- Mercredi 24 juin 2015
- Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages - Examen du rapport pour avis
- Audition de Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, et M. Bruno Sido, sénateur, sur le rapport fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) : « Sécurité numérique et risques : enjeux et chances pour les entreprises »
- Stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse - Examen du rapport et du texte de la commission
- Deuxième dividende numérique et poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
Mercredi 24 juin 2015
- Présidence de M. Jean Claude Lenoir, président -Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages - Examen du rapport pour avis
La réunion est ouverte à 9 h 30.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Ce projet de loi relatif à la biodiversité touche à plusieurs domaines qui nous intéressent directement : agriculture, pêche, chasse, urbanisme... Je rappelle que l'examen en séance publique n'aura pas lieu avant la rentrée, mais que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable procèdera à son examen dans les prochains jours.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - En 2009 et 2010, le Parlement votait les deux lois Grenelle I et Grenelle II de l'environnement, qui marquaient une nouvelle étape dans l'ambition de la France en matière d'écologie et de biodiversité.
Ces lois ont été l'expression d'une volonté politique en matière de développement durable, s'appuyant sur de nouveaux outils : trames vertes et bleues ; meilleure prise en compte de l'enjeu environnemental dans les documents d'urbanisme ; lutte contre la production de déchets ; protection accrue des eaux ; mise en place de schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie ; développement des énergies renouvelables ...
Cinq ans plus tard, le projet de loi relatif à la biodiversité ne vient pas contredire l'ambition d'alors, il l'approfondit.
Je commencerai par trois remarques d'ordre général. L'importance de la préservation de la biodiversité ne fait de doute pour personne : les services indispensables rendus par les abeilles à travers la pollinisation, par les forêts pour la captation du carbone, par les sols pour la filtration de l'eau et les échanges thermiques, sont bien connus. Les estimations monétaires des services écosystémiques rendus à la planète sont difficiles à établir et réductrices, mais il existe un consensus pour considérer qu'au-delà de sa contribution à l'économie, la biodiversité apporte des aménités environnementales, contribue à l'attractivité du territoire, y compris touristique, et offre une matière première favorisant l'innovation, par exemple en matière agricole ou médicale.
Il est donc indispensable de lutter contre l'érosion de la biodiversité, et cet enjeu est loin d'être secondaire pour la France, où existe, tant en métropole qu'outre-mer, une réserve considérable de biodiversité, notamment dans les forêts primaires de Guyane ou de La Réunion.
J'en viens à ma deuxième remarque. L'exposé des motifs du projet de loi évoque « l'urgence à agir », mais l'agenda de la discussion de ce texte montre que l'urgence est toute relative. Issu des propositions émises dans le cadre de la conférence environnementale de 2012, ce projet de loi n'a été déposé qu'en mars 2014 sur le bureau de l'Assemblée nationale par le ministre de l'environnement d'alors, M. Philippe Martin. Il a ensuite fallu près d'un an pour que l'Assemblée nationale procède à la première lecture, intervenue en mars 2015, dans une certaine indifférence médiatique. Nous devrions examiner à notre tour ce texte en octobre prochain, mais nous serons loin d'être au bout du processus d'adoption du projet de loi, qui sera examiné selon la procédure ordinaire.
Troisième remarque, enfin : c'est naturellement la commission du développement durable qui est chargée d'examiner le fond de ce texte. Néanmoins, parce qu'il a un impact, ainsi que vient de le rappeler le président, dans les champs de compétence de la commission des affaires économiques, nous avons souhaité nous saisir pour avis de plusieurs de ses articles. J'ai procédé à plus d'une trentaine d'auditions, avec le souci d'écouter toutes les parties, et d'obtenir un éclairage sur les conséquences pour les acteurs économiques des territoires des dispositions proposées, car les préoccupations environnementales et économiques ne peuvent pas être traitées indépendamment les unes des autres, faute de quoi nous risquons d'avoir une approche déséquilibrée et au final, inefficace.
Mieux articuler, dans une approche pragmatique, développement économique et préservation de la biodiversité, telle a été ma préoccupation.
Le droit de l'environnement a consacré le principe qui veut que des études d'impact sur l'environnement soient associées aux projets d'une certaine ampleur. Mais l'inverse n'est pas vrai : l'impact pour les acteurs économiques de nouvelles dispositions législatives ou réglementaires prises dans l'intérêt de l'environnement est rarement étudié avec précision. L'étude d'impact annexée au projet de loi, bien que fort documentée, est souvent assez laconique sur les conséquences économiques de certaines dispositions.
