- Mardi 21 novembre 2017
- Mercredi 22 novembre 2017
- Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2018 - Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Cohésion des territoires » (articles 52, 52 bis, 52 ter, 52 quater et 52 quinquies rattachés) - Crédits « Logement » - Examen du rapport pour avis
- Questions diverses
- Projet de loi de finances pour 2018 - Audition de M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires
Mardi 21 novembre 2017
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 16h45.
Projet de loi de finances pour 2018 - États généraux de l'alimentation - Audition de M. Stéphane Travert, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, je suis très heureuse de recevoir cet après-midi le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, M. Stéphane Travert.
L'agriculture est un sujet très important au Sénat - ainsi qu'à l'Assemblée nationale bien sûr - certains de nos collègues étant très impliqués dans ce secteur à titre professionnel. Pour nous, l'aménagement du territoire résulte de la bonne santé de l'agriculture et de toute l'économie qui gravite autour.
Nous n'avons pas eu le temps d'auditionner votre prédécesseur, mais la commission des affaires économiques du Sénat a une longue tradition de suivi attentif des questions agricoles, tant par la commission elle-même que par ses groupes d'études, que nous allons reconstituer dans les semaines qui viennent.
Le ministre de l'agriculture est auditionné plusieurs fois par an. Nous poursuivons donc aujourd'hui une relation de travail étroite, comme cela a toujours été le cas.
Votre tâche, monsieur le ministre, est particulièrement difficile, car l'agriculture française est confrontée à toute une série d'enjeux, en particulier celui de la compétitivité, qui avait amené le Sénat à voter une proposition de loi ambitieuse, qui n'a pas été adoptée définitivement mais dont certaines dispositions ont été reprises dans d'autres textes.
Mes collègues et moi-même avons naturellement beaucoup de questions à vous poser. Je n'en rappellerai que quelques-unes...
Tout d'abord, quel panorama pouvez-vous dresser de l'agriculture française, alors que les comptes de l'agriculture montrent une dégradation des revenus agricoles de 22 % l'année dernière ?
Dans le détail, pouvez-vous nous parler de la filière laitière, qui connaît une remontée des prix, mais se trouve minée par des conflits entre éleveurs, industriels et grande distribution ? Quelle stratégie proposez-vous pour améliorer les relations commerciales dans la filière et favoriser les producteurs de lait dans le partage de la valeur ajoutée ? Envisagez-vous à terme une modification de la loi ?
Pouvez-vous également nous dire où en est la crise de la filière palmipède gras dans le Sud-Ouest suite à la grippe aviaire persistante ? Quelles sont les mesures déjà prises et celles encore envisagées ?
Par ailleurs, comment entendez-vous aider les viticulteurs en difficulté suite aux événements climatiques du printemps ?
À plus long terme, nous avons des interrogations sur la réforme de la PAC à l'horizon 2020. Quels axes entendez-vous promouvoir et avec quels partenaires ? Comment pouvons-nous faire face au Brexit ? Encouragerez-vous le développement des mécanismes assurantiels au sein de la PAC ? La contribution française de mai 2016, présentée par Stéphane Le Foll, reste-t-elle pour vous le cadre de référence des positions françaises pour la future réforme ?
Enfin, à court terme, quel est le calendrier des États généraux de l'alimentation ? Quels sont les débouchés que vous attendez d'une telle démarche ? Les parlementaires que nous sommes, qui connaissent bien les territoires, y ont pris leur place, jusqu'à présent.
Les sujets sont nombreux et vous commencerez sans doute par votre budget pour 2018. Je vous laisse la parole.
M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. - Merci, madame la présidente.
C'est la deuxième fois que je suis auditionné par votre commission. La première fois, c'était sous la présidence de M. Jean-Claude Lenoir, votre prédécesseur, en juillet dernier.
Je crois qu'il est bon que nous puissions avoir ces temps d'échanges de façon régulière pour parler de sujets spécifiques avec une thématique particulière, ou aborder l'agriculture et les affaires rurales de manière plus générale. Il est important d'avoir des échanges avec la représentation nationale. Vous êtes en effet les vigies des territoires, et il est toujours sain de pouvoir confronter un certain nombre de points de vue, afin d'enrichir ensemble nos approches pour la construction de l'agriculture de demain.
Aujourd'hui, l'agriculture française doit se réformer en profondeur et se transformer. Cette transformation est indispensable pour relever les trois défis majeurs que sont la transition écologique, la réponse aux exigences renforcées des consommateurs en matière de sécurité sanitaire et de qualité alimentaire - mais aussi des citoyens s'agissant du bien-être animal ou de l'empreinte écologique - et enfin la résilience, dans un monde d'instabilité croissante, d'aléas et de crises économiques, sanitaires et climatiques.
Le Président de la République a fixé le cap le 11 octobre dernier, dans son discours de Rungis, à l'occasion d'un point d'étape sur les États généraux de l'alimentation. Il a rappelé qu'une agriculture forte et performante est un atout décisif pour assurer la souveraineté alimentaire.
Il a également souligné que les quatre objectifs de la performance - performance économique, sociale, environnementale et sanitaire - sont indissociables dans la construction des systèmes agricoles de demain et doivent constituer les quatre points cardinaux de l'action des acteurs économiques et de l'action publique dans cette démarche de transformation.
Pour créer les conditions de cette transformation, nous devons actionner des leviers complémentaires, chacun au bon moment.
Le premier levier est celui des États généraux de l'alimentation, dont le pilotage associe une douzaine de ministères, tant les enjeux et les interactions avec d'autres politiques publiques sont forts. Après une première phase centrée sur les questions de création et de répartition de la valeur, la seconde phase approfondit désormais les attentes sociétales et la manière d'y répondre.
Leur mise en oeuvre opérationnelle, deuxième levier, prendra le relais à la clôture des États généraux de l'alimentation, fin 2017.
La future PAC, qui devra être protectrice, facilitatrice, agile et bien plus lisible, constitue le troisième levier.
Enfin, le dernier levier est celui du budget national.
Le projet de budget 2018 du ministère de l'agriculture et de l'alimentation que je veux vous présenter est doté de 5,2 milliards d'euros de crédits de paiement, soit 1,5 % supplémentaire par rapport à 2017, et de 5,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement.
Ces crédits permettront de conforter, et même souvent de renforcer sensiblement l'ensemble des politiques publiques portées par le ministère dont j'ai la charge.
Ce projet de budget traduit et illustre, en premier lieu, mes trois priorités stratégiques : la formation et l'innovation, la PAC et la sécurité sanitaire.
Même si leurs crédits ne relèvent pas de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », je souhaiterais évoquer avec vous les moyens prévus pour les programmes 142 et 143, et ce pour deux raisons. Il s'agit des programmes de l'enseignement technique agricole et de l'enseignement supérieur et la recherche.
Les crédits de l'enseignement portent 60 % des 30 000 agents du ministère et un tiers des crédits budgétaires. Ils sont l'un des vecteurs de la préparation de l'avenir, via la formation des jeunes et l'innovation.
Les effectifs de ces deux programmes, c'est-à-dire les 18 000 agents qui concourent à l'enseignement technique agricole, seront maintenus, en 2018, au même niveau qu'en 2017.
Les crédits, hors dépenses de personnel, s'établiront à 627 millions d'euros, soit près de 3 % de plus qu'en 2017. Ces crédits supplémentaires permettront de mieux doter nos établissements, de poursuivre la modernisation des campus et faire face à la hausse de la démographie étudiante dans l'enseignement supérieur, d'améliorer la situation financière des établissements grâce, notamment, à une meilleure prise en charge du financement des assistants d'éducation - plus 13 % - de faire progresser la compensation des emplois gagés dans les centres de formation continue - plus 1 million d'euros - et de financer les investissements nécessaires outre-mer.
Ces crédits supplémentaires permettent également d'accompagner financièrement la renégociation en cours des protocoles avec les trois fédérations de l'enseignement technique privé, de moderniser nos dispositifs d'appui, en particulier nos systèmes d'information - plus 2 millions d'euros - et d'accompagnement de la scolarisation en milieu ordinaire des jeunes en situation de handicap - plus 1 million d'euros.
Enfin, et parce que l'agriculture et l'alimentation nécessitent un effort de recherche important, les crédits destinés à l'action des organismes de recherche, comme l'institut national de la recherche agronomique (INRA) et l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), et des instituts techniques agricoles et agro-industriels, seront maintenus, voire augmentés.
J'en viens à présent aux crédits ouverts pour la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » constituée des trois programmes 149, 206 et 215.
S'agissant du programme 149, mon objectif prioritaire a été de conforter les contreparties nationales des mesures qui relèvent du deuxième pilier de la PAC.
À cet égard, et avec 455 millions d'euros d'autorisations d'engagement, nous serons en mesure de mobiliser au mieux, en 2018, les crédits européens pour les quatre dispositifs suivants :
- l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN), dont la dotation est maintenue au niveau de 2017, soit 264 millions d'euros. Son financement permettra, avec les crédits européens du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), de mobiliser au total 1,06 milliard d'euros pour les quelque 100 000 exploitants agricoles situés dans des zones soumises à des handicaps naturels ;
- les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) et les aides à l'agriculture biologique. Avec 81,4 millions d'euros en autorisations d'engagement, dont la moitié pour l'agriculture biologique, ce dispositif contractuel proposé aux exploitants est conforté et permettra avec le cofinancement de l'Union européenne de disposer d'une enveloppe globale d'engagements nouveaux de 325 millions d'euros en 2018 ;
- la dotation aux jeunes agriculteurs (DJA) dispose de crédits à hauteur de 38,4 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit le même niveau qu'en loi de finances initiale 2017. Ce soutien permettra d'accompagner le renouvellement des générations en agriculture ;
- enfin, la dotation en faveur des mesures de soutien aux investissements dans les exploitations agricoles, avec 71 millions d'euros en 2018, est supérieure à la dotation de base qui se situe, je le rappelle, à 56 millions d'euros.
Le ciblage des crédits sera amélioré en faveur des systèmes quadruplement performants, des approches collectives et des jeunes agriculteurs. La diversification des outils et le développement d'instruments financiers doivent également être étudiés.
Ces crédits, tout comme ceux relatifs aux mesures agro-environnementales et climatiques, participent au grand plan d'investissement.
En crédits de paiements, les quatre dispositifs PAC que je viens de décrire sont dotés de 534 millions d'euros, soit 110 millions d'euros de plus qu'en 2017. Ces crédits ouverts en 2018 permettront d'achever le rattrapage des retards de paiements de la PAC, notamment pour les MAEC.
Au-delà des dispositifs PAC, les crédits ouverts sur le programme 149 permettent de stabiliser voire de renforcer le soutien public aux filières.
Le soutien aux productions ultramarines est réaffirmé, qu'il s'agisse de la filière canne à sucre dans les DOM, qui bénéficiera de 10 millions d'euros de plus qu'en 2017, ou du doublement des crédits d'intervention de l'Office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (ODEADOM).
S'agissant de la filière bois et forêt, l'État respecte ses engagements financiers vis-à-vis de l'office national des forêts (ONF) dans le cadre du contrat d'objectifs et de performance 2016- 2020, soit 175,5 millions d'euros. Le soutien au Centre national de la propriété forestière (CNPF) est maintenu avec 14,9 millions d'euros.
Ce projet de loi de finances marque l'intégration de la gestion durable des pêches et de l'aquaculture au sein du budget agricole. Les crédits correspondants sont en augmentation de 1 % et s'établissent à 45,3 millions d'euros. Ils permettront de renforcer les connaissances des ressources halieutiques et le contrôle des pêches dans le cadre des obligations européennes issues de la politique commune de la pêche (PCP), ainsi que de soutenir les projets de la filière pêche et aquaculture dans le cadre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).
Concernant le programme 149, dans un objectif de meilleure réactivité en cas de crise, mais également dans un souci de renforcement de la sincérité de la budgétisation annuelle, il est créé pour la première fois dans le budget du ministère une provision pour aléas dotée de 300 millions d'euros. Ce montant correspond à la moyenne décennale des ouvertures observées en loi de finances rectificative au bénéfice du ministère de l'agriculture. Cette provision permettra tout à la fois de financer des besoins imprévus car imprévisibles dus aux crises sanitaires, climatiques et économiques, ainsi qu'aux refus d'apurement communautaire.
Même si nous ne connaissons pas aujourd'hui le montant exact des refus d'apurement qu'il faudra couvrir en 2018, je veux être clair sur l'utilisation de la provision. Elle est faite pour faire face, de façon rapide, à des aléas qui exigeraient de mobiliser des financements. J'espère, bien entendu, que nous ne connaîtrons aucune crise d'ampleur en 2018 qui ne pourrait être couverte par redéploiement interne de nos crédits ou mobilisation de la réserve de précaution, mais si cela devait arriver, alors la réserve sera disponible tout au long de l'année et ne sera pas préemptée par le paiement des refus d'apurement communautaire, ces paiements n'intervenant en fait qu'en fin d'année pour équilibrer l'avance faite par l'Agence France trésor (AFT).
Dans le même temps, le programme 149 ne porte plus de compensation budgétaire relative à la cotisation maladie des exploitants agricoles. En effet, dans le cadre d'une réforme structurelle portée dans le PLFSS pour 2018, le Gouvernement a décidé d'harmoniser le barème des cotisations maladie des exploitants agricoles avec celui des autres travailleurs indépendants.
Ce régime harmonisé de cotisations est légitime et équitable puisque les prestations maladie servies à l'ensemble des indépendants, agricoles et non agricoles, sont identiques. Par ailleurs, cette harmonisation pérennise, en l'adaptant dans une démarche plus sociale, la réduction décidée en février 2016, au plus fort de la crise agricole, pour alléger rapidement les charges et soutenir ainsi le revenu de l'ensemble des agriculteurs. Le nouveau barème de cotisations maladie est désormais progressif, donc plus social, et présente un double avantage :
- pour 60 % des agriculteurs, il permettra un allégement de prélèvements sociaux en 2018 par rapport à ceux de 2017. L'engagement du Gouvernement de dégager un gain de pouvoir d'achat pour les actifs les plus modestes à l'occasion de la compensation de l'augmentation de la CSG, y compris pour les travailleurs indépendants, est ainsi respecté pour les exploitants agricoles ;
- en substituant un barème progressif de cotisation à un taux unique, le Gouvernement met en place un dispositif qui permettra de mieux amortir, pour chaque agriculteur, toute baisse de revenus constatée une année donnée par une réduction plus que proportionnelle des cotisations sociales qui sont dues.
S'agissant enfin du programme 206, qui porte la politique de sécurité et de qualité sanitaires de l'alimentation, les crédits sont en forte augmentation et illustrent ma troisième priorité, celle d'une meilleure sécurité sanitaire de l'alimentation par un financement accru d'actions renforcées de surveillance et de prévention qui tiendront compte des crises passées.
Hors dépenses de personnel, le budget associé à ce programme s'établit à 235 millions d'euros, soit une hausse de 12 % par rapport à la LFI 2017.
Cette augmentation nette des crédits s'accompagne d'une stabilisation des effectifs dédiés à la mise en oeuvre de cette politique.
Les moyens supplémentaires permettront de poursuivre et renforcer les contrôles sanitaires et la surveillance des dangers sanitaires. À titre d'illustration, et sans être exhaustif, je signalerai :
- dans le domaine de santé végétale, une augmentation de 5,8 millions d'euros pour faire face aux dépenses de surveillance et de gestion des foyers de xylella fastidiosa et 1 million d'euros supplémentaire pour la lutte contre le capricorne asiatique ;
- dans le domaine de la santé animale, une augmentation totale de 5,8 millions d'euros en autorisations d'engagement et 5 millions d'euros en crédits de paiement pour couvrir les dépenses de surveillance, de lutte et d'indemnisation en faveur des territoires et des exploitations touchés par la tuberculose. 1 million d'euros supplémentaires viendront, par ailleurs, faciliter la mise en oeuvre des visites vétérinaires dans les élevages avicoles, apicoles et les élevages de petits ruminants ;
- dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments, la prise en compte sur le programme 206 des missions de surveillance sanitaire des coquillages des zones conchylicoles, pour 1 million d'euros, à la suite du recentrage de l'IFREMER sur ses missions de recherche ;
- dans le soutien des politiques incitatives, un abondement du plan Ecoantibio à hauteur de 0,5 million d'euros ;
- enfin les crédits nécessaires pour clore le dispositif de règlement amiable avec les vétérinaires sanitaires. J'ai veillé à ce que l'année 2017 permette de régulariser la situation de l'ensemble des vétérinaires concernés, déjà en retraite, et qui avaient accepté d'entrer dans un processus transactionnel avec l'État. Ce sera chose faite pour la quasi-totalité d'entre eux au 31 décembre de cette année. Il nous restera à traiter, l'an prochain, le dossier des vétérinaires encore en activité et les nouveaux dossiers qui seraient déposés.
Les moyens de fonctionnement du ministère portés par le programme 215 poursuivent leur baisse. Les économies seront réalisées par un recours accru aux outils interministériels mutualisés, notamment informatiques, et à une rationalisation du parc immobilier. Le budget 2018 prévoit les premiers financements du recensement agricole de 2020, obligation européenne ; la dématérialisation et la rénovation du mode de collecte des données permettront de réaliser ce recensement dans des conditions de coût et de sécurité améliorées.
Du côté des effectifs, si l'enseignement agricole et la sécurité sanitaire sont stables, en revanche, il y aura une réduction de 130 équivalents-temps plein (ETP) sur les autres missions. Pour autant, et afin de ne pas compromettre la trajectoire visant à revenir à un calendrier normal d'instruction et de paiement des aides PAC, 300 vacataires supplémentaires seront recrutés pour renforcer les 370 ETP de vacataires traditionnellement mis à disposition des services départementaux d'économie agricole. Dans le même ordre d'idée, il est à noter que les crédits d'investissement de l'Agence de service et de paiements (ASP) seront également augmentés par rapport à 2017 pour contribuer à cet objectif.
Les opérateurs sous tutelle du ministère de l'agriculture et de l'alimentation sont également mobilisés dans l'effort de maîtrise des effectifs. Ainsi, une réduction globale de 95 ETP est attendue pour 2018.
Pour conclure, je rappellerai que les crédits du ministère de l'agriculture et de l'alimentation seront abondés par les financements européens de la PAC pour un total 8,9 milliards d'euros. Par ailleurs, le secteur agricole au sens large bénéficiera en 2018 d'allègements sociaux et fiscaux à hauteur de 4,5 milliards d'euros, de dépenses fiscales pour 1,8 milliard d'euros et de divers autres financements publics, comme des taxes fiscales affectées, pour 900 millions d'euros.
Ainsi, les concours publics au secteur agricole représenteront donc 21,3 milliards d'euros l'an prochain, soit une augmentation de 3,7 % par rapport à cette année.
Voici les informations budgétaires que je souhaitais vous livrer. Je suis à présent tout disposé à répondre aux questions que vous ne manquerez pas de me poser sur ce budget, mais aussi à toute autre question relative à l'agriculture, à la pêche, à l'aquaculture, à la forêt et à l'alimentation dans notre pays.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup.
La parole est aux rapporteurs pour avis.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Permettez-moi tout d'abord de vous présenter les excuses d'Alain Houpert, rapporteur spécial de la commission des finances, qui ne pouvait être présent.
Monsieur le ministre, je n'ai pas tout à fait la même interprétation que vous du budget de l'agriculture.
Vous prétendez que la baisse de sept points des cotisations d'assurance maladie des exploitants agricoles (AMEXA) constitue une mesure sociale. Pas du tout ! Cette mesure a été prise pour soutenir la compétitivité des exploitations agricoles durant une crise qui ne s'est pas véritablement résorbée. Selon vous, nous serions sortis de la crise ? Vous avez en face de vous un agriculteur qui est producteur de lait et éleveur : je peux vous affirmer que c'est loin d'être le cas ! On aurait au contraire bien besoin d'un rattrapage de compétitivité en matière de production laitière face à des pays comme l'Allemagne ou le Danemark !
Vous annoncez par ailleurs une provision de 300 millions d'euros. Or je crains que l'on n'affecte celle-ci aux aléas climatiques. Jusqu'à présent, une taxe sur les contrats d'assurance des agriculteurs, soit environ 60 millions d'euros par an, devait permettre de participer financièrement à la prise en compte des calamités, l'État devant intervenir chaque fois que ces ressources étaient insuffisantes.
Il me semble que cette provision sonne la fin du système, le ministère du budget pouvant fort bien décider d'utiliser cette somme à autre chose.
Si c'est le cas, l'État réalisera des économies au détriment de la compétitivité de notre agriculture. Les risques que subissent les agriculteurs ne sont pas de leur fait, car les crises sont imputables à des aléas climatiques non maîtrisables.
S'agissant des ICHN, quand allez-vous siffler la fin de la partie ? Tant qu'on n'est pas sûr du zonage, on n'est pas sûr de la quantité d'argent qui sera versée aux agriculteurs. Vous avez dit que le budget serait constant, après être allé chercher une part de son financement dans le premier pilier. On comprend que ce budget ne sera pas extensible. Si le périmètre reste identique, l'aide risque de le demeurer également. Si vous acceptez une modification du périmètre, cela signifie qu'on ira chercher la compensation dans la poche de certains.
Les ICHN, je le rappelle, sont des indemnités compensatrices des handicaps naturels. L'agriculteur ne choisit pas le lieu de sa naissance, mais c'est là qu'il implante son exploitation...
L'Europe, je le rappelle, a réclamé à la France un apurement des comptes de 41 millions d'euros en 2013, 427 millions d'euros en 2014, 812 millions d'euros en 2015, 710 millions d'euros en 2016 et 221 millions d'euros en 2017, l'administration française n'ayant pas respecté les consignes fixées par l'Europe dans la mise en oeuvre de la PAC. Ces sommes, qui représentent 2 milliards d'euros sur cinq ans, correspondent environ à la moitié du budget que vous avez annoncé.
Le ministère de l'agriculture compte aujourd'hui environ 17 000 ETP, et l'ONF 9 000. On arrive à un fonctionnaire pour 30 agriculteurs ! En avons-nous véritablement besoin d'autant ? N'y aurait-il pas là des économies à faire ?
Si encore cela nous permettait d'échapper à la somme de 2 milliards d'euros d'apurement - mais c'est loin d'être le cas !
Je rappelle également que nous avons deux ans de retard de paiement en matière de MAEC, ainsi que des retards importants sur le Plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE). Tout cela n'est pas supportable au regard des chiffres que je viens de citer !
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Monsieur le ministre, j'aimerais vous poser deux questions qui touchent au quotidien et à la qualité de vie de nos agriculteurs.
La première concerne la simplification. C'est un mot que l'on prononce sans arrêt, à tout propos. Il sert à nous donner bonne conscience, mais il est temps d'agir - et le bon sens pourrait régler un certain nombre de problèmes. Encore faut-il en avoir la volonté...
Dans mon département, la Marne, lorsqu'on vendange le 31 août et que l'on poursuit les premiers jours de septembre, il faut établir deux fiches de paye. Cela vous semble-t-il intelligent ? Ceci mérite d'y réfléchir un instant.
Ma deuxième question concerne la façon dont on traite nos agriculteurs, que l'on associe à des pollueurs, quand ils ne sont pas accusés de disperser dans la nature quelques poisons ! Imaginez leur ressenti, alors même que l'agriculture vit une période difficile dont on ne voit guère le bout du tunnel.
Monsieur le ministre, la communication de notre société est essentielle. Comptez-vous prendre des initiatives auprès de nos concitoyens pour lutter contre le dénigrement régulier de l'agriculture française ? Quelles actions mettre en oeuvre pour la valoriser auprès du grand public, dont les positions sont assez ambivalentes ? Il est temps de revenir à la réalité et de tenir des propos justes !
M. Henri Cabanel, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Monsieur le ministre, merci pour votre présentation.
Vous avez évoqué la gestion des risques en agriculture. Au-delà des risques climatiques, sanitaires, voire économiques, 2017 est un véritable millésime.
Je souhaitais connaître votre vision des instruments à mettre en place. Au-delà de la problématique assurantielle, il existe aujourd'hui des instruments, comme la déduction pour aléas (DPA), qui permettent aux agriculteurs de pouvoir bénéficier d'une épargne de précaution. Mais cet outil ne satisfait pas tout le monde.
Ne serait-il pas opportun, une année comme celle-ci, de pouvoir envisager un dispositif plus ambitieux d'épargne de précaution, comme le demandent beaucoup ?
Vous nous avez indiqué que des annonces fiscales allaient être faites pour 2018. Peut-on connaître les axes qui ont retenu votre attention ?
Concernant les grands prédateurs, avez-vous la volonté de fixer un objectif de limitation de leur nombre, par rapport aux attaques qui ne cessent de croître, qu'il s'agisse des loups ou des ours ? Quelles actions entendez-vous mener sur ce sujet ? Ce qui me gêne, c'est que ces mesures soient incluses dans le budget du ministère de l'agriculture. Pourquoi ne pas les faire figurer dans le budget du ministère de la transition écologique et solidaire ?
Enfin, je suis élu d'un territoire où la consommation des terres agricoles est relativement importante. Dans l'Hérault, en trente ans, 25 % de la surface agricole utile a été consommée. Quand prendrons-nous des mesures permettant de la préserver ?
Les outils existent, comme les périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN), pour s'opposer à leur artificialisation. Quels sont vos axes de travail à ce sujet ? Pour nous, il est essentiel de les préserver.
M. Antoine Karam, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - Monsieur le ministre, vous avez, s'agissant de l'enseignement agricole, apporté un certain nombre d'éléments de réponse sur le programme 143. J'ai cependant trois questions à vous poser.
Tout d'abord, les protocoles d'accord avec les fédérations de l'enseignement privé expirent à la fin de cette année. À ce jour, aucun accord n'a été conclu. À défaut de l'application stricte de la loi Rocard, les fédérations demandent une revalorisation substantielle de la subvention. Cela paraît équitable, tant la comparaison avec le public révèle un écart important. De plus, le plafonnement des subventions pousse au statu quo, voire au déclin des effectifs d'élèves. Il tend à entraver le développement de l'enseignement agricole, alors qu'il existe une vraie demande dans certains territoires. Quelles solutions apportez-vous à ce problème ?
Seconde question : dans certains territoires en particulier - outre-mer, Mayotte, Guyane - mais aussi dans certains départements de l'ouest de la France, il existe un véritable besoin d'enseignement agricole, même si des efforts ont été faits au cours de ces quinze dernières années. Comment comptez-vous y répondre ?
Enfin, l'enseignement agricole accuse encore, en 2017, une baisse de ses effectifs à rebours de l'évolution démographique dans le second degré. Comment valoriser et faire connaître les formations de l'enseignement agricole, en particulier auprès des personnels et des élèves de l'éducation nationale ?
J'ai posé ces questions il y a quelques jours au ministre de l'éducation nationale, M. Blanquer, considérant qu'il existe une passerelle entre enseignement général, enseignement professionnel et enseignement agricole.
Mme Anne-Marie Bertrand. - Monsieur le ministre, l'article 8 du projet de loi de finances de la sécurité sociale (PLFSS) prévoit la transformation du CICE en baisse de cotisations patronales à compter de 2019. En l'état actuel du dispositif, la perte du CICE n'est pas compensée pour les employeurs éligibles au dispositif en faveur des travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TODE), c'est-à-dire les employeurs des salariés saisonniers.
Ces derniers subiraient alors une hausse équivalente à sept points de la masse salariale. Je vous rappelle qu'il existe 15 000 emplois saisonniers dans les Bouches-du-Rhône, et qu'il s'agit du premier département à produire des fruits et légumes. Il compte en effet beaucoup de maraîchers et d'arboriculteurs.
Le coût du travail correspond à un tiers de leurs dépenses. De plus, ils sont en concurrence directe avec l'Espagne ou l'Italie, où le coût du travail est à moins 30 %, voire à moins 35 %.
Cette main-d'oeuvre est encore plus nécessaire pour les agriculteurs choisissant le bio, notamment les jeunes. Or il faut beaucoup plus de main-d'oeuvre dans l'agriculture biologique.
Ne pensez-vous pas qu'il serait bon d'amplifier l'exonération TO-DE, afin d'intégrer les sept points du CICE, en abaissant ainsi le coût du travail pour tous nos agriculteurs ? Quelle solution apporter ?
L'agriculture est indispensable à notre économie, notamment dans les Bouches-du-Rhône, et assure la sécurité de l'indépendance alimentaire.
M. Jean-Pierre Decool. - Monsieur le ministre, la crise du beurre semble toucher à sa fin - et c'est heureux. Néanmoins, cet épisode révèle le dysfonctionnement des circuits agricoles, ainsi que les limites de la PAC. La fin des quotas laitiers, en 2015, a été une décision lourde de conséquences, que l'ensemble des ministres de l'agriculture, depuis Bruno Le Maire, a déplorée. Quelle est votre position sur ce sujet ? Quelle sera la position de la France dans la négociation sur la PAC-post 2020 ?
Je voudrais également vous interpeller sur un autre volet. Je suis un ardent défenseur de la filière brassicole française. Il s'agit d'un élément extrêmement dynamique de notre savoir-faire et de notre économie. On comprend votre volonté - et celle du Président de la République -, dans le cadre des États généraux de l'alimentation, d'élargir les interprofessions. Quelle serait la place de la filière brassicole dans ce contexte ? Voyez-vous l'intégration des brasseurs dans Intercéréales, ou la création d'une filière distincte, avec le houblon, l'orge et autres productions ?
M. Joël Labbé. - Monsieur le ministre, le 21 septembre, l'annonce de la fin des aides au maintien pour l'agriculture bio a entraîné beaucoup d'émois. Les choses ont semble-t-il évolué depuis... Il se trouve que le 11 octobre, dans son discours de Rungis, le Président de la République a dit - je le cite : « Il importe aussi de mieux valoriser et rémunérer les services environnementaux que les agriculteurs sont capables de rendre à la collectivité, en agissant pour préserver les sols, les eaux, la biodiversité, et rémunérer de manière juste ces services. J'ai pris un engagement. Il sera donc suivi d'effet, avec 200 millions d'euros pour rémunérer ces services. » Monsieur le ministre, où se trouvent dans ce budget ces 200 millions d'euros d'aides ?
