Jeudi 30 juin 2016

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Institutions européennes - Référendum du 23 juin 2016 sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne

M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour est un peu bousculé par le vote intervenu le 23 juin au Royaume-Uni en faveur d'une sortie de l'Union européenne. Le Sénat en a débattu mardi dernier suite à une déclaration du Gouvernement.

Notre commission sera pleinement mobilisée dans ce contexte périlleux pour l'Union européenne. Notre collègue Fabienne Keller nous rendra compte, le 7 juillet, du déplacement qu'elle a effectué au Royaume-Uni lors du vote. Nous auditionnerons le 5 juillet, à 19 heures, le secrétaire d'État aux affaires européennes Harlem Désir sur les résultats du Conseil européen, qui s'annonce délicat. Nous recevrons également, le 6 juillet, l'ambassadeur de Slovaquie, pays qui prend la présidence de l'Union au second semestre, et le 7 juillet, M. Pierre Sellal, notre représentant permanent à Bruxelles, qui nous dressera un état des lieux après la décision britannique.

M. Daniel Raoul. - Je me demande si nous en recevrons un jour la notification : à mon avis, elle n'aura jamais lieu.

M. Jean Bizet, président. - Nous sommes nombreux à partager votre incertitude. L'article 50, d'ailleurs, a été rédigé - sans doute par M. Lamassoure - dans l'idée qu'il ne serait jamais utilisé. Il est très souple. Et il y a aussi l'article 49 ! Un groupe de suivi va être mis en place.

M. Daniel Raoul. - L'inertie est la principale force de l'univers...

M. Jean Bizet, président. - J'ai réussi à joindre hier au téléphone Lord Boswell of Aynho, qui était ému. Je l'ai invité à venir nous voir, ce qu'il a accepté.

À l'initiative du Président Larcher et de votre serviteur, une rencontre interparlementaire se tiendra à la rentrée, pour réfléchir aux manières de relancer le projet européen. Elle aura lieu sans doute peu avant, ou peu après, le prochain Conseil européen, qui se tiendra le 16 septembre. J'insiste, comme je l'ai fait mardi, sur le rôle crucial du couple franco-allemand. Pour qu'il joue tout son rôle d'impulsion pour l'ensemble de l'Union européenne, il doit être relancé à partir de projets concrets et bénéfiques pour nos deux pays. Notre commission a déjà engagé un travail de fond sur les compétences, la normalisation et la simplification, qu'elle amplifiera pour présenter au Sénat des propositions concrètes au cours du dernier trimestre. Je réunirai le Bureau de la commission à cette fin le 7 juillet à 8 heures.

Nous envisageons de créer un groupe de suivi sur le Brexit, à la suite d'une demande formulée par le président Larcher à M. Raffarin et moi-même. Son objet sera de faire prendre au Sénat toute sa part dans le suivi du processus de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne et dans la nécessaire refondation de l'Union. Il devra associer à ses travaux l'ensemble des groupes et comporter une moitié de membres issus de notre commission, et une moitié issue de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

M. Simon Sutour. - Je salue ces initiatives positives. Mais quel sera, au juste, le rôle de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ? Nous avons modifié le Règlement du Sénat pour développer le présentéisme à un niveau caricatural. Et le statut de notre commission reste celui d'une sous-commission ! Lorsque nous adoptons une proposition de résolution européenne (PPRE), elle doit être examinée au fond par une autre commission. Sur une question économique ou sociale, pourquoi pas ? Mais saisir au fond la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur des questions européennes, cela pose problème. Même remarque pour le Gouvernement : le ministre des affaires européennes doit être rattaché au Premier ministre, car il ne traite pas d'affaires étrangères.

J'ai mal vécu le débat sur la PPRE relative aux sanctions envers la Russie. Heureusement que nous avons quelques amis au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Hier, les débats qui s'y sont tenus ont été peu sympathiques à notre endroit. Il a même été question de créer une commission spéciale. Pourquoi une commission des affaires européennes, alors ? La solution trouvée, avec une moitié de membres de notre commission et une autre de la leur, devrait fonctionner. Mais le problème mérite d'être posé au fond. En somme, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sera compétente sur le Royaume-Uni lorsque celui-ci aura quitté l'Union européenne ! Pour l'heure, ce n'est pas fait.

M. Jean Bizet, président. - Nous devons chercher mutuellement à avoir de bonnes relations. Il reste parfois quelques calages à faire...

