- Jeudi 3 mars 2016
- Justice et affaires intérieures - Union européenne et lutte contre le terrorisme : Rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Philippe Bonnecarrère et Simon Sutour
- Politique de coopération - Proposition de résolution européenne de M. Michel Billout sur l'étiquetage des produits des colonies israéliennes : examen du rapport de MM. Louis Nègre et Simon Sutour
- Institutions européennes - Suivi des résolutions européennes, des avis motivés et des avis politiques : rapport d'information de M. Jean Bizet
- Nomination de rapporteurs
Jeudi 3 mars 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 9 h 05.
Justice et affaires intérieures - Union européenne et lutte contre le terrorisme : Rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Philippe Bonnecarrère et Simon Sutour
M. Jean Bizet, président. - Nous examinons le rapport et la proposition de résolution européenne (PPRE) de MM. Philippe Bonnecarrère et Simon Sutour sur l'Union européenne et la lutte contre le terrorisme. Les attentats du 13 novembre dernier ont montré que des réponses fermes et efficaces doivent être apportées au terrorisme au niveau national comme européen.
Le Sénat a été très actif depuis les attentats de janvier 2015. Fin mars 2015, sous la présidence de M. Gérard Larcher, une rencontre interparlementaire s'est tenue au Palais du Luxembourg, qui a conduit à l'adoption d'une déclaration commune soulignant la nécessité de renforcer l'action au niveau européen. Notre commission des affaires européennes a aussi beaucoup travaillé à la formalisation par le Sénat, en avril 2015, d'une résolution européenne appelant à un acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne. Ce texte passait en revue les différents domaines dans lesquels l'Union européenne pouvait apporter une réelle plus-value dans la lutte contre le terrorisme. Nous avons débattu de la lutte contre le terrorisme avec le coordinateur européen, M. Gilles de Kerchove, le 10 février dernier et, le 2 février dernier, le Sénat a adopté une proposition de loi destinée à renforcer l'efficacité de la lutte anti-terroriste au niveau national.
Près d'un an après l'adoption de notre résolution, on peut se demander si les décisions européennes sont bien à la hauteur de la gravité de la situation. L'exemple du PNR européen, urgent, laisse craindre que ce ne soit pas le cas : même si le dossier semble désormais débloqué - après plus de sept années ! - le texte européen n'est toujours pas adopté, et des délais supplémentaires seront nécessaires pour une mise en oeuvre opérationnelle. Le rapport d'information de nos deux collègues fait le point sur la mise en oeuvre des préconisations que nous avions faites.
M. Simon Sutour. - Ce rapport est particulièrement important, car le développement du terrorisme appelle une réaction forte. Comment l'organiser au niveau européen ? L'initiative prise il y a un an par le Sénat était bienvenue. Notre rapport passe en revue l'action européenne contre le terrorisme et propose des pistes pour l'améliorer : de fait, la marge de progression est considérable.
Quelques semaines après les attentats terroristes perpétrés à Paris au mois de janvier 2015 mais aussi, malheureusement, ailleurs en Europe, le Sénat a adopté quasiment de manière unanime, le 1er avril 2015, à l'initiative de notre commission, une résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un Acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne. Cette résolution comportait huit préconisations.
La première concernait la nécessité d'une définition européenne des infractions terroristes, prenant notamment en compte l'existence de combattants étrangers, conformément à la définition des Nations unies. L'Assemblée nationale a adopté cette nuit des dispositions en ce sens, tant mieux ! L'objet de notre PPRE est de conforter l'action du Gouvernement. La seconde préconisation était que soient effectués, sur le fondement d'indicateurs de risques communs, des contrôles approfondis et quasi systématiques des ressortissants des pays membres qui entrent et sortent de l'espace Schengen, et que soit renforcé Frontex, notamment par la création d'un corps de garde-frontières européens, afin d'assurer un contrôle effectif des frontières extérieures de l'espace Schengen.
La troisième préconisation réaffirmait l'urgence de mettre en oeuvre le PNR européen dans le contexte aggravé des menaces terroristes. La quatrième exigeait l'adoption rapide de mesures efficaces pour lutter contre le financement du terrorisme et le trafic d'armes à feu. La cinquième concernait le renforcement de la coopération policière et judiciaire en Europe. Elle soulignait la nécessité, pour les États membres, de mieux alimenter Europol et Eurojust en informations à caractère policier et judiciaire et plaidait pour la création, au sein d'Europol, d'une plateforme européenne de lutte contre le terrorisme, mais aussi pour l'accélération de la mise en place d'un Parquet européen collégial et décentralisé - j'y insiste - dont les compétences, conformément au traité, pourraient être élargies à la criminalité grave transfrontière, donc au terrorisme.
La sixième préconisation avait trait à la lutte contre le terrorisme sur Internet. La septième appelait à élaborer une stratégie éducative de prévention et de lutte contre la radicalisation. Enfin, la huitième demandait le renforcement de la coopération internationale avec les pays tiers, en insistant sur la nécessité de construire un partenariat global avec les acteurs régionaux des parties du monde les plus sensibles et d'entamer avec ces derniers un dialogue qui, s'il combinait les impératifs de sécurité avec ceux du développement, réduirait durablement la menace terroriste.
Dès le 16 juin 2015, un conseil « Justice et affaires intérieures » adoptait une « stratégie de sécurité intérieure renouvelée pour l'Union européenne sur la période 2015-2020 ».
Une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre le terrorisme du 3 décembre 2015 prévoit de nouvelles incriminations terroristes, conformément à la résolution du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Plusieurs initiatives ont été prises pour une révision ciblée du code frontières Schengen et du contrôle des frontières extérieures. Rappelons en particulier les conclusions du 20 novembre 2015 adoptées par le Conseil de l'Union européenne et des États membres réunis au sein du Conseil, sur la lutte contre le terrorisme et le plan présenté par la Commission européenne le 15 décembre 2015. En application de ce plan, deux propositions législatives ont été faites : une proposition de règlement du 23 janvier 2016 du Parlement européen et du Conseil, relatif à la création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, et une proposition de règlement du même jour du Parlement européen et du Conseil concernant le renforcement des vérifications dans les bases de données pertinentes aux frontières extérieures.
Sur la politique européenne des visas, la Commission a proposé deux textes législatifs relatifs à un modèle type de visa, d'une part, et à la création d'un document de voyage européen destiné au retour des résidents irréguliers, d'autre part, mais la définition, souhaitée par le Sénat, d'une politique européenne des visas comportant des critères communs prenant en compte des indicateurs de risques liés à la menace terroriste, n'est toujours pas faite.
Quant au PNR européen, il s'agit d'un véritable marathon. C'est en effet le 6 novembre 2007, il y a près de neuf ans, qu'une proposition de décision-cadre du Conseil relative à l'utilisation des données des dossiers des passagers aériens à des fins répressives dans l'Union européenne a été déposée par la Commission. Le 12 février 2011, en application des nouvelles procédures du traité de Lisbonne, la Commission a présenté une nouvelle proposition de directive sur le PNR européen. Sur cette proposition, le Sénat a adopté quatre résolutions européennes. Le 30 mai 2009 et le 18 mai 2011, il a surtout affirmé que le projet de directive devait assurer, parmi ses priorités, le respect effectif des droits fondamentaux - ce qui reste d'actualité, et ne s'oppose aucunement à l'efficacité du dispositif. Dans deux autres résolutions européennes plus récentes adoptées le 15 mars et le 1er avril 2015, à l'initiative de notre commission, le Sénat a souligné l'urgence qu'il y avait, dans le contexte de menace terroriste, à adopter ce mécanisme de prévention et de détection des infractions terroristes permettant une coordination efficace entre les PNR nationaux dans le respect des garanties indispensables pour la protection des données personnelles.
Le dossier a été bloqué pendant plusieurs années par la commission Libé du Parlement européen, dont plusieurs parlementaires influents se sont mobilisés, longtemps avec succès, contre le projet. Le 24 avril 2013, cette commission a même voté une motion de rejet de la proposition de directive. Nous avons rencontré son président et sa rapporteure lors d'un déplacement à Bruxelles. Peut-être cela a-t-il contribué à débloquer la situation ? En tous cas, à la demande du Parlement européen, la commission a repris ses travaux au mois de novembre 2014. Il est clair que les sanglants attentats terroristes de Paris du 13 novembre 2015 ont accéléré le cours des choses, notamment sous la pression des États les plus concernés.
Le texte qui a fait l'objet d'un compromis entre le Conseil et le Parlement européen, approuvé par la commission Libé le 10 décembre dernier, et qui devrait être voté définitivement par le Parlement européen en séance plénière au mois d'avril prochain, comporte notamment trois exigences françaises, défendues par notre ministre de l'Intérieur : une durée de conservation des données de cinq ans, avec une procédure simplifiée de consultation des données après leur masquage, qui intervient au bout de six mois - comme aux États-Unis -, et l'inclusion dans le champ de la directive des vols intra-européens et des vols charters, d'une part, et des infractions nationales - et non seulement transnationales - d'autre part. Nous nous réjouissons de cet aboutissement. Mais que de temps perdu !
Le plan d'action de la Commission contre le financement du terrorisme du 2 février 2016 s'attache à surveiller les mouvements financiers et à empêcher les terroristes de transférer des fonds et d'autres avoirs, notamment grâce au contrôle des plateformes d'échange de monnaie virtuelle sur Internet et par la suppression de l'anonymat pour les cartes prépayées.
Enfin, le Groupe d'action financier créé en 1989 dans le cadre de l'OCDE - le GAFI - est efficace. Sa liste noire des pays non coopérants dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme exerce un réel effet dissuasif. Deux nouveaux textes législatifs relatifs au blanchiment et à la surveillance des mouvements d'espèces devraient être présentés par la Commission au cours de l'année 2016. Des actions sont aussi effectuées au niveau national. Ainsi, notre ministre des finances, Michel Sapin, a pris un décret limitant les paiements en liquide à des montants inférieurs à mille euros - avec des exceptions pour les étrangers.
M. Philippe Bonnecarrère. - Merci de nous avoir confié ce travail, sur un sujet aussi essentiel que passionnant. Ses enjeux sont autant techniques que politiques, et ils concernent aussi la défense des libertés publiques, auxquelles nous sommes tous attachés.
Sur la lutte contre le trafic d'armes, mentionnons l'adoption définitive d'un règlement définissant des normes minimales communes en matière de neutralisation des armes à feu, une proposition de directive du 18 novembre 2015 relative au contrôle de l'acquisition et de la détention d'armes, et un plan d'action de la Commission européenne du même jour pour lutter contre le trafic illicite d'armes et d'explosifs. Le problème se pose aussi à l'intérieur de nos frontières nationales : M. Gilles de Kerchove nous a ainsi indiqué qu'il suffisait de 300 euros pour acheter une kalachnikov ! D'où l'idée évoquée par Fabienne Keller de créer un fonds pour racheter les armes en circulation...
Sur le renforcement de la coopération policière et judiciaire en Europe, un accord a été trouvé entre le Parlement européen et le Conseil le 26 novembre dernier sur le règlement portant réforme d'Europol. Ce projet de règlement devrait être adopté par le Parlement européen en avril 2016 et appliqué à partir du 1er avril 2017. Il renforce l'agence dans sa lutte contre le terrorisme, la cybercriminalité et la criminalité transfrontière, en obligeant les États à lui fournir les informations nécessaires. Notons encore que le contrôle démocratique de l'activité d'Europol, semblable à celui de l'état d'urgence en France, sera supervisé par un groupe parlementaire conjoint composé de membres des parlements nationaux et du Parlement européen. Signalons aussi la création, au sein d'Europol, le 25 janvier 2016, d'un centre européen de contre- terrorisme chargé de coordonner les informations des cellules nationales de lutte contre le terrorisme. En effet, la circulation des informations a été peu satisfaisante entre la Belgique et la France, alors que ce sont deux pays proches à la fois géographiquement et culturellement. De plus, le fait qu'Abdelhamid Abaoud ait pu se promener ainsi en Europe sans être inquiété - ou, avant lui, que Mohammed Merah ait pu aller se former au Tadjikistan - soulève la question d'une meilleure détection des signaux faibles.
La Commission a présenté le 21 janvier 2016 une proposition de directive concernant les échanges d'informations relatives aux ressortissants de pays tiers ainsi que le système européen d'information sur les casiers judiciaires (ECRIS). ECRIS est un système électronique d'échange d'informations sur les condamnations antérieures prononcées par des juridictions pénales dans l'Union européenne à l'encontre des ressortissants européens. Pour mieux lutter contre la criminalité transfrontière et le terrorisme, la réforme propose d'étendre le système européen d'information sur les casiers judiciaires aux ressortissants de pays tiers. La proposition de résolution demande que les condamnations prononcées par la justice de chaque pays contre des ressortissants d'autres pays y figurent également, et que l'ensemble du système soit mieux et plus systématiquement renseigné par tous les États.
Le dossier du Parquet européen est lui aussi un véritable marathon. La proposition de règlement portant création du Parquet européen remonte au 17 janvier 2013. En application de l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le Parquet européen a vocation à poursuivre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Toutefois, le Conseil européen peut décider d'étendre ses attributions à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière. La structure proposée initialement par la Commission comportait deux niveaux : une unité centrale - que certains ont qualifiée de « super procureur européen » - et un second niveau constitué de procureurs européens délégués par cette unité centrale.
