- Jeudi 12 mai 2016
- Économie, finances et fiscalité - Système financier parallèle : rapport d'information et avis politique de M. François Marc
- Politique de coopération - Révision de la politique européenne de voisinage (volet concernant la Méditerranée) : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Louis Nègre et Simon Sutour
Jeudi 12 mai 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 9 heures.
Économie, finances et fiscalité - Système financier parallèle : rapport d'information et avis politique de M. François Marc
M. Jean Bizet, président. - Je suis heureux de saluer en votre nom à tous les auditeurs de la première session de l'Institut du Sénat qui assistent aujourd'hui à notre réunion. Ils suivent un programme de formation qui a débuté le 22 mars et qui s'achèvera fin juin. Ce programme leur permet de plonger dans la vie parlementaire et d'identifier les spécificités du bicamérisme. Nous avions accueilli une autre partie de la promotion lors de l'audition de M. Katainen, le 7 avril dernier. Bienvenue à tous !
Je me réjouis du retour dans notre commission de Mme Sophie Joissains, membre de la commission des lois qui remplace M. Michel Mercier.
M. Simon Sutour. - Excellente nouvelle ! Elle a déjà fait partie de notre commission.
M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle en premier lieu la communication de notre collègue François Marc sur le système financier parallèle. Nous sommes très attentifs à l'enjeu de la régulation financière. Nous suivons de près en particulier la mise en place de l'Union bancaire. M. Richard Yung, qui est notre rapporteur sur le sujet, fera à nouveau le point en juin sur l'état de ce dossier très important.
M. François Marc va nous éclairer sur un volet des activités financières plus difficile à identifier, donc à réguler, que l'on regroupe sous l'anglicisme de shadow banking, ou système financier parallèle. Son rapport vous a été adressé, ainsi que l'avis politique qu'il nous propose d'envoyer à la Commission européenne au titre du dialogue politique.
J'ai toujours été frappé par la divergence entre l'Union européenne et les États-Unis en matière de financement des entreprises. On sent bien que le shadow banking monte en puissance ; il faut donc le canaliser et l'organiser.
M. François Marc. - Sur ce sujet, l'information n'est pas facile à recueillir. Je vais toutefois m'efforcer de vous éclairer.
En 2014, le FMI tirait la sonnette d'alarme sur l'expansion jugée menaçante du shadow banking. Cet anglicisme est apparu en 2007 aux États-Unis avec la crise financière. Je vous propose de le traduire par l'expression « système financier parallèle. » Certains parlent de finance de l'ombre...
M. Éric Bocquet. - Cela fait aussi penser au shadow cabinet britannique...
M. François Marc. - Il s'est développé dans les années 1980 dans le sillage de la libéralisation des marchés financiers aux États-Unis. Son rôle a été clairement identifié dans le déclenchement de la crise avec l'effondrement du marché de la titrisation sur les crédits immobiliers dits « subprimes » puis dans la propagation de la crise à travers les fonds monétaires et les mécanismes de prêt-emprunt de titres.
Malgré les forts risques qu'il représente, le système financier parallèle reste un phénomène mal connu. En quoi consiste-t-il ? Quelle est l'ampleur du phénomène ? Quels sont les risques qu'il représente ? Comment évoluent-ils ? Sont-ils suffisamment évalués et surveillés ? Persiste-t-il des zones d'ombre dans la surveillance de certaines pratiques financières ? Ces questions essentielles méritent, à mon sens, d'être éclairées et débattues.
En quoi consiste cette finance « de l'ombre » ? Partons d'un constat simple. Le financement de l'économie met en rapport des emprunteurs et des prêteurs. Cela peut se faire soit par l'entremise de banques - c'est l'intermédiation bancaire - soit par l'intermédiaire d'entités ou d'activités qui n'ont pas le statut de banques - c'est une intermédiation non bancaire et c'est là que se trouve le système financier parallèle. Tout ce qui n'est pas une banque serait-il ainsi une banque de l'ombre, échappant à toute supervision ?
La réalité est beaucoup plus complexe. Les institutions du système financier parallèle pratiquent des activités similaires à celles des banques : elles accordent des crédits, collectent des fonds, transforment des ressources financières à court terme en des prêts à long terme, elles s'endettent... Elles font tout cela en étant parfois couvertes par des réglementions mais sans être soumises aux contraintes prudentielles applicables aux banques. Ainsi, certains fonds d'investissement réalisent directement des opérations de crédit, sans avoir l'obligation de constituer des capitaux propres pour faire face à ce risque, contrairement aux banques, soumises aux règles de Bâle 2 et Bâle 3. Ils font l'objet d'une surveillance et d'une réglementation générales mais pas spécifiquement au titre de cette activité de crédit.
Les entités du système financier parallèle peuvent être des fonds d'investissement, des fonds d'assurance-vie, des fonds de placements monétaires, des fonds alternatifs, spéculatifs, des fonds immobiliers, des fonds de capital-investissement... Le secteur de la gestion d'actifs constitue donc une part très importante du système financier parallèle auquel on peut ajouter les sociétés de crédit-bail, d'affacturage, le crowd funding... La liste des entités et des activités est longue, non exhaustive et hétérogène mais trois activités se distinguent : la titrisation, les fonds monétaires et les prêts-emprunts de titres. Elles ont en commun d'avoir joué un rôle considérable dans la crise et d'être encore très prégnantes dans le système financier actuel.
Quelle est l'ampleur de ce système parallèle ? Répondre à cette question est une tâche ardue, dont le G20 a chargé le Conseil de stabilité financière depuis 2011. Le Conseil de stabilité financière, qui a succédé en 2009 au Forum de stabilité financière, regroupe les autorités financières nationales, les banques centrales et plusieurs organisations internationales, afin d'identifier les vulnérabilités du système financier mondial et de développer des principes de régulation et de supervision dans le domaine de la stabilité financière. La plupart des acteurs majeurs du secteur y sont représentés.