Deuxièmement, le Président de la République a renouvelé son engagement de garantir 50 % de produits bio ou locaux dans la restauration collective pour 2022. Quel est le calendrier ? Quel sera le pourcentage de produits bio ? Ce sont des sujets qui feront débat, pour lesquels on aura besoin de réponses assez rapidement.
M. Robert Navarro. - Monsieur le ministre, je souhaite tout d'abord saluer l'effort du Gouvernement et votre objectif d'être particulièrement réactif en cas de crise sanitaire, économique ou climatique.
Vous le savez, mon département de l'Hérault a été touché par des épisodes climatiques successifs : grêle, gel, sécheresse ont, depuis deux ans, impacté durablement la vitalité économique des exploitations.
Les conséquences sont terribles : 80 millions de chiffre d'affaires en moins dans le secteur viticole en 2017 à cause du gel et de la sécheresse, 850 exploitations en grandes difficultés, un salaire moyen qui tombe à 12 500 euros nets par an.
Avec ces cas concrets, qu'on retrouve d'ailleurs dans beaucoup d'endroits en France, on mesure mieux l'importance de votre proposition de créer une réserve de crise à hauteur de 300 millions d'euros.
Dans le contexte de dérèglement climatique et de multiplication de ces événements exceptionnels, comment pérenniser et renforcer cette réserve de crise ? Quels investissements réaliser dans la recherche et l'innovation afin d'adapter nos cultures aux dérèglements climatiques ? Enfin, dans le cadre des plans de financement, peut-on envisager la prise en charge des cotisations sociales en période de crise, avec un mécanisme pérenne, par exemple en cas de chute du chiffre d'affaires ?
M. Franck Montaugé. - Monsieur le ministre, jeudi soir, dans le cadre de la discussion du PLFSS, un amendement visant à porter à 85 % du SMIC la retraite des exploitants agricoles a été rejeté par le Gouvernement.
Vous êtes ici pour présenter le projet de loi de finances 2018. Nous considérons que cette affaire aurait été l'occasion de reconnaître le monde paysan, celui qui souffre, en particulier les retraités. On a manqué une occasion historique, d'autant que la ressource pour financer cette mesure n'était pas prise sur le budget de l'État, mais sur une augmentation minime de la taxe sur les transactions financières de 0,1 % !
Dans le budget agricole, un volet important s'attache au développement des territoires ruraux. Une des façons de contribuer au développement des territoires ruraux est de donner du pouvoir d'achat au monde paysan dans son ensemble, les retraités comme les actifs.
Le deuxième pilier de la PAC a vocation à apporter des fonds dans la perspective de cet enjeu de développement. La question des retraites aurait pu permettre d'y contribuer.
Les États généraux de l'alimentation sont en cours. Ils vont, je l'espère, se traduire par un soutien aux revenus des producteurs agricoles et par un retour de la valeur qui leur revient. Où, dans le projet de budget que vous avez présenté, peut-on trouver les sommes qui seront réorientées en amont des filières ?
Enfin, mon collègue Henri Cabanel et moi-même avions fait voter, il y a quelques mois, une proposition de loi relative au développement des outils de gestion des risques dans le domaine agricole. Elle est aujourd'hui sur le bureau de l'Assemblée nationale et pourrait être utilement reprise, d'autant que le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a déposé un rapport il y a quelques semaines où il préconise des outils de développement en ligne avec ce que nous avions proposé. Où trouve-on, dans le budget 2018, ce type de mesure ?
M. Alain Duran. - Monsieur le ministre, il existe depuis 1995 un dégrèvement sur la taxe foncière sur les propriétés non bâties incluses dans les périmètres fonciers pastoraux. Les revenus cadastraux de ces propriétés sont modestes, et les montants dégrevés chaque année par les services fiscaux le sont également.
Toutefois, ce dispositif représente une contrepartie très appréciée des agriculteurs et permet de favoriser l'action publique de dynamisation de nos territoires ruraux de montagne.
Cette disposition, prise initialement pour une durée de dix ans, avait été reconduite pour dix années supplémentaires. Elle a fait l'objet d'une autre reconduction jusqu'en 2017. Êtes-vous pour le maintien de ce dispositif de dégrèvement en 2018 et pour les années suivantes ?
Mme Cécile Cukierman. - Monsieur le ministre, nous relevons dans ce budget la volonté d'augmenter le nombre d'ETP pour résoudre un certain nombre de retards, dont ceux relatifs aux dossiers de la PAC. Le fait que ces personnels pourraient être essentiellement constitués de vacataires nous inquiète cependant en raison de la difficulté que cela présente en matière de formation et de continuité de l'expertise. Ces dossiers peuvent en effet parfois être compliqués, et un turn-over trop important risque de ne pas résoudre les problèmes d'engorgement.
Une remarque s'agissant de la suppression des aides en faveur de l'agriculture bio : c'est un mauvais signe qu'envoie le Gouvernement à travers ce budget. On l'a dit, cela semble contradictoire avec les propos tenus par le Président de la République. En outre, la volonté de faire supporter l'effort de gestion aux collectivités régionales nous inquiète. Nous avons confiance dans la qualité des exécutifs locaux, mais nous le déplorons que l'on renvoie la conversion au modèle bio vers le niveau régional. Toutes les études démontrent que les aides ont permis de développer un certain nombre de structures dans le domaine de l'agriculture bio.
Enfin, une remarque sur la question des calamités, notamment au sujet de l'eau. Un grand nombre de départements ont subi la sécheresse cet été. Tout n'est pas réglé - tant s'en faut. Ne conviendrait-il pas, comme certains le demandent, d'avoir une véritable réflexion sur l'eau ? Il pleut en effet moins régulièrement, les précipitations sont plus violentes, et il existe des problèmes d'évaporation du fait de périodes de canicule de plus en plus importantes...
M. Daniel Gremillet. - Monsieur le ministre, les crédits consacrés à la recherche et à l'innovation présentent un certain décalage avec l'affichage de pratiques vertueuses et la mise en oeuvre de réponses concrètes destinées à maintenir la compétitivité de notre agriculture. Il y a deux ans, le ministère de l'agriculture souhaitait mettre l'agriculture française en situation de compétitivité face aux autres pays européens, et ce de manière durable. Aujourd'hui, on est en train de tout casser !
Par ailleurs, pourquoi ne fait-on plus une priorité du foncier agricole et du foncier forestier ?
S'agissant des États généraux de l'alimentation, êtes-vous sûr que les accords qui pourraient être passés en France sont compatibles avec les règles de la concurrence communautaire ?
Quant au budget consacré à nos forêts, il n'est pas à la hauteur de l'importance de celles-ci. Enfin, qu'en est-il de l'article 49 bis relatif à l'affectation des « centimes forestiers » des chambres d'agriculture, qui présente manifestement un gros problème ?
M. Daniel Laurent. - Monsieur le ministre, force est de reconnaître que le mécanisme de la DPA n'a jamais remporté l'adhésion des agriculteurs, notamment en raison de sa complexité. Il est donc indispensable que l'on fasse des propositions concrètes en ce sens. De très nombreuses régions viticoles françaises ont été touchées par la crise. Il faut que l'on fasse des propositions durables et équilibrées qui puissent répondre à tous ces problèmes.
Enfin, les agriculteurs de mon département enregistrent encore des retards de paiement de la PAC 2015. Lorsque vous êtes venu nous voir en juillet, vous vous étiez engagé à faire en sorte que ces problèmes soient résolus rapidement. Ce n'est toujours pas le cas. Ce n'est pas normal.
M. Alain Bertrand. - Monsieur le ministre, les directions départementales des territoires (DDT) sont-elles ou non des républiques autonomes ? (Rires.) Elles paraissent en effet noyautées par des fonctionnaires qui se comportent comme des militants politiques. Pour déboiser une microzone d'activité, il faut se battre pendant quinze ans, et on n'arrive pas à respecter la loi concernant de simples problèmes de défrichement ou d'eau.
Concernant le loup, il ne faut pas attendre qu'on ait mis le feu au pays pour intervenir. C'est ce qui est en train d'arriver, car on met à mal les familles et les exploitations. Allez-vous prendre des positions justes, efficaces et raisonnées à ce sujet ? Je serai du côté de ceux qui soutiennent les agriculteurs !
Par ailleurs, le réchauffement climatique étant maintenant certain, quelle est votre politique de l'eau ? Il faut construire des réservoirs pour soutenir l'étiage des cours d'eau. On soutiendra en même temps la pêche, le tourisme et l'agriculture. Je ferai une proposition de loi en ce sens, actuellement à l'étude dans mon groupe du RDSE !
Par ailleurs, il faut que vous preniez le taureau par les cornes en matière de délais de paiement des aides de la PAC, car malgré les efforts, on n'arrive pas à dialoguer avec les agriculteurs.
Enfin, envisager de prélever une partie de la taxe carbone pour avoir un véritable fonds forestier national afin de permettre la replantation est indispensable. Il s'élève actuellement à environ 20 à 30 millions d'euros, alors qu'il devrait être de 150 millions d'euros. La forêt française en dépend !
M. Michel Raison. - Monsieur le ministre, concernant l'agriculture bio, vous avez déclaré vouloir soutenir les aides à la conversion plutôt que les aides au maintien. Je vous appuie car, en matière d'agriculture bio, la phase la plus difficile est la phase de conversion, durant laquelle des exploitations, parfois fragiles, peuvent voir leur avenir compromis. Elles diminuent leurs rendements, recourent à une nouvelle technique, alors que les prix sont toujours au même niveau.
Je considère donc que vous avez raison ! D'autres filières, comme les appellations d'origine contrôlée, ont également des cahiers des charges extrêmement rigoureux, respectent l'environnement tout autant que les autres, et sont obligées de s'organiser pour pouvoir pallier leurs charges.
Les aides au maintien ne sont pas un service à rendre à la filière bio, car cela peut entraîner un certain laxisme dans l'organisation économique. Continuez donc à défendre cette position. Ne vous laissez pas faire par le Président de la République, qui est tenu à certains discours !
Le deuxième point que je souhaiterais aborder concerne la petite forêt privée. Depuis des décennies, on a un problème avec ce secteur, patrimoine national sous-exploité, voire non exploité, qui peut même, dans certaines régions, poser des problèmes écologiques. Ceci constitue surtout une perte de matière première pour notre pays.
J'ai rédigé un amendement que j'aimerais que vous souteniez, monsieur le ministre : en effet, les sommes étant trop faibles, aucun impôt foncier n'est prélevé sur les petites forêts privées. Les propriétaires ne savent même pas qu'ils possèdent quelques parcelles, souvent issues d'héritages. Bercy refuse de prélever cet impôt tous les trois ans, alors qu'il existe aujourd'hui des moyens informatiques pour ce faire. Il ne s'agit pas de pénaliser les propriétaires fonciers, mais de leur rappeler qu'ils possèdent un bien et les inciter éventuellement à le vendre, afin qu'un regroupement puisse se faire et qu'on puisse l'exploiter. Si vous y parvenez, vous serez le premier ministre de l'agriculture à avoir contribué à l'exploitation de la petite forêt privée !
M. Fabien Gay. - Monsieur le ministre, on s'interroge sur les ambitions du Gouvernement en matière d'agriculture bio et sur le fait de confier les aides de ce secteur aux régions. Il s'agit d'un enjeu national, et c'est l'État qui doit s'en charger !
Deuxièmement, quelle est votre position concernant le CETA ? Ce traité entre l'Europe et le Canada, aux termes duquel on va importer des tonnes de boeuf, de porc, de blé tendre ou de maïs doux, inquiète beaucoup les agriculteurs et les consommateurs. On va m'opposer que les choses vont se faire progressivement, sur sept ans, et qu'il existe des clauses suspensives, mais la valeur ajoutée qui va arriver sur nos marchés est forte, vous le savez, notamment pour ce qui est du boeuf.
Bien sûr, les OGM et les hormones sont interdits, mais la traçabilité des produits est difficile à établir, notamment en matière d'alimentation animale et d'antibiotiques.
Cinq tonnes de saumons nourris aux OGM ont été vendues l'an dernier dans l'espace canadien. On ne pourra assurer la traçabilité de ce qui arrivera dans l'assiette du consommateur européen.
M. Franck Menonville. - Monsieur le ministre, ma question s'inscrit dans la suite de l'orateur précédent et porte sur les perspectives d'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur. Celles-ci inquiètent les filières animales, particulièrement la filière bovine.
Le Mercosur, c'est un quart de la production mondiale de viande bovine, mais aussi le premier exportateur de la planète en la matière. Il est nécessaire d'être extrêmement vigilant dans ces négociations, afin qu'on n'importe pas au sein de l'Union européenne - et en France - une production de viande bovine qu'on ne s'autoriserait pas à produire dans notre pays, aujourd'hui engagé en matière de traçabilité, de santé animale et de bien-être animal, alors même que la France est engagée dans les États généraux de l'alimentation.
Deuxièmement, on constate une augmentation des exportations de bois brut non transformé vers différents pays tiers, notamment la Chine. Ceci fragilise les scieries locales ainsi que la valeur ajoutée et l'emploi sur notre territoire, ainsi que le bois énergie. La démarche de qualification ne semble pas suffisamment efficace dans ce domaine.
M. Jean-Claude Tissot. - Monsieur le ministre, je voudrais revenir sur l'agriculture bio. Je condamne l'attitude que vous avez eue vis-à-vis de la suppression de l'aide au maintien. On peut toujours imaginer que le marché doit se réguler, mais il ne faut pas perdre de vue que le secteur bio est jeune et fragile. Il faut donc être attentif à ce qu'il perdure. Or en supprimant ces aides, on pénalise les plus vertueux. Ces aides permettent en outre de vendre les produits bio à un prix moindre, plus accessible aux ménages les plus modestes.
Par ailleurs, vous baissez les aides aux coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA) d'un million d'euros. Ces structures apportent pourtant un soutien important au fonctionnement des exploitations. Au vu des résultats des comptabilités, on se rend compte que ces coopératives sont indispensables.
Enfin, un dernier propos concernant le loup et les autres prédateurs. Le choix est simple : on choisit soit le pastoralisme, soit le tourisme, soit l'élevage, soit le loup !
Mme Anne-Catherine Loisier. - Monsieur le ministre, une question à propos de la filière bois et de son financement, puisque nous coupons nos forêts, mais que nous ne reboisons pas suffisamment.
Dans le cadre du Programme national de la forêt et du bois (PNFB), il avait été envisagé la mise en place d'un fonds stratégique pour prendre le relais du fonds forestier, qu'on a pu connaître par le passé, avec un montant qui, pour être crédible et efficace, devait atteindre les 150 millions d'euros. Nous en sommes loin, puisque nous sommes à environ 18 millions d'euros.
Le projet de loi de finances pour 2018 donne un nouveau coup de rabot à la recette de la filière bois dans le cadre de l'indemnité de défrichement, qui ne représente que quelques millions. Il semblerait que, là aussi, le Gouvernement souhaite instaurer un plafond.
Je vous demande donc d'intervenir pour que les maigres recettes de la filière bois puissent lui revenir et financer l'ambitieuse politique du Gouvernement en matière de valorisation du bois, en soulignant tout son intérêt en termes environnemental, en particulier de captation du carbone.
Autre question portant sur la PAC et le soutien aux zones intermédiaires : il existe une inégale répartition des aides PAC en France, qui désavantage notamment les exploitations situées dans les zones intermédiaires, avec le choix dit de la convergence et de l'activation des paiements redistributifs, choix unique en Europe.
Vous connaissez la détresse des agriculteurs de ces territoires, qui vivent une double peine : ils sont non seulement sur des territoires peu fertiles, mais perçoivent en outre beaucoup moins d'aides que leurs collègues. Cette différence peut aller jusqu'à 100 euros à l'hectare par rapport aux producteurs allemands.
Comptez-vous pencher à nouveau sur ces réalités ?
M. Jean-Pierre Moga. - Monsieur le ministre, l'utilisation des néonicotinoïdes pose un certain nombre de problèmes et présente des risques pour la santé des utilisateurs du produit, des consommateurs, mais aussi des abeilles.
Suite au vote de la loi sur la biodiversité du 20 juillet 2016, leur usage sera interdit à compter du premier septembre 2018, avec une dérogation jusqu'en 2020.
Ma première question est relative à la recherche et à ses avancées : où en est la mise au point d'une molécule de substitution qui, d'une part, ne présenterait pas le danger des néonicotinoïdes pour la santé publique et, d'autre part, serait capable de protéger les cultures ?
Ma deuxième question découle de la première : pensez-vous, dans le cas où il n'y aurait pas de molécule de remplacement en 2020, prolonger la dérogation d'interdiction jusqu'à ce qu'il existe une molécule de remplacement ? Ceci est très important pour l'agriculture, notamment dans un département comme le nôtre, producteur de fruits et de légumes par excellence. Nous sommes ainsi les premiers producteurs européens de noisettes.
Concernant plus particulièrement la compétitivité, la France va-t-elle continuer à être la championne de la prolifération normative, qui pénalise la compétitivité de notre agriculture et crée des distorsions de concurrence à l'échelon européen ? L'agriculture est en pleine mutation. C'est, je pense, un mal nécessaire, mais aujourd'hui, le métier d'agriculteur est de plus en plus difficile. Le revenu des agriculteurs est en baisse. Ne pensez-vous pas qu'une pause par rapport à ces normes donnerait plus de stabilité et un petit peu d'air à nos exploitations agricoles ?
M. Jackie Pierre. - Monsieur le ministre, va-t-on trouver un jour une solution au sujet du loup ? La question revient tous les ans, et la situation se dégrade d'année en année. La France est-elle suffisamment riche pour continuer à payer de tels dégâts sans chercher à mettre en oeuvre d'autres solutions ?
Nos préfets délivrent parfois des permis pour des tirs, mais ceux-ci sont remis en cause par certains, notamment par les écologistes dans mon département. Ce sont d'ailleurs eux qui ont gagné. Ce ne sont pourtant pas eux qui payent les dégâts. Il faut trouver une solution : il n'y a pas une semaine sans attaque de troupeaux dans les départements forestiers ou montagnards. Cela ne peut pas durer. Il n'est pas acceptable de dépenser de l'argent public à cette fin.
Il y a quinze ans, il n'y avait pas un loup dans les Vosges. Aujourd'hui, il y en a je ne sais combien, qui vivent en meutes et qui arrivent de Meurthe-et-Moselle ou du Jura. Si on les laisse se développer, il y en aura selon moi aux portes de Paris avant dix ans !
Par ailleurs, vous avez indiqué que les charges sociales risqueraient de baisser pour 60 % des agriculteurs. Qu'en est-il des 40 % restants ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le ministre, j'aurais une seule question à vous poser.
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) est reconnue pour la qualité de ses expertises et de ses experts. La dernière loi de modernisation de l'agriculture lui a transféré la décision de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.
Aujourd'hui, un certain nombre de décisions de l'ANSES sont mises en cause par nos concitoyens. Je pense aux avis sur le glyphosate, les néonicotinoïdes, ou à la nouvelle molécule Sulfoxaflor, qui vient d'être autorisée par l'ANSES et qui pose aujourd'hui question au Gouvernement.
Devons-nous conserver l'ANSES ? Quelle est la position du Gouvernement par rapport aux décisions de celle-ci ? Pensez-vous revenir en arrière sur la responsabilité de l'ANSES en matière de mise sur le marché, qui pourrait être transférée au ministère ?
M. Stéphane Travert, ministre. - Je vais essayer de répondre à l'ensemble des questions. Le questionnaire est fourni, technique, précis mais, pour tout dire, je m'y attendais. Tant mieux ! Cela me permet de lever un certain nombre d'ambiguïtés, de répondre à des malentendus, mais aussi de tordre le cou à de vilaines rumeurs.
La question de Mme Férat m'offre la possibilité d'introduire les réponses que je souhaitais vous faire. C'est un honneur pour moi d'occuper les fonctions de ministre de l'agriculture, car nous avons l'agriculture la plus belle et la plus performante du monde. Avec les territoires, les élus, les services et l'ensemble des fonctionnaires de ce beau ministère, je veux faire en sorte que les Français soient fiers de leur agriculture, que les agriculteurs puissent vivre de leur métier et qu'ils soient fiers de ce qu'ils font.
Si nous y parvenons, nous aurons réussi à redonner de la compétitivité à la ferme France.
Je considère que la compétitivité n'est pas un gros mot. Nous en avons besoin pour être responsables face aux défis qui sont les nôtres. La compétitivité permet de mieux résister aux aléas et à une concurrence mondialisée. On le voit à propos de la filière laitière. C'est ce qui va permettre de passer des crises comme on a pu en connaître dans le Sud-Ouest, à la suite de l'influenza aviaire.
Rendre leur fierté aux agriculteurs parce qu'ils pourront vivre dignement de leur travail est l'objectif que nous souhaitons porter. C'est un objectif que nous pouvons partager. Il peut y avoir des dissensus quant aux moyens d'y parvenir. La discussion est là pour essayer de traiter ces problématiques.
Je crois c'est que nous y parviendrons parce que nous aurons réussi à simplifier la vie des agriculteurs et leur travail. On parle beaucoup de contraintes administratives. Il n'y a pas que cela. Peut-être avons-nous eu, depuis un certain nombre d'années, l'envie d'ouvrir les parapluies et de surajouter de la réglementation à la réglementation.
Nous avons besoin de retrouver du pragmatisme et du bon sens. Ceux-ci peuvent parfaitement s'illustrer par des politiques novatrices en matière d'agriculture. Simplifier un certain nombre de démarches, c'est ce que nous allons essayer de faire lorsque nous défendrons la prochaine PAC. Simplifier la réalisation d'un certain nombre de projets, c'est ce que nous allons essayer de faire dans le projet de loi de restauration de la confiance entre les citoyens, l'État et l'administration, plus communément appelé « projet de loi sur le droit à l'erreur ».
C'est avec de telles mesures, qui faciliteront la vie des agriculteurs, leur redonneront plus de temps pour se consacrer à leur métier, l'élevage, la culture ou un certain nombre d'autres systèmes agricoles, que nous réussirons le pari de rendre sa fierté à l'agriculture française et la compétitivité à la ferme France.
La situation d'ensemble, en 2017, a été meilleure qu'en 2016. Sur le plan climatique, nous avons connu des perturbations climatiques de moindre ampleur, à l'exception des gelées de printemps qui ont affecté le secteur viticole et, dans une moindre mesure, le secteur arboricole.
Le secteur laitier se redresse nettement. La crise laitière a des impacts limités sur la viande bovine grâce aux décisions prises par les pouvoirs publics français et européens, avec des cours tirés par l'export. Nous ne connaissons pas de crise d'ampleur particulière sur les fruits et légumes. Quant au prix des céréales, ils sont stabilisés par rapport à 2016 et les cours maintenus.
Nous avons plutôt de bonnes nouvelles en matière d'exportations : réouverture du marché vers la Turquie pour la filière bovine, du marché vers le Vietnam pour le marché de la pomme de terre, du marché vers le Japon pour la volaille et le foie gras.
Ces bonnes nouvelles concourent aux résultats économiques de notre agriculture et à notre balance du commerce extérieur.
Il est vrai que ces éléments montrent une situation contrastée, avec de vraies améliorations, mais nous savons qu'il nous reste beaucoup de travail à faire. La mobilisation des acteurs de la filière est indispensable. C'est le sens de ce qui est engagé avec les interprofessions.
Le Président de la République, dans son discours du 11 octobre, à Rungis, avait demandé que nous puissions mettre en place des plans de filières. C'est ce que nous sommes en train de réaliser. Après avoir signé, la semaine dernière, la charte avec les producteurs, les distributeurs et les transformateurs, nous travaillons actuellement avec les filières, les interprofessions. À quels marchés allons-nous porter une attention particulière ? Quels sont les objectifs de croissance, quelles sont les priorités en matière économique et par rapport aux attentes sociétales ?
On parle beaucoup du bien-être animal, de biosécurité, de sanitaire. Quelles perspectives ces filières vont-elles ouvrir pour que l'État puisse être au rendez-vous de ces engagements pris le 11 octobre dernier, et voir comment articuler, avec des plans de filière validés, un projet de loi qui nous permettra de transformer durablement notre agriculture dès le premier semestre prochain ?
Nous attendons des engagements des acteurs des filières en matière d'organisation des relations économiques. Nous aurons les résultats de ces travaux le 10 décembre prochain. J'ai reçu les acteurs de ces filières hier matin. Je sais que c'est court, mais ils sont fortement mobilisés sur ces questions. Un certain nombre a même pu présenter, à mi-parcours, un travail très intéressant.
Concernant les mesures sur l'influenza aviaire, l'État s'est fortement mobilisé pour accompagner les professionnels et déployer des dispositifs d'aide en faveur de l'amont de la filière avicole et obtenir un cofinancement européen.
Ce sont près de 290 millions d'euros qui vont être mobilisés. Les dispositifs de la crise H5N1 de 2016 à destination de l'amont de la filière sont désormais clôturés. Les 2 500 dossiers ont été soldés le 30 septembre dernier.
Concernant l'indemnisation de l'aval de la filière, un dispositif d'avance remboursable a été rapidement déployé. Une enveloppe de 20 millions d'euros est en cours de déploiement.
Concernant la crise de 2017, 90 % des dossiers pour les animaux abattus dans les foyers infectés, soit 30 millions d'euros sont payés. Les paiements pour compenser l'abattage préventif subi dans les élevages sont désormais finalisés pour 13 millions d'euros. En parallèle, le versement depuis juin d'une avance de 50 % sur les pertes de production des éleveurs situés dans les zones réglementées est en cours de finalisation. Comme cela a été annoncé le 23 juin, une avance de 20 % vient d'être récemment payée.
La semaine dernière, nous avons fait en sorte qu'il puisse y avoir un dispositif de 77 millions d'euros pour prendre en charge une partie des pertes indirectes dues à l'absence de canards ou de palmipèdes dans la plupart des élevages à partir du mois de mai, en raison du vide sanitaire demandé.
Il est important que la filière s'engage dans la mise en oeuvre de mesures de biosécurité. Il est indispensable pour cette filière de réduire les risques.
Nous avons souhaité accompagner la filière avicole dans la difficulté qu'elle a rencontrée. Nous l'avons particulièrement fait là où c'était nécessaire, notamment dans le Sud-Ouest, fortement touché par l'influenza aviaire.
S'agissant de la viticulture j'ai, dès mon entrée en fonction, pris un certain nombre de mesures pour accompagner les viticulteurs les plus touchés par les épisodes de gel du printemps 2016, comme le dégrèvement de la taxe sur le foncier non-bâti. J'ai adressé à mon collègue Gérald Darmanin une demande pour faciliter la prise en compte des pertes importantes subies par les viticulteurs. Nous avons dégagé une enveloppe annuelle de 30 millions d'euros pour prendre en charge les cotisations sociales et tenir compte des besoins des différents départements et des différents types de production.
Un échéancier de paiement des cotisations sociales allant jusqu'à trois ans a été décidé pour alléger la trésorerie des exploitants. Des cellules d'accompagnement ont été mises en place au niveau départemental.
Les viticulteurs disposent aujourd'hui d'outils spécifiques pour faire face aux aléas. C'est le cas des dispositifs d'achats de vendange ou de volumes complémentaires individuels. Les intempéries se multiplient, il ne faut pas le nier. Il est important que les producteurs puissent assurer plus largement leurs récoltes. Nous avons mis en place un dispositif de soutien à l'assurance sur les récoltes qui peut prendre en charge jusqu'à 65 % des cotisations d'assurance. Nous avons besoin de faire la promotion de ce dispositif, que beaucoup de viticulteurs ne connaissent pas ou n'utilisent pas suffisamment.
S'agissant de la PAC, nous avons souhaité que celle-ci fasse partie des priorités budgétaires. La PAC est une sorte de talisman pour l'agriculture. C'est symbolique. Nous avons besoin d'une PAC forte, plus lisible, qui comporte des filets de sécurité. C'est l'objectif que nous fixons à la prochaine programmation. Aujourd'hui, la PAC est une politique totalement indissociable du projet européen. Nous devons faire face à un certain nombre d'enjeux - vous les avez rappelés les uns et les autres - concernant la sécurité alimentaire, l'emploi, la réponse aux enjeux environnementaux et climatiques, et les productions agricoles et alimentaires.
La prochaine PAC doit être simplifiée et modernisée. Nous avons besoin qu'elle protège nos agriculteurs. Nous travaillons sur ces bases avec les autres ministères. Le rapport d'information du Sénat et la proposition de résolution européenne posent des jalons importants pour les prochaines étapes du processus de négociation que nous allons entamer. L'ensemble des travaux que vous menez seront utiles à nos échanges.
Je suis convaincu que la PAC doit demeurer une politique essentielle. L'ampleur des défis nécessite une grande coordination. Nous organiserons, le 19 décembre prochain, une conférence nationale sur la PAC, à laquelle les parlementaires seront invités. Nous aurons l'occasion d'entendre mes homologues européens ministres de l'agriculture.
M. Phil Hogan, commissaire européen en charge de l'agriculture, sera également présent. Ce sera l'occasion pour nous de poser des jalons, de réfléchir ensemble, de trouver des alliés, d'aller chercher des partenaires. C'est ce dont nous avons besoin aujourd'hui.
La France n'est pas seule au milieu des 27 membres de l'Union européenne. Elle a besoin d'alliés pour défendre sa spécificité, cette place forte agricole qui est la nôtre. Je souhaite que ces travaux puissent donner de belles perspectives dans le cadre des négociations qui viendront.
Vous avez évoqué le Brexit. Les négociations se font aujourd'hui à 27. Michel Barnier a mandat pour négocier au nom des 27. Aujourd'hui, nous sommes dans le cadre de la négociation sur les conditions de sortie financière du Royaume-Uni. À ce stade, nous ne les connaissons pas.
Je viens d'un territoire - une presqu'île - où les pêcheurs sont inquiets. Ils se demandent si, demain, ils continueront à avoir accès aux eaux britanniques. C'est la même chose pour les Bretons.
Nous avons aujourd'hui besoin de défendre la spécificité de la pêche française. Je l'ai dit, la pêche française ne constituera pas la variable d'ajustement du Brexit. Elle ne le peut pas, parce que nous négocions dans un cadre global - et c'est bien la mission assignée à Michel Barnier. Nous devons bien évidemment éviter d'exclure un certain nombre de politiques et éviter d'enfoncer un coin entre les différents États. Nous avons besoin de faire bloc jusqu'au bout, sur l'ensemble des missions qui sont les nôtres.