Dans une première résolution européenne adoptée le 15 janvier 2013, le Sénat a souhaité une extension rapide des compétences du Parquet européen à la criminalité grave transfrontière. Dans une seconde résolution européenne portant avis motivé du 3 octobre 2013, le Sénat a critiqué le choix centralisateur et directif de la Commission. À la suite du carton jaune adressé par quatorze chambres de parlements nationaux qui ont suivi la position du Sénat, la Commission a refusé de retirer son texte, mais le Conseil a fait évoluer le projet dans le sens d'une structure collégiale et décentralisée pour le Parquet européen.
La discussion - qui dure toujours - s'est articulée autour de plusieurs débats portant sur la structure du Parquet européen, l'extension de ses compétences, la compétence partagée du Parquet européen avec celle des autorités judiciaires des États membres, la compatibilité des règles relatives au fonctionnement du Parquet européen avec les droits internes des États membres, la question de la recevabilité et de l'évaluation des preuves, afin de garantir les droits de la défense, et la mise en place d'un recours judiciaire effectif pour les citoyens européens.
Pour le Sénat, en tout cas, la question de la structure du Parquet européen est fondamentale car elle met directement en cause la souveraineté des États membres.
Où en est le débat européen aujourd'hui ?
Le Parlement européen est plutôt favorable à la proposition initiale de la Commission. Au niveau des États, plusieurs groupes de pays ont des approches différentes : l'Italie, l'Espagne, la Belgique, la Roumanie ou la Bulgarie sont en faveur d'une vision intégrée du Parquet européen. L'Allemagne, l'Autriche et la Pologne sont proches de cette position. Des pays comme les Pays-Bas, la Finlande, la Suède, la République tchèque ou la Hongrie, manifestent de fortes réticences. Quant au Royaume-Uni et à l'Irlande, ils ont indiqué, dans la logique de l'« opt-out », qu'ils ne participeraient pas à la nouvelle institution. Le Danemark en a fait de même, grâce aux dispositions qui l'exonèrent de certaines obligations.
Le Gouvernement est favorable au principe du Parquet européen, qui pourrait favoriser une politique pénale européenne harmonisée. Il soutient la structure collégiale en concevant le Parquet comme un véritable instrument d'entraide judiciaire. Il souhaite toutefois éviter les contentieux de masse : pour lui, le futur Parquet européen ne devra se saisir que des affaires importantes.
En l'absence de consensus sur la structure, voire le principe même d'un Parquet européen, la question de l'extension de ses compétences n'est pas à l'ordre du jour ; certains le regretteront en estimant que ce Parquet pourrait constituer un bon instrument dans la lutte contre le terrorisme. Si le Parquet européen doit voir le jour, ce sera probablement dans le cadre de la coopération renforcée, prévue par les traités, d'au moins neuf États membres. Les conditions de l'intervention d'un Parquet européen, doté d'un statut spécifique, dans 28 systèmes judiciaires différents, expliquent la prolongation des discussions en cours.
Le rapport énumère les diverses mesures relatives à la lutte contre le terrorisme sur internet et la radicalisation. Il évoque aussi l'importance de la coopération internationale avec les pays tiers dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. À cet égard, le sommet de La Valette les 11 et 12 novembre 2015 réunissant des représentants de l'Union européenne et d'un certain nombre de pays tiers notamment africains, a représenté un progrès. La question de la défense au large, dans la zone sub-sahélienne ou en Libye, ainsi que les conséquences du recours à l'article 42-7 du TFUE, pourraient faire l'objet de travaux plus approfondis.
La proposition de résolution européenne qui vous est présentée prend acte d'un certain nombre d'avancées qui ont répondu aux attentes exprimées par la résolution européenne du Sénat du 1er avril 2015. Elle est aussi l'occasion de souligner que l'intensification de la coopération et de l'échange d'informations entre les agences européennes concernées et les services de justice, de police et de renseignement des États membres, constitue la condition sine qua non de l'efficacité des politiques européennes en la matière. Malgré les critiques dont il fait l'objet, le système Schengen n'a pas d'alternative.
En conclusion, reconnaissons - hélas ! - que les attentats terroristes, et notamment ceux qui ont ensanglanté Paris le 13 novembre dernier, ont constitué un grand coup d'accélérateur pour de nombreux dossiers.
M. Jean Bizet, président. - Merci pour cette présentation.
La mise en oeuvre de l'article 42-7 du TFUE est une première. Il serait intéressant d'en examiner les conséquences, en effet. Oui, il n'y a pas d'alternative à Schengen, et nous sommes condamnés à ce qu'il réussisse ! J'ai souligné devant l'AP-OSCE que si la création d'un corps de garde-frontières et de garde-côtes est bienvenue, leur mission devra être clairement définie lorsqu'un État-membre n'assume pas ses obligations. La re-création de frontières intérieures pérennes serait une catastrophe économique : pour la France, cela coûterait près de 10 milliards d'euros par an ! C'est dire les effets désastreux qu'aurait la destruction du marché unique...
M. André Gattolin. - Bravo pour ce rapport très intéressant. Il donne toutefois l'impression, de la page 17 à la page 19, que le Parlement européen est seul responsable du blocage sur le PNR.
M. Simon Sutour. - C'est le cas...
M. André Gattolin. - Non, le retard peut également être imputé au temps que met la CJUE à rendre ses avis. Elle ne s'est toujours pas prononcée, par exemple, sur le PNR entre la France et le Canada. Elle n'a toujours pas indiqué si l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et Singapour était un traité simple ou mixte. Pis, elle n'a statué qu'en 2014 sur une directive de 2006 concernant la rétention des données ! De même, le contrôleur européen de la protection des données a une part de responsabilité. Certes, il est possible que le Parlement européen ne la saisisse que pour gagner du temps. Mais elle met trop de temps à se prononcer.
M. Simon Sutour. - Si le Parlement européen ne lui avait pas demandé son avis, il n'aurait pas à l'attendre.
M. André Gattolin. - A-t-elle la capacité de répondre dans les temps ?
Un rapport récent à la commission des finances évoquait la question du budget européen pluriannuel, dont le cadre actuel, sur sept ans, est bien trop large, décalé des réalités, et nous devons aussi nous méfier de la fongibilité, car on risque fort de manquer demain de moyens pour les politiques plus structurelles. Comment financer les mesures que nous envisageons ? Étant donné le faible enthousiasme des polices nationales à coopérer entre elles, il est indispensable de renforcer les moyens des services européens comme Frontex, et cela coûtera cher.
