Jeudi 28 janvier 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 9 h 35.
Institutions européennes - Royaume-Uni et Union européenne - Rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de Mme Fabienne Keller
M. Jean Bizet, président. - Nous allons parler du Brexit avec Mme Keller, que j'ai accompagnée pendant 48 heures à Londres, où nous avons eu de nombreux échanges avec des membres des deux Chambres, des représentants des milieux économiques et des journalistes, ainsi qu'avec notre ambassadeur, Mme Bermann.
Mme Fabienne Keller. - Merci, cher Président, de m'avoir ouvert votre réseau en Grande-Bretagne, où nous avons été très bien reçus par votre homologue, Lord Boswell...
M. Jean Bizet, président. - ...of Aynho !
Mme Fabienne Keller. - L'ambiance de travail a été excellente. Les auditions et les entretiens que nous avons eus à Bruxelles et à Londres nous ont confortés dans la conviction que le Royaume-Uni et l'Union européenne travaillent avec sincérité et détermination à la recherche d'un compromis. Nous en avons également retiré la certitude qu'un accord serait prêt début février et qu'il serait débattu et sans doute adopté mi-février. Pour l'heure, ses contours restent flous. En principe, le 1er février, onze personnes qui négocient en secret cet accord - cinq pour le Royaume-Uni, six pour l'Union européenne, tous hauts fonctionnaires, conseillers spéciaux ou juristes - rendront un non paper, qui sera examiné dans les capitales européennes et qui fera l'objet d'un débat au Conseil européen des 18 et 19 février. Deux réunions auront été auparavant organisées, les 5 et 11 février, au niveau respectivement des sherpas et des ambassadeurs - pour nous, M. Philippe Léglise-Costa et M. Pierre Sellal. Le sentiment à Bruxelles est que l'accord donnera satisfaction aux deux parties et qu'il sera adopté.
Comme nous ne connaissons pas encore les termes du compromis, je vous propose que nous veillions aujourd'hui à ne pas ôter de la force à la négociation en cours. Nous sommes tous d'accord pour affirmer que nous souhaitons le maintien du Royaume-Uni dans l'Union. C'est la position du Gouvernement. C'est la nôtre. Reste à déterminer jusqu'où nous pourrons aller dans ce qui nous apparaît comme des concessions ou des exceptions. Il ne s'agit pas pour nous d'une option politique : nous ne souhaitons pas cet accord pour aider M. Cameron à calmer le jeu dans son propre parti ou face à une opinion majoritairement eurosceptique. Non, ce que nous souhaitons, c'est le succès du Royaume-Uni au sein de l'Union, et donc le succès de la négociation et celui du référendum.
Cette prise de position nous conduit naturellement à être très prudents. En effet, nous ignorons quasiment tout des progrès de la négociation et des solutions trouvées. Nous devons donc plus modestement, en tant que parlementaires nationaux, nous rappeler les limites juridiques au sein desquelles doit se faire la négociation. C'est le sens de la proposition de résolution européenne que nous vous soumettrons.
Le Royaume-Uni demande la non-discrimination entre les membres de la zone euro et les non-membres. La zone euro doit disposer des instruments de son intégration. Le Royaume-Uni le comprend, mais il exige que les intérêts de ceux qui n'ont pas adopté l'euro ne soient pas menacés par le renforcement inéluctable de la zone euro, ce qui ne manquerait pas de se produire si les règles européennes étaient élaborées seulement par et pour le bloc de la zone euro, qui est majoritaire. Il souhaite donc qu'il soit précisé que l'euro n'est pas la seule devise de l'Union européenne, et demande que la participation des États membres n'ayant pas adopté l'euro à toute action monétaire ou bancaire reste facultative. Enfin, il considère que le budget de l'Union ne doit jamais servir à la politique monétaire sans qu'il y ait compensation pour les pays hors de l'euro.
Sur ces demandes, nous émettons les plus grandes réserves : prendre acte officiellement du fait que plusieurs monnaies circulent au sein de l'Union est une façon de s'opposer au projet européen vers lequel tendent les traités, puisque l'euro a vocation à devenir la monnaie de tous les États membres. En outre, la mise en oeuvre d'un compromis pour protéger les intérêts de la minorité non-membre ne doit en aucun cas entraver la plus forte intégration de la zone euro, intégration absolument nécessaire au succès d'une monnaie unique, ni porter atteinte à l'autonomie de décision de la zone euro.
