Mardi 1er août 2017
- Présidence de M. Gérard Dériot, vice-président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de M. Dominique Martin, candidat à la direction générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament
M. Gérard Dériot, président. - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser notre président, Alain Milon, qui ne peut être présent cet après-midi.
Nous recevons M. Dominique Martin, dont le Gouvernement souhaite renouveler le mandat triennal à la tête de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l'ANSM.
Cette audition s'inscrit dans le cadre fixé par l'article L. 1451-1 du code de la santé publique relatif aux procédures de nomination en qualité de président ou de directeur des agences sanitaires.
Je rappelle que l'ANSM a été créée en 2011 pour remplacer, dans les conditions difficiles que nous savons, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'Afssaps. Sa mission est d'assurer la sécurité des produits de santé tout au long de leur cycle de vie et de garantir à tous les patients un accès équitable à l'innovation.
Les enjeux sont de taille et nous gardons en mémoire plusieurs évènements difficiles, auxquels l'opérateur a été exposé dans la période récente. Je pense notamment à l'accident dramatique survenu à l'occasion de l'essai clinique de Rennes.
De fait, au cours des dernières années, nous avons pu constater combien l'ANSM était un opérateur sous tension, du fait de l'élargissement de ses missions dans un cadre budgétaire de plus en plus contraint. Nous avions d'ailleurs demandé au Gouvernement une stabilisation des moyens alloués à l'agence à compter de 2017. Plusieurs évaluations de la Cour des comptes ou de l'IGAS ont pointé des difficultés d'organisation et de fonctionnement, auxquelles le contrat d'objectifs et de performance pour les années 2015-2018 entendait répondre.
Je laisse sans plus attendre la parole à M. Martin, afin qu'il puisse dresser un bilan synthétique de son premier mandat à la tête de l'ANSM et nous exposer la façon dont il entend continuer de répondre aux nombreux défis qui la concernent.
M. Dominique Martin, directeur général de l'ANSM. - Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un honneur pour moi d'être reçu par votre commission, à l'approche du possible renouvellement de mon mandat de directeur général de l'ANSM, pour une deuxième et dernière période de trois ans, comme cela est prévu par la loi.
L'audition par le Parlement du candidat pressenti à la fonction de directeur général par le Gouvernement s'inscrit pleinement dans les principes de transparence déterminés par la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
Ces principes visent à assurer l'inscription de cet établissement dans son environnement politique et social. C'est d'autant plus important que l'ANSM est dotée d'une capacité d'expertise et est amenée à prendre quotidiennement des décisions qui influent fortement sur la pratique des soins et, au-delà, sur le champ de la santé publique.
Je vous propose d'aller à l'essentiel, afin de laisser place à la discussion. Je sais d'expérience que les matières très techniques dont traite l'ANSM ne sont jamais mieux éclairées que par les échanges portant sur des situations concrètes. Je vais par conséquent développer principalement trois thèmes : l'identité de l'agence, ses enjeux, et les engagements que je souhaite formuler pour y répondre.
En 1993 était créée l'Agence du médicament, première agence sanitaire, autonome dans sa gestion comme dans ses décisions.
La loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme a créé l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'Afssaps, dotée de compétences nouvelles, notamment dans le vaste champ des dispositifs médicaux.
Enfin, l'ANSM fut créée en 2012 à la suite d'un processus dense, initié en 2010 à la suite de la crise du Mediator. Les Assises du médicament, qui ont réuni des centaines d'acteurs dans un débat riche et ouvert, ont permis une réflexion partagée et approfondie sur la place du médicament et des dispositifs médicaux dans nos politiques de santé publique. Elles ont ouvert les pistes qui gouvernent aujourd'hui l'établissement.
La loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a d'abord confirmé la nécessité de maintenir une grande agence responsable de la sécurité des produits de santé. Or ceci, au décours de la crise du Mediator, n'était en rien une évidence.
La loi a également étendu ses compétences, en la dotant, notamment en matière de surveillance, de nouveaux outils, tels que la pharmacoépidémiologie, permettant de renforcer ses actions.
Elle a aussi posé les bases d'une importante réforme de la gouvernance en introduisant, au titre de la mise en oeuvre de principes de déontologie renforcés, plus d'indépendance et de transparence dans la gestion.
Elle a enfin conduit l'établissement à refondre en profondeur son organisation, afin de décloisonner les processus de décisions.
Aujourd'hui, les presque 1 000 collaborateurs de l'établissement public exercent des missions qui couvrent l'ensemble des produits de santé : les médicaments, chimiques et biologiques, anciens comme expérimentaux, curatifs ou préventifs comme les vaccins, soit plus de 10 000 spécialités au total ; les centaines de milliers de dispositifs médicaux qui vont des lunettes aux pansements, en passant par les dispositifs implantables les plus sophistiqués, les logiciels ou les appareils de radiologie ; les produits sanguins labiles et les greffes ; enfin, dans un registre un peu différent, mais qui montre bien l'ampleur du champ couvert, les plantes, les cosmétiques et les produits de tatouage.
L'agence, qui s'appuie sur son expertise interne, comme sur des experts externes, dans un cadre déontologique strictement défini et totalement transparent, exerce de multiples missions : d'autorisation, de surveillance, d'inspection - avec près de 700 inspections par an, dont 12 % inopinées et près de 10 % hors Europe - et de contrôle, dans ses propres laboratoires.