M. Claude Kern. - Je félicite les deux rapporteurs pour leur excellente présentation. Nous devons rapidement organiser les modalités d'une intervention européenne là où le contrôle de ses frontières par un État est défaillant.
M. Simon Sutour. - Cela figure dans la proposition de résolution.
M. Jean-Yves Leconte. - Merci aux deux rapporteurs pour leur travail. Merci, Monsieur le Président, d'avoir rappelé que Schengen est le meilleur outil de coopération pour faire face à la menace : il suffit de regarder une carte pour comprendre qu'il est plus facile de défendre les frontières de l'Union que toutes les frontières nationales ! Un meilleur contrôle aux frontières externes est la seule manière de faire respecter l'interdiction de sortir du territoire, ce qui vaudrait mieux que de reprocher à la Turquie de laisser entrer nos ressortissants. Je milite depuis longtemps pour que les vérifications biométriques soient systématiques. J'observe que depuis décembre, la vérification d'identité au départ de la France est devenue presque systématique, alors qu'auparavant elle n'avait lieu qu'une fois sur quatre environ. Pour autant, il n'en va pas de même dans tous les pays européens. Or, sans cette vérification, le PNR n'a pas de sens. N'oublions pas que notre mobilisation forte résulte des attentats qui nous ont frappés. Tous nos partenaires ne se sentent pas aussi concernés...
N'est-il pas paradoxal de s'attaquer aux paiements en espèces alors que les services fiscaux s'aperçoivent bien que les flux financiers électroniques leur échappent encore davantage ? Sur ce sujet, je ne suis pas sûr que nous ayons trouvé le bon équilibre.
Il faut multiplier les bornes Eurodac pour accroître les contrôles. Dans plusieurs pays, il reste possible d'acheter une carte SIM prépayée sans déclarer son identité. Enfin, les documents d'identité restent une prérogative nationale, et tous les pays ne disposent pas d'un fichier reliant les données biométriques à l'identité de leurs ressortissants.
Mme Patricia Schillinger. - Bravo pour cet excellent rapport. Ne pourrions-nous pas, à des fins humanitaires, appeler à un renforcement des contrôles sur les mineurs étrangers isolés ? Il y en aurait 10 000 sur le continent, c'est considérable...
M. Michel Billout. - Merci pour ce point d'étape. Qui cible-t-on lorsqu'on parle de terroristes ? Pour nous, il s'agit des djihadistes, représentés par Daech. Mais ailleurs, la définition est bien différente. En Turquie, il y a des dérapages : M. Erdogan utilise le terme de « terroristes » pour désigner des universitaires ou des journalistes, qu'il contraint au silence. Et il bombarde les Kurdes syriens, qui ont été les plus efficaces au sol contre Daech. Nous devrions donc préciser dans cette proposition de résolution qui nous visons.
M. Simon Sutour. - Notre travail n'est pas exhaustif. Je partage entièrement l'opinion, exprimée par M. Michel Billout, que le terrorisme vient de tous côtés. La situation turque, sur laquelle je suis aussi en accord avec vous, mérite une analyse plus approfondie.
M. André Gattolin. - Pour les Turcs, les terroristes sont les Kurdes !
M. Simon Sutour. - Notre collègue M. Jacques Mézard doit se rendre en mission en Turquie, accompagné du conseiller diplomatique du président Larcher. Il serait souhaitable que nous formalisions une position sur le sujet.
Nous assumons pleinement notre rapport, monsieur Gattolin, sur ce que nous avons dit du Parlement européen et du retard pris par le dossier « PNR ». La question de la Cour de justice de l'Union européenne est pertinente, mais elle est connexe. De même, le problème des enfants souligné par Patricia Schillinger est réel, mais il n'entre pas dans le périmètre de notre rapport.
Nous avons fait des progrès : alors qu'une personne sur quatre était contrôlée à l'arrivée en France, nous contrôlons désormais l'identité de la quasi-totalité. Les autres pays sont moins avancés, c'est pourquoi il faut aller plus loin.
M. Philippe Bonnecarrère. - Le rapport liste dans un tableau l'ensemble des projets de directive et de règlement. Il serait très utile de suivre l'élaboration de ces textes, ne serait-ce que par un tableau synthétique : plutôt que d'imaginer sans cesse de nouveaux textes, commençons par examiner le devenir de ceux qui ont déjà été initiés !
Vos objections, monsieur Leconte, sont assez largement satisfaites par la proposition de résolution dans ses alinéas 17 et 18, qui portent respectivement sur les modalités du contrôle aux frontières extérieures et le visa à sécurité renforcée. Dans son intervention devant les sénateurs sur le débat sur l'hébergement d'urgence pour les migrants, M. Cazeneuve n'a pas dissimulé que des terroristes potentiels s'étaient introduits parmi ces personnes. La contrefaçon de documents d'identité et de passeports est importante. À cet égard, les hot spots constituent un point faible, en raison de leur capacité insuffisante à croiser les identités relevées avec le système d'information Schengen (SIS). Ce point est bien abordé dans la proposition de résolution européenne.
Monsieur Billout, la définition du terrorisme est en effet évolutive ; c'est une question intéressante, qui cependant n'a pas vocation à être abordée dans la proposition de résolution. Alain Bauer utilise une définition fondée sur la victime : le terrorisme, c'est d'abord s'attaquer aux personnes sans protection.
M. Michel Billout. - M. Bocquet et moi-même nous abstiendrons.
M. Jean Bizet, président. - J'indique que nous avons prévu de nous rendre à Luxembourg auprès de la Cour de justice de l'Union européenne, dans le cadre de nos rencontres avec les institutions européennes.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé la publication du présent rapport d'information et adopté - MM. Michel Billout et Eric Bocquet s'abstenant - la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Politique de coopération - Proposition de résolution européenne de M. Michel Billout sur l'étiquetage des produits des colonies israéliennes : examen du rapport de MM. Louis Nègre et Simon Sutour
M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant entendre une communication de notre collègue Simon Sutour sur la proposition de résolution européenne de Michel Billout et plusieurs de nos collègues sur l'étiquetage des produits issus des colonies israéliennes.
Ce texte a été déposé le 5 février. Conformément au règlement du Sénat, nous disposons d'un mois pour l'examiner. Il sera ensuite transmis à la commission des affaires étrangères qui aura également un mois pour se prononcer.
Louis Nègre, que nous avons désigné comme co-rapporteur, m'a fait savoir qu'il ne pourrait malheureusement pas être parmi nous aujourd'hui. Simon Sutour exposera donc seul les conclusions communes auxquelles ils ont abouti sur le texte qui nous est soumis.