Aujourd'hui, les négociations sur ce point ont peu progressé, et les travaux n'ont pas pu démarrer. Néanmoins, qu'il s'agisse de l'agriculture ou de la pêche, je resterai attentif à ce qui sera négocié, et je veillerai à préserver nos intérêts. Nous aurons l'occasion de revenir vers les professionnels à ce sujet.
Je voulais également aborder le sujet de la gestion des risques et du calendrier de versement des aides PAC. Si certains agriculteurs ne sont pas encore indemnisés, il faut me le dire !
Nous avons arrêté un calendrier le 22 juin dernier. Celui-ci est tenu. Le 19 octobre dernier, nous avons réalisé un versement de 6,3 milliards d'euros, le plus gros que le ministère de l'agriculture n'ait jamais eu à réaliser. Il s'agit du règlement d'une avance de 90 % des aides PAC pour 2017. Bon nombre d'agriculteurs nous ont signalé que ces aides étaient arrivées sur les comptes bancaires.
Les MAEC 2015 sont réglées depuis le 3 novembre. Les paiements ont été réalisés par l'ASP. L'ICHN 2016 a été payée en juillet 2017. L'ICHN 2017 sera payée en février 2018. Les MAEC 2016 seront payées à partir de mars 2018 et les MAEC 2017 à partir de juillet 2018. Ce calendrier sera tenu.
S'il existe des difficultés sur certains territoires, il faut nous les faire remonter. L'objectif est de revenir à un calendrier de versement normal à partir de la campagne 2018. Les avances des aides en faveur des caprins et des ovins pour 2017 ont été payées le 16 octobre dernier, conformément au calendrier. Sans attendre le paiement des aides PAC, le Gouvernement a mis en place des apports de trésorerie remboursables pour chacune des campagnes.
Nous restons à votre écoute. Vous pouvez rassurer les producteurs et les éleveurs : les versements qui devaient l'être ont bien été effectués. Le calendrier sera tenu, et nous reprendrons le versement des aides de 2018 en 2018.
S'agissant de la gestion des risques, compte tenu de l'importance des aléas climatiques ou sanitaires, il convient de se doter d'outils adaptés, comme l'assurance climatique, le dispositif de calamités agricoles, ou les fonds de mutualisation, afin d'indemniser un certain nombre de producteurs. Nous avons engagé une réflexion au sein d'un groupe de travail du Comité supérieur d'orientation pour améliorer et rendre plus cohérent l'ensemble de ces dispositifs. C'est une des préoccupations majeures de la PAC 2020.
Là aussi, nous souhaitons pouvoir faire en sorte que ces risques puissent être pleinement pris en compte dans les mesures que l'on va prendre dans les prochains mois si, demain, nous devons en financer un certain nombre. On a parlé de l'épargne de précaution et de la DPA. Une demande de sincérité budgétaire a été formulée. C'est pourquoi nous avons choisi de créer ce dispositif de 300 millions d'euros de provision.
Il sera là pour répondre à des crises, à des aléas climatiques et si, demain, cette provision ne s'avérait pas suffisante, c'est le budget national, au titre de la solidarité, qui viendrait compenser les difficultés rencontrées. Je tiens à vous rassurer sur ce point. Cette enveloppe de 300 millions d'euros figure dans le budget car nous l'avons estimée nécessaire à la sincérité budgétaire.
Concernant le dispositif des cotisations sociales, quel est le sens de la réforme que nous conduisons aujourd'hui ? Il s'agit d'harmoniser de façon pérenne le régime des cotisations maladie pour l'ensemble des indépendants non agricoles. Dans un cadre de prestations identiques pour tous les indépendants, cette harmonisation relève pour nous de l'équité. Le nouveau barème respecte l'engagement gouvernemental en termes de gain de pouvoir d'achat pour les actifs aux revenus les plus modestes, puisque 60 % des agriculteurs bénéficieront d'une baisse de charges supplémentaires par rapport aux cotisations actuelles.
La réforme ne remet pas en cause le principe des allégements de 2016 : nous les répartissons d'une façon que nous jugeons plus équitable.
En 2016, 60 % des personnes les plus modestes profitaient de moins de 90 millions d'euros d'allégement de charges, soit 17 % de l'effort de solidarité national, les 40 % les mieux lotis bénéficiant de 400 millions d'euros, soit 83 % de cet effort.
Avec cette réforme les 60 % les plus modestes profiteront de 10 millions d'euros d'allégements supplémentaires, soit 26 % des 360 millions de l'effort de solidarité nationale, les 40 % les mieux lotis profitant toujours de la plus grande part de l'effort de solidarité nationale, soit 74 % représentant plus de 250 millions d'euros.
C'est une mesure d'équité que nous essayons de porter.
Nous ne considérons pas aujourd'hui que la crise soit derrière nous, mais cette mesure a été prise alors que la crise était au plus haut, de manière temporaire. C'est un geste qui a été fait par la précédente majorité pour venir en aide aux agriculteurs.
À partir du moment où le Gouvernement a décidé de retravailler sur le régime général des cotisants, de supprimer le RSI et de remettre les indépendants - donc les agriculteurs - dans le régime général, il nous fallait revoir l'ensemble de ces dispositifs afin de leur permettre de retrouver de la justice dans le calcul des charges.
Vous avez évoqué le TO-DE. Le PLFSS prévoit, à partir de 2019, une transformation du CICE en baisse des cotisations sociales. Les employeurs de travailleurs saisonniers bénéficieront de ces baisses de cotisations. La suppression du CICE ne se traduira donc par une perte sèche, mais bel et bien par un soutien. C'est une mesure de justice que nous avons souhaité pouvoir porter.
De la même manière, un effort important a été fait pour revaloriser le montant minimum des retraites agricoles à 75 % du SMIC pour une carrière complète et, pour ce faire, revaloriser le stock et le flux.
L'État a fait appel à parité à l'augmentation du taux de cotisation de retraite complémentaire obligatoire et à la solidarité nationale, soit 10 millions d'euros supplémentaires - 110 millions d'euros par an.
Les propositions que nous pourrions être amenés à faire en matière de fiscalité agricole sont annoncées pour 2018. La fiscalité agricole actuelle repose sur des raisons objectives, comme une intensité capitalistique importante de l'activité agricole, associée à une forte variabilité des revenus tirés de l'exploitation liée aux aléas climatiques, sanitaires ou économiques, une pluriactivité essentielle, et une exploitation individuelle et familiale à la base, mais de plus en plus tentée par des formats sociétaires.
La fiscalité est une matière vivante, qui n'a pas connu beaucoup d'évolutions ces dernières années. Bruno Le Maire l'a indiqué il y a quelques semaines : le Gouvernement va ouvrir un chantier sur la fiscalité agricole pour formuler un certain nombre de propositions innovantes en 2018. Je ne puis anticiper sur les résultats d'un travail qui n'est pas encore lancé, mais les questions que vous posez sur ce sujet méritent toute notre attention. Nous définirons rapidement le périmètre de la réflexion et pourrons revenir devant vous pour traiter ce sujet. Vous aurez peut-être l'occasion de le faire en commission.
Vous m'avez interrogé sur les ICHN. Quel est le calendrier de la réforme ? Le zonage des zones défavorisées simples, hors zones de montagne, pouvant bénéficier de l'ICHN devait être revu pour 2018. Les premières hypothèses, qui avaient été élaborées par le précédent Gouvernement, conduisaient à un surcoût important pour l'État et le FEADER.
Nous devons poursuivre ce travail et ces investigations en prenant en compte les besoins des zones fragiles et les possibilités budgétaires, tant nationales que communautaires. Nous avons obtenu un décalage à 2019 de la révision du zonage dans le règlement omnibus. Il existe aujourd'hui un trilogue entre les institutions européennes et l'ensemble des États membres.
Les travaux pour définir ce nouveau zonage ont été engagés. Ils visent à définir aujourd'hui une carte de zone éligible qui soit claire et qui garde du sens. Des zones sont aujourd'hui éligibles pour des raisons historiques, sans justifier pour autant de critères qui permettent de leur attribuer cette aide. Nous avons pu voir, dans un certain nombre de cas, des zones de plaines bénéficiant de l'ICHN, qui n'avaient strictement rien à y faire.
Avant de retravailler sur le périmètre global, regardons d'abord les zones qui n'ont rien à faire dans le périmètre de l'ICHN, et déterminons où elles sont nécessaires. Il nous reviendra ensuite de paramétrer à nouveau le zonage global. Vous savez que plus on agrandira le périmètre, plus les zones seront faibles.
Nous avons besoin de trouver le système le plus juste et le plus équitable possible. Nous avons aujourd'hui beaucoup de demandes de la part de sénateurs et de députés. Il y aura toujours des « effets de bord » qui ne permettront pas à certains territoires d'entrer dans le zonage, mais nous allons essayer de faire en sorte que le travail que nous allons mener soit le plus juste possible et corresponde aux besoins.
Cela ne va pas faire plaisir à ceux qui vivent dans les zones de plaine, mais il va falloir leur expliquer qu'ils n'ont pas à bénéficier de ces aides.
Quant aux refus d'apurement, leur montant a considérablement augmenté ces dernières années. Je m'inscris en faux par rapport à l'interprétation qui a été avancée : l'augmentation résulte de l'aboutissement d'un certain nombre d'audits relativement anciens, et d'un renforcement des exigences communautaires, notamment sous la pression de la Cour des comptes européenne. Des mesures ont été mises en oeuvre afin de réduire ces refus.
La refonte du registre parcellaire graphique a entraîné nombre de difficultés et les retards que vous connaissez dans le paiement des aides PAC.
Je voudrais rendre hommage aux fonctionnaires, aux directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) et aux directions départementales des territoires (DDT), qui sont en première ligne devant les agriculteurs.
Je suis allé voir comment ils travaillaient. Ce n'est pas simple, et j'ai mieux compris pourquoi nous avions un certain nombre de retards...
Pour répondre à la question du sénateur Bertrand, aujourd'hui, c'est bel et bien le ministère de l'agriculture qui assure la tutelle de ces services déconcentrés. Nous leur faisons confiance pour travailler, mais des consignes sont données, et elles doivent être appliquées par les services déconcentrés - et vous pouvez nous faire confiance pour que ce qui est décidé soit suivi d'effet.
J'ai rencontré les directeurs départementaux des territoires la semaine dernière. Je leur ai rappelé la logique de notre action et la manière dont nous devions travailler.
Pour ce qui est de la filière bio, ce secteur enregistre depuis 2015 une croissance très importante. La demande sociale est très forte, et la progression se poursuit d'année en année. Au 30 juin 2017, ce sont plus de 51 000 opérateurs qui se sont engagés dans le bio, dans plus de 35 000 exploitations. Les surfaces cultivées en bio en 2017 sont estimées à 1,77 million d'hectares, en hausse de 15 % par rapport à 2016.
Nous avons demandé des plans de filière avec des objectifs fixés pour cinq ans pour les produits sous signe d'identification de qualité ou les produits bio. Nous ne cherchons pas aujourd'hui à développer un seul et unique modèle. Comme je l'ai toujours dit depuis mon arrivée au ministère, il ne s'agit pas d'opposer les systèmes agricoles les uns aux autres, mais de les faire converger. Comment réussir la transition ? Comment renouveler nos pratiques agronomiques ?
Le développement de ces systèmes doit être en phase avec les attentes des consommateurs, et je souhaite que les acteurs du bio puissent s'engager dans des travaux qui seront conduits dans chacune des filières.
Nous avons besoin d'accompagner la transformation des différents modèles. Concernant le soutien financier aux producteurs qui s'engagent dans le mode de production biologique, l'État recentre ses moyens sur les aides à la conversion. En matière d'aide au maintien, il revient désormais aux régions, avec la connaissance fine qu'elles ont et le maillage des territoires qu'elles constituent, de répondre à la demande. Elles peuvent le faire ou non. Nous n'entrons pas dans ce débat : il en va de la libre administration des collectivités, et c'est aux régions de juger ce qu'elles peuvent faire.
Je sais qu'en matière d'aide à l'agriculture biologique, un certain nombre de régions ne font pas la même chose. Certaines ont plafonné les aides, d'autres ne l'ont pas fait. Nous faisons le pari que nous aurons demain plus d'agriculteurs à se convertir aux filières bio. Nous faisons le pari, demain, parce que la demande sociale est forte, d'augmenter la surface cultivable en bio. Certains peuvent trouver que c'est insuffisant - et M. le sénateur Labbé l'a dit tout à l'heure - mais nous n'allons pas nous priver si nous parvenons à passer de 6 % à 8 % la surface cultivable en bio à l'horizon 2022.
Je suis pragmatique : j'essaye de fixer des objectifs que je puisse atteindre, quitte à les revoir et à pousser derrière. Si nous n'y avions pas cru, croyez-vous que nous nous serions engagés ?
Quelqu'un m'a conseillé tout à l'heure d'aller contre les propos du Président de la République. Cela ne me viendrait jamais à l'idée ! Ce que nous faisons est totalement partagé. L'objectif de voir la restauration collective recourir à 50 % à des produits bio ou issus de circuits courts à l'horizon 2022 est ambitieux. Nous avons besoin que davantage d'agriculteurs se convertissent au bio.
Le crédit d'impôt en faveur de l'agriculture bio a été prolongé par l'Assemblée nationale. Il y a d'ailleurs eu confusion. On a parlé du rétablissement des aides au maintien. Cela n'a rien à voir ! Ce crédit d'impôt est accordé à tous les agriculteurs bio. Ce crédit d'impôt, qui devait s'arrêter au 31 décembre 2017, a été prolongé pour 2018. C'est un signe particulier que nous envoyons à l'agriculture biologique.
Il faut faire confiance au marché. La demande est là. C'est le marché qui la régule. Ce marché peut répondre aux objectifs de croissance et de compétitivité d'une filière dans laquelle nous croyons et sur laquelle nous voulons miser. Nous travaillons avec les régions et nous attendons un prochain comité État-région pour décider ensemble de ce que nous ferons. Des sommes seront affectées aux régions au titre du FEADER. Les régions seront libres de décider ce qu'elles feront de cette manne financière.
Concernant la rémunération des services environnementaux, celle-ci fait l'objet d'une réflexion dans le cadre de la PAC post-2020. Ces services sont aujourd'hui rémunérés à travers le verdissement et les MAEC. On a besoin d'aller beaucoup plus loin pour mieux accompagner les agriculteurs dans l'amélioration de leurs performances économiques et environnementales, et définir des dispositifs dans le cadre d'une réglementation plus adaptée.
L'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada est entré en application provisoire le 21 septembre 2017. Une commission d'experts en a examiné l'impact. Un plan d'action est mis en place pour apporter des réponses concrètes et opérationnelles à un certain nombre d'enjeux identifiés. Il s'agit d'assurer concrètement une mise en oeuvre exemplaire du CETA, et d'améliorer la prise en compte des enjeux sanitaires et de développement durable dans les futurs accords commerciaux. Jean-Claude Juncker, dans son discours au Parlement européen, a parlé de réciprocité et souhaité qu'il n'existe pas de concurrence déloyale. Nous serons très vigilants en matière de contrôles. Il existe aujourd'hui des principes fondamentaux dans l'Union européenne.
Les bases de l'accord sur le MERCOSUR remontent à 1999. Depuis, l'économie a changé. À cette époque, l'euro n'avait même pas vu le jour. Je comprends l'inquiétude de la filière bovine lorsqu'on dit qu'on va importer 70 000 tonnes de viande bovine - plus particulièrement les morceaux nobles de l'aloyau.
Le Président de la République a rappelé que nous souhaitions défendre la filière bovine française et la filière européenne. Nous l'avons répété à Jean-Claude Juncker, avec neuf autres ministres de l'agriculture de l'Union européenne, à la suite du dernier Conseil des ministres européens. Nous souhaitons que l'accord ne fragilise pas ces filières.
Les discussions sont en cours. Je serai heureux de pouvoir vous communiquer des informations à ce sujet lorsque vous le jugerez utile.
Pour ce qui est des aides aux CUMA, le dispositif est préservé en 2018. J'y suis très attaché. Je viens de l'Ouest, où les CUMA sont nombreuses. Je sais ce que cela pèse dans notre économie, et les services que cela rend à nombre d'agriculteurs.
Ce dispositif est doté de 1,6 million d'euros, au-delà de l'exécution prévisionnelle de 2017 et au niveau de la réalisation 2016, qui s'établit à 1,8 million d'euros.
Ce soutien actif nous permet de réaliser un certain nombre de diagnostics stratégiques des CUMA afin de permettre une plus grande performance des entreprises. Je souhaite encourager toutes les formes d'investissement collectif. Les CUMA représentent un certain nombre de solutions. J'ai proposé que nous puissions, dans la prochaine PAC, financer ces outils collectifs. Ceci serait de nature à permettre à des agriculteurs et à des producteurs de bénéficier de matériels plus importants et d'envisager d'autres spécificités...
Mme Sophie Primas, présidente. - Il semble, monsieur le ministre, que nous n'ayons pas les mêmes chiffres...
M. Jean-Claude Tissot. - En 2017, s'agissant de l'action 23, on avait 2,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 3 millions en crédits de paiements, contre 1,6 million d'euros cette année. Je suis néanmoins content d'entendre votre plaidoirie en faveur des CUMA.
M. Stéphane Travert, ministre. - Nous allons vérifier les chiffres. On est en fait aujourd'hui au-dessus de l'exécution, soit 1,1 million d'euros. Cela constitue un gain par rapport au prévisionnel.
Ce sont des dispositifs auxquels je suis attaché. Si les chiffres avaient diminué, on m'aurait alerté.
Concernant la gestion quantitative de l'eau, nous traversons des périodes de sécheresse, et la multiplication des événements climatiques rend nécessaire l'amélioration du stockage. J'ai étudié ce dossier dès ma prise de fonction avec Nicolas Hulot. Nous avons installé la semaine dernière une cellule consacrée à l'eau qui regroupe les représentent des agriculteurs, France Nature Environnement et un certain nombre d'experts de nos ministères pour passer en revue les projets existants.
Nous voulons lever les freins qui font obstacle à leur réalisation. Certains ont vu le jour il y a un certain nombre d'années et ont du mal à être mis en oeuvre. On doit donc en discuter. Le groupe sur l'eau est chargé d'examiner les 47 projets qui existent sur le territoire national et, en fonction de ce qui aura été décidé, de les déverrouiller. C'est une demande forte du Président de la République et du Premier ministre. Un énorme travail reste à faire sur ce sujet.
Il va falloir comprendre les blocages et déminer le terrain aussi vite que possible. Je fais confiance à l'interministérialité. J'y serai attentif. Je sais ce que cela représente pour les territoires. Je souhaite donc des résultats concrets.
Quant à la gestion du loup, j'ai répondu la semaine dernière à une question orale d'une sénatrice des Hautes-Alpes du groupe Les Républicains. Dans la presse locale, elle prétendait que sa question m'avait irrité. Peut-être est-ce la fougue avec laquelle je réponds parfois aux questions au Gouvernement, mais je n'étais nullement irrité ! La gestion du loup, nous l'avons prise à bras-le-corps dès mon arrivée.
On le sait, la population de loups a nettement augmenté depuis ces dernières années. On compte en France 360 loups, répartis sur 31 départements. Cela occasionne 10 000 victimes par an, essentiellement des ovins.
Le coût des mesures de protection des troupeaux - gardiens, clôtures, chiens - répondant aux besoins des éleveurs a représenté 22,5 millions d'euros en 2016. Il augmente chaque année. Les indemnisations, quant à elles, sont prises en charge par le ministère de la transition écologique et solidaire. Le montant inscrit dans le projet de loi de finances prend en compte l'augmentation de la population des loups.
Je soutiens auprès de la Commission européenne le relèvement du taux de prise en charge des crédits publics en faveur de l'embauche de bergers. Je défends les éleveurs, je l'ai dit au Sénat. Je reçois des délégations au ministère. Je me suis rendu dans quelques territoires pour constater les dégâts que le loup provoque. Mon objectif est de tendre vers zéro attaque.
Comment gérer cette affaire ? Je suis attaché à l'agropastoralisme, qui construit nos paysages, aménage nos territoires. Pas de pays sans paysans, dit-on. Je souhaite également que la biodiversité puisse fonctionner normalement. Le Premier ministre a demandé à Nicolas Hulot et à moi-même de définir un plan loup pluriannuel, afin qu'on n'ait pas à revenir chaque année sur cette comptabilité morbide qui autorise à prélever 30, 40 loups. Nous souhaitons traiter ces questions en fonction de la pression de la prédation.
Dans les départements où le loup est présent et qui ne subissent qu'une attaque par an, est-il nécessaire de mobiliser des efforts et des financements importants, alors que d'autres, comme les Hautes-Alpes, les Alpes de Haute-Provence ou les Alpes-Maritimes connaissent plus de 110 attaques par an ? Nous devons donc concentrer nos efforts, en coordination avec les préfets, pour diminuer la prédation.
C'est le travail que nous menons aujourd'hui. Des arbitrages interministériels techniques et financiers sont en cours. On peut en effet considérer que ces 22,5 millions d'euros sont mal employés, et que la dépense est trop importante par rapport aux résultats. Il n'est pas normal de consacrer une telle somme à ce sujet et que ces affaires reviennent sur le tapis en permanence.
Il nous faut donc respecter les objectifs de biodiversité que nous nous sommes fixés, mais aussi protéger les éleveurs, et faire en sorte de trouver les solutions les plus pérennes, en allant au plus près du terrain et en faisant en sorte que le loup ne puisse revenir sur les territoires où, se sentant en sécurité, il tue des ovins.
Pour ce qui est du foncier, plusieurs transactions ont, ces dernières années, posé question sur la pertinence et l'adéquation des outils de régulation du foncier. Ces phénomènes relèvent de la « sociétarisation » des structures de portage du foncier ou des structures d'exploitation, mais sont également lié à la concentration qui intervient dans le domaine agricole.
Plusieurs tentatives de renforcement des outils de régulation du foncier se sont révélées assez infructueuses. Cela démontre la complexité d'un sujet qui nécessite d'être appréhendé dans sa globalité. Je souhaite que nous puissions, à ce titre, mener une réflexion d'ensemble dans les prochains mois, afin d'adapter les outils de régulation qui n'ont fait l'objet d'aucune réforme depuis leur conception. C'est un travail que nous allons entreprendre courant 2018. Vous y serez associés.
S'agissant des associations foncières pastorales, un amendement sera déposé dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2017, pour renouveler pour trois ans les dégrèvements relatifs à la taxe sur le foncier non-bâti. Votre demande sera donc satisfaite.
Concernant la forêt, les crédits sont en baisse de 25,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 5,2 millions d'euros en crédits de paiement par rapport à la loi de finances initiale 2017. Cette diminution provient essentiellement de l'aboutissement du plan chablis mis en oeuvre à la suite de la tempête Klaus de 2009. Ce plan a été doté de 490 millions d'euros de crédits français et européens sur la totalité de la période.
Le budget alloué au Fonds stratégique bois (FSB) est en diminution en 2018, suite à une très forte augmentation en 2017. Le budget 2018 du FSB reste deux fois supérieur aux dépenses de 2016, soit environ 8 millions d'euros. Les crédits futurs s'inscriront dans le cadre du grand plan d'investissement. En parallèle, nous proposons, dans le cadre du PLFR 2017, la reconduction des mesures fiscales dites « DEFI forêt » destinées à favoriser l'investissement et la gestion durable des forêts.
Enfin, les crédits des opérateurs forestiers sont globalement maintenus, les effectifs et le budget de l'ONF sont stables. Un contrat d'objectifs et de performance (COP) est en cours de discussion.
Quant aux centimes forestiers, deux textes, un décret et un arrêté ont été publiés en mai. Il prévoit que les chambres régionales qui le souhaitent puissent mettre en oeuvre un service commun dénommé « valorisation du bois et territoire ». Le dispositif et son financement demeurent au sein de la sphère des chambres, mais une meilleure représentation des forestiers est assurée pour l'utilisation de ces crédits.
Le secteur « forêt bois » a besoin des chambres d'agriculture, de leur technicité, de leurs compétences, de leur implication pour créer de la valeur ajoutée et de l'emploi au sein des territoires. Il est nécessaire qu'elles travaillent en synergie avec les centres régionaux de la propriété forestière (CRPF), très impliqués auprès des forestiers. Il faut qu'elles donnent plus de place aux acteurs du secteur pour la programmation d'un certain nombre d'actions.
Nous souhaitons aujourd'hui que le travail soit lancé dans les territoires entre les chambres régionales d'agriculture et les CRPF, au bénéfice de la filière et de l'emploi. Il est trop tôt pour parler de « rapprochement ». Il va être demandé aux directions régionales de l'agriculture et de la forêt (DRAF) de s'investir dans ce dossier pour faciliter l'ensemble des échanges.
S'agissant des aides à l'amélioration des peuplements forestiers, des propositions sont formulées dans le cadre des discussions sur l'utilisation du FSFB pour mettre en place des dispositifs de soutien à l'amélioration des peuplements forestiers. C'est un facteur important de compétitivité de nos forêts et du secteur « forêt bois ». Il faut identifier les meilleurs effets de levier de l'ensemble des crédits publics.
Quant à l'enseignement agricole privé, le ministère de l'agriculture reconnaît sa contribution essentielle au service public de l'éducation. Il représente 62 % de l'effectif total. Nous accompagnons l'enseignement agricole privé à travers des protocoles pluriannuels, sont conclus avec les fédérations appropriées.
Les protocoles de négociation pour améliorer le soutien de l'État à l'enseignement privé dans le cadre du plan budgétaire contraint s'achèvent fin 2017. La dépense par élève supportée par l'État est passée de 5 284 euros en 2002 à 7 133 euros en 2017, soit une augmentation de 35 %. Le taux de couverture théorique d'un élève était de 78,4 % en 2016. Il est en augmentation par rapport à 2002, date à laquelle il était de 76%.
Nous continuons à travailler sur ce sujet pour définir un protocole d'accord avec l'enseignement privé. Je pense que nous allons y parvenir - mais nous avons encore besoin de discuter. La formation est un enjeu essentiel pour accompagner la transition voulue par le Gouvernement, d'où la priorité que j'ai donnée à l'enseignement dans ce budget. Il est nécessaire de continuer à adapter les formations aux nouveaux enjeux et aux nouvelles pratiques agronomiques.
Ceci me permet de faire le lien avec la question de Mme la présidente...
Aujourd'hui, l'objectif est de sortir progressivement de l'utilisation des pesticides et des produits phytosanitaires, mais nous avons besoin d'aider les agriculteurs. Il ne s'agit pas de réaliser des sorties brutales qui mettraient les personnes en difficulté. Il nous faut répondre à un certain nombre d'impasses techniques. Pour cela, il faut mobiliser la recherche et tous les instituts techniques pour trouver des solutions plus durables et plus propres.
Nous sommes tous concernés par cet objectif. Nous devons permettre aux agriculteurs de renouveler leurs pratiques agronomiques. C'est pour cela que nous nous appuyons sur le travail et les avis de l'ANSES. Les décisions que je prends reposent sur le droit et la science. Je ne puis m'appuyer sur autre chose.
Dans l'épisode du Sulfoxaflor, l'autorisation de mise sur le marché a été donnée par l'ANSES. Il se trouve qu'au même moment, nous avons appris que des données complémentaires existaient en Irlande. Nous avons pris nos responsabilités en tant que ministère de tutelle.
L'ANSES rend ses avis de manière libre et totalement indépendante. Lorsque l'existence de ces données a été révélée, les ministères de l'environnement, de l'agriculture, de l'enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que de la santé ont saisi l'ANSES pour lui demander d'étudier ces données et de faire en sorte, le cas échéant, de revoir l'AMM qu'elle avait émise. Nous attendons pour l'instant ses conclusions.
Cette agence a toute la confiance du Gouvernement. Nous nous appuyons donc sur les avis des scientifiques et le droit.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Mon fils est en deuxième année d'ingénierie agronomique à Nancy. Aujourd'hui, en matière de phytotechnie, on ne recherche plus les adventices dans un champ - on considère cela comme de l'agriculture productiviste : on va dans le fossé faire de la botanique ! Est-ce ainsi qu'on va résoudre les problèmes de l'agriculture de demain ? C'est totalement dogmatique ! Il faut arrêter, sortir de ce système. Pour traiter les adventices, il faut d'abord les reconnaître. On peut ainsi trouver des pratiques culturales qui permettent de limiter le nombre de passages ou de produits phytosanitaires. Ce n'est pas en repoussant le problème et en caricaturant les choses qu'on formera nos enfants !
M. Stéphane Travert, ministre. - Cela me permet, pour conclure, de revenir à ce que disait Mme Férat : on a besoin d'agriculteurs qui se sentent reconnus. Le changement des pratiques agronomiques peut y contribuer. Nous avons également besoin d'agriculteurs correctement formés, qui ne se sentent pas stigmatisées dans leurs pratiques.
Je sais les efforts qu'ont faits un certain nombre d'agriculteurs, notamment ceux qui travaillent dans les grandes cultures, pour diminuer, voire supprimer les produits phytosanitaires. Je ne peux que les encourager à aller en ce sens, mais il nous faut aussi les accompagner et trouver des solutions durables pour leur permettre de répondre aux défis environnementaux, climatiques et économiques de leur secteur.
J'espère avoir répondu à l'ensemble de vos questions. Nous restons en tout état de cause à votre disposition.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci pour vos réponses très complètes et la qualité de cette audition.
Il y a encore probablement des points de désaccords ou des différences de lecture au sujet du budget. Je pense notamment que les questions relatives aux retraites, à la baisse des charges ou à la disparition du CICE seront à nouveau soulevées.
Je vous indique que nous avons mis en place au sein de la commission un groupe de suivi des États généraux de l'alimentation. Nous aurons à coeur de suivre vos travaux, vos recommandations et leur mise en oeuvre dans les mois qui viennent.
Vous trouverez toujours des interlocuteurs particulièrement motivés sur ces questions.
La réunion est close à 19h05.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 22 novembre 2017
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Examen du rapport pour avis
Mme Sophie Primas, présidente. - Notre ordre du jour est particulièrement chargé aujourd'hui et, dans le prolongement de la très longue audition, hier soir, du ministre en charge de l'Agriculture, nous commençons nos travaux par notre avis budgétaire sur la mission « agriculture ».