Par ailleurs, les députés, en première lecture, ont ajouté de nombreuses dispositions, par exemple en imposant, à l'article 2, un nouvel objectif d'absence de perte nette de biodiversité, en incitant fortement à construire des places de parking non imperméabilisées, ou encore en interdisant totalement les néonicotinoïdes dès 2016. Ces ajouts n'ont pas fait l'objet de réelles évaluations, et nous devrons en tirer les conséquences. Car, pour répondre à l'intention proclamée par la ministre de l'écologie, Mme Ségolène Royal, de passer d'une « écologie punitive » à une « écologie positive », il faut être extrêmement attentif aux conséquences de toutes nos décisions.
Il convient aussi de donner une meilleure visibilité aux zonages environnementaux, très nombreux et vécus comme autant de contraintes par les acteurs économiques, mais aussi par les élus locaux. On peut regretter que ce projet de loi ne soit pas l'occasion de simplifier et rationaliser ces zonages, qui ont, à l'inverse, plutôt tendance à s'empiler, au point de rendre peu lisible la politique de protection des milieux. Les incompréhensions des professionnels dans la mise en oeuvre des politiques de l'eau illustrent parfaitement ce défaut des normes environnementales, qui ne sont pas bien appliquées lorsqu'elles ne sont pas comprises.
Si l'impératif environnemental ne doit pas conduire à faire la guerre à l'activité économique, notons aussi que les acteurs de l'économie sont de plus en plus « éco-responsables » car ils sont directement dépendants de la nature. Tout d'abord, le monde économique est de plus en plus conscient de la nécessité de préserver l'environnement et la biodiversité, ainsi qu'en témoignent les initiatives en matière de responsabilité sociétale des entreprises.
Dans le secteur de l'agriculture, de multiples organismes, comme les instituts techniques agricoles ou les grandes interprofessions, agissent pour faire partager au plus grand nombre les pratiques à la fois économiquement performantes et vertueuses du point de vue environnemental. La démarche d'agro-écologie portée par la loi agricole de 2014 s'inscrit dans cette philosophie de performance croisée économique et environnementale.
Les pêcheurs, confrontés au défi de la préservation des ressources halieutiques, ont également dû s'adapter, dans le cadre institutionnel de la politique commune de la pêche. Le secteur de la pêche professionnelle en eau douce, dont nous avons entendu les représentants, poursuit également une démarche durable. Les pêcheurs, premières victimes des pollutions, ne sont jamais indemnisés pour les dommages liés à la pollution des rivières, qui les touchent par ricochet, les contraignant parfois à cesser leur activité.
Même les enseignes de la grande distribution se sont lancées dans des démarches d'amélioration de leurs pratiques.
Les chasseurs sont aussi les premières vigies de la biodiversité ; ils se préoccupent de l'avenir de la ressource et de la préservation des espèces.
Les acteurs économiques, au total, peuvent être des acteurs de la biodiversité : les chasseurs, en assurant la régulation des populations, les forestiers, en préservant des essences d'arbres et en organisant l'exploitation durable de la forêt, ou encore les agriculteurs, qui assurent la conservation in situ des espèces végétales, et qui, dans le cadre du verdissement de la politique agricole commune ou du deuxième pilier de la PAC, réimplantent des haies, favorisent des rotations de cultures ou encore assurent la conservation des races animales.
Sortir de l'écologie punitive, c'est aussi aider les agriculteurs, pêcheurs, industriels, commerçants, et l'ensemble des acteurs de la vie économique de nos territoires à faire leurs les objectifs de préservation, voire de développement de la biodiversité.
J'en viens maintenant à l'examen des articles sur lesquels votre commission s'est saisie pour avis. En accord avec la commission du développement durable, saisie au fond, nous ne nous sommes pas saisis pour avis de l'ensemble du texte, mais uniquement des aspects touchant directement au champ de compétence de notre commission. Ce qui ne veut pas dire que nous n'avons pas d'avis sur le reste, et en particulier sur la gouvernance de l'Agence française pour la biodiversité.
Je me suis d'abord intéressée aux mécanismes d'accès aux ressources génétiques et de partage des avantages, mis en place par le titre IV. Ces mécanismes mettent en oeuvre le droit des États à protéger leur patrimoine, pour lutter notamment contre la biopiraterie et l'appropriation abusive de ressources collectives. À l'article 18, je proposerai, après avoir entendu les craintes des professionnels de la recherche, en particulier dans le domaine des semences et de l'innovation variétale, de supprimer l'exigence de preuve de l'origine des ressources génétiques pour les collections anciennes.
Au sein du titre V sur les espaces naturels et la protection des espèces, je n'ai examiné que les articles ayant un impact sur l'activité agricole, la pêche maritime, l'urbanisme, la chasse et la pêche de loisir.
Plusieurs dispositions concernent l'urbanisme. J'ai veillé autant que possible à ne pas complexifier le droit actuel.
L'article 27 bis prévoit que le schéma de cohérence territoriale (SCoT) devra transposer les dispositions pertinentes des chartes de parc national. Je vous proposerai de supprimer cet article qui revient une nouvelle fois sur le principe du SCoT intégrateur. Les élus, notamment par la voix de l'Association des maires de France (AMF), appellent de leurs voeux un moratoire sur ces documents.
Je vous proposerai en revanche de ne pas modifier l'article 36 quater qui créé un nouvel outil pour identifier les espaces de continuités écologiques. Cette rédaction est un compromis trouvé à l'Assemblée nationale, et qui satisfait les agriculteurs.
Je vous proposerai de supprimer l'article 36 quinquies A qui impose aux futurs centres commerciaux d'intégrer sur leur toiture des procédés de production d'énergies renouvelables ou un système de végétalisation et qui prévoit que la surface des places de stationnement imperméabilisées comptera pour le double de la surface. Nous avons déjà renforcé les exigences en matière environnementale applicables aux surfaces commerciales avec la loi « Alur » et la loi relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises. Je crois préférable de privilégier le résultat sur les moyens.
Concernant l'agriculture et l'utilisation des terrains agricoles, j'ai souhaité revenir sur certaines dispositions adoptées à l'Assemblée nationale, afin de retenir une approche plus réaliste.
L'article 32 quater, en ouvrant un droit de préemption trop général sur les terrains non urbanisés à l'Agence des Espaces Verts de l'Ile-de-France, risque de mettre à mal la capacité à agir de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural d'Ile-de-France, et de mettre sous cloche une large partie du territoire francilien. Un amendement de suppression de cet article vous sera proposé.
L'article 33 A, qui perfectionne le dispositif de compensation écologique, va globalement dans le bon sens, à condition de bien veiller à ce que la compensation écologique ne se fasse pas au détriment systématique des terres agricoles.
L'article 33, qui soulève un vif débat, crée les obligations réelles environnementales, qui peuvent restreindre drastiquement les conditions d'exploitation des terres agricoles. Plusieurs amendements seront proposés pour mieux encadrer ces restrictions et exiger une compensation systématique, dans un esprit d'équilibre des droits et obligations.
Soucieuse que les agriculteurs ne soient pas les seuls à supporter la charge des mesures en faveur de la biodiversité, et considérant qu'il existe déjà une multitude d'instruments de protection, je propose également de supprimer l'article 34 qui crée des zones soumises à contraintes environnementales au sein desquelles des pratiques agricoles peuvent être imposées pour sauvegarder des espèces menacées. Là encore, une démarche contractuelle et partenariale me paraît préférable à une démarche forcée. L'exemple bien connu du grand hamster d'Alsace ne justifie pas de légiférer.
L'élargissement des objectifs de l'assolement en commun à un objectif agricole, proposé par l'article 35, ainsi que l'élargissement du périmètre des associations foncières pastorales aux terrains intéressants pour la préservation de la biodiversité prévu par l'article 36 quinquies constituent des avancées satisfaisantes, qu'il faut conserver.
En revanche, l'utilisation de l'aménagement foncier agricole et forestier dans un but principalement environnemental constitue un détournement de cette procédure, dangereux à long terme, d'où un amendement de suppression proposé à l'article 36.
En matière de produits phytopharmaceutiques, l'introduction d'une nouvelle base légale pour réglementer les utilisations des fonds de cuve, à l'article 51 quinquies, peut faire consensus. En revanche, l'article 51 nonies, qui vise à réserver une enveloppe spécifique pour les groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE) et pour lutter contre les néonicotinoïdes au sein du plan Ecophyto risque de rigidifier la gestion de ce plan. Et l'interdiction complète, par l'article 51 quaterdecies, des néonicotinoïdes, dès le 1er janvier 2016, constitue une mesure excessive et mal cadrée sur le plan juridique, qui justifie aussi un amendement de suppression.
En revanche, je salue le choix de donner enfin, à l'article 51 decies, une définition légale aux cours d'eau, et forme le voeu que les cartes puissent être rapidement connues, à l'issue d'un processus favorisant l'accord entre propriétaires riverains, exploitants et institutions oeuvrant dans le domaine de l'eau.
Les dispositions relatives à la mer et à la pêche maritime sont très consensuelles. L'article 37 dispense les pêcheurs d'étude d'impact individuelle de leur activité en zone Natura 2000. Il est en effet sage que l'analyse soit collective, et sur cet article, je proposerai des amendements de coordination.
À l'article 38, je propose simplement de rétablir le texte initial, en permettant aux organismes représentant les professionnels comme le comité national des pêches maritimes et élevages marins, d'être autorité gestionnaire des réserves naturelles en mer. Il n'y a aucune raison de jeter la suspicion sur ce type d'organisme, qui doit pouvoir être candidat à la gestion de ce type d'espaces.
L'article 43 instaure en mer des zones de protection halieutiques. C'est une bonne initiative, qui avait été réclamée lors du Grenelle de la mer. Il convient cependant que la mise en oeuvre des mesures à l'intérieur de ces zones soit souple, pour tenir compte des caractéristiques des ressources halieutiques.
À l'exception de quelques articles qui posent difficultés et que je vous inviterai à supprimer ou à modifier substantiellement, la plupart des dispositions concernant la chasse et la pêche de loisir vont dans le bon sens et les modifications que je vous soumettrai ne remettent pas en cause leur philosophie générale.
S'agissant de la composition du conseil d'administration de l'office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), modifié par l'article 7 ter, je vous proposerai de conserver aux chasseurs leur majorité et d'ouvrir le conseil à des représentants des collectivités territoriales. L'article 8, qui prévoit la possibilité de rattacher un établissement public du code de l'environnement à un autre à la majorité des deux tiers, peut être adopté en l'état.
A l'article 53 bis, je vous soumettrai un amendement de réécriture afin d'harmoniser les délais de transmission des procès-verbaux pour l'ensemble des gardes assermentés et non pour les seuls gardes-pêche comme le prévoit l'article.
L'article 58 fait oeuvre de simplification en supprimant les orientations régionales de gestion et de conservation de la faune sauvage et de ses habitats et le schéma départemental de vocation piscicole, qui ne sont plus mis à jour. L'entrée en vigueur de la loi agricole a modifié le périmètre de ces suppressions et le texte prévoit désormais que sera supprimée la compatibilité du schéma de gestion cynégétique avec les programmes régionaux de la forêt et du bois. Je vous proposerai un amendement pour revenir au compromis entre chasseurs et forestiers qui avait été trouvé lors de la loi agricole. Je vous proposerai également, afin d'éviter tout vide juridique, de donner la possibilité au préfet de proroger de six mois le schéma de gestion cynégétique lorsque les travaux d'élaboration du nouveau schéma n'ont pu être menés à leur terme.
Les articles 59 et 60 prévoient des habilitations à légiférer par ordonnances sur le régime dérogatoire applicable aux fédérations interdépartementales de chasseurs d'Ile-de-France et sur la notion d'animaux nuisibles. Il m'a paru plus simple de modifier directement le droit en vigueur.
Je vous proposerai de supprimer l'article 68 quater qui interdit de chasser les mammifères pendant les périodes de reproduction et de dépendance et l'article 68 quinquies qui interdit la chasse à la glu. Ces articles remettent en cause des chasses dites traditionnelles, sans aucune justification. Ils ont peu à voir avec le projet de loi.
Je vous proposerai également de supprimer l'article 54 ter qui applique aux piscicultures les règles de classement des cours d'eau en deux catégories. En effet, la rédaction retenue pose de sérieuses difficultés d'application.
Enfin, je vous proposerai de ne pas modifier l'article 54 bis qui sécurise sur le plan juridique la pratique du « no kill fishing », l'article 54 quater qui rétablit le droit de pêche banal à une seule ligne aux associations agrées de pêcheurs amateurs aux engins et filets, l'article 54 quinquies qui limite les cas d'incompatibilités entre les fonctions de gardes assermentés et de membres de bureau d'associations de chasse ou de pêche, et l'article 55 qui durcit les sanctions encourues pour la pêche d'espèces de poissons en danger.
Mes propositions sont inspirées par un seul objectif : préserver la biodiversité, certes, mais de manière pragmatique, sans le faire contre les acteurs économiques et les professionnels de terrain. Les députés, peut-être par dogmatisme, au nom d'une conception un peu trop rigide de la défense de la biodiversité, avaient marqué une méfiance excessive à l'encontre de ces professionnels, qui n'incite pas à une démarche partenariale. Essayons plutôt de faire confiance, pour créer les conditions de la réussite collective en matière de biodiversité.
M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission du développement durable. - Je vous remercie de votre invitation à me joindre à cette réunion. Il est toujours utile que nous nous rencontrions, comme nous l'avons fait à plusieurs reprises avec Sophie Primas. Je ferai mon miel des propos qui s'échangeront ici.
M. Daniel Dubois. - Le groupe UDI-UC regarde très favorablement les propositions de notre rapporteure pour avis. Nous insistons comme elle sur le fait que le développement durable repose sur trois piliers : l'environnement et sa biodiversité, mais aussi l'économie et le social, que l'on a généralement tendance à oublier, au prix de bien des difficultés, comme en témoignent les auditions de notre groupe de travail sur les normes en agriculture.
Ma deuxième remarque concerne les agences de l'eau, qui jouent un rôle essentiel sur les territoires ruraux. Or, vu les missions que ce texte entend confier à l'Agence française pour la biodiversité, on se demande ce qu'il leur restera.
M. Joël Labbé. - Je salue le travail de Sophie Primas même si je ne puis souscrire à toutes ses propositions. Je défends le fond de ce texte, qui mérite cependant d'être amélioré. Sur la question des ressources génétiques, de grosses sociétés de recherche sont engagées, face auxquelles les peuples des forêts primaires, en particulier, doivent être protégés. J'ai reçu, pas plus tard qu'hier soir, les représentants d'une peuplade indienne dont toutes les terres risquent d'être inondées par un projet de barrage sur le fleuve Tapajós. Or, des sociétés françaises sont impliquées dans ce projet. La responsabilité de notre pays, qui accueillera bientôt la Cop 21, est donc engagée.
Oui, la biodiversité engage l'économique et le social. L'agroécologie est plus créatrice d'emplois, elle a moins d'impact sur le milieu, et peut même avoir un impact positif - je pense, notamment, aux pollinisateurs.
La question des néonicotinoïdes fera débat, et je ne serai pas le dernier à m'exprimer, car leur emploi nous fait courir le risque d'un empoisonnement généralisé - je pèse mes mots - de l'eau, de l'air et des sols, alors que les études montrent que l'on peut s'en passer.
Je plaiderai aussi pour la conservation des haies bocagères encore préservées, notamment en Bretagne, et que l'on ne devrait pas pouvoir araser sur simple autorisation administrative. Même chose pour les chemins creux et les rives boisées des cours d'eau.
M. Ladislas Poniatowski. - Un mot sur le volet chasse et pêche. C'est une bonne chose de revenir sur la composition du conseil d'administration de l'ONCFS, modifiée à l'Assemblée nationale par un amendement que les écologistes ont fait adopter dans un hémicycle clairsemé. Alors que le budget de l'ONCFS est assuré à 60% par les chasseurs, le texte prévoit de leur retirer deux de leurs représentants au conseil. Votre amendement revient sur cette rédaction, et je m'en réjouis, mais je comprends mal, en revanche, qu'il introduise la présence des élus locaux. La composition du conseil est le fruit d'un compromis qui fut difficile à trouver : rétablissons les représentants des chasseurs sans aller au-delà.
Je vous suis, en revanche, sur l'harmonisation des délais de transmission des PV pour tous les gardes assermentés, de même que sur la suppression des articles 68 quater et 68 quinquies, car il n'y a pas de raison d'interdire la chasse au blaireau en période de reproduction, ni la chasse à la glu.
Je m'étonne que l'on n'ait pas saisi l'occasion de ce projet de loi pour régler le problème délicat de la pêche en zone maritime dans les périodes de remontée des saumons dans les estuaires. C'est une question qui oppose les pêcheurs en rivière aux pêcheurs en mer, les premiers souhaitant voir cette période protégée, afin que les saumons puissent remonter pour pondre, quand les seconds profitent de cette période pour se poster à l'entrée des estuaires. J'ai bien conscience que trouver la solution pour préserver l'espèce sans donner aux pêcheurs en mer le sentiment qu'ils sont lésés n'est pas facile.
M. Martial Bourquin. - À mon tour de féliciter Sophie Primas pour son rapport très ouvert, qui nous permet d'engager la discussion sur les questions de fond.
La défense de la biodiversité n'est pas la guerre à l'économie. Il s'agit, à l'instar de ce qu'a naguère fait le ministre de l'agriculture dans son projet de loi, d'intégrer des pratiques qui respectent la biodiversité tout en garantissant l'efficacité économique. Alors que la Conférence sur le climat se tiendra dans quelques semaines, nous devons bien prendre conscience que continuer sans rien changer coûtera beaucoup plus cher que les remises en cause que nous proposons maintenant, et se soldera par un gâchis économique et humain considérable. Ce n'est pas parce que la France n'est pas menacée de front par le changement climatique, qui provoquera des déplacements de population et des ravages considérables dans certains pays, que nous sommes fondés à ne rien faire ; ce serait criminel. Alors que nous accueillerons bientôt la Cop 21, nous devons prendre notre part dans la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité.
On a tendance à négliger les bénéfices de la biodiversité. En économie, le PIB, dont la validité est pourtant limitée, reste souvent la seule boussole. Il faut prendre en compte d'autres critères : perdre en biodiversité a un coût, lié à la dégradation des écosystèmes. Daniel Dubois a raison de dire qu'il faut penser à l'économique et au social, mais il ne faut pas oublier le capital naturel. Comment fonder une économie durable, respectant les écosystèmes ? Telle est la question à laquelle nous devons répondre. Cela suppose d'améliorer notre boussole. Nous avons entendu, hier, Ségolène Royal s'exprimer sur la question de la qualité de l'air. Basculer d'une fiscalité sur le travail vers une fiscalité sur la consommation de carbone est inévitable, il faudra y venir un jour ou l'autre. Les pays du Nord ont déjà entamé cette révolution fiscale. Ce projet de loi est l'occasion d'aborder la question, ayons le courage de le faire et d'être une force de proposition.
Les subventions de la PAC ont bien souvent suscité entre nous le débat. Il faut aller vers une agriculture durable. La suppression des néonicotinoïdes est inéluctable, mais les interdire brutalement sans solution de substitution fragiliserait notre économie. Soyons-y attentifs. Souvenez-vous de la manière dont nous avons procédé pour le bisphénol : nous avons prévu un délai, pour donner le temps aux laboratoires de travailler à des voies de substitution. Dans une région comme la Franche-Comté, il est tout à la fois vital de ne pas fragiliser des productions florissantes, comme celle du Comté, et de prévenir la pollution de nos cours d'eau et de nos sols karstiques. Il s'agit de modifier en douceur les pratiques, en se donnant le temps de trouver des solutions de rechange, afin de ne pas fragiliser notre économie. La conférence sur le climat sera l'occasion de revenir sur ces questions.
Je rejoins ce qui a été dit sur la chasse. Les chasseurs, comme les pêcheurs, jouent un rôle dans la préservation de la biodiversité. En Franche-Comté, ce sont des associations de pêche qui ont lancé des pétitions pour la défense de nos cours d'eau.
Il faut, ce sera mon dernier point, cesser de détruire des terres agricoles. Quand on élabore un SCoT, il faut travailler en densité. Alors que tant de bourgs-centres sont à moitié dépeuplés, il n'y a pas de raison de s'étendre en périphérie.
Nous serons présents dans le débat sur ce texte, que nous voulons productif.
M. Daniel Gremillet. - Je remercie Sophie Primas pour la qualité de ses analyses.
L'expression de développement durable me choque : elle fait injure à ceux qui nous ont précédés. S'ils avaient fait n'importe quoi, nous ne serions pas là. Le développement durable a toujours été recherché, mais les pratiques sont liées au savoir de chaque époque. Les photos qui nous entourent dans cette salle montrent combien l'homme a façonné le paysage.
Gardons-nous de tomber dans le piège qui consisterait à faire de ce projet de loi un simple texte d'affichage en vue de la Cop 21, comme dans le travers qui conduirait à penser que la France peut régler seule les problèmes du monde, ou montrer seule la voie à suivre. Et n'oublions pas tous ceux qui font fonctionner l'économie sur nos territoires.
Veillons à ne pas faire supporter par les acteurs économiques des terres agricoles et forestières tout l'effort de compensation au développement - je ferai des propositions en ce sens. Ce serait se donner bonne conscience à bon compte. Il ne faut pas perdre de vue, même si Saint-Nazaire, qui gagne sur la mer, en donne un contre-exemple, que le territoire français ne changera pas de dimension. Et ce territoire est inscrit dans l'Europe : attention à ne pas nous engager dans des politiques qui créeraient des distorsions avec nos voisins européens.
Ce projet de loi empile des structures: une vache n'y retrouverait pas son veau. Et cela coûte cher. Cela me rappelle ce que l'on a constaté sur la culture du riz : plus le nombre d'associations contre la faim qui s'en mêlent augmente, plus la production de riz à l'hectare diminue. Ce qu'il faut, c'est une ligne directrice. Cela me ramène au problème des agences de l'eau, qui vient d'être évoqué, et qui fera débat dans l'hémicycle.
M. Robert Navarro. - Je remercie notre rapporteure pour sa sagesse et son bon sens. C'est ce même souci du bon sens qui anime la majorité des groupes du Sénat. Le texte adopté par l'Assemblée nationale, en pleine période d'élections départementales, est une attaque en règle contre les chasseurs, qui ne vaudra rien ni à la République ni à la biodiversité. Les premières vigies de la biodiversité sont les acteurs de terrain : agriculteurs, chasseurs et leurs associations communales, élus locaux. Il ne s'agit pas, en la matière, de se livrer aux humeurs de la mode. Il faut des dizaines d'années pour infléchir les choses. Sachons faire preuve de sagesse et de tempérance.
M. Bruno Sido. - Je m'étonne du nombre de mesures à caractère réglementaire que comporte ce texte de loi. L'interdiction des néonicotinoïdes, en est un exemple. Nous avons créé à grand frais une agence, l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire), qui a tous pouvoirs en la matière. Quand on entend la ministre de l'écologie déclarer au débotté que le Roundup va être interdit à la vente...
M. Martial Bourquin. - Elle a raison.
M. Bruno Sido. - Elle sort de son rôle. C'est à l'Anses de trancher. Si on ne la laisse pas faire son travail, autant la supprimer, cela coûtera moins cher.
M. Daniel Laurent. - On a fait, en France, le Grenelle - même s'il n'a pas été voté avec la même unanimité sur tous les bancs... Il faut prendre la mesure des vrais problèmes au lieu de chercher, par idéologie et sous la pression de certains lobbies, à laver plus blanc que blanc. Nous sommes parmi les pays les plus protecteurs en Europe, au point que les autres pays en sont surpris - signe que c'est antiéconomique. On nous fait miroiter des créations d'emploi, mais combien le Grenelle en a-t-il produit ? Qu'on ne vienne pas nous faire croire que la reconquête de la biodiversité va créer des emplois !
Nous connaissons des problèmes économiques majeurs. La réduction du coût du travail est une priorité. Cela passe par des mesures en faveur de l'économie et non qui la contraignent. Or, à tous les niveaux, on crée des difficultés aux entreprises. Comment créeraient-elles des emplois ?
Les règles européennes ? Les produits phytosanitaires interdits ? Mais des camions ne cessent de passer la frontière pour venir en livrer en France ! Où est la politique européenne sur les phytosanitaires ? Chacun, en Europe, joue sa partition.
M. Gérard Bailly. - Moi qui croyais que l'on vantait, en France, les vertus de l'agriculture extensive, j'ai été on ne peut plus surpris par le colloque organisé à Bercy pour préparer la Cop 21, où j'ai entendu tout le contraire. On nous a vanté les mérites de l'agriculture intensive, qui réduit l'empreinte carbone, des vaches produisant 9 000 litres de lait par an, des vêlages précoces, des parcelles peu étendues. Après avoir institué des maxima dans les zones d'appellation comme le Comté - pas plus de 4 600 litres de lait par vache, pas plus de 1 800 kilos de farine par bête - voilà qu'on nous annonce, à la veille de la COP 21, que peu importent les gaz entériques, il faut plus de vaches à l'hectare, et des génisses qui vêlent dès deux ans et non plus à trente mois. J'avoue que comme moi, les agriculteurs qui se trouvaient là étaient un peu perdus, et on les comprend. Il serait bon que nos débats éclairent un peu le sujet.
Sur la classification des cours d'eau, on va enfin arriver à un résultat : c'est un point positif. Je regrette, en revanche, l'absence de toute mesure contre les prédateurs, qui commencent à nous coûter cher. Le nombre de loups ne cesse de croître. Dans les Alpes-Maritimes, les chiffres des cinq premiers mois de l'année témoignent de la catastrophe. Les agriculteurs sont déjà exaspérés ; récemment encore, ils ont manifesté en déposant des tas de fumier sur la voie publique, et on vient leur rajouter, par-dessus le marché, le problème des prédateurs. Il serait bon que ce texte y réponde.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Bravo à Sophie Primas pour son travail. Je veux insister sur la forêt, que ce texte ne prend pas en compte à sa juste mesure. Voyez la composition de l'Agence française pour la biodiversité : on y fait une large place, à juste titre, aux milieux ultramarins, mais les espaces forestiers sont réduits à la portion congrue.
M. Jean-Jacques Lasserre. - Cet excellent rapport permet de soulever des questions de principe et de confronter les points de vue. J'en remercie Sophie Primas. Je partage le souci de concilier protection de la biodiversité et impératifs économiques. Il faut être lucides ; comme le rappelait Daniel Gremillet, ce sont souvent les agents économiques qui sont appelés à payer la facture des mesures environnementales. Quand je me déplace à Paris au milieu de la pollution, je me dis que l'agriculteur que je suis n'a guère à se sentir coupable du réchauffement climatique. Or, on accumule les exigences sur la tête des agriculteurs. Une belle émission rappelait l'autre jour, à la télévision, l'origine des produits entrant dans l'agro-alimentaire. J'y ai appris que les cornichons étaient produits à 98% en Inde. Nous perdons sans cesse des parts de marché. Ce débat doit être l'occasion de quelques rectifications.
Il faut, certes, protéger les espèces, mais nous allons trop loin dans beaucoup de cas. On sait combien de chantiers sont ainsi arrêtés, au prix d'importants surcoûts. Même chose en matière de protection contre les risques naturels. Protéger la biodiversité ne doit pas vouloir dire, non plus, laisser la nature à l'abandon. Il faut revisiter tous les concepts.
Il y aurait aussi beaucoup de choses à dire sur la PAC. Imposer des obligations uniformes conduit parfois à des absurdités. L'obligation d'assolement à 30% dans une région comme la mienne, où le climat ne permet de produire que du maïs n'a pas de sens, elle ne fera qu'abîmer les sols.
Il est temps, sans nier les exigences environnementales auxquelles tout le monde adhère, d'abandonner des poncifs qui conduisent à des réglementations parfois insupportables.
M. Franck Montaugé. - Merci à Sophie Primas pour la qualité de son rapport. Je donnerai, au nom de mon groupe, quelques indications sur les amendements que nous serons amenés à présenter.
Les acteurs de la chasse sont essentiels à la préservation de la biodiversité. N'oublions pas l'impact économique de la filière chasse, qu'une étude, qui sera bientôt publiée estime à 2,3 milliards d'euros par an. Et l'on aurait bien du mal à gérer nos territoires ruraux sans les associations de chasseurs. Les amendements que nous porterons sur la chasse ne sont pas nouveaux, et montrent que le sujet transcende les clivages politiques. L'un concerne la chasse à la glu, qui ne vise qu'à capturer les oiseaux pour en faire des appelants. Je ne reviens pas sur l'amendement « blaireaux ». Nous présenterons également un amendement visant à proportionner la représentation des chasseurs à l'ONCFS au financement qu'ils apportent à cet organisme.
M. Michel Magras. - Je félicite à mon tour notre rapporteure. Nous avons commencé à prendre en compte l'environnement dans nos projets de loi le jour où nous avons compris que l'homme est une espèce parmi les autres. Il doit, pour subvenir à ses besoins, prélever sur les autres espèces. D'où la nécessité de faire reposer l'équilibre sur trois piliers : équilibre social de l'espèce humaine, équilibre économique, mais aussi équilibre de la ressource qui, pour être bien gérée, exige des mesures législatives. Et je ne parle pas seulement de la ressource biologique, mais aussi de la ressource géologique, des paysages. Certaines nations considèrent la valeur économique d'un bien naturel comme un outil de développement. Les États-Unis estiment ainsi en millions de dollars la valeur de leurs plages et définissent, de là, les actions de protection à mener.
La biodiversité du milieu marin, bien plus importante, selon les études, que celle du milieu terrestre, ne doit pas être négligée. Il faudra en tenir compte dans la gestion future.
Quand la France transpose les directives décidées dans les hautes sphères de Bruxelles, elle est plus zélée que ses voisins. Pourquoi en rajouter ainsi ? D'autant que nombre de ces dispositions ne sont pas adaptées à l'outre-mