenser les frais des salariés qui participent aux négociations. L'ordonnance ajoute que l'Association de gestion du fonds paritaire national (l'AGFPN) prendra en charge les rémunérations au-delà d'un certain seuil : c'est un non-sens tant par rapport à la branche que parce que l'AGFPN n'est pas conçue pour traiter avec les entreprises. Il faudrait retirer ces dispositions car c'est à la branche de prévoir les modalités de participation des négociateurs, quelle que soit la taille de l'entreprise.
Un autre non-sens consisterait à renforcer le dialogue social et la formation des acteurs tout en considérant que n'importe qui peut négocier des accords. Nous sommes opposés à la possibilité de négocier sans organisation syndicale ainsi qu'à la possibilité laissée à l'employeur de soumettre à la ratification du personnel un texte conçu et rédigé par lui seul. À défaut d'organisation syndicale dans l'entreprise, il est toujours possible de recourir au mandatement. C'est aussi l'intérêt de l'employeur de bénéficier d'une expertise de l'organisation syndicale, surtout dans les TPE. Informer les salariés des adresses des organisations syndicales de la branche dont relève l'entreprise facilitera les mandatements.
Les accords de préservation et de développement de l'emploi peuvent prévoir des dispositions contraires au contrat de travail des salariés. La CFTC dénonce la suppression des clauses obligatoires qui garantissaient des contreparties aux salariés, notamment en cas d'absence d'organisation syndicale dans l'entreprise. En revanche, nous sommes favorables à l'abondement par l'employeur du compte personnel de formation de cent heures, en cas de refus du salarié. Il faudrait cependant prévoir un accompagnement spécifique comme dans les anciens accords.
La refonte de l'organisation des instances représentatives du personnel répond à un objectif de rationalisation. Cependant, il est surprenant que les entreprises n'aient pas la possibilité de décider de leur organisation en maintenant les instances actuelles, alors qu'on leur permet de négocier sur presque tous les sujets.
La création d'une commission de santé, de sécurité et des conditions de travail reste facultative. Nous souhaitons qu'elle devienne systématique.
Quant au recours à l'expertise, nous ne sommes pas opposés au principe du co-financement, à condition que l'on majore le budget des CSE en conséquence. La possibilité de bénéficier des excédents du budget relatif à l'action sociale et culturelle ne suffira pas à financer les expertises. Je salue l'amendement de l'Assemblée nationale qui prévoit que dans certaines conditions l'entreprise paiera l'intégralité du coût des expertises. Nous dénonçons la réduction significative du nombre d'élus et d'heures de délégations dans les entreprises de moins de 200 salariés et nous saluons en revanche le rétablissement du droit d'alerte dans les entreprises de moins de 50 salariés.
Pour ce qui est des délégués de proximité, on gagnerait à prévoir des dispositions supplétives qui ouvriraient notamment la possibilité de les mettre en place même en l'absence d'établissement distinct.
Nous nous réjouissons de la hausse des indemnités légales de licenciement, même si elle reste insuffisante. Nous nourrissons quelques inquiétudes sur le barème d'indemnités prud'homales en cas de licenciement sans cause réelle, tant pour ce qui est du plafond que du plancher. Cependant, le juge peut s'affranchir du barème en cas de violation d'une liberté fondamentale, ce qui est une bonne chose : nous l'avions proposé. En revanche, prévoir que le juge peut prendre en compte les indemnités versées à l'occasion de la rupture pour fixer l'indemnité du préjudice relève de la confusion des genres.
Restreindre le périmètre d'appréciation des difficultés économiques au cadre national n'est pas forcément judicieux, car nous considérons qu'un groupe multinational a un devoir de solidarité envers les entreprises nationales qui rencontreraient des difficultés. Nous saluons l'adoption par l'Assemblée nationale d'un article qui élargit le périmètre d'appréciation du motif économique en cas de création artificielle, notamment dans le cas d'une présentation comptable de difficultés économiques à l'intérieur d'un groupe à seule fin de supprimer des emplois.