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - C'est avec une certaine émotion que je vous présente pour la première fois les crédits de l'agriculture. Nous allons, à trois voix, vous livrer notre analyse du budget 2018 prévu pour l'agriculture, et je me félicite du travail en commun que nous avons mené dans une excellente ambiance.
Mon propos tiendra en trois points. Tout d'abord, le contexte pour l'agriculture reste difficile : la mutualité sociale agricole a publié ses derniers chiffres en octobre qui montrent que 30 % des exploitants agricoles avaient gagné l'année dernière moins de 350 euros par mois, et 20 % étaient en déficit. Naturellement, les réalités varient exploitation par exploitation et filière par filière, mais globalement l'année 2016 a été très difficile, en particulier dans le secteur céréalier avec des rendements historiquement faibles. Dans le secteur du lait et en viande bovine, les prix bas ont également pénalisé les éleveurs.
L'année 2017 est marquée par une certaine amélioration avec un retour à des rendements normaux en céréales, une hausse des prix du lait et la bonne tenue des ventes de broutards à l'export. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps : l'agriculture française reste fragile économiquement pour au moins trois raisons.
- La volatilité des prix expose à des retournements violents de situation : on l'a vu dans le lait ces dernières années. Ce phénomène s'aggrave et devient de plus en plus « meurtrier » tandis que la PAC ne joue plus son rôle d'amortisseur de crises.
- La concurrence internationale est de plus en plus forte et l'ouverture des marchés avec les négociations comme le CETA avec le Canada et bientôt avec le Mercosur, oblige notre agriculture à aller vers plus de compétitivité, faute de quoi elle disparaîtra en tant qu'activité économique.
- Dans le rapport de force au sein des filières agricoles et alimentaires, l'agriculteur est toujours le plus faible : 500 000 agriculteurs font face à 3 000 entreprises de transformation et quatre acheteurs de la grande distribution. Ces centrales d'achat font la pluie et le beau temps d'autant que leur nombre est passé de sept à quatre.
Un élément complique encore davantage la situation des agriculteurs : les retards dans les versements des aides de la PAC. Depuis la réforme de 2014, le système ne tourne pas rond. Certes, les avances de trésorerie remboursable (ATR) ont permis de régler jusqu'à 90 % des aides, mais certains dispositifs sont encore en retard, en particulier les aides au bio ou les mesures agroenvironnementales climatiques (MAEC). Dans ce système qui s'apparente un peu à une « usine à gaz », on nous promet un retour à un calendrier normal de versement des aides en 2018, au prix d'un réajustement à la hausse des moyens du ministère et de l'Agence de services et de paiements. On aimerait croire à ce scénario car les trois dernières années ont été difficiles. Les paysans en arrivent à ne plus savoir à l'avance quels seront les montants d'aide qu'ils percevront.
Au-delà des facteurs économiques, il y a une raison plus profonde et plus préoccupante de la fragilisation de notre agriculture et de nos agriculteurs : ceux-ci en ont assez d'être sans cesse au banc des accusés. Le débat sur les pesticides en général et le glyphosate en particulier est emblématique de cette crise de confiance vécue comme une profonde injustice. Notre agriculture produit, en effet, une alimentation de grande qualité. Nous assurons une traçabilité de nos productions qui n'existe quasiment nulle part ailleurs. Nous avons une gestion technique, tant en cultures végétales qu'en élevage, remarquable. Nous faisons aussi d'importants efforts en matière de produits phytopharmaceutiques ou encore de maîtrise des effluents. Nous sommes également très attentifs au bien-être animal en élevage. Malheureusement, ce n'est jamais assez ! Au-delà des arguments économiques, de la dureté du métier, c'est ce sentiment d'être les mal-aimés de la société française qui décourage les vocations.
Il faut avoir à l'esprit ce contexte lorsque l'on examine le budget 2018 et j'en viens maintenant au deuxième point de cet exposé : l'analyse des crédits.
En légère baisse de 3,1 % en autorisations d'engagement et en hausse de 1,3 % en crédits de paiements, les crédits de la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » seront assez proches en 2018 de ce qu'ils étaient en 2017. La mission représente ainsi 3,4 milliards d'euros. Je note qu'elle enregistre le retour dans son giron de la pêche maritime, qui relevait jusqu'à l'année dernière du budget de l'écologie. Mais l'enjeu budgétaire est modeste : 45 millions d'euros. Je signale également que ces crédits ne sont pas les seuls gérés par le ministère de l'agriculture, qui a aussi la responsabilité, d'une part, de l'enseignement technique agricole, avec 1,45 milliard d'euros relevant du programme 142, et, d'autre part, de l'enseignement supérieur et la recherche agricole avec 350 millions d'euros relevant du programme 143. Par ailleurs, bien d'autres ressources viennent en appui à la politique agricole, à commencer par la PAC qui apporte chaque année une contribution de l'ordre de 9 milliards d'euros à la France, dont un peu moins de 7,3 milliards d'euros proviennent du 1er pilier et environ 1,7 milliard d'euros du deuxième pilier. En outre, la Commission des finances chiffre à 6,5 milliards d'euros les allègements sociaux et fiscaux dont bénéficie l'agriculture française, ce qui conduit à évaluer les concours publics à l'agriculture à environ 20 milliards d'euros par an. Enfin, je rappelle que le budget du ministère de l'agriculture est essentiellement un budget de fonctionnement avant d'être un budget d'appui aux exploitations agricoles : les dépenses de personnel représentent 890 millions d'euros et les subventions aux établissements publics et autres organismes sous tutelle du ministère de l'agriculture - qui servent essentiellement à payer leurs personnels - représentent presque 550 millions d'euros.
Le maintien du budget de la mission en 2018 par rapport à 2017 pourrait être considéré comme une bonne nouvelle, surtout qu'en 2017, ce budget était en hausse de 15 % par rapport à 2016. Toutefois, plusieurs raisons amènent à nuancer ce jugement :
- Premièrement, comme en 2016, la dotation 2017 devrait se révéler insuffisante, compte tenu de nombreux aléas budgétaires : crise dans le secteur du foie gras, règlement des refus d'apurement communautaire. En juin dernier, la Cour des comptes avait estimé le dépassement entre 1,5 et 1,7 milliard d'euros. La Commission des finances du Sénat retient un montant plus faible mais encore significatif : 627 millions d'euros. Concrètement, cela signifie que le budget de l'agriculture est structurellement sous doté. Un seul exemple : aucun crédit n'est prévu pour le régime des calamités agricoles. Dans le projet de loi de finances rectificative qui vient d'être déposé, la mission « agriculture » est destinataire d'un peu plus d'un milliard d'euros de crédits supplémentaires.
- Deuxième raison : le maintien des crédits par rapport à 2017 résulte d'un montage très particulier dans le budget 2018. Avec la fin de l'exonération de sept points de l'assurance maladie des exploitants agricoles, la compensation qui était prévue au budget disparaît. Cela aurait dû conduire à baisser le budget de l'agriculture de 438 millions d'euros. Cet écart est rattrapé à cause de deux phénomènes. D'une part à cause d'une inscription de plus de 80 millions d'euros de plus en crédits de paiement sur les mesures agroenvironnementales et l'agriculture biologique, non pas pour permettre de financer davantage de dossiers mais pour rattraper les retards de paiement des exercices antérieurs, et d'autre part ce rattrapage s'explique grâce à l'inscription d'une provision de 300 millions d'euros, destinée à régler des dépenses imprévues.
Une telle mesure pourrait être saluée comme une mesure de prudence bienvenue. Mais on peut craindre qu'elle devienne un solde de tout compte et un argument pour refuser des augmentations de budget durant l'année 2018 en cas de survenance de nouvelles crises. Bref, ce « cadeau » pourrait être empoisonné car insuffisant pour faire face à des difficultés imprévues : nouvelle grippe aviaire, nouveau refus d'apurement communautaire, besoins importants du fonds des calamités agricoles.
Pour terminer mon deuxième point sur les grands équilibres budgétaires, je dirai un mot sur le compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » dit CASDAR. Ce sont les agriculteurs qui l'alimentent à travers une taxe spécifique : la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitations. Le CASDAR finance l'innovation en agriculture, notamment les programmes des chambres d'agriculture et ceux des instituts techniques agricoles. Il joue donc un rôle très important. Malheureusement, les mauvais résultats des exploitations amènent à réviser à la baisse cet instrument financier : les 147,5 millions d'euros prévus en 2017 n'ont pas été au rendez-vous. Pour 2018, le budget est donc ramené à 136 millions d'euros.
J'aborde maintenant mon troisième axe : les inquiétudes qui se dégagent à la lecture des choix budgétaires pour l'agriculture :
- La première porte sur la capacité à financer l'ensemble des mesures du deuxième pilier (et notamment la dernière année de versement de l'indemnité compensatoire de handicap naturel en 2020). Elle a en théorie été levée cet été avec le choix du Gouvernement de transférer 4,2 % des moyens du premier pilier de la PAC vers le deuxième pilier pour les années 2018 à 2020. Cette mesure permet de financer l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) à périmètre constant. D'ailleurs, le budget 2018 maintient les 264 millions d'euros de crédits nationaux appelés en cofinancement. Mais on sait que nous devrons revoir la cartographie des zones défavorisées d'ici 2020. Le règlement européen omnibus va nous donner un délai supplémentaire, mais il est clair que tout ajout de territoires bénéficiaires de l'ICHN réduira les aides touchées par les 100 000 agriculteurs qui en sont aujourd'hui bénéficiaires. On peut aussi déplorer que le calibrage trop juste du deuxième pilier de la PAC ait conduit au prélèvement sur le premier pilier qui a une conséquence très concrète : la baisse du montant des aides directes touchées par tous les agriculteurs. En résumé, pour sauver l'ICHN en 2020, on réduit les aides PAC de tous les agriculteurs dès 2018.
- Autre motif d'inquiétude : l'appui à l'investissement des exploitations agricoles ne semble plus être la priorité. Le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE) revient à son étiage bas de 56 millions d'euros. La rallonge de 30 millions d'euros n'est pas reconduite. Seuls 15 millions d'euros de crédits sont prévus mais plutôt pour de la mise aux normes sanitaires dans les élevages porcins et de volailles. Le Gouvernement a annoncé un grand plan d'investissement pour l'agriculture et l'agroalimentaire de 5 milliards d'euros. On n'en trouve pas trace dans le budget de l'agriculture en 2018. De même, il n'existe aucune dotation du programme des investissements d'avenir à destination de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Il faut espérer que le grand plan d'investissement ne consistera pas simplement à labelliser des dispositifs déjà existants comme le PCAE.
- Un autre sujet d'inquiétude concerne la compétitivité. En effet, la baisse de 7 points des cotisations d'assurance maladie des exploitants agricoles qui existait en 2016 et 2017 est supprimée par le PLFSS pour 2018. Les agriculteurs bénéficieront à la place d'une cotisation dégressive entre 1,5 % et 6,5 %. Seules les exploitations avec des revenus de moins de 13 500 euros par an seront gagnantes. Au passage, les agriculteurs dans leur ensemble paieront 120 millions d'euros de plus de cotisations maladie par an. La préoccupation d'améliorer la compétitivité de l'agriculture française en prend là aussi un coup et les baisses de cotisations sociales s'inscrivent désormais davantage dans une logique d'accompagnement social que dans une logique de soutien économique.
- Une autre curiosité relève non pas des crédits budgétaires mais du traitement des terres agricoles dans le cadre du remplacement de l'ISF par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Les terres détenus par la famille (hors famille très proche) sont traitées comme de l'immobilier et non pas comme un actif économique et ne sont pas exonérées d'IFI. Ce choix traduit une certaine méconnaissance des mécanismes de portage des terres des exploitations dans le milieu agricole et risque de faire fuir les capitaux familiaux des exploitations agricoles.
- Enfin, la gestion des risques n'est pas une priorité budgétaire. Même si les crédits FAC et Agridiff sont revus à la hausse, ils restent à un niveau anecdotique : un peu plus de 5 millions d'euros en tout. On peut s'interroger également sur la réelle volonté de développer les assurances multirisques climatiques. L'enveloppe de crédits est depuis deux ans une enveloppe de crédits exclusivement européens. Elle me semble cependant sous-dimensionnée, si bien que l'ajustement se fait sur le taux de subvention. Pourra-t-on garantir une subvention à 65 % cette année ? Rien n'est moins sûr. Enfin, le projet de loi de finances n'affiche aucune ambition d'encouragement de la gestion des risques : rien de nouveau sur la déduction pour aléas (DPA), ni d'ailleurs sur l'ensemble des mesures fiscales à destination de l'agriculture. Le Gouvernement semble remettre tout projet de modification à l'année prochaine.
Je terminerai en évoquant les quelques amendements que nous vous proposerons d'adopter :
- Le premier concerne le maintien du fonds d'accompagnement de la suppression du forfait agricole, remplacé par le micro-bénéfice agricole. Il avait été décidé de prendre en charge pendant cinq ans de manière dégressive le surplus de cotisations sociales dues en application de la réforme pour les quelques agriculteurs qui pourraient être perdants. Les montants en jeu sont faibles : 8 millions d'euros maximum par an, et en pratique à peine 2 millions d'euros réellement mobilisés. Le Gouvernement supprime ce fonds, ce qui est mesquin. Nous proposerons de le rétablir.
- Le deuxième amendement concerne la remontée des centimes forestiers des chambres départementales d'agriculture vers le fonds national de péréquation. Cette mesure a été adoptée par les députés sur proposition du Gouvernement, sans aucun débat et un peu par surprise. Les chambres d'agriculture ne sont pas d'accord avec ce schéma. Nous proposerons donc, pour ne pas trop pénaliser les chambres d'agriculture des départements forestiers, que seule une fraction des centimes forestiers remonte au niveau national.
Pour conclure, et parce que je ne peux avoir qu'une confiance très limitée dans la capacité du budget agricole 2018 à faire face aux lourds enjeux pour nos exploitations, je propose un avis défavorable sur l'adoption des crédits de la mission : « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis.- Il m'appartient à mon tour de vous parler du budget 2018 pour l'agriculture. Je ne dresserai pas à nouveau le panorama de ce budget mais je m'attarderai sur quelques questions essentielles.
La première porte sur la complémentarité entre fonds européens et fonds nationaux. De nombreux dispositifs sont cofinancés par l'État et l'Union européenne à travers le deuxième pilier de la PAC, porté financièrement par le fonds européens agricole pour le développement rural (FEADER). Les dotations budgétaires du programme 149 sont, pour certaines d'entre elles, la contrepartie de crédits européens encore plus importants : c'est vrai sur l'ICHN, mais aussi sur le PCAE, sur l'installation des jeunes agriculteurs, mais aussi sur les mesures agro-environnementales et l'aide à l'agriculture biologique. Les arbitrages rendus cet été ont consisté à prélever sur le premier pilier pour donner davantage de moyens au deuxième pilier, mis trop fortement à contribution.
Une ligne budgétaire est emblématique des tensions budgétaires sur l'enveloppe de crédits européens : celle de l'aide aux mesures agroenvironnementales et à l'agriculture biologique. Pour 2018, les crédits de paiement sont plus que doublés et passent à 157 millions d'euros, afin de régler la part de l'État sur des engagements antérieurs, mais les autorisations d'engagement, c'est à dire les capacités nouvelles à soutenir les mesures agroenvironnementales et le bio, baissent de 85 à 81,4 millions d'euros. L'agriculture biologique connaît en effet un développement rapide, en particulier depuis 2015 : les surfaces ont fortement progressé et représentent désormais presque 6 % de la SAU, soit un peu plus d'1,5 million d'hectares. Compte tenu des conversions bio en cours, on devrait connaître une hausse des productions en agriculture biologique de l'ordre de 20 % par an d'ici 2020. Le bio bénéficie en effet d'un engouement de la part des consommateurs, ce qui pousse les agriculteurs à s'engager dans cette direction, même s'il existe toujours un risque, notamment de perte de rendement. Il ne faudrait pas croire cependant que le bio sera forcément le nouvel eldorado de l'agriculture française :
- D'une part, le bio ne restera un choix intéressant pour les agriculteurs que s'il existe un différentiel de prix substantiel avec les produits issus de l'agriculture conventionnelle, sinon ce sera un jeu de dupes.
- D'autre part, les moyens d'accompagnement du bio doivent suivre son développement. Et c'est là que l'on rencontre certaines difficultés. Ainsi, dans le budget 2018, le fonds avenir bio, destiné à aider à la structuration de la filière, reste doté de seulement 4 millions d'euros comme ces dernières années, alors que le bio a fortement progressé.
Le Gouvernement a dû également se résoudre à annoncer la fin des aides au maintien de l'agriculture biologique, car l'enveloppe est consommée par l'aide à la conversion. Seules les mesures de conversion pourront être soutenues à l'avenir. Le Gouvernement a demandé aux régions et aux agences de l'eau de prendre le relais mais cette éventualité est peu probable, compte tenu des contraintes budgétaires des uns et des autres.
En résumé, le budget en faveur de l'agriculture bio devient victime de son succès et l'enveloppe européenne n'est plus suffisante. Il faudra trouver de nouvelles ressources ou ralentir le développement de l'agriculture biologique.
Le deuxième sujet que je souhaite aborder est tout aussi important, voire plus encore que le premier : la formation des agriculteurs et l'installation des jeunes. C'est une priorité affichée depuis longtemps par le ministère de l'agriculture. L'enseignement agricole en est l'une des pierres angulaires, même si le passage dans l'enseignement agricole dirige vers une large palette de métiers en lien avec la nature et non pas seulement celui d'agriculteur. Le taux d'insertion professionnelle est excellent dans cette branche. Mais ce budget ne relève pas de la mission « agriculture ». Nous ne rentrerons donc pas dans les détails sur ce sujet.
Je détaillerai un peu plus mon propos sur les soutiens à l'installation des jeunes agriculteurs. Il y a là un enjeu majeur pour permettre le renouvellement des générations d'exploitants agricoles et pour assurer la préservation d'un modèle agricole qui est celui de l'exploitation familiale, à taille humaine, où l'agriculteur est celui qui travaille effectivement sa terre et s'occupe personnellement de ses bêtes. La politique de l'installation a connu l'année dernière une nouvelle réforme avec la fin des prêts bonifiés, remplacés par une majoration de la dotation jeune agriculteur (DJA), variable selon les régions. Les jeunes agriculteurs bénéficient aussi d'allègements de cotisations sociales les cinq premières années de leur activité et d'une majoration des droits à paiement dans le cadre de la PAC. Il y avait eu un regain des installations en 2015, avec plus de 15 000 nouveaux agriculteurs selon la mutualité sociale agricole (MSA). Mais une large part de ces installations se fait hors du parcours d'installation aidée ;
Pour 2018, le Gouvernement maintient un objectif de 6 000 installations aidées mais plusieurs éléments conduisent à s'inquiéter :
- D'abord, on a été loin des 6 000 installations aidées ces dernières années. Pour 2016, dernière année connue, seuls 4 130 nouveaux dossiers de DJA ont été financés. La tendance semble cependant être à l'accélération des dossiers de DJA en 2017 : le dispositif est devenu plus intéressant en injectant les fonds précédemment consacrés aux prêts bonifiés.
- Autre inquiétude : l'accompagnement à l'installation, pourtant indispensable, n'a cessé d'être réduit ces dernières années. Le dispositif d'accompagnement ne repose plus que sur les stages à l'installation, pour lesquels une enveloppe de 2 millions d'euros est maintenue en 2018 et le programme pour l'accompagnement à l'installation-transmission (AITA), qui n'est plus abondé que par la taxe sur les terrains rendus constructibles, pour un maximum de 12 millions d'euros par an, alors que cette taxe rapporte bien plus (18 millions en 2016 et déjà 15 millions d'euros à la mi-2017). L'installation dépend donc largement d'une taxe fiscale affectée.
- Enfin, la ligne pour la DJA est un peu rabotée cette année, passant de 40 à 38,4 millions d'euros. En tenant compte du cofinancement européen de 80 % sur cette mesure, c'est en réalité 6,4 millions d'euros en moins sur l'installation.
J'appelle à ne pas baisser la garde sur le soutien à l'installation : il ne faudrait pas qu'une reprise des installations soit freinée par des enveloppes budgétaires calculées de manière trop restrictive.
La troisième question sur laquelle je souhaite que l'on s'attarde concerne la sécurité sanitaire, qui constitue un enjeu tant sanitaire qu'économique. Le programme 206 porte les crédits de la sécurité sanitaire, qui augmentent de près de 10 % cette année et s'élèvent à un peu plus de 550 millions d'euros, après la hausse de 4,5 % déjà enregistrée l'année dernière. Ce renforcement est une nécessité, face aux menaces sur le secteur végétal comme la bactérie xylella fastidiosa, comme dans le secteur animal avec l'influenza aviaire qui a touché les élevages de canards ou encore avec la tuberculose bovine.
Je souligne que la surveillance sanitaire s'inscrit dans un cadre qui n'est pas seulement national. En effet, les États membres de l'Union européenne doivent mettre en place des plans de surveillance et des plans de contrôle destinés à s'assurer du haut niveau de sécurité sanitaire des aliments. De plus, les alertes doivent aussi être partagées au niveau européen au sein du Système d'Alerte Rapide pour les Denrées Alimentaires et les Aliments pour Animaux (RASFF) afin de protéger le consommateur. C'est ce qui a été fait mais avec retard dans l'affaire du Fipronil sur les oeufs cet été. Disposer d'un haut niveau de sécurité sanitaire du champ à l'assiette est une condition pour garantir la protection de la santé publique des consommateurs. Mais c'est aussi une condition de la réussite économique de l'agriculture et de l'agro-alimentaire. En cas de problème, les consommateurs se détournent rapidement des produits soupçonnés. Les marchés extérieurs se ferment aussi dès qu'une maladie animale se propage, comme la fièvre catarrhale ovine. La perte du statut d'indemne a pour conséquence directe la fermeture des frontières et la fin des échanges commerciaux.
L'indemnisation des crises sanitaires constitue également un enjeu économique fort pour les agriculteurs. La crise de l'influenza aviaire a nécessité la mobilisation de 120 millions d'euros pour le premier épisode 2015-2016 et 140 millions d'euros pour le deuxième épisode 2016-2017. Le programme 206 n'est pas calibré pour faire face à des crises de grande ampleur : en tout état de cause, la survenue d'un nouvel événement de ce type en 2018 ne pourrait être gérée qu'à travers des nouvelles ouvertures de crédits.
Le programme 206 porte aussi les crédits de plans destinés à mieux maîtriser l'utilisation de produits et substances : Ecoantibio pour les médicaments vétérinaires et Ecophyto pour les produits phytopharmaceutiques, même si le financement État est tout à fait marginal sur ce second programme. Enfin, le programme 206 finance l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (ANSES). On peut se réjouir que la dotation de l'ANSES revienne en 2018 à son niveau de 2016, après la baisse enregistrée l'année dernière. L'ANSES est un organisme de référence, pas seulement à travers son activité d'avis scientifique, mais aussi parce que l'Agence gère 11 laboratoires qui constituent une force de frappe irremplaçable pour de l'expertise rapide en cas de crise. Il faut aussi souligner que l'ANSES aura beaucoup de travail supplémentaire en matière de médicament vétérinaire avec le Brexit et avec le nouveau cycle d'approbation de produits phytopharmaceutiques et de produits biocides. Les redevances qu'elle perçoit doivent permettre de faire face, sans crédits budgétaires supplémentaires, à condition que les règles budgétaires soient adaptées pour permettre le recrutement temporaire de personnels additionnels. Le budget 2018 donne quelques souplesses sur ce point et il faudrait que celles-ci soient pérennisées, à l'heure où l'ANSES va se lancer dans un nouveau contrat d'objectifs et de moyens avec l'État.
D'une manière générale, sur la sécurité sanitaire, j'appelle l'État à ne pas baisser la garde, car il en va de la confiance dans notre alimentation et notre agriculture, tant à l'intérieur que vis-à-vis des marchés extérieurs. Force est de constater que si le programme 206 a été re-basé, il ne l'est qu'a minima, sans réserve pour faire face à d'éventuelles crises nouvelles.
Je terminerai mon propos en évoquant la viticulture. Les vendanges 2017 ont été historiquement faibles : la production française devrait être de 36,8 millions d'hectolitres soit 18 % en dessous de la moyenne des cinq dernières années. Le secteur viticole est pourtant essentiel à notre agriculture : 8 milliards d'euros de chiffre d'affaires à l'export. La viticulture française ne demande pas spécialement d'aides : il n'existe pas de droits à paiement à la surface mais un programme opérationnel sectoriel qui permet de financer des investissements et des mesures visant à améliorer la commercialisation du vin. Je rappelle ici la nécessité de rester attentif à la préservation de la filière viticole. Malheureusement, le nouveau dispositif d'exonération de charges retenu par le PLFSS risque d'être moins favorable au secteur viticole que les dispositifs qui existent aujourd'hui comme le TODE. Ce n'est pas parce que la viticulture semble bien se porter qu'il faut oublier un contexte de forte concurrence internationale. C'est pourquoi des efforts doivent continuer dans le domaine de la promotion, autour des opérateurs UbiFrance et Sopexa qui sont soutenus par le budget du ministère de l'agriculture. C'est pourquoi il ne faut pas non plus hésiter à aller vers davantage de simplification des démarches administratives. Le secteur du vin a d'ailleurs donné l'exemple avec le contrat vendanges, sur lequel quelques améliorations sont encore à prévoir.
Pour conclure, j'émets également en ma qualité de rapporteur, un avis défavorable concernant l'adoption des crédits de la mission : « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».
M. Henri Cabanel, rapporteur pour avis.- Je remercie tout d'abord mes deux collègues co-rapporteurs avec lesquels nous avons travaillé pendant plusieurs semaines. L'exercice d'analyse budgétaire à trois voix n'est pas un exercice facile pour le troisième orateur, mais nous essayons de le mener en multipliant les angles de vision et grâce à une quinzaine d'auditions réalisées depuis la fin octobre.
Tout d'abord, constatons que le budget de l'agriculture se maintient à peu près pour 2018, après avoir fortement augmenté en 2017 de l'ordre de 20 %. Mais 2018 devrait être un point haut, puisque la loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022 prévoit une légère décrue des crédits de paiement de l'ordre de 200 millions d'euros sur la mission d'ici à 2020. La valeur d'un budget ne se mesure cependant pas de manière mécanique au montant des crédits prévus. Entrons un peu dans le détail pour examiner comment sont utilisées ces ressources et j'en tire plusieurs remarques.
En premier lieu, le budget de l'agriculture pour 2018 réintègre en son sein ceux de la pêche et de l'aquaculture : 45 millions d'euros, soit à peu près ce qui était inscrit au budget de la mission écologie l'année dernière. La pêche revient dans le budget de l'agriculture, comme c'était le cas avant 2012. C'est le seul changement notable dans ce domaine, dans la mesure où toutes les lignes sont reconduites quasiment à l'identique : beaucoup d'entre elles sont la contrepartie de crédits du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).
Le secteur de la pêche connaît une réelle embellie depuis trois ou quatre ans. Les prix de vente des poissons sont bien orientés, le prix du carburant reste bas, ce qui est essentiel à l'équilibre économique des armateurs car il faut en moyenne plus de 600 litres de carburant pour pêcher une tonne de poisson. Signe de l'optimisme des pêcheurs, on construit davantage de navires : 52 en 2014, 65 en 2016. Mais cette embellie ne doit pas cacher de réelles préoccupations. Tout d'abord, le Brexit fait peser une lourde menace sur la pêche en mer du Nord et Atlantique Nord-Est : les ports de Boulogne-sur-Mer à Lorient pourraient être durement impactés. À Cherbourg, les deux tiers du poisson débarqué viennent des eaux britanniques. Ensuite le FEAMP a tardé à démarrer, alors que la France dispose d'une enveloppe de 588 millions d'euros. Il convient désormais d'accélérer les engagements de crédits sur les projets concernant la pêche, faute de quoi ces soutiens vont retourner au budget européen et n'auront pas pu être utilisés par la France. Enfin, il conviendrait de mettre un coup d'accélérateur à aquaculture, qui constitue une alternative à la pêche. Le Conseil économique social et environnemental vient de rappeler l'intérêt de l'aquaculture dans un rapport récent, tout en déplorant qu'aucune ferme marine n'ait vu le jour depuis 20 ans.
Ma deuxième remarque porte sur les crédits consacrés à la forêt, qui baissent de 11 % dans le budget 2018 et passent à 243 millions d'euros en autorisations d'engagement. Cette situation s'explique en partie par la fin du plan qui avait été mis en place après la tempête Klaus de 2009. Au final, la reconstitution de 200 000 hectares de forêts touchées dans le Sud-Ouest a coûté 490 millions d'euros. Sur les 243 millions d'euros consacrés à la forêt, 175 millions sont destinés à l'Office national des forêts, dont 22 au titre des missions d'intérêt général. Le budget 2018 se caractérise par une grande stabilité par rapport à celui de 2017 concernant les dotations de l'ONF mais aussi du Centre national de la propriété forestière. Pour l'ONF, l'État suit donc une ligne de stabilité, exécutant les engagements du contrat d'objectifs et de performance 2016-2020. La mobilisation du bois en forêt publique par l'ONF semble progresser légèrement : l'Office a vendu l'année dernière pour 15,2 millions de mètres cubes de bois pour un chiffre d'affaires de plus de 500 millions d'euros. Il assure 40 % de la mise sur le marché du bois d'oeuvre en France. Les indicateurs économiques sont plutôt bien orientés, mais il convient de rester vigilant sur le climat social, toujours délicat, même si désormais l'ONF n'a plus l'obligation de réduire drastiquement ses effectifs, comme cela a été le cas entre 2002 et 2015. Concernant les crédits consacrés à la forêt, un point est particulièrement préoccupant : au-delà de la fin du plan Klaus, la baisse des crédits s'explique aussi en 2018 par une réduction de la dotation attribuée au fonds stratégique forêt bois (FSFB), qui passe de plus de 25 à moins de 18 millions d'euros. Même si ce fonds est alimenté par d'autres ressources, notamment le prélèvement sur les centimes forestiers de 3,7 millions d'euros et l'affectation de la taxe de défrichement, plafonnée à 2 millions d'euros, cette baisse est un très mauvais signal au secteur forestier. Rappelons qu'il y a un consensus pour dire qu'il faut investir 150 millions d'euros par an en forêt pour améliorer significativement son exploitation. On en sera donc loin avec le FSFB en 2018. Le doublement du fonds chaleur décidé en 2015 avait donné un coup de fouet à la filière bois-énergie, en finançant des chaufferies à biomasse. On peut souhaiter que la dynamique se poursuive pour la filière bois. Celle-ci ne se porte aujourd'hui pas trop mal, avec des prix qui se redressent et des investissements qui ont été réalisés dans la transformation : 300 millions d'euros grâce au suramortissement Sapin-Macron d'après la fédération nationale du bois. Mais il faudrait accélérer la mobilisation du bois, notamment en forêt privée qui est sous-exploitée, pour aller vers une meilleure valorisation et réduire notre colossal déficit commercial qui s'élève à près de 6 milliards d'euros. J'appelle donc à ne pas relâcher l'effort en matière de modernisation de la filière forestière qui doit être un atout pour notre pays.