Le rapport vous a été adressé. Notre collègue va nous le présenter. Nous ouvrirons ensuite le débat.
La parole est à notre rapporteur.
M. Simon Sutour. - La démarche de nos collègues met en lumière un vrai problème : celui de la compatibilité de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël d'un côté et la colonisation d'une partie du territoire palestinien de l'autre, colonisation bien évidemment contraire au droit international.
Nous avons néanmoins souhaité, avec Louis Nègre, examiner ce texte avec une question en tête : cette proposition de résolution européenne du Sénat peut-elle apporter une valeur ajoutée à la position de l'Union européenne sur les colonies israéliennes ? Cette position est sans équivoque et a été réaffirmée constamment depuis 2001 : seules les frontières antérieures à 1967 sont reconnues par l'Union européenne et tout produit issu des colonies n'est pas couvert par l'accord d'association avec Israël. La Commission européenne, le Conseil et la Cour de justice ont tous repris cette antienne depuis l'entrée en vigueur de l'accord.
Le rapport qui vous a été transmis détaille les mesures prises à cet effet par la Commission européenne. Celle-ci a négocié avec Israël un arrangement technique en 2005 destiné à améliorer la traçabilité des produits en provenance des colonies et a adopté plusieurs textes, allant de l'avis aux importateurs à des directives d'exécution pour rappeler que ces produits ne pouvaient bénéficier des préférences tarifaires. Les contrôles vétérinaires au sein des colonies ne sont, par ailleurs, plus reconnus depuis 2014. La Commission applique de fait la jurisprudence de la Cour. L'arrêt Brita rendu en 2010 insiste bien sur le fait que les produits issus des colonies israéliennes sont couverts par l'accord d'association signé en 1997 avec la Palestine.
Une nouvelle étape a été franchie l'année dernière. Répondant à la demande de 16 ministres des affaires étrangères, dont le ministre français, et du Parlement européen, la Commission européenne a adopté, le 11 novembre 2015, une communication interprétative relative à l'indication de l'origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis 1967.
Le droit européen impose la mention de l'origine pour un certain nombre de produits. L'origine doit être correcte et ne saurait induire le consommateur en erreur. Dans les cas où la mention de l'origine n'est pas obligatoire, une directive de 2005 rappelle qu'en cas de mention volontaire, l'information doit, là encore, être correcte et ne peut induire le consommateur en erreur - bis repetita placent... Les États membres sont tenus de vérifier la bonne application de la législation sur les indications d'origine.
Dans ces conditions, l'indication « produit en Israël » n'est pas considérée comme correcte par la Commission européenne dès lors qu'ils sont produits au sein des territoires occupés, a fortiori s'ils sont en provenance de colonies de peuplement. La Commission européenne propose de fait deux types de mentions : « produit originaire de Cisjordanie (produit palestinien) », « produit originaire de Gaza » ou « produit originaire de Palestine » pour les produits issus des territoires occupés mais non originaires des colonies de peuplement ; « produit originaire de Cisjordanie (colonie israélienne) » ou « produit originaire du Plateau du Golan (colonie israélienne) » pour les produits issus des colonies de peuplement.
Il s'agit de suggestions de la Commission européenne. Cette communication ne crée pas, selon elle, de nouvelles normes en la matière et vise simplement à respecter la législation existante. Il ne saurait, à ses yeux, être question de mettre en place un boycott ou une interdiction des produits, mais juste de permettre au citoyen européen d'effectuer un achat en conscience. La communication ne règle pas non plus le problème de la traçabilité. Trois États membres ont, en tout cas, déjà mis en place des lignes directrices destinées à distinguer l'origine des produits en provenance d'Israël : le Royaume-Uni (depuis 2009), le Danemark (depuis 2012) et la Belgique (depuis 2014).
La proposition de résolution européenne a pour ambition de s'inscrire dans cette démarche européenne. L'exposé des motifs prévoit, dans ces conditions, la distinction entre « produits de Cisjordanie (produits palestiniens) », « produits de Cisjordanie (produits en colonie israélienne) » et « produits d'Israël ». Cette distinction est similaire à celle préconisée par la communication interprétative de la Commission européenne. L'exposé des motifs de la proposition s'en éloigne pourtant puisqu'il limite la couverture géographique des produits d'Israël aux limites de l'État hébreu en 1948.
Or, la Commission européenne, s'appuyant sur le droit international et notamment la résolution 242 des Nations unies du 22 novembre 1967, reconnaît le tracé des frontières antérieur à 1967, qui résulte de l'armistice du 7 janvier 1949.
M. Michel Billout. - C'est une erreur technique qui ne figure pas dans le texte de la proposition. Je m'en expliquerai.
M. Simon Sutour. - La proposition de résolution ne propose finalement aucune nouveauté et revient à saluer la communication interprétative de la Commission européenne. Elle n'entre pas, cependant, dans le degré de détail de celle-ci en ce qui concerne les propositions d'appellation, en se limitant à la seule mention des colonies.
Soutenir la mise en oeuvre de la communication auprès des 27 autres États membres revient finalement à tenter de convaincre les 12 États qui n'ont pas signé la lettre d'avril 2015. La mise en oeuvre de la législation douanière relève cependant de la compétence des États membres. De son côté, la réglementation européenne tend, depuis 2013, à limiter l'importation en provenance des colonies en matière agro-alimentaire, faute de reconnaissance des certificats de conformité et des contrôles vétérinaires. La position européenne a d'ailleurs conduit le gouvernement israélien à faire cesser de lui-même l'exportation de produits volaillers et laitiers en provenance des colonies.
Une révision des annexes de l'accord d'association est par ailleurs en cours d'adoption afin de tenir compte de l'entrée en vigueur de la convention régionale sur les règles d'origine préférentielles paneuro-méditerranéennes. Aux termes de celle-ci, pour que les tarifs douaniers préférentiels s'appliquent, l'origine des marchandises doit être établie.
Reste la question de la traçabilité des produits. L'arrêt Brita insiste sur le fait que les autorités israéliennes sont tenues, sur la base de l'accord d'association, de fournir des renseignements suffisants pour déterminer l'origine réelle des produits. Faute de réponse précise, les autorités douanières des États membres de l'Union européenne ne sont pas liées par l'affirmation selon laquelle les produits en cause bénéficient du traitement préférentiel réservé aux marchandises israéliennes. Il semble difficile d'aller au-delà de cette solution et des instruments mis en place dans le cadre de l'arrangement technique de 2005 et de l'avis de 2012, sauf à imaginer des équipes de contrôle sur place...
L'action concrète que la proposition de résolution préconise, relève en fait de l'échelon national, avec la demande d'un étiquetage précis : cela ne répond donc pas aux objectifs d'une proposition de résolution européenne.