Le Royaume-Uni souhaite un marché unique des capitaux, un marché unique du numérique et un allègement des charges sur les entreprises afin d'assurer la compétitivité et le retour à la croissance.
Sur ce chapitre, la grande majorité des États membres sont prêts à lui emboîter le pas, et la demande britannique sera aisément acceptée en combinant le programme d'approfondissement du marché unique pour les capitaux, le numérique, l'énergie et les services, avec le projet d'intégration renforcée de la zone euro. Ce compromis prendrait acte de l'existant en l'améliorant, pour aboutir à un vaste marché intérieur approfondi au sein duquel on trouverait un sous-ensemble constitué d'une zone économique et monétaire enfin réalisée.
Le Royaume-Uni propose de mettre un terme à la désaffection qui entoure l'Union européenne et son projet en rétablissant la souveraineté des États membres et en renonçant aux mots « Union toujours plus étroite », qui conduiraient au fédéralisme, dont certains États ne veulent pas.
Ce principe étant l'un des principes fondateurs du projet européen, il semble inenvisageable d'y renoncer.
Le projet britannique consiste aussi à refonder la légitimité de l'action européenne en renforçant le rôle des parlements nationaux. Il donnerait à une majorité qualifiée - qui resterait à définir - de parlements nationaux la possibilité de repousser les projets législatifs émanant du Conseil ou de la Commission, ce qui constituerait un véritable « carton rouge ».
Devons-nous aller jusque-là et remettre en cause l'article 5 du Traité sur l'Union européenne, qui fixe le partage des compétences ?
Les traités précisent que l'action des parlements nationaux est assurée au moyen du contrôle de subsidiarité, sans qu'ils participent autrement à l'élaboration de la législation européenne. Si l'idée d'un veto semble exclue, il conviendrait sans doute de veiller à une meilleure association des parlements nationaux au processus de décision européen, notamment sous la forme d'un véritable droit d'initiative, qui serait une sorte de « carton vert ».
Le Royaume-Uni souhaite que le principe de subsidiarité soit appliqué strictement, c'est-à-dire que ne soit transféré au niveau européen que ce qu'il faut y transférer absolument. Il s'agirait d'un renversement copernicien puisqu'aujourd'hui, on commence par le projet d'intervention émanant de Bruxelles et on examine superficiellement s'il respecte le principe de subsidiarité. Dans la logique britannique, on ne doit transmettre à Bruxelles que ce que les États jugent ne pas pouvoir faire mieux eux-mêmes.
Nous estimons que les parlements nationaux peuvent parfaitement agir et veiller au respect d'un bon équilibre entre le niveau national et le niveau européen, en particulier en utilisant pleinement les outils que leur confèrent les traités. On voit mal comment aller à l'encontre de l'esprit des traités.
Enfin, bien qu'il soit favorable au principe de la libre circulation des personnes au sein de l'Union dans une économie ouverte, le Royaume-Uni considère que les pressions que le flux migratoire fait peser sur lui depuis 2004 sont devenues intolérables : le solde net migratoire annuel s'établissait à 336 000 personnes au 25 novembre 2015, et il s'élève en moyenne à 240 000 personnes depuis 2004. Pour limiter l'entrée de nouveaux candidats, le Premier ministre demande un aménagement du principe de libre circulation des personnes et estime qu'un délai de quatre ans doit être instauré avant que les travailleurs étrangers bénéficient des allocations liées à l'emploi, à savoir le complément de salaire sous forme d'impôt négatif, l'aide personnalisée au logement et les allocations familiales.
Si nous comprenons que la situation est très tendue dans les services publics britanniques et que les capacités d'accueil sont arrivées à saturation, nous jugeons de notre devoir de réaffirmer avec solennité les principes de libre circulation des personnes et d'égalité de traitement des travailleurs. Toutefois, il est sans doute possible d'adopter des mesures dans le cadre du droit dérivé, notamment en cas de circonstances exceptionnelles, mais la marge de manoeuvre ne saurait être que très étroite.
