- Jeudi 21 janvier 2016
- Environnement - Paquet « Économie circulaire » - Examen du rapport et proposition de résolution européenne portant avis motivé de MM. Michel Delebarre et Claude Kern
- Institutions européennes - Programme de travail de la Commission européenne : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Jean Bizet et Simon Sutour
- Institutions européennes - Présidence néerlandaise de l'Union européenne 2016 - Audition de M. Ed Kronenburg, ambassadeur des Pays-Bas en France
- Nomination de rapporteurs
Jeudi 21 janvier 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président. -La réunion est ouverte à 8h30.
Environnement - Paquet « Économie circulaire » - Examen du rapport et proposition de résolution européenne portant avis motivé de MM. Michel Delebarre et Claude Kern
M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle en premier lieu l'examen du projet de résolution européenne portant avis motivé de nos collègues Michel Delebarre et Claude Kern sur le paquet « Économie circulaire » présenté par la Commission européenne.
Lors de sa réunion du 14 janvier, le groupe de travail « subsidiarité » a considéré que ces textes pouvaient présenter des difficultés au regard du respect de la subsidiarité.
Je remercie nos deux collègues de s'être mobilisés très vite pour examiner la question. Le Protocole 2 ne laisse aux parlements nationaux que huit semaines pour se prononcer et notre avis motivé sera ensuite adressé à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, comme le prévoit le règlement du Sénat.
M. Michel Delebarre. - Le 9 décembre 2014, le Sénat adoptait une proposition de résolution de notre commission sur le premier paquet « Économie circulaire », un ensemble de propositions formulées par la Commission européenne.
Je me bornerai aujourd'hui à rappeler trois des observations qui y figuraient : l'utilité d'un pas vers l'économie circulaire, qui doit permettre une croissance plus économe en matières premières non renouvelables ; la nécessité de prendre en compte les contraintes subies par les collectivités territoriales ; enfin les réserves motivées par un recours important aux actes délégués.
Depuis, le contexte a subi trois évolutions majeures : la nouvelle Commission européenne a retiré le premier paquet « Économie circulaire » ; ensuite, le Parlement français a adopté la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ; enfin, la Commission européenne a présenté le 2 décembre un ensemble de mesures dénommées « Boucler la boucle - Un plan d'action de l'UE pour l'économie circulaire ».
Avec Claude Kern, nous avons examiné les propositions récentes venant de Bruxelles. L'avis motivé que nous vous soumettons aujourd'hui prend en compte l'évolution induite par la loi sur la transition énergétique, dont le titre IV est consacré à l'économie circulaire. Pour les collectivités territoriales, les dispositions proposées par la Commission européenne s'ajoutent à celles déjà inscrites dans notre droit interne depuis bientôt six mois.
En pratique, la seule disposition normative directement européenne susceptible de toucher les collectivités territoriales françaises concerne la mise à la décharge des déchets municipaux qui sera plafonnée à 10 % du poids total de ces déchets à l'horizon 2030. La loi française adoptée en août 2015 est quelque peu différente, puisqu'elle impose que les déchets municipaux non dangereux non inertes admis en installations de stockage diminuent de 30 % à l'horizon 2020 et de 50 % en 2025 par rapport aux constatations de 2010.
J'ajoute que la loi de transition énergétique est plus complète dans son approche de l'économie circulaire, notamment parce qu'elle utilise la commande publique pour stimuler le recyclage, via l'obligation faite à l'État, aux collectivités territoriales et leurs groupements d'utiliser du papier bureautique partiellement recyclé. De même, les matériaux utilisés dans les chantiers publics de construction routiers devront largement provenir de déchets, à concurrence de 60 % à partir de 2020.
A priori, cet ensemble aux ambitions relativement réduites aurait pu ne soulever aucune objection fondée sur le principe de subsidiarité. De fait, l'avis motivé ne mentionne pas la proposition de directive relative aux véhicules hors d'usage, aux piles et accumulateurs, aux déchets d'équipements électriques et électroniques. En revanche, les trois autres propositions de directive nous ont paru justifier l'avis motivé.
M. Claude Kern. - L'avis motivé critique le recours à des actes délégués et à des actes d'exécution portant sur des dispositions substantielles des propositions de directive.
Ni les actes délégués, ni les actes d'exécution ne sont soumis aux parlements nationaux pour contrôle de subsidiarité et de proportionnalité. Par suite, il importe que ces actes ne soient pas susceptibles de porter atteinte à ces mêmes principes de subsidiarité et de proportionnalité. Nous ne pouvons évidemment pas exclure que la Commission européenne respecte irréprochablement ces deux principes. Mais, si les thèmes concernés sont substantiels, il serait trop tard pour invoquer la subsidiarité dans l'hypothèse où elle ne serait pas respectée.
Cette contrainte institutionnelle nous conduit à proposer aujourd'hui un avis motivé fondé en premier lieu sur le recours à des actes délégués portant sur des dispositions substantielles. Ce n'est pas un procès d'intention intenté à la Commission européenne, mais une précaution rédactionnelle salutaire.
La deuxième raison mentionnée concerne l'établissement par la Commission européenne de lignes directrices interprétant les termes « valorisation » et « élimination » des déchets. Nous sommes là au coeur du sujet ! L'économie circulaire ne se limite pas au traitement des déchets, loin de là, mais les propositions de directive dont nous parlons aujourd'hui portent précisément sur ce thème. La valorisation et l'élimination ne peuvent donc être considérées comme de simples notions techniques, ni des précisions juridiques accessoires. C'est pourquoi vos rapporteurs proposent de mentionner ces lignes directrices dans l'avis motivé. L'esprit de cette objection est comparable à celui qui a justifié la mention des actes délégués ou d'exécution sur des aspects importants.
Troisième point : le rapport d'alerte établi par la Commission européenne en cas de manquement d'un État membre aux objectifs poursuivis par les projets de directive. Sur le plan des principes, la faculté d'établir un rapport d'alerte ne soulève pas d'objections, à condition que la portée du document soit clairement délimitée.