L'Agence dispose de pouvoirs de police sanitaire en propre lui permettant, si nécessaire, de modifier, de suspendre ou d'interdire des activités, des productions ou des autorisations de commercialisation. Elle peut également prendre des sanctions financières à l'encontre des entreprises en cas de non-respect de la réglementation.
Au total, ce sont plusieurs milliers d'actes réglementaires qui sont pris chaque année.
Enfin, l'agence est pleinement inscrite dans son environnement européen. Elle participe au quotidien au fonctionnement de l'Agence européenne du médicament, l'AEM, et à la mise en oeuvre des règlements européens dans les domaines du médicament, des dispositifs médicaux et des cosmétiques.
Cette dimension européenne a pris une place considérable en matière de produits de santé : les procédures sont chaque jour plus partagées, les autorisations des médicaments innovants sont obligatoirement centralisées, la surveillance des produits est coordonnée par l'Agence européenne, les règles sont généralement applicables sur tout le territoire de l'Union, les outils informatiques sont de plus en plus interconnectés et les échanges entre les équipes et les experts sont permanents. Il est ici essentiel de préciser que l'activité au sein de l'Agence européenne n'est pas celle d'une structure supranationale, mais qu'elle fait appel aux experts nationaux, qui construisent ensemble les évaluations et décident des mesures de renforcement de la surveillance.
Sur ces bases à la fois profondément rénovées par la loi de 2011 et pleinement inscrites dans le fonctionnement de l'Union européenne, l'agence s'est engagée dans la définition et le déploiement de priorités stratégiques, qui constituent ses fondamentaux pour les années en cours et définissent ses enjeux.
La sécurité des patients est au coeur de notre attention et de notre stratégie. Le retour d'expérience conduit sans conteste à faire de la sécurité, et donc de la sécurité des patients, la priorité absolue. Celle-ci n'est jamais définitivement acquise dans un environnement particulièrement complexe, qui fait intervenir de nombreux acteurs et un nombre incalculable de produits de santé. Il nous faut pour cela poursuivre ce que nous appelons la sécurisation des processus de surveillance. Cette procédure a pour objectif l'identification des risques à partir des nombreuses sources de signaux. Elle doit également permettre une traçabilité sans faille des processus de traitement, une sécurisation des décisions prises et un développement des mesures d'impact.
J'ai par ailleurs décidé la création, directement à mes côtés, au sein de la direction générale, d'un centre d'appui et de gestion des risques et des urgences, qui sera opérationnel en septembre et viendra compléter et renforcer le dispositif en assurant un pilotage et une coordination serrée des politiques de réduction du risque.
Il nous faut aussi favoriser un accès rapide, encadré et large à l'ensemble des produits de santé. Le droit français permet de disposer d'un arsenal juridique unique pour favoriser et encadrer l'accès aux innovations. Ce sont en particulier les autorisations temporaires d'utilisation, les ATU, qu'elles soient individuelles ou collectives, ou encore les recommandations temporaires d'utilisation, les RTU, qui sont de véritables innovations législatives souvent citées en exemple par nos collègues européens.
C'est à l'échelon de l'Europe, encore une fois, que s'évaluent les nouveaux médicaments, notamment dans les groupes scientifiques multinationaux. C'est particulièrement le cas dans le domaine de la cancérologie, dans celui des antiviraux ou encore des vaccins. Cette activité européenne constitue un enjeu primordial, qui fait aujourd'hui l'objet de discussions serrées avec les tutelles sur la question des moyens que nous sommes en capacité d'y consacrer. Dans le domaine du médicament, l'Europe est l'acteur de l'avenir. Le rôle des États membres n'est certainement pas de l'ignorer, bien au contraire. Il nous faut nous organiser pour être présents au coeur de ce processus, qui n'existe que par l'action même des agences nationales. L'influence de la France est aujourd'hui clairement insuffisante, tant au regard de ses ambitions que pour faire face aux secousses à venir, notamment lors de la mise en oeuvre concrète du Brexit.
Il en est de même des essais cliniques, indispensables au développement de nouvelles molécules. Nous autorisons chaque année environ 1 700 essais cliniques, dont plus de 700 pour les seuls médicaments. La France dispose d'un tissu universitaire, hospitalier et industriel de premier ordre. Un des enjeux de l'agence sera, dans les toutes prochaines années, d'être en capacité d'accompagner la mise en oeuvre du nouveau règlement européen en matière d'essais cliniques, par une politique d'autorisation efficace, à la fois sûre et agile.
Mais on ne peut traiter de la question de l'accès au médicament sans évoquer le problème majeur et croissant des ruptures de stock - possiblement en lien avec l'évolution des circuits de production, à la fois plus globalisés et en flux tendus. L'Agence doit déployer des moyens de plus en plus importants pour tenter de prévenir et traiter les ruptures touchant les produits d'intérêt thérapeutique majeur comme les anticancéreux, les antibiotiques ou encore les vaccins. Je considère cette évolution comme très préoccupante. La loi du 26 janvier 2016 a prévu des dispositions plus contraignantes pour les industriels, qui doivent disposer d'un plan de prévention et de gestion des pénuries, et qui, en cas de défaillance, peuvent faire l'objet de sanctions financières. Si cette loi était indispensable pour sécuriser l'approvisionnement, elle ne réglera cependant pas tous les problèmes.
Il nous faut également poursuivre la consolidation de nos liens avec les parties prenantes - associations de patients, professionnels de santé et industriels - et améliorer leur implication. Il s'agit tout d'abord développer qualitativement et quantitativement nos liens avec les associations, que nous devons associer davantage aux processus de décisions. La création récente de France Associations Santé constitue une chance que nous devons saisir.
Mais il est tout aussi essentiel de renforcer, pour que nos messages soient compris et mis en oeuvre, notre capacité à être entendus par les praticiens. Beaucoup reste à faire sur ce terrain. Ainsi, la notoriété de l'ANSM auprès des généralistes est faible : 50 % d'entre eux seulement la connaissent, ce qui est inacceptable. C'est pourquoi nous devons radicalement changer notre manière de faire avec ces professionnels. Nous avons depuis un an créé et développé un lien étroit avec le Collège de la médecine générale, à qui je veux ici rendre hommage. Nous entretenons aujourd'hui avec lui un partenariat que je juge exemplaire. Nous avons trouvé un interlocuteur attentif, constructif, crédible et exigeant. Si beaucoup de chemin reste à faire, je considère cependant que nous sommes sur la bonne voie et je suis optimiste sur notre avenir commun au service et au bénéfice des patients.
Les relations avec les industriels, qui sont indispensables du point de vue du service public qu'est l'agence, se sont également fortement structurées dans un cadre déontologique clair, transparent et accepté par les parties.
Dernier enjeu, plus interne à l'établissement, nous avons et devons encore renforcer l'efficience et moderniser le fonctionnement de l'agence. Pour cela, j'ai souhaité mettre en place un important programme de transformation, qui couvre l'ensemble des activités et des missions de l'agence. De nombreuses actions ont été engagées. Certains projets sont terminés ; d'autres en cours de déploiement ou de renforcement. Cependant, compte tenu de l'ampleur des sujets, de leur complexité et de la nécessité d'accompagner ces transformations par une politique de renforcement du dialogue social et d'accompagnement au changement, beaucoup reste à mettre en oeuvre pour arriver à une situation satisfaisante.
La pleine mise en oeuvre de ces orientations cardinales suppose que soient conduites des évolutions portées par une culture de la transformation, qui soit à la fois voulue, comprise et partagée. Transformer n'est pas une fin en soi. Cependant, se transformer est indispensable pour assurer la capacité de l'agence à développer ses missions dans le temps, en ajustant au mieux la culture de l'établissement, son organisation et ses processus d'instruction et de décision aux enjeux, ainsi qu'aux contraintes, notamment budgétaires, auxquelles, comme tout opérateur, elle doit faire face.
C'est ce projet que je conduis, depuis maintenant près de trois ans, pour l'établissement, et dans le prolongement des évolutions engagées depuis la loi de 2011. Il s'appuie sur trois engagements, qui guident mon action au quotidien et organisent les actions, notamment dans le cadre de projets prioritaires, dans chacun des services de la maison.
Le premier de ces engagements vise à concilier santé publique et service public. Ces deux notions, au coeur de l'action de l'établissement public qu'est l'ANSM, ne sont pas opposées ; elles sont, bien au contraire, étroitement solidaires. Si la sécurité du patient doit être la cible de toutes nos actions dans le cadre d'une politique de surveillance en constant renforcement, il nous faut aussi, et tout autant, assurer un service public de qualité, fiable et inscrit dans la continuité, auprès de l'ensemble de nos usagers, qu'ils soient patients, professionnels de santé ou industriels des produits de santé. Concilier ces exigences, c'est donner du sens à la politique publique que nous mettons en oeuvre et en assurer la pérennité au nom de l'intérêt général.
Je considère également indispensable de conjuguer performance et qualité de vie au travail dans un projet collectif. La performance de l'établissement, c'est-à-dire sa capacité à remplir les missions pour lesquelles il a été créé, avec efficacité et efficience, doit être un objectif partagé. Pour être à même d'atteindre cet objectif, j'ai souhaité engager l'établissement dans un travail visant à structurer les activités, notamment pour assurer une meilleure lisibilité de nos actions et de nos choix prioritaires par les pouvoirs publics, le Parlement et, plus largement, les usagers du système de santé. En interne, cette meilleure lisibilité doit aussi redonner de la confiance aux collaborateurs, dont la compétence reconnue constitue la force principale de l'établissement, en assurant à chacun une place claire dans un projet commun.
Enfin, et c'est un engagement que je considère comme essentiel dans un contexte de forte exposition, il nous faut affirmer notre volonté d'ouverture et de transparence, et en faire un axe majeur de progrès. Les points de vue des acteurs du système de santé, comme ceux des usagers, doivent être mieux pris en compte dans les processus d'expertise et de décision. J'ai souhaité engager l'agence dans un projet de développement du partage des connaissances avec l'ensemble des parties prenantes, en déployant une politique de communication institutionnelle volontariste et tournée vers l'action.
Concilier sécurité des patients et service public, conjuguer performance et qualité de vie au travail, affirmer une volonté de transparence et de partage des informations, forment le triptyque du projet de transformation que je souhaite poursuivre avec l'ensemble des collaborateurs de l'ANSM au cours de ces trois prochaines années, avec une seule ambition : être au service de la santé de nos concitoyens
M. Philippe Mouiller. - Monsieur Martin, vous avez évoqué l'existence de contraintes budgétaires : considérez-vous avoir les moyens de mener à bien les missions qui vous sont confiées ou bien existe-t-il un décalage croissant entre ces moyens et les évolutions des missions du service public ?
Par ailleurs, pouvez-vous préciser l'importance de la mission de contrôle de l'agence, notamment en termes de sanctions et de suspensions ?
Enfin, très concrètement, quelle plus-value pensez-vous apporter, à titre personnel, à l'évolution de l'agence ?
M. René-Paul Savary. - Ma question concerne l'utilisation des nouvelles molécules innovantes dans un cadre visant à garantir la sécurité des patients. Selon moi, il conviendrait de faire évoluer le cadre actuel des autorisations temporaires pour améliorer le traitement des troubles neurodégénératifs. Je pense notamment à la maladie d'Alzheimer, pour laquelle le diagnostic précoce est très long à établir, de l'ordre de six à huit ans. Je le rappelle, dans ce domaine, on ne peut pas aussi facilement mesurer l'impact des molécules utilisées qu'en cancérologie, par exemple. Or, si l'on veut déboucher, à moyen terme, sur des thérapies innovantes, il faudrait assouplir le cadre actuel, quitte à ce que le malade engage davantage sa responsabilité pour l'utilisation de molécules innovantes susceptibles d'améliorer son état de santé.
Selon vous, une modification de l'organisation de ces utilisations pourrait-elle être envisagée ?
M. Gilbert Barbier. - Appartenant, avec d'autres de mes collègues, au conseil d'administration de l'agence, je tiens à remercier M. le directeur général du travail qu'il mène depuis trois ans au sein de l'énorme machine qu'est l'ANSM.
Le cloisonnement établi entre le conseil d'administration et la direction générale constitue un véritable problème. L'évocation de l'affaire Biotrial nous a ainsi valu quelques frictions avec la présidente du conseil d'administration de l'agence. La transparence que vous avez évoquée, monsieur le directeur général, reste donc encore un peu floue pour nous...
Pour ce qui concerne les médicaments, l'agence doit résoudre des problèmes d'expertise, de sécurité et d'approvisionnement. Le domaine de la pharmacovigilance, qui permet une remontée des informations, ne fonctionne pas encore très bien. J'en veux pour preuve les difficultés que vous rencontrez pour vous faire connaître auprès des médecins, mais aussi des pharmaciens. Je pense notamment à la décision prise au mois de juillet de délivrer sur ordonnance tous les produits à base de codéine, décision qui a semé le désarroi, dans la mesure où une cinquantaine de sirops sont à base de codéine !
Quant aux dispositifs médicaux, leurs prescriptions sont différentes, ce qui pose problème.
J'observe également que les experts externes sont peu sollicités, sans doute faute de moyens financiers. Le dispositif est donc lacunaire, et il s'avère difficile, dans le cadre de l'expertise, d'obtenir une analyse totalement objective. Car ce sont toujours les mêmes inspecteurs qui interviennent. Il conviendrait d'élargir ce cercle, au moins au niveau européen.
Enfin, monsieur le directeur général, l'ANSM pourrait-elle jouer un rôle actif pour faire en sorte que l'Agence européenne, l'EMA s'installe dans notre pays ?
M. Dominique Martin. - Je ne pense pas que l'augmentation de moyens soit systématiquement la réponse à apporter. En revanche, je suis préoccupé par l'impossibilité d'une projection pluriannuelle. Lorsque j'étais directeur de la branche accidents du travail-maladies professionnelles, la programmation budgétaire se faisait sur trois ans, et j'obtenais de ne faire diminuer les effectifs qu'à partir de la deuxième année. Dans le cadre de l'Agence, nous sommes en rythme annuel, avec en outre une baisse des moyens financiers et des investissements informatiques. C'est la difficulté la plus saillante. La responsabilité d'un opérateur est aussi de se montrer raisonnable ; en revanche, pour travailler avec des effectifs moins nombreux, il faut développer des outils informatiques, donc des moyens d'investissement. On ne peut faire mieux avec moins que si l'on a le temps de s'organiser.
Deuxième préoccupation, la question de l'Europe. Notre poids à ce niveau est très en deçà de ce qu'il devrait être, ne serait-ce qu'au point de vue des effectifs. Pourtant, notre agence était, il y a une dizaine d'années, dans les tout premiers rangs. Mais depuis, les arbitrages budgétaires ont privilégié les procédures de sécurité au plan national, au détriment de l'échelon européen. Or l'EMA verse une redevance de 9 millions d'euros par an aux agences nationales au titre de leur activité au bénéfice des procédures européennes, qu'il conviendrait de sanctuariser. Dans ce domaine, un euro investi en rapporte trois ou quatre : c'est une dépense rentable. L'enjeu est par conséquent juridique : comment sanctuariser les effectifs dédiés à l'activité européenne ? C'est à ce niveau que se traitent, pour l'essentiel, la sécurité, les autorisations et la nouveauté.
Notre activité de contrôle est très importante. Nous avons prononcé à ce jour une quinzaine de sanctions financières atteignant jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires du produit considéré - récemment, une amende de 250 000 euros a été infligée. Plusieurs dizaines de décisions d'arrêt de commercialisation sont prises chaque année ; toutes sont consultables sur le site de l'ANSM. Plus de 700 inspections annuelles sont conduites dont 10 % hors d'Europe, notamment en Chine, en Inde ou au Brésil, où la matière première est produite. Des centaines de contrôles sont conduits dans nos laboratoires, qui libèrent 40 % des lots de vaccins européens et 50 % des vaccins en France. C'est un contrôle à la fois documentaire et qualitatif.
Quant à mon apport personnel, j'estime que l'ANSM a besoin d'ouverture - avec les risques que cela comporte... Nous avons mis en place, pour évaluer le dispositif Essure de contraception définitive, un comité d'experts qui s'est réuni publiquement, en présence d'une quinzaine de journalistes, pour auditionner les industriels et les spécialistes gynéco-obstétriciens. C'est le genre d'action que je veux développer. Un membre de l'Agence s'est rendu aux États-Unis pour observer la conduite des publics hearings - les auditions publiques - par la Food and Drug Administration (FDA). Les assemblées parlementaires nous donnent un exemple à suivre en la matière.
J'estime, monsieur Savary, que l'ANSM ne doit pas freiner la recherche sur les maladies neuro-dégénératives, notamment Alzheimer, par des délais trop longs d'autorisation d'essai clinique. Nous rendons ces autorisations en soixante jours - ce qui est le délai réglementaire - mais nos collègues belges le font en quinze jours. Les innovations dans le secteur des maladies neuro-dégénératives font l'objet d'autorisations centralisées au niveau européen, et non national. En revanche, les essais cliniques se déroulent dans un cadre national. L'Agence doit alors jouer un rôle de facilitateur du développement des essais cliniques, tout en garantissant leur sécurité.
Les autorisations temporaires d'utilisation (ATU), délivrées en phase 3 voire en phase 2, permettent de gagner du temps sur l'autorisation de mise sur le marché et de donner un accès précoce à des médicaments innovants.
Nous n'avons pas, monsieur Barbier, de difficultés particulières avec les pharmaciens - le Conseil national de l'ordre aussi bien que les syndicats. Je rappelle que la décision sur la codéine a été prise par la ministre de la santé, et que l'Agence n'y a eu aucune part. En réalité, c'était déjà un produit listé, mais avec une exonération pour certains produits présentant des doses faibles de la substance. La récente décision l'a replacée dans la catégorie des médicaments sur prescription, en liste 1 ou en liste 2 en fonction du produit, quelle que soit la quantité contenue.
M. Gérard Dériot, président. - À une époque, certains achetaient des sirops à la codéine aux seules fins d'en extraire la substance. C'est une pratique ancienne.
M. Dominique Martin. - Dans certaines soirées, les adolescents consomment de la codéine mélangée à de l'alcool. Il y a eu deux décès cette année. Aux États-Unis, c'est une préoccupation de santé publique majeure. Nous ne pouvons laisser faire cela.
Le cas de Biotrial, monsieur Barbier, est un bon exemple de traitement d'une question de santé publique au niveau européen - dès les premiers jours - aboutissant à une rénovation du référentiel d'essais cliniques en phase précoce. Des documents scientifiques sur cet incident ont été transmis à la FDA et aux universités nord-américaines. Un article publié récemment par des experts présentait des conclusions similaires à celles du comité scientifique réuni par l'Agence, à savoir des effets hors cible de la molécule incriminée. Le nouveau référentiel, qui s'imposera à tous les pays européens, sera mis en oeuvre dès la rentrée.
En tant que membre du conseil d'administration de l'EMA, je suis soumis au devoir de réserve quant au futur site de cette agence. La candidature française est soutenue par l'État, sans implication des agences nationales. L'agence britannique du médicament n'a d'ailleurs aucun lien particulier avec l'EMA, dont le siège actuel est à Londres.
À titre personnel, je considère Lille comme un bon choix. La proximité avec Londres est un critère important pour le millier de personnes employées à l'EMA, dont les familles resteront, pour une part, au Royaume-Uni. Autres atouts, un grand nombre d'écoles internationales, un tissu universitaire très développé, la proximité de Bruxelles, sa position centrale en Europe - Roissy n'est pas loin, et l'Europe du Nord est très proche en train. C'est donc un bon choix de candidature. La décision sera prise en novembre. Quant à la proximité du tissu industriel, notamment pharmaceutique, elle ne saurait être un élément de choix. Les liens entre l'EMA -ou l'ANSM- et l'industrie sont extrêmement réglementés.
M. Yves Daudigny. - La mesure, introduite dans le dernier PLFSS, qui prévoit des remboursements effectués par les laboratoires ayant obtenu une ATU ou une RTU en anticipation de leurs bénéfices futurs, risque d'affaiblir le dispositif, qui n'aura plus d'intérêt pour ces derniers.
Au mois de juillet est paru un article intitulé : « Baclofène : crise ouverte entre les médecins et les autorités ». Pouvez-vous nous apporter votre éclairage sur le sujet ?
Vous l'avez rappelé, l'ANSM est née à la suite du scandale du Mediator. Or le film La Fille de Brest consacré à l'affaire donne une image très sombre de son prédécesseur, l'Afssaps. Sans doute, les conditions d'un tel scandale ne sont-elles plus réunies ; néanmoins, cette affaire me fait mesurer la gravité de vos responsabilités.
M. Georges Labazée. - On nous a récemment annoncé la mise en oeuvre d'un nouveau processus de vaccination avec onze nouveaux vaccins obligatoires ; c'est ainsi, du moins, que les médias l'ont présenté. L'Agence est-elle en mesure de s'assurer que ces vaccins seront fournis en temps voulu ?
Mme Laurence Cohen. - J'entends votre réponse sur les moyens, qui certes ne sont pas tout - reste qu'on vous en retire tout en vous demandant plus de missions. Lors du dernier procès du Mediator, au mois de juin, l'ANSM s'est vu reprocher une certaine inertie. Tout scandale entraîne une remise en cause des institutions chargées du contrôle : l'Uvesterol en est un autre exemple. Quelles sont les obligations des laboratoires en cas de signalement d'effet indésirable, et comment s'opèrent les contrôles, qui ne peuvent être systématiques ?
