- Mercredi 1er février 2017
- Jeudi 2 février 2017
- Institutions européennes - Suivi des résolutions européennes - Rapport d'information de M. Jean Bizet
- Institutions européennes - Programme de travail 2017 de la Commission européenne - Rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Jean Bizet et Simon Sutour
- Questions diverses
Mercredi 1er février 2017
- Présidence commune de M. Jean Bizet, président,et de Mme Michèle André, présidente de la commission des finances -
La réunion est ouverte à 15 h 40.
Économie, finances et fiscalité - Audition de M. Mario Monti, président du groupe de haut niveau sur les ressources propres, et de M. Alain Lamassoure, membre du groupe de haut niveau, député européen, en commun avec la commission des finances
M. Jean Bizet, président. - Je remercie Mario Monti et Alain Lamassoure d'avoir accepté notre invitation pour nous présenter les conclusions du groupe de haut niveau sur les ressources propres de l'Union européenne.
La commission des affaires européennes du Sénat critique de longue date le financement du budget européen. En effet, contrairement à ce que prévoit le traité, ce budget est financé en très grande partie par des contributions régulières des États membres. Nous voyons bien les inconvénients d'un tel système, qui favorise tous les marchandages entre États membres soucieux avant tout de leur solde net.
C'est pourquoi nous avons accueilli avec satisfaction la création du groupe de haut niveau placé sous votre présidence, monsieur Monti, vous dont chacun connaît la grande expérience, exercée au niveau national comme au niveau européen. Fort de celle-ci, vous étiez particulièrement bien placé pour tenter de dégager des pistes acceptables permettant de doter enfin le budget européen de ressources propres viables et pérennes. Alain Lamassoure, qui vient régulièrement au Sénat, est l'un de nos interlocuteurs réguliers au sein des institutions européennes, et nous apprécions la profondeur de son analyse.
Monsieur Monti, monsieur Lamassoure, quels constats le groupe de haut niveau a-t-il dressés ? Quelles sont les principales pistes qu'il a retenues pour rénover le financement du budget européen ? Au-delà, pensez-vous qu'un consensus puisse être trouvé entre les États membres pour donner une suite concrète à vos propositions ?
Votre rapport tombe en quelque sorte à point nommé, puisque le Sénat est en train de mener, dans le cadre d'un groupe de suivi piloté par Jean-Pierre Raffarin et moi-même, sa propre réflexion sur la manière de réenchanter l'Europe.
Mme Michèle André, présidente. - La question des ressources propres est au coeur de l'actualité européenne, puisqu'elle a été débattue le 27 janvier au Conseil de l'Union européenne chargé des affaires économiques et financières (ÉCOFIN). Le sujet a également été abordé hier, au cours de la conférence de l'article 13 du traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, à laquelle je participais avec Fabienne Keller et François Marc.
S'il semble que les États membres ne retiennent pas toutes vos conclusions, une large majorité des parlementaires européens et nationaux réunis hier à Bruxelles souscrivaient à votre diagnostic : la structure du budget européen comporte aujourd'hui des défauts -rigidité, complexité, manque de lisibilité - qui appellent une réforme en profondeur et un plus large recours aux ressources propres. Le principe selon lequel cette réforme doit être réalisée à coût constant m'a paru faire également l'unanimité.
En revanche, les vues divergent s'agissant des nouvelles ressources propres les plus adéquates, et un grand nombre de questions restent en suspens. Je ne doute pas que nos collègues vous interrogeront en particulier sur le panier de nouvelles ressources, leur rythme d'introduction et la manière de mieux coordonner les dépenses du budget européen et celles des budgets nationaux.
Votre éclairage nous sera précieux, notamment dans le cadre du travail dont a parlé Jean Bizet, mais aussi dans la perspective du prochain cadre financier pluriannuel.
M. Mario Monti, président du groupe de haut niveau sur les ressources propres. - Je suis ravi de pouvoir vous présenter, au côté d'Alain Lamassoure, qui a été mon collègue à plusieurs reprises dans le cadre de diverses entreprises liées à notre foi européenne, les grandes lignes de notre rapport sur les ressources propres de l'Union européenne.
Avant qu'Alain Lamassoure, qui a joué un rôle fondamental dans notre réflexion, n'aborde certains problèmes qui, en général et dans une perspective française, peuvent vous intéresser tout particulièrement, je voudrais vous expliquer dans quelles perspectives nous avons travaillé.
Voilà des décennies que la question des ressources propres est intouchable. Tout le monde s'accorde à reconnaître que le système est loin d'être optimal, mais le sujet a toujours été considéré comme politiquement explosif et techniquement très complexe.
Une innovation politique importante a été décidée à la fin de 2013, au terme d'un bras de fer entre le Parlement européen et le Conseil : grâce à l'action d'Alain Lamassoure, notamment, le Conseil n'a pas pu éluder la question des ressources propres, comme il l'avait fait plusieurs fois par le passé, et la décision a été prise de créer un groupe de travail dédié. Vous le savez mieux que moi : lorsqu'on crée un groupe, ce n'est pas toujours pour faire avancer un sujet... En l'occurrence, l'idée, tout à fait géniale - je puis le dire car je n'y étais pour rien -, fut d'instituer un groupe de dix personnalités politiques : trois désignées par chacune des trois grandes institutions européennes - le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne - et un président choisi d'un commun accord entre celles-ci.
Ainsi, dès l'origine, la composition de notre groupe lui donnait une haute sensibilité politique ; nous pouvions par ailleurs nous appuyer sur des groupes techniques composés d'experts, mais nous avons mené un travail largement politique. Cette composition assurait en outre la représentation des différentes sensibilités institutionnelles : bien que chaque membre ait participé à nos travaux à titre personnel, il est évident que les trois membres désignés, par exemple, par le Parlement européen, au nombre desquels était Alain Lamassoure, avaient une proximité intellectuelle et politique particulière avec cette institution. La composition de notre groupe assurait aussi la représentation d'autres sensibilités : des pays du nord ou des pays du sud de l'Europe, des États fondateurs ou des États membres plus récents, entre autres.
Grâce à la forte volonté d'approfondissement et de coopération de tous les membres du groupe, nous sommes tombés d'accord à l'unanimité sur une série de propositions qui ne sont pas banales, ni neutres ou vides ; on peut ne pas y souscrire, mais elles ne sont pas innocentes. Devant le Conseil ÉCOFIN, à la fin de la semaine dernière, j'ai insisté sur cette unanimité : à un moment où, presque dans tous les domaines, les institutions européennes et les États membres ont de graves difficultés pour dégager des accords, le sondage systématique en profondeur auquel nous nous sommes livrés peut créer l'espoir que, par l'approfondissement de certaines questions dans un esprit volontariste et dans le cadre d'une démarche politique, mais qui s'appuie sur des bases techniques solides, des compromis qui fassent avancer l'Europe pourront être trouvés.
À la création de notre groupe, au début de l'année 2014, l'émergence concomitante de plusieurs défis promis à devenir structurels ne s'était pas encore produite. Je veux parler de la question des réfugiés et des migrations et de celle du terrorisme et du renforcement nécessaire de la sécurité interne et externe. Le seul vent léger qui semblait souffler dans la direction d'un volontarisme budgétaire accru en Europe venait du débat sur la capacité budgétaire de la zone euro. Si ce vent a malheureusement perdu de son intensité, un autre a fortement gagné en puissance : celui qui pousse tous les États membres de l'Union européenne à se doter d'un « équipement » budgétaire approprié aux nouveaux défis.
Deux autres événements sont intervenus pendant nos travaux : le « Brexit » et l'élection du nouveau président des États-Unis.
Le premier aura nécessairement certaines conséquences budgétaires : il entraînera une perte nette de ressources pour le budget de l'Union européenne, mais aussi la disparition du rabais britannique, un système absurde et illisible pour les citoyens et, je l'espère, des effets que celui-ci a produits sur l'attitude d'autres États membres en ce qui concerne leur contribution à la compensation britannique.
Quant à l'élection du président américain, elle rend hautement probable que l'Europe doive, dans les années à venir, se responsabiliser davantage pour ce qui est de sa sécurité interne et externe. Songeons que nous sommes entourés par une Russie qui ne se distingue pas par sa timidité et une Turquie qui ne fait pas non plus profil bas, à l'heure où, à l'ouest, où nous pensions avoir toujours des alliés et des amis de la construction européenne, les attitudes vont changer, conduisant notamment à une certaine remise en question de l'Organisation du Traité de l'Atlantique nord (OTAN). Dans ce contexte, voulons-nous, oui ou non, prendre l'Union européenne au sérieux ?
Si toute politique actuelle, avec ses implications budgétaires, a sa légitimité historique, le fait est qu'une grande partie des politiques menées par l'Union européenne sont redistributives. Or le devoir primordial que chacun de nos États a accompli au cours de son histoire, celui de garantir l'ordre et la sécurité, ne peut plus, désormais, être rempli par les États membres individuellement. Conscients de cette réalité, ceux-ci, pour la première fois depuis des décennies, se tournent vers Bruxelles et en appellent à l'Europe.
Selon nous, la logique voudrait que, si les États membres reconnaissent eux-mêmes à l'Union européenne de nouvelles fonctions propres, ils la dotent symétriquement de nouvelles ressources propres.
Cette tendance correspond à un recentrage de l'activité de l'Union européenne sur ce qu'on appellerait, dans le monde des affaires, son core business. Celui-ci va devenir extrêmement difficile à mener, mais, sur notre continent, seule l'Union européenne peut le faire.
Nous proposons de porter un autre regard sur le budget et le processus budgétaire européens. Il s'agit d'écarter progressivement l'analyse en termes de contributeurs nets et bénéficiaires nets, qui fragilise l'Union européenne. De fait, les négociations budgétaires actuelles donnent à nos concitoyens l'impression d'un jeu à somme nulle : si tel État gagne dix centimètres au tir à la corde, tel autre perd dix centimètres. C'est exactement l'image que l'Union européenne ne devrait plus donner.