Globalement, l'avenir des ordonnances dépendra de la manière dont les acteurs de terrain se les approprieront. Par conséquent, je ne peux que saluer l'institution d'un comité d'évaluation des ordonnances qui révélera avec objectivité les effets positifs et négatifs de leur application.
M. Michel Forissier. - Abandonnons nos postures historiques pour privilégier le concret et l'efficacité. Les institutions représentatives vont être fusionnées et non pas disparaître. Pourquoi parlez-vous de disparition ?
La limitation de la durée des mandats est dans l'air du temps, les parlementaires le savent bien. L'objectif est de renouveler la représentativité du personnel pour éviter que se constitue une classe intermédiaire dans laquelle les représentants du personnel se transformeraient en professionnels du droit. Qu'en pensez-vous ?
Ces ordonnances attribuent des responsabilités aux branches professionnelles avant même leur réorganisation. N'aurait-il pas fallu faire l'inverse ? On veut donner des responsabilités aux branches en matière de formation professionnelle. C'est pour ainsi dire mettre la charrue avant les boeufs. Ne vaudrait-il mieux pas se mobiliser pour restructurer les branches et leur donner une nouvelle définition législative mieux adaptée à leurs missions ?
M. Philippe Mouiller. - Vous êtes tous plus ou moins favorables au co-financement des expertises. Certains d'entre vous se sont plaints d'un manque de moyens financiers ; d'autres se félicitent de l'amendement introduit à l'Assemblée nationale pour que les entreprises participent au financement en cas de budget limité. Cet amendement ne règle-t-il pas le problème du manque de moyens ?
Dans la mesure où elles suppriment les CHSCT, les ordonnances prévoient-elles des mesures particulières à destination des entreprises où s'exercent des métiers à fort risque ?
Vous vous opposez à juste titre aux négociations sans représentation syndicale. Avez-vous engagé une réflexion pour que les représentations syndicales gagnent en importance, notamment dans les TPE ?
M. Jean-Louis Tourenne. - Vous avez peu parlé du CHSCT. Les ordonnances prévoient qu'une commission sur ces sujets peut être créée, mais elle est facultative, hormis dans certains cas. Or cette commission perd la personnalité morale et donc le droit d'ester en justice.
La sixième ordonnance sur le droit des CSE et des conseils d'entreprises à négocier et signer un accord d'entreprise en l'absence de toute présence syndicale ne vous dérange-t-elle pas ?
Selon vous, il vaudrait mieux que tout ce qui touche à la rémunération relève de l'accord de branche et non des accords d'entreprise - c'était le motif de la grève dans le secteur des transports. Ce mouvement peut s'étendre. Quelle est la situation actuelle, où en sont les revendications ?
Mme Marylise Léon. - Le cas de la santé au travail a déjà été évoqué par M. Jardon. Le risque est grand de voir disparaître ce sujet des instances représentatives du personnel, mais il n'est pas certain. Tout dépend de la façon dont fonctionnera cette future instance regroupant les prérogatives et les missions du CHSCT. La prévention ou la santé au travail sont des thèmes difficiles à aborder, et tout dépend du secteur d'activité. Ainsi, dans les installations nucléaires ou les sites Seveso avec des risques élevés, la commission sera obligatoire.
Le CHSCT avait comme vertu de susciter le débat. Sur les sites où le dialogue sur la santé au travail existe déjà, il ne disparaitra probablement pas. Mais il y a un risque non négligeable que d'autres thèmes soient jugés prioritaires. Les responsables du personnel devront faire preuve de ténacité, car ces sujets risquent sinon d'être examinés superficiellement. Aux salariés de s'organiser et de fixer des thèmes prioritaires et un calendrier pour que ces sujets soient effectivement évoqués.
Les branches professionnelles doivent se réorganiser dans des délais qui ont été raccourcis. Ce chantier, évoqué depuis longtemps, est une vraie difficulté. Les organisations patronales n'ont pas été très dynamiques. Or, la responsabilité future des branches sera bien plus importante qu'actuellement. Elles devront être solides et avoir des moyens suffisants pour tenir leur rôle prospectif et de régulation économique et sociale. Nombre d'entre elles n'en ont pas encore conscience. Nous sommes tous membres du comité paritaire pour la restructuration des branches mise en place par le ministère du travail et conscients de ces sujets. Le Gouvernement a fait preuve du volontarisme nécessaire, mais les acteurs ont toute latitude pour s'organiser.
La CFDT est favorable à la limitation dans le temps du nombre de mandats des représentants du personnel au sein de l'instance unique, même si cela nous pose des difficultés internes. Il en va de notre responsabilité d'aller vers un renouvellement organisé de nos élus. Outre la diminution des vocations, la protection des élus qui quittent leur mandat nous inquiète. Il faudrait envisager des dispositions sur ces points. Dans certaines entreprises, des DRH ont déclaré ouvertement espérer rapidement la fin de mandat d'un délégué syndical. On pourrait aussi examiner le cumul de certaines fonctions au sein de l'entreprise...
Toutes les expertises ne nécessitent pas de cofinancement. L'accès à l'expertise est un véritable moyen d'éclairage des élus. L'instauration d'un plafond et un cahier des charges sont obligatoires. La procédure d'appel d'offres responsabilise les élus. Dans certaines entreprises, sans prise en charge financière d'une partie par le CSE, l'expertise ne sera pas possible.
M. Fabrice Angei. - La CGT est très engagée sur le sujet de la restructuration des branches professionnelles. Il faudrait mener à bien ce chantier avant de modifier l'ordre public légal ou conventionnel. Comment le faire ? Réunir en une seule branche des géants comme Amazon et des petits commerces de chaussure pose problème : selon quels critères, et avec quelles garanties ? Sortons des dogmes mathématiques. Il faut limiter le nombre de branches, mais pas à tout prix.
La fusion du CHSCT, des délégués du personnel et du comité d'entreprise ne se fait pas à droit constant. Ces instances avaient chacune un rôle particulier, sans doublon. Ces spécificités seront perdues. Les choix stratégiques et économiques de l'employeur prédomineront, au détriment des signaux d'alertes des délégués du personnel sur tel problème dans un atelier, ou sur les conditions de travail et de sécurité. Prévoir une commission spécialisée sur cette question dans certains secteurs d'activités n'est pas suffisant. Ces problèmes sont présents dans toutes les entreprises, on ne peut pas dissocier les salariés selon la taille de leur entreprise ou le secteur d'activité : il en va de l'égalité des conditions de travail. Alors qu'un salarié meure chaque jour sur son lieu de travail, il est indispensable de maintenir a minima une commission avec toutes les prérogatives du CHSCT.
Des négociations sont en cours dans les raffineries et les entreprises de la chimie sur ce thème. Des entreprises ont même décidé de maintenir leurs CHSCT ou leurs délégués du personnel, compte tenu de leur rôle d'indicateur, en dépit des règles des ordonnances.
Regardons la réalité : il y a peu de permanents syndicaux et ils ne sont pas déconnectés du terrain et ne constituent pas un quasi corps intermédiaire. Les organisations syndicales se soucient de leur renouvellement, encore faut-il qu'il puisse être possible. Il faut protéger le salarié quittant ses fonctions car il est souvent victime de discriminations syndicales. Le rapport Simonpoli ne va pas assez loin. Faisons le lien entre reprise d'une activité à plein temps et reconnaissance de l'expérience syndicale. Avançons avant de prendre des positions idéologiques.
Dans les TPE, il faut donner davantage de rôle aux commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI), qui sont un levier de développement du dialogue social et des négociations collectives.
Le cofinancement de l'expertise introduit une rupture d'égalité entre les CSE ayant les moyens de demander une expertise et les petites entreprises qui n'en disposent pas. Le choix d'une expertise ne doit pas dépendre de contraintes budgétaires.
M. Didier Porte. - Il n'y a pas fusion de différentes instances mais mise en place d'une nouvelle instance unique, car des attributions existant précédemment disparaissent. Les députés ayant réintroduit le droit d'alerte des délégués du personnel, ceux-ci gardent donc à peu près les mêmes attributions.