En effet, le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne a institué une procédure applicable face à un manquement commis par un État membre. Vient d'abord une phase précontentieuse marquée par un échange d'observations entre la Commission européenne et l'État membre concerné. Si le désaccord persiste, la Commission peut émettre un avis motivé, accompagné éventuellement d'injonctions. Lorsque ces dernières ne sont pas intégralement appliquées, la Commission a la faculté de saisir la Cour de justice de l'Union européenne. La décision appartient aux juges.
Or, la rédaction floue du paquet « Économie circulaire » pourrait ouvrir la voie à une sorte de procédure parallèle. Pour l'éviter, il convient d'encadrer le rapport d'alerte, afin que les recommandations éventuelles de la Commission européenne restent indicatives et pour préserver le rôle dévolu à la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que les compétences attribuées aux États membres, comme la fiscalité.
M. Jean Bizet, président. - C'est un sujet fondamental pour l'avenir. La gestion des déchets, qui présente des coûts importants, peut induire une concurrence déloyale entre États membres.
M. Simon Sutour. - Les propositions de directive en question ont recours aux actes délégués et aux actes d'exécution. Au nom du principe de subsidiarité, l'avis demande à la Commission européenne d'écarter ces projets. J'insiste sur les actes délégués et d'exécution, qui ont fait l'objet, en janvier 2014, d'un rapport que j'avais rédigé au nom de notre commission. Je vous en recommande la lecture !
M. Jean Bizet, président. - Nous avons en effet déjà exploré la question. À travers les actes délégués et les actes d'exécution, la Commission européenne tend à reprendre la main, au détriment du cadre défini par le traité de Lisbonne qui met l'accent sur le rôle des parlements nationaux. Soyons vigilants, car c'est à cause de ce type de dérives que l'Europe n'est pas toujours bien perçue par nos concitoyens. Nous voulons non pas plus d'Europe, mais une meilleure Europe.
M. Michel Delebarre. - Une dernière remarque : au lieu de multiplier les propositions de résolution qui risqueraient de lasser la commission, je propose que nous prévoyions une intervention par an pour faire le point sur cette question.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne portant avis motivé.
Institutions européennes - Programme de travail de la Commission européenne : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Jean Bizet et Simon Sutour
M. Simon Sutour. - L'instauration d'un point annuel sur le programme de travail de notre commission est, au point de vue de la méthode, une excellente initiative. La fin du mandat de la commission Barroso a été particulièrement brouillonne, avec une avalanche de textes dont beaucoup n'ont pas abouti. Le programme de la commission Juncker s'annonce plus concentré sur des sujets d'importance.
L'objectif cette année est double : vérifier que la Commission européenne poursuit l'ambition affichée lors de son entrée en fonction de concentrer son action sur dix priorités et limiter ainsi toute inflation législative ; effectuer ensuite une analyse des choix de la Commission européenne et proposer d'éventuels compléments. Ce faisant, nous continuons à oeuvrer en faveur du renforcement du dialogue politique entre les parlements nationaux et la Commission européenne. « L'Union du changement démocratique » mise en avant par Jean-Claude Juncker lors de son élection en juillet 2014 passe par là.
S'agissant du premier objectif, nous avons constaté que la Commission européenne entendait poursuivre en 2016 l'effort de rationalisation de son activité qu'elle a entrepris depuis son entrée en fonction. Le programme de travail pour 2016 comprend ainsi 23 nouvelles initiatives et 20 retraits ou modifications de texte. Le nombre de propositions est identique à celui contenu dans le programme de travail pour 2015. Rappelons qu'à l'époque de José Manuel Barroso, 80 initiatives législatives étaient annoncées chaque année. Le nombre de retraits ou modifications s'inscrit également dans la lignée de l'exercice précédent, où 22 textes d'importance avaient été supprimés - alors que les retraits étaient extrêmement rares sous le mandat Barroso. Le programme Refit, destiné à évaluer l'impact de la législation actuelle, sera, quant à lui, concentré sur 27 textes. L'ambition politique du programme de travail est, par ailleurs, affichée avec un titre évocateur : « L'heure n'est plus à une gestion conventionnelle », dans la lignée de celui de 2015 intitulé « Un nouvel élan ».
Il convient de saluer cette démarche qui favorise une meilleure lisibilité de l'action de l'Union européenne. Elle facilite aussi un partage des rôles plus efficace et plus visible entre les États membres et la Commission européenne. La Commission européenne poursuit en tout cas sa volonté de réduire le nombre de propositions législatives et de se tourner davantage vers l'« application coopérative » de l'acquis sur le terrain. Elle estime, en effet, qu'un « point de saturation législative » a été atteint.
Comme l'an dernier, la Commission européenne relie ses nouvelles initiatives, qu'elles soient législatives ou non législatives, à six des dix priorités qu'elle a définies lors de sa nomination en novembre 2014 : emploi, croissance et investissement ; marché intérieur ; Union économique et monétaire ; politique migratoire ; relations internationales ; et enfin cadre institutionnel. Elle entend, dans le même temps, poursuivre les stratégies entamées en 2015 dans quatre autres domaines : commerce, marché unique numérique, justice et droits fondamentaux et énergie.
En ce qui concerne l'emploi, la croissance et l'investissement, la Commission entend promouvoir l'investissement dans le capital humain tout au long de la vie, favoriser la reconnaissance mutuelle des qualifications ou soutenir la formation professionnelle. Dans le même temps, la Commission souhaite mieux garantir l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle en proposant des mesures législatives concernant les parents qui travaillent.
Au sujet de l'Union de l'énergie, dont elle a défini le cadre en 2015, la Commission européenne entend proposer des textes relatifs à l'organisation du marché de l'électricité et à la sécurité de l'approvisionnement.
Le marché intérieur fera l'objet de plusieurs initiatives destinées notamment à l'approfondir et à renforcer sa base industrielle, en particulier dans le domaine de la défense et de l'espace. Cette ambition se traduit par la mise en oeuvre d'une stratégie visant notamment l'aide aux PME et aux jeunes entreprises ainsi que les professions réglementées ou l'économie dite « collaborative ». Annoncé en 2015, le paquet « mobilité des travailleurs » sera finalement présenté en 2016. Il serait composé d'une communication sur la mobilité de la main d'oeuvre, d'une révision ciblée de la directive sur le détachement des travailleurs des règlements sur la coordination de la sécurité sociale.
M. Daniel Raoul. - Enfin !
M. Simon Sutour. - Notre proposition de résolution européenne va plus loin dans ce sens.
L'approfondissement de l'Union économique et monétaire devrait passer par la mise en oeuvre du système européen de garantie des dépôts et la mise en place d'un pilier de droits sociaux.
La question de la sécurité sera également traitée via des règles améliorées sur les armes à feu et la lutte contre la fraude et la contrefaçon des moyens de paiement autres que les espèces. L'autre question d'actualité, celle de la crise des migrants, sera traitée au travers de plusieurs textes. La Commission souhaite une révision du système de Dublin en matière d'asile et la mise en place d'un système structuré en matière de réinstallation des réfugiés. Elle entend, dans le même temps, avancer vers la création d'un corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes, en s'appuyant sur une agence Frontex renforcée.
Sur ces deux sujets, il semble que la Commission ait anticipé la mise en oeuvre de son programme avec la publication de plusieurs textes fin 2015 : en l'espèce, l'urgence de la situation le justifie pleinement.
Le retrait ou la modification de vingt propositions législatives d'ici au mois d'avril 2016 devrait présenter moins de difficultés politiques qu'au cours de l'exercice 2015, où le stock était important. Les retraits avaient alors cristallisé l'opposition de plusieurs groupes politiques au sein du Parlement européen, qui dénonçaient un manque de concertation avec la Commission européenne.
Rappelons tout d'abord que le principe du retrait a été légitimé par un arrêt de la Cour de justice d'avril 2015. Les motifs justifiant ce retrait doivent être suffisamment expliqués aux organes législatifs et étayés, en cas de contestation, par des éléments convaincants. Nous avions souhaité en octobre dernier que cette jurisprudence soit intégrée au projet d'accord interinstitutionnel « Mieux légiférer ». Nous l'avions exprimé dans un avis politique adressé à la Commission. Le compromis trouvé à la fin de l'année va dans ce sens. Nous pouvons nous en féliciter : notre travail n'a pas été vain. Cependant, la modestie reste de mise puisque notre position n'est que celle de l'un des 28 pays de l'Union.
Trois retraits ou modifications dans le programme de travail pour 2016 méritent une attention particulière : ils concernent la protection des frontières extérieures, la fiscalité et la représentation extérieure de la zone euro.
Le paquet « Frontières intelligentes » de 2013 sera ainsi modifié pour tenir compte des propositions issues de l'Agenda européen en matière de migration présenté en mai 2015. Présentées le 15 décembre, elles se traduisent par un renforcement des moyens et des missions de Frontex tel que nous l'appelons de nos voeux depuis des mois.
En ce qui concerne la fiscalité, le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis) de mars 2011 est retiré au profit d'une approche par étapes, présentée par la Commission européenne en juin 2015. Nous avions au sein de cette commission exprimé des doutes sur le dispositif initial. Force est de constater que la proposition de la Commission est aujourd'hui plus aboutie. Le système ne sera plus optionnel, ce qui devrait constituer un progrès appréciable vers l'harmonisation fiscale et l'établissement d'une concurrence fiscale plus loyale. À titre d'exemple, les entreprises préfèrent s'installer en Irlande qu'en France, puisque l'Irlande bénéficie en matière fiscale de tous les avantages de l'Union européenne. En octobre 2013, nous avions contesté, au nom de la subsidiarité, un projet d'harmonisation des déclarations de TVA qui nous semblait peu à même de renforcer le contrôle. La nouvelle Commission nous a, semble-t-il, entendus puisqu'elle retire ce texte.
S'agissant de la représentation extérieure de la zone euro, un nouveau texte a été présenté à la fin de l'année suite à la publication du rapport des cinq présidents. Rappelons par principe que tout nouveau partage de souveraineté doit être corrélé à l'avancement de la réflexion sur la capacité budgétaire dont pourrait être dotée la zone et au renforcement de sa légitimité démocratique.
M. Jean Bizet, président. - Comme l'an dernier, nous souhaitons en effet indiquer au gouvernement, par le biais d'une proposition de résolution européenne, les domaines du programme de travail dans lesquels la Commission européenne devrait préciser ses intentions ou approfondir son action. Six champs ont été identifiés : l'Union de l'énergie ; la révision de la directive sur le détachement des travailleurs ; le renforcement de la zone euro ; l'approfondissement du marché unique ; la coopération en matière de protection des frontières extérieures ; et enfin la lutte contre le terrorisme.
L'intention affichée par la Commission européenne de proposer de nouveaux textes sur l'organisation du marché de l'électricité et la sécurité de l'approvisionnement devrait poser les fondements d'une Union de l'énergie, qu'il convient de soutenir et d'encourager ; pour autant, toute avancée dans ce domaine doit répondre à plusieurs conditions. Ainsi, toute réflexion sur l'organisation du marché de l'énergie doit être conduite dans l'objectif d'une limitation des coûts. De façon plus générale, toute intervention de l'Union européenne doit être traitée sans préjudice de la compétence reconnue à chaque État membre de déterminer le mix énergétique sur son territoire. La France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et d'autres ont faire leurs propres choix ; une convergence est souhaitable, mais d'une manière qui ne provoque pas de crispations au sein des populations des États membres et dans le respect du mix énergétique national. Tout texte doit, de fait, respecter scrupuleusement la répartition des compétences entre l'échelon de l'Union et l'échelon national, telle qu'elle résulte du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. L'intervention de la Commission européenne ne doit pas dissuader les États membres qui souhaitent coordonner leurs politiques énergétiques de mettre en place une coopération renforcée et promouvoir des projets industriels comme Nord-Stream 2. Je suis attaché au concept de coopération renforcée ; à 28, il est difficile de marcher du même pas. Ce ne serait pas une Europe à plusieurs vitesses, mais une Europe où les plus agiles peuvent s'engager sur un projet et susciter un effet d'émulation. Ajoutons, concernant le projet Nord-Stream, que le gaz est plus vertueux.