C'est pourquoi nous proposons de recentrer tout le discours budgétaire sur la valeur ajoutée européenne et les biens publics européens.
Nos propositions sont précises, mais aussi modestes. Je ne connais personne qui puisse honnêtement soutenir qu'il a une idée du pourcentage du produit intérieur brut (PIB) européen que le budget de l'Union européenne devra représenter dans cinq, sept ou dix ans. Le principe du 1 % n'a aucune raison d'être écarté au profit d'un autre, mais c'est un article de foi, susceptible d'être démenti un jour par de nouvelles réalités.
Pour ce qui est de la procédure budgétaire, elle nous a paru fonctionner mal et être mal structurée. L'articulation entre le budget de l'Union européenne et les budgets nationaux doit être améliorée. Il faut aussi réfléchir à la forte diminution de la part des ressources propres dans le budget de l'Union européenne.
Les potentielles ressources propres nouvelles que nous avons imaginées sont de deux ordres. Les unes ont trait au marché intérieur : l'impôt sur les sociétés, ou une partie de celui-ci, pourrait être mis à la disposition de l'Union européenne, surtout si nous parvenons à faire progresser l'harmonisation de ce marché, ce à quoi s'emploie le commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'Union douanière, Pierre Moscovici, qui fut membre de notre groupe, et à rendre plus difficile l'évasion fiscale des multinationales, ce à quoi Alain Lamassoure a travaillé au Parlement européen dans le cadre de sa commission spéciale « TAXE » sur les rescrits fiscaux. Les autres se rapportent au transport, au climat et à l'énergie, un domaine dans lequel de nouvelles formes d'imposition au bénéfice de l'Union européenne peuvent être imaginées.
Je souligne que nos propositions ne conduisent pas à augmenter le montant du budget de l'Union européenne, ni à alourdir la pression fiscale globale sur les contribuables européens.
Peut-être vous aurai-je donné l'impression de ne pas entrer suffisamment dans le détail de nos propositions. J'ai préféré vous en exposer l'orientation politique, car je crois que si notre travail porte ses fruits, ce sera surtout parce que nous aurons essayé de présenter des scénarios que les ministres des finances et les chefs d'État et de Gouvernement auront plus de difficultés à écarter au profit du statu quo, vis-à-vis du Parlement européen et des opinions publiques.
M. Alain Lamassoure, membre du groupe de haut niveau sur les ressources propres. - Notre réflexion s'est inscrite dans le cadre des traités actuels, et nous ne proposons aucun transfert de souveraineté fiscale. Les parlements nationaux sont et resteront le souverain fiscal.
La comparaison avec certains de nos impôts locaux est éloquente : par exemple, notre taxe d'habitation est instaurée par le Parlement, mais les conseils municipaux ont la possibilité d'en fixer le taux dans les limites d'une certaine fourchette.
Qu'il s'agisse de créer une nouvelle ressource fiscale allouée en totalité ou en partie au budget européen ou d'affecter à celui-ci une part d'une recette fiscale existante, la décision appartiendra aux parlements nationaux. Au demeurant, le traité de Lisbonne, qui prévoit la possibilité de créer de nouvelles ressources propres alimentant le budget européen, subordonne cette création à une procédure qui, en réalité, ressemble à une révision du traité sans le nom, puisqu'elle requiert l'unanimité des ministres des finances et une ratification par les parlements nationaux. Ne soyez donc pas inquiets. Au fond, l'Union européenne est un peu dans la situation d'une collectivité territoriale, il est vrai un peu particulière.
Il y a encore trois ans, certains États membres contestaient fortement qu'il y ait vraiment besoin d'un budget au niveau européen. Plus personne ne peut aujourd'hui le contester.
Lorsqu'on s'est aperçu qu'il fallait des moyens pour faire face à toute la dimension du problème migratoire et à tous les aspects de la lutte contre le terrorisme islamiste, mais qu'aucune marge de manoeuvre n'existait dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020, les gouvernements ont décidé de créer des fonds ad hoc. Plusieurs de ces fonds satellites ont été institués rien que pour le problème syrien : l'un pour les Syriens déplacés dans leur pays, l'autre pour les Syriens réfugiés en Turquie. Un autre a été créé pour aider les pays africains à garder chez eux les jeunes tentés de migrer en Europe. Un autre encore est destiné à financer la part européenne de l'aide à l'Afrique décidée dans le cadre de la Conférence de Paris sur le climat (COP 21).
Dans notre rapport figure un schéma, élaboré par votre ancien collègue Jean Arthuis, aujourd'hui président de la commission des budgets du Parlement européen, qui montre la constellation de fonds et budgets annexes qui existent aujourd'hui. Ce schéma est plus convaincant que tous mes discours...
Financés par des contributions des États en proportion du revenu national brut, ces fonds présentent le défaut fondamental de ne faire l'objet d'aucun contrôle parlementaire. Le Parlement européen n'a pas son mot à dire, puisqu'ils sont extérieurs au budget de l'Union. Bien entendu, les parlements nationaux pourraient avoir leur mot à dire, mais, dans la plupart des pays, le ministre explique qu'il s'agit de respecter un accord et que les parlementaires doivent voter les montants proposés, ce qu'ils font. Or par qui ces fonds sont-ils gérés ? Par des bureaucraties nouvelles, de sorte que, au nom de la lutte contre la bureaucratie de l'Union européenne, on multiplie des bureaucraties que personne ne contrôle !
Si nous parlons à nos électeurs en employant dans la même phrase le mot « Europe » et le mot « impôt », nous pouvons être sûrs du résultat, surtout par les temps qui courent... En revanche, puisque tout le monde reconnaît qu'il faut faire face à certains défis au niveau européen, et donc prévoir les financements nécessaires, le débat doit porter d'abord sur ce qu'on attend de l'Europe, sur les responsabilités et les tâches qu'on lui assigne, dans le cadre, là aussi, des traités actuels. En d'autres termes, on ne peut pas traiter le volet ressources sans traiter le volet dépenses.
Il y a sur ce sujet une réflexion de fond à engager, dans la mesure où, aujourd'hui, les deux tiers du budget de l'Union européenne servent à financer des politiques que je qualifierais de traditionnelles : la politique agricole commune et la politique régionale. Ces politiques sont-elles vraiment fondamentales pour la préparation de l'avenir de l'Europe ?
J'ajoute que, à l'initiative des gouvernements, des agences européennes sont régulièrement créées ; il y a maintenant une bonne trentaine de ces petites bureaucraties - j'ai renoncé à en faire le décompte exact. Lorsque nous avons créé un service nouveau au sein de la Commission européenne, le Service européen pour l'action extérieure, et que nous lui avons affecté 3 000 diplomates et autres fonctionnaires, le ministre français des affaires étrangères a aussitôt réuni ses syndicats pour leur garantir qu'il n'y aurait aucune réduction d'emplois dans l'administration nationale. Fera-t-on de même pour le corps de garde-côtes et de garde-frontières européens que nos gouvernements, à l'unanimité, ont décidé de créer ? Sur le plan du millefeuille administratif, bonjour les dégâts !
À la vérité, il y a deux conceptions possibles. Soit on considère les agences et services européens comme un niveau d'administration supplémentaire, ce qui conduit à ajouter des dépenses, des fonctionnaires et des impôts, et donc à nourrir les critiques contre l'Europe bureaucratique, soit l'on raisonne d'une manière différente, à laquelle personne n'a encore réfléchi : il s'agit de s'assurer, à chaque transfert d'une compétence ou d'une politique vers l'Union européenne - je pense en particulier aux politiques d'asile et d'immigration, mais aussi à la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme -, que les moyens correspondants, c'est-à-dire les crédits et le personnel, ainsi que les ressources fiscales, lui sont également transférés. Or la Commission européenne s'est toujours refusée à faire cet exercice, qui consiste à ouvrir enfin la dimension budgétaire du principe de subsidiarité.
Remarquez que cette logique est la même que celle à l'oeuvre dans la décentralisation : lorsque l'État transfère des compétences aux régions, par exemple, il faut s'assurer que les emplois qui disparaissent au niveau national sont au moins aussi nombreux que ceux créés au niveau régional. Il faut veiller au respect de la même règle en cas de transfert des États membres vers l'Union européenne, pour garantir aux citoyens que, suivant l'esprit du principe de subsidiarité, un euro au moins est économisé au niveau national pour un euro supplémentaire dépensé à Bruxelles. Dans certains domaines, si l'on donnait la pleine compétence, avec les moyens correspondants, à l'Union européenne, un euro supplémentaire dépensé à Bruxelles se traduirait par une économie de vingt-huit euros.
Il est fondamental de mettre en place un tel mécanisme, en faisant jouer le réseau des cours des comptes nationales, la Cour des comptes européenne ou les commissions des finances nationales - nous n'avons fait qu'évoquer ce chantier, qui n'entrait pas dans notre mandat. Cette réflexion est indispensable au moment où nous allons être amenés, par exemple, à transformer l'Office européen de police (Europol) en une sorte de Federal Bureau of Investigation (FBI) européen. Il s'agit, en somme, de mutualiser les moyens nationaux pour augmenter la rentabilité budgétaire et l'efficacité technique.
M. Albéric de Montgolfier. - Vos éclairages sont tout à fait intéressants, même s'ils sont aussi parfois un peu inquiétants. Je souhaite vous interroger sur les ressources, en particulier sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et l'impôt sur les sociétés.
Vous proposez une nouvelle ressource propre reposant sur une base harmonisée de TVA. L'idée est séduisante, mais est-elle compatible, ou coordonnée, avec le plan d'action sur la TVA que la Commission européenne avance par ailleurs ? Nous sommes un peu dubitatifs sur le projet de celle-ci de rendre aux États membres la liberté de déterminer les taux réduits.