Ma troisième observation concerne la gestion des risques en agriculture. Il y a consensus pour dire que c'est un point stratégique pour les exploitations. Or, la gestion des risques est un peu le parent pauvre du budget 2018. Tout d'abord, il n'y a pas de crédits pour le fonds des calamités agricoles, comme chaque année. Ensuite, le financement des aides à l'assurance multirisque climatique relève exclusivement depuis 2016 de crédits européens. Une enveloppe de 100 millions d'euros est prévue pour subventionner la souscription d'assurances par les agriculteurs mais les chambres d'agriculture estiment que le besoin pourrait être entre 114 et 139 millions d'euros, ce besoin augmentant dès lors que la diffusion de l'assurance multirisque climatique progresse. Dans ces conditions, la crainte est que le taux de subvention soit ajusté bien en dessous de 65 %, pour rentrer dans l'enveloppe. Enfin, la déduction pour aléas (DPA) reste insuffisamment utilisée. Elle a été simplifiée ces dernières années pour inciter les agriculteurs à se constituer ainsi une épargne de précaution défiscalisée et pleinement mobilisable en cas de crise. Elle se révèle insuffisamment attractive. Il convient donc de l'assouplir encore, voire d'envisager un dispositif d'épargne de précaution défiscalisée plus avantageuse encore, pour faire réellement de l'agriculteur le premier étage de la gestion des risques, avant les étages suivants que constituent les assurances et enfin, la solidarité nationale à travers le fonds des calamités. La gestion des risques passe aussi par l'ajustement permanent des charges à la situation économique réelle des agriculteurs. Or, sur ce point, notre système de prélèvement fiscal et social reste archaïque car il se fonde sur les revenus d'années précédentes, qui peuvent avoir un profil très différent de celle au cours de laquelle il faut régler ces prélèvements, compte tenu d'aléas conjoncturels puissants. Il me semble qu'un des chantiers de la gestion des risques économiques passe aussi par une remise à plat des assiettes de prélèvements, afin qu'elles correspondent à ce qu'est vraiment le salaire de l'exploitant agricole.
M. Martial Bourquin. - Très bonne remarque.
M. Henri Cabanel, rapporteur pour avis. - Ma quatrième remarque concerne le foncier agricole : sa préservation est primordiale et on peut se réjouir que le rythme de consommation des terres agricoles par l'urbanisation se soit réduit. Mais toutes les régions ne sont pas logées à la même enseigne : dans les espaces urbains en forte croissance démographique, la pression reste élevée.
Un autre problème réside dans le maintien de la maîtrise du foncier par les agriculteurs. En loi Sapin II puis par une proposition de loi discutée début 2017, on avait tenté de mettre en place des freins à la spéculation sur les terres agricoles portée par des investisseurs extérieurs au monde agricole. Mais le Conseil constitutionnel a vidé le dispositif que nous avions voté de sa substance. En vérité, nous sommes un peu démunis face aux montages de plus en plus complexes, qui visent à contourner les prérogatives des SAFER.
Je me réjouis que le budget 2018 dote de nouveau les SAFER d'une enveloppe de 3,75 millions d'euros. Mais les SAFER devraient pouvoir se financer par des ressources propres et ne pas dépendre des crédits budgétaires de l'État. J'espère que nous pourrons aller plus loin en attribuant aux SAFER une fraction de la taxe d'équipement qui bénéficie aujourd'hui aux établissements publics fonciers.
Je terminerai mon propos pour lancer un coup de projecteur sur la question des grands prédateurs et en particulier du loup. Le nombre des attaques de loup a progressé encore l'année dernière et nous atteignons les 10 000 victimes par an. La population de loups est estimée entre 320 et 400. Le loup coûte de plus en plus cher aux finances publiques : 1,6 million d'euros en 2013 pour les indemnisations, payées sur le budget de l'écologie, et 3,6 millions d'euros prévus en 2018.
Le budget de l'agriculture supporte, pour sa part, les mesures de protection -clôtures mobiles, chiens de protection, formation des bergers - et il explose, lui aussi, en passant de 6,5 millions d'euros en 2013 à 12,6 millions d'euros pour 2018. Cette politique coûte cher, et elle n'est pas très efficace, puisque les attaques ne cessent d'augmenter et que les éleveurs des zones touchées, de plus en plus étendues, finissent par se décourager. C'est dans ce contexte qu'est élaboré le prochain plan national loup 2018-2022. Si le statut d'espèce protégée par la convention de Berne exige des mesures de protection pour les loups, la cohabitation se révèle plus que difficile. Et aucune convention ne protège l'éleveur en zone de montagne. La solution n'est certainement pas dans le budget 2018, mais elle passe par un renforcement des mesures que peuvent prendre les éleveurs pour se défendre.
Pour conclure, je préconise l'abstention sur l'adoption des crédits de la mission : « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci à nos trois rapporteurs pour avis et je passe la parole aux nombreux intervenants sur ce sujet agricole.
M. Joël Labbé. - D'emblée, je vous précise que je m'abstiendrai sur ces crédits pour certaines des raisons exprimées par Henri Cabanel. J'ajoute quelques remarques : tout d'abord, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (ANSES) manque de moyens humains, en particulier pour faciliter la mise sur le marché de produits alternatifs. Les procédures d'autorisation sont extrêmement complexes et les services sont surchargés de demandes. En ce qui concerne les exportations de viande, je constate des anomalies : 45 % de la volaille que nous consommons est importée alors que nous sommes exportateurs nets. Nous vendons à l'étranger des quantités croissantes de viande de broutard, dont on connait les qualités, tandis que 80 % de la viande bovine servie dans la restauration collective est importée. Ma dernière observation porte sur le ré-ancrage territorial de l'alimentation : elle est fondamentale tant pour les agriculteurs que les consommateurs. Le Président de la République a annoncé 50 % de local ou de Bio à l'horizon 2022 : je souhaite vivement qu'on y arrive mais encore faut-il enclencher le mouvement.
M. Daniel Gremillet. - Trois points : en premier lieu, le plus mauvais signal concerne le foncier agricole et forestier qu'il faudrait sortir de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Ensuite, je déplore, dans ce budget, la rupture avec le principe du « un pour un » dans le domaine des calamités agricoles : je rappelle que l'État apportait autant que les agriculteurs en cas de sinistre ; puis on a mis un système assurantiel qui rencontre aujourd'hui ses limites mais on ne voit rien dans ce budget pour couvrir les risques auxquels sont confrontés nos agriculteurs. S'agissant de l'amendement du rapporteur sur les « centimes forestiers » - que je soutiendrai même si on pourrait aller encore plus loin - je suis très surpris que l'on fasse remonter cette contribution au niveau national et qu'on prive le niveau départemental de cette ressource. Enfin le ralentissement des aides à l'investissement est très inquiétant puisqu'au même moment on affirme que les systèmes agricoles doivent profondément évoluer.
M. Pierre Louault. - Mon premier point concerne la réduction des crédits de personnels. Je rappelle le scandale de la gestion des fonds européens qui a fait perdre trois milliards d'euros à la France et qui ont été payés par les agriculteurs. Pourtant, l'agriculture française est suradministrée avec un fonctionnaire pour 30 agriculteurs. La moitié des effectifs travaillent en administration centrale et on les augmente encore tandis que les vrais besoins se situent dans les directions départementales. On n'a pas suffisamment sanctionné, à Paris, l'incompétence pour mobiliser les fonds européens et il faudrait influencer la politique actuelle d'une part, pour garnir les effectifs sur le terrain et, d'autre part, pour faire progresser les crédits de modernisation qui sont soutenus par l'Europe. Un mot enfin : notre agriculture n'est plus assez compétitive parce qu' « on a accroché trop de gamelles » aux agriculteurs. C'est la raison pour laquelle on ne consomme plus assez de viande française : elle est de haute qualité mais trop chère.
Mme Catherine Procaccia. - Henri Cabanel a signalé qu'aucune ferme aquacole n'a été créée depuis trente ans et je m'interroge sur les raisons financières ou environnementales de cette situation. J'apporte également mon soutien total à l'intervention précédente sur la nécessité de rééquilibrer les effectifs de fonctionnaires pour regarnir le niveau déconcentré départemental ou régional.
Mme Anne-Catherine Loisier. - S'agissant du secteur forestier, « on va dans le mur en klaxonnant ». Chacun connaît la situation financière dramatique de l'Office national des forêts avec, comme variable d'ajustement les contributions demandées aux communes. Pour dynamiser la forêt on a, par ailleurs, créé le fonds stratégique mais celui-ci n'est pas suffisamment alimenté si bien qu'on ne reboise pas, ce qui revient à « couper le blé en herbe ». Certes, les chiffres témoignent d'une mobilisation plus forte du bois mais cela nous amène tout droit à des pénuries - tel est d'ores et déjà le cas pour le chêne. Je souhaite qu'on incite davantage les scieurs et les producteurs à renouveler les essences de nos peuplements, avec en particulier des hêtres en très grand nombre qu'il faudrait mobiliser. S'agissant de la taxe sur les défrichements, nous avons été sollicités à juste titre car, même si cela représente des sommes limitées, « il faut réinvestir l'argent de la forêt dans la forêt ».
M. Franck Montaugé. - L'audition du ministre de l'Agriculture hier soir nous a laissé sur notre faim. S'agissant des enjeux de compétitivité ou d'organisation performante de nos filières, le Gouvernement ne dessine pas de perspective claire. Il en va de même pour les revenus des producteurs, la gestion des risques et la polyculture -élevage.
S'agissant de la PAC, l'exécutif pourrait utilement s'appuyer sur le rapport de notre groupe de travail auquel est associé une résolution européenne. Le Gouvernement devrait s'en inspirer et j'aurai souhaité qu'elle puisse faire l'objet d'un débat en séance publique.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vais alerter le gouvernement à ce sujet.
M. Franck Menonville. - Tout d'abord, note positive : dans le contexte de rigueur budgétaire les crédits de l'agriculture sont sauvegardés. Ensuite, il faudra que le Parlement corrige un certain nombre de dispositifs. Je reviens sur la réforme de l'IFI : j'y suis très favorable mais elle comporte une faille dans le domaine foncier : tout particulièrement afin de faciliter les installations de jeunes agriculteurs, il faut que le foncier qui leur est loué par les propriétaires bailleurs puisse être traité comme un bien professionnel.
S'agissant des crédits alloués aux SAFER, je fais observer que son augmentation résulte principalement du fléchage de la politique foncière en Guyane : pour l'hexagone, aucun moyen supplémentaire n'est prévu.
M. Alain Duran. - En ce qui concerne les prédateurs, je voudrais qu'on mette en balance des exigences contradictoires. La directive habitat vante la biodiversité à la fois végétale et animale mais je me demande, par exemple dans les Pyrénées, si les effets de la réintroduction de l'ours compensent suffisamment la perte environnementale liée à la limitation du pastoralisme, seul capable de maintenir ouverts des espaces situés entre 1800 et 2000 mètres d'altitude. Du point de vue de nos agriculteurs qui élèvent des animaux de qualité, il est inacceptable d'alimenter à hauteur de millions d'euros le budget consacré aux prédateurs : la colère monte dans nos campagnes et le Gouvernement doit en prendre la mesure avant qu'il ne soit trop tard.
M. Roland Courteau. - Le secteur viticole pèse à l'exportation huit milliards d'euros, soit l'équivalent de dizaines d'Airbus, de centaines de TGV, avec des milliers d'emplois à la clef et une contribution au rayonnement de la France. Pourtant la récente campagne de prévention de l'alcoolisme, parfaitement légitime dans son principe, cible uniquement le vin et pas les alcools durs. On ne peut pas à la fois promouvoir les vins français à l'étranger et les dénigrer en France. Je demande donc le respect du code de la santé qui interdit les discriminations entre les boissons dans ces actions de prévention. Je rappelle que la consommation de vin a baissé de 60 % au cours des dernières décennies.
M. Daniel Dubois. - Deux courtes observations : tout d'abord, à propos du mal être des agriculteurs évoqué par Laurent Duplomb, je signale la publication d'une étude américaine très sérieuse selon laquelle le Glyphosate ne serait pas cancérigène, ce qui viendrait conforter les indications récentes de l'ANSES. Je voudrais que, si cette étude est indiscutable, nous puissions être porteurs de messages de raison. En second lieu, même si, conjoncturellement, la situation s'améliore sur certains points, il faut continuer à combattre la prolifération des normes qui pèse lourdement et structurellement sur le moral de nos agriculteurs et l'efficacité de leur activité.
Mme Anne-Marie Bertrand. - Un mot pour rappeler qu'il ne faut pas oublier les arboriculteurs et le maraîchage qui utilisent des technologies de pointe mais sont les oubliés de ce budget.
M. Marc Daunis. - Je m'associe aux propos de notre collègue Alain Duran sur les prédateurs et la biodiversité. La problématique est assez similaire dans les Pyrénées et les Alpes maritimes avec l'ours dans le premier cas et le loup dans le second. L'agro-pastoralisme, tel qu'il se pratique dans les Alpes maritimes, ne permet pas de se protéger contre le loup puisque les troupeaux sont laissés en liberté. L'acceptation du loup contraint à abandonner le pastoralisme ce qui entraine à la fois des drames humains et une perte de diversité biologique. Il faut sortir du dogmatisme et cartographier de façon réaliste les endroits compatibles avec la présence du loup.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je passe la parole à nos rapporteurs pour avis pour qu'ils puissent répondre aux interventions.
M. Henri Cabanel, rapporteur pour avis. - S'agissant de la raréfaction des installations de fermes marines depuis une vingtaine d'années, je précise qu'elles sont soumises aux règles des Installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) : la complexité administrative est telle que beaucoup se découragent. Le phénomène n'est donc pas lié à l'insuffisance de financement - 30 millions d'euros de crédits ont été consommés sur 588 millions - mais aux difficultés de montage des dossiers. S'y ajoutent, dans le choix des sites, les conflits d'usage avec la pêche et le tourisme.
Par ailleurs, il faut permettre aux Safer de s'autofinancer : chacun sait qu'elles ont « déstocké » en raison de difficultés budgétaires.
Sur le Glyphosate, je rappelle que le Parlement européen a formulé une proposition équilibrée prévoyant une reconduction pendant cinq ans, suivie d'une interdiction. Outre-Atlantique, une autorisation supplémentaire de dix ans a été accordée et cela doit nous conduire à une très grande vigilance et à mettre en place un système de traçabilité permettant, par exemple, d'identifier lorsque l'on achète du pain, la provenance du blé et de la farine qui le compose.
Mme Sophie Primas, présidente. - Les travaux de la mission commune d'information sur les pesticides qui avait rendu son rapport (n° 42, 2012-2013) il y a six ans montrait que des produits non autorisés parviennent à franchir les frontières : le sujet est donc pertinent.
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. - Je partage l'inquiétude exprimée sur les moyens de l'ANSES : le ministre semble se satisfaire qu'on retrouve le niveau budgétaire de 2016 mais il faudrait aller plus loin et tenir compte de la multiplication des crises sanitaires.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Pour prolonger les propos de mon collègue Henri Cabanel, je citerai l'étude sur la lentille verte qui est produite dans mon département : elles sont produites sur la base de 0,1 milligramme par kg de Glyphosate, ce qui correspond à la norme française. D'autres pays exportateurs ont souhaité que la règle soit assouplie au niveau européen : je rappelle que la lentille canadienne est à 4 milligrammes et 5 pour les États-Unis. La norme européenne a été portée à 10 milligrammes par kg et je suis donc surpris de constater que c'est en France, là où les normes sont les plus restrictives, que le débat sur l'interdiction du Glyphosate est le plus vivace.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous en venons à l'examen des amendements au projet de loi de finances annoncés par nos trois rapporteurs pour avis.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Le premier vise à maintenir jusqu'à son terme, c'est-à-dire 2021, le fonds d'accompagnement créé pour prendre en charge les hausses de cotisations sociales dues par les exploitants pénalisés par le passage du régime du forfait au micro-bénéfice agricole. Je rappelle que ce fonds a rendu la réforme plus acceptable et a fait l'objet d'un accord entre l'État et les organisations professionnelles agricoles. Financièrement, la fin du forfait a engendré des économies de fonctionnement pour les services fiscaux, ce qui facilite l'alimentation de ce fonds par l'État prévue à hauteur de 8 millions d'euros de 2017 à 2019, 6 millions d'euros en 2020 et 3 millions d'euros en 2021.
L'article 49 vise à supprimer ce fonds à compter de 2018, estimant que les mesures du PLFSS 2018 devraient davantage alléger les cotisations sociales des agriculteurs. Or, même si le fonds n'est pas utilisé en totalité, il conserve une utilité et l'État doit respecter l'engagement pris en 2015 d'accompagner jusqu'au bout la réforme du forfait agricole.
La commission approuve l'amendement COM-1 de suppression de l'article 49.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Le second amendement qui vous est soumis porte sur l'article 49 bis. Introduit par les députés à l'initiative du Gouvernement, cet article vise à faire remonter l'intégralité des « centimes forestiers » perçus par les chambres départementales d'agriculture, jusqu'à présent fléchés vers l'action forestière et le fonctionnement des chambres départementales, à un fonds national piloté par l'assemblée permanente des chambres d'agriculture. Concrètement, les chambres départementales n'auront plus aucun moyen issu de la ressource forestière. Cette réforme conduirait à priver une trentaine de chambres de ressources importantes et de mettre en danger financièrement une dizaine d'entre elles. L'amendement propose donc de ne faire remonter au niveau national qu'une fraction des centimes forestiers, pour ne pas pénaliser les chambres départementales des départements forestiers et leur laisser la maîtrise d'une part de leurs ressources.
La commission approuve l'amendement COM-1 modifiant l'article 49 bis.
Puis la commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
Projet de loi de finances pour 2018 - Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport pour avis
M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis. -L'examen du Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » dans le projet de loi de finances initiale constitue chaque année un exercice un peu curieux, dans la mesure où il est demandé au Parlement de se prononcer sur des crédits dont tout le monde sait qu'ils sont très largement hypothétiques. De fait, les sommes inscrites en dépenses et en recettes sur les deux programmes de ce compte spécial revêtent un caractère conventionnel. Leur montant réel, tout comme la provenance et la destination effective des fonds ne sont connues qu'après coup, avec des écarts toujours importants par rapport à ce que prévoit le projet de budget.
Ainsi, en 2018, comme les années précédentes, 5 milliards d'euros provenant de la vente d'actifs du portefeuille de l'État sont inscrits en recettes sur le compte « Participations financières de l'État ». Pourtant, il est probable que le produit des cessions effectivement réalisées en 2018 sera très éloigné de ce chiffre.
Je rappelle qu'en 2011 et en 2012, les cessions ont rapporté moins de 300 millions sur les 5 milliards prévus. En 2013 et 2014, elles ont rapporté respectivement 1,7 et 1,6 milliard d'euros très loin aussi des 5 milliards inscrits en loi de finances initiales. En 2015 et en 2016, le montant des cessions a été plus significatif : environ 2,3 milliards d'euros, montant cependant déconnecté de la prévision initiale de 5 milliards. Enfin, pour 2017, à la date du présent rapport, l'État a d'ores-et-déjà cédé des titres Engie, PSA et Renault pour un montant de près de 5,8 milliards d'euros, ce qui excède largement les prévisions de produits de cession de 5 milliards votées l'année dernière -sans compter que le budget du Compte d'affectation spéciale a été aussi alimenté, au mois de juillet 2017, par un versement en provenance du budget général de 1,5 milliard d'euros, qui n'avait pas été explicitement prévu en loi de finances.
Le même écart entre les prévisions initiales et la réalité peut s'observer au niveau des dépenses du compte. Cette incertitude concerne à fois les sommes consacrées au désendettement des administrations publiques et celles utilisées pour capitaliser des entreprises ou acquérir des participations.
Je vous épargne l'énumération des chiffres, mais vous pourrez les retrouver dans la version écrite de mon rapport. Pour m'en tenir au dernier budget exécuté, celui de 2016, l'État a dépensé 4 milliards d'euros pour apporter du capital à ses entreprises ou acquérir des titres, alors que les prévisions de dépenses se montaient seulement à 2,7 milliards. Quant à l'année en cours d'exécution, 2017, elle sera également infidèle aux prévisions de dépenses, puisque, à elle seule, les recapitalisations d'Areva et d'EDF ont déjà conduit à inscrire 8 milliards d'euros de dépenses sur le compte, bien au-delà des 6,5 milliards d'euros prévus dans le budget pour 2017.
Concernant la participation du compte aux dépenses de désendettement de l'État, l'imprécision est la même. En 2012 et en 2013, 4 milliards d'euros devaient y être consacrés ; en 2016, cela devait être 2 milliards. Finalement, pour ces trois années, la contribution du compte spécial au désendettement a été nulle. En 2015, la prévision a été légèrement meilleure, avec une participation au désendettement de 800 millions d'euros sur les 4 milliards prévus. Il n'y a qu'en 2014 que l'objectif de 1,5 milliard annoncé a été effectivement atteint.
Dans ces conditions, vous comprendrez que je prenne avec un peu de scepticisme l'inscription dans le budget pour 2018 d'une somme de 1 milliard d'euros destinée au désendettement...
Au demeurant, j'espère que le Gouvernement ne cherchera pas à respecter cet engagement, parce que réduire le stock de dette en cédant les participations du portefeuille de l'État est une politique contestable. Je suis sans réserve en faveur d'une réduction de l'endettement public : que ce soit clair ! Mais j'estime que réduire une dette qui génère une charge annuelle de 2,5 % en cédant des participations qui ont une rentabilité courante supérieure à 3,5 %, c'est une absurdité financière ! En faisant cela, l'État dégrade son bilan et s'appauvrit. J'ai l'occasion de le dire chaque année lors de la présentation de mon rapport et je le répète donc encore cette année : la réduction de la dette passe par le sérieux budgétaire et la croissance économique, pas par la cession d'un patrimoine rémunérateur.
S'agissant de l'incertitude qui entoure la présentation du Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », j'ajoute qu'elle ne concerne pas seulement le volume des dépenses et des recettes, mais également la nature des opérations qui seront réalisées dans l'année. On ne connaît évidemment pas à l'avance quels titres vont être achetés ou vendus par l'agence des participations de l'État. Cela peut se comprendre, car les décisions d'achat et de vente dépendent étroitement de la situation des marchés, ainsi que de la situation des entreprises concernées.
Toutefois, si l'on met bout à bout tous les facteurs d'incertitude que je viens de rappeler, cela conduit à s'interroger sur la finalité du travail que nous effectuons : quel est le sens pour les parlementaires de voter sur des enveloppes dont nous ne connaissons en réalité ni le volume ni la destination ? Il faut le dire : les modalités du contrôle parlementaire de la politique de l'État actionnaire ne sont pas satisfaisantes sous leur forme actuelle.
Cette insatisfaction est encore plus marquée cette année dans la mesure où le Gouvernement a annoncé, sans en préciser les contours exacts, sa volonté de redéfinir en 2018 les contours de la doctrine de l'État actionnaire. L'actuelle doctrine a formalisé en 2014 la pratique qui s'était mise en place dans les années précédentes. Or, vous avez pu constater lorsque nous l'avons auditionné que le ministre de l'économie a vivement critiqué cette doctrine. Permettez-moi de citer ses propos : « Le rôle qu'on a fait jouer à l'État jusqu'à présent n'est pas le bon. L'État n'a pas vocation à diriger des entreprises à la place des entrepreneurs, il n'en a ni la capacité ni la légitimité. En revanche, il doit garantir la protection de certains intérêts de souveraineté de notre pays et la préservation d'un certain nombre de services publics auxquels tous les Français sont attachés. (...) Redéfinir le rôle de l'État dans l'économie est l'un des enjeux fondamentaux des dix prochaines années : c'est ce que nous faisons en cédant des participations de l'État dans certaines activités du secteur concurrentiel (...) ».
On peut discuter du bienfondé de cette redéfinition de la doctrine. C'est un vrai sujet, qui va nous occuper dans les mois qui viennent. Je souligne simplement que voter un budget en sachant que le montant des enveloppes est purement conventionnel, que les décisions opérationnelles de cessions et d'achat sont couvertes par un principe de confidentialité et que les grands principes qui guident ces décisions vont être redéfinis en cours d'année, c'est une situation assez peu respectueuse de nos compétences. Ce n'est plus du contrôle parlementaire, c'est un blanc-seing.
C'est pourquoi, par principe, je propose à la commission d'émettre un avis plutôt défavorable aux crédits de ce compte pour 2018.
J'en viens maintenant à la deuxième partie de mon rapport, qui concerne non pas les crédits prévus pour 2018 mais l'exécution de ceux votés pour 2017. Sachant, comme je viens de le montrer, que les crédits votés sont de nature conventionnelle, c'est au stade de l'exécution que s'exerce véritablement la capacité de contrôle du Parlement - ou du moins son droit à l'information.
En 2017, l'activité du Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » a principalement tourné autour de la refondation de la filière électronucléaire. C'est un dossier complexe, car les enjeux sont à la fois financiers, industriels, commerciaux et géopolitiques. Ils sont aussi sociaux puisque, bien que tout cela se soit fait à « bas bruit », il y a eu une réduction de 20 % des effectifs d'Areva.
Concernant cette dernière, je rappelle que l'État l'a divisée en trois structures :
La première est Areva New Co. Recentrée sur le cycle du combustible nucléaire, cette nouvelle société détient, suite à un apport partiel d'actifs réalisé en novembre 2016, l'ensemble des activités dédiées à la mine, à la conversion et à l'enrichissement du combustible nucléaire, ainsi qu'au traitement aval (recyclage, logistique). L'État a souscrit le 26 juillet 2017 à une augmentation de capital hauteur à de 2,5 milliards d'euros, ce qui lui donne la propriété de 90 % du capital (4,8 % des actions ont ensuite été rétrocédées au CEA). Le reste du capital est détenu par les sociétés japonaises Mitsubishi Heavy Industries (MHI) et Japan Nuclear Fuel Limited (JNFL), qui ont apporté ensemble une somme de 500 millions d'euros.
La deuxième structure est Areva Nuclear Power (Areva NP). L'objectif est d'y rassembler les activités de conception, de gestion de projets et de commercialisation de réacteurs neufs d'EDF et d'AREVA. C'est EDF qui doit en prendre le contrôle majoritaire. Cette intégration des acteurs devrait permettre des gains d'efficacité industrielle, mais également soutenir une politique d'exportation ambitieuse.
L'État n'a pas apporté directement de capital à cette nouvelle structure, puisque c'est EDF qui est chargée d'y investir. Selon l'accord signé en novembre 2016 entre EDF et Areva, EDF rachètera un maximum de 75 % d'Areva NP. Mitsubishi Heavy Industries s'est engagé à prendre une participation de 15 %, qui pourra être portée à 19,5 %. La société française d'ingénierie Assystem prend également une part de 5 %. Cela est acté depuis le mois de juillet. Pour le reste, il y a des discussions en cours avec les Indiens de Reliance, avec en arrière-plan des discussions pour la construction de six réacteurs nucléaires à Jaitapur (chantier gigantesque qui représente l'équivalent du tiers du parc français en puissance électrique). Les discussions permettant d'associer le groupe chinois CGN n'ont toujours pas abouti, mais pourraient lui donner une part équivalente à celle des Japonais.
Enfin, la troisième structure est Areva S.A, qui subsiste donc, mais seulement en tant que structure de défaisance. On y a rassemblé tous les actifs douteux d'Areva pour immuniser Areva New Co et Areva NP des lourds risques financiers associés à certains dossiers, en premier lieu le contrat de réacteur EPR sur le site Olkiluoto 3 en Finlande (dit OL3) et l'EPR FA3 de Flamanville. L'État a injecté 2,5 milliards d'euros dans Areva S.A. en juillet, somme qui a des chances d'être perdue à terme, ce qui devrait conduire la Commission européenne à considérer cette dépense non comme un investissement mais comme une dépense au sens maastrichtien du terme.
Pour finir sur les opérations de restructuration d'Areva, il faut signaler également deux opérations de moindre importance :
- d'une part, l'offre publique de retrait des actions que détenaient les actionnaires minoritaires d'Areva, notamment les Koweitiens. Réalisée au mois d'août, elle a couté à l'État 285 millions d'euros ;
- d'autre part, la prise de contrôle direct de Technicatome, le spécialiste français de la propulsion nucléaire navale (ex-Areva TA). En mars 2017, l'État a acheté 50,32 % du capital de cette société à Areva SA, conjointement avec le CEA et Naval Group, chacun détenant maintenant 20,32 % du capital). Cela a couté 281 millions d'euros.
Si on fait le total de toutes les dépenses liées à la restructuration du capital d'Areva, on obtient donc un effort d'investissement pour l'État qui dépasse 5 milliards d'euros en 2017.
L'autre aspect de la refondation de la filière électronucléaire est la recapitalisation d'EDF. Elle comprend deux aspects.
En premier lieu, l'État a participé en mars 2017, à hauteur de 3 milliards d'euros, à une augmentation de capital d'EDF d'un montant total de 4 milliards. À l'issue de cette opération, la participation de l'État dans EDF s'élève à 83 %.
En second lieu, l'État a décidé de ne pas percevoir son dividende sous forme numéraire, mais sous forme d'actions EDF, ce qui revient à apporter du capital à la société. Entre 2015 et 2017, cette conversion des dividendes en capital correspond à un apport de capital d'un montant total de 3,9 milliards d'euros.
L'État a ainsi apporté 6,9 milliards d'euros à EDF depuis 2015, dont 4,2 milliards cette année.
Cela porte le coût pour l'État de la refondation de la filière électronucléaire à presque 12 milliards d'euros, dont 8 milliards d'euros en numéraire. On espère que ce sera suffisant, mais comme vous le savez, EDF ne se porte pas bien financièrement et les risques liés au désastre d'Areva pourraient encore révéler quelques surprises.
Pour financer toutes ces opérations, l'Agence des participations de l'État a dû procéder à ces cessions d'actifs conséquentes.
À la fin de l'année 2016, le compte d'affectation spéciale disposait d'un solde cumulé excédentaire de 3,6 milliards d'euros, fruit des cessions antérieures, notamment celles des aéroports de Lyon et Nice qui ont généré un produit d'environ 1,76 milliard d'euros en novembre 2016.
Pour compléter ces ressources, l'État a cédé deux blocs d'actions Engie en janvier et septembre 2017, pour un montant total de 2,67 milliards d'euros, faisant passer sa participation en capital de 32,8 % fin 2016 à 24,1 % aujourd'hui. La participation en droits de vote repassera au-dessus du seuil du tiers imposé par le législateur dès le mois d'avril 2018, grâce au murissement de titres en droits de vote doubles au terme de deux années de détention au nominatif.
L'État a cédé également ses actions Peugeot à BpiFrance en juin, pour 1,9 milliard d'euros.
En juillet, l'Agence des participations de l'État a reçu un versement de 1,5 milliard d'euros en provenance du budget général.
Enfin, en début de mois, L'État a cédé, pour 1,21 milliard d'euros, 4,73 % du capital de Renault. Au terme de ce placement, l'État reste le premier actionnaire de Renault, avec 15,01 % de son capital.
À la suite de ces cessions et malgré l'ampleur des dépenses réalisées pour soutenir la filière nucléaire, le solde du compte d'affectation spéciale est redevenu positif de près de 3 milliards d'euros.
Cela permettra de couvrir 411 millions de dépenses prévues d'ici à la fin de l'année pour libérer une tranche supplémentaire du capital de BpiFrance, pour préempter les actions STX et pour capitaliser les banques multilatérales de développement.
Cela permettra de couvrir également 1,12 milliard de dépenses déjà actées pour 2018, notamment en vue de libérer 685 millions du capital de Bpifrance et de souscrire au capital de la Société pour le logement intermédiaire (SLI).
Malgré les recompositions capitalistiques d'ampleur que je viens de décrire, la composition du portefeuille de l'État est néanmoins restée stable. L'agence des participations de l'État gère toujours des participations dans 81 entités, dont 13 sociétés cotées.
La valeur de son portefeuille était de 68,6 milliards d'euros au 15 novembre 2017, contre 60 milliards d'euros en début d'année et 67 milliards à la fin de 2015. Malgré l'ampleur des cessions intervenues depuis deux ans, la tendance à la stabilisation de la valeur du portefeuille a donc l'air de se confirmer après quelques années de forte perte de valeur boursière des entreprises du secteur de l'énergie.
Toutefois, la forte concentration des participations de l'État sur un secteur de l'énergie très volatil fragilise son portefeuille, comme l'ont illustré encore tout récemment les difficultés d'EDF. Et je constate que la volonté du gouvernement de redéfinir la doctrine de l'État actionnaire et de céder des titres du secteur concurrentiel risque d'aboutir à une concentration encore plus forte des risques financiers sur les entreprises restant dans son portefeuille.
Je m'inquiète donc pour les capacités futures d'intervention de l'État. Qui se doutait au début des années 2010 qu'il faudrait trouver 12 milliards d'euros pour restructurer la filière nucléaire ? Nous avons pourtant pu mener cette action considérable sans peser sur le budget de l'État, parce que le portefeuille de l'État le permettait. Ce sont des cessions qui ont permis les recapitalisations. De même, nous avons pu intervenir à des moments-clé dans l'actionnariat de Peugeot, de Renault ou plus récemment de STX, parce ce que l'État disposait d'actifs cessibles et donc de marges financières. On peut donc craindre que le resserrement du portefeuille de l'État sur un nombre réduit de valeurs n'obère fortement les capacités d'intervention ultérieures de l'État dans le capital de sociétés stratégiques.
Concernant la création prochaine d'un nouveau fonds pour l'innovation de rupture, les cessions pour le financer ont déjà commencé. Le Gouvernement a indiqué que la vente des actions Renault visait à l'alimenter. Pourtant, on ne connaît encore bien ni les objectifs de ce fonds ni ses moyens et ses modalités de fonctionnement.
Pour ce qui est des objectifs, je rappelle que la France dispose déjà de deux outils publics éprouvés pour accompagner le financement de l'innovation :
- le PIA, qui fonctionne selon une logique d'appel à projets sur un critère d'excellence,
- BpiFrance, qui finance plutôt l'innovation courante en utilisant des dotations budgétaires fournies par l'État.
Par rapport à ces deux outils, comment se situera le nouveau fonds ? Qu'est-ce qu'il apportera de plus ou de différent ? Cela n'est pas clair.
Pour ce qui est des modalités de financement du fonds, les questions sont également nombreuses. Quand le gouvernement a annoncé sa création, on a cru comprendre qu'il s'agissait de céder 10 milliards d'euros de titres et d'investir cette somme considérable dans l'innovation. Puis, le gouvernement a expliqué que ces 10 milliards ne seraient pas investis dans l'innovation mais placés. Ce sont seulement les revenus générés par ce placement qui seraient effectivement investis dans l'innovation, soit 2 à 300 millions d'euros par an. Hier, le Premier ministre a indiqué que, si le nouveau fonds sera bien doté de 10 milliards d'euros, seulement 1,6 milliard proviendra des récentes cessions d'actions Engie et Renault. Le reste, soit 8,4 milliards, viendra de titres d'entreprises destinées à rester publiques (comme EDF, La Poste ou Thales).
Il semble donc qu'il n'est donc plus question de capitaliser ce nouveau fonds en cédant pour 10 milliards de participations, mais plutôt de mettre en place un financement mixte, en partie en numéraire et en partie sous formes de titres possédés par l'État. Reste à savoir s'il s'agit là seulement d'une solution provisoire pour tenir compte du fait qu'il n'est pas possible de céder pour 10 milliards de titres d'ici au 1er janvier 2018. Ou bien si cette déclaration indique plutôt une inflexion stratégique et un renoncement à se défaire d'une partie considérable du portefeuille de l'État. C'est une question à clarifier. La première solution me paraît cependant la plus probable.
En tout cas, la solution annoncée hier, même si elle n'est que provisoire, me paraît plus raisonnable et pragmatique. Elle rejoint la préconisation que je fais depuis des années, à savoir qu'au lieu de verser les dividendes de son portefeuille dans le budget général, l'État ferait mieux de les investir dans l'innovation, mais aussi dans les ETI.
Pour conclure, je soulignerai que l'année 2018 sera décisive pour l'avenir de l'agence des participations de l'État et de son portefeuille. Nous serons occupés par plusieurs sujets lourds. Outre la redéfinition de la doctrine de l'État actionnaire, nous aurons l'occasion de revenir sur le dossier Alstom dans le cadre d'une mission commune d'information.
Nous reviendrons aussi sur le dossier de l'aéroport de Toulouse. L'État, qui détient encore 10 % des parts de l'aéroport, aura en effet la possibilité à partir du 18 avril 2018 de céder ses parts, pendant une période d'un an. Or, l'actionnaire chinois qui détient 49 % des parts s'est montré plus intéressé jusqu'à présent par la recherche de dividendes que par l'investissement dans le développement du territoire, d'où l'inquiétude des chambres de commerce, de la région et du département. L'État ne doit surtout pas céder les 10 % qu'il détient au groupe chinois !
Mme Sophie Primas, présidente. - Cela ressemble donc à un avis défavorable.
M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis. - Oui, pour moi, c'est un avis défavorable sous réserve que d'ici quelques jours nous puissions avoir des sécurisations de la part de l'État sur ce que l'on va faire.
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Je partage l'analyse du rapporteur pour avis. Les membres de la commission des finances étaient tellement embarrassés devant la présentation du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » qu'ils ont refusé de se prononcer et s'en sont remis à la sagesse du Sénat. Adopter ces crédits, c'est donner un blanc-seing au Gouvernement. Il faudrait revoir la LOLF pour que l'autorisation parlementaire signifie quelque chose et pour éviter que ce soit seulement dans la loi de règlement que le Parlement découvre la réalité de la politique de l'État actionnaire. Je veux bien comprendre que certaines informations ne soient pas données par avance aux marchés, mais cela concerne seulement les cessions. Il y a moyen à mon sens d'améliorer l'information préalable du Parlement. La commission des finances demandera un débat public sur ces questions. Enfin, je m'associe aux propos du rapporteur pour avis concernant cette usine à gaz qu'on s'apprête à créer sous le nom de fonds de financement pour l'innovation dite de rupture. On nous promet 10 milliards censés rapporter 2 à 300 millions d'euros. Il existe déjà plusieurs outils de financement de l'innovation, notamment BpiFrance. Je ne vois pas l'intérêt de tout cela.
M. Joël Labbé. - Concernant AREVA et EDF, je constate qu'on consacre des sommes énormes à soutenir ce secteur jadis fleuron de notre industrie et que dans le même temps il y a un effort d'investissement dans les énergies renouvelables qui n'est pas à la hauteur !
Concernant Engie, nous assistons à des délocalisations, des externalisations et à une véritable vente à la découpe du groupe par des cessions d'actifs. Pourquoi l'État participe-t-il en tant qu'actionnaire à ces opérations qui se font au détriment du salariat et de l'économie française ?
M. Martial Bourquin. - Je partage le rapport qui nous a été présenté. On est face à un budget qui n'en est pas un ! C'est une situation ubuesque. C'est un déni du pouvoir de contrôle du Parlement. Mais c'est aussi inquiétant pour notre politique industrielle. Celle-ci devrait être au coeur de la politique économique du pays et du renouveau de sa position en Europe. Mais que devient cette politique ? Je ne la vois plus !
Les cessions d'actifs doivent être réinvesties dans l'économie. La vente des bijoux de famille ne doit pas servir à éponger la dette ou à remplacer des dotations budgétaires qui s'amenuisent. Regardez le cas de Peugeot. Que serait-il advenu de Peugeot si l'État n'était pas intervenu au moment opportun ? Une intervention qui n'est d'ailleurs pas une mauvaise affaire pour les finances publiques sur le plan financier, si l'on en juge par la plus-value réalisée récemment. Le développement industriel de la France s'est fait après la guerre avec l'appui de l'État stratège. Ce rôle doit demeurer.
Concernant Areva, il faut demander des comptes. C'est un scandale.
Enfin, je suis d'accord sur la nécessité d'investir massivement dans les PME et les ETI. L'effort d'investissement qui les attend pour prendre le virage de l'industrie du futur est massif. Il faut soutenir cet effort par un dispositif de suramortissement ciblé. Baisser les charges n'est pas la seule voie. Notre commission doit être en pointe sur ce sujet.
M. Franck Montaugé. - Je suggère que notre commission travaille sur la notion d'État stratège. Le laisser faire et le laisser aller ne sont pas une solution d'avenir. Il ne s'agit pas d'entrer dans le capital de toutes les entreprises, ce serait absurde, mais l'État doit jouer son rôle. Auditionnons des experts sur ces questions, je pense à des personnes comme Pierre Veltz qui a développé la notion de capitalisme hyper industriel. Nous sommes dans une phase de transition où convergent le numérique, les services et l'industrie de fabrication. Nous devons réfléchir au rôle économique de l'État dans ce nouveau contexte et tirer les conséquences de la désindustrialisation des trente dernières années
Mme Anne-Catherine Loisier. - Quelles sont les ventes d'actifs envisagées ? Je m'interroge notamment sur l'avenir de La Française des jeux.
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - J'ai une petite différence avec le rapporteur pour avis concernant la valorisation du portefeuille de l'État.
Concernant la doctrine d'intervention définie en 2014, je pense qu'elle reste encore valable. Je ne vois pas la nécessité de céder des actifs gérés par l'APE pour financer les investissements, notamment dans l'innovation. Sur les cinq dernières années, il y a une contribution nette de l'APE au budget de l'État de 25 milliards d'euros. Les dividendes sont largement suffisants pour financer l'innovation et les investissements nécessaires. Vraiment je ne comprends pas la nécessité de la création du fonds qui nous est proposé.
M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis. - concernant les cessions, je veux rappeler l'extrême concentration de la provenance des dividendes perçus par l'APE. Cinq sociétés génèrent plus des trois-quarts des dividendes. Procéder à des cessions importantes va encore concentrer cette provenance et renforcer la part des titres de l'énergie, qui sont très fluctuants.
Sur la politique industrielle, je constate que nous avions 5,4 millions d'emplois industriels en 1985. Nous n'en n'avons plus que 2,2 millions. Voulons-nous recréer des emplois industriels ? Investissons 5 milliards d'euros sur 200 ETI et 600 PME dynamiques et nous créerons plus d'emplois que jamais ! C'est là que le pays doit investir et pas dans des dispositifs divers et variés. Pour le reste, cessons d'écraser nos entreprises sous les normes et demandons la réciprocité réelle dans l'ouverture des marchés. Les concurrents extracommunautaires ont accès au marché européen sans restrictions, alors que les entreprises européennes font face à de nombreux obstacles sur les marchés tiers. J'ajouterai même, parce que je l'ai vécu comme industriel quand j'ai voulu vendre en Allemagne, que certains pays européens savent très bien s'y prendre pour protéger discrètement leur marché, ce que la France ne sait pas faire.
Mme Sophie Primas, présidente. - Concernant l'avis sur les crédits, je retiens que vous proposez à la commission d'émettre un avis négatif sur leur adoption.
M. Alain Chatillon, rapporteur pour avis. - Avis négatif ou sagesse, peu importe. Ce qui m'intéresse, c'est que le Gouvernement réponse aux questions que nous avons posées !
Mme Sophie Primas, présidente. - Donc vous proposez une sagesse défavorable ?
Sous cette réserve, la commission s'en remettra à la sagesse du Sénat sur le compte d'affectation spéciale.
Projet de loi de finances pour 2018 - Mission « Cohésion des territoires » (articles 52, 52 bis, 52 ter, 52 quater et 52 quinquies rattachés) - Crédits « Logement » - Examen du rapport pour avis
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Je suis chargée de vous présenter les crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », du programme 109 « Aide à l'accès au logement », et du programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » qui sont désormais rattachés à la mission « cohésion des territoires ».
Ces crédits diminuent de 10 % et atteignent plus de 15,8 milliards d'euros pour 2018. Je vais présenter successivement les différents programmes.
Le programme 177 regroupe les crédits de la politique d'hébergement d'urgence. Ces crédits augmentent de 12 %.
Faisant le constat que la création massive de places d'hébergement d'urgence n'a pas permis de répondre à la demande de façon efficace, le gouvernement a présenté à Toulouse en septembre dernier un plan quinquennal pour le « logement d'abord » et la lutte contre le sans-abrisme pour 2018-2022 qui comprend plusieurs objectifs :
- produire et mobiliser plus de logements adaptés aux besoins des personnes sans-abri et mal logées ;
- favoriser l'accès direct au logement plutôt que d'orienter les personnes vers l'hébergement ;
- recentrer l'hébergement d'urgence sur « sa fonction de réponse immédiate et inconditionnelle aux situations de détresse » ;
- renforcer l'accompagnement social des personnes dans et vers le logement ;
- prévenir les ruptures et notamment les expulsions.
La mise en oeuvre du plan nécessite du temps et conduit à maintenir dans un premier temps des crédits conséquents pour le parc d'hébergement d'urgence. Le gouvernement a indiqué poursuivre la stabilisation des crédits dédiés aux nuitées hôtelières et souhaiter renforcer les capacités d'accueil. L'effort est manifeste en direction du logement adapté : les crédits dédiés à l'intermédiation locative augmentent de 22 %, ceux pour les pensions de famille de 20,6 %. En revanche les crédits de l'aide au logement temporaire diminuent de 10% sans que le ministère nous ait expliqué pourquoi.
Sur le niveau des crédits, ceux de ce programme sont régulièrement sous-budgétisés, comme l'a rappelé la Cour des comptes. Ils sont de nouveau en augmentation de 12 % mais le montant est d'ores et déjà inférieur au montant des crédits ouverts pour 2017, tels qu'ils résultent du PLFR. Je m'interroge sur leur sous-budgétisation. Certains axes de la stratégie en faveur du logement d'abord sont tout simplement sous-budgétés :
- ainsi alors que le plan prévoit de renforcer la veille sociale, les crédits sont inférieurs de 8 % par rapport à ceux consommés en 2016 ;
- de même alors que la hausse des crédits du programme 177 est censée tenir « compte du renforcement de l'accompagnement social nécessaire aux personnes aux faibles ressources ou en difficulté sociale », on a peine à identifier ces crédits.
Le gouvernement prévoit de mieux maîtriser les coûts en cherchant à harmoniser les règles de fixation des tarifs versés aux centres d'hébergement d'urgence et aux CHRS. Une diminution des crédits dédiés au CHRS de 3 % est prévue. Le gouvernement rend l'enquête de coûts obligatoire à l'article 52 bis. L'objectif est de parvenir ainsi à une économie de 20 millions d'euros pour 2018. Il est difficile de dire si cette maîtrise des coûts sera suffisante pour éviter de devoir ouvrir des crédits supplémentaires l'an prochain.
Le programme 109 « Aide à l'accès au logement », comprend essentiellement la contribution de l'État au financement du Fonds national d'aide au logement (FNAL). Les crédits diminuent de 12 % en raison de la baisse importante des crédits dédiés aux APL prévue à l'article 52.
Je ne reviens pas sur les différentes réformes menées les années précédentes : prise en compte du patrimoine, instauration de plafonds de dégressivité et de suppression des aides, suppression des APL pour les étudiants rattachés au foyer fiscal de leurs parents redevables de l'ISF. Le gouvernement codifie dans le code de la construction et de l'habitation et dans le code de la sécurité sociale cette dernière disposition à l'article 52 ter.
En juillet dernier, le gouvernement a adopté une première baisse de 5 euros des APL pour tous les allocataires. Le ministre de la cohésion des territoires a justifié cette diminution des aides par la nécessité de « faire face à une sous-budgétisation du budget des APL ». Le Gouvernement a préféré, plutôt que d'ouvrir des crédits supplémentaires, comme cela avait été fait les années précédentes, de procéder à une baisse généralisée des APL dans le parc social comme privé. Cette mesure devrait rapporter 400 millions d'euros d'économie l'an prochain.
Mais les économies viennent surtout de la mesure prévue à l'article 52 qui prévoit à l'issue de l'examen à l'Assemblée nationale l'introduction d'une réduction de loyer de solidarité dont la mise en oeuvre serait étalée sur 3 ans et qui permettrait concomitamment une économie d'APL de 800 millions en 2018, 1,2 milliard en 2019 et 1,5 milliard en 2020. Toutefois, le gouvernement souhaitant afficher une économie budgétaire d'1,5 milliard dès 2018, cet étalement est compensé d'une hausse de la cotisation versée par les bailleurs sociaux à la caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) à hauteur de 700 millions en 2018 et 300 millions en 2019.
À cela s'ajoutent la suppression des APL-accession pour une économie de 50 millions, le gel des loyers et des barèmes des APL pour une économie de 100 millions et le renforcement de la lutte contre la fraude qui devrait rapporter 50 millions, soit une économie globale d'1,7 milliard.
Je précise que ces mesures coûtent beaucoup plus aux bailleurs car la RLS peut s'appliquer à des locataires non APLisés dont le gouvernement ne peut chiffrer le nombre. De même, il faut ajouter les coûts de gestion supplémentaires qu'implique la RLS ainsi que le coût du gel des loyers.
Le gouvernement a conduit cette réforme d'une manière brutale et sans aucune concertation. Rien n'était annoncé dans les engagements de campagne du Président de la République. Son évaluation de l'impact de la RLS sur les bailleurs sociaux, l'emploi dans le bâtiment, ou encore sur les collectivités territoriales, qui sont garantes des emprunts, n'est pas très approfondie. Le gouvernement n'a pas été en mesure de m'indiquer l'incidence de l'étalement de la RLS sur trois ans pour les organismes HLM. Certains considèrent qu'entre 150 et 200 organismes pourraient être en situation de fragilité financière. J'ajoute que cette réforme aura également des conséquences sur le développement du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU).
Avec le rapporteur spécial de la commission des finances M. Philippe Dallier, la présidente Sophie Primas et plusieurs collègues Valérie Létard, Hervé Marseille, Daniel Dubois, Marie-Noëlle Lienemann et Cécile Cukierman, nous avons essayé de chercher de façon transpartisane une solution qui serait moins douloureuse pour les bailleurs et qui permet néanmoins de réaliser une économie budgétaire à hauteur de 1,55 milliard. Dans les scenarii envisagés, l'APL-accession serait maintenue. Cette solution n'est pas aboutie. Nous devons entendre cet après-midi M. Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires.
L'augmentation à 10 % du taux de TVA pour la construction de logements sociaux et leur réhabilitation semble faire consensus à la fois chez les bailleurs et le gouvernement. Un amendement sera déposé aujourd'hui en ce sens. Seraient exclus de cette augmentation de TVA : l'hébergement d'urgence, les centres pour les personnes en situation de handicap et les opérations d'accession sociale à la propriété. La mesure serait applicable dès le 1er janvier 2018 y compris pour les opérations déjà lancées. Le rendement attendu serait de 600 millions d'euros.
Je vais vous exposer les différents dispositifs que nous avons évoqués les uns les autres. Chacun a des avantages et des inconvénients :
- le maintien de la réduction de loyer de solidarité mais pour un montant moindre que les 800 millions d'euros inscrits dans le projet de loi. Elle permettrait de diminuer la dépense publique ;
- la mise en place d'une réduction forfaitaire de charges sur les logements « énergivores » des allocataires APLisés. Cette mesure certes complexe permettrait de diminuer la dépense publique. Elle favoriserait la rénovation des logements énergivores. Néanmoins, le risque de non-conformité à la Constitution pour non-respect du principe d'égalité ne doit pas être sous-estimé ;
- l'application de l'Impôt sur les sociétés aux organismes HLM. Cette réforme qui pourrait rapporter un milliard d'euros était proposée par la Cour des comptes. Toutefois, les sommes seraient versées au budget général de l'État. Le rendement pourrait ne pas être aussi important et on ne peut exclure des comportements d'optimisation fiscale ;
- l'instauration d'une contribution sur les revenus locatifs des immeubles HLM de plus de 15 ans. Cette mesure qui impacterait l'autofinancement ne permet pas de diminuer la dépense publique. À la différence d'une augmentation de la cotisation versée à la CGLLS, elle ne permet pas de tenir compte du nombre de locataires APLisés ;
- l'augmentation de la cotisation principale qui porte sur les loyers et qui est versée par les bailleurs à la CGLLS. Ce supplément de cotisation alimenterait le FNAL. Cette mesure ne permet pas de diminuer la dépense publique, mais permet de tenir compte du nombre de locataires APLisés ;
- la création d'une troisième cotisation versée par les bailleurs à la CGLLS ou d'un prélèvement reposant sur le nombre de logements énergivores. Cette nouvelle cotisation alimenterait également le FNAL. Cette mesure est incitative sur le plan de la rénovation énergétique des logements, mais nécessite d'affiner la catégorisation des logements selon les étiquettes énergétiques. 73 % ont cette information. Ceux pour lesquels l'étiquette ne serait pas connue seraient classés dans la catégorie G, c'est-à-dire parmi les logements les plus énergivores. Cette mesure ne permet pas de diminuer la dépense publique, a priori elle ne permettrait pas de tenir compte du nombre de locataires APLisés.
J'ajoute enfin, qu'il me paraît nécessaire que notre commission commence à travailler rapidement sur les questions de restructuration du secteur afin de pouvoir proposer des solutions juridiques pertinentes au vu du tissu social existant en termes de mutualisation, de regroupement, lors du projet de loi logement.
Il serait temps d'arrêter de dire que les bailleurs sociaux sont assis sur un « tas d'or ». Lorsqu'on a une trésorerie équivalente à 7 mois d'avance de loyers et de charges pour faire face à des dépenses relatives à l'entretien courant, c'est simplement gage de bonne gestion, me semble-t-il.
J'en viens au programme 135 qui concerne notamment les aides à la pierre. Les crédits diminuent de 22 % en autorisations d'engagement et de 12 % en crédits de paiement.
Je voudrais tout d'abord souligner une forme de contradiction de la part du gouvernement qui présente une stratégie quinquennale du logement censée permettre un choc d'offre et qui dans le même temps se désengage du financement des aides à la pierre et des dispositifs incitatifs à la construction.
L'État poursuit son désengagement du financement du Fonds national des aides à la pierre (FNAP) en 2018 en prévoyant de contribuer à hauteur de 50 millions d'euros. Les cotisations des bailleurs sociaux au FNAP augmentent par ailleurs passant de 270 à 375 millions d'euros. Action Logement devrait également contribuer à hauteur de 50 millions d'euros. Enfin, le gouvernement, en complète contradiction avec son souhait d'augmenter les ventes de logements sociaux de 8 000 à 40 000, a prévu à l'article 52 quater d'instaurer une taxe à hauteur de 10 % maximum sur le produit de cessions des ventes HLM, qui viendrait alimenter le FNAP.
J'ajoute que le gouvernement a par ailleurs supprimé l'aide aux maires bâtisseurs.
S'agissant de l'ANAH, l'agence n'a pas atteint ses objectifs de rénovation de logements dans le cadre du programme Habiter Mieux en 2016. En 2017, elle devrait réaliser la rénovation de 60 000 logements environ sur les 100 000 escomptés. Les objectifs pour 2018, plus réalistes, sont fixés à 75 000 logements.
Comme chaque année, se pose la question des ressources de l'agence. La directrice générale comme la DHUP semblaient plus optimistes que d'habitude. L'agence prévoit un budget d'environ 579 millions qui repose en grande partie sur les ressources issues des quotas carbone. Les ressources devraient continuer d'augmenter. À cela s'ajoute la contribution des fournisseurs d'énergie, de la CNSA, et éventuellement d'Action logement. La nouveauté pour 2018 c'est la contribution de l'Etat pour un montant de 110 millions. J'espère que nous n'aurons pas à constater d'annulations de crédits en cours d'exécution budgétaire comme nous avons pu le constater cette année pour le FNAP.
Sont également rattachés à ce programme un certain nombre de dépenses fiscales, comme le prêt à taux zéro (PTZ) et le Pinel. Le gouvernement souhaitait recentrer ces aides.
Le PTZ. Le gouvernement souhaitait initialement proroger le dispositif jusqu'en 2021, tout en le recentrant sur les zones tendues pour les logements neufs et sur les zones détendues pour les logements anciens, ici encore sans véritable concertation ni évaluation. Le gouvernement a finalement réexaminé sa position. Les députés ont voté le maintien du PTZ dans le neuf en zones B2 et C jusqu'au 31 décembre 2019. Au-delà de cette date, le PTZ dans le neuf s'appliquera aux zones tendues et dans les communes couvertes par un contrat de redynamisation de sites de défense. Le gouvernement devra remettre un rapport d'évaluation sur le dispositif et sur le zonage applicable.
Le Pinel. J'ai profité de la suspension des travaux parlementaires pour réaliser des auditions sur le Pinel et sur les investisseurs institutionnels.
Les dispositifs d'investissements locatifs existent depuis 1984. Je rappelle que ces dispositifs ont certes vocation à soutenir la construction de logements mais aussi à favoriser le logement des personnes ayant des revenus trop importants pour le parc social mais pas assez pour le parc libre. Plusieurs remarques :
Le dispositif Pinel s'applique dans les zones tendues et dans les communes des zones moins tendues B2 et C bénéficiant d'un agrément. En pratique, 61 % des Pinel sont situés en zone B1, 23 % en zone A, 3 % en zone A bis et 13 % en zone B2
Plusieurs critiques sont émises à l'encontre du dispositif :
- 1ère critique : le coût budgétaire sur plusieurs années. Ainsi, pour le Pinel, des crédits devront être inscrits jusqu'en 2033. Le cumul des dispositifs d'investissement qui ont encore une incidence budgétaire (Pinel, Robien, ...) approche 1,9 milliard en 2018 ;
- 2ème critique : l'effet inflationniste. Cet effet est discuté. certaines personnes entendues considèrent que l'effet inflationniste est plutôt lié au foncier et à l'obligation de mixité qui est associée (obligation d'avoir 25% de logements sociaux dans l'immeuble pour bénéficier d'un taux de TVA réduit) ;
- 3ème critique : l'effet d'aubaine. C'est probable mais difficile à démontrer ;
- 4ème critique : le non-respect des conditions de loyers et de ressources. Sur ce point, la DGFIP m'a indiqué qu'ils ne pouvaient me donner des statistiques sur le nombre de redressements fiscaux décidés en raison du non-respect des conditions de loyers et de ressources. Cette information existe pourtant dans les centres des impôts mais ne fait pas l'objet de remontée au niveau de l'administration centrale, faute d'outils informatiques adaptés !
- 5ème critique : un zonage inadapté. Le zonage doit permettre de cibler les communes dans lesquelles le besoin de logements intermédiaires est attesté et de protéger les investisseurs. Or, on constate des disparités de loyers au sein d'une même zone.
Le gouvernement a proposé de recentrer le dispositif sur les zones tendues en prévoyant un dispositif transitoire pour les opérations déjà lancées dans les zones B2 et C. Il devra également remettre un rapport d'évaluation du dispositif Pinel, du zonage appliqué, et du respect des conditions de loyers et de ressources, ce dont je me félicite. J'ajoute que la Cour des comptes devrait également rendre un rapport sur ce dispositif en début d'année prochaine.
Pour terminer, je voudrais rapidement aborder la question des investisseurs institutionnels dont le retour est régulièrement évoqué.
Les investisseurs institutionnels se sont désengagés à partir des années 1990 du marché locatif résidentiel. Les quelques 200 000 logements qu'ils détiennent aujourd'hui représentent moins de 2 % du parc locatif français et leur valeur représente à peine 1 % de leur portefeuille financier total.