M. André Gattolin. - Du gaz russe !
M. Jean Bizet, président. - À ma connaissance, le gaz russe a la même composition chimique que le gaz algérien... Ces projets sont porteurs d'enjeux géopolitiques. L'Union ne peut pas évoluer dans un contexte de crispation avec son grand voisin - même si, c'est entendu, nous ne cautionnons aucunement le comportement de la Russie en Ukraine et en Crimée. Pour paraphraser Pascal Lamy, le développement des rapports économiques entre États permet parfois d'éviter les conflits militaires.
Sur le plan technique, signalons l'émergence d'un nouveau procédé, le GTL (gas to liquids), un procédé de transformation du gaz qui produit un liquide transparent, inodore et n'émettant pas de particules fines.
M. André Gattolin. - Attendons les tests à chaud !
M. Jean Bizet, président. - Concernant la révision de la directive sur le détachement des travailleurs, nous souhaitons avant tout que celle-ci contribue à lutter efficacement contre les distorsions de concurrence et le dumping social. Il est indispensable de rappeler ce préalable tant le Conseil apparaît divisé sur cette question. Nous détaillons les approches dans le rapport. Il convient d'éviter que la révision complète de la directive initiale de 1996 ne conduise à une remise en cause complète du dispositif existant par un certain nombre d'États. Nous devons garantir ses acquis et l'améliorer en mettant en avant le principe d'un salaire égal sur un même lieu de travail et en articulant mieux droit du travail et droit de la sécurité sociale.
Outre la question de la représentation au sein des organismes internationaux, l'approfondissement de l'Union économique et monétaire sera traité en 2016 à travers le pilier sur les droits sociaux, qui doit faciliter une véritable convergence en la matière au sein de la zone. Une telle initiative doit évidemment être saluée quand bien même elle ne résout pas, loin s'en faut, la question des distorsions de concurrence en la matière : les écarts les plus conséquents sont en effet observés avec des pays situés aujourd'hui en dehors de la zone euro. La mise en place d'un socle commun sur les droits sociaux doit être accompagnée d'une réflexion plus vaste sur les défis communs en la matière : contrats de travail flexibles et sûrs, allégement de la fiscalité du travail, apprentissage, formation professionnelle et aide au retour à l'emploi et alignement de l'âge de départ en retraite sur l'espérance de vie. Pour l'heure, le programme de la Commission européenne peut paraître modeste avec l'annonce de deux initiatives législatives en faveur du développement des compétences et des parents qui travaillent.
Au sujet de l'approfondissement du marché intérieur, nous saluons la volonté de la Commission européenne de mettre en place un cadre européen pour l'économie collaborative. Nous souhaitons cependant que celui-ci soit compatible avec l'ambition affichée par ailleurs de juguler les distorsions de concurrence dans les domaines social et fiscal. Il convient de rappeler à ce stade que les principales entreprises dans ce secteur sont extra-européennes. Toute stratégie en la matière passe également par une réflexion sur l'économie numérique, les nouvelles technologies étant au coeur du développement de ce que l'on appelle l'uberisation. L'Union européenne doit être proactive en la matière. Elle doit aider les PME à combattre les pratiques déloyales qui peuvent être imposées par de grandes plateformes numériques placées en position dominante. Au-delà d'une approche au travers de la seule politique de la concurrence et des infractions au droit européen, il convient désormais d'envisager une législation européenne régulant le fonctionnement des plateformes et protégeant, par la même occasion, le citoyen et ses données. Il s'agit également pour l'Union européenne de dépasser son rôle de simple consommatrice et de devenir une véritable productrice de contenus numériques. L'Union européenne doit promouvoir un principe d'innovation dans ce domaine. Il conviendrait, à ce sujet, d'auditionner le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), Sébastien Soriano. Il vient d'être élu à la présidence du PEREC, l'organe des régulateurs européens, et il préconise une plus grande harmonisation des pratiques et des normes dans ce secteur.
Sur la question des migrations, nous ne pouvons qu'approuver les propositions de la Commission du 15 décembre 2015 sur la révision du Code Schengen et la création d'une nouvelle agence des garde-côtes et des garde-frontières dotée de moyens et de compétences élargies. Le volet de la lutte contre le terrorisme nous paraît en revanche insuffisamment traité, indépendamment des progrès enregistrés sur le registre de données passagers dans le transport aérien (PNR) et de la proposition de la Commission européenne sur le contrôle des armes à feu. Il a fallu huit ans - et les événements tragiques de 2015 - pour obtenir la création de ce registre ; ce retard suscite une grande incompréhension de nos concitoyens. La réponse opérationnelle que doit apporter l'Union européenne à la question du terrorisme doit être plus ambitieuse et reprendre les positions que nous avions exprimées dans la résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne. Nous réitérons donc notre souhait que la Commission européenne propose un cadre juridique européen facilitant la surveillance, les poursuites et les mises en cause des combattants dits étrangers ; qu'elle propose le renforcement des moyens financiers et humains de la section d'Europol consacrée à la recherche et au partage avec les États membres d'informations ayant trait au terrorisme djihadiste sur internet ; et enfin que soit mis en place dans un délai rapide un parquet européen collégial et décentralisé aux compétences élargies à la criminalité grave transfrontière.