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, la proposition de directive sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), retient un seuil d'application de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires. Ne vous paraît-il pas trop élevé pour apporter à l'Union européenne des ressources propres suffisantes ?
Enfin, la taxe sur les transactions financières, qui peut être un facteur négatif pour la compétitivité de la place de Paris, vous semble-t-elle une ressource crédible, compte tenu des réticences de nombre d'États membres, notamment dans le contexte de concurrence consécutif au Brexit ?
M. François Marc. - En tant que rapporteur spécial de la commission des finances pour les crédits du budget de l'État reversés à l'Union européenne, je n'ai pas manqué d'insister chaque année sur la nécessaire évolution du système de financement. Il est tout à fait heureux qu'ait été élaboré un corps de propositions et d'alternatives possibles, sur lesquelles il faudra travailler dans les mois qui viennent pour aboutir à un dispositif rénové et porteur d'avenir.
Tirer le meilleur parti des moyens disponibles, mettre en rapport les dépenses et les recettes et dégager des synergies sont autant d'objectifs qui ne peuvent que rencontrer l'adhésion. Du reste, lors de la conférence interparlementaire qui s'est tenue à Bruxelles hier sur ces sujets, j'ai constaté une certaine unanimité de principe et un souhait partagé d'aboutir. La situation est donc encourageante.
Améliorer le système de dépenses tout en maintenant la recette à un niveau constant et en réalisant des économies dans les États est vertueux, mais implique sans doute une réorientation de la dépense. Monsieur Lamassoure, cette réorientation ne suppose-t-elle pas une diminution des crédits au profit de l'agriculture et des fonds structurels et d'investissement en faveur de la cohésion et de la solidarité ?
Actuellement, les politiques européennes tendent à bénéficier plutôt au secteur rural qu'au secteur urbain. Or le géographe Christophe Guilluy, dans La France périphérique, a démontré que les dynamiques de développement s'organisent aujourd'hui autour des métropoles et des grands centres urbains. Il faut donc préserver les leviers permettant de développer les secteurs plus excentrés. Cette dimension de la question a-t-elle été prise en considération par le groupe de haut niveau ?
Par ailleurs, dans le nouveau panier de recettes qui pourrait être institué, peut-être à compter de 2020, certaines ressources propres pourraient-elles être mises en oeuvre plus rapidement que d'autres ?
M. Yves Pozzo di Borgo. - Monsieur Monti, vous avez été commissaire européen à la concurrence et vous êtes, en quelque sorte, le symbole du droit européen de la concurrence et de sa doctrine. Or, dans la mondialisation, ce droit et cette doctrine ont entravé la création de grands ensembles européens. Dans le domaine du numérique, par exemple, nous n'avons pas suffisamment la possibilité de créer de grandes entreprises à la mesure des géants du web (Gafa). Je ne suis pas sûr qu'on eût pu créer Airbus si vous aviez été commissaire européen à l'époque... Monsieur Monti, ce droit de la concurrence peut-il évoluer ?
M. André Gattolin. - J'adhère au pragmatisme qui vous a conduit à travailler à traités constants, en essayant de tirer le meilleur parti du cadre actuel.
Dans la synthèse de votre rapport, les droits de douane sont qualifiés de « modèle de véritables recettes de l'Union », « dont le processus de collecte est satisfaisant ». J'approuve totalement, mais quelle est la réalité de ces dernières années ? Les traités de libre-échange bilatéraux se sont multipliés.
Chaque fois qu'un traité a été conclu, mais aussi dans le cadre des négociations sur le traité de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne (TAFTA), j'ai demandé à la commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, quel serait l'impact sur les ressources propres de l'Union européenne. Les données à ce sujet ne nous sont jamais communiquées !
L'Europe est la première puissance commerciale au monde et le premier marché en termes de volume et de niveau de vie. Or nous donnons accès de plus en plus largement à ce marché en faisant tomber les droits de douane, ce qui conduit à une renationalisation du financement du budget européen. C'est ainsi que les perspectives financières pour 2014-2020 sont issues d'arrangements entre dirigeants européens, dans lesquels le président du Conseil européen de l'époque, Herman Van Rompuy, a joué un rôle particulier. On a promis la fongibilité de tous les budgets, pour que chacun ait sa part. Toute cette logique est extrêmement grave !
Je veux bien que le libre-échange soit le principe fondamental de l'Union européenne, mais dans son cadre intérieur. À force d'abaisser les droits de douane, on finit par détruire complètement la ressource et la force que notre marché devrait naturellement nous apporter.
Sans tomber dans le protectionnisme, pourquoi baissons-nous à ce point la garde, alors que 3 000 personnes travaillent sur les traités de libre échange, d'après Matthias Fekl... Nous sommes bons pour négocier ces traités de libre-échange, mais beaucoup moins pour suivre leur application.
M. Richard Yung. - Je retrouve, dans les propos de François Marc, des échos de ce que disait Tony Blair : le budget européen finance l'agriculture et des politiques territoriales avec une efficacité douteuse ; si une petite partie était consacrée à la recherche, nous aurions un budget d'avenir. Cela m'avait paru plein de bon sens. Je le dis sans doute d'autant plus facilement que je n'ai pas d'agriculteurs dans ma circonscription...
M. Jean Bizet, président. - J'allais le dire !
M. Richard Yung. - Si on faisait la somme de vingt ans de politique agricole commune (PAC)... on atteindrait un niveau qui nous ferait peur. Est-il possible de faire quelque chose d'ici le prochain cadre pluriannuel, qui commence dans trois ans ? Ou bien devrons-nous encore attendre quatorze ou quinze ans ?
Le budget européen a peu de liens avec les budgets nationaux. Même si des liens devaient être tissés grâce à un éventuel budget de la zone euro, ils pourraient être divergents.
M. Jacques Chiron. - Vous recommandez « une ressource propre basée sur la TVA, sous une forme réformée remplaçant le système existant » et « une ressource propre basée sur l'impôt sur les sociétés ».
Notre commission des finances a travaillé sur l'e-commerce qui échappe à la TVA. Nous sommes allés à Rome, où les douanes italiennes nous ont fait remarquer que de plus en plus de biens entraient sur le territoire sans payer de taxe, en passant par certains pays peu attentifs, tout cela au détriment du pays du consommateur final, pour qui c'est un manque à gagner considérable. Nous avions travaillé sur l'hypothèse d'une TVA à la source versée automatiquement dès l'achat sur internet à l'État de l'acheteur. Une TVA plus efficace constituerait une ressource nouvelle pour les États, mais aussi pour l'Europe.
M. Mario Monti. - Merci de l'intérêt de vos commissions pour notre travail, dont témoignent vos excellentes questions. Concernant le calendrier, je ne sais trop que vous dire, car il n'y a pour l'instant aucune proposition sur la table des institutions européennes. Nous étions mandatés pour éclairer trois institutions européennes sur le budget. Mais seule la Commission, ayant le monopole de l'initiative, aura la possibilité d'examiner notre rapport en profondeur et de s'en inspirer éventuellement dans sa proposition de perspectives financières, qu'elle rédigera avant la fin de cette année ou du début de l'année prochaine.
Une négociation compliquée et longue commencera alors. Les politiques nationales sont de plus en plus définies à court terme. L'Union européenne a son budget annuel, mais elle a aussi la grande ambition d'établir une prévision à sept ans - cette durée, peut-être un peu longue, pourrait être réduite à cinq ans. Il n'y a donc rien d'imminent : la procédure est aussi lourde que pour une révision des traités.
Certains d'entre vous voient positivement la réorientation de la dépense vers d'autres domaines que l'agriculture, tandis que d'autres s'inquiètent pour la ruralité... Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec Alain Lamassoure sur ce sujet. Il y a plusieurs façons d'être solidaire avec les zones rurales. Ce que certains remettent en question, c'est que tout passe nécessairement par le budget communautaire. Faire autrement ne diminuerait en rien le caractère solidaire de l'Union.
Je serais porteur d'une image particulière de la concurrence, d'après Yves Pozzo di Borgo... Rassurez-vous, ce n'est qu'en France que j'ai cette image !
M. Yves Pozzo di Borgo. - En Italie aussi !
M. Mario Monti. - Peut-être la France a-t-elle aussi une image un peu particulière de la concurrence...
Il ne faut pas croire qu'une politique de la concurrence un peu musclée soit toujours au détriment de l'industrie européenne. Lorsque le gouvernement américain a accepté, face à Airbus, la fusion de General Electric et de Honeywell, la Commission l'a interdit...
M. Alain Lamassoure. - L'actuelle commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, porte, elle aussi, une image particulière de la concurrence aux États-Unis, grâce à son action courageuse contre les Gafa.
La ressource TVA est la survivance d'une ressource qui a rapporté beaucoup d'argent il y a une vingtaine d'années, et que les administrations nationales ont volée, à l'insu de tout le monde. Notre proposition est de réinventer une nouvelle ressource TVA. Puisque l'assiette en est harmonisée depuis trente ans, nous pourrions ajouter un point, un point et demi, deux points au taux du pays, tout en diminuant d'autant la contribution directe du pays. Il faut en effet tenir compte du fait que tous les pays n'ont pas la même liste des produits à taux réduit. Nous pensons à moyen terme, donc sans les Britanniques.
Concernant l'e-commerce, les carrousels de TVA et la fraude, nous cherchons à mettre en place une auto-liquidation par le fournisseur selon le taux du pays d'arrivée et non du pays de production. Je ne sais pas s'il existe un accord définitif au Conseil, mais on s'orienterait vers une expérimentation, que les Tchèques seraient intéressés de mener. Récupérer ne serait-ce qu'un tiers des pertes serait déjà un gain considérable.
J'ai été nommé rapporteur sur le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) au Parlement européen. J'entrerai en contact avec vous. Pourquoi proposer un supplément européen à l'impôt sur les sociétés ? Nous nous plaçons dans l'hypothèse optimiste selon laquelle un accord serait trouvé sur l'assiette commune de l'impôt sur les sociétés. Nous proposons donc un taux européen au sein d'une fourchette laissée à la décision conjointe prise à la majorité qualifiée au Conseil des ministres des finances et à la majorité au Parlement européen.