Quels sont les ordres de grandeur identifiés par le Conseil de stabilité financière ? L'estimation globale, sur la base des déclarations de 26 pays représentant 80 % du PIB mondial et 90 % des actifs mondiaux, s'élève à 80 000 milliards de dollars, soit 130 % du PIB de ces pays. Ce montant, si on limite le périmètre aux activités considérées comme représentant un risque pour le système financier, est ramené à 36 000 milliards de dollars. Au-delà des écarts dans les évaluations, il s'agit de montants considérables, qui doivent toutefois être évalués avec prudence : le secteur financier parallèle chinois, sujet de préoccupation mondial à lui seul, n'en représente que 2 % soit 720 milliards de dollars, c'est-à-dire moins que celui de la France... Cette zone d'ombre est inquiétante.
Ce système financier parallèle est sans doute amené à croître, en raison de la dérégulation et de l'innovation financière, mais aussi du contournement, c'est-à-dire de l'arbitrage réglementaire, auquel se livrent les banques soumises à de fortes contraintes depuis la crise. M. Frédéric Oudéa a convenu hier devant la commission des finances que les réglementations plus contraignantes poussaient les banques à aller chercher de la rentabilité ailleurs, dans des activités menées par des opérateurs extérieurs au système bancaire. L'interpénétration entre système régulé et système non-régulé est donc croissante. Les politiques d'assouplissement quantitatif menées par plusieurs banques centrales dont la Banque centrale européenne et l'environnement de taux d'intérêt durablement bas incitent les différents acteurs financiers à chercher des rendements plus élevés auprès des entités du système financier parallèle. Les sociétés d'assurance, qui ont promis à leurs clients des rendements de 3 % ou 4 %, ne trouvent dans le système financier régulé que des taux presque nuls, voire négatifs.
En quoi est-ce un problème ? Certains avancent que, puisque les dépôts sont garantis, le système financier parallèle assure la respiration du système et la circulation des flux financiers. Mais il est aussi considéré comme une cause majeure, avérée, d'instabilité financière. Des inquiétudes s'expriment sur son impact sur la liquidité et la volatilité de marchés financiers qui ont connu, en effet, des épisodes de turbulence. Ainsi, le 15 octobre 2014, en une heure, le rendement des emprunts d'État américains à 10 ans plongeait de 16 points de base, puis repartait à la hausse sans raison apparente. L'amplitude du mouvement a atteint 37 points de base en 12 minutes. Ce phénomène est encore largement incompris à ce jour. Il y a donc des tentations d'opérer des arbitrages subits de façon moutonnière et donc amplifiées avec des impacts sur la liquidité des marchés et leur stabilité.
La Banque centrale européenne s'est tout récemment inquiétée que des risques financiers conséquents se développent dans des segments du système financier parallèle pour lesquels des informations détaillées ne sont pas disponibles. Or, la circulation de rumeurs peut créer des paniques subites. Prendre conscience du phénomène de la finance parallèle est donc une nécessité. En mesurer mieux les contours et les risques constitue une étape indispensable. D'ailleurs, certains de nos interlocuteurs, lors des auditions, ont reconnu qu'ils n'étaient pas en mesure de fournir des informations suffisantes à leurs clients. D'autres ont été réticents à répondre à certaines de nos questions. Élaborer et mettre en place les outils de régulation adaptés est un défi dont on ne doit pas faire l'économie. L'échelle pertinente est sans conteste mondiale mais l'Europe doit poursuivre aussi un engagement clair dans cette démarche. C'est l'esprit de l'avis politique que nous nous proposons d'adresser à la Commission européenne.
M. Jean Bizet, président. - Merci pour cette réflexion, qui porte sur un sujet loin d'être anodin, d'autant que ces acteurs seront de plus en plus impliqués dans le financement de nos entreprises. La Commission européenne aura trois mois pour nous répondre.
M. Yves Pozzo di Borgo. - J'ai découvert ce phénomène il y a trois ans, lors d'un colloque organisé au Sénat par l'Institut Jean Lecanuet que je préside. Il s'agissait de réfléchir à la crise financière de 2008, en présence notamment du directeur de Tracfin. J'avais appris que la Bourse de New York était très influencée par ces sommes, et cela m'avait paru effarant, d'autant qu'elles ne proviennent pas toujours d'acteurs très respectables. Compte tenu de l'importance des masses financières en jeu, je ne suis pas sûr qu'un avis politique soit suffisant. Peut-être faudrait-il qu'un commissaire européen soit chargé de ce sujet. Il s'agit d'un monde qui échappe à notre contrôle.
M. Jean Bizet, président. - Nous attendrons avec impatience la réponse de la Commission.
M. Jean-Yves Leconte. - Le système financier parallèle ne concerne pas uniquement la gestion de l'argent sale, il peut aussi s'agir d'activités honnêtes...
M. Éric Bocquet. - Mais pas transparentes !
M. Jean-Yves Leconte. - Le renforcement de la régulation du système financier classique l'a-t-il rendu plus ou moins fiable ? Les activités financières parallèles des entreprises sont aussi considérables. Nous devons donc conserver des règles comptables communes pour les pays du G7, et harmoniser la fiscalité des différentes opérations. En Chine, des investisseurs disparaissent pendant des mois, puis reviennent avec des identités différentes. Inquiétant !
M. Éric Bocquet. - Merci pour ce rapport, qui apporte des informations utiles sur cette grande zone d'ombre. Cela ne va pas favoriser ma réconciliation avec la finance... Quel monde de fous ! Nous sommes capables de comprendre que ce système est l'une des causes de la crise de 2008, mais nous ne prenons pas de mesures. Pourtant, il dépend bien d'activités humaines ! Entre 21 000 et 30 000 milliards de dollars sont gérés offshore, et il s'agit bien souvent d'argent sale, issu des commerces les plus vils : armes, prostitution, drogue, corruption...