Mais les précédentes compétences du comité d'entreprise, en matière d'information obligatoire notamment, ont disparu. Nous avions demandé une plus grande accessibilité à la base de données économiques et sociales (BDES). Dans plusieurs entreprises, elle n'est pas mise en place, ou alors peu disponible : consultable uniquement à la direction des ressources humaines, peu de temps, avec interdiction d'en faire des copies par souci de confidentialité... Le délai de 15 jours minimum accordé au CSE pour donner un avis a disparu, de même que le délai de transmission des documents pour l'expert.
Un grand nombre d'attributions du CHSCT ont disparu. Il y aura moins de réunions, moins d'élus, une polyvalence accrue, plus de possibilité d'examiner tous les dossiers en profondeur. Les prérogatives de prévention, de suivi, d'évolution des conditions de travail ne seront plus du ressort des commissions « santé et sécurité ». Les questions d'hygiène ont disparu, elles ne seront donc plus traitées dans les entreprises agroalimentaires ! Ces commissions ne seront obligatoires que dans les entreprises de plus de 300 salariés ou lorsque l'inspecteur du travail le jugera nécessaire dans les entreprises en deçà de ce seuil. Si lors de la négociation, les représentants demandent la mise en place d'une commission spécifique et que l'employeur refuse, il assumera ses responsabilités en cas d'accident du travail. FO souhaite que la nouvelle commission conserve la personnalité morale pour ester en justice. Mais le CSE, qui a cette possibilité, n'aura pas les mêmes compétences, et refusera des expertises sur la santé.
Les ordonnances donnent davantage de possibilité de négocier dans le cadre de la BDES, mais un accord supplétif peut remettre en cause l'obligation figurant dans la loi. Ainsi, un employeur peut décider de remettre en cause certaines thématiques grâce à un accord d'entreprise.
La limitation du nombre de mandat est une remise en cause de la liberté de désigner nos représentants et sera une perte de transmission d'expérience, sans compter le souci de la protection après le mandat.
M. Gérard Dériot. - Ce n'est pas à nous nous qu'il faut dire cela !
M. Didier Porte. - Monsieur le Sénateur, combien de mandats avez-vous déjà fait au Sénat ?
M. Michel Forissier. - Trois ans. C'est mon premier mandat.
M. Didier Porte. - Cette règle va nous poser d'énormes difficultés, notamment sur la liberté de désigner un représentant aux prud'hommes, sur la parité... Oui, il faut avancer mais à force d'accumuler des critères de plus en plus contraignants, on provoque des dysfonctionnements.
La réforme des branches est un chantier mené en parallèle. Il devrait y avoir 200 branches en 2020. Soyons objectifs : il y a des branches comptant moins de 1 000 salariés qui sont très actives, ce serait dommage de les remettre en cause.
L'obligation de cofinancement réduit la possibilité d'expertise par manque de moyens du CSE. Les dispositions votées par l'Assemblée nationale peuvent aboutir à ce qu'une petite entreprise, qui en a le plus besoin, n'ait aucune expertise durant trois ans, alors que les budgets dédiés dans les grandes entreprises augmentent.
M. Gilles Lecuelle. - Serais-je devant vous aujourd'hui si ces ordonnances avaient été adoptées il y a vingt ans ? Certainement pas. Je n'ai jamais cumulé des mandats, ni été attaché à un seul poste, mais j'ai eu la chance d'avoir une formation sur le terrain exceptionnelle, et découvert tous les postes : délégué du personnel, membre du CHSCT, du comité d'entreprise, représentant syndical à différents niveaux, délégué syndical national, avec des responsabilités au sein de la branche puis de la confédération. C'est grâce à cette montée en compétences que je suis au poste que j'occupe actuellement. Si on limite la durée du mandat syndical à 12 ans, un jeune qui s'engage devra acquérir toutes les compétences en une seule fois, et donc consacrer beaucoup plus de temps aux missions syndicales. Notre réservoir va se tarir et nous perdrons en qualité de représentants, car nous devrons boucher les trous des listes syndicales par des personnes pas forcément compétentes. Dans un premier temps, c'est moins dramatique car nous avons des personnes déjà formées. Mais un jeune devra suivre de nombreuses formations et ne sera pas spécialiste dans tous les domaines, d'autant que le suppléant ne peut être présent aux réunions. Quelle valeur ajoutée aura-t-il ? Au bout de trois mandats comme suppléant, sans avoir participé à la moindre réunion, il devra quitter son mandat... Demain nous ne pourrons plus faire de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) syndicale. Cela aura des conséquences importantes à moyen terme sur la qualité du dialogue social en entreprise.
Nous sommes farouchement opposés à la négociation au sein du conseil d'entreprise : faire mener les négociations par un délégué syndical désigné par l'organisation syndicale permet de couper le lien de subordination qui peut exister entre lui et l'employeur. Si les élus salariés de l'entreprise ont seuls le pouvoir de signer, ils ne pourront plus se réfugier auprès de leur organisation syndicale. Actuellement, le mandat du délégué syndical peut être scindé en deux parties : l'une pour négocier, l'autre pour signer. Cela permet notamment de résister au sein de l'entreprise en attendant que l'organisation syndicale donne le feu vert à la signature. Nous y avons eu recours lors de la négociation sur les 35 heures. Demain, tout rapport de force sera ramené dans l'entreprise.
Durant 14 ans, j'ai été responsable de branche. Je partage en partie votre inquiétude. Les ordonnances enlèvent des responsabilités aux branches au lieu de leur en donner. L'ordre public conventionnel prévu dans la loi « El Khomri » était plus important que ce qu'on leur confie actuellement : les branches avaient la capacité de discuter, selon les spécificités de la branche, de ce qui était négocié impérativement au niveau de la branche et ce qui était confié au niveau de l'entreprise. Demain, ce ne sera plus possible. Les 13 thèmes des ordonnances sont renvoyés à la branche, mais un accord d'entreprise pourra les aborder s'ils offrent des garanties au moins équivalentes. La branche a perdu du pouvoir. La restructuration des branches doit être prioritaire. On ne construit pas de maison sans fondations robustes. La CFE-CGC est favorable à la restructuration des branches, lieu de définition d'une vision politique sur les enjeux économiques et sociaux d'un secteur. C'est une priorité. Nous défendons des branches qui ont tout le poids nécessaire : ce n'est pas une question de nombre de salariés mais de moyens humains, financiers et techniques au niveau de la branche, afin de réaliser des études ou d'anticiper l'arrivée du numérique... Je vous ferai parvenir notre ouvrage Quelle société pour demain ? qui aborde notamment cette question.
M. Pierre Jardon. - La CFTC est extrêmement vigilante sur la manière dont les entreprises traiteront ou non de l'avenir du CHSCT. Une commission du CSE doit être spécifiquement consacrée aux questions de santé et des conditions de travail. Certaines entreprises devront créer cette commission, d'autres seront obligées par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Dirrecte) d'en instaurer une. Nous souhaitons que cette commission soit obligatoire dans toutes les entreprises.
Nous sommes très réservés sur la limitation des mandats. Il est difficile de trouver des salariés ayant la vocation de s'engager, et d'autant plus avec cette limitation. Par accord collectif, il est possible de revenir sur cette limitation. Nous verrons comment cette mesure s'applique.
Comment le salarié sera-t-il réintégré après la fin de son mandat dans son poste de travail ? Pourra-t-il aussi bénéficier d'une reconversion, au vu de ses nouvelles compétences ?
Malgré l'amendement de l'Assemblée nationale, les cofinancements de l'expertise sont encadrés. Que signifie « ne pas avoir eu d'excédent durant trois ans » ? Est-ce un bilan à 0, qu'en est-il s'il reste 100 ou 300 euros ? L'expertise est mille fois plus importante pour un comité d'entreprise que l'organisation d'un arbre de Noël - même s'il crée du lien dans l'entreprise. L'expertise touche directement à l'entreprise, à son économie. Le budget ne doit pas être un facteur limitant. C'est la responsabilité des élus ; nous ne sommes pas opposés par principe au cofinancement, mais avons un sujet de désaccord : c'est à l'entreprise de prendre en charge l'intégralité du financement des projets ayant des effets sur les conditions de travail.