Ma première réaction concernant le seuil de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires a été celle d'un paysan béarnais : si l'harmonisation de la notion de chiffre d'affaires consolidé est un progrès, alors pourquoi en priver les petites et moyennes entreprises (PME), même si la question de la consolidation ne se pose certes que pour les grandes entreprises ? Cela attristera sans doute les grands cabinets de conseil fiscaux, mais ni nos entreprises ni nos concitoyens.
La taxe sur les transactions financières ne nous semble pas être une perspective à court terme. À partir du moment où seuls dix pays - dont un de façon incertaine - sont volontaires, cela ne pourrait financer qu'une coopération renforcée. Nous nous sommes en effet intéressés au financement de ces dernières. Si une coopération renforcée se met en place pour la zone euro, cela pourrait être une source de financement - même si, avec le Brexit, il n'est pas urgent d'avancer dans cette voie...
Tous les ministères des finances et toutes les banques centrales de la zone euro ont frisé la crise cardiaque en lisant notre proposition d'affecter à la zone euro les droits de seigneuriage et les bénéfices de la banque centrale européenne. Nous avons voulu savoir combien cela rapportait... Il faut s'adresser à la National Security Agency (NSA) pour le savoir ! Cela serait de l'ordre de plusieurs milliards d'euros, voire plus, même si c'est très variable selon les années... Voilà une mesure qui serait très populaire parmi nos concitoyens, même si elle se heurterait au lobby très puissant de nos ministères des finances et de nos banques centrales.
Comme l'a dit Mario Monti, c'est maintenant que les institutions commencent à réfléchir au prochain cadre financier pluriannuel. Nous, Français, devons nous interroger sur la PAC. Elle nous coûte horriblement cher et les agriculteurs sont dans la situation que nous connaissons, sans compter que cela rend l'Europe très impopulaire dans de nombreux pays. Nous devrions avoir, pour un coût moindre, une politique plus efficace.
La PAC est née de l'exigence de la France, au temps du Général de Gaulle, d'équilibrer un marché commun censé profiter surtout à l'industrie allemande. C'est la seule politique financée intégralement par le budget communautaire. On pourrait imaginer un cofinancement, avec une contribution plus importante pour les pays riches. On peut aider les régions périphériques à rattraper leur retard en matière de services publics fondamentaux, mais a-t-on besoin de Bruxelles pour aider les régions les plus pauvres en Allemagne ou soutenir la politique de la montagne en France ? Si nous voulons faire plus pour la recherche, l'espace, l'aéronautique, il faudra bien prendre l'argent quelque part.
Les droits de douane sont un impôt sans avenir
M. Mario Monti. - ... sauf si le protectionnisme triomphe !
M. Alain Lamassoure. - Je ne crois pas que le protectionnisme prendra cette forme. Il ne faut pas en attendre qu'il rapporte beaucoup d'argent.
Airbus, notre fleuron, a pu décoller mais à l'époque, Mario Monti n'était pas commissaire à la concurrence... Airbus vend 80 % de ses avions hors d'Europe : le protectionnisme n'est vraiment pas la solution ! Nous devrions traduire Free trade non par libre-échange mais par commerce international. Avec la Corée du Sud, l'accord de libre-échange est un triomphe : depuis, la France a un commerce excédentaire avec ce pays.
M. André Gattolin. - C'est toujours le même exemple qui est donné.
M. Alain Lamassoure. - Dans cinq ans je pourrai vous citer le cas du Canada, mais encore faut-il ratifier cet accord, et non le diaboliser !
M. André Gattolin. - Ne vous y trompez pas, j'y suis favorable !
M. Alain Lamassoure. - Les impôts d'avenir au XXIe siècle sont les impôts indirects, pas les impôts directs ; dans un monde où tout circule librement, les talents trop imposés, les entreprises trop imposées s'en vont ! Nous concentrons donc les impôts directs sur les sédentaires comme les PME, les salariés sans qualification particulière...
M. Alain Richard. - Mais les transactions aussi se déplacent !
M. Alain Lamassoure. - Mon propos n'est pas de faire payer les riches, mais d'appliquer un taux infiniment petit sur des milliards d'opérations. Il faut donc en quelque sorte rétablir la gabelle et l'octroi ! J'avais par le passé proposé un impôt sur chaque clic - tous les internautes me sont alors tombés dessus... Dans notre rapport, nous proposons une taxe de 3 centimes sur le kilowattheure d'électricité consommée ; c'est faible mais cela peut rapporter beaucoup.
M. André Gattolin. - Et la téléphonie ? La politique de la concurrence en a baissé les coûts, mais l'Europe n'en a pas profité pour y trouver une ressource...
M. Jean Bizet, président. - Il y a trente agences européennes - ce n'est rien en comparaison avec les 247 que nous avons dénombrées en France. Il y aurait des économies à faire, et cela permettrait de gagner en cohérence vis-à-vis de nos concitoyens.
Concernant la PAC, attention au contexte : aux États-Unis de 2008 à 2012, les aides à l'agriculture ont augmenté de 40 % et coûtent désormais 488 dollars par Américain ; dans le même temps, les aides européennes ont baissé de 17 % et ne représentent que 207 dollars par Européen. L'agriculture est devenue une activité stratégique, et l'alimentation, une arme. Mais vous avez raison : nous ne pouvons pas dépenser autant d'argent pour avoir des gens aussi malheureux, avec l'impression d'aller de crise en crise... Il faut la repenser. Un impôt européen ne sera jamais populaire ; mais il sera nécessaire puisque nous demandons toujours plus à l'Union européenne.
Mme Michèle André, présidente. - J'aurai, quant à moi, une réaction de paysanne auvergnate... Nous ne savons pas où il faut peser pour changer les choses. Pendant ce temps, un euroscepticisme puissant continue de monter. Il y a danger dans la maison Europe. Nous souhaiterions avoir des outils pragmatiques pour nous donner au moins l'impression d'avoir prise sur notre avenir.
Un comité de parlementaires nationaux membres des commissions des finances travaillant avec les eurodéputés a été évoqué... Le fossé se creuse dans le vocabulaire même entre les eurodéputés et nous, parlementaires nationaux, qui avons des attitudes différentes, entre les Grecs et les Portugais, très inquiets pour leur avenir, et les autres.
Le citoyen lambda ne s'intéresse pas à notre maison Europe. Les paysans protestent contre l'Europe, alors qu'ils en vivent essentiellement. Lorsque vous faites remarquer qu'un parti politique veut supprimer l'Europe, les gens s'offusquent. Il est temps que les vrais Européens s'unissent, s'ils veulent garder l'idéal de paix, de développement, qui a permis l'accueil des pays sortant de la dictature...
M. Alain Lamassoure. - Le 25 mars, nous nous retrouverons à Rome pour l'anniversaire du traité instituant la Communauté économique européenne. Je suis mille fois d'accord pour travailler en commun entre eurodéputés et parlementaires nationaux, d'autant plus que vous aurez le dernier mot...
M. Mario Monti. - La conférence interparlementaire organisée en septembre 2016 a été très positive.
Mme Michèle André, présidente. - Mais ce sont des sphères qui ne rencontrent pas le quotidien de nos concitoyens.
La réunion est close à 17 h 10.
Jeudi 2 février 2017
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 8 h 35.
Institutions européennes - Suivi des résolutions européennes - Rapport d'information de M. Jean Bizet
M. Jean Bizet, président. - L'année dernière, je vous avais présenté, pour la première fois, un rapport d'information sur le suivi des positions européennes du Sénat - résolutions européennes, avis motivés et avis politiques - afin de traduire l'attachement de la Haute Assemblée au contrôle des suites données à ses travaux dans le cadre plus général de l'application des lois. Le 7 juin 2016, j'avais participé au débat sur le bilan annuel de l'application des lois. Mon rapport renouvelle cet exercice.
Il présente un bilan de la prise en compte et de la mise en oeuvre des différentes positions européennes adoptées par le Sénat, entre le 1er octobre 2015 et le 31 décembre 2016. Cette année, je voudrais insister sur la réelle amélioration de l'information délivrée par le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), et qui s'est traduite de deux manières : d'une part, le SGAE nous adresse désormais des fiches de suivi des résolutions européennes en nombre plus important, de façon plus régulière et sur un champ plus large que précédemment puisque ces fiches portent aussi, dans certains cas, notamment pour des textes relatifs à des négociations commerciales, sur des résolutions qui ne concernaient pas des actes législatifs. C'est une évolution importante que je tiens à relever et à encourager pour l'avenir.
D'autre part, notre commission a organisé, le 26 janvier dernier, une audition du secrétaire d'État chargé des affaires européennes, M. Harlem Désir, spécifiquement consacrée au suivi des résolutions européennes, comportant aussi un débat interactif auquel de nombreux collègues ont participé. Il s'est prêté à l'exercice de bonne grâce. Le SGAE, initialement assez réservé, s'est ensuite prêté au jeu dans un travail commun très constructif. Par ailleurs, le service SOLVIT m'a permis de régler deux dossiers de ressortissants français ayant acheté des terres en Pologne et qui avaient des problèmes avec les autorités polonaises. Ce service est très efficace pour régler ce type de cas en lien avec la charte européenne des droits fondamentaux.