Régulièrement, leur retour est invoqué car leur capacité financière permettrait, comparée à celle d'un propriétaire bailleur personne physique, de construire et de rénover plus facilement des logements mais aussi de réduire les coûts de gestion du parc locatif.
Il peut sembler paradoxal que les institutionnels boudent le logement. En effet, mesurée sur 10 ou 15 ans, la rentabilité globale de l'investissement locatif résidentiel apparaît très élevée. Toutefois, cette bonne performance est due principalement au niveau élevé de la rentabilité en capital, c'est-à-dire aux plus-values qui ont été alimentées par l'exceptionnelle hausse des prix de l'immobilier observée depuis les années 2000. La rentabilité courante des investissements locatifs résidentiels, celle générée par les loyers, s'est en revanche effondrée depuis 15 ans en raison d'une décorrélation entre l'envolée des prix de vente et une évolution beaucoup moins dynamique des loyers.
Or, dans le modèle économique des institutionnels, la capacité des logements à générer une rentabilité courante élevée compte davantage que des perspectives de plus-values qui supposent une durée de détention des actifs extrêmement longues et qui sont affectées de surcroît d'une forte incertitude, notamment en raison des règles très strictes qui encadrent les ventes en bloc et à la découpe.
Les investisseurs estiment qu'un retour massif sur le marché du logement n'est pas envisageable à court terme aussi longtemps que les prix de l'immobilier resteront à des niveaux aussi élevés et la rentabilité courante à des niveaux aussi bas. Néanmoins quelques freins évoqués par l'ensemble des investisseurs entendus pourraient être levés :
- pour faciliter le développement du logement intermédiaire, les investisseurs souhaitent un assouplissement de l'obligation de mixité sociale qui impose la construction de 25 % de logements sociaux dans le programme sauf dans les communes ayant 50 % de logements sociaux. Le PLF prévoit que l'exemption de l'obligation de mixité porterait sur les communes ayant 35% de logements sociaux. Je soutiens pleinement cette mesure ;
- il conviendrait de faire évoluer la directive solvency 2 qui impose aux assureurs d'avoir des fonds propres en quantité excessive pour couvrir les risques. En effet, le montant de ces fonds a été calibré sur l'immobilier de bureaux au Royaume-Uni obligeant ainsi les assureurs à détenir un capital de précaution inutilement élevé. J'invite le gouvernement à profiter de la période de renégociation de cette directive qui s'ouvre en 2018 pour aborder cette question ;
- une réflexion sur les relations bailleurs/locataires me paraît indispensable. Si notre règlementation ne peut suffire à expliquer l'absence des investisseurs institutionnels, il ne faut pas s'interdire de réfléchir à ces règles et notamment aux règles de vente à la découpe et de vente en bloc ;
- enfin, on pourrait examiner un assouplissement des règles fiscales applicables aux transformations de bureaux en logements. Actuellement, pour obtenir l'avantage fiscal, la transformation des bureaux en logements doit avoir été réalisée dans un délai de 4 ans sauf circonstances exceptionnelles. Or, le délai de 4 ans peut s'avérer trop court en pratique et la possibilité de déroger à ce délai en cas de « circonstances exceptionnelles » semble trop aléatoire pour que les investisseurs institutionnels s'engagent dans ces projets de transformation. Je propose d'assouplir le dispositif en allongeant le délai à 6 ans.
En conclusion, au vu de ces différentes observations et en raison des discussions qui sont encore en cours sur l'article 52, je vous propose que nous reportions à la semaine prochaine le vote sur les crédits et sur les articles rattachés aux programmes.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je remercie très vivement Dominique Estrosi Sassone pour le travail considérable qu'elle a effectué dans des conditions pourtant ubuesques.
Mme Valérie Létard. - Je remercie à mon tour notre collègue d'avoir abordé cet énorme sujet qu'est le logement avec synthèse, force et précision. Un énorme travail est mené actuellement sur tous ces sujets.
Pas un seul pan de la politique du logement n'est épargné par le projet de loi de finances, dont les mesures auront également des impacts sur des organismes comme l'ANRU. Proposer des mesures visant à réaliser 1,7 milliard d'euros d'économies, fût-ce sur trois ans, c'est supprimer la capacité d'autofinancement des opérateurs de logement de manière irréversible. En effet, la baisse des loyers de 60 euros en 2018 n'est qu'une conséquence de la diminution des APL : seulement, ces aides au logement n'augmenteront jamais plus, et, de fait, les loyers non plus ! On supprime donc définitivement cette possibilité de redresser la capacité d'autofinancement et, partant, de redonner une dynamique au secteur.
Il faut également s'interroger sur « l'effet levier » de cette capacité d'autofinancement : il peut aller de 1 à 10 ! Par exemple, les 21 millions d'euros d'autofinancement de l'office public de l'habitat du Nord ont permis de générer 200 millions d'euros d'investissement en 2017. La diminution de 1,7 milliard d'euros envisagée dans le projet de loi de finances pour 2018, c'est donc 25 millions d'euros en moins, soit 4 millions d'euros de capacité d'autofinancement négative ! Je vous laisse en tirer les conséquences pour le BTP, pour l'ANRU, sur la rénovation thermique des logements... Cette mesure, qui concerne pourtant les collectivités, est aujourd'hui discutée sans elles, directement entre l'État et les bailleurs ! Les collectivités territoriales sont pourtant de grands financeurs du logement ; elles établissent des programmes locaux de l'habitat (PLH) qui, malheureusement, ne permettent plus aujourd'hui de gérer les financements contractualisés.
Je suis également inquiète sur la vente de patrimoine : bien sûr, c'est prendre le risque de voir les copropriétés se dégrader, mais c'est également la fin de la mixité dans les quartiers.
Enfin, la question foncière devra être au coeur de nos réflexions dans les années à venir, car elle est pour beaucoup dans l'envolée des prix du logement. Nous devons aborder toutes ces questions de manière globale.
Il y a énormément de sujets, ils ont été parfaitement synthétisés, et pour l'instant, aucune solution n'est définitivement arrêtée. Dans l'intérêt général, nous devons continuer de chercher un consensus.
M. Daniel Dubois. - Les logements neufs en milieu rural seront-ils toujours éligibles au PTZ en 2019 ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Pour ceux situés en zones B2 et C, et uniquement jusqu'au 31 décembre 2019. Après cette date, il ne concernera plus que les logements en zones tendues ou les communes couvertes par un contrat de redynamisation de site de défense.
Mme Annie Guillemot. - Je souhaite rappeler que 4,2 millions de logements HLM sont occupés par 15 % de ménages, dont la moitié vit sous le seuil de pauvreté. Le loyer moyen d'un logement HLM s'élève à 390 euros, contre 570 euros dans le parc privé : les organismes de HLM répondent donc à une demande sociale forte.
Cela remue, et en tant qu'élus de tous bords, nous devons faire front commun face aux mesures proposées par le Gouvernement. Elles sont totalement contradictoires avec la volonté affichée de demander aux offices HLM de loger encore plus de personnes démunies, comme en témoigne son projet « le logement d'abord ». Cela pose des problèmes de mixité, en particulier dans les quartiers en difficulté.
Le résultat d'exploitation des organismes HLM s'élève à 2,2 milliards d'euros annuels, qui sont intégralement réinvestis dans la production et la rénovation du parc, avec des effets démultiplicateurs en termes d'activité, d'emplois directs et indirects, et de TVA, à hauteur de 800 millions d'euros. Dès lors, parler de rente relève du contre sens.
Par ailleurs, la baisse des APL revient à prélever aux organismes 1,7 milliard d'euros en 2018, et 1,5 milliard en 2019, amputant ainsi leur capacité d'investissement de 75 %. Les collectivités territoriales, qui sont pourtant garantes des emprunts, ne pourront plus construire ! C'est inacceptable, et il faut obtenir le retrait de l'article 52. Plus d'une centaine d'organismes HLM seront mis en péril ; plus d'une centaine d'autres seront en grande difficulté.
Enfin, diminuer de 60 euros par mois le montant des APL de locataires de logements sociaux - et d'eux seulement, comme l'a bien noté notre rapporteur -, cela signifie concrètement une baisse de loyer de 50 euros pour un célibataire, de 61 euros pour un couple ou une personne seule avec un enfant à charge, avec 10 euros de plus par personne à charge supplémentaire. Donc plus un bailleur social logera de personnes modestes, plus il sera taxé ; plus il logera de familles nombreuses, plus il sera taxé. S'il loge des femmes seules avec leurs enfants, il sera taxé, car leurs revenus sont généralement faibles ; et si en plus il construit des PLAI, c'est la cerise sur le gâteau !
Le Premier ministre a annoncé qu'il proposerait au Sénat que la baisse des APL soit complétée, sur une période de trois ans, par une hausse de la TVA. Mais la baisse des APL et la réduction du loyer de solidarité (RLS) ne sont pas des solutions de compromis. Elles pèsent en effet sur les organismes qui accueillent le plus de ménages APLisés. Elles sont également très complexes et tendent à évoluer à la hausse par l'effet de paupérisation. Nous devons être très attentifs, notamment au maintien de la mixité.
Il faut absolument demander le retrait de l'article 52 et la réintroduction de l'APL-accession.
M. Marc Daunis. - Le marasme actuel aura eu au moins un mérite : les problématiques liées au logement, trop souvent considérées accessoires, sont revenues sur le devant de la scène. C'est une très bonne chose, car les conséquences des décisions prises en matière de logement sont majeures, que ce soit sur la vie quotidienne de nos concitoyens ou sur l'aménagement de nos territoires.
Je ne comprends pas comment un gouvernement peut choisir de procéder de manière aussi unilatérale et brutale, pour reprendre le terme de la rapporteure. Tout le débat ne se résume pas au fameux 1,7 milliard d'euros d'économies ! Nous sommes face à un véritable château de cartes : sans être catastrophiste, le système de garantie d'emprunt par les collectivités territoriales ne fonctionne que parce que l'on n'a jamais besoin de le mettre en oeuvre ! Jouer avec cela paraît aussi irresponsable qu'incompréhensible.
Personnellement, je suis très réticent sur les mesures liées à la TVA qui ont été proposées, car sous le précédent gouvernement, nous avons pu observer que la baisse de la TVA permettait de relancer la construction. En réalité, on nous demande aujourd'hui de poser nous-même le garrot sur une crise déclenchée par le gouvernement ! La hausse de la TVA ne me semble pas une piste de travail envisageable. Il faut absolument demander au gouvernement de revenir sur cette mesure irresponsable.
M. Joël Labbé. - Je salue à mon tour le travail très constructif mené par la rapporteure. Il faut aller au-delà des postures, mais l'impact du ministère de l'économie et des finances sur les politiques du logement est beaucoup trop important pour que puissions réellement faire des propositions.
J'ai tenu récemment une réunion de crise avec les acteurs du logement bretons : je peux vous dire que le Sénat est très attendu sur ce sujet ! Les acteurs savent que nous menons un travail pluripolitique pour tenter de trouver des solutions et pour avoir enfin une politique du logement digne de ce nom.
Mme Sophie Primas. - Le vote sur ces crédits est réservé, car nous entendrons le ministre de la cohésion des territoires cet après-midi. Le président de la République s'exprimera cet après-midi en clôture du Congrès des Maires de France : peut-être abordera-t-il également ces sujets.
La commission réserve son avis sur les crédits et articles rattachés.
Questions diverses
Mme Sophie Primas. - Je vous propose que nos collègues Anne Chain-Larché et Joël Labbé soient nommés pour siéger au sein du groupe de travail sur les centres bourgs et centres villes, qui a été créé par la délégation aux entreprises et la délégation aux collectivités territoriales. Martial Bourquin devrait en être nommé rapporteur par la délégation aux entreprises.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 12 h 15.
La réunion est ouverte à 17 h 35.
Projet de loi de finances pour 2018 - Audition de M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir parmi nous M. Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, qui vient nous présenter son premier budget concernant les crédits du logement et de la politique de la ville.
Les crédits du projet de loi de finances pour 2018 concernant le logement, qui sont le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », le programme 109 « Aide à l'accès au logement », et le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » atteignent 15,8 milliards d'euros en diminution de 10%.
Parmi ces trois programmes, le programme le plus important sur le plan budgétaire est le programme 109 qui concerne les APL. 13 milliards d'euros y sont consacrés, en baisse de 12 %. Le gouvernement a décidé à l'article 52 du projet de loi de finances d'instaurer une réduction de loyer de solidarité dans le parc social laquelle doit permettre une baisse concomitante des APL. Vous nous indiquerez l'état de votre réflexion en la matière.
En matière d'hébergement d'urgence, vous nous présenterez les grandes lignes budgétaires du programme 177 ainsi que votre plan quinquennal pour le « Logement d'abord » et la lutte contre le sans-abrisme pour 2018-2022.
L'article 32 de la loi ALUR prévoyait la remise d'un rapport sur la mise en oeuvre d'un statut unique pour les établissements et services de la veille sociale, de l'hébergement et de l'accompagnement qui n'a toujours pas été remis au Parlement, alors même qu'il serait sur votre bureau. Quelles en sont les principales conclusions ?
En matière d'aide à la construction, nous souhaiterions vous entendre sur les grandes lignes de votre stratégie en matière de logement pour le quinquennat et leur impact sur le budget pour 2018.
Concernant la politique de la ville, les crédits diminuent de 16% en raison de la diminution des crédits dédiés au financement du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU). Je ne reviens pas sur les propositions de nos collègues Annie Guillemot et Valérie Létard sur lesquelles nous avons débattu dans l'hémicycle hier soir. Le NPNRU bénéficiera de 10 milliards d'euros. Quelles seront les conséquences de cette augmentation en pratique ? Allez-vous privilégier le versement de subventions plutôt que le versement de fonds sous forme de prêts bonifiés ? Cette augmentation permettra-t-elle d'assouplir les règles applicables -je pense aux montants des subventions versées aux bailleurs pour les démolitions et au scoring ?
Enfin - et je serai volontairement provocatrice en posant une question que j'ai déjà posée au directeur général de l'ANRU -, ne pensez-vous pas que certains quartiers sont définitivement perdus, au regard de leur état immobilier mais aussi de l'accumulation dans le temps de handicaps sociaux dont souffrent les populations et qui donnent à ces quartiers une réputation qui va peut-être au-delà de la réalité ?
Je vous laisse sans plus attendre la parole, après quoi je la laisserai aux rapporteures de la commission Dominique Estrosi Sassone, pour le logement et Annie Guillemot pour la politique de la ville, ainsi qu'à Philippe Dallier, rapporteur spécial de la commission des finances, puis aux collègues qui le souhaiteront.
M. Jacques Mézard, ministre. - Nous avons présenté, avec Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires, la « Stratégie Logement » déterminant les orientations du Gouvernement pour les cinq années à venir et qui trouvera une traduction législative en 2018. Je suis favorable à travailler sur ce projet en concertation avec vous, notamment dans le cadre de la conférence de consensus proposée par le Président du Sénat. Je salue d'ailleurs cette initiative.
Nos constatations étaient partagées par plusieurs candidats lors des débats préélectoraux. Dans notre pays, il y a eu un effort conséquent de l'État en matière de politique de logement, avec près de 40 milliards d'euros de dépenses publiques. Malgré cela, il y a 4 millions de mal logés, et nombre de nos concitoyens rencontrent des difficultés en matière de logement. Il est aujourd'hui nécessaire de faire évoluer le système sur le plan budgétaire, lequel découle directement des orientations données par Raymond Barre en faveur des aides personnelles au logement, qui étaient certes soutenables à l'époque, mais qui conduisent aujourd'hui à faire évoluer le système.
De manière schématique, nous avons un problème en zone tendue - pour reprendre une classification développée sous le ministère de Benoist Apparu -, avec une offre généralement de qualité, mais en deçà de la demande de logements. En outre, nous avons également un problème en zone détendue, où l'offre de logements est en général suffisante, mais la demande est plus faible, ce qui conduit à la vacance de nombreux logements, et par voie de conséquence à une dégradation des centres des villes moyennes. Nous sommes d'ailleurs en train de préparer un plan d'action qui leur est destiné.
Ainsi, il s'agit aujourd'hui de construire plus, mieux et moins cher.
Le premier axe de la stratégie consiste en la libération du foncier, qu'il s'agisse de foncier public ou privé. Le délai pour concrétiser un projet est important. J'ai ainsi récemment rencontré le président de l'association des maires d'Ile-de-France qui m'indiquait avoir signé, il y a quelques jours l'achat d'un bien de l'État, pour lequel les négociations avaient débuté en 2004. D'ailleurs, le délai moyen entre le début des démarches et la livraison est en moyenne de 10 ans, en raison de l'accumulation de difficultés que nous avons nous-mêmes créées. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de mettre en place, dans les zones tendues, un abattement exceptionnel qui sera appliqué sur les plus-values résultant de la cession de terrains à bâtir ou de terrains bâtis, en cas de promesse de vente conclue avant fin 2020 en vue de la construction de logements neufs. Cet abattement sera de 100 % pour les cessions réalisées en vue de la construction de logements sociaux, 85 % pour les cessions en vue de réaliser du logement intermédiaire, et de 70 % en vue de réaliser du logement libre. Cette mesure correspond à une demande des promoteurs et constructeurs. En effet, dans le système actuel de taxation des plus-values, les détenteurs fonciers ont intérêt à garder leurs biens le plus longtemps possible. Cela répond ainsi au besoin de terrains en zone tendue.
En ce qui concerne les zones détendues, et vous savez que je suis sensible à ces dernières et aux communes rurales, j'ai rencontré à l'occasion du Congrès des maires, des élus ruraux qui considéraient ne pas avoir assez de terrains à disposition pour des constructions de logement. Toutefois, il me semble que pour le moment, il y a sur ces territoires, des possibilités foncières importantes.
En outre, il est important d'aller vers un urbanisme de projet. Nous allons ainsi faciliter la création de projets partenariaux d'aménagement, et améliorer les dispositifs d'opération d'intérêt national. Nous voulons privilégier la contractualisation, notamment avec les collectivités territoriales. J'ai rencontré récemment le dirigeant d'une grande entreprise internationale qui s'était engagée dans une telle démarche. Le dossier avait pris moins d'un an. Cela démontre, que dans ce pays, lorsque l'on veut, on peut, mais il faut faciliter les choses.
Il faut aussi intervenir sur le coût de la construction, qui est l'un des plus élevés en Europe. En matière de réglementation et de normes, il faut sortir d'une logique de prescriptions de moyens, qui sclérose l'innovation pour aller vers une obligation de résultat. À titre d'exemple, en matière de bruit, on indiquerait le nombre maximal de décibels acceptable, et on laisserait les entreprises libres de trouver les solutions pour y parvenir.
Nous avons également une volonté de simplifier les normes, notamment en matière d'accessibilité, sans tabou. Nous avons beaucoup travaillé avec l'association des paralysés de France (APF). De manière générale, la consigne a ainsi été donnée à tous les ministères de faire une « pause normative » durant le quinquennat, à l'exception, bien sûr, des normes de sécurité. J'ai d'ailleurs été interpellé hier par votre collègue Catherine Deroche sur les risques d'accidents dus aux armatures en béton. Par ailleurs, bien évidemment, nous prendrons celles découlant de textes législatifs déjà votés, notamment en matière d'environnement.
En outre, nous devons nous pencher sur la question des recours. Aujourd'hui, la construction de 30 000 logements est bloquée en raison de recours. Le maire de Toulouse m'a ainsi dit que 60 % des permis de construire font l'objet d'un recours. Certes, juridiquement, il est difficile d'interdire les recours, car c'est un droit constitutionnel. Toutefois, nous souhaitons mettre en place une cristallisation obligatoire des moyens, qui consiste à obliger le requérant à présenter l'ensemble de ses griefs en une fois, ce qui présente l'avantage de raccourcir la période d'instruction du recours. Aujourd'hui, cette cristallisation est facultative, nous souhaitons la rendre demain obligatoire. En outre, nous souhaitons un renforcement des sanctions contre les recours abusifs. En effet, ces dernières ne sont pas suffisamment utilisées, alors que nous savons que certains déposent un recours, simplement pour retarder les travaux, et ainsi pouvoir négocier une transaction. Sur ces sujets, j'espère que nous pourrons travailler en partenariat avec le Sénat.
Je souhaitais également faire un point sur les dispositifs fiscaux. Le dispositif d'investissement locatif dit Pinel et le prêt à taux zéro (PTZ) devaient normalement prendre fin au 31 décembre 2017. Au final, des modifications sont intervenues depuis le dépôt du projet de loi de finances initiale. Ainsi, le dispositif Pinel a été prolongé de 4 ans pour les zones tendues, en zones A, A bis et B1. Pour la zone B2, un dispositif transitoire est instauré, qui a été modifié par l'Assemblée nationale. Ainsi, le dispositif Pinel continuera de s'appliquer en zone B2 lorsque le permis de construire aura été déposé avant le 31 décembre 2017 et à condition que l'acquisition soit réalisée au plus tard le 31 décembre 2018. Bien sûr, nous serons ouverts aux propositions du Sénat. Cette solution convient aux constructeurs et fédérations de professionnels, car elle leur apporte une visibilité sur quatre ans, à la différence d'une reconduction d'année en année. En ce qui concerne le PTZ, nous le prolongeons dans le neuf pour quatre ans dans les zones tendues A bis, A, B1, et pour deux ans dans les zones B2 et C. Enfin, pour les logements anciens, il y a une prolongation du PTZ pour quatre ans dans les zones B2 et C. Cela participera notamment à la rénovation des centres-bourgs des villes moyennes, en favorisant l'acquisition de logements anciens.
Dans le cadre de la stratégie Logement, nous n'avons pas souhaité nous fixer d'objectifs globaux. En effet, les exemples des précédents plans ont montré l'inefficacité d'un tel procédé. Cependant, nous souhaitons nous engager fortement dans deux secteurs. Le premier concerne le logement des jeunes. Nous voulons aboutir à la construction de 80 000 logements sur le quinquennat, dont 60 000 logements étudiants. C'est un secteur dans lequel il y a un besoin important. En outre, pour les étudiants, mais aussi pour ceux qui pourraient avoir besoin d'un tel dispositif, nous allons créer un bail mobilité, d'une durée de un à dix mois, afin de répondre au besoin d'un logement pour une courte période - un stage, par exemple. Nous souhaitons étendre le dispositif de garantie « VISALE », financé par Action Logement, qui reprendrait ainsi le dispositif de caution locative étudiante (CLE) de l'Etat, et dont les fonds vont être ajoutés au dispositif VISALE. Il s'agit d'apporter une caution, une garantie locative aux propriétaires en cas d'impayés, et la prise en charge des travaux nécessaires le cas échéant, à la fin d'un bail. Je tiens d'ailleurs à souligner la faible consommation des fonds engagés pour la garantie VISALE - à peine 35 % de l'enveloppe. Elle a été mise en place pour remplacer la garantie universelle des loyers qui avait été abandonnée en raison du coût estimé à l'époque à 600 millions d'euros.
Par ailleurs, nous souhaitons améliorer l'hébergement d'urgence, notamment grâce au plan quinquennal du « Logement d'abord ». Il ne s'agit pas de rendre responsable les uns ou les autres de la situation actuelle. À mon sens, nous avons une responsabilité collective. Aujourd'hui 120 000 personnes sont sans abri en France. La réalité de la situation, notamment au niveau migratoire est différente de celle qu'elle était il y a une dizaine d'années. Toutefois, il n'est pas tolérable que l'hébergement d'urgence laisse autant de personnes dormir dehors. Dans ce cadre, et en concertation avec les associations, le Président de la République a présenté son plan en faveur du « Logement d'abord ». Je souhaite être très clair : il ne s'agit pas de financer ce plan en prenant des crédits de l'hébergement d'urgence. Dans le cadre de ce plan, nous souhaitons mettre en place une procédure accélérée et lancer un appel à projets à destination d'une quinzaine de territoires, ainsi que travailler de manière partenariale avec les associations et les collectivités territoriales. Je pense que ce projet intéresse prioritairement les métropoles. La métropole de Toulouse a déjà fait savoir qu'elle serait intéressée. Nous souhaitons créer 10 000 places supplémentaires en pension de famille. Il en existe actuellement 15 000. Ce dispositif fonctionne bien, nous souhaitons porter leur nombre à 25 000 places. Nous souhaitons également créer 40 000 places en intermédiation locative. Toutefois, cela ne résout pas la question de l'hébergement d'urgence et du recours aux nuitées hôtelières. Ainsi en Ile-de-France, il y a chaque année 34 000 nuitées hôtelières. Parmi les personnes hébergées, plusieurs milliers de personnes sont en attente de régularisation depuis longtemps. À ma connaissance, une personne en nuitée d'urgence attendrait depuis près de 12 ans. L'État prendra toutes ses responsabilités.
En ce qui concerne la politique de la ville, 1 500 quartiers prioritaires ont été retenus en application de la loi Lamy. Nous ne souhaitons pas relancer le débat sur les périmètres, les critères d'entrée et de sortie dans la géographie prioritaire. Je rappelle d'ailleurs qu'il existe pour les zones rurales un dispositif dénommé zones de revitalisation rurale. En revanche, je considère que la situation n'est pas la même entre les différents quartiers prioritaires. Bien évidemment, il ne s'agit pas de prendre à certains pour redonner à d'autres. Mais il y a une dizaine de quartiers en difficulté extrême. Vous me demandez s'ils sont perdus ? Je comprends la lassitude des élus concernés, voire leur exaspération. Par exemple, il est difficile de mettre en place une relation avec les parents quand, dans une classe, aucun d'entre eux ne parle français, et que les enfants parlent une dizaine de langues différentes. En outre, il y a un renouvellement des populations vivant dans ces quartiers. Ainsi, une partie des habitants, dont la situation s'est améliorée, partent et sont remplacés par des personnes à très faibles revenus, qui, lorsque leur situation se sera améliorée, quitteront à leur tour le quartier. Les collectivités territoriales ont elles-mêmes, pour certaines, participé à ce mouvement. Mais, nous devons essayer d'apporter des améliorations pour ceux qui y vivent. Sur le plan financier, la politique de la ville connaît pour 2017 une diminution de 46 millions d'euros, suite au rabot annoncé cet été. L'État va en prendre en charge 24 millions d'euros. Nous avons, préfecture par préfecture, analysé la situation pour viser les dossiers non lancés. Et, pour le reste du quinquennat, les crédits de la politique de la ville seront sanctuarisés. Certes, cette seule mesure ne suffira pas, car ce n'est pas qu'une question financière. Toutefois, il y a un engagement politique fort en faveur de la politique de la ville. Le Président de la République souhaite en faire une priorité nationale et mobilise tous les ministères concernés, que ce soit l'éducation, la santé ou la sécurité. Dans ce cadre, le dédoublement des classes de CP a été mis en oeuvre dès cette rentrée. 2 500 classes ont ainsi été dédoublées. En outre, la police de sécurité du quotidien va être mise en place prioritairement dans ces quartiers. Enfin, 200 000 emplois aidés seront déployés en 2018, avec un fléchage sur les quartiers prioritaires, les communes rurales et l'accompagnement des élèves en situation de handicap. J'ai demandé à Jean-Louis Borloo de travailler avec nous pour faire un bilan des actions menées en matière de politique de la ville et faire des propositions que nous pourrons présenter début mars.
Sur l'ANRU, j'ai signé hier un protocole d'accord avec Action Logement, qui prévoit l'engagement de ce dernier pour financer 2 milliards et celui de l'Etat de contribuer à hauteur d'1 milliard. Nous avons un dialogue constructif avec les bailleurs sociaux pour assurer le bouclage des 10 milliards d'euros affectés au nouveau programme national de renouvellement urbain qui seront extrêmement utiles, car cela équivaut à un doublement du montant initialement prévu. La mise en oeuvre du programme s'étalera jusqu'en 2031. Ainsi, pour l'Etat, lorsque l'on met un milliard d'euros, on met en fait 65 millions d'euros par an.
Enfin, nous tiendrons nos engagements, mais pour dépenser, il faut qu'il y ait des dossiers prêts à démarrer.
Concernant la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), je n'entends pas remettre en cause les principes posés par cette loi, car cela enverrait un mauvais message aux collectivités locales qui ont tenu leurs engagements. En outre, la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté a modifié la procédure, en instituant une commission régionale en plus de la commission nationale. Un bilan a été réalisé sur les constructions de logements sociaux entre 2014 et fin 2016. Les préfets de région, les commissions régionales et la commission nationale ont examiné un certain nombre de communes qui n'ont pas respecté leurs objectifs. Certaines, certes minoritaires, nous expliquent d'ailleurs qu'elles n'entendent pas les respecter. À la suite des observations faites par la commission nationale présidée par Thierry Repentin, j'ai réinterrogé les préfets. J'attends leurs retours pour trouver des solutions conciliant à la fois les obligations législatives et les réalités du terrain. Enfin, dès l'année prochaine, je réunirai l'ensemble des préfets de région, pour travailler en amont sur ce dossier. Pour la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019, je suis sûr que le Sénat fera des propositions et que nous pourrons travailler en commun sur ces sujets. La ligne rouge cependant est claire : nous ne remettrons pas en cause les principes posés par cette loi. Toutefois, il faudra prendre en compte les réalités de terrain, par exemple les problèmes posés par les fusions de communes. Nous ne souhaitons pas faire d'idéologie, mais nous recherchons des solutions pragmatiques : nous avons un besoin en logements sociaux, et le dispositif législatif actuel présente des effets positifs. Toutefois, des difficultés sont apparues en pratique, que nous devons prendre en compte.
En matière d'urbanisme, je n'entends pas que soit retirée aux maires la signature des permis de construire. Certes, l'instruction peut se faire au niveau de l'intercommunalité, d'autant plus qu'on constate un retrait des services de l'État et que l'intercommunalité s'occupe du droit des sols. En revanche, retirer aux maires ce pouvoir serait mal vécu par ces derniers. La moitié des intercommunalités ont fait le choix d'un plan local d'urbanisme intercommunal. Dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, je crois à l'intelligence des territoires.