L'employeur peut, en l'absence de délégué syndical, négocier avec des élus du CSE, et il peut, par accord, créer un conseil d'entreprise, qui fusionne les instances représentatives du personnel et récupère le rôle de négociateur. La négociation est toutefois un sujet sérieux et nécessite un accompagnement juridique et une analyse des grands équilibres, et donc une formation. À défaut de représentants syndicaux dans l'entreprise, le mandatement est une réponse. Nous ne voulons pas qu'on puisse négocier sans représentation syndicale, même avec des élus du personnel.
Le conseil d'entreprise est mis en place par accord. Dans certains cas, le délégué syndical est aussi élu au comité d'entreprise. Pourquoi ne pas optimiser la manière dont ce dernier fonctionne ? Une fois le conseil d'entreprise mis en place, il sera difficile de revenir dessus, même si le contexte de l'entreprise a changé.
La présence syndicale dans les TPE est une vraie bonne question : nous ne les délaissons pas, et faisons beaucoup plus de syndicalisme de service dans ces structures, pourtant sans potentiel d'implantation, par nature. Le salarié craint le regard de l'employeur, qui a parfois le fusil braqué contre les syndicalistes. Jusqu'à présent, se syndiquer dans une petite entreprise n'avait pas beaucoup de sens puisqu'il n'y avait pas de négociation dans les TPE. Or les ordonnances élargissent le champ des négociations en leur sein. Dès lors qu'on renforce le mandatement, les entreprises comme les salariés auront intérêt à se rapprocher des organisations syndicales pour négocier des accords. Confortez le mandatement et observez ce qui se passe.
Les primes sont un vrai enjeu de régulation, notamment dans les transports et chez les dockers. Dans certaines branches, employeurs et salariés ont identifié des risques de dérégulation si les accords d'entreprises peuvent déroger sur les primes. C'est un enjeu majeur, revenez sur ce point ! Les partenaires sociaux examinent les moyens de réintégrer les primes dans le salaire minimum fixé au niveau de la branche pour pouvoir réguler de nouveau. Laissons les branches décider si elles souhaitent procéder ainsi.
La branche n'est pas uniquement le cadre de négociation d'une convention collective, ses missions vont bien au-delà : elle travaille sur l'emploi, la formation professionnelle, et fait vivre le paritarisme. Le comité paritaire sur la restructuration des branches travaille sur les missions des branches mais le ministère du travail en a déjà donné une définition restrictive : une branche correspondrait à une convention collective. Demain, la définition ira au-delà, mais elle ne devra pas impacter la mesure de représentativité des organisations syndicales. Il y a deux chantiers différents : la structuration des branches et la restructuration de la couverture conventionnelle. Les conventions collectives doivent être vivantes et évoluer dans le temps. La fusion des branches a été accélérée par le Gouvernement, avec comme échéance août 2018 - c'est demain. Espérons que les branches se saisiront du sujet.
M. Daniel Chasseing. - Ne fallait-il pas réformer le compte pénibilité ? Il est ingérable dans les petites entreprises. Le niveau de réparation aux prud'hommes oscille de un à quatre selon la demande. N'est-il pas plus sécurisant d'avoir une équité de traitement au niveau national ?
M. Yves Daudigny. - La première ordonnance prévoit que dans les entreprises de moins de 50 salariés, le mandatement ne serait plus prioritaire. Le mandatement était-il le dispositif à retenir ? D'autres dispositifs auraient-ils pu être envisagés ? L'article 3 prévoit une harmonisation en cas de refus par le salarié des dispositions prévues par un accord collectif. Souhaitée par le Gouvernement, cette harmonisation ne va pas jusqu'au bout : elle n'intègre pas le dispositif Warsmann qui est plus protecteur.
M. Dominique Watrin. - Sur quels points les ordonnances sont-elles en contradiction avec les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), comme le soulignent certaines organisations syndicales ? Y a-t-il des recours juridiques possibles ? Le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a considéré qu'une loi finlandaise ayant imposé des plafonds de barémisation des indemnités prud'homales était contraire au principe de réparation adéquate du préjudice alors que les plafonds étaient bien plus élevés que ceux prévus en France. Quelles chances ont ces recours d'aboutir ?