Institutions européennes - Déplacement en Pologne : rapport d'information de MM. Jean Bizet, Pascal Allizard et François Marc

M. Jean Bizet, président. - Une délégation de notre commission s'est rendue à Varsovie les 16 et 17 juin derniers, répondant à l'invitation du Sénat polonais qui nous a réservé un accueil très chaleureux. Elle était composée de nos collègues Pascal Allizard et François Marc, ainsi que de moi-même. Ces deux journées ont été très riches : outre notre ambassadeur, nous avons rencontré le président du Sénat polonais, le secrétaire d'État aux affaires européennes et une quinzaine de sénateurs de la majorité et de l'opposition, en particulier à l'occasion des quatre sessions de travail conjointes organisées avec la commission des affaires étrangères et européennes du Sénat polonais. Nous avons aussi apprécié d'échanger avec le président de la commission des droits de l'Homme du Sénat.

Notre mission avait deux objectifs : mieux comprendre où en est la Pologne, pays au sujet duquel des questions se posent depuis quelques mois, et qui a fait l'objet d'un avis de la Commission européenne sur l'État de droit le 1er juin dernier ; engager le dialogue sur plusieurs dossiers européens avec ce partenaire qui pèse de plus en plus à Bruxelles et à Strasbourg.

Les élections présidentielles, législatives et sénatoriales de 2015 ont provoqué le retour au pouvoir du parti « Droit et Justice » (PIS) des jumeaux Kaczynski dont Jaroslaw, officiellement simple député, est encore aujourd'hui le dirigeant incontesté. Cette alternance a constitué un choc après huit années de gouvernement de la Plateforme civique, parti classique de centre droit pro-européen, et parti de Donald Tusk, l'actuel président du Conseil européen. Après quelques mois, la nouvelle majorité, élue sur un programme très conservateur et même patriotique, inquiète, à Bruxelles comme dans les chancelleries. Quels enseignements tirons-nous de nos rencontres ?

D'abord, l'ancrage européen de la Pologne est extrêmement profond. Depuis la chute du Mur de Berlin, cette appartenance participe de l'identité même du pays. Environ 80 % des Polonais sont attachés à l'Europe : c'est le meilleur pourcentage de l'Union ! Les responsables que nous avons rencontrés ne nous ont d'ailleurs pas caché leur grande inquiétude face à un Brexit qui pourrait entraîner un démembrement de l'Union.

Toutefois, les nouvelles autorités polonaises ont une vision de l'Europe très différente de la nôtre, au moins sur un point essentiel. Elles considèrent que l'intégration politique est allée trop loin, qu'il faudrait, disent-elles, « faire un demi-pas en arrière ». Invoquant en permanence le respect de la souveraineté nationale, elles souhaitent en fait que rien ne puisse être imposé à un État. Quand on connaît l'Histoire de la Pologne et qu'on sait comment son indépendance, tardive, lui a été rapidement confisquée par le Troisième Reich puis par l'URSS, on peut comprendre l'importance pour ce pays de l'idée de souveraineté nationale.

Nous leur avons bien sûr fait valoir que le partage de la souveraineté était nécessaire sur certains sujets, comme celui des gardes-frontières et des garde-côtes européens. Si tous les États refusaient de se plier à des disciplines qui peuvent leur peser ou leur coûter individuellement, l'Europe n'irait pas bien loin ! C'est un discours que les Polonais, premiers bénéficiaires des fonds européens doivent pouvoir entendre. En tous cas, c'est celui que nous leur avons tenu amicalement.

L'État de droit est la première question que nous avons abordée avec chacun de nos interlocuteurs. C'était une première façon d'envoyer un message. L'affaire du Tribunal constitutionnel a été la plus évoquée, notamment avec le président du Sénat. C'est la pierre angulaire : sans Tribunal constitutionnel en état de fonctionner, la future loi sur les médias tant redoutée ne fera l'objet d'aucun contrôle en termes de respect des droits fondamentaux. Cette affaire du Tribunal est avant tout politique. D'un côté, le PIS se rappelle de ses années au pouvoir entre 2005 et 2007 et veut un Tribunal qui lui permette de mener sa politique. De l'autre, la précédente majorité a nommé des juges par anticipation en 2015 au moment où elle voyait qu'elle allait perdre les élections. Le président du Sénat a évoqué une solution qui pourrait apaiser la crise. Affaire à suivre...