Il serait illusoire de penser que les réformes proposées par le Royaume-Uni, au cas où elles seraient adoptées, puissent passer par le mécanisme extrêmement lourd de la révision des traités. C'est pourquoi les juristes de l'Union recherchent un compromis qui exclut une modification des traités. Une fois le compromis trouvé et accepté, M. Cameron annoncera la date du référendum. Si tout se passe comme prévu, il devrait se tenir le 23 ou le 30 juin prochain. Il ne se présente pas sous de trop mauvais auspices, puisque M. Cameron prendra la tête de la campagne pour le maintien. Il apparaît comme l'homme de la situation. C'est un communicant clair et déterminé. Même s'il ne jouit pas d'une popularité personnelle exceptionnelle, il dispose d'une majorité silencieuse qui lui est acquise et d'un autre atout : l'opinion britannique est convaincue qu'il est à sa place et qu'il sait ce qu'il fait. Naturellement, il y a d'énormes risques politiques et conjoncturels.
Si le Parti conservateur, majoritairement eurosceptique, se rebelle officiellement et place à la tête de la campagne en faveur du Brexit une figure emblématique comme M. Johnson, maire de Londres, capable de faire contrepoids à M. Cameron, la situation deviendrait aussitôt plus difficile. L'autre risque politique majeur est la position de M. Corbyn, chef du Parti travailliste, qui ne fera pas une campagne très active pour le maintien. C'est pourquoi on songe à mettre en avant un travailliste plus classique ou plus charismatique, M. Johnson, mais nul ne peut dire si cela sera suffisant pour faire le plein des voix travaillistes en faveur de l'Europe.
Enfin, le résultat du référendum peut être influencé par la conjoncture et, plus particulièrement, comme nous l'ont dit nos interlocuteurs, par les conséquences d'une crise majeure qui impliquerait l'Union européenne, comme par exemple une nouvelle crise grecque, une nouvelle attaque terroriste, une nouvelle vague migratoire ou une reprise des hostilités en Ukraine. Bref, l'issue du référendum reste incertaine, malgré les assurances que nous ont données à Londres la presse et les instituts de sondage. Je vous présenterai une analyse plus fine des risques et des enjeux du référendum après la publication de la décision du Conseil européen.
M. Jean Bizet, président. - Le Conseil européen des 18 et 19 février dégagera les contours de la réponse que les Vingt-huit feront à M. Cameron. Nous aurons au Sénat un débat préalable à ce Conseil le mercredi 17 février à 17 h 30. En attendant, le Sénat devait exprimer sa position. Ces 48 heures à Londres m'ont aidé à me forger un avis, même si les Anglais ne sont pas toujours faciles à comprendre : un peuple jamais conquis, dans un pays jamais envahi...
M. Daniel Raoul. - Et les Romains ?
M. Jean-Yves Leconte. - Les Normands ?
M. Alain Richard. - Les Danois !
M. Jean Bizet, président. - Tout cela est très ancien ! Aujourd'hui, c'est un pays prospère, dont l'économie progresse.
M. Simon Sutour. - Nul ne sait ce qui va se passer : la voie est étroite. Les demandes de Londres ne peuvent être satisfaites par la Commission sans renier certains principes, ce qui ferait éclater l'Union, car d'autres pays ne manqueraient pas de suivre. Même un accord bien habillé peut ne satisfaire personne. L'euroscepticisme traverse tout le spectre politique, y compris le parti de M. Cameron. L'Establishment, que vous avez rencontré, souhaite rester dans l'Union européenne, car il est réaliste. Quant au peuple...
Le rapport est une chose, la proposition de résolution européenne (PPRE) en est une autre. Le premier est, à nos yeux, trop peu nuancé. Avez-vous rencontré, par exemple, M. Corbyn, dont vous dites en page 11 qu'il est « connu pour son hostilité à l'Union européenne qu'il juge trop libérale » ?
Mme Fabienne Keller. - Nous avons rencontré aussi bien des travaillistes favorables que des travaillistes hostiles au Brexit.
M. Simon Sutour. - Idem pour les conservateurs ?
Mme Fabienne Keller. - Oui, mais cette fois, contrairement à ce que nous avons fait lors de notre précédent déplacement, nous nous sommes concentrés sur ceux qui étaient favorables à la sortie de l'Union, pour comprendre leurs arguments.