Ces demandes seront adressées au Gouvernement, si vous en êtes d'accord, via une proposition de résolution européenne que nous soumettons au Sénat. Comme l'a indiqué Simon Sutour, cette résolution sera doublée d'un avis politique qui en reprend les termes mais qui est directement adressé à la Commission européenne. Ce faisant, nous utilisons le cadre de la procédure du dialogue politique mis en place depuis 2005 et réformé avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
Notre commission s'est déjà exprimée, en octobre dernier, sur la nécessité de renforcer le dialogue politique et de dépasser le cadre du simple avis politique. Au regard de leur rôle particulier dans le processus législatif et compte tenu de l'objectif affiché par la Commission Juncker de renforcer la coordination avec eux, il apparaît légitime de mieux associer les parlements nationaux à la procédure législative européenne. Il convient donc de faire émerger un droit d'initiative ou « carton vert », qui confère aux parlements nationaux la possibilité de proposer des actions à mener par l'Union européenne ou d'amender la législation existante. Il s'agit aussi d'éviter que les parlements nationaux ne soient cantonnés à un rôle d'opposant perpétuel, via le contrôle de subsidiarité et la procédure dite du « carton jaune ».
Depuis l'adoption de notre résolution et de notre avis politique sur ce sujet en octobre dernier, les choses ont sensiblement évolué. La Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), qui réunit tous les semestres les représentants des commissions des affaires européennes des parlements des États membres et des pays candidats ainsi qu'une délégation du Parlement européen, a défini, lors de sa réunion des 30 novembre et 1er décembre 2015 à Luxembourg, les contours du carton vert. Il pourrait consister à proposer de nouveaux textes européens et à amender ou abroger la législation existante. Un seuil minimal de parlements nationaux participant à cette procédure, un délai et un échéancier de participation devraient être mis en place. Si ce seuil n'était pas atteint, le texte pourrait être envoyé par les parlements nationaux participant à la Commission européenne en tant que texte conjoint, sans le statut de carton vert. Il serait également possible d'introduire des amendements au texte initial conformément à un délai décidé par le parlement à l'origine du carton vert. Seraient en outre autorisés la signature ex post et le retrait d'un carton vert à tout moment.
Trois cartons verts ont d'ores et déjà été proposés. Dans ces conditions, l'avis politique sur le programme de travail de la Commission européenne pour 2016 qui reste malgré tout général, pourrait être doublé dans les prochaines semaines d'un carton vert sur la question du terrorisme, suite aux travaux que nous avons inscrits à notre ordre du jour. Il s'agit, de la sorte, de contribuer encore plus nettement à l'activité législative de l'Union européenne en transmettant des propositions ambitieuses dans ce domaine.
La procédure du carton vert est de nature à renforcer l'implication des parlements et à aiguillonner la Commission européenne. Lord Boswell, que j'ai rencontré avec Fabienne Keller lors de notre récent déplacement à Londres, a particulièrement salué l'appui apporté par la France au carton vert britannique portant sur le gaspillage alimentaire.
M. André Gattolin. - Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur travail. Trois points posent néanmoins problème.
Il existait un consensus, avant les élections européennes et la désignation de la nouvelle Commission, sur la surabondance législative. Toutefois, l'action de Jean-Claude Juncker en matière de retrait a été pour le moins rapide ; mon groupe en a été victime, avec le retrait du paquet Qualité de l'air. Après les scandales Volkswagen, Audi et peut-être Renault, il est apparu que les normes Euro 5 étaient en réalité plus polluantes qu'Euro 1 ! Or l'action législative dans ce domaine a été suspendue. Tous les groupes ont été touchés par le comportement cavalier de la nouvelle Commission : des rapporteurs du parti majoritaire, le PPE, se sont vu signifier qu'ils n'avaient plus aucun rôle. On peut critiquer le Parlement européen, mais la méthode est franchement contestable et d'autant plus regrettable que le renforcement de la légitimité du président de la Commission, acté par sa désignation au sein du parti arrivé en tête des élections, faisait l'objet d'un large consensus. Il y a aujourd'hui un véritable creux législatif. Avec le paquet sur la qualité de l'air, qui avait vocation à renforcer la cohérence des actions dans ce domaine, une occasion a été manquée.
Je suis favorable à l'élargissement de l'initiative législative, aujourd'hui exclusivement détenue par la Commission, aux parlements nationaux ; mais, plus largement, je préconise un système mixte de nature à éviter les heurts avec les institutions démocratiques européennes, je pense au Parlement européen. Ainsi, il serait souhaitable de prévoir des initiatives soutenues par au moins cinquante ou cent eurodéputés ; sinon, le Parlement européen s'effacera devant des groupements d'intérêts nationaux. Quant à la coopération renforcée, elle pourrait sonner le glas de l'Europe.
Troisième observation : j'ai interrogé le secrétaire d'État aux affaires européennes, Harlem Désir, sur Nord-Stream 2. Il ne m'a pas répondu. Les Polonais, les États baltes sont vent debout contre ce projet de doublement d'un gazoduc existant reliant la Russie à l'Allemagne à travers le golfe de Finlande et la Baltique. J'insiste sur la Pologne. Son poids est bien supérieur à celui de la Hongrie. Elle constitue en cela une véritable bombe à retardement. On se préoccupe à juste titre du Brexit ; mais la Pologne doit aussi être écoutée. À cet égard, les projets du gouvernement Cameron ne facilitent pas les choses, avec les 100 000 Polonais qui travaillent au Royaume-Uni.
Je suis opposé aux sanctions généralisées contre la Russie et la France tient une ligne intelligente dans ce dossier. Mais officiellement, 42 % de notre approvisionnement en gaz est approvisionné par la Norvège - et en réalité beaucoup plus. Voilà une réalité plus importante que nos relations avec la Russie, où l'État de droit est mal en point. Le coup de force de l'Allemagne sur Nord-Stream risque d'engendrer de graves tensions au sein de l'Union européenne.