Nous avons organisé au Sénat polonais quatre sessions de travail thématiques : sur les migrants, le Partenariat oriental, l'Union de l'énergie et le numérique. Sur le défi migratoire, la Pologne ne remet pas en cause officiellement les décisions de septembre dernier, mais c'est tout comme. Le principe des relocalisations est très mal accepté. On nous a expliqué que la Pologne avait déjà fait un effort en accueillant des Ukrainiens, dont le nombre estimé est passé au fil de nos entretiens de deux millions à un million, puis à 800 000... En fait, ces migrations ne sont pas nouvelles, et elles apportent au pays une main d'oeuvre bon marché. Sur le partenariat oriental, évidemment, la priorité - et même l'obsession - russe se fait sentir, comme sur quasiment tous les sujets. C'est compréhensible si l'on pense au passé. Mais, avec l'aide du groupe de Visegrád, les Polonais ont le sentiment d'être les grands frères des pays baltes. Ce sont d'ailleurs eux, avec la Suède, qui ont tenu la plume au moment du Partenariat oriental.

En matière d'énergie, il n'y a peut-être pas d'aversion de principe de la Pologne contre le projet North Stream 2. Ce serait d'abord une question de conditions économiques, à négocier surtout avec l'Allemagne, car si le gazoduc ne passe plus sur leur territoire, il n'y aura plus de royalties ! Même s'il n'y a encore rien de concret, le choix du nucléaire semble acté et le partenaire perçu comme naturel est la France. Quels que soient les déboires d'Areva, ils ne veulent pas entendre parler de Rosatom ! Mais pour l'heure, il y a un gros problème financier. Quant au numérique, il s'agit d'un secteur nouveau pour la Pologne mais, le pays s'engage activement dans un rattrapage, pour l'heure concentré sur les infrastructures.

Le thème des travailleurs détachés s'est aussi invité à nos discussions du fait d'une actualité riche : carton jaune des pays de l'Est et mise en cause d'un décret français sur les transporteurs routiers. Nos interlocuteurs estiment que les bas salaires sont un élément de libre concurrence comme un autre mais ils nous écoutent lorsqu'ils découvrent que chez nous, le salaire du pays d'accueil ne règle pas tout car les cotisations sociales sont quasiment aussi importantes et que l'Europe ne les harmonise pas. Ils sont très déterminés à jouer la carte de leur avantage concurrentiel.

Au final, le grand intérêt de ces discussions est d'avoir été toujours directes, franches et amicales. Nous étions invités, et avons été très bien reçus. Nos interlocuteurs avaient-ils anticipé le Brexit ? En tous cas, ils veulent un dialogue avec un autre pays que l'Allemagne, et être considérés comme un grand pays. Le dialogue avec la Pologne est incontournable sur l'avenir de l'Europe, d'autant qu'au-delà de son poids propre, le pays fait figure de référence et pour partie, de chef de file pour l'Europe centrale et orientale. Dans l'Union européenne à l'heure du Brexit, elle est susceptible de jouer véritablement le rôle d'un Grand. Il faut faire en sorte que ce soit dans un sens constructif.

Les Polonais sont déterminés à poursuivre le dialogue. Nous leur rendrons leur invitation. Ils ont conscience que leur poids économique se développe, et le dialogue avec l'Allemagne ne leur suffit pas. Habilement, ils se positionnent comme porte-parole de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Hongrie, ainsi que des pays baltes.

M. François Marc. - La Pologne aime fortement l'Europe, en effet. Le dernier numéro de France Stratégie indique en effet que ce sont les Polonais qui font les réponses les plus favorables aux trois questions : l'Union européenne comprend-elle les besoins de ses citoyens ? Est-elle inefficace ? Favorise-t-elle la prospérité ? Ils sont par exemple 30 % seulement à juger l'Union inefficace, contre 50 % des Français, et jusqu'à 60 % dans d'autres pays. Cette image idyllique a toutefois été altérée par la politique patriotique, voire nationaliste du Gouvernement actuel.

La Pologne est prête à accueillir des migrants si elle peut les choisir. Elle n'est pas disposée à recevoir ceux qui auront été répartis en fonction de quotas européens. Il est vrai qu'elle a déjà sur son sol 800 000 Ukrainiens, mais ils fournissent une force de travail bien utile dans un pays où le taux de fécondité est de 1,3.

La Pologne, enfin, est ouverte au nucléaire et prête à collaborer avec la France. Elle souhaite aussi développer les énergies renouvelables. Mais elle reste très attachée au charbon et à la lignite, dont l'extraction et la transformation génèrent beaucoup d'emplois. Sur ce point, nous avons senti nos interlocuteurs sur la défensive.

Pour le reste, je m'associe entièrement aux propos du président Bizet.