Les conflits d'intérêts ont longuement été évoqués au Sénat, notamment lors de l'examen de la loi de santé ; il reste pourtant des questions à régler. Je suis préoccupée par le manque de réaction des pouvoirs publics devant la pénurie de vaccins sans adjuvants aluminiques. D'après la ministre de la santé, ce n'est pas un sujet de préoccupation ; or beaucoup de professionnels disent le contraire. Il me semble que votre agence a le pouvoir de procéder à l'acquisition, l'importation et la distribution de médicaments en cas de commercialisation ou de production insuffisante. Pourquoi aucun industriel n'a-t-il déposé de demande d'AMM pour un vaccin DTP sans adjuvant aluminique ?
Enfin, ni la précédente ministre de la santé ni l'actuelle n'ont répondu à mes interpellations sur la licence d'office, qui pourrait régler ce problème. Elle est mise en oeuvre au Brésil, mais se heurte à de fortes oppositions en France. Quel pourrait être le rôle de l'ANSM dans ce domaine ?
Mme Catherine Génisson. - En complément de vos propos sur la démocratie participative et l'ouverture, j'insiste sur la mobilisation des professionnels de santé, et des associations de malades et de citoyens.
La fonction de contrôle est consubstantielle à votre agence, mais elle se double d'une mission de sanction. N'est-ce pas malaisé à concilier ?
M. Dominique Martin. - Les médicaments sous ATU de cohorte sont vendus à un prix libre ; puis ce prix est négocié avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) une fois l'AMM obtenue. En théorie, le laboratoire producteur doit alors reverser le trop-perçu, le prix fixé étant inférieur à celui de l'ATU de cohorte. La mesure du dernier PLFSS à laquelle M. Daudigny fait référence a pour but de lever les difficultés de mise en oeuvre. Dans un objectif de prise de marché, il arrive que les laboratoires mettent à disposition des ATU de cohorte à titre gratuit.
Le problème est la séquence entre l'essai clinique, l'ATU de cohorte et l'AMM : l'essai clinique étant gratuit par construction, certains laboratoires mettent fin à l'essai pour basculer dans le cadre d'un ATU de cohorte -en réalité un essai clinique de phase 4 déguisé. Les autorités se penchent sur le problème. La réflexion est partie du cas des antiviraux, dont le prix unitaire est très élevé. Il faut faciliter l'accès à certains médicaments, dans des conditions économiques assez encadrées pour éviter les utilisations détournées : l'ATU de cohorte est le seul moment de la séquence où le prix est libre.
En ce qui concerne le baclofène, essayons d'en parler sans nous énerver ! C'est un sujet compliqué et important, qui a suscité une excitation hors norme. Une étude de pharmaco-épidémiologie, que nous avons conduite avec la Caisse nationale d'assurance maladie, a montré qu'à des doses élevées, supérieures à 80 milligrammes, le risque de mortalité est multiplié par plus que deux ! C'est sur la base de cette étude que nous avons pris une décision. Je note que, dans le cas de l'essai clinique Biotrial de Rennes, la réaction - légitime - a été forte ; pour le baclofène, devrions-nous laisser faire et avoir une attitude finalement inverse ?
Quelques médecins ont mené des expérimentations individuelles sur ce médicament. Il a indiscutablement un effet chez certaines personnes, mais l'effet populationnel n'est pas encore démontré et notre étude fait apparaître, quant à elle, que le risque est important à des doses élevées, celles qui sont de plus en plus utilisées par certains addictologues.
Je note que des médecins, en fait très peu nombreux, ont décidé de monter au créneau sur ce sujet. Je dois dire que les arguments avancés sont assez paradoxaux si l'on se place du point de vue de la sécurité des patients. On nous a même reproché de prendre une décision en plein été...
M. Gérard Dériot, président. - Je rappelle que l'utilisation du baclofène dont il est question ici concerne la lutte contre l'alcoolisme.
M. Dominique Martin. - Absolument. Au fond, cela pose la question plus générale de la recommandation temporaire d'utilisation (RTU). C'est une situation dans laquelle le directeur général de l'agence décide d'autoriser l'utilisation d'un médicament hors des critères de son autorisation de mise sur le marché (AMM), car il existe une présomption d'efficacité et un profil de risque acceptable. Cette procédure permet finalement de transférer la responsabilité du praticien vers l'autorité publique, en l'espèce le directeur général de l'agence...
Dans le cas du baclofène, nous disposions d'une étude qui révèle qu'à haute dose, le profil de risque n'est pas acceptable. C'est pourquoi nous avons modifié la RTU pour diminuer le dosage du médicament.
Par ailleurs, nous poursuivons les études sur le rapport bénéfice-risque de ce même médicament ; elles devraient être terminées d'ici la fin de l'année. Si ce rapport est positif, je m'en féliciterai, tant la maladie alcoolique est difficile à traiter. Je suis médecin psychiatre, j'ai beaucoup travaillé avec des malades alcooliques et je connais les difficultés. Celui qui croit que cette maladie se traite uniquement avec un médicament se fait des illusions et en crée dans l'esprit de ses patients ; le problème doit être abordé d'un point de vue clinique, individuel, psychologique, social et médicamenteux.
Au sujet du film La fille de Brest, je crois qu'il est globalement réaliste, même s'il s'agit naturellement d'une fiction. Beaucoup de choses ont changé depuis ces événements, notamment à la suite de la loi de 2011. Tout est-il réglé pour autant ? Non, bien évidemment. Il existe toujours des risques et il faut être chaque jour attentif pour renforcer la sécurité.