M. Yves Pozzo di Borgo. - Celui des passeurs, aussi.
M. Éric Bocquet. - Le trading à haute fréquence ajoute à l'instabilité, et échappe au contrôle humain. Quant à l'assouplissement quantitatif, il contribue à alimenter des bulles...
M. Jean Bizet, président. - Grandes interrogations !
M. Éric Bocquet. - Peut-être pourrions-nous insérer un paragraphe demandant à la Banque centrale européenne de réexaminer cette politique ?
M. Jean Bizet, président. - La question se pose.
M. Éric Bocquet. - Cette bulle finira par nous éclater à la figure, et les États ne pourront peut-être pas faire face. Quelle est la place du Luxembourg et de la City dans le shadow banking ?
M. Alain Richard. - Ce dont nous parlons me semble l'exemple typique d'effet secondaire d'un système de régulation. Par définition, un tel système laisse vivre un système non-régulé. Augmenter le périmètre de la régulation concentrera la visibilité du risque. Mais cet avis politique semble considérer que tout dépend de l'Europe, ce qui est très éloigné de la réalité économique... Pour être efficace, l'Europe devrait agir en concertation avec les États-Unis, ce qui lui donnerait des chances d'entraîner aussi de grands émergents.
M. François Marc. - Merci pour votre intérêt pour ce sujet sensible. M. Oudéa nous a indiqué que le but du renforcement de la régulation était de protéger les déposants et d'éviter que les contribuables ne soient appelés à renflouer les établissements en cas de crise. Mais il faut aussi laisser une liberté de circulation pour fluidifier l'économie.
En effet, les entreprises font ce qu'on appelle du window dressing, c'est-à-dire de l'habillage de bilan. D'ailleurs, le même actif ou emprunt sous-jacent, une fois titrisé, peut être utilisé plusieurs fois et circule entre les acteurs économiques. Il serait bon que la circulation des sous-jacents soit plus transparente...
La Chine inquiète, en effet. Quant aux risques posés par l'assouplissement quantitatif, mené par la Banque centrale européenne, la question qu'on peut se poser est celle de la répercussion de ces mesures sur l'économie réelle. Notre point 17 intègre cette préoccupation.
M. Alain Richard. - Mais si l'on arrêtait l'assouplissement quantitatif, cela aurait d'autres conséquences...
M. Jean-Yves Leconte. - C'est comme la morphine, il ne faut pas arrêter d'un coup !
M. François Marc. - Les Américains veulent revenir progressivement vers une situation plus saine, dans ce contexte de drogue monétaire permanente. Ils ont franchi deux étapes, mais aujourd'hui, tout est à l'arrêt. Quand on cesse un traitement, le risque peut être vital, et cela vaut pour l'Europe. Ne pas prendre conscience de ce risque, c'est faire la politique de l'autruche. La City représente cinq à six fois plus que la place de Paris : c'est une part importante de ce qui se passe en Europe...
Des conflits d'intérêt sont possibles entre les Américains et les Européens. Il n'est pas évident que les Américains se dotent des mêmes outils de régulation interne. Incitons à une accélération des mesures engagées en application des préconisations du Conseil de stabilité financière - et notamment sur les marchés d'instruments financiers (MIF). Nous avons dû accepter de retarder d'un an la mise en oeuvre de la transposition. Utilisons ce délai pour mener à bien les mesures d'application. Cela nécessite d'accentuer les efforts.
M. Jean Bizet, président. - Comme le proposait Alain Richard, on peut imaginer d'ajouter un nouveau point dans l'avis politique pour promouvoir une telle démarche au sein des organisations internationales comme le G20.
Eric Bocquet, Fabienne Keller et Richard Yung sont chargés de suivre la politique de la Banque centrale européenne. Ils devront examiner quel serait « l'atterrissage » possible du quantitative easing.
M. Éric Bocquet. - Oui, pourquoi pas ? Ma traduction du shadow banking, c'est un camion de 35 tonnes lancé à 100 kilomètres heure, de nuit, dans une agglomération, tous feux éteints, qui klaxonne...
M. Louis Nègre. - S'il klaxonne...
M. Jean-Yves Leconte. - C'est nous qui klaxonnons !
M. François Marc. - Nous complétons l'avis politique par un nouvel alinéa : « la commission des affaires européennes du Sénat invite la Commission européenne à promouvoir l'adoption d'une telle démarche au sein d'instances internationales telles que le G20. »
M. Jean Bizet, président. - Cet avis politique sera adressé à la Commission européenne. Nous serons très attentifs à la réponse qui doit nous être faite dans les trois prochains mois.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information et adopté l'avis politique suivant :
Politique de coopération - Révision de la politique européenne de voisinage (volet concernant la Méditerranée) : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Louis Nègre et Simon Sutour
M. Jean Bizet, président. - Nous entendons maintenant la communication de MM. Louis Nègre et Simon Sutour sur la révision de la politique européenne de voisinage dans son volet méditerranéen. Il n'est pas besoin de souligner toute l'urgence d'une politique méditerranéenne efficace dans le contexte de la crise des réfugiés, des défis en matière de sécurité et des enjeux de développement économique. C'est la stabilité même de la région qui est en cause. Or, on a le sentiment que la politique méditerranéenne de l'Union n'a pas pu se déployer comme il aurait été nécessaire.
Nos rapporteurs nous présenteront les contours de la révision de cette politique et leur appréciation. Ils se sont rendus en Égypte, pays clé pour comprendre les enjeux de cette révision. À l'issue de leurs interventions, nous examinerons la proposition de résolution européenne qu'ils nous soumettent. Par ailleurs, nous examinerons en juin ou juillet le rapport sur le partenariat oriental, autre volet de la politique de voisinage.
M. Simon Sutour. - Les deux volets de la politique européenne de voisinage sont complémentaires : l'Union européenne travaille avec ses voisins ne voulant pas forcément adhérer à l'Union mais avec lesquels elle a des relations plus étroites qu'avec d'autres pays. Nous aborderons le volet méditerranéen.
La Commission européenne a présenté, le 18 novembre dernier, une communication proposant une révision de la politique de voisinage. Cette nouvelle approche, plus réaliste, repense le cadre des relations euro-méditerranéennes. L'Union européenne n'avait pas véritablement réévalué ses relations avec la rive sud de la Méditerranée à la lumière des conséquences politiques, économiques et migratoires des printemps arabes, et de la manière dont les événements sont perçus, au Nord de l'Europe ou sur la rive sud de la Méditerranée. L'afflux de réfugiés à ses frontières et la multiplication des attentats revendiqués par Daech ont contribué à réviser sa position initiale. Celle-ci était fondée sur un soutien aux réformes démocratiques, sur la promotion d'une vaste zone de libre-échange pan-euro-méditerranéenne et sur la signature de partenariats pour la mobilité avec plusieurs pays. Ces solutions se sont révélées en décalage avec la réalité de la crise migratoire mais aussi avec les aspirations de ses partenaires méditerranéens, en attente de solutions différenciées, pas uniquement économiques. Cette politique a patiné, à l'exception notoire des relations avec le Maroc où l'accord de libre-échange, signé depuis longtemps, a été amélioré malgré quelques soubresauts au Sahara occidental ou sur la pêche. D'autres pays, comme la Libye ou le Liban, sont restés à l'écart. L'idée était d'apporter quelques millions d'euros en contrepartie d'un cheminement vers les aspirations communautaires, pour commercer un peu plus. L'Égypte commerce peu avec l'Union européenne et reçoit des milliards d'euros de l'Arabie saoudite ou des pays du Golfe. Les quelques millions d'euros de l'Union ne sont pas très incitatifs...
Le Conseil a validé cette réorientation de la politique de voisinage, destinée à diffuser les valeurs européennes mais aussi à défendre les intérêts de l'Union européenne. Il s'agit aujourd'hui d'assurer la stabilité à ses frontières par un soutien précis et efficace, destiné à favoriser la sécurité de la région, le développement de véritables coopérations économiques dépassant le seul libre-échange et la poursuite des réformes démocratiques. Cette réorientation de la stratégie européenne prend acte d'une consultation publique menée par la Commission européenne et qui a réuni 250 entités : États, think tanks, organisation non-gouvernementales et universitaires.
La Commission souhaite évaluer toutes les causes d'instabilité, en dépassant le champ de la sécurité. Elle propose ainsi de cerner les raisons politiques, économiques - faible développement, absence de perspective, corruption - mais aussi de s'interroger sur les déplacements incontrôlés de populations. La nouvelle politique de voisinage va également avoir pour objectif d'agir sur la prévention des conflits avec la mise en place d'une procédure d'alerte précoce doublée de mesures préventives également précoces. Elle passera aussi par un soutien aux pays qui entreprennent une réforme du secteur de la sécurité civile et militaire. Ce faisant, la Commission européenne développe à la fois une approche pragmatique et stratégique.
L'ambition affichée est de parvenir à constituer des partenariats plus efficaces afin de répondre notamment à plusieurs défis : crise migratoire, terrorisme, interdépendance énergétique. L'Union européenne entend faire valoir ses intérêts, en promouvant parallèlement les valeurs universelles. La communication du 18 novembre insiste sur le principe de différenciation. Elle prend ainsi acte du fait que tous les partenaires de l'Union européenne n'aspirent pas à adopter la totalité de l'acquis communautaire. La Commission européenne entend mettre en oeuvre une logique d'appropriation mutuelle destinée à mieux prendre en compte la conception qu'a chaque pays de son partenariat avec l'Union européenne et l'orientation qu'il entend lui donner.
La mise en avant du principe de stabilité répond en large partie aux incidences dans la région des crises syrienne et libyenne, tant sur le plan politique que dans le domaine migratoire. Au-delà des dossiers syriens et libyens, l'Union européenne doit faire face depuis le début de l'année 2016 à des tensions avec ses partenaires au Maghreb, qu'il s'agisse du Maroc, de l'Algérie ou de la Tunisie. Nous détaillons les enjeux dans le rapport.
L'année 2016 est, en tout état de cause, considérée comme une année de transition pour la politique de voisinage renouvelée, destinée à mettre en place de nouveaux instruments.
Le Conseil a souhaité établir des priorités de partenariats avec les pays associés à la politique de voisinage. Celles-ci, centrées sur quelques domaines, pourraient se substituer aux plans d'action globaux, renouvelés régulièrement, sans pour autant que les relations avec les pays concernés soient rehaussées.
L'autre nouveauté concerne l'analyse de la situation des pays. Deux types de documents devraient être privilégiés. Premièrement, des rapports par pays qui soient courts et politiques, destinés à mettre en avant les priorités de partenariat ou les avancées des plans d'action, s'ils existent. Deuxièmement, un rapport unique, annuel, concernant l'ensemble des pays concernés, incluant notamment les progrès en matière de droits de l'homme. Ceux-ci conditionnent une partie des aides financières. Mais pour ces pays, le premier droit de l'homme, c'est d'abord la sécurité...