M. Pascal Allizard. - Moi aussi. J'ajoute tout de même que certaines images véhiculées sur la Pologne m'ont paru en décalage avec les impressions que j'ai recueillies par la suite. La Pologne est un grand pays et, après tout, la majorité au pouvoir y a été portée de manière démocratique ! Nous devons entretenir avec les Polonais un dialogue nourri. Ils ne sont pas europhobes mais cherchent une meilleure application de la subsidiarité, ce qui n'a rien d'incongru : cette question se pose aussi chez nous et n'est pas sans lien avec le Brexit. Au Parlement européen, la Pologne a une cinquantaine de députés, qui ne sont pas europhobes, c'est-à-dire un nombre équivalent au nôtre si l'on en soustrait nos 25 députés europhobes. Elle se positionne comme le grand frère de tous les pays orphelins de l'URSS, ce qui renforce sa capacité d'action. Bref, elle devient un grand pays européen.

M. Jean-Yves Leconte. - Il est essentiel, pour un dialogue utile avec les pays d'Europe centrale, de bien distinguer migration et droit d'asile. Les Ukrainiens présents en Pologne ne sont pas des demandeurs d'asile mais des travailleurs. Quels que soient les qualités politiques ou les talents en communication d'un parti, l'usure du pouvoir conduit fatalement à l'alternance, dont profite l'autre parti. C'est valable pour tous les pays !

M. Jean Bizet, président. - En effet.

M. Jean-Yves Leconte. - Nous savions donc que cela arriverait. Puis, la corruption de la Plateforme avait atteint un niveau qui méritait d'être dénoncé. Enfin, la politique familiale faisait défaut, et le PIS la met en place : à partir du troisième enfant, une famille touchera 120 euros par mois et par enfant. Voilà qui assurera une popularité durable à ce Gouvernement !

Pour autant, il y a de très profondes atteintes à l'État de droit, avec une violation complète de la séparation des pouvoirs. C'est comme si, chez nous, une loi fixait les méthodes de travail du Conseil constitutionnel, et que le Président s'octroyait un droit de véto sur ses décisions ! Le procureur général polonais, qui n'est autre que le ministre de la Justice, peut décider à lui seul de mesures de privation de liberté ou d'intrusion dans le domaine privé, ce qui est sans commune mesure avec les lois que nous avons votées depuis deux ans... Il peut même utiliser des moyens de provocation pour piéger des suspects par des propositions malhonnêtes. Le responsable des services secrets, qui avait été condamné il y a une dizaine d'années, a été gracié par le Président qui l'a réinstallé dans ses fonctions. Tous les quinze jours, les personnes qui ont combattu pour la liberté en 1989 descendent dans la rue, dans toutes les grandes villes de Pologne. Il y a un vrai problème. Qu'un parti élu démocratiquement considère que le droit l'empêche de mener sa politique est dangereux. Nous ne pouvons pas absoudre la Pologne aussi rapidement. Il faut y accompagner les démocrates.

M. Simon Sutour. - Ce déplacement était très positif. L'invitation polonaise correspondait à la décision de notre Bureau de nous concentrer, en 2016, sur deux pays de taille intermédiaire de l'Union, la Pologne et l'Espagne. Même lorsqu'on a des divergences profondes, il faut dialoguer. On voit bien que la Pologne pèse de plus en plus en Europe, notamment grâce à la galaxie de pays qu'elle entraîne derrière elle. Il est vrai que la sortie du Royaume-Uni lui ôte un allié de poids. Par exemple, la Pologne a été chef de file pour opposer un carton jaune à la position de la Commission sur les travailleurs détachés. Je suis très favorable au système du carton jaune, même quand il est utilisé contre nos positions !

C'est une bonne idée d'inviter en retour nos homologues polonais. J'espère que nous pourrons effectuer un déplacement similaire en Espagne, si possible à l'automne, du moins si un Gouvernement est constitué. Les contacts pris récemment à La Haye montrent une volonté renouvelée de dialogue, surtout depuis le Brexit : l'Espagne a immédiatement déclaré qu'il ne fallait pas discuter avec l'Écosse, afin d'éviter un précédent pour la Catalogne. Merci pour ce compte rendu d'un déplacement auquel j'aurais bien aimé pouvoir participer !

M. Éric Bocquet. - La Pologne est l'un des principaux pays d'envoi de travailleurs détachés en Europe. On voit bien l'écart entre les positions au sein de l'Union. La seule solution est l'harmonisation interne. Le cas des Ukrainiens en Pologne montre bien que c'est une logique sans fin : on est toujours plus cher que quelqu'un d'autre. La présence de travailleurs détachés en Angleterre et la xénophobie qui en résulte est d'ailleurs l'une des raisons du Brexit. J'espère que l'Europe a un autre projet, humaniste et de progrès social, que la mise en concurrence indéfinie des travailleurs entre eux. Sinon, nous allons au devant des pires difficultés.