Le Gouvernement présente la sixième ordonnance comme un texte uniquement technique. D'autres organisations estiment qu'elle introduit des modifications substantielles. Qu'en pensez-vous ?
Mme Marylise Léon. - La CFDT a été un fervent défenseur du compte pénibilité depuis longtemps. Mais le problème ne se limite pas à sa mise en oeuvre. Déjà en 2003, les organisations syndicales et patronales ont négocié un accord national interprofessionnel (ANI) qui a échoué. Une partie des employeurs refuse de reconnaître que le travail cause des dégâts irréversibles sur la santé et refuse un dispositif reconnaissant ces atteintes. C'est une bagarre politique. Lorsque le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) a été mis en place, toute la mauvaise volonté possible a été déployée pour prouver qu'il était infaisable... Nous avons ouvert les négociations au maximum afin d'adapter le dispositif, notamment dans les TPE. La médicalisation de cette approche est extrêmement préjudiciable.
Les indemnités pour les prud'hommes concernent des licenciements abusifs. La CFDT est opposée à toute barémisation car on standardise ainsi les préjudices ; c'est injuste.
L'harmonisation des règles en cas de refus de modification du contrat de travail aurait dû être complète.
On aurait dû retenir le mandatement, car il a fonctionné lorsqu'il y avait quelque chose à négocier - et a échoué lorsqu'il n'y avait rien à négocier... Or désormais, le nombre de sujets de négociation et les responsabilités augmentent.
La sixième ordonnance introduit des modifications substantielles et pas seulement techniques.
M. Fabrice Angei. - Même si le C3P n'était pas une bonne formule, sa réforme est une régression.
Le droit à réparation est essentiel : on ne peut comparer les situations présentées devant les prud'hommes. La liberté du juge doit être respectée. Les règles antérieures n'auraient jamais dû être modifiées.
Il existe d'autres voies que le mandatement, notamment la négociation au sein des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) ou le rôle de la branche dans les accords types par les TPE. Le texte organise donc un contournement des organisations syndicales.
Nous avons présenté avec FO des recours en raison de la violation des conventions 87 et 98 de l'OIT car nous considérons que le texte affaiblit la liberté syndicale et la négociation collective. Nous avons déjà introduit ce recours contre la loi « El Khomri ». Nous examinons la possibilité d'attaquer les décrets d'application des ordonnances une fois ratifiées.
La sixième ordonnance n'est pas seulement une ordonnance balai, elle introduit des modifications substantielles comme le plein pouvoir de négociation donné au conseil d'entreprise.
Les accords de branches prévoyaient auparavant l'indemnisation des salariés participant aux négociations. Les branches seront désormais réticentes à prévoir ces règles d'indemnisation puisque cette dernière sera supportée par le fonds paritaire. Ce fonds servant à la formation syndicale, cela limitera donc mécaniquement la formation des salariés.
M. Didier Porte. - Nous sommes attachés au compte pénibilité car il était la contrepartie de l'augmentation du départ à la retraite de 60 à 62 ans. Aujourd'hui, le compte pénibilité est détricoté. Nous nous sentons donc trompés...
Lorsque pour une même faute, l'indemnité versée par le juge pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse varie de un à trois, il faut approfondir la réflexion. Les juges sont capables de juger sur d'autres critères que l'ancienneté. La capacité à retrouver un emploi et l'instance de mesures vexatoires doivent faire l'objet de dommages et intérêts. La réparation doit être adéquate au préjudice subi, et un plafond n'y répond pas. Le Conseil européen des droits sociaux a jugé non conforme le cas finlandais, mais ce jugement n'est pas d'application directe en France. À l'automne, le Conseil constitutionnel a verrouillé juridiquement cette notion de plafonnement : il sera difficile de nous y opposer globalement. Nous pourrons juste assister individuellement les salariés lorsque le plafond empêche une réparation adéquate de leurs préjudices. Notre stratégie de recours, au regard des textes supranationaux, concentre les contentieux sur la loi et l'ensemble des décrets.
La sixième ordonnance aurait dû être ratifiée plus tard, or le projet de loi de ratification a déjà intégré certaines dispositions de cette ordonnance.