M. Simon Sutour. - En tous cas, M. Corbyn n'est pas hostile à l'Union européenne. Dire cela, ou écrire que « ses positions ne sont guère éloignées de l'extrême-gauche », manque de mesure.
La proposition de résolution européenne, elle, nous convient, et nous la voterons. Je l'ai lue dans le détail : elle rejoint la position du Gouvernement français.
M. Éric Bocquet. - Merci pour ce point sur la situation. Si M. Corbyn est d'extrême-gauche, où suis-je ? Il est venu à Calais il y a quelques jours, ce qu'il n'aurait certes pas fait s'il était hostile à l'Union européenne.
Le renforcement du rôle des parlements me convient, tout comme l'égalité de traitement des salariés occupant le même emploi.
Le Royaume-Uni ne doit pas plus sortir de l'Union européenne que la France ne doit en sortir, ou sortir de la zone euro. Peut-on parler de cohésion dans l'Union européenne ? Sur le plan financier, sur le plan économique, dans la crise des migrants, la cohésion est remise en cause.
Le point n° 21 doit évoquer la nécessité de renforcer les outils de régulation et la transparence, vu le poids de la City. Le n° 22 appelle à « une Europe plus compétitive ». Oui, vive l'efficacité économique ! Mais il faut compléter les mots « une Europe plus compétitive » par les mots « dans le respect des règles d'une concurrence loyale et en se fixant l'objectif, à terme, de mettre fin à toute forme de dumping social ».
M. Yves Pozzo di Borgo. - L'Europe fait face à de gros défis. J'ai appris hier qu'à Davos, M. Biden a conseillé à M. Porochenko de ne pas faire voter par le Parlement les réformes prévues par les accords de Minsk, mais de les faire adopter par référendum, ce qui n'accélèrera pas la résolution de la crise. Le Brexit déstabiliserait l'Europe : prenons sa perspective comme une crise susceptible de faire avancer les choses. Merci à Mme Keller pour son rapport franc et direct, qui suscite le débat.
Le point n° 22, par exemple, est très bienvenu, car en France, en matière de chômage, les gouvernements de tous bords préfèrent s'attaquer aux symptômes plutôt qu'aux causes. Or il faudrait faire les réformes demandées par l'Europe, comme le rappelle ce point n° 22. L'absence de réforme pénalise tout le monde. Soyons révolutionnaires dans les réformes libérales ! Cela dit, je suis d'accord avec la suggestion de M. Bocquet.
M. Jean-Yves Leconte. - Si l'on annonce que l'objectif de la négociation est que la Grande-Bretagne rentre dans l'Union européenne...
M. Daniel Raoul. - Lapsus révélateur !
M. Jean-Yves Leconte. - De fait, c'est un peu une seconde négociation. Dès lors que l'autre partie tiendra un référendum à l'issue de la négociation, cela nous place en position de faiblesse. Calais est l'exemple-type : à l'échelle de la crise migratoire européenne, c'est assez peu, et l'Allemagne et la Suède sont plus attractives que le Royaume-Uni. Nous ne pouvons pas accepter de tout faire pour que la Grande-Bretagne reste. Celle-ci doit évoluer, aussi. Or, M. Cameron fait la tournée des capitales pour mobiliser autour de ses positions. Le gros risque serait que cette négociation ne soit que la première d'une vague à venir, car d'autres pays vont suivre ! Cela remettrait en cause le principe d'une Europe toujours plus approfondie, ce qui serait très gênant. On voit bien comment M. Cameron concentre ses efforts sur les pays d'Europe centrale non membres de la zone euro. Gare à l'effet d'entraînement de cette négociation !
M. Simon Sutour. - Aussi faut-il la réussir.
M. Richard Yung. - Pour moi, ce rapport est presque trop équilibré.
M. Simon Sutour. - On voit la solidarité de la commission des finances !
M. Richard Yung. - Notre attitude ne doit être ni bienveillante ni malveillante car nous, nous ne demandons rien. Dans les campagnes britanniques, il n'y a pas d'adhésion à l'Union européenne. L'Angleterre est une île de toutes parts entourée d'eau... Ils n'en veulent pas ! Comme en France, l'Establishment est coupé de l'opinion majoritaire. Sans doute, il serait préférable que le Royaume-Uni reste dans l'Union, mais son départ, en mettant au jour l'affrontement de deux conceptions fondamentales n'ouvrirait-il pas une crise salutaire ? Or je connais bien les négociateurs, je connais bien Bruxelles, et je crains qu'il ne sorte de tout cela un texte wishy washy, que nous ne saurons comment appréhender.