M. Pascal Allizard. - Nous avons été reçus par des personnalités de la majorité mais des membres de l'opposition ont participé à chaque réunion, et ils s'y sont exprimés avec une entière liberté - notamment sur la question du Tribunal constitutionnel. Nous avons d'ailleurs constaté chez les deux parties une réelle volonté de trouver une solution sur ce problème en rendant à cette institution son rôle au lieu de l'utiliser pour entraver la politique de ses adversaires.

M. Jean Bizet, président. - De fait, le président de la commission des affaires étrangères et européennes - elles ne font qu'une là-bas - du Sénat polonais, M. Marek Roci, était membre de l'ancienne majorité.

La distinction entre migrants et demandeurs d'asile est faite au sujet des Ukrainiens, mais ce sujet a été abordé avec un certain flou, notamment sur les chiffres.

M. Jean-Yves Leconte. - L'arrivée de ces travailleurs est bien antérieure à la crise des migrants : ils sont venus remplacer les Polonais partis en Angleterre.

M. Pascal Allizard. - Exact.

M. Jean Bizet, président. - Nous n'avons pas entendu le mot « corruption », mais nous avons senti que la majorité précédente avait peut-être suscité quelques crispations. Quant à la politique familiale, avec un taux de fécondité de 1,3, elle ne peut qu'être populaire ! Reconnaissons l'apport important de l'Union européenne par ses fonds structurels ou ceux de la PAC, ce qui explique peut-être une part de l'engouement pour l'Europe. Sur l'État de droit, la page 19 du rapport est claire : elle pointe les vulnérabilités du système actuel. Des améliorations sont possibles.

M. Jean-Yves Leconte. - C'est comme si nous décidions par une loi des méthodes de travail du Conseil constitutionnel...

M. Jean Bizet, président. - Il est souhaitable que l'indépendance des juges, comme celle du Tribunal constitutionnel, soit garantie. Pour le président du Sénat polonais, toutefois, ce sujet vient en dixième ou douzième position parmi les préoccupations de ses concitoyens.

M. Jean-Yves Leconte. - C'est la politique familiale qui compte.

M. Jean Bizet, président. - Oui, les Polonais sont très europhiles. L'importance des lignes budgétaires européennes qui leur ont été consacrées n'y est peut-être pas pour rien. Lors du dernier déjeuner, j'ai testé auprès d'un parlementaire spécialiste des questions agricoles l'idée de glisser du premier vers le deuxième pilier, c'est-à-dire de faire moins de fonctionnement et plus d'investissement - ce qui est nécessaire à la pérennité de la PAC. Nous n'avons pas senti d'aversion fondamentale, pourvu que leur ligne budgétaire ne diminue pas. Quant aux problématiques climatiques, leur analyse est que point trop n'en faut !

En effet, nous avons senti un décalage entre certaines analyses sur la Pologne et nos impressions. Nous devons avoir de bonnes relations avec ce pays qui compte autant que nous au Parlement européen, puisque nos 25 députés europhobes n'y font rien d'autre qu'émarger.

Oui, il est bon de rappeler l'existence du carton jaune, y compris ici même : 50 % de nos résolutions européennes ont un écho à Bruxelles. Il est bon que la Commission européenne n'ait plus le monopole du droit d'initiative. Pour faire aimer l'Europe, montrons qu'elle passe par les parlements nationaux.

Les Espagnols parviendront-ils à former un Gouvernement ? Je suis partisan d'un noyau dur pour relancer l'Union, qui ne doit pas se limiter par principe aux pays fondateurs. Quand nous étions à quinze, l'écart de salaires en Europe était de un à trois. Aujourd'hui, à vingt-huit, il va de un à dix. Les Polonais entendent bien profiter pleinement de leur attractivité.

M. Jean-Yves Leconte. - Il peut y avoir des différences d'analyse, mais il faut parler avec le PIS, qui a un vrai soutien, en dénonçant les dérives actuelles.

M. Jean Bizet, président. - Avec un tel taux de fécondité, il fallait réagir. Nous enverrons une invitation officielle, la Pologne est un partenaire qui compte. L'énergie devrait être l'un des leviers pour relancer l'Union européenne. Si, avec le North Stream 2, l'Allemagne devient le hub gazier européen, elle devra s'assurer qu'un équilibre est trouvé avec la Pologne.