M. Richard Yung. - Merci de cette information.
M. Jean Bizet, président. - Entre le 1er octobre 2015 et le 31 décembre 2016, le Sénat a adopté 22 résolutions européennes, contre 14 sur la même période de l'année précédente. Sur ces 22 résolutions, 17 sont issues d'une proposition de résolution de notre commission et 5 d'une initiative d'un ou plusieurs de nos collègues. Huit résolutions ont donné lieu à un rapport d'information de notre commission et onze à un rapport d'une commission législative. Quinze ont également fait l'objet d'un avis politique adressé à la Commission, au lieu de huit l'année dernière, et quatre furent suivies d'un débat en séance publique - ce n'est pas rien ! Le Sénat a adopté 21 avis motivés depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
Soulignons la nette amélioration de l'information que nous délivre le Gouvernement sur le suivi des résolutions européennes, et cela sur le plan tant quantitatif que qualitatif. Le SGAE nous a ainsi transmis 18 fiches de suivi depuis le 1er octobre 2015. Je le remercie pour sa coopération et me félicite qu'à mon initiative, il ait tenu ses engagements de mieux nous informer. Je ne peux que souhaiter la poursuite de cette procédure et inviter le SGAE à l'améliorer encore, en particulier par la transmission très régulière d'informations. Notre commission souhaite mieux connaître le cours des négociations pour nouer un dialogue pertinent avec le Gouvernement.
Notre commission a adressé 25 avis politiques à la Commission européenne entre le 1er octobre 2015 et le 31 décembre 2016, contre 11 sur la même période de l'année dernière. Il y a six mois, j'avais adressé un courrier à la Commission européenne sur les problèmes de transport aérien. Faute de réponse, je m'interroge sur la possibilité de le transformer en avis politique, ce qui l'obligera à nous répondre.
Je constate une amélioration des réponses de la Commission européenne qui doivent en principe nous parvenir dans un délai de trois mois. Sur l'ensemble de ces 25 avis politiques, la Commission a apporté une réponse à chacun des avis adoptés au cours de la session 2015-2016, mais à aucun des avis adoptés postérieurement, soit 18 réponses. Le respect du délai de réponse s'est nettement amélioré au cours de la session 2015-2016. Parmi les 18 réponses reçues, 13 ont été envoyées dans le délai de trois mois, dont huit dans un délai inférieur, y compris parfois inférieur à deux mois. Soulignons cette réactivité. Nous nous félicitions de la quasi disparition des retards importants, supérieurs à un mois.
En revanche, comme l'année dernière, la qualité des réponses reste inégale. Aussi convient-il d'appeler la Commission à accorder plus d'attention à la qualité des arguments développés dans ses réponses, en particulier en prenant en considération chacun des points soulevés dans les avis politiques, de manière à rendre plus effective encore son ambition légitime d'un nouveau partenariat avec les parlements nationaux. Notre commission devrait demander de nouvelles précisions à la Commission lorsqu'elle considère que les réponses à ses avis politiques mériteraient d'être complétées et ce, afin de nouer un dialogue politique approfondi et véritablement réciproque. Dans une lettre du 11 juillet 2016, le Premier vice-président de la Commission, M. Frans Timmermans, notait que « la Commission se félicite de la contribution active du Sénat à ce dialogue ». Il rappelait également l'importance des rencontres entre les commissaires européens et les parlements nationaux. Enfin, le contenu des réponses de la Commission sur les avis motivés en matière de respect du principe de subsidiarité ne s'est guère amélioré par rapport à l'année dernière, ce que je regrette.
Le rapport comporte des informations, obtenues via le Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), sur les procédures et pratiques des États membres en matière de suivi des affaires européennes au sein des parlements nationaux.
Les positions européennes du Sénat connaissent des suites extrêmement favorables. Elles sont très largement prises en compte au cours des négociations et elles influent véritablement sur le contenu des directives et règlements finalement adoptés. Comme l'a relevé le secrétaire d'État, il y a une réelle « convergence entre vos résolutions, les positions que nous avons portées et défendues à l'échelle européenne et les avancées essentielles de la construction européenne ».
Schématiquement, les résolutions européennes du Sénat peuvent être classées en trois catégories selon les suites qu'elles ont reçues. Dans environ deux tiers des cas, nos résolutions ont été prises totalement ou très largement en compte, notamment pour le « plan Juncker », les importations de sucres, les conséquences du traité transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) pour l'agriculture et l'aménagement du territoire, la réglementation viticole, la réforme de l'espace Schengen et la crise des réfugiés, le volet méditerranéen de la politique de voisinage, les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ou encore l'accord commercial relatif à la banane.
Dans un peu plus de 25 % des cas, les positions du Sénat ont été partiellement suivies, par exemple sur le programme de travail de la Commission pour 2016, la lutte contre le terrorisme, les sanctions européennes contre la Russie, le détachement des travailleurs ou encore la phase I de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire (UEM). Le dossier des demandes de réformes de l'Union européenne souhaitées par le Royaume-Uni, compte tenu du résultat du référendum du 23 juin, doit être mis à part en raison de sa spécificité. Le bilan est très largement positif. Si la prise en compte des résolutions du Sénat est aussi intéressante, c'est grâce à notre travail collectif et à celui du service de notre commission. Cela renforce l'image du Sénat.
M. Simon Sutour. - Félicitations pour cette synthèse sur le suivi de nos résolutions. Il est bien de faire des résolutions - certains livres parlent de révolution, d'autres de résolutions... - et de connaître leur devenir. On observe une montée en puissance de la considération des parlements nationaux. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008 et les nouveaux acquis du traité qui y sont désormais intégrés aux articles 88-1 et suivants, dont je me félicite, nous sommes passés du statut de petite délégation à celui de commission des affaires européennes, intouchable car prévue par la Constitution...
Nous avons pris notre part de responsabilité. Nous avons créé un groupe de suivi des textes, et travaillé avec le SGAE. Nous lui avons rendu visite et le SGAE nous a transmis un compte rendu de son action. Ces relations sont montées en puissance. La venue du ministre cette année est positive : s'il vient deux fois par an devant notre commission, et que le Gouvernement tient compte de nos propositions, cela incitera ses services à plus d'attention.
La Commission européenne est plus éloignée, les relations sont plus inégales, et nous devons souvent nous rappeler à son bon souvenir... Je ne suis plus favorable aux courriers qui trouvent rarement des réponses, mais davantage aux avis politiques et avis motivés. Je me félicite de cette bonne évolution. De plus en plus, nous réussissons à imposer le rôle des parlements nationaux au niveau de l'Union européenne. Participant à de nombreuses instances depuis longtemps, j'ai observé l'évolution du Parlement européen qui nous tançait de haut, et qui maintenant admet un partage des responsabilités entre chacun. Continuons dans ce sens positif.
M. Jean Bizet, président. - Nous observons une crispation généralisée, un vent de protectionnisme contraire à l'évolution de nos sociétés. Nous avons largement débattu, en séance plénière, des traités commerciaux internationaux. C'est par une association, le plus en amont possible, des parlements nationaux, afin de définir un cahier des charges le plus précis possible au commissaire chargé de négocier, qu'on pourra expliquer qu'il faut des accords commerciaux équilibrés. Le travail est né dans notre commission.
M. Richard Yung. - Nous avons pu être utiles au Gouvernement lors de négociations un peu difficiles, notamment face à des pays comme l'Allemagne, parfois limitée par la commission des finances du Bundestag...
M. Jean Bizet, président. - Nous arrivons à une situation plus saine et plus équilibrée. Le ministre du commerce extérieur a largement associé le Parlement aux réflexions pour éviter de se retrouver dans une situation caricaturale comme en Wallonie. Plus nous débattons en amont sur le cahier des charges, moins il y a de discussions en aval.
À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.
Institutions européennes - Programme de travail 2017 de la Commission européenne - Rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Jean Bizet et Simon Sutour
M. Jean Bizet, président. - La Commission européenne a présenté, le 25 octobre dernier, son programme de travail pour 2017. La Commission entend se concentrer sur les grands enjeux, rappelant ce qu'elle considère comme des réussites en 2016 - même si certains dossiers étaient déjà dans les tuyaux : le Fonds européen pour les investissements stratégiques, la mise en place d'un corps de garde-frontières et de garde-côtes et l'accueil et la protection d'un million de Syriens sur le territoire européen.
La plupart des initiatives présentées dans le programme de travail pour 2017 doivent servir de fondement à une réflexion sur le « renouvellement » de l'Union européenne, alors que l'année 2017 sera marquée par le soixantième anniversaire du traité de Rome. Le programme s'inscrit dans la continuité des documents présentés depuis l'entrée en fonction de la Commission Juncker. Celle-ci veut proposer moins d'initiatives législatives, son intervention devant constituer une plus-value pour l'économie de l'Union européenne. Les propos de Mario Monti allaient hier dans le même sens...
Aux 21 initiatives, s'ajoutent 17 révisions de dispositifs existants dans le cadre du programme de la Commission européenne pour une réglementation affûtée et performante (REFIT). Celui-ci vise à rendre la législation de l'Union européenne plus simple et à réduire les coûts induits par la réglementation.
La mise en avant de nouvelles propositions n'élude pas la question de l'adoption des textes annoncés dans les programmes de travail 2015 et 2016. Selon la Commission européenne, 35 propositions sont toujours en cours d'adoption. Le programme de travail précise également que 18 propositions de textes, élaborées pour certaines d'entre elles en 2008 et 2009, devraient être retirées d'ici au mois d'avril 2017. La plupart de ces textes sont jugés obsolètes, compte tenu de l'absence d'accord entre les institutions sur le dispositif ou du remplacement du projet par une nouvelle initiative.
Nos premières réflexions portent sur les questions de compétitivité et l'emploi. Quatre ans après le lancement d'un premier dispositif, la Commission propose une nouvelle initiative pour la jeunesse, qui comprend deux volets : la création d'un corps européen de solidarité, destiné aux jeunes âgés de 18 à 30 ans, et la mise en avant des aspects « jeunesse » de la stratégie pour les compétences de l'Union européenne. Le format de l'Initiative pour l'emploi des jeunes, mise en place en juin 2013, devrait également être révisé. Notre commission a, depuis la mise en place de la première initiative en 2013, indiqué son soutien à toute proposition favorisant la mise en place d'un Erasmus de l'apprentissage, proposition séduisante et beaucoup plus concrète que le reste. Allons plus avant dans cette approche, quitte à avoir des coopérations bilatérales renforcées avec l'Allemagne ou l'Autriche, qui détiennent une véritable expertise. Des coopérations entre l'Allemagne et l'Espagne ou entre l'Allemagne et le Portugal ont eu d'énormes effets induits. Notre commission devrait étudier davantage cette question.