Il y a lieu, par ailleurs, d'émettre de réelles objections sur l'exposé des motifs qui est à rebours du droit international en ce qui concerne les frontières de l'État d'Israël. La proposition est ainsi en contradiction avec la position constante et sans équivoque de l'Union européenne sur le sujet, rappelée à maintes occasions lors des réunions du Conseil et qui tend à s'incarner dans le droit dérivé, mais aussi dans la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.
Dans ces conditions, nous vous proposons de ne pas adopter la proposition de résolution européenne sur l'étiquetage des produits issus des colonies israéliennes.
M. Michel Billout. - Je vous remercie de reconnaître que le problème est réel. Cependant, vous me faites un mauvais procès sur les limites de l'État hébreu. J'avais demandé une rectification de la date de 1948 dans le bon à tirer, qui n'a pas été prise en compte. L'erreur ne figure pas dans le texte de la proposition de résolution, dénué de toute ambiguïté, mais seulement dans l'exposé des motifs, et j'ai demandé, à temps, une rectification.
Certains membres du groupe d'amitié France-Palestine, ont souhaité se joindre à moi pour cosigner cette proposition de résolution européenne. D'autres m'ont assuré de leur soutien, bien que leur groupe ne les ait pas autorisés à s'associer à la proposition, ce que je déplore.
Depuis des années, l'étiquetage des produits issus des colonies israéliennes en Palestine occupée fait débat en France mais également au niveau européen, donnant lieu à des discussions et des tergiversations au sein du Parlement européen. Toutefois, nous ne pouvons que nous satisfaire de l'avancée significative dans ce domaine enregistrée le 11 novembre dernier, avec la publication par l'Union européenne d'une notice interprétative sur l'origine des produits en provenance des territoires occupés par Israël. Ceci marque une étape importante dans le respect du droit international.
Si elles étaient pleinement appliquées, ces lignes directrices permettraient aux consommateurs européens de faire la distinction entre les produits qui proviennent de l'intérieur des frontières internationalement reconnues d'Israël et ceux provenant des colonies illégales, installées dans les territoires palestiniens occupés. On me parle de boycott ; mais si les consommateurs étaient mieux informés, les positions seraient plus nuancées que l'appel au boycott général des produits israéliens lancé par certaines associations, auquel je ne souscris pas.
Dans le même temps, plusieurs enseignes de la grande distribution, confrontées aux actions citoyennes, ont sollicité les pouvoirs publics à plusieurs reprises pour obtenir des instructions précises sur l'étiquetage des produits des colonies. Ces demandes n'ont jamais eu de réponse. Il est donc urgent pour le gouvernement de mettre en oeuvre les lignes directrices sur l'étiquetage différencié. Je regrette que le rapport n'ait pas abordé ce point.
Au-delà de cette application de la réglementation en vigueur, la France doit respecter et faire respecter le droit international humanitaire, conformément à l'article 1er de la convention de Genève de 1949. Elle doit se mettre en conformité avec ses obligations de ne pas reconnaître la légalité des colonies. En cohérence avec ses déclarations récurrentes sur la condamnation des colonies illégales, elle doit par conséquent prendre les mesures nécessaires pour qu'Israël mette fin à la colonisation.
Ainsi, l'obligation coutumière de ne pas reconnaître comme licite une situation illégale vise à interdire toute reconnaissance officielle d'une situation illégale et tout acte qui impliquerait une telle reconnaissance. Dans cette logique, l'Union européenne a adopté en juillet 2013 des lignes directrices excluant les colonies des « prix, instruments financiers ou subventions » financés par l'Union européenne. Ces lignes directrices visent « à garantir le respect des positions et des engagements adoptés par l'UE en conformité avec le droit international en ce qui concerne la non-reconnaissance par l'Union de la souveraineté d'Israël sur les territoires occupés ».
Ces lignes directrices ont été appliquées par l'Union européenne dans le cadre de sa politique de coopération scientifique : l'accord « horizon 2020 » conclu avec Israël exclut de ces financements les entreprises et universités israéliennes implantées au-delà des frontières de 1967. Des pays tels que l'Allemagne et les États-Unis ont déjà inscrit une clause de territorialité précise au sein des critères d'éligibilité de leurs entités nationales de coopération bilatérale scientifique : aucun projet mené dans les territoires placés sous autorité du gouvernement israélien après 1967 n'est soutenu par la GIF (Fondation germano-israélienne pour la recherche scientifique et le développement) en Allemagne, ni par la BSF (fondation scientifique américano-israélienne) aux États-Unis.
Cette démarche sur l'étiquetage des produits se pratique déjà dans certains pays. En effet, le Royaume-Uni, le Danemark et la Belgique ont déjà mis en oeuvre des codes de conduite proposant notamment aux distributeurs d'apposer une mention sur les produits issus des colonies précisant leur origine. Il aurait été souhaitable de procéder à une harmonisation au niveau de l'Union européenne, car ces dispositions sont difficiles à mettre en oeuvre et sont très largement contournées.
Apporter ces précisions sur l'étiquetage à destination des consommateurs ne devrait donc être en aucun cas une difficulté pour les importateurs, du fait de la relation privilégiée qu'ils entretiennent avec leurs fournisseurs. Et si tel n'était pas le cas, la majorité des informations concernant l'origine des produits se trouvent sur les documents douaniers. En outre, cette précision sur les documents douaniers est obligatoire afin d'être en règle avec les dispositions des accords UE-Israël et bénéficier des tarifs préférentiels.
L'origine précise des produits est donc déjà établie. Il n'est donc en aucun cas difficile de retranscrire cette information au consommateur. Il appartient à l'Union européenne et à la France de prendre les mesures nécessaires pour un étiquetage adéquat indiquant les différentes origines des produits : TPO, Israël.
L'objet de cette proposition de résolution européenne n'est ni plus ni moins de renforcer l'action de la Commission européenne dans ce domaine, car il y a une avancée et il me semble indispensable de l'encourager notamment au niveau national, par la mise en oeuvre de cet étiquetage.
Contrairement à ce qui est écrit dans le rapport, cette proposition de résolution européenne présente un véritable intérêt, celui de s'appuyer sur un texte européen, certes non contraignant pour les États membres mais invitant ces derniers à agir pour une pleine information du consommateur. Elle demande par conséquent au Gouvernement d'agir auprès de la Commission pour que cette dernière puisse continuer son travail dans ce sens, et même le renforcer afin que cette notice devienne une référence. Dans cette logique, nous invitons le gouvernement à mettre en oeuvre les préconisations de cette dernière au niveau national : cela répond bien aux motivations d'une proposition de résolution européenne.