À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

Économie, finances et fiscalité - Union bancaire : rapport d'information et avis politique de M. Richard Yung

M. Jean Bizet, président. - Nous écoutons à présent la communication de Richard Yung sur l'Union bancaire. Celui-ci suit attentivement, depuis l'origine, l'évolution de ce dossier essentiel pour assurer une bonne supervision des banques, établir un mécanisme de résolution efficace, qui préserve le contribuable des conséquences des défaillances bancaires, et garantir la sécurité des dépôts.

M. Richard Yung. - Je reviens d'un mot sur notre débat précédent. C'est au Liechtenstein que j'ai compris qu'on était toujours l'immigré d'un autre, en entendant les autorités de ce pays se plaindre... des travailleurs suisses !

M. Éric Bocquet. - C'est sans fin !

M. Richard Yung. - L'Union bancaire est un sujet complexe. Nous avions préparé le rapport avant le Brexit. Certes, le Royaume-Uni n'était ni dans l'euro, ni dans l'Union bancaire, mais le Président de la République a déclaré hier que les opérations des chambres de compensation ne pourraient plus se faire au Royaume-Uni...

L'Union bancaire organise la supervision et la résolution des banques ainsi que la garantie des dépôts. L'autorité de supervision, adossée à la BCE, fonctionne bien, depuis deux ans environ. Les 129 plus grandes banques - parmi lesquelles figurent quatre grands établissements français - sont supervisées directement par la BCE. En Allemagne, tout le système mutualiste et coopératif est resté sous supervision nationale. La BCE peut toujours se saisir d'un dossier si une banque est en difficulté - comme le sont par exemple les banques italiennes.

M. Daniel Raoul. - Ces banques comptent-elles parmi les 129 ?

M. Richard Yung. - Non. Mais la BCE peut se saisir de la supervision de n'importe quelle banque, pour limiter le risque de contagion. Le travail est bien fait, les revues ont été menées à bien. Comme les équipes sont multinationales, le risque de proximité avec les établissements supervisés est faible. On reproche à ce système la lenteur des procédures, mais il doit édicter des normes pour tous, ce qui prend du temps.

La résolution est une innovation. Jusqu'à récemment, en France et en Europe, lorsqu'une banque donnait des signes de difficulté, le ministre des finances se réunissait avec le gouverneur de la Banque de France et le directeur du Trésor, souvent après un appel du président de la banque concernée le vendredi après-midi. Désormais, les choses sont plus claires : une méthode a été édictée, et ce n'est plus au contribuable de payer. Les fonds propres des banques ont été renforcés, et les créances sont désormais hiérarchisées : d'abord les actions, puis les créances junior, puis éventuellement les créances senior sécurisées, et, en dernier ressort, les dépôts au-delà des cent mille euros garantis, pour arriver ensuite au fonds de résolution et, en dernier recours seulement, au contribuable. L'autorité de résolution européenne est présidée par Mme König, qui est allemande. Comment pourra-t-elle réunir son Conseil assez vite pour traiter une crise entre un vendredi et un lundi ? Je l'ignore... Le fonds de résolution européen, auquel chaque pays contribue, devra atteindre 55 milliards d'euros en 2024.

Le niveau des fonds propres est harmonisé en Europe. Le minimum est de 8 %. En France, toutes exigences confondues, nous sommes autour de 20 %, et cela va encore augmenter. Pour les banques systémiques, s'y ajoutera en effet le TLAC (total loss absorbing capacity), fixé par le Conseil de stabilité financière. Il faudra harmoniser ce ratio avec le ratio européen. Autre problème : le renflouement interne n'a pas, comme on le croyait, que des qualités. Chaque pays a sa propre approche, on le voit bien en Italie, où un fonds de soutien aux banques a été créé. Puis, le marché ne comprend pas suffisamment de titres : il en faudrait pour 250 à 500 milliards d'euros. Et les banques s'achètent leurs titres entre elles...

Pour garantir les dépôts à hauteur de cent mille euros, chaque pays doit disposer d'un fonds de garantie. L'idée est de mutualiser ces fonds. Pourquoi ? Je n'y vois guère de valeur ajoutée. De plus, les Allemands refusent de garantir les dépôts des autres pays... Pour l'heure, il s'agit d'autoriser des emprunts entre fonds. Avant toute mutualisation, les Allemands demandent que l'on fasse baisser les risques.

M. Daniel Raoul. - Y compris en Allemagne ?

M. Richard Yung. - Oui. Mais les Länder, qui ont des liens étroits avec les banques, les soutiennent. Il y a des risques en Italie, il y en a eu au Portugal et il peut y en avoir en Espagne. Les Allemands souhaitent, au préalable, faire diminuer le risque souverain.

M. Daniel Raoul. - La mise en place de ces garanties est-elle liée aux négociations de Bâle III ou IV ?

M. Richard Yung. - À Bâle se réunissent les banques centrales, pour édicter des règles générales. L'Europe n'y est pas suffisamment représentée, sauf par ses différents États, dont les positions diffèrent souvent. Cela contraste avec la puissance de la représentation américaine, dirigée par la Fed. Il y a peu, nous avons dû défendre notre système de crédit immobilier contre les Anglo-saxons, qui prétendaient que le leur était meilleur.

M. Daniel Raoul. - Il a fait ses preuves !

M. Richard Yung. - On l'a bien vu en 2008, en effet. Il est dommage qu'il n'y ait pas de représentation forte de l'Europe à Bâle pour faire contrepoids aux États-Unis.

M. Éric Bocquet. - A quoi fait référence l'expression de « cercle vicieux », en page 5 ? Alors que l'Union bancaire doit prévenir une nouvelle crise, la masse monétaire continue de croître au rythme des injections de la BCE. Dans un article daté du 15 juin dernier, M. Peyrelevade déclarait qu'en quinze ans, la masse monétaire créée par les banques centrales est passée de 10 % à 30 % du PIB mondial. Il préconisait de remettre en place un contrôle des mouvements de capitaux, que le traité de Rome avait pourtant libéralisés. C'est le pompier pyromane !

M. Richard Yung. - La BCE injecte des liquidités pour accroître l'inflation et pour inciter les banques à distribuer du crédit.

M. Jean Bizet, président. - Sans grand résultat.

M. Richard Yung. - Sur l'inflation, le résultat est en effet médiocre. Pour ma génération, l'inflation, c'était le mal. Et voilà qu'on cherche à la faire revenir ! En revanche, l'effet sur le crédit est plus sensible, même si un système où les banques déposent leurs liquidités à la BCE contre un taux négatif est étrange.

M. Éric Bocquet. - C'est de la philanthropie !

M. Richard Yung. - Le bilan de la Fed est passé de 1 000 à 4 000 milliards de dollars, mais elle a commencé à agir plus tôt que la BCE, dès 2008, ce qui a eu un effet positif sur l'économie américaine. À vrai dire, la croissance du bilan n'est pas un problème. Le cercle vicieux tient plutôt au fait que les banques détiennent massivement des obligations d'État.

M. Jean-Yves Leconte. - La garantie sur les dépôts est-elle identique pour toutes les banques ?

M. Richard Yung. - Oui. C'est la jurisprudence sur Chypre ! En pratique, les fonds de garantie sont nationaux.

M. Jean Bizet, président. - Merci pour ce rapport. L'horizon est fixé en 2023 : c'est plus long que le PNR ! Les règles prudentielles imposent de stériliser des sommes importantes. Nous en sommes à 20 % environ. Pour la Banque européenne d'investissement, c'est même 28 %... Qu'en est-il aux États-Unis ?

M. Richard Yung. - Le financement de l'économie s'y fait à 70 % par les marchés, alors qu'en Europe cette part est celle des banques. Cela explique pourquoi les Américains sont plus exigeants sur les niveaux de ratios : ils sont moins touchés. À côté de quelques grandes banques, ils ont 4 000 ou 5 000 banques d'activités locales. Les cas de résolution y sont assez fréquents : une centaine par an. Bien sûr, il faut trouver un équilibre entre la nécessité de capitaliser les banques et celle d'investir les capitaux dans l'économie. Les banques se plaignent, mais leurs bénéfices n'inspirent pas précisément la pitié...

M. Jean Bizet, président. - Ce que vous nous avez dit sur Bâle est-il reflété par le point n° 20 de l'avis politique ?

M. Richard Yung. - Oui. Les Américains ont quatorze instances de régulation, sous l'autorité de la Fed qui parle d'une seule voix à Bâle.

M. Jean Bizet, président. - C'est très important. Souvenons-nous de 2008... Examinons aussi sans naïveté l'extraterritorialité des lois américaines. Quant aux chambres de compensation, installées à Londres contre l'avis de la BCE, elles doivent quitter le Royaume-Uni. Elles doivent pouvoir venir s'installer en France.

M. Richard Yung. - Les chambres de compensation sont des organes privés, parfois créés par les banques. Certaines sont sous supervision. Quatre ou cinq sociétés les gèrent. Elles traitent non seulement les actions mais les produits dérivés, qui représentent plusieurs centaines de milliers de milliards d'euros. C'est la Cour de Justice de l'Union européenne qui avait contredit la BCE. Espérons que nous saurons en attirer une partie à Paris.