En ce qui concerne les vaccins, je rappelle qu'une décision a été prise sur le caractère obligatoire de onze valences contre trois aujourd'hui, mais il ne s'agit pas de nouveaux vaccins. Ils existent déjà et nous sommes à un niveau de couverture d'au moins 80 %, mais c'est insuffisant, car il faut atteindre environ 92 % - 95 % pour que la population soit protégée. Tous les pays ne rendent pas la vaccination obligatoire, mais ce qui est fondamental, c'est d'atteindre un niveau suffisant de couverture.
Je crois que certains oublient trop facilement les épidémies et les décès qui survenaient avant la vaccination et qui surviennent encore aujourd'hui dans certains pays. Lorsque je travaillais pour Médecins sans frontières, j'ai vu des épidémies de rougeole tuer plus de 30 % des enfants non vaccinés ! Nous avons un peu oublié cette réalité, car les gens non vaccinés sont finalement couverts par ceux qui le sont.
J'ai aussi été interrogé sur l'aluminium, adjuvant qui permet une activité plus importante du vaccin. Les travaux en cours sur le franchissement de la barrière encéphalique, notamment menés par le professeur Gherardi, doivent se poursuivre, mais nous n'avons pas d'études sur les effets néfastes de l'aluminium. Je rappelle que la plupart des vaccins ont des adjuvants aluminiques ; des centaines de millions de personnes ont donc été vaccinées avec de tels vaccins de par le monde et aucun effet épidémique massif n'a été observé.
Mme Laurence Cohen. - Et les myofasciites à macrophages ?
M. Dominique Martin. - C'est une problématique qui est presque exclusivement française, comme celle qui concerne les scléroses en plaques. Aujourd'hui, il n'existe pas de démonstration objective sur le fait que l'aluminium pose des problèmes particuliers de santé. Il est vrai qu'on trouve des macrophages, qui mangent l'aluminium, à l'endroit où l'on fait l'injection - ce n'est pas étonnant -, mais il faut savoir que la France est le seul pays où la biopsie est pratiquée à cet endroit précis.
Mme Laurence Cohen. - Oui, mais alors pourquoi les publicités sur les déodorants mettent en avant qu'ils sont exempts de sels aluminiques ?
Mme Catherine Procaccia. - C'est du marketing !
Mme Laurence Cohen. - Pourquoi seraient-ils nuisibles sur la peau, mais pas quand on les ingère ? Je ne comprends vraiment pas.
M. Dominique Martin. - Il existe nombre de différences entre les produits cosmétiques, où d'autres substances peuvent être mises en cause (phtalates, perturbateurs endocriniens...), et les médicaments. Les déodorants sont par exemple utilisés de manière quotidienne, ce qui n'est évidemment pas le cas des vaccins.
M. Gilbert Barbier. - Il faut surtout regarder le rapport bénéfice-risque !
M. Dominique Martin. - J'allais y venir ! Ce ne sont pas du tout les mêmes produits : il est normal que les règles soient beaucoup plus strictes sur les cosmétiques que sur les médicaments, qui - ne l'oublions pas ! - sauvent des vies.
Je ne suis pas là pour dire : circulez, il n'y a rien à voir ! Je ne suis pas d'accord avec une telle attitude. Il existe effectivement des effets secondaires, il faut les rechercher, être attentif et augmenter la vigilance, mais aujourd'hui, nous ne pouvons pas prendre de mesures spécifiques, parce que nous n'avons pas les éléments scientifiques pour cela.
Autre sujet sur lequel Mme Cohen m'a interrogé, le mediator : la procédure suit son cours et une ordonnance de renvoi devrait prochainement être prise.
L'affaire de l'uvesterol concerne la pipette, pas le produit lui-même. Le risque que cet enfant soit mort de cela est extrêmement faible, il a dû se passer autre chose. Pour autant, une mesure de suspension du produit sous cette forme a été prise très rapidement et d'autres systèmes ont été proposés. Cela pose encore une fois la question du rapport entre le bénéfice et le risque : les pratiques hygiénistes françaises - par exemple, donner de la vitamine D à tout le monde - ne se sont pas en vigueur partout...
M. Gérard Dériot, président. - Dans cette affaire, on est un peu dans l'anticipation d'éventuels problèmes, alors que ce produit était utilisé depuis très longtemps, mais avec une pipette différente. Nous touchons du doigt la question du principe de précaution. Il est évidemment utile, mais nous sommes allés tellement loin que je ne suis pas certain que Pasteur serait, aujourd'hui, en mesure d'inventer la vaccination... L'innovation peut toujours susciter des problèmes et il faut regarder le rapport bénéfice-risque. Je rappelle que les vaccins ont changé notre espérance de vie !
Mme Nicole Bricq. - Et la vie tout court !
M. Gérard Dériot, président. - J'ai aussi l'impression que la communication sur la présence ou non d'aluminium dans les déodorants a commencé après l'apparition de cette problématique dans le secteur des vaccins. De manière générale, je crois que le principe de précaution est devenu assez stérilisant pour la recherche.
M. Dominique Martin. - Vous m'avez également interrogé sur les conflits d'intérêts et je veux être très clair : il n'y a pas de conflits d'intérêts au sein de l'ANSM. Une charte, qui est opposable, et un service de déontologie permettent de gérer très précisément les liens d'intérêts. D'ailleurs, quand la Cour des comptes a pu faire des critiques, c'était sur la manière dont les systèmes informatiques étaient organisés. Nous sommes extrêmement attentifs à cette question, les contrôles et la transparence sont très importants pour nous, les réunions sont filmées et diffusées sur notre site.