M. Jean Bizet, président. - Nous aborderons ces questions dans le cadre du débat sur l'Union de l'énergie. Pour ma part, je n'ai pas d'opposition a priori au projet Nord-Stream.
M. Éric Bocquet. - Nous nous félicitons de ce que la fiscalité des entreprises et la question des travailleurs détachés figurent à l'agenda de la Commission. Ce sont des enjeux centraux, source du désamour dont souffre l'Europe. Sur Accis, nous avons des réserves : la concurrence fiscale reste forte, même si la Commission s'est récemment attaquée aux avantages fiscaux accordés par la Belgique aux multinationales.
La proposition de résolution mentionne des « contrats de travail flexibles et sûrs » et un « allégement de la fiscalité du travail ». Certes, c'est une vieille antienne mais, pour nous, cela pose problème.
Enfin, sur la question des travailleurs détachés, c'est le statu quo au Conseil européen. Sur le fond, la directive européenne sur le détachement de 1996 doit être révisée. La fixation d'un salaire plancher dans le pays d'accueil est un minimum ; mais ne pas imposer le paiement de cotisations sociales, c'est ouvrir la voie à une concurrence déloyale.
M. Simon Sutour. - Le rôle de la Commission européenne est de proposer des textes. Ceux-ci sont parfois retirés au terme de la procédure de contrôle de la subsidiarité, dite du carton jaune - ainsi de la directive européenne sur le droit de grève pour les travailleurs détachés. Le retrait doit être encadré, mais il fait bien partie des compétences de la Commission. Jean-Claude Juncker a eu l'intelligence de s'adjoindre comme premier vice-président un social-démocrate, Frans Timmermans. Il faut être critique vis-à-vis de Bruxelles, mais la nouvelle Commission me plaît.
Sur le carton vert et le rôle du Parlement européen, j'entends vos remarques. Le Parlement européen a toutefois un rôle, puisqu'il a réussi à bloquer pendant huit ans le registre PNR !
J'assume le texte initial de la proposition de résolution, mais je suis prêt à retirer l'adjectif « flexibles » de l'expression « contrats de travail flexibles et sûrs » pour qu'elle soit votée. Sur ce point, ma position n'est pas unanimement partagée par ma famille politique. Quant à l'allègement de la fiscalité du travail, j'y suis favorable mais je suis ouvert à la discussion.
M. Jean Bizet, président. - La notion de flexibilité répond aux évolutions de notre époque, mais nous sommes prêts à retirer le mot « flexibles » et « sûrs » du texte dans le souci de parvenir à un consensus.
M. Pascal Allizard. - C'est la flexisécurité !
M. Jean Bizet, président. - Nous entrerons pleinement dans ces sujets en 2016. Les questions du détachement et du marché intérieur sont intimement liées, et leur règlement est la clé d'un retour à la compétitivité.
M. André Gattolin. - Peut-on retirer la mention de Nord-Stream 2 du point 14, pour tenir compte de la forte opposition de la Finlande, de la Suède, des pays baltes et de la Pologne ?
M. Jean Bizet, président. - Je n'y suis pas favorable. Il faut aussi envoyer un message de fermeté à la Pologne.
M. André Gattolin. - Au point 8, il est écrit : « les parlements nationaux contribuent activement au fonctionnement de l'Union » - mais pas un mot sur le Parlement européen...
M. Jean Bizet, président. - Je propose d'ajouter la formule « conjointement avec le Parlement européen » au point 8.
M. Éric Bocquet. - Au nom de mon groupe, je m'abstiendrai.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté la proposition de résolution européenne ainsi modifiée et l'avis politique, M. Eric Bocquet s'abstenant.
Institutions européennes - Présidence néerlandaise de l'Union européenne 2016 - Audition de M. Ed Kronenburg, ambassadeur des Pays-Bas en France
M. Jean Bizet, président. - Je suis heureux d'accueillir Son Excellence monsieur Ed Kronenburg, ambassadeur des Pays-Bas en France. Monsieur l'Ambassadeur, votre pays vient de prendre la présidence de l'Union européenne, et s'est prononcé pour une Europe concentrée sur l'essentiel, respectueuse du principe de subsidiarité et proche des citoyens. C'est une présidence pragmatique qui s'annonce, à l'heure où les défis sont immenses. Confronté à la crise des migrants et à la lutte contre le terrorisme, le Conseil européen des 18 et 19 février devra également répondre aux demandes de M. Cameron tout en veillant à ne pas mettre en cause les acquis de la construction européenne. L'Union devra donner suite aux engagements sur le climat pris lors de la COP21, mettre en place des initiatives pour retrouver le chemin de la croissance et de l'emploi, approfondir le marché unique en intégrant l'enjeu du numérique, sujet qui tient au coeur de notre collègue André Gattolin. L'Union européenne de l'énergie doit se concrétiser, la gouvernance de la zone euro être renforcée. Enfin, nous sommes soucieux de l'évolution des négociations sur le traité transatlantique, qui suscite des inquiétudes. Comment votre présidence aborde-t-elle ces sujets complexes mais primordiaux pour l'avenir de la construction européenne ?
La place de Paris ne vous est pas étrangère. Vous avez exercé les fonctions de premier secrétaire à la représentation permanente des Pays-Bas auprès de l'OCDE entre 1978 et 1982, puis celles de chef de la division Budget et études financières de l'OCDE entre 1985 et 1988. Autre particularité de votre riche parcours, vous avez été Grand-Maître de la Maison de Sa Majesté la Reine : vous satisferez peut-être notre curiosité en nous en disant plus.