Nous ne voulons pas que le Royaume-Uni participe à la gouvernance de la zone euro : nous ne participons pas à celle de la City ! Sur l'union des marchés de capitaux, le commissaire Hill n'a rien proposé de mieux qu'un peu de titrisation et la révision des prospectus. Sur l'énergie, je n'ai pas souvenir qu'ils aient jamais partagé leur pétrole ou leur gaz avec nous. Bref, les Anglais ont une conception bien à eux du marché commun. M. Pozzo di Borgo nous exhorte à être révolutionnaires dans des réformes libérales : voilà ce que font les Anglais.
Oui, sur le rôle des parlements nationaux, nous pouvons mieux faire, mais je refuse de leur donner un droit de veto sur les décisions européennes. Donc, attendons et affirmons notre projet.
M. André Gattolin. - En effet, nous devons nous interroger sur nos visions respectives de l'Europe. La France a longtemps espéré une défense européenne et a perdu dix ans à tenter de la construire avec les Britanniques. Résultat : impossible de définir un champ commun.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Ce n'est pas vrai, comme le montre un rapport récent à la commission des affaires étrangères et de la défense.
M. André Gattolin. - Parlez avec les militaires ! Heureusement que nous passons des accords avec les Tchèques ou les Danois, qui sont avec nous sur le terrain.
Avez-vous vu Mme Sylvie Bermann, ambassadeur de France au Royaume-Uni ?
M. Jean Bizet, président. - Oui. Et nous l'auditionnerons le 3 février avec la commission des affaires étrangères.
M. André Gattolin. - Lui avez-vous demandé ce qu'elle a pensé de Newcastle et de Birmingham ? Elle m'a dit que c'était un autre monde... Dans votre analyse des forces politiques, vous indiquez que M. Johnson pourrait prendre la tête des eurosceptiques. Envoyé à Londres par le ministère des affaires étrangères pour préparer la COP21, je m'étais vu répondre qu'il était extrêmement climato-sceptique : deux jours plus tard, il annonçait qu'il viendrait à Paris... N'oublions pas que le Greater London compte aussi la City.
Au point n° 6 de la proposition de résolution, il faudrait remplacer le mot « après » par « depuis ». Le point n° 7, qui vise les menaces extérieures, me semble redondant avec le point n° 8. Le point n° 18 évoque le rôle des parlements nationaux. Nous avons voté la semaine passée une proposition de résolution sur ce sujet. Supprimons les mots « dans le respect des prérogatives déjà reconnues à la Commission et au Parlement européen par les traités ». Le point n° 20, qui évoque le droit dérivé, me gêne beaucoup : ne sur-interprétons pas le droit existant, les exceptions prévues aux accords de Schengen ne sauraient s'appliquer à la crise migratoire actuelle.
M. Claude Kern. - Sur le principe de libre circulation, je suis tout à fait d'accord avec Mme Keller : nous ne pouvons être favorables aux suggestions de M. Cameron. Au point n° 20, je serais plus affirmatif en remplaçant « peuvent » par « doivent ».
M. Simon Sutour. - Une proposition de résolution européenne n'a pas vocation à exprimer le point de vue de chacun. À mes yeux, ce texte est équilibré. Ne commençons pas à le détricoter.
M. Jean Bizet, président. - J'allais le dire. Déjà, la rédaction qui vous est soumise représente un point d'équilibre.
M. Daniel Raoul. - Ce rapport est personnel, et sa présentation l'était encore plus ! Il serait intéressant d'établir un tableau recensant les avantages et les risques du Brexit, et les différents aspects des deux conceptions de l'Europe en jeu.
Au point n° 22, nous devrions compléter les mots « une Europe plus compétitive » par les mots « dans le cadre d'une harmonisation fiscale et sociale » : « compétitive » seul ne suffit pas.