Il n'existe donc pas de raison objective de nous critiquer, mais c'est évidemment un sujet où l'équilibre est très difficile à trouver, car nous devons aussi pouvoir accéder à des experts compétents.
Mme Catherine Génisson. - C'est un vrai sujet, en effet !
M. Dominique Martin. - Pour mobiliser ce que nous appelons les parties prenantes - associations, professionnels de santé... -, ce qui est essentiel, nous avons créé un comité d'interface, qui est très actif avec les associations, et des groupes de travail sur des problématiques spécifiques. Nous travaillons notamment sur la manière d'impliquer plus en amont les associations dans les processus de décision, par exemple lorsqu'il s'agit d'éditer des documents d'information à destination des patients. Il est évident que de tels documents doivent être rédigés en concertation avec les associations.
Sur la conciliation entre les sanctions et les contrôles, il existe en effet deux modèles : séparer ou non ces fonctions. Je crois que c'est une bonne décision de les mettre ensemble. Cela accroît notre capacité d'action, puisqu'à la suite d'un contrôle, nous pouvons prendre des sanctions de manière rapide et efficace.
Mme Catherine Procaccia. - J'ai présenté un rapport devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les biotechnologies. Des essais cliniques sur des maladies rares sont en cours aux États-Unis, par exemple pour mettre au point des traitements contre le cancer qui s'appuient sur la reprogrammation des cellules immunitaires. Comment sont regardés ces futurs médicaments en France ?
M. Daniel Chasseing. - Je crois que nous pourrions faire faire des économies à la sécurité sociale... Ne pourrions-nous pas mettre en place un système de recyclage des médicaments par les pharmaciens, par exemple quand les patients sortent de l'hôpital ? Ne pourrions-nous pas aussi arrêter certains médicaments - je pense à bon nombre de ceux qui visent à lutter contre Alzheimer -, dont on a l'impression qu'ils n'ont aucun effet réel ? Enfin, il faut tout de même savoir qu'aujourd'hui, certains médicaments ou vaccins ne sont pas disponibles, je pense par exemple au vaccin tétravalent pour la coqueluche ou au rappel antitétanique.
M. René-Paul Savary. - Je crois que nous devons nous interroger sur l'absence de résultats dans les traitements contre la maladie d'Alzheimer, qui constitue pourtant un grave problème de société. La lenteur des procédures de mise sur le marché pose clairement un problème de rentabilité. Le processus actuel d'autorisation n'est pas suffisant pour débloquer le développement de certaines molécules, qui sont pourtant connues.
Vous avez évoqué la différence entre liens et conflits d'intérêts ; on peut aussi dire que les sénateurs, qui représentent un territoire, ont un lien d'intérêt avec les entreprises qui s'y trouvent, sans que cela constitue pourtant un conflit... À ce titre, je vous ai écrit le 27 mars dernier pour regretter la longueur - même pour les génériques ! - dans la délivrance des autorisations, je n'ai pas encore reçu de réponse... Je vous alerte, parce que tout cela a un coût et c'est une contrainte pour l'activité économique et l'emploi.
M. Dominique Martin. - Je prends l'engagement de vous répondre, monsieur Savary !
L'enjeu de la reprogrammation des cellules immunitaires, évoqué par Mme Procaccia, est majeur et a d'ailleurs fait l'objet d'échanges récents entre les différentes agences françaises (Établissement français du sang, Agence de biomédecine, Institut national du cancer...). Il est vrai qu'on constate d'importants développements aux États-Unis et la France doit aussi s'en préoccuper. Là encore se posent les questions que nous évoquions sur les autorisations centralisées au niveau européen. Pour autant, il doit être possible de développer des essais cliniques en France, y compris dans le secteur public.
Mme Catherine Procaccia. - Quelques enfants sont particulièrement concernés, en France, en ce moment.
M. Dominique Martin. - Absolument. C'est pourquoi il faut développer ces pratiques, notamment les médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement (MTIPP). Vous le savez, ce sont des traitements ciblés, qui coûtent extrêmement cher puisque tout le processus est unique.
Monsieur Chasseing, l'ANSM comme l'agence européenne sont régulièrement amenées à arrêter un médicament, lorsqu'elles estiment que le rapport entre le bénéfice et le risque n'est pas satisfaisant. En ce qui concerne Alzheimer, les évaluations sont encore difficiles et je ne suis pas certain que nous connaissions parfaitement la physiopathologie de cette maladie. En tout cas, il est vrai que l'efficacité de certains médicaments est toute relative, mais les risques sont également faibles. C'est ce qui explique qu'ils ont été autorisés.
S'agissant des vaccins, la ministre de la santé a confirmé que onze vaccins seraient dorénavant obligatoires. Il reste que l'Etat et l'Agence devront accentuer la pression sur les grands producteurs pour s'assurer d'un approvisionnement suffisant.
S'agissant des génériques, monsieur Savary, vous avez totalement raison. La décision a été prise de recentraliser, pour revenir à des délais très courts. Ne pas le faire, alors que ces médicaments représentent 90 % du marché, reviendrait à ne pas assurer la sécurité. Je rappelle que les génériques permettent de faire des économies substantielles, réinvesties ailleurs.
M. Gérard Dériot, président. - Merci de vos réponses sur ce domaine très sensible du médicament. Si, au regard du nombre de médicaments ingérés chaque année, les accidents sont rarissimes, il reste que tout aléa est un drame. Autant dire que vous occupez un poste à risques...
La réunion est close à 16 heures.