M. Jean Bizet, président. - Le groupe de suivi devra s'emparer de ce sujet.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Quelles sont les conséquences pour Paris Europlace ? M. Mestrallet en est le président. Il faudrait travailler avec eux.

M. Richard Yung. - Un des problèmes qu'il faudra regarder est le projet d'Union européenne des capitaux qui était mené par Lord Hill, qui a eu l'élégance de démissionner. Que va-t-il se passer ? Je l'ignore.

M. Daniel Raoul. - Je suggère de remplacer « restaurer » par « garantir » au point n° 6 de l'avis politique.

M. Richard Yung. - Je suis d'accord.

M. Éric Bocquet. - Sur ce projet d'avis politique, je m'abstiens.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé la publication du rapport d'information et a adopté - M. Éric Bocquet s'abstenant - l'avis politique qui sera adressé à la Commission européenne.


Avis politique

1. Sur l'achèvement de l'Union bancaire

2. Vu la directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux systèmes de garantie des dépôts,

3. Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 806/2014 afin d'établir un système européen d'assurance des dépôts, COM/2015/0586,

4. Vu la déclaration de l'Eurogroupe et des ministres de l'économie et des finances sur la mise au point d'un dispositif de soutien au Fonds de résolution unique en date du 18 décembre 2013,

5. Vu les conclusions du Conseil sur une feuille de route pour l'achèvement de l'Union bancaire en date du 17 juin 2016,

6. La commission des affaires européennes du Sénat :

7. Réaffirme son soutien à une union bancaire solide visant à garantir la confiance dans le système bancaire, à participer au renforcement de la stabilité et à promouvoir l'intégration des marchés financiers ;

8. Souligne :

9. - qu'il est indispensable d'achever la construction de l'union bancaire pour réduire les risques d'une crise bancaire et en limiter les conséquences sur l'ensemble de l'économie ;

10. - que, face à cette ambition, les premières étapes de l'union bancaire ont déjà nécessité un important transfert de souveraineté au sein de l'union économique et monétaire ;

11. - que pour être efficiente et crédible l'union bancaire doit bénéficier du dispositif de soutien financier commun sur lequel se sont engagés l'Eurogroupe et les ministres de l'économie et des finances de l'Union européenne en 2013 ;

12. - qu'il serait potentiellement préjudiciable à la crédibilité de l'union bancaire que la concrétisation de cet engagement soit indument reportée ;

13. Prend acte des conclusions du Conseil sur une feuille de route pour l'achèvement de l'union bancaire en date du 17 juin 2016 et s'inquiète :

14. - de l'ambitieux agenda législatif qui doit être élaboré d'ici la fin de l'année 2016 dont certaines mesures, notamment l'harmonisation des régimes nationaux d'insolvabilité ou le traitement prudentiel des expositions au risque souverain, sont particulièrement complexes ;

15. - que les négociations politiques concernant un système européen d'assurance des dépôts bancaires et une éventuelle mise en place du dispositif commun de soutien financier avant l'année 2023 soient conditionnées à la mise en oeuvre de ces nombreuses mesures législatives ;

16. - que soit acté le principe d'un recours à un accord intergouvernemental en complément du processus législatif communautaire concernant le système européen d'assurance des dépôts :

17. Souhaite :

18. - que la Banque centrale européenne, dans ses missions de supervision, veille à poursuivre prioritairement les efforts de rationalisation, d'efficacité et de stabilisation des pratiques et des normes de supervision ;

19. - qu'en l'attente d'une reprise des négociations politiques sur un système européen d'assurance des dépôts bancaires, la priorité soit accordée à l'harmonisation maximale des modalités de fonctionnement des systèmes nationaux de garantie des dépôts bancaires ;

20. - que les travaux d'intégration et de coordination des deux dispositifs (MREL et TLAC) sur le niveau minimum de dettes capables d'absorber les pertes soient menés dans les meilleurs délais afin de réduire la période d'incertitude dommageable au fonctionnement du système financier et bancaire ;

21. - que l'Union européenne et la zone euro, par la voie de la Banque centrale européenne, participent significativement à l'élaboration de la réglementation financière internationale en veillant à préserver les modèles bancaires européens dans leur diversité et leur compétitivité ;

22. - que l'applicabilité et la pertinence du renflouement interne soient confirmées à travers, notamment, une analyse rigoureuse de ses éventuelles conséquences sur la stabilité du système financier, afin de lever les inquiétudes et incompréhensions de la part de certains acteurs.

La réunion est levée à 10 h 20.