M. Ed Kronenburg, ambassadeur des Pays-Bas. - Je suis honoré d'être parmi vous, ce matin, pour parler de la présidence néerlandaise, accompagné par mon conseiller pour les affaires économiques et européennes, M. Casper Holl. Les Pays-Bas exercent la présidence des Pays-Bas pour la douzième fois, les trois dernières ayant été en 1991, 1997 et 2004, avec le début des négociations pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Les changements institutionnels font que l'agenda se partage désormais entre les différentes instances, avec le Président du Conseil européen, M. Donald Tusk et le Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Federica Mogherini.
L'Union européenne traverse une période difficile, avec d'immenses défis à relever tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. La tempête est là ; maintenons le cap et continuons à nous concentrer sur l'essentiel. Les conditions d'exercice de la présidence sont restées les mêmes depuis celle du Luxembourg. Seul le contexte a changé. Nous avons tourné la page de 2015 et du désastre humain causé par les attentats de Paris. De nouveaux attentats ont déjà eu lieu en 2016, dans d'autres pays, qui montrent combien la sécurité doit rester au coeur des préoccupations de notre présidence. Loin d'être un manque d'ambition, réduire la voilure dans la tempête signifie que nous ferons l'économie de tous les artifices pour aller à l'essentiel.
La solidarité nous servira de point d'ancrage sur la pente lisse de la coopération européenne, en matière d'immigration notamment. Son pendant sera la cohésion, indispensable pour mettre en place une Union européenne forte. Nous encouragerons les citoyens à apporter leur soutien au projet européen, en faisant preuve à leur égard de la plus grande transparence possible.
Notre première priorité sera de développer une approche intégrée des migrations et de la sécurité internationale. Hier, le Premier ministre néerlandais n'a parlé que de cela, à Strasbourg, devant le Parlement européen. Les documents préparatoires à la réunion des ministres de l'Intérieur qui aura lieu le 25 janvier sont très concrets : lutte contre le terrorisme, contrôle des frontières, étude de la proposition de la Commission présentée en décembre 2015 sur le border management package, cybercriminalité, etc. Deuxième priorité, rendre l'Europe innovante et créatrice d'emplois. Troisième priorité, nous travaillerons à établir des finances solides et durables et une zone euro robuste, seules garantes d'une amélioration de notre marché intérieur, en particulier dans le champ des services. C'est essentiel pour la croissance. Quatrième priorité, nous déploierons une politique énergétique et climatique d'avenir, à la hauteur des engagements de la COP21, réunion dont nous devons la réussite à M. Fabius et à ses collègues. La création d'un marché pour l'énergie, la promotion de l'économie circulaire, le développement de transports intelligents et propres, telles sont les grandes lignes. Le marché unique du numérique est un autre projet que nous mettrons à l'ordre du jour. Si l'élaboration du cadre financier pluriannuel n'est pas prioritaire dans l'agenda, nous souhaitons préparer les négociations de 2018. Quant à l'État de droit, cher à la présidence des Pays-Bas, il est essentiel que nous nous tenions mutuellement responsables de nos valeurs fondamentales. Enfin, nous accorderons une attention particulière à la question urbaine. Si on leur ouvrait l'accès aux fonds européens, les municipalités auraient les moyens de promouvoir la croissance et l'emploi. La signature du Pacte d'Amsterdam en mai 2016 devrait concrétiser cet engagement.
La présidence néerlandaise déploie beaucoup d'ambitions et n'aura qu'un temps limité - six mois - pour les mettre en oeuvre. Il faut démarrer vite, et aller au charbon avec pour maîtres mots la cohésion, l'union et la solidarité.
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie de nous avoir exposé ce programme très précis, qui témoigne d'un grand pragmatisme.
M. Simon Sutour. - Vous pratiquez un français parfait, et nous ne pouvons que vous envier votre connaissance des langues étrangères. Le programme de votre présidence suscite l'unanimité. Cependant, le respect de l'État de droit ne doit pas être à géométrie variable. Je représente le Sénat à l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée. On est loin des Pays-Bas, géographiquement. Quel sera le point de vue de votre présidence sur la politique de l'Europe en Méditerranée, et notamment sur le maintien des équilibres de la politique de voisinage entre l'Est et le Sud ?
M. André Gattolin. - Votre Excellence, je m'associe à mon collègue pour vous féliciter sur votre parfaite connaissance de la culture française et des cultures européennes. Nous ne pouvons que nous réjouir de la présidence néerlandaise. En ces temps difficiles, nous avons besoin du pilotage d'un pays fondateur. La lutte contre la cybercriminalité est un enjeu auquel l'Europe doit répondre. Les Pays-Bas ont toujours été très impliqués dans les questions institutionnelles de l'Union européenne. Le 11 novembre, un projet législatif du Parlement européen a été adopté afin de réformer son système électoral, avec une résolution pour renforcer le caractère démocratique et transnational des élections européennes. Quelle est la position de la présidence néerlandaise sur ce point ?
Le traité entre l'Union européenne et les États-Unis est en cours de négociation. Le changement de statut de la Chine au sein de l'Organisation mondiale du commerce aura un impact important. Ces questions sont les prérogatives de la seule Commission européenne. Les Pays-Bas ont-ils une intention particulière sur ces enjeux qui préfigurent l'avenir ?
M. Éric Bocquet. - La Banque centrale européenne, souveraine et indépendante, reste au service des citoyens. Depuis mars dernier, sa politique d'assouplissement quantitatif ne semble pas donner de résultats. Quel est votre avis ? Votre pays a connu une poussée de l'extrême droite comme en France. Comment la situation a-t-elle évolué dans le contexte de tension xénophobe qui s'installe ?
M. Michel Delebarre. - À chaque fois que les Pays-Bas exercent la présidence de l'Union européenne, des initiatives marquantes sont prises en faveur des villes. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les démarches que vous êtes prêts à effectuer ? Le traitement du problème des migrants se fera en partie grâce aux collectivités territoriales.