Au-delà de la révision du cadre général qu'il convient de saluer et de soutenir, plusieurs questions restent posées. La première tient au rôle de l'Union pour la Méditerranée - où nous représente Louis Nègre ; j'y représentais le Sénat entre 2011 et 2014. L'Union pour la Méditerranée (UpM) souffre incontestablement d'un malentendu. Fondée pour dépasser les clivages géopolitiques autour de projets concrets qu'elle labellise sans les financer - le label devant leur permettre de récolter d'autres financements -, elle a très vite été rattrapée par la question israélo-palestinienne ou, à un degré moindre, par celle du Sahara occidental. Elle a cependant le mérite de faire siéger côte à côte un vice-président israélien et un vice-président palestinien... Lorsque j'étais vice-président de la commission politique, j'ai ainsi pu suppléer la présidente.
Le mandat de l'UpM comme l'absence de moyens conséquents à sa disposition fragilisent sa participation aux débats sur l'avenir de la politique euro-méditerranéenne. Ce relatif effacement contraste pourtant avec la nécessité de trouver des réponses politiques aux crises multiples que traverse la région. L'Union pour la Méditerranée doit incontestablement s'affirmer comme ce forum d'échanges entre rives nord et sud du bassin méditerranéen. La question des migrations ou celle du terrorisme ne saurait se régler au sein du seul Conseil européen. À la demande des ministres des affaires étrangères de l'UpM réunis le 26 novembre 2015 pour la première fois depuis 2008, son secrétaire général a été chargé d'élaborer une feuille de route pour l'organisation. Celle-ci vise à répondre aux défis que connaît la région. Afin d'y parvenir, l'UpM, dont le siège est à Barcelone, souhaite pouvoir disposer d'un budget plus réactif - actuellement 6 millions d'euros annuels - et entamer une véritable réflexion sur la valeur ajoutée de la labellisation qu'elle propose.
La feuille de route du secrétaire général de l'UpM insiste sur la nécessité de nouer des partenariats entre son organisation et les instruments déjà existants dans le domaine euro-méditerranéen, particulièrement nombreux. Nous les détaillons dans le rapport. Rationaliser le paysage institutionnel euro-méditerranéen est indispensable si l'on souhaite renforcer la visibilité et la lisibilité de toute action publique dans cette région. Quand j'ai commencé à m'intéresser à ce sujet il y a cinq ans, j'ai mis un certain temps à en comprendre toutes les subtilités...
Une attention particulière doit être portée au dialogue en Méditerranée occidentale dit « 5 plus 5 », créé en 1990 puis relancé en 2001, qui réunit les cinq pays de l'Union du Maghreb arabe (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie) ainsi que cinq États membres de l'Union européenne (la France, l'Espagne, l'Italie, Malte et le Portugal). La promotion d'un sous-ensemble régional, laboratoire pour une coopération plus étroite entre États membres, n'est pas dépourvue d'intérêts. Elle ne saurait être valable que si elle est élargie à l'Égypte et à la Grèce, comme le demandait déjà la commission des affaires européennes du Sénat en 2013, à mon initiative. L'Union européenne doit aussi oeuvrer en faveur d'une véritable relance des organisations régionales de la rive sud de la Méditerranée à l'image de l'Union du Maghreb arabe ou de l'accord d'Agadir.
Le Sénat est aussi représenté - par François Commeinhes et moi-même - à l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée, qui rassemble les pays bordant la Méditerranée, tandis que l'UpM regroupe les 28 États membres et la rive sud. Ces deux organisations ont intérêt à travailler en commun, et peut-être envisager de se regrouper dans un seul organisme avec une représentation élargie.
Je laisse la parole à Louis Nègre qui va nous présenter un pays qui peut être considéré comme un cas d'école pour cette nouvelle politique de voisinage : l'Égypte.
M. Louis Nègre. - Merci beaucoup au spécialiste du dossier, M. Simon Sutour : il a cinq ans d'avance ! Nous nous sommes rendus en Égypte du 20 au 25 mars derniers. Mon intervention portera principalement sur les rapports entre l'Égypte et l'Union européenne.
L'Égypte, acteur important de la politique euro-méditerranéenne depuis sa création, a été le premier pays du Sud à coprésider l'Union pour la Méditerranée. Elle est également un élément majeur dans le paysage régional, au carrefour de l'Afrique et du Moyen-Orient. Elle a enfin été l'un des pays symbole du printemps arabe avec la Tunisie. Mais si la Tunisie a pu faire émerger une forme d'union nationale en faveur de la démocratie et contre le terrorisme depuis 2013, la situation de l'Égypte est beaucoup plus contrastée, marquée par une double révolution en 2011 puis en 2013, qui a conduit à la chute des Frères musulmans. La mise en place d'un pouvoir fort depuis cette date, privilégiant la sécurité du pays et son redressement économique à toute autre considération, a pu fragiliser voire distendre le lien noué avec l'Union européenne.
La révision de la politique de voisinage invite cependant à repenser ces relations. Si l'Union européenne entend promouvoir en priorité la stabilité à ses frontières, il convient de redéfinir ses relations avec un pays clé dans le contexte régional et mettre en place un dialogue à la fois franc et constructif, fondé sur des projets concrets de coopération politique et économique, comme le rappelait M. Simon Sutour.
L'Union européenne a marqué en 2013 puis en 2014 sa préoccupation face à la dégradation des libertés publiques mais aussi aux difficultés auxquelles l'économie égyptienne est confrontée. Aux termes des conclusions du 10 février 2014, le Conseil déplorait plus particulièrement les mesures de détention systématique et la justice sélective dont ferait l'objet l'opposition. Il souhaitait que soit garanti le droit à un procès équitable et engagé dans des délais raisonnables, sur la base d'accusations claires et à la suite d'une enquête adéquate et indépendante, ainsi que le droit de bénéficier de l'assistance d'un avocat et de contacter les membres de la famille. Il demandait instamment aux autorités de permettre à tous les journalistes d'exercer leur profession en toute sécurité et de mettre un terme aux arrestations à motivation politique, ainsi qu'aux actes d'intimidation subis par les journalistes égyptiens et étrangers et aux campagnes menées à leur encontre. Il réaffirmait son soutien à une société civile dynamique et indépendante, saluant notamment les organisations non gouvernementales. Le Conseil considérait néanmoins l'Égypte comme un partenaire essentiel dans la région, pour y renforcer la stabilité et la paix. La constitution, adoptée le 15 janvier 2014, a été considérée comme une « étape importante ».