M. Didier Marie. - Vous êtes assez optimiste sur l'issue du référendum. Je suis plus circonspect. Nous savons bien que les électeurs ne répondent pas toujours à la question posée. Or, la situation en Angleterre n'est pas si florissante. M. Cameron, quelles que soient ses qualités, est assez peu soutenu par la population. Le contexte politique n'est donc pas si favorable. Puis, on connaît l'attitude des insulaires britanniques à l'égard de l'Europe.
Plusieurs des demandes britanniques sont totalement inacceptables. Ils cherchent à imposer leur vision de la construction européenne, qui est celle d'un marché de libre-échange sans contraintes, sans approfondissement social et sans harmonisation fiscale, afin que leur monnaie, forte, et leur marché de capitaux, puissant, en tirent un maximum de bénéfices. Ce n'est pas notre conception. M. Cameron joue à l'apprenti-sorcier : il cherche à obtenir des gains pour son pays au sein de l'Union européenne en brandissant la perspective d'un Brexit, comptant sur le fait que sa population votera contre la sortie de l'Union, mais le risque d'un vote favorable à la sortie est bien réel.
La formulation du point n° 15 est très diplomatique. En fait, nous refusons qu'un État qui n'est pas membre de la zone euro ait un droit de regard sur le fonctionnement de la zone euro. Le point n° 18 est un peu trop ouvert : les parlements nationaux disposent déjà de tous les outils nécessaires.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Non !
M. Didier Marie. - Le modèle européen que nous voulons ne se résume pas à la compétitivité et à la croissance, c'est aussi un modèle social : il faut le dire.
M. Pascal Allizard. - Beaucoup a déjà été dit. Oui, M. Cameron joue avec le feu : quoi qu'en pensent les technocrates bruxellois, l'issue du référendum est loin d'être certaine. De fait, il serait utile de disposer d'une analyse des risques du Brexit, en particulier pour la France. Il faut y regarder de près. La compétitivité, pourquoi pas ? Mais nous devons mentionner l'harmonisation fiscale et sociale.
M. Jean Bizet, président. - Tant qu'on ne connaît pas la teneur du non paper, il est difficile de savoir dans quel sens la négociation peut évoluer. Pour autant, il est important que le Sénat s'exprime d'ores et déjà pour envoyer un message clair à partir des demandes britanniques. Cela dit, nous ne souhaitons pas gêner le Gouvernement dans cette négociation ; or, nous avons du mal à connaître ses intentions...
Oui, M. Cameron joue avec le feu. Il voulait gagner les élections législatives. Avait-il besoin de se servir de l'Europe pour cela ? Le résultat permet d'en douter. Ce référendum est dangereux. Il devrait maintenir la Grande-Bretagne dans l'Union, mais comment réagira le maire de Londres ? Lord Boswell nous a dit qu'il s'agirait de la première consultation du peuple anglais sur la question depuis 1975. Cela pourra donc re-légitimer l'appartenance de la Grande-Bretagne à l'Union européenne. Pour l'heure, le débat a lieu au sein de l'intelligentsia : le peuple ne se l'est pas encore approprié. Les présidents d'universités nous ont toutefois affirmé que la jeunesse tout entière était favorable au maintien de la Grande-Bretagne dans l'Union européenne. Voilà qui fait plaisir !
Je rappelle que, conformément au règlement, cette proposition de résolution sera renvoyée à la commission des affaires étrangères et de la défense.
Mme Fabienne Keller. - La Grande-Bretagne est peut-être une île, mais elle est au coeur de nos discussions !
Nous n'avons pas choisi le cadre de ce débat, ouvert il y a trois ans lors du discours de Bloomberg, où M. Cameron a proposé aux eurosceptiques une renégociation avec Bruxelles, suivie d'un référendum - qui pourra en effet re-légitimer la présence de la Grande-Bretagne à l'intérieur de l'Union européenne.
Le processus comporte donc deux phases : une négociation, puis un référendum sur les résultats de cette négociation. Un État-membre négocie avec tous les autres : cette démarche est suivie avec intérêt par beaucoup de pays européens, et son résultat ne serait sans doute guère différent aux Pays-Bas, en Hongrie...
M. Daniel Raoul. - Ou en France !
Mme Fabienne Keller. - Les mouvements populistes se développent dans ces pays et tiennent un discours antieuropéen.