En ce qui concerne l'article 52 du projet de loi de finances, je partage les objectifs d'économie. Je suis d'autant plus conscient des difficultés que j'avais corédigé avec Philippe Dallier et Charles Guené un rapport sur les conséquences de la baisse des dotations aux collectivités territoriales. Toutefois, dans un certain nombre de domaines, l'État doit faire des économies et mieux gérer ses dépenses, et ce d'autant plus qu'il demande des efforts importants aux collectivités territoriales. Tout d'abord nous avons toujours maintenu le dialogue avec tous les bailleurs sociaux. Il y a en leur sein quatre grandes filières aux opinions très différentes. Deuxièmement, nous faisons le constat, d'ailleurs partagé, qu'une restructuration est indispensable. Il existe 730 structures différentes. À titre d'exemple, à Évry, 21 structures HLM différentes sont présentes sur le territoire de l'agglomération. Toutefois, dans cette restructuration, il faudra aussi prendre en compte les besoins de proximité. Nous avons réussi à faire cette restructuration pour Action Logement, nous devons désormais le faire avec l'Union sociale pour l'habitat. Je suis conscient des réalités du terrain - j'ai présidé pendant plusieurs années un office départemental. Mais, il me semble qu'on peut y arriver dans un délai de trois ans. Cette restructuration permettra également d'apporter de l'aide sous forme de péréquation à ceux qui en ont besoin. Je ne cache pas, à titre personnel, qu'une augmentation de la TVA sur les opérations de construction et de réhabilitation des organismes HLM me paraît souhaitable. J'espère, qu'en utilisant plusieurs mesures, dont celle-ci, nous arriverons à avancer. De manière générale, nous serons très attentifs aux travaux du groupe de travail mis en place au sein de votre commission sur ce sujet. J'espère que nous déboucherons sur une solution consensuelle, acceptée par tous.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Le programme 177 regroupe les crédits de la politique d'hébergement d'urgence. Ces crédits augmentent de 12 % et je m'en félicite. Toutefois, chaque année, se pose la question de la sincérité de ces crédits. Nous pouvons légitimement nous interroger sur une sous-budgétisation des crédits de ce programme pour 2018, surtout au regard des objectifs volontaristes affichés par le plan quinquennal « Le logement d'abord ». Ainsi, les crédits dédiés à la veille sociale sont inférieurs à ceux de 2016, alors que le plan prévoit de renforcer cette dernière. En outre, aucune ligne budgétaire n'est prévue pour l'accompagnement des personnes vers des logements adaptés. Comment pensez-vous remédier à cette possible sous-budgétisation des crédits dans le domaine de l'hébergement d'urgence ?
En ce qui concerne le programme 109, et notamment l'article 52, j'ai été surprise par la brutalité de la réforme des APL et son caractère unilatéral. En effet, il ne s'agissait pas d'un engagement apparaissant dans le programme de campagne d'Emmanuel Macron. Certes, il faut faire des économies et la rigueur budgétaire s'impose à tous. Toutefois, le Gouvernement a absolument tenu à afficher en matière de logement une économie de 1,7 milliard d'euros sur les dépenses publiques, dont 1,5 milliard d'euros sont dus à la réforme des APL. Le coût financier est important pour les bailleurs sociaux. Avez-vous mesuré l'impact de cette mesure sur ces derniers, dont certains sont déjà dans une situation financière délicate ? De même, quel est la conséquence sur l'emploi dans les territoires, et les entreprises du bâtiment ? Leur chiffre d'affaires va être touché en raison d'une diminution des constructions et des rénovations. Enfin, quel sera l'impact sur les collectivités territoriales qui sont garantes de l'emprunt des bailleurs sociaux, souscrit pour un montant de plusieurs milliards d'euros ?
Les dispositions votées à l'Assemblée nationale prévoient l'étalement de la réduction de loyer de solidarité dont la mise en oeuvre se fera sur trois ans, avec une montée en puissance : elle permettrait une économie concomitante des APL de 800 millions en 2018, 1,2 milliard en 2019 et 1,5 milliard en 2020. Combien d'organismes HLM seraient en fragilité financière, voire en danger de faillite suite à cette réforme, et combien de communes vont voir leur garantie mise en oeuvre du fait de cette défaillance des organismes sociaux ? Ce qui a été voté à l'Assemblée nationale est loin de faire consensus. Ainsi, nous avons mis en place un groupe de travail pour essayer de trouver des solutions financières les moins douloureuses possible pour les bailleurs sociaux. Ce matin, en commission des affaires économiques, j'ai présenté les mesures envisageables pour parvenir à 1,5 milliard d'euros d'économie. L'une semble être actée : la hausse de la TVA à 10 % pour la construction de logements sociaux et leur réhabilitation. Il reste d'autres pistes : une hausse de la cotisation des bailleurs sociaux à la CGLLS, la mise en place d'une nouvelle cotisation versée à la CGLLS sur les logements énergivores, ou le maintien de la réduction de loyer de solidarité mais avec un rendement moindre à hauteur de 800 millions d'euros, et surtout sans montée en puissance sur les trois années à venir. Le gouvernement est-il prêt à envisager ces mesures ?
Sur le programme 135, l'État se désengage du fonds national des aides à la pierre (FNAP) : 50 millions d'euros sont affectés contre 200 millions d'euros l'année dernière, entraînant une hausse de la contribution des bailleurs sociaux de 270 à 375 millions d'euros. Il s'agit d'une ponction supplémentaire sur ces derniers. Il est prévu à l'article 52 quater l'instauration d'une taxe à hauteur de 10 % maximum sur les produits de cession de logements sociaux - dont le rendement est estimé à 70 millions d'euros - qui alimenterait le FNAP. Or cela semble en complète contradiction avec le souhait du Gouvernement d'augmenter les ventes de logements sociaux. Pour rappel, l'objectif est de 40 000 ventes. Or, aujourd'hui nous en sommes à peine à 8 000. Enfin, n'y a-t-il pas une contradiction entre, d'une part, la stratégie quinquennale du logement qui est censée permettre un choc d'offre, et, d'autre part, un choix budgétaire de l'État de se désengager des aides à la construction : désengagement de l'aide à la pierre, suppression des aides aux maires bâtisseurs, recentrage des mesures fiscales PINEL et PTZ ?
Mme Annie Guillemot, rapporteur pour avis. - Je ne reviendrai pas sur les questions auxquelles vous avez répondu lors du débat d'hier sur la politique de la ville, si ce n'est que nous avons, avec Valérie Létard, bien pris note de votre engagement qu'il n'y aurait pas de coupe budgétaire sur la politique de la ville en 2018. Nous sommes également en attente des mesures d'assouplissement visant les procédures d'instruction des projets menés dans le cadre du NPNRU. Nous vous réitérons nos préoccupations s'agissant du bouclage du financement du NPNRU, à hauteur de dix milliards d'euros, pour l'heure incertains en raison du débat sur la réforme des APL dans le parc social. J'aurais cependant une question très précise sur la dotation politique de la ville : un amendement du Gouvernement permet à 373 communes, au lieu des 80 initialement prévues, de bénéficier de la DPV, dont le montant demeurerait fixé à 150 millions d'euros. Confirmez-vous cette mesure qui réduirait le montant de la dotation attribuée à chaque commune, en contradiction avec l'engagement du Président de la République selon lequel aucune commune de la politique de la ville ne perdrait de dotation ? Au cours de mes auditions, il m'a été indiqué que cette dotation n'avait pas été intégralement consommée et qu'en 2016, 75 millions d'euros avaient été « rendus ». Certains maires ont été remboursés deux, voire trois ans, après ! S'agissant de l'article 52 du projet de loi de finances, il est inacceptable que l'effort de réduction budgétaire continue à toucher les plus pauvres. Une telle démarche est contradictoire avec la demande du Gouvernement, auprès des offices HLM, de loger encore plus de personnes démunies, comme en dispose votre plan en faveur du « Logement d'abord ». Elle est d'autant plus choquante, lorsque l'on sait que le résultat d'exploitation des offices HLM, qui atteint 2 milliards d'euros, est intégralement réinvesti dans la production et la rénovation du parc, avec des effets démultiplicateurs en termes d'emplois directs et de TVA à hauteur de 800 millions d'euros. Leur capacité d'investissement va donc être amputée de 75 % ! Je rappellerai que de nombreux offices HLM gèrent des quartiers en politique de la ville, que 4,2 millions de logements HLM sont occupés par plus de dix millions de personnes. 15 % des ménages - dont la moitié est en-dessous du seuil de pauvreté - relèvent du logement social. Avec un loyer moyen de 390 euros, contre 570 euros dans le parc privé, les organismes HLM répondent à une demande sociale forte que vous souhaitez d'ailleurs renforcer. Concrètement, baisser de 60 euros, dès le 1er janvier 2018, l'APL de tous les locataires de logement induit concrètement une baisse de loyer de 50 euros pour un célibataire, de 61 euros pour un couple ou une personne seule avec un enfant à charge, et de 10 euros de plus par personne à charge supplémentaire. Plus un bailleur social loge des personnes modestes, des familles nombreuses ou des personnes seules avec enfants, plus il sera taxé ! Toute construction de logements financés par un prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) sera systématiquement pénalisée, tandis que les logements intermédiaires ne le seront pas. Telle est la réalité ! Monsieur le Ministre, n'avez-vous pas peur de rompre la confiance qui s'installait dans le financement du NPNRU, auquel les offices HLM sont appelés à participer à hauteur de deux milliards d'euros ? Il nous paraît que la baisse des APL et la réduction de loyer de solidarité ne sont nullement des solutions de compromis et vont peser sur les organismes qui accueillent le plus de ménages bénéficiaires des APL. Ces mesures vont être coûteuses à mettre en oeuvre et sont évolutives à la hausse, par l'effet de paupérisation des locataires dont on connaît la réalité au sein du parc social. L'Union sociale pour l'habitat a fait des propositions dont il faut débattre. Ne faut-il pas, Monsieur le Ministre, revenir sur cet article 52 et ne pas mettre en oeuvre ni la réduction de loyer de solidarité, ni la baisse des APL ?
M. Philippe Dallier, rapporteur spécial de la commission des finances. - Monsieur le Ministre, ne pensez-vous que le Gouvernement, en matière de logement, a mis la charrue devant les boeufs ? Après trois années difficiles, entre 2013 et 2015, le secteur connaît une certaine embellie depuis deux ans. Nous revenons de loin, en partie en raison de l'application de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) qui a effrayé un certain nombre d'investisseurs. N'êtes-vous pas en train de prendre le même type de risque ? En effet, si je liste les différentes dispositions de ce projet de loi de finances : si l'on supprime l'impôt sur la fortune, on ne garde que l'impôt sur la fortune immobilière. On supprime la taxe d'habitation et on ne garde que la taxe foncière qui sera la variable d'ajustement des communes qui n'en auront plus d'autres. On supprime l'aide aux maires bâtisseurs. On recentre le Pinel et le PTZ, même s'il me faut reconnaître, Monsieur le Ministre, que vous les avez sauvés, puisqu'ils devaient s'éteindre. Vous supprimez la prime d'Etat pour les titulaires des plans d'épargne logement. Vous supprimez l'APL-Accession, alors que, dans le même temps, vous incitez les bailleurs à vendre. Quelle est donc votre logique ? Vous abaissez à 50 millions d'euros la participation de l'Etat au FNAP : vous rompez ainsi la promesse de parité, tout en demandant aux bailleurs sociaux de payer l'addition. Vous pérennisez le coût de rabot de cinq euros sur les APL, en plus du 1,5 milliard d'euros sur le fameux article 52. Nous avons là un ensemble de signaux qui s'adressent aussi bien aux investisseurs publics et privés qu'aux collectivités territoriales appelées souvent en garantie d'emprunt, et qui risquent de produire un coup de frein à la production. C'est là le paradoxe : vous parlez de réformes structurelles et nous sommes sans doute unanimement d'accord pour réformer le secteur des bailleurs sociaux. Action Logement l'a fait très vite et sans doute efficacement. Les bailleurs doivent se réformer, mais une telle démarche prend du temps ! Avant que des économies ne soient dégagées par cette réforme, que va-t-il se produire ? C'est une inquiétude réelle. Est-il encore temps de faire machine arrière au Sénat et d'adoucir la peine pour les bailleurs sociaux ? Par ailleurs, je vous entends sur l'article 52, Monsieur le Ministre, après avoir écouté le Premier ministre lors du congrès des maires de France. Je n'ai pas bien compris si le Premier ministre, Edouard Philippe, commentait la solution issue des débats de l'Assemblée nationale qui consiste à lisser le 1,5 milliard d'euros sur trois ans, avec en contrepartie une augmentation à titre transitoire de la taxe sur la valeur ajoutée pour le logement social. Si tel s'avérait le cas, nous sommes dans le schéma arrêté par nos collègues députés, et je ne vois guère ce que le Sénat peut y apporter. Si tel n'était pas le cas, la logique qui prévaut est bel et bien celle développée par ma collègue Dominique Estrosi Sassone. Vous avez acquiescé à la TVA, mais est-ce de manière pérenne ou temporaire ? Si c'est pour trois ans, le temps d'atteindre 1,5 milliard d'euros avec la RLS, nous ne sommes pas d'accord ! Si nous sommes d'accord pour trouver quelque 700 millions d'euros en première partie du projet de loi de finances, c'est pour adoucir la peine des bailleurs sociaux sur l'article 52 ! Plusieurs options s'ouvrent et nous n'avons pas encore trouvé le bon calibrage ; j'espère que nous y parviendrons ! C'est là un point crucial, Monsieur le Ministre : si le Gouvernement en est d'accord, nous trouverons une solution. Mais s'il s'agit d'étaler la mesure sur trois ans, avec le risque de freiner concomitamment le marché, je ne vois effectivement pas comment nous pourrions aller dans cette direction. Juste un mot sur l'hébergement d'urgence. Je salue l'effort de rebasage des crédits du programme 177. Malgré celui-ci, ces crédits restent inférieurs de 40 millions d'euros à l'exécution de 2017. Lors des auditions que j'ai organisées, on m'a répondu que des économies étaient attendues. Il faut aller au bout de la logique, avec l'enquête nationale des coûts. Il n'est pas acceptable que certains établissements refusent de répondre de peur d'être obligés de caler leurs tarifs sur les tarifs moyens. Ces économies seront-elles trouvées en 2018 ? Je n'en suis nullement certain. Enfin, l'hébergement des migrants, pour la seule région Ile-de-France, représente un coût de 150 millions d'euros inscrits sur le programme d'hébergement d'urgence. Il m'a été indiqué qu'une telle somme serait transférée sur le bon programme relevant du ministère de l'Intérieur. Est-ce que ces 150 millions d'euros vous paraissent suffisants ? Pensez-vous que le Ministère de l'Intérieur paiera enfin sa part, ce qu'il n'a jamais fait jusqu'à présent ?
M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. - Sur l'hébergement d'urgence, Madame Estrosi Sassone, vous avez fait une constatation qui ne remonte pas à aujourd'hui. Vous avez raison : les budgets successifs, sur le programme 177, n'ont jamais été sincères. Le nombre de personnes arrivant sur le territoire et en situation de grande précarité, qui relèvent de l'hébergement d'urgence, a constamment été sous-estimé. Cette année, nous avons prévu une hausse de 13 % dans le budget. J'espère que cette hausse sera suffisante, mais je n'en suis pas certain. En liaison avec le ministère de l'intérieur, nous allons travailler à rendre le budget réaliste par rapport aux besoins. En outre, cette démarche devra s'inscrire dans la politique d'accueil et de retour présentée par le Président de la République. Je partage ainsi vos observations : il faut que nous parvenions à caler le budget pour qu'il soit sincère.
Sur la vente du parc HLM, la situation n'est pas satisfaisante. La vente n'est certes pas la panacée, sauf qu'aujourd'hui ces ventes de logements HLM, soit 0,2 % du parc, représentent 10 % de ce qui est mis sur le marché. La faiblesse de ces ventes résulte d'une part, de la complexité du processus, d'autre part, de positions idéologiques : pourquoi changer lorsqu'on n'a jamais évolué pendant un siècle ? J'ai signé hier un protocole d'accord avec Action Logement qui prévoit la création d'une structure facultative de portage pour la vente de HLM. Puisque Action Logement détient une partie du parc, on peut ainsi considérer que cette disposition sera mise en application. À la fin du quinquennat, près de 40.000 logements HLM devront être mis sur le marché. Comment y parvenir ? Il importe que l'achat soit réservé aux locataires. Il ne s'agit pas de chasser les personnes âgées des logements qu'ils ont occupés pendant des années. La structure créée par Action Logement aura comme fonction l'achat en bloc d'immeubles aux bailleurs sociaux, avant de conduire la vente à l'occupant, sous réserve de la mise en place d'un dispositif sécurisé. On veut aller vite. La taxe sur les cessions de logements HLM alimentera directement le FNAP, sans abonder le budget global de l'Etat, cela me paraît totalement vertueux. La vente de logements HLM sert ainsi à financer le FNAP, donc l'aide à la pierre, et permet aux organismes HLM de construire d'autres logements. En effet, la vente d'un logement HLM permet financièrement d'en construire deux, voire trois autres ! Ce scepticisme est à mettre au compte de nos postures françaises. Je pense qu'il s'agit d'un système vertueux. Passer à 1 % du parc, par des achats en bloc et la protection des locataires, est un bon système.
Sur les crédits du programme 177, je vous ai répondu avec les réserves d'usage. L'augmentation de 13 % doit permettre de financer le « logement d'abord ». Sur l'accompagnement social, les crédits sont également portés par le Fonds national d'accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL), qui devrait recevoir quelque trente millions d'euros pour l'accompagnement des personnes vulnérables sur le programme 135 ; c'est la raison pour laquelle vous ne les trouvez pas sur le programme 177.
Concernant les interrogations de Mme Guillemot sur la politique de la ville, j'ai répondu hier à vingt et une questions en séance publique. Il s'agit d'une priorité du Gouvernement et du Président de la République. Beaucoup reste à faire.
Sur les bailleurs sociaux, il serait facile pour moi de vous rappeler le contenu du référé de la Cour des comptes de juin dernier, dont je n'étais pas, du reste, le commanditaire. Mais pour avoir assisté à nombre de débats sur les bailleurs sociaux, sur les « dodus dormants » il me paraît difficile de crier famine et misère ! Certes, certains sont en difficulté. Le besoin de restructuration est évident, c'est ma conviction En fonction du contenu de l'article 52, plus ou moins de bailleurs sociaux vont être en difficulté. Je suis à titre personnel favorable à l'augmentation de la TVA sur les opérations des bailleurs sociaux. C'est une première réponse au débat posé.
Le Gouvernement ne souhaite pas mettre en faillite les structures, comme le prouvent nos efforts de mise en place d'un système de péréquation. Une telle démarche n'est pas chose aisée, à l'instar de la péréquation horizontale entre collectivités locales.
En outre, j'entends que cette démarche ne correspond pas aux demandes de l'Union sociale pour l'habitat (USH). Des mesures compensatoires ont été proposées. Ainsi, dans le protocole d'accord signé hier avec Action Logement, un article prévoit le financement par Action Logement d'une bonification de deux milliards d'euros de prêts de haut de bilan qui seront proposés, dès 2018, aux organismes HLM. C'est un engagement. Je veillerai à ce qu'aucun organisme ne soit en faillite.
Sur la dotation de la politique de la ville, Madame Guillemot, vous avez rappelé que tous les crédits n'avaient pas été utilisés durant les années précédentes. Ce n'est pas le seul secteur où l'on peut à la fois demander toujours plus de crédits, sans pour autant les consommer.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci Monsieur le Ministre pour ces premiers éléments de réponse.
Mme Valérie Létard. - À mon tour de dire combien je partage les propos de nos trois rapporteurs. Nous avons longuement échangé les uns et les autres. Au-delà des sensibilités, ces dispositions de l'article 52 auront des conséquences sur nos politiques territoriales et sur la façon dont nous allons aménager demain nos territoires. Nos programmes locaux de l'habitat seront très certainement revisités. Nos projets dans le cadre du NPNRU seront eux aussi remis en question si nous ne trouvons pas une solution satisfaisante sur l'article 52. Une révolution est manifestement en train de s'opérer ! Certes, nos politiques de logement doivent être transformées, mais comme l'a souligné mon collègue Philippe Dallier, il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs ! Trouvons donc une solution budgétaire après avoir examiné un texte de loi dans lequel nous pourrions construire un modèle équilibré.
Action Logement a avancé plus rapidement en termes de restructuration que les organismes HLM. Comme vous l'avez souligné, Monsieur le Ministre, l'épée dans le dos, qui existe au travers de ces propositions budgétaires, encourage et oblige ces organismes à se réformer. Pour autant, les propos du Premier ministre nous inquiètent, tout comme ceux de M. Julien Denormandie, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la cohésion des territoires, de ce matin. Dans trois ans, on revient à la solution initiale ! Pourquoi le Sénat proposerait-il des solutions intermédiaires, alors que le Président de la République fixe le retour à la case départ dans trois ans ? On revient ainsi à une baisse de loyer de soixante euros et on perd l'autofinancement ! Quelles seront les marges de manoeuvre pour construire nos politiques territoriales demain ? Pour pouvoir avancer en toute confiance et que le Sénat puisse amender efficacement, il ne faut pas que nous revenions, dans trois ans, à la même solution.
M. Jean-François Mayet. - Je vous remercie, Monsieur le Ministre, de vos propos qui me donnent le moral. Je prends la précaution de dire à mes collègues Dominique Estrosi Sassone et Philippe Dallier que j'ai beaucoup de respect pour l'énergie qu'ils mettent à défendre la cause des bailleurs sociaux, mais que je ne partage nullement leur pessimisme. Les bailleurs sociaux ne sont pas un « grand corps malade », loin s'en faut ! Pour preuve, les résultats de l'année 2014, réputée difficile, où le bénéfice dégagé représentait quelque 33,5 milliards d'euros, avec une marge d'autofinancement de près de 10 milliards d'euros, ce qui faisait cumuler les fonds propres à 161 milliards d'euros, avec un encours d'emprunt inférieur de 30 milliards d'euros. Je me demande d'ailleurs pourquoi ces bailleurs requièrent les garanties des collectivités territoriales qui se trouvent bien souvent dans une situation plus précaire ! La restructuration est une démarche compliquée, du fait de leur dissémination sur le territoire. Il serait temps de se servir des compétences des bailleurs sociaux en matière de construction, d'achat et de vente. Il faudrait progressivement transformer cette formidable machine à fabriquer des locataires en un dispositif de fabrication de propriétaires. La France n'est pas condamnée à se cantonner à un taux de 56 % de propriétaires. C'est, me semble-t-il, un grand enjeu qui valoriserait les bailleurs sociaux.
Mme Catherine Procaccia. - Monsieur le Ministre, votre propos sur le logement en général, la lutte contre les recours abusifs, les normes, ainsi que sur la facilité des constructions, m'ont rassurée. Merci aussi d'avoir évoqué la loi SRU, dont vous ne voulez pas remettre en cause l'esprit, tout en tenant compte des réalités. J'espère que vous allez pouvoir aller jusqu'au bout de cette logique. Comme j'ai pu le constater dans mon département du Val-de-Marne, où certaines communes sont hyper-urbanisées, la réalité n'est pas celle entraperçue par les préfets de région. D'autres communes, comme le Perreux, sont essentiellement pavillonnaires. En dix ans, il est impossible de transformer cet habitat par des préemptions pour atteindre les objectifs de la loi SRU. Les maires n'ont pas été entendus, en dépit des dispositifs mis en oeuvre depuis une dizaine d'années. En effet, les pénalités et leurs majorations ne tiennent pas compte des recours abusifs et des difficultés qui peuvent être rencontrées. Je compte sur vous pour qu'enfin la situation sur le terrain soit effectivement prise en compte. Dans certaines communes, il est impossible de construire, en raison de l'absence totale de foncier disponible. D'ailleurs, Monsieur Benoist Apparu, dont vous avez parlé, n'est jamais venu sur le terrain pour regarder la réalité des communes !
M. Jean-Claude Tissot. - Je souhaitais vous interroger sur le dispositif fiscal incitatif à l'investissement locatif, dit dispositif Pinel, qui doit être recentré sur les zones les plus tendues à partir de l'année prochaine. Le département de la Loire, intégralement classé en zone B2, ne serait plus concerné par le nouveau dispositif. Le Pinel est pourtant un dispositif bien adapté au parc urbain ligérien. Il a ainsi permis d'engager un certain renouvellement de ce parc particulièrement vieillissant et énergivore. Aujourd'hui, 40 à 50 % des programmes immobiliers du département sont portés par des investisseurs bénéficiant du dispositif Pinel. Par ricochet, les propriétaires bailleurs ont été incités à faire des efforts pour améliorer le parc locatif ancien. Pour poursuivre cette dynamique positive, il serait donc souhaitable de pouvoir maintenir le bénéfice du dispositif Pinel aux territoires classés en zone B2. Il ressort des débats à l'Assemblée nationale que le Gouvernement souhaitait répondre à la problématique causée par la sortie brutale du Pinel, dans le cadre de l'élaboration de sa nouvelle « stratégie logement ». Une sortie plus progressive du dispositif pour les collectivités en zone B2 pourrait ainsi être envisagée. La redéfinition du zonage applicable à ce dispositif devrait également être engagée en septembre 2018. Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous donner des précisions sur ces évolutions ? Enfin, comme vous l'a écrit mon collègue député de Saint-Etienne, M. Régis Juanico, la communauté urbaine de Saint-Etienne accédera officiellement au 1er janvier 2018 au statut de métropole. Son classement en zone B1 - à l'instar d'autres agglomérations au profil de territoire comparable - à compter de cette date serait à la fois cohérent et utile. Le classement de la métropole de Saint-Etienne en zone B1, à compter de 2018, est-il envisageable ? Je vous remercie.
M. Jacques Mézard. - J'ai reçu le maire de Saint-Etienne, qui m'a fait part de son immense joie que son agglomération soit devenue métropole, bien que je ne pense pas que la multiplication des métropoles soit bénéfique pour le pays. Un certain nombre de villes, comme Saint-Etienne, Besançon et Brest, souhaiteraient passer de B2 en B1. L'Assemblée nationale a quelque peu fait évoluer le texte avec un dispositif de transition, impliquant le dépôt de permis de construire avant le 31 décembre 2017 et un acte authentique, pour les acheteurs, avant le 31 décembre 2018. J'entends la demande formulée pour améliorer la situation. Je comprends les motivations des élus, qui souhaitent revoir le zonage. Mais d'autres critères, comme le taux de logements vacants, doivent être pris en compte. Il est peut-être possible, pour le Sénat, d'améliorer le dispositif de transition.
Madame Procaccia, sur la loi SRU, je veux bien venir sur place. Mais je n'entends pas remettre en cause l'esprit de la loi SRU. Je comprends un certain nombre de difficultés notamment induites par les fusions d'intercommunalités.
Mme Catherine Procaccia. - En milieu urbain, vous n'avez pas de fusion d'intercommunalités !
M. Jacques Mézard. - Surtout en Ile-de-France, où il y a eu des réticences.
Mme Sophie Primas, présidente. - Six intercommunalités, regroupant 73 communes, viennent de fusionner dans mon département !
M. Jacques Mézard. - Les pénalités sont automatiquement réduites en fonction de la construction des logements sociaux. On ne peut exiger le respect de l'objectif de construction de logements sociaux, lorsqu'il ne peut pas être atteint, non en raison de l'absence de volonté politique, mais du fait de difficultés d'ordre géologique notamment !
Mme Catherine Procaccia. - En fonction des terrains disponibles !
M. Jacques Mézard. - Certains terrains peuvent être rendus disponibles. Ce point doit faire l'objet d'une discussion avec les préfets de région qui, d'une manière générale, par rapport aux observations de la commission nationale, ont fait preuve de bienveillance, surtout lorsqu'il existait des contrats de mixité sociale.
Monsieur Mayet, je n'entends pas faire le procès systématique des bailleurs sociaux. Je persiste à dire que la restructuration et l'utilisation accélérée des fonds pour construire sont indispensables. Nous avons eu ce débat, pendant des années, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat ! Je comprends qu'une minorité des bailleurs n'a pas envie de se réformer, tandis que d'autres sont prêts à signer un accord. Le passage en force n'a jamais été ma méthode et il est essentiel de ne pas camper sur les postures.
M. Dominique Théophile. - Monsieur le Ministre, le conseil d'administration de l'ANRU a sélectionné vingt-deux sites ultramarins, soit plusieurs sites par territoires, qui ont bénéficié d'un effort financier d'environ 450 millions d'euros grâce aux crédits dédiés à la rénovation urbaine. En Guadeloupe, les villes de Pointe-à-Pitre et des Abymes sont parmi les sites sélectionnés et leur rénovation, signée en 2006, constitue l'un des plus grands programmes lancés en France. Ce vaste chantier, dont la première tranche va s'achever en 2020, coûtera environ un milliard d'euros financé par l'Etat, les collectivités territoriales et les fonds européens. Je profite de votre présence pour vous interroger sur un point qui suscite l'inquiétude du président de la communauté de communes, forte de 85 000 habitants, et des deux maires concernés : de nouveaux projets pourront-ils voir le jour en Guadeloupe, et plus généralement en outre-mer ? Comme vous le savez, le financement des programmes de rénovation urbaine est essentiel à l'amélioration des conditions de vie dans ces départements et ce, tout particulièrement, dans le contexte de catastrophe naturelle, en matière sismique et cyclonique, qui sévit actuellement.
M. Jacques Mézard. - Sur le NPNRU, 22 territoires de projets en outre-mer regroupant 34 quartiers politique de la ville ont été retenus par le conseil d'administration de l'ANRU en décembre 2015 ; soit 23 nouveaux quartiers - trois de plus en Guadeloupe, onze en Guyane, trois à Mayotte, cinq à la Réunion - par rapport au PNRU. Ces territoires-projets sont généralement plus larges que les périmètres des quartiers « politique de la ville ».
L'augmentation des crédits dédiés au NPNRU n'implique pas la désignation de nouveaux quartiers. Les projets ultramarins sont actuellement en phase de préfiguration et les premières conventions vont être instruites durant le premier semestre 2018, en fonction de leur état d'avancement sur le terrain.
Mme Sophie Primas, présidente. - Il nous reste à vous remercier de cette audition sur votre politique du logement que vous avez bien voulu nous réexpliquer et nous préciser. Je pense que nous aurons encore, d'ici la séance publique, quelques échanges et quelques débats. Comme vous le savez, le Sénat est très volontaire pour trouver une solution alliant la nécessaire restructuration du monde de l'habitat social à une démarche compatible avec l'élan de construction qui ne doit pas être brisé.
La réunion est close à 19 h 15.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.