Cette position nuancée du Conseil reprenait celle exprimée le 21 août 2013. Condamnant les actes de violence de part et d'autre du pays, le Conseil avait alors décidé de suspendre les licences d'exportation vers l'Égypte de tous les équipements qui pourraient être utilisés à des fins de répression interne, les États membres devant également réexaminer les licences d'exportation des équipements militaires et l'assistance qu'ils apportent à l'Égypte dans le domaine de la sécurité.
Les conclusions du Conseil sont jugées négatives par les autorités égyptiennes, qui regrettent que l'Union européenne fasse plus office de juge que de partenaire. L'Égypte juge de son côté qu'il convient de lui accorder du temps pour mener à bien la transition politique. Elle regrette une attention trop importante accordée par certains États membres de l'Union européenne aux thèses de représentants des Frères musulmans en exil. Les autorités estiment qu'un choix clair a été opéré dans leur pays en faveur de la stabilité à l'occasion des événements de juin 2013 puis de l'élection présidentielle. La mobilisation de l'Union européenne dans la lutte contre le terrorisme mais aussi sa détermination à oeuvrer en faveur de la paix dans le conflit israélo-palestinien et en Libye impliquent, selon elles, un rapprochement inévitable et la mise en oeuvre d'un nouveau partenariat.
La révision de la politique de voisinage, désormais plus pragmatique - more for more, c'est-à-dire « plus de libertés et nous vous accorderons plus d'argent » - devrait constituer le cadre d'une nouvelle approche des relations entre l'Union européenne et l'Égypte. Le dernier Conseil d'association avec l'Égypte, co-présidé par la Haute représentante et le ministre des affaires étrangères égyptien, s'était tenu le 27 avril 2010, avec des discussions tendues sur les droits de l'homme. Aucun sous-comité sectoriel n'a ensuite été organisé entre janvier 2011 et novembre 2015, date à laquelle les relations entre l'Union européenne et l'Égypte ont été relancées par la tenue d'un sous-comité sur les affaires politiques au sein du Conseil d'association. Des sous-comités justice et migrations se sont, par la suite, réunis en janvier dernier. L'Égypte souhaite désormais que se tienne un nouveau Conseil d'association, qui pourrait se réunir d'ici à la fin du premier semestre 2016, et devrait constituer le prélude à l'adoption de nouvelles conclusions par le Conseil, qu'il convient d'encourager. Certaines élites francophones considèrent que la France joue un rôle essentiel et pourrait les appuyer pour sortir le pays de l'impasse.
La relance de l'association devrait passer, dans le cadre de la politique européenne de voisinage révisée, par l'abandon du plan d'action et l'élaboration de priorités de partenariat. Trois pourraient être proposées : l'aide européenne au plan Vision 2030 du gouvernement en faveur d'une économie moderne et pérenne, qui passerait par un appui aux réformes du système éducatif et du secteur financier et un soutien aux petites et moyennes entreprises ainsi qu'aux populations les plus vulnérables ; l'appui à l'Égypte comme acteur régional pour assurer la stabilité de la zone ; un soutien aux réformes démocratiques et aux mesures en faveur des droits de l'homme ainsi qu'au combat contre le terrorisme.
L'adoption de nouvelles conclusions au Conseil, même si celui-ci est encore divisé sur cette question entre pays du Nord et du Sud de l'Europe, et l'élaboration de nouvelles priorités de partenariat apparaissent indispensables. Si l'Union européenne entend participer à la stabilité de régions situées à ses frontières, celle-ci passe par un soutien à l'Égypte. Il n'y a pas d'alternative crédible. Cet appui doit bien évidemment être lucide. Il ne s'agit pas, au nom de l'impératif de stabilité, de renoncer aux valeurs européennes. Reste que celles-ci ne sauraient totalement conditionner la coopération avec un pays apte à jouer un rôle important en matière de lutte contre le terrorisme et de gestion des flux migratoires. L'efficacité de l'action égyptienne en la matière repose cependant sur le concept de « sécurité durable ». S'il est légitime que le gouvernement s'attaque aux foyers de terrorisme de part et d'autre du pays, la répression ne saurait être aveugle et assimiler toute opposition politique ou sociale à un facteur de menace, sous peine justement de la conduire à la radicalisation.
Ces nouvelles conclusions doivent permettre de débloquer 400 millions d'euros actuellement gelés : l'Union européenne a débloqué un milliard d'euros potentiel depuis 2011, mais à des conditions précises. En parallèle, l'Arabie Saoudite verse chaque année 25 milliards d'euros sans condition !
M. Simon Sutour. - Ou plutôt des conditions différentes des nôtres...
M. Louis Nègre. - Au-delà de ce soutien budgétaire, minime au regard de l'appui des pays du Golfe, il faut s'interroger sur la coopération économique européenne avec l'Égypte. Comme nous l'indiquons dans le rapport, un accord de libre-échange complet et approfondi n'est pas adapté, alors que le gouvernement égyptien adopte aujourd'hui des mesures protectionnistes. Leur balance commerciale se dégrade, avec un déficit qui s'est creusé de 1,5 % du PIB en 2014 à 9 % du PIB en 2015. Après deux révolutions en cinq ans, le régime est sur la défensive, avec une répression très forte. La conseillère personnelle pour la sécurité auprès du maréchal Sissi déplorait que les Européens mettent en avant la mort du jeune Italien tout en passant sous silence les dizaines de morts hebdomadaires lors des attentats, comme s'il y avait deux types de morts... Rappelant l'histoire plurimillénaire du pays, issue des pharaons, sa population de 86 millions d'habitants, équivalente à celle de l'Allemagne, elle demandait un peu plus de considération pour leurs difficultés. Sinon, l'Égypte deviendra la Libye... Nous sommes sur une ligne de crête : faisons tout pour les faire progresser sur la voie de la démocratie, mais ne les abandonnons pas.