M. Jean Bizet, président. - L'accessibilité aux fonds européens concentre toute l'attention du Sénat. Nous devrions nous rapprocher pour optimiser la consommation des fonds européens. La politique de l'énergie est une autre de nos préoccupations. L'Europe ne se réindustrialisera pas sans une politique énergétique volontariste. Les États-Unis ont opéré un saut technologique avec l'exploitation du gaz de schiste. L'effondrement des cours du baril de pétrole nous place dans une situation délicate. Quelle est votre analyse pour garantir l'approvisionnement énergétique de l'Europe ?
Le traité transatlantique et le statut d'économie de marché de la Chine nous préoccupent. À l'initiative de Michel Billout, nous avons été les premiers à soulever le problème des implications que le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) pourrait avoir sur notre pays. On nous a précisé qu'il s'agissait d'un traité mixte sans nous donner aucune information sur la position de la Commission européenne, en cas de non-validation par un des États membres. La classification de la Chine comme économie de marché, alors que les standards de son économie sont très éloignés des nôtres risque de poser problème. Votre présidence sera courte mais décisive. L'irruption de la Chine risque de perturber l'ensemble de l'économie mondiale.
M. Ed Kronenburg, ambassadeur des Pays-Bas. - La crise des migrants nous conforte dans l'idée de développer nos relations avec les pays d'où proviennent les flux migratoires, et notamment les pays méditerranéens. Il faut négocier des accords. Nous devons également rester attentifs à l'évolution de la situation en Tunisie et en Libye. Les négociations sur le TTIP doivent reprendre en février. La présidence néerlandaise fera preuve d'une grande transparence pour que tous les européens soient informés de ce qui se négocie. Je ne crois pas que la Chine sera classifiée sous la présidence néerlandaise.
M. André Gattolin. - La classification doit être décidée en décembre 2016 au plus tard, et la Commission s'est prononcée sur le sujet la semaine dernière.
M. Ed Kronenburg, ambassadeur des Pays-Bas. - En tout cas, ce n'est pas une priorité pour l'instant. Sur le quantitative easing, les doutes exprimés par les Pays-Bas sont connus, mais je laisserai mon conseiller vous répondre.
L'accessibilité aux fonds européens est un sujet fondamental. Les villes ont un rôle primordial dans tous les domaines, qu'il s'agisse de l'énergie, des transports ou de l'économie. Et pourtant, elles ne peuvent pas participer au processus de décision. On doit leur accorder davantage de prérogatives. Sur la question de l'immigration, l'approche peut être nationale ou régionale. D'où le lien étroit qui unit la politique de la ville à celle de l'immigration.
Le système électoral néerlandais qui fonctionne à la proportionnelle favorise l'arrivée de députés d'extrême droite au Parlement. Pour le reste, les sondages ne sont pas très différents des sondages français. Les propositions de l'extrême droite ont peu d'influence. Les citoyens sont prêts à accueillir les réfugiés, pour peu que ce soit dans de bonnes conditions. D'où les discussions sur le nombre de réfugiés qu'il est possible d'accueillir, sans pour autant que se développe un sentiment anti-immigration. Il est évident qu'il faudra faire diminuer le flux des immigrés. Ce n'est pas chose facile, mais l'intention y est. Quant à la résolution du Parlement européen, je n'ai pas encore examiné son contenu. Je m'engage à vous répondre ultérieurement.
M. Casper Holl, conseiller pour les Affaires économiques et européennes. - Nous laisserons la Banque centrale européenne faire son travail en ce qui concerne le quantitative easing. Ce qui importe, c'est la stabilité de la zone euro, et pour les Pays-Bas, cela passe par un contexte politique et économique plus étroitement coordonné à la politique budgétaire. Le Pacte de stabilité et de croissance doit être mieux mis en oeuvre et sa fonction améliorée. Par exemple, nous pourrions développer le monitoring pour savoir comment les pays concrétisent les recommandations que leur adresse la Commission européenne. Grâce à cette plus grande transparence, on améliorera le suivi des réformes structurelles. Aucun pays n'est à l'abri, ni l'Italie, ni l'Espagne, ni même l'Allemagne, qui peine parfois à mettre en oeuvre les recommandations qu'on lui soumet. Quant aux finances de l'Union européenne, un séminaire sur l'avenir prévisionnel de l'Union budgétaire est prévu fin janvier. Nous l'avons programmé suffisamment tôt pour effectuer une mutual review en seconde partie d'année. Ce sera l'occasion de discuter sans tabou pour améliorer les principes de notre système financier.
M. André Gattolin. - Rappelez-nous la méthode. On s'appuie sur l'actuel cadre financier pluriannuel 2014-2020 pour faire l'état des dépenses par rapport aux objectifs, et l'on réfléchit ensuite au prochain cadre pluriannuel ? C'est une procédure dont on parle peu, alors qu'elle est essentielle dans un contexte où l'on applique le principe de fongibilité.
M. Casper Holl. - C'est tout à fait cela. Le débat portera aussi sur l'avenir des finances européennes pour repenser les principes du cadre pluriannuel. Mieux vaut anticiper.
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie d'avoir répondu si précisément à nos questions. N'hésitez pas à nous donner également des réponses écrites, si vous le souhaitez. J'insiste sur l'attention que nous souhaitons donner à votre réflexion et à votre action en matière d'accessibilité des fonds européens. Le Sénat représente les collectivités territoriales. En France, les régions se sont redimensionnées. Les élus locaux s'interrogent, et nous souhaiterions pouvoir les informer au mieux, car ce sont nos électeurs. Avec le président du Sénat, nous venons d'envoyer nos analyses sur les fonds européens structurels et d'investissement aux 36 000 maires de France.
Nomination de rapporteurs
Je vous propose de désigner nos collègues Pascale Gruny et Patricia Schillinger pour nous faire un point d'actualité sur les questions agricoles.
Notre collègue François Marc m'a fait part de ses préoccupations concernant les circuits non régulés de financement de l'économie et les risques qu'ils peuvent représenter. Je vous propose de le désigner pour nous faire un point sur cette question.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est levée à 10h20.