M. Gilles Lecuelle. - La CFE-CGC regrette que les risques psychosociaux ne soient pas qualifiés de vrais risques dans l'entreprise. Cela nous tient à coeur. Certes, il faut adapter le compte pénibilité, qui était très difficile à mettre en place. À partir du moment où la pénibilité est reconnue, elle doit être compensée. Nous craignons davantage la disparition du CHSCT que la réforme du compte pénibilité : il est rare d'être soumis à plus de 80 décibels sur 900 heures durant un an !
Quelle confiance avons-nous dans la justice pour instaurer un nouveau barème d'indemnités prud'homales ? Les jugements diffèrent selon les régions, mais ce n'est pas uniquement valable pour les prud'hommes... Est-il normal que deux salariés avec des préjudices différents touchent la même chose ?
Nous ne croyons pas fortement au mandatement : il a bien fonctionné lors de la négociation sur les 35 heures, sujet particulier pour lequel il était obligatoire. Lors de la première rencontre avec la mission Simonpoli, nous avions proposé qu'un binôme syndicaliste-employeur représentatif au niveau de la branche vienne en entreprise pour apporter son expérience et encadrer la négociation.
La primauté de l'accord collectif sur le contrat de travail est une vraie catastrophe car les cadres négocient de nombreuses clauses à leur entrée dans l'entreprise.
Nous sommes en train de faire le point sur l'ensemble des éléments contestables des ordonnances et l'identification de la juridiction adéquate avant de déposer un recours. Lorsque nous le ferons, nous aurons la ferme intention d'aller jusqu'au bout et de le gagner.
M. Pierre Jardon. - Le compte pénibilité pouvait paraître comme une véritable usine à gaz. Oui, il fallait simplifier, mais je rappelle que l'on pouvait établir un référentiel au niveau de la branche. Dès lors, on couvrait les entreprises qui n'avaient plus besoin d'évaluer la pénibilité poste par poste. Certaines branches ont mis en place ce référentiel en faisant appel à des experts, et en privilégiant la prévention et la réduction des zones de risque. La situation actuelle est curative : le médecin du travail constate la pénibilité, qui ouvre droit à un départ à la retraite anticipé. Nous avons un problème de fond : le patronat a réalisé un énorme lobbying pour dénoncer ce dispositif.
J'ai du mal à comprendre votre interrogation sur les prud'hommes. Les indemnités de licenciement sont connues, mentionnées dans le code du travail, et éventuellement négociables au sein des conventions collectives. Dans le cas présent, nous parlons de licenciement sans cause réelle et sérieuse : comment justifier qu'on favorise l'emploi dès lors qu'on donne une visibilité sur les licenciements abusifs ? On peut déjà licencier un salarié pour de nombreux motifs, ne tombons pas dans les dérives américaines de licenciement sans motif.
La sixième ordonnance ne prévoit pas que des coordinations juridiques ou la réparation d'erreurs. Je prendrai trois exemples. Les ordonnances prévoyaient le maintien total des salaires pour les congés de formation économique et syndicale. Cette mesure parfaite devait entrer en vigueur le 23 septembre 2017. La sixième ordonnance repousse l'entrée en vigueur au 1er janvier 2018 ; entretemps, des formations ont été réalisées. Comment gérer cette période ? Cette ordonnance prévoit aussi de nombreuses dérogations, autorisant ainsi un accord d'entreprise à déroger à un ANI ou à un accord entre plusieurs branches, ce qui est illogique. Elle prévoit aussi que la notification, sur la lettre de licenciement économique, du délai de contestation de 12 mois n'est plus obligatoire. Certes, nul n'est censé ignorer la loi mais sur un tel sujet, cela pose problème.
M. Alain Milon, président. - Merci de vos interventions. N'hésitez pas à nous envoyer des contributions écrites. J'espère que le texte sortant du Sénat vous apportera quelque satisfaction.
Organismes extraparlementaires - Désignations
La commission propose au Sénat de désigner Mme Viviane Malet et M. Guillaume Arnell pour siéger comme membres titulaires et Mme Jocelyne Guidez et M. Jean Sol pour siéger comme membres suppléants de la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer.
La réunion est close à 11 h 30.