Le rapport reflète moins mes avis personnels que ceux de nos interlocuteurs. Chez les travaillistes, nous avons rencontré en particulier Mme Patricia Glass, qui a récemment succédé à M. Pat McFadden comme shadow minister for Europe, ainsi que Mme Kate Hoey et M. Kelvin Hopkins, figures enthousiastes du Labour for Britain et donc favorables à la sortie. Cela nous a inquiétés, car le parti travailliste était traditionnellement favorable à la construction européenne.
En effet, cette proposition de résolution intervient dans un débat hautement diplomatique, qui demeure confidentiel. Son objectif est simplement de fixer notre position dans cette négociation, qui comporte quatre chapitres.
M. Simon Sutour. - Quelles modifications nous proposez-vous ?
Mme Fabienne Keller. - Le point n° 20 réaffirme les principes fondamentaux de la libre circulation et la nécessaire égalité de traitement des salariés occupant un même emploi. Les Britanniques n'ont pas de problème de travailleurs détachés. Pour les plus bas salaires, un complément de revenu est versé dès la première heure travaillée.
M. Jean Bizet, président. - Au point n° 6, nous pouvons remplacer le mot « après » par le mot « depuis ».
Mme Fabienne Keller. - Le point n° 7 sur les menaces extérieures est important. Il doit être maintenu. Les Britanniques ont été les premiers à réagir après le Bataclan : M. Cameron est venu.
M. Jean Bizet, président. - Au point n° 20, nous remplaçons le mot « peuvent » par le mot « doivent ». Au point n° 22, nous ajoutons les mots « dans le cadre d'une convergence fiscale et sociale » après les mots « plus compétitive ».
Mme Fabienne Keller. - Attention à ne pas ouvrir la porte à la mise en place d'un corpus législatif d'exceptions à la libre circulation. Si nous nous plaçons dans la négociation...
M. Yves Pozzo di Borgo. - Nous n'y sommes pas !
Mme Fabienne Keller. - Nous ne devons pas inciter les négociateurs à modifier le principe de libre circulation.
M. Jean Bizet, président. - Au point n° 21, nous ajoutons les mots « souligne l'importance d'outils de régulation et de transparence efficaces ». Nous ne voulons pas gêner le Gouvernement dans la négociation mais envoyer un message.
Mme Fabienne Keller. - Il s'agit d'une négociation intermédiaire. La vraie question se posera lorsque nous connaîtrons les enjeux du référendum. Nous présenterons alors les avantages et les inconvénients du Brexit.
M. Daniel Raoul. - Les derniers mots de la proposition de résolution sont : « au maintien du modèle économique et social de l'union. » Quel est ce modèle ?
Mme Fabienne Keller. - Nous citons le traité. Cette proposition de résolution conforte la position française en rappelant des principes qui figurent déjà dans les traités.
À l'issue de ce débat, la commission adopte, à l'unanimité, le texte de la proposition de résolution européenne dans la rédaction issue de ses travaux, ainsi qu'un avis politique qui en reprend les termes et qui sera transmis à la Commission européenne.
M. Jean Bizet, président. - Je rappelle que nous recevrons Mme Sylvie Bermann, ambassadeur de France au Royaume-Uni, conjointement avec la commission des affaires étrangères et de la défense, le mercredi 3 février à 11 h.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Pourquoi cette proposition de résolution doit-elle être soumise à la commission des affaires étrangères et de la défense ?
M. Simon Sutour. - C'est surprenant.
M. Jean Bizet, président. - C'est le règlement. Toutes les propositions de résolution européennes doivent être examinées par une commission permanente, qui a un mois pour se prononcer.
Questions diverses
M. Jean Bizet, président. - La proposition de résolution européenne de M. Billout sur les conséquences du traité transatlantique pour l'agriculture et l'aménagement du territoire sera examinée le jeudi 4 février. Comme nous en sommes convenus en réunion de bureau, je vous propose que la commission décide, comme le lui permet le règlement en son article 73 quinquies, d'exercer les compétences attribuées aux commissions saisies pour avis. M. Bonnecarrère, co-rapporteur du texte avec M. Raoul, pourrait être chargé de présenter la position de la commission en séance publique.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est levée à 10 h 55.