La démarche de la Commission européenne visant à la suspension des mesures de contrôle des importations doit être soutenue. Mais la priorité doit porter sur l'élaboration d'un nouveau partenariat politique, plus à même de répondre aux attentes égyptiennes et d'envisager dans ce cadre une nouvelle stratégie économique, fondée sur des investissements dans les infrastructures ou dans le domaine de l'énergie et un projet de colocalisation industrielle.
La proposition de résolution européenne que nous vous soumettons reprend ces souhaits concernant l'Égypte et les remarques que Simon Sutour vous a présentées sur l'évolution de la relation euro-méditerranéenne.
M. Jean Bizet, président. - Merci. La sécurité à nos frontières est fondamentale. Même si l'on peut toujours s'interroger sur les sommes débloquées par l'Union européenne, distinguons entre autorisations d'engagement et crédits de paiement. Il en va aussi de la crédibilité de l'image de la France. Merci à M. Simon Sutour, qui évolue avec aisance et compétence dans cet environnement compliqué.
M. Jean-Yves Leconte. - Merci d'avoir pris en compte l'Égypte, un pays majeur dans la région. Il n'y a pas de stabilité en Égypte sans stabilité au Moyen-Orient. Il existe un tripode Turquie-Iran-Égypte. Ainsi, c'est l'intégration économique et commerciale de la Turquie à l'Union européenne qui fut le moteur de sa croissance durant quinze ans. Cette possibilité doit être proposée aux autres pays méditerranéens, qui font partie de la même zone de référence historique et sont interdépendants.
L'Égypte, par une révolution, a mis l'islamisme politique à la porte. On ne mesure pas combien le pays fut rongé de l'intérieur par le terrorisme, avant l'action conjuguée de la population et de l'armée en 2013. Des attentats y sont perpétrés quasiment chaque semaine, pesant sur le pays et rendant plus populaire cette politique, même si des aspirations à plus de respect des droits de l'homme sont perceptibles. La société critique de plus en plus les aspects répressifs du système. Essayons d'arriver à un accord, sans mettre de côté les démocrates. Travaillons avec l'Égypte pour éviter qu'elle ne devienne un « proxy » de l'Arabie, comme le fait craindre la cession de deux îles au royaume saoudien.
Dans les points 10 et 13 de la résolution, pourrions-nous préciser, en sus de la coopération politique et économique, la nécessité d'une coopération éducative, compte tenu de l'importance de la population égyptienne et de la place de la langue française dans ce pays ?
M. Didier Marie. - Félicitations pour avoir produit l'un des rapports les plus importants de notre commission. La politique de voisinage, trop souvent minorée, mérite d'être relancée et renforcée, au regard de la situation internationale. Ces dernières années, nous avons beaucoup parlé du partenariat oriental, mais trop peu du partenariat méditerranéen, malgré les réflexions sur la protection des frontières, la lutte contre le terrorisme, la prévention de la radicalisation et la gestion de l'immigration, autant d'enjeux essentiels pour l'avenir de l'Europe et de notre pays.
Je me réjouis que la Commission européenne se soit saisie de cette politique et l'ait replacée à son niveau. Plaidons pour qu'elle soit renforcée. La France joue un rôle absolument central, en tant que pays méditerranéen le plus important de l'Union européenne, tandis que l'Allemagne a une plus grande propension à développer le Partenariat oriental. L'Égypte est un cas d'école sur l'équilibre entre réalisme politique et la défense des droits fondamentaux et des valeurs européennes. Nous devons l'accompagner pour assurer la stabilité, sans être aveugles sur les atteintes aux droits de l'homme.
L'Égypte est un pôle de stabilité dans les relations avec Israël. Sa déstabilisation aurait des répercussions considérables sur les relations israélo-palestiniennes et avec leurs voisins. Félicitons-nous que le régime du maréchal Sissi n'ait pas modifié la politique tenue depuis les accords de Camp David, afin de trouver la paix entre Israël et le monde arabe. L'Égypte est un acteur central pour régler le problème libyen, en tant que grand voisin, dont l'intérêt est d'éviter des répercussions internes et de défendre un certain type de gouvernance - certes discutable - évitant la montée de l'islamisme radical.
Respectons ce que sont les Égyptiens, leur fonctionnement, sans mettre de côté des exigences démocratiques, sans trop de volontarisme - sinon la France et l'Europe seront mis sur la touche - sans accepter n'importe quoi. Merci pour ce rapport important et cette utile résolution européenne.
M. René Danesi. - Félicitations pour votre excellent rapport, équilibré, réaliste et pragmatique. Les problèmes sont les mêmes en Égypte et au Maroc. Notre résolution devrait inspirer Bruxelles : il s'agit de défendre les intérêts européens, qu'ils soient économiques - avec la vente des Mistral français à l'Égypte - ou stratégiques avec la stabilité des frontières terrestres ou maritimes - la Mare nostrum est facile à traverser. La priorité, c'est de lutter contre le terrorisme. Le Maroc est un partenaire clef. L'Union européenne doit être réaliste, à la différence du Conseil de l'Europe qui défend et promeut les valeurs européennes. Arrêtons de mélanger les rôles entre Strasbourg et Bruxelles, avec des sanctions économiques à géométrie variable, qui font plaisir aux bien-pensants mais sont très mauvaises pour notre économie, et perçues comme du néocolonialisme. Rendons hommage à l'histoire et aux spécificités de chaque pays, faisons de la Realpolitik, mais sans cynisme.