C'est pourquoi je vous propose de voter cette résolution.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Je m'associe pleinement aux conclusions des rapporteurs.
La commission des affaires étrangères a entendu hier le ministre, M. Ayrault. La plus grande partie de son intervention a porté sur l'Union européenne.
M. André Gattolin. - Ça change !
M. Yves Pozzo di Borgo. - J'y ai vu des signes d'inquiétude vis-à-vis des défis que l'Europe rencontre, une confrontation nouvelle aux réalités. Nous avons une technocratie hors sol, ce qui est aussi vrai au niveau européen. Voyez la manière dont les Russes ont pris à partie la Commission et le Parlement européen, leur demandant pourquoi le développement de l'Otan s'était poursuivi après la chute de l'Union soviétique... En France comme à Bruxelles, une technocratie nous dirige. Les pères fondateurs voulaient une Commission européenne qui structure la dynamique européenne ; mais plus je vais à Bruxelles, plus le constat d'un véritable problème s'impose à moi. Voyez encore la décision de la Cour de justice de l'Union européenne en décembre dernier sur le Front Polisario, qui a tout bloqué alors que nous avons tant besoin du Maroc dans la lutte anti-terroriste... Le problème des Affaires étrangères, c'est désormais l'Europe.
M. Simon Sutour. - Je prends acte de la rectification de l'exposé des motifs demandée par M. Michel Billout, mais d'un point de vue juridique, nous devons nous prononcer sur le texte de la proposition de résolution tel qu'il est.
M. Michel Billout. - Le texte de la résolution elle-même est sans ambiguïté.
M. Simon Sutour. - Le texte invite le Gouvernement « à mettre en oeuvre un étiquetage précis à l'échelon national » : je ne m'y oppose pas sur le fond, mais il s'agit alors d'un problème national plutôt qu'européen. Page 16, notre rapport précise bien que « la mise en oeuvre de la législation douanière relève de la compétence des États membres ». En l'état, nous ne pouvons par conséquent que rejeter votre proposition de résolution européenne.
M. Jean Bizet, président. - La position de l'Union européenne sur les colonies israéliennes n'a jamais varié. La proposition de résolution qui nous est présentée se limite à saluer la communication interprétative de la Commission européenne ; de plus, l'étiquetage relève du droit national.
À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a conclu, par 12 voix contre 2 et 3 abstentions, au rejet de la proposition de résolution européenne.
Institutions européennes - Suivi des résolutions européennes, des avis motivés et des avis politiques : rapport d'information de M. Jean Bizet
M. Jean Bizet, président. - Le Sénat est traditionnellement attaché à contrôler les suites données à ses positions, par exemple en s'assurant de la bonne application des lois. Cette démarche doit aussi se retrouver en matière européenne. C'est l'objet du rapport d'information qui vous a été communiqué, auquel est annexé un tableau d'ensemble, et qui fait le point sur les résolutions européennes adoptées par le Sénat sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution et adressées au Gouvernement ; les avis politiques que notre commission envoie à la Commission européenne dans le cadre du dialogue politique ; et les avis motivés adoptés au titre de l'article 88-6 en vue du respect du principe de subsidiarité.
Entre le 1er octobre 2014 et le 11 février dernier, le Sénat a adopté dix-sept résolutions européennes, dont dix sont issues d'une proposition de résolution de notre commission et sept d'une initiative d'un ou plusieurs de nos collègues. Sept résolutions ont donné lieu à un rapport d'information de notre commission et dix à un rapport d'une commission législative. Huit ont également fait l'objet d'un avis politique adressé à la Commission et trois ont même été l'occasion d'un débat en séance publique. Quant aux avis motivés, le Sénat en a adoptés dix-huit depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. C'est une modalité de dialogue pertinente.
Les modalités de suivi des positions européennes du Sénat recouvrent une variété de méthodes qu'il convient de préserver pour les adapter aux enjeux des différents textes européens examinés. Il y a d'abord les fiches de suivi établies par le SGAE, qui sont le plus souvent très complètes et de grande qualité, mais qui sont généralement communiquées trop tardivement. Cela ne permet pas d'en tirer le meilleur parti. Surtout, et en dépit de nos critiques passées sur ce point, ces fiches continuent de ne concerner que des résolutions portant exclusivement sur des actes européens de nature législative. Elles laissent ainsi de côté les autres résolutions.
Mais il existe d'autres modalités de suivi. En particulier lorsque le sujet est d'une grande importance, nous mettons en place un groupe de travail, par exemple le groupe de suivi des négociations du TTIP. C'est aussi le cas des communications que nous présentent nos rapporteurs sur les évolutions intervenues sur tel ou tel texte à Bruxelles. Notre commission s'est livrée à cet exercice à six reprises depuis le 1er octobre 2014, y compris en présence du rapporteur du Parlement européen.
Pour ce qui concerne les avis politiques, notre commission en a adressés quinze à la Commission européenne depuis le 1er octobre 2014. Celle-ci y a répondu à neuf reprises, de façon aléatoire pour le respect du délai qui est en principe de trois mois. Les réponses apportées restent certes d'inégale qualité, mais gagnent indéniablement en intérêt. Elles ont également tendance, sans doute du fait du « rodage » de la procédure, à être transmises plus rapidement que par le passé. Cela permet de nourrir un dialogue extrêmement utile. J'ai particulièrement apprécié cette opportunité, même si l'on souhaiterait que la Commission européenne se montre plus réactive et pertinente dans ses réponses.
Le rapport démontre que les résolutions européennes du Sénat ont des conséquences directes sur les négociations qui conduisent à l'élaboration de la législation européenne et donc, du fait de la transposition des directives, sur la législation française. Nos résolutions constituent un instrument efficace dans l'établissement d'un véritable dialogue avec le pouvoir exécutif, même si ce dialogue demeure perfectible. De fait, les positions arrêtées par le Sénat ne restent pas lettre morte.
D'une façon quelque peu schématique, il est possible de classer les résolutions européennes du Sénat en trois catégories quant aux suites qu'elles ont reçues. Dans plus de la moitié des cas, nos résolutions ont été prises totalement ou très largement en compte au cours des négociations, voire dans le texte européen définitif. Je peux citer les médicaments vétérinaires, le règlement des différends dans le cadre du TTIP, le PNR européen, le « Plan Juncker », le paquet « mieux légiférer », la pêche au bar, les conséquences du TTIP pour l'agriculture et l'aménagement du territoire ou encore les importations de sucres.
Dans près de 30 % des cas, les positions du Sénat ont été partiellement suivies, par exemple sur le paquet « déchets », le programme de travail de la Commission pour 2015, la lutte contre le terrorisme, la stratégie européenne du numérique et le secteur laitier.
Enfin, le Sénat n'a pas obtenu satisfaction, tout au moins jusqu'à présent, dans seulement trois cas : la gouvernance mondiale de l'Internet, l'expression des parlements nationaux lors du renouvellement de la Commission européenne et l'union des marchés de capitaux. Sur ce dernier point, une évolution est peut-être en cours.
Vous le voyez, le bilan est très largement positif.
Il l'est moins pour ce qui concerne le contrôle du principe de subsidiarité. Certes, deux « cartons jaunes » ont pu être adoptés, le premier en 2012 sur le paquet « Monti II », que la Commission a retiré, et le second en 2013 sur le parquet européen, dont le texte a été maintenu. Toutefois, les réponses que la Commission adresse à nos avis motivés ne sont guère satisfaisantes : elles sont souvent tardives et la Commission campe sur ses positions, ce qui traduit, me semble-t-il, une certaine réserve de sa part sur ce dispositif. Cette appréciation est largement partagée par les autres parlements nationaux au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). Nous essayons de faire entendre la voix des parlements nationaux à la Commission européenne, qui a parfois l'oreille un peu dure...
Si le bilan est globalement très positif, le suivi de nos résolutions européennes pourrait être encore amélioré.
Mardi dernier, j'ai tenu une réunion pour évoquer des pistes envisageables en ce sens avec le SGAE qui s'est montré ouvert à plusieurs d'entre elles. Il pourrait nous adresser ses fiches de suivi, qui sont toutes validées par le cabinet du ministre concerné, avec plus de régularité de manière à ce qu'elles visent moins à dresser un bilan qu'à engager un dialogue. Ces fiches pourraient aussi être établies, non plus juste après l'accord politique sur un texte, ce qui en reporte l'échéance éventuellement fort loin, mais de façon intermédiaire pour faire un point sur l'évolution des négociations. Cela signifie davantage de travail pour le SGAE ; il n'est certainement pas aisé de faire régulièrement des points d'étape, mais il est important de rester dans le timing de la négociation. La réactivité est la condition de la pertinence de notre travail.
Alors que nous demandons depuis longtemps que ces fiches portent aussi sur des résolutions ne faisant pas l'objet d'un acte, le SGAE a évoqué une telle avancée, notamment lorsque notre résolution concerne des négociations internationales - je pense au TTIP ou à l'accord avec le Vietnam sur les importations de sucres.
De même, il serait souhaitable que nous puissions entendre régulièrement le secrétaire d'État aux affaires européennes sur ce sujet et auditionner le ministre concerné, le cas échéant en commun avec la commission permanente compétente, avant les réunions du Conseil abordant des questions ayant fait l'objet d'une résolution européenne.
Enfin, il me semble que le suivi de nos travaux doit aussi faciliter le bon déroulement de la transposition des directives, qui pèche quelque peu. À ce titre, je rappelle que le Conseil d'État avait publié une étude, l'année dernière, intitulée Directives européennes : anticiper pour mieux transposer, qui comporte des développements sur l'amélioration de l'information du Parlement tout au long de la négociation. Cette étude propose ainsi de réunir une fois par semestre, au niveau politique, un comité de liaison pour échanger sur la programmation des travaux législatifs de transposition, qui serait l'occasion d'un point sur les négociations en cours. Les rapporteurs des résolutions européennes auraient toute leur place dans cette enceinte et pourraient ainsi informer notre commission.
Des marges de progrès demeurent sur la finalisation des directives. Je prendrais l'exemple de notre position sur la consultation publique relative aux autorités nationales de la concurrence. Ce travail vise à influencer le plus en amont possible la rédaction d'un projet de texte par la Commission européenne. Nos amis anglo-saxons sont très actifs dans ce travail préalable ; les Allemands ont mis à profit un certain relâchement du côté anglais, dans la perspective du référendum, pour s'engouffrer dans la brèche. Ils influent directement, auprès des hauts fonctionnaires, sur la rédaction des directives. Ce n'est pas dans notre culture, ce qui est regrettable. Comme le dirait notre collègue Michel Raison, nous nous trouvons fort dépourvus quand la directive est venue !
M. André Gattolin. - Le tableau synthétique présenté dans le rapport comporte une colonne « fiche de suivi SGAE » ; la plupart des cases portent la mention « non ». Est-ce une question de délai ou de méthode ?
M. Jean Bizet, président. - C'est justement ce que nous dénonçons. Nous voulons davantage de fiches d'étape mais aussi des fiches de suivi sur des résolutions ne portant pas sur des projets d'acte. On en mesure tout l'intérêt au regard de nos travaux sur l'accord avec le Vietnam sur les importations de sucre et sur le TTIP.
M. André Gattolin. - En amont, les consultations ouvertes et publiques sont un instrument à mobiliser davantage. En France, elles sont difficiles d'accès sur les sites des ministères ; mais au niveau européen, on trouve toutes les consultations sur le site de la Commission européenne, dans la section « Votre point de vue sur l'Europe », classées par direction et par commission. On peut aussi s'abonner sur une thématique. La Commission européenne a ainsi ouvert une consultation sur le statut économique de la Chine à l'OMC. Le Bundesrat en assure un suivi très rapproché qu'il relaie auprès des Länder et des districts, facilitant ainsi l'implication institutionnelle des collectivités en amont de l'élaboration. Bien sûr, le lobbying sur place reste indispensable ; c'est d'ailleurs pourquoi je me félicite de l'importance que notre ministre des affaires étrangères accorde à l'Europe !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Votre rapport me conforte dans la conviction du rôle important de la commission des affaires européennes. J'ai pu constater hier, lors de l'audition de M. Ayrault par la commission des affaires étrangères, que nous avions su nous investir sur nombre de sujets. Le travail réalisé dans ce rapport d'information est très important pour l'image de notre commission. Il faut faire connaître notre action plus largement. À mes débuts, j'avais l'impression que nous n'utilisions pas assez les instruments à notre disposition. C'est désormais le cas, et notre travail devrait être davantage reconnu.
À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.
Nomination de rapporteurs
M. Jean Bizet, président. - Les négociations en vue de la réunification de Chypre semblent progresser. Je vous propose de confier à M. Didier Marie un rapport sur la question.
Notre groupe de travail Subsidiarité souhaite que la commission mène un travail approfondi sur deux sujets : les textes de la directive et du règlement marché d'instruments financiers (MiFID2/MiFIR), pour lesquels je vous propose de confier le rapport à MM Jean-Paul Emorine et Éric Bocquet, et la sécurisation de notre approvisionnement en gaz naturel et les accords passés par les États membres dans le domaine de l'énergie, que je me propose de rapporter en binôme avec M. Michel Delebarre.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est levée à 11 heures.