Il pourrait être opportun de lancer une vaste réflexion sur la convergence des modèles éducatifs en Europe via l'Alliance européenne pour l'apprentissage qui existe déjà. Cela pourrait être réalisé sur le modèle du processus de Bologne dans le domaine universitaire. Toute réévaluation du dispositif pour augmenter les moyens de l'Initiative pour l'emploi des jeunes doit s'accompagner d'une simplification des procédures, afin de le rendre plus opérant. Ne pourrait-on proposer aux nouvelles régions un appel à projet pour celles qui voudraient expérimenter ces coopérations ?
L'amélioration de la compétitivité européenne passe également par un approfondissement du marché intérieur. La Commission devrait présenter au deuxième trimestre 2017 des mesures donnant aux autorités nationales de la concurrence les moyens de mieux faire respecter les règles, quel que soit le secteur. Il conviendra d'être extrêmement vigilant sur cette initiative. L'an passé, nous avons adopté une proposition de résolution européenne pour que les autorités nationales de la concurrence prennent en compte les réalités économiques objectives et, en conséquence, définir le marché pertinent à l'échelle européenne. Elles pourraient prendre leur part dans la réindustrialisation de l'Europe en appliquant le droit européen de la concurrence afin que les entreprises puissent conquérir de nouveaux marchés à l'échelle tant européenne que mondiale. Selon la Commission européenne, la politique de la concurrence doit soutenir la croissance et la création d'emplois. Cette intention doit se traduire concrètement. Le Sénat a toujours affirmé que l'Europe doit protéger activement et non passivement, en essayant d'acquérir d'autres marchés plutôt que de bâtir une ligne Maginot, d'où la notion de marché pertinent... Un marché régional n'a pas de sens.
Plusieurs dispositifs sont annoncés afin de faire émerger un véritable marché unique du numérique. La Commission devrait ainsi présenter une initiative en matière de droit des sociétés visant à faciliter l'utilisation des technologies numériques tout au long du cycle de vie d'une entreprise. Elle souhaite aussi présenter des propositions en vue d'un portail numérique unique présentant le marché intérieur. Nous insistons dans la proposition de résolution européenne sur le fait que le développement du marché unique du numérique passe nécessairement par une réflexion sur l'économie numérique, les nouvelles technologies étant au coeur du développement de l'« uberisation », qui fait partie du paysage du XXIe siècle, même si cela provoque quelques grincements de dents dans certaines professions. C'est l'évolution, il ne s'agit pas de la contrer mais de l'encadrer. Toute avancée du marché unique numérique pour le commerce ne peut par ailleurs se faire au détriment des consommateurs, notamment en ce qui concerne la fourniture de contenus numériques et l'achat en ligne de biens matériels.
L'Union de l'énergie, mise en place en 2015 et 2016, ne devrait pas faire l'objet d'une nouvelle intervention législative en 2017. Certains textes sont toujours en débat. La priorité pour la Commission en 2017 consistera, dans le domaine énergétique, en la mise en oeuvre de la stratégie sur la mobilité à faible intensité de carbone, présentée en juillet dernier.
La Commission européenne propose également l'adoption d'un nouveau paquet « économie circulaire » visant l'utilisation, la réutilisation et le recyclage des matières plastiques, et les normes minimales en matière de qualité de l'eau. Notre commission s'est montrée réservée à deux reprises par le passé sur les projets de la Commission en matière de recyclage, jugeant que les mesures préconisées étaient notamment contraires au principe de subsidiarité tout en relevant les difficultés financières que les projets de la Commission pouvaient engendrer pour les collectivités locales. Elle avait également mis en avant le recours trop important aux actes délégués et aux actes d'exécution pour préciser des éléments du dispositif, qui pouvaient être considérés comme essentiels au sens du traité. Nous serons donc vigilants sur ces points. La Commission a tendance à tendance recourir à ces actes délégués ou d'exécution, en théorie pour plus de simplification. En réalité, cela va plus loin.
L'année 2017 devrait également être consacrée à l'approfondissement de l'Union économique et monétaire. Nous nous contenterons de rappeler notre souhait que le Livre blanc annoncé en mars propose des pistes de travail ambitieuses pour l'avenir de la zone euro. Il s'agit d'en clarifier l'architecture, de la rendre à la fois plus lisible et plus visible et d'améliorer sa capacité à résister aux chocs économiques, par l'intermédiaire d'instruments contra-cycliques.
La Commission annonce aussi une première proposition globale en vue du prochain cadre financier pluriannuel. Nous espérons que les négociations à venir soient l'occasion de concrétiser au plan budgétaire certaines priorités annoncées : sécurité et migration par exemple. L'instrument budgétaire devra être le plus flexible possible afin de faire face, le plus rapidement possible, à tout bouleversement.
M. Simon Sutour. - Je me félicite de ce point réalisé en commun depuis plusieurs années sur le programme de travail de la Commission européenne.
Plusieurs dispositions contenues dans le programme de travail devraient participer de l'affirmation de l'Union européenne sur la scène internationale, tout en contribuant à renforcer le projet politique européen.
La sécurité intérieure est ainsi au coeur des préoccupations de la Commission. Le programme de travail pour 2017 insiste sur la mise en oeuvre du plan d'action destiné à renforcer la lutte contre le financement du terrorisme. Plusieurs textes ont déjà été présentés fin 2016. La réponse opérationnelle que doit apporter l'Union européenne à la question du terrorisme doit cependant être plus ambitieuse et reprendre les positions que nous avions exprimées avec nos collègues de six autres États membres, puis relayées dans une résolution européenne tendant à l'adoption d'un Acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne. Nous souhaitons que la Commission européenne propose le renforcement des moyens financiers et humains de la section d'Europol consacrée à la recherche et au partage avec les États membres d'informations ayant trait au terrorisme djihadiste sur internet et que soit mis en place dans un délai rapide un parquet européen collégial - j'insiste sur ce terme - et décentralisé aux compétences élargies à la criminalité grave transfrontière.
Le droit à la sécurité n'est pas contraire à la promotion du droit à la protection des données à caractère personnel. La Commission devrait ainsi présenter en 2017 une proposition de révision de la directive de 2002 sur la vie privée et les communications électroniques, en vue de l'adapter aux dernières évolutions technologiques. Elle entend également mettre en place un cadre applicable aux échanges de données à caractère personnel avec des pays tiers.
Nous saluons cette double ambition. Il est indispensable de préciser le statut des données personnelles dans les mandats de négociation des accords commerciaux. Il est apparu, dans le cadre des négociations sur le partenariat transatlantique - désormais caduc - que, si le mandat de négociation européen excluait les données personnelles, le mandat américain inclut quant à lui les « données commerciales ». Or les données commerciales, et notamment les données de consommation des clients, sont des données personnelles. Il existe donc une contradiction entre les objectifs des négociateurs, de part et d'autre de l'Atlantique, au risque de fragiliser la réglementation européenne.
La révision de la directive de 2002 doit être cohérente avec le règlement relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, adopté en avril 2016. Les failles de sécurité sont traitées dans les deux textes ; les dispositions ne sont pas exactement identiques selon qu'il s'agit d'une faille de sécurité des opérateurs de télécommunications ou d'une faille traitée par le règlement européen. Dans le règlement européen, les dispositions sur les failles de sécurité s'appliquent à tous les acteurs, quel que soit le secteur industriel ou commercial concerné. Ce règlement a fini par être adopté en 2016 après de nombreuses discussions. Il était pris en otage avec le fichier PNR - ou Passenger Name Record, données des dossiers passagers - avec lequel nous souhaitions qu'il soit adopté rapidement.
La Commission entend mettre en oeuvre le plan d'action européen de défense défini en 2016, qui prévoit de mettre en place un fonds européen de défense et des mesures destinées à améliorer l'utilisation et l'efficacité des règles en matière de marchés publics. Nous estimons que ces dispositions vont dans le bon sens. Elles doivent cependant être accompagnées de mesures additionnelles. Il en va ainsi de l'augmentation des moyens d'action de l'Agence européenne de défense, et en premier lieu ses ressources financières. Il s'agit également de donner suite à d'autres initiatives de financements européens qui permettraient, sur le modèle du Fonds européen d'investissements stratégiques, d'impliquer la Banque européenne d'investissement dans l'aide aux petites et moyennes entreprises du secteur de la défense. Le financement des opérations militaires de la politique de sécurité et de défense commune doit enfin être profondément réformé pour accroître largement la part du financement commun et réduire, à due concurrence, celle des États engagés militairement dans l'opération.
La place de l'Union européenne dans le monde comprend également une dimension économique. La Commission européenne privilégie la poursuite et l'achèvement des négociations avec le Japon. Elle devrait, en outre, lancer l'ouverture de négociations avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Chili. Il y a quelques jours, j'ai accompagné le Président de la République au Chili : les Chiliens attendent ces négociations avec impatience. C'est important que l'Union européenne négocie ce type d'accords avec certains États, et même avec le Mercorsur qui représente un grand nombre de pays d'Amérique latine. Nous souhaitons que ces ouvertures soient l'occasion de mettre en oeuvre une nouvelle approche de la Commission en matière commerciale. Nous l'avions obtenu dans le TTIP, malheureusement caduc...
M. Daniel Raoul. - Pourquoi malheureusement ?
M. Simon Sutour. - Je suis favorable aux accords de libre-échange s'ils sont équilibrés...
M. Daniel Raoul. - L'était-il vraiment ?
M. Simon Sutour. - L'Union européenne doit en particulier intégrer systématiquement les parlements nationaux aux différentes étapes des accords de libre-échange via des débats sur les mandats de négociation et un accès aux documents classifiés des comptes rendus de négociations avec leur traduction française. Comme l'a remarqué notre collègue Sophie Joissains, nous ne pouvions consulter certains documents, en anglais, que quelques minutes au SGAE. Les représentants des parlements nationaux devraient, en outre, être régulièrement informés par le commissaire au commerce.
La Commission européenne souhaite enfin répondre à un euroscepticisme latent au sein des opinions publiques et dont le référendum britannique a constitué la plus parfaite illustration. Elle entend, dans ces conditions, insister sur l'aspect opérationnel. Il s'agit bien sûr de veiller à ce que la législation européenne soit appliquée et respectée, en coopérant à cet effet avec les États membres, afin qu'elle puisse donner des résultats concrets sur le terrain. Des initiatives visant le contrôle de l'application des règles du marché unique, de la règlementation environnementale et d'accès à la justice devraient ainsi être proposées. La Commission européenne souhaite également poursuivre sa réflexion sur une meilleure réglementation, par l'intermédiaire notamment du programme REFIT. Elle devrait ainsi proposer, dans le domaine de l'environnement, des mesures de simplification.
Elle insiste dans son programme sur deux points : la révision de la procédure de comitologie et l'amélioration de la transparence - j'observe que cela vous fait réagir... L'amélioration de la transparence passe aux yeux de la Commission européenne par la mise en place d'un nouveau registre obligatoire destiné à rendre compte du rôle des représentants d'intérêts dans l'élaboration et l'adoption de la norme. Le Parlement européen et le Conseil sont invités à adopter un accord interinstitutionnel en ce sens. Une telle initiative doit être encouragée. À nos yeux, la transparence passe également par des mesures visant la publicité des trilogues qui réunissent, en vue de l'adoption définitive d'un texte, les représentants du Conseil, de la Commission européenne et du Parlement européen. C'est une faille à combler car les parlements nationaux, complètement absents du trilogue, ne savent pas ce qu'il s'y passe, alors que de nombreuses décisions y sont prises. Nous demandons à savoir ce qu'il se dit. Comme l'a remarqué récemment le Médiateur européen, ils tendent, ces dernières années, à symboliser une forme d'opacité.
La Commission européenne entend également évaluer la légitimité démocratique des procédures actuelles d'adoption des actes délégués et des actes d'exécution. Comme l'a indiqué Jean Bizet, nous avons, à plusieurs reprises, exprimé nos réserves sur les actes délégués qui portent trop souvent sur des éléments essentiels des projets législatifs. Le souhait de la Commission européenne d'aller plus loin va dans le bon sens. Notre commission avait travaillé sur cette question et mon rapport, qui faisait une synthèse sur ce point, a été traduit en anglais et fait autorité à l'échelle européenne. Il est malheureusement toujours d'actualité...
Cependant, si la Commission entend renforcer la légitimité démocratique entourant ces actes, il convient de mieux associer les parlements nationaux. L'opportunité d'un contrôle de ces actes au titre du principe de subsidiarité n'est pas abordée. Les actes délégués ou d'exécution demeurent pourtant des compléments des actes législatifs qui, eux, sont soumis à ce contrôle. Ils deviennent quasiment des actes législatifs, nous devons donc être partie prenante du processus. Il convient de limiter le recours à ce type d'acte, dont la portée doit être précise et réduite. Le législateur doit avoir toute latitude pour revenir sur ces actes.
Vous trouverez l'ensemble de ces observations dans la proposition de résolution européenne qui vous a été transmise. Cette proposition reprend l'ensemble de notre travail de ces dernières années sur les différents sujets. Ce sont les positions de notre commission des affaires européennes.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Un tel compte rendu du travail de notre commission est très satisfaisant. C'est un travail de qualité et très exhaustif, malheureusement pas assez connu. Les instances européennes travaillent, malgré toutes les critiques. Mais il y a un vrai problème de communication sur tout ce que fait l'Europe. Tous nos collègues qui se rendent à Bruxelles - comme les membres de la commission d'enquête sur les frontières européennes, le contrôle des flux des personnes et des marchandises en Europe et l'avenir de l'espace Schengen - constatent que c'est une source d'éclairage et de renouvellement.
La Commission européenne devrait faire davantage d'efforts de communication. Elle a des moyens importants, des locaux magnifiques boulevard Saint-Germain, mais ils font un travail artisanal. On ne peut laisser dépenser autant d'argent. À quoi servent-ils ? Ils doivent franchir un cap. Le travail de communication du Sénat est bien meilleur. Nous avons une chaîne publique, mais qui ne laisse pas assez de place au niveau européen. Pourquoi Public Sénat n'est pas présente aujourd'hui, ni ne s'est rendue à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), ni n'a parlé de nos rapports importants ? Ces différentes instances réalisent un travail important pour la démocratie européenne. Nous devons attirer l'attention sur ce travail de communication des instances européennes et du Sénat. Peut-on rajouter une phrase dans la résolution sur ce sujet ?
M. Jean Bizet, président. - Oui, il existe un déficit de communication et d'image. Nous pourrons insérer une phrase complémentaire. J'ai eu quelques échanges avec les représentants de la Commission à Paris, mais ils nous connaissent mal et réciproquement. Sur la communication, nous avons demandé à Public Sénat de venir plus souvent mais cela se concrétise rarement.
M. Simon Sutour. - Ils ont d'autres préférences...
M. André Reichardt. - Je me félicite du rapport d'information et de la résolution. Ce sont deux occasions de réfléchir précisément à la plus-value de l'Union européenne pour les citoyens européens. Je n'ai rien à rajouter, et remercie les auteurs.
L'action de l'Union européenne l'année
dernière pour suivre nos résolutions et son programme pour 2017
pourront-ils lutter efficacement contre l'euroscepticisme de nos
concitoyens ? Avec ce programme, va-t-on rapprocher nos concitoyens de
l'Europe, massivement rejetée à travers des discours populistes
mais aussi empreints de bon sens
- comme lorsque l'Union
européenne se préoccupe de la taille des petits poissons...
À chaque élection au Parlement européen, nos concitoyens s'interrogent sur les apports de l'Union européenne à leur quotidien. Pouvons-nous, au sein de notre commission, réfléchir à cette thématique ? L'Union européenne fait-elle oeuvre utile, avance-t-elle ? Ne doit-on pas arrêter certaines décisions qui ne vont pas dans le bon sens ? Interrogeons-nous sur la pertinence des dispositifs pour la bonne compréhension des opinions publiques française et européenne. Je me pose cette question au moins une fois par an. N'attendons pas les élections au Parlement européen pour évoquer ce sujet... Et même à Strasbourg, les habitants se réjouissent de l'activité économique que le Parlement apporte, mais pour le reste... Comment prendre en compte toute l'année, mieux qu'actuellement, l'euroscepticisme ambiant ? C'est le moment d'y réfléchir.
M. Philippe Bonnecarrère. - Combien d'actes délégués et d'exécution sont signés chaque année ? Vous insistez sur le mécanisme propre aux actes délégués avec une modalité de contrôle peu simple - nous sommes habitués à l'habilitation des ordonnances - d'un délai d'autosaisine du Parlement européen de deux mois pour contester un acte délégué. Ce procédé est-il régulièrement utilisé ou non ?
Mme Fabienne Keller. - Merci de ce beau travail de balayage et de mise en perspective des différents thèmes traités par la Commission européenne, et qui concernent directement nos concitoyens : les migrations, l'économie, la création d'emplois, ainsi que...
M. Yves Pozzo di Borgo. - L'apprentissage !
Mme Fabienne Keller. - ... la stabilité financière, le fonctionnement interne... Dans la partie sur une Europe plus démocratique et plus transparente, pouvez-vous rajouter le lien entre les Parlements nationaux et entre les Parlements européen et nationaux ? Lors d'une conférence entre parlementaires, j'ai pu constater que le résultat n'était pas à la hauteur de la qualité des gens rassemblés. Repartons à l'initiative pour que ces rencontres soient plus déterminantes, notamment sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCI). Le Conseil et le Parlement européen résistent encore, mais les parlements nationaux sont plus volontaires - hormis dans les pays ayant des circonstances fiscales particulières... La commission des finances a-t-elle prévu de travailler sur la base fiscale commune et l'optimisation fiscale ?
Le paquet énergie mériterait qu'on s'y intéresse, notamment sur l'organisation du marché des crédits carbone. Le marché carbone s'effondre, alors que c'est un sujet efficace, notamment pour l'inclusion carbone aux frontières... Mettons le plus en avant.
Les actes délégués sont un sujet très intéressant. Ils mettent plus largement en lumière le manque de transparence de l'action européenne. Ainsi, le TGV marocain aurait dû être financé par une aide Nord-Sud française, le Fonds d'intervention pour la Méditerranée et un crédit de la Banque européenne d'investissement (BEI). Le crédit de la BEI n'a pas été approuvé. Or la commission du Fonds d'intervention pour la Méditerranée, qui prend une décision pour le Conseil, a fixé comme critère à sa participation qu'il y ait un financement par deux associations agréées - dans ce cas, l'Agence française de développement et la BEI. Comme le crédit de la BEI n'a pas été accordé, le crédit du Fonds d'intervention ne l'a pas été non plus... S'il avait été examiné par le Conseil, ce projet structurant aurait pu être adopté ... Analysons cette question complexe à laquelle l'administration s'intéresse peu.
Mme Gisèle Jourda. - Je regrette que les régions ultrapériphériques ne soient pas mentionnées. Il est difficile, dans les accords de libre-échange, d'activer les mécanismes de stabilisation et de protection. Nous avions adopté une résolution en ce sens, qui avait porté ses fruits pour le secteur du sucre. J'espère qu'il en sera de même pour la banane. Activons les mécanismes quand les seuils d'importation sont dépassés. J'aurais souhaité un alinéa sur ce thème important, sachant que ces mécanismes devraient disparaître le 31 décembre 2019. Sinon, ce rapport est quasiment parfait.
M. Pascal Allizard. - Merci pour ces présentations qui nous donnent une vision très claire du suivi des résolutions et donc de notre travail et de celui de la Commission européenne, nous permettant de jalonner nos travaux. Nous sommes impressionnés par le nombre et la qualité des sujets traités à l'échelle européenne et que nous pouvons suivre dans notre commission.
Je suis choqué - et je ne suis pas le seul - par la pratique des trilogues. Suivons au plus près cet outil dont la légalité est très contestable.
La communication n'est pas l'unique problème : la machine européenne fonctionne correctement, mais il y a un problème de légitimité et de reconnaissance de son utilité auprès de la population. Travaillons sur ce sujet : il ne faudrait pas que ces documents quasi parfaits soient considérés comme la partition de l'orchestre du Titanic.
M. Daniel Raoul. - Il y a pléthore de Titanic en ce moment...
M. Richard Yung. - Les actes délégués sont très nombreux. Mais reconnaissons que nous aurions beaucoup de mal à faire certaines choses notamment sur la solvabilité, les assurances... Par ailleurs, nous ne faisons pas notre travail de contrôle de la BCE. Nous sommes totalement aveugles.
M. Yves Pozzo di Borgo. - C'est un sujet sur lequel je travaille...
M. Richard Yung. - Certes, c'est le Parlement européen qui contrôle la BCE : une fois par an, Mario Draghi se déplace. La BCE est aussi indépendante : c'est le gouverneur de la Banque de France qui représente la France. Mais notre Parlement n'a pas d'informations sur la politique monétaire européenne. Il en a sur la politique budgétaire grâce à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union européenne. Je comprends bien que M. Draghi ne peut se déplacer dans quarante instances nationales, mais les dirigeants de la BCE pourraient venir dans certaines instances...
M. Yves Pozzo di Borgo. - Ils pourraient venir aussi à la COSAC.
M. Richard Yung. - La BCE est à la fois un organisme de supervision et de contrôle. Nous devrions pouvoir débattre durant deux heures avec un représentant de la BCE, éventuellement dans une réunion commune avec l'Assemblée nationale pour gagner du temps.
M. Jean Bizet, président. - Merci de vos réactions constructives. Nous sommes dans une ambiance générale populiste très désagréable. Or plus on veut être souverain, plus on doit être européen. Envoyons ce message ! Cela demandera du temps. Le travail d'élagage des textes à la demande du président Juncker va dans le bon sens. Près de 75 % des résolutions de notre commission ont trouvé un écho à Bruxelles. Le résultat du travail du groupe de suivi de la refondation de l'Union européenne conduit par M. Raffarin et moi-même corrigera le tir.
Au point numéro 7, après « approuve le programme », nous ajouterions « et l'invite à mieux communiquer au plus près des États membres autour de ses travaux. »
M. Yves Pozzo di Borgo. - Il faudrait aussi communiquer en direction de nos collègues. Dans mon groupe, ceux qui sont impliqués dans la commission d'enquête sur Schengen en sont ravis. Mais notre travail n'est pas suffisamment perçu.
M. Simon Sutour. - C'est la même chose au groupe socialiste.
Mme Colette Mélot. - Et dans tous les groupes.
M. Jean Bizet, président. - Par le passé, notre commission avait invité M. Michel Dantin à venir pour faire du travail co-législatif, dans la lignée des réunions initiées par notre ancien président Hubert Haenel avec des eurodéputés. Mais ces derniers ont du mal à venir ; ils évoquent des problèmes d'agenda...
M. Simon Sutour. - Ils viennent s'ils sont obligés, quand on émet un carton jaune par exemple.
M. Jean Bizet, président. - Je souhaiterais qu'on expérimente quelque chose : faire venir le rapporteur européen d'un texte que nous étudions.
Mme Fabienne Keller. - Sur les travailleurs détachés, par exemple.
M. Jean Bizet, président. - Concernant le marché du carbone, il est clair que tant que le prix de la tonne n'est pas à 30 euros, il n'y aura pas de signal prix, pas de basculement. Fabienne Keller a raison, nous pourrions ajouter quelque chose au point 11. Au point 21, Gisèle Jourda serait-elle satisfaite par l'ajout indiquant que le Sénat « demande le prolongement des mécanismes de stabilisation afin d'assurer aux producteurs ultramarins une visibilité et une protection pérenne. »
Mme Gisèle Jourda. - C'est parfait.
M. Jean Bizet, président. - M. Yung, nous pourrions inviter M. Mario Draghi, qui était venu voir le président Bel. Un Français, Benoit Coeuré, tout à fait remarquable, pourrait venir à sa place, M. Draghi n'étant pas très disponible. Ajoutons donc la demande d'« une visite annuelle du président de la BCE ou de son représentant devant les parlements nationaux. »
M. Simon Sutour. - Avant de parler des actes délégués et d'exécution, rappelons quel est l'exercice : il s'agit du programme de la commission pour 2017. Madame Keller, je partage le point de vue de Richard Yung : la mise en oeuvre de l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), avec ses deux réunions annuelles, l'une dans le pays qui préside l'Union et l'autre à Bruxelles, n'est pas parfaite. Mais, ayant vécu la négociation du TSCG, je peux vous dire que c'est déjà bien, car le Parlement européen n'en voulait pas ! Nous le leur avons imposé ; maintenant, il faut le faire vivre. Nous ressentons la même frustration aux Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), qui ne sont pas suffisamment décisionnaires.
Les actes délégués et les actes d'exécution sont souvent d'un niveau très technique. 150 actes d'exécution et 129 actes délégués ont été adoptés en 2015. Nous ne contestons pas leur légitimité dans ce cas. Ce que nous contestons, c'est que la Commission européenne complète la directive, voire la contredise !
M. Daniel Raoul. - Exactement !
M. Simon Sutour. - Pour reprendre les concepts chers à la Constitution américaine, il faut les checks, mais aussi les balances. Dans son programme pour 2017, la Commission entend évaluer la légitimité démocratique de la procédure actuelle d'adoption des actes délégués et des actes d'exécution. Tant mieux : ceux-là mêmes qui sont à l'origine des dérives l'ont mis à l'ordre du jour ! Un accord interinstitutionnel entre Parlement européen, Conseil et Commission a été trouvé en avril 2016. Il est positif : « Conformément à cette convention d'entente et en vue de renforcer la transparence et la consultation, la Commission s'engage à rassembler, avant l'adoption d'actes délégués, toutes les connaissances nécessaires, notamment en consultant des experts des États membres et en menant des consultations publiques. » Mais il a un gros défaut contre lequel nous nous insurgeons : il ne prévoit rien pour associer les parlements nationaux.
M. Jean Bizet, président. - Je reviens à la modification du point 11 de la résolution ; nous ajouterions : « souhaite la fixation d'un prix du carbone adapté aux objectifs de l'Union et aux contraintes économiques des États membres. »
M. Pascal Allizard. - Je ne comprends pas bien qui fixe le prix du carbone. Je crains que nous ne soyons en train de monter un modèle économique sur la base d'un prix qui n'est pas solvable. D'où vient ce prix à la tonne qui s'effondre ? Quelles sont les décisions à prendre pour que le prix du carbone atteigne le niveau souhaité ?
Mme Fabienne Keller. - Les certificats d'émission de carbone de l'emissions trading system (ETS) ont été créés il y a une dizaine d'années et concerne les grosses industries...
M. Pascal Allizard. - J'en ai vendus et achetés...
Mme Fabienne Keller. - Il était prévu de les fournir gratuitement jusqu'en 2012, puis de les rendre payants. Le marché ayant été défini avant la crise, le volume est beaucoup trop élevé par rapport à la réalité. Un autre problème réside dans le fait que les certificats d'une entreprise dont l'activité diminue ne baissent pas. Certaines grandes raffineries deviennent ainsi rentables uniquement grâce à la vente de leurs certificats superflus.
Le prix oscille aujourd'hui entre 5 et 6 euros. Nous proposons qu'une directive soit prise pour retirer des certificats et pour réguler le marché afin de l'orienter à la hausse, car les tentatives au niveau national ont échoué. On pourrait aussi imaginer un dispositif aux frontières, même si cela n'apparaît pas explicitement dans la proposition de la Commission.
M. Pascal Allizard. - Vous pensez créer des dispositifs de défaisance et de contingence ?
Mme Fabienne Keller. - Il s'agit d'un marché totalement artificiel.
M. Jean Bizet, président. - Je ne sais pas si ce marché existera un jour. Mais la peur du gendarme pourrait pousser à la vertu. Le mieux serait bien sûr que le marché soit inutile, faute d'émissions de carbone...
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne, dans la rédaction suivante :
Questions diverses
M. Jean Bizet, président. - Lors de notre dernière réunion, nous avions chargé Eric Bocquet d'examiner le texte relatif à la coordination des régimes de sécurité sociale au regard du principe de subsidiarité.
Notre collègue m'a fait savoir que malheureusement ses contraintes d'agenda ne lui permettaient pas de rapporter dans des délais compatibles avec les délais très courts - 8 semaines - imposés par le Protocole. Alain Vasselle pourrait-il se charger de nous présenter, la semaine prochaine, après avoir pris l'attache d'Éric Bocquet qui a beaucoup travaillé sur cette question, une communication qui nous permettra de conclure, le cas échéant, à l'adoption d'un avis motivé ?
M. Alain Vasselle. - Soit !
M. Jean Bizet, président. - Simon Sutour est impatient de présenter l'accord avec le Mercosur. Connaissant l'état d'une opinion publique mal informée sur les accords de libre-échange, il pourrait être intéressant de présenter des traités de ce type déjà signés, notamment celui avec la Corée, qui a créé 10 milliards de bénéfices pour les pays de l'Union européenne, alors qu'il avait été très critiqué avant sa signature.
La réunion est close à 10 heures.