Mme Gisèle Jourda. - Je salue la place de l'Égypte dans ce rapport, alors que le groupe d'étude sur les migrations et la Turquie a un peu mis en sommeil la mission sur l'Égypte. Comme M. Nègre, je suis une néophyte sur ces sujets. Ce texte est très équilibré : les nouvelles problématiques méditerranéennes n'occultent pas les préoccupations du Partenariat oriental, nous en avons longuement parlé avec M. Pascal Allizard. Il est important de préserver le financement des deux volets - même si on peut s'interroger sur la répartition deux tiers - un tiers. L'enveloppe devrait être abondée pour faire face au contexte, faute de quoi nous n'irons pas loin. Merci à M. Simon Sutour de m'avoir légué ce suivi du Partenariat oriental, dans lequel il était très impliqué.
M. Jean-Yves Leconte. - Attention à ne pas déséquilibrer ces partenariats.
M. Alain Vasselle. - Je ne peux émettre de jugement sur ce rapport, n'étant pas suffisamment compétent. Vous avez rappelé le différentiel important de concours financier accordé à l'Égypte par l'Europe et l'Arabie saoudite. Les objectifs louables de démocratie, de respect des droits de l'homme et de développement des relations commerciales ne sont-ils pas contrariés par les relations bilatérales entre l'Égypte et l'Arabie saoudite ? L'Europe a-t-elle une véritable influence ?
Plus de 250 000 réfugiés se trouveraient en Égypte. Quelle proportion d'immigrés se situe dans les pays à proximité immédiate de la Syrie par rapport au nombre de réfugiés accueillis dans le Sud de l'Europe ? A-t-on une politique pour privilégier l'immigration dans les pays immédiatement voisins de la Syrie pour réduire le nombre d'immigrés accueillis en Europe ?
M. Pascal Allizard. - Merci pour cet éclairage dont nous aurons besoin pour le Partenariat oriental, et pour votre préconisation équilibrée sur les financements. L'important n'est pas la répartition mais les montants.
La mission d'information sur l'accord avec la Turquie vient de commencer son travail. Les premières auditions ne sont pas très rassurantes : on est prêt à brader beaucoup de choses. Certains pays sont plus égaux que d'autres...
On ne peut parler de politique de voisinage si on oublie que nos voisins ont aussi d'autres voisins...
M. Simon Sutour. - ...et parfois de grands voisins !
M. Pascal Allizard. - ...ou des voisins plus riches ! Ne tombons pas dans le piège de l'exclusivité ; ne leur demandons pas de choisir entre leurs voisins.
M. Jean Bizet, président. - Merci d'avoir replacé ce rapport dans un cadre plus général.
M. Louis Nègre. - Les propositions de M. Leconte vont dans le bon sens. Ajouter l'éducation est indispensable pour lutter contre l'analphabétisme, malheureusement très important.
Oui, 250 000 Syriens sont accueillis en Égypte, un nombre non négligeable, même s'il est largement inférieur au nombre de Syriens en Turquie, voire en Allemagne. Mais l'Égypte connaît un déficit d'environ 9 % du PIB, et a parfois du mal à payer ses fonctionnaires et à boucler ses fins de mois.
Nous avons de bonnes relations avec l'Arabie saoudite, et je ne pense pas qu'elle joue avec nous un rôle compliqué en Égypte. N'oublions pas que ce pays connaîtra vraisemblablement une baisse significative de ses recettes pétrolières, et donnera donc un peu moins d'argent à l'Égypte... Les relations se rééquilibreront donc davantage.
M. Simon Sutour. - L'Arabie saoudite et l'Égypte sont très proches. Plus de 3,5 millions d'Égyptiens vivent en Arabie saoudite, avec une proximité culturelle, à la différence de l'Europe. Ces deux pays ont des préoccupations communes de défense et également économiques avec le pétrole et le gaz : les prospections égyptiennes sont prometteuses.
M. Jean-Yves Leconte. - ... de l'ordre du Qatar !
M. Simon Sutour. - La population égyptienne double tous les vingt ans. Tous les progrès réalisés sont avalés par l'arrivée de ces jeunes. Les champs pétroliers et gaziers, enjeux essentiels de géopolitique, concernent aussi Chypre, Israël et le Liban. Un partage des ressources est en train de s'organiser, sous la houlette américaine.
La Turquie n'est pas concernée par la politique de voisinage : elle est candidate à l'adhésion à l'Union européenne, un statut totalement différent. Je partage l'avis de M. Allizard : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir... ». Or nous avons vraiment besoin de la Turquie.
Oui, les crédits pour la politique de voisinage sont insuffisants. Ne rêvons pas, ils n'augmenteront pas. En réalité, la répartition est plutôt de 60 %-40 % pour la consommation des crédits. Souhaitons une nouvelle politique de voisinage plus réaliste, plus pragmatique, intégrée dans les intérêts nationaux, pour arriver à ces 66 %...
M. Louis Nègre. - L'Union européenne est le premier partenaire commercial de l'Égypte, et exporte vers elle 14 milliards d'euros, contre 7 milliards d'importations. La balance commerciale égyptienne est déficitaire, avec un risque de déstabilisation. À cela s'ajoute que le maréchal Sissi tient l'armée, mais pas « l'État profond » - les services de sécurité que tenait Moubarak -, deux révolutions portées par la jeunesse et le développement d'une classe moyenne, les salafistes qui progressent, et vous obtenez ce maelström. Plaidons pour la stabilité pour ce « rocher ».
J'ai le plaisir de vous annoncer qu'en raison d'un empêchement de son président, je présiderai le comité de sécurité de l'UpM dans quelques semaines à Tanger.
M. Simon Sutour. - Bravo !
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé la publication du rapport d'information et adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne ainsi modifiée, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
La réunion est levée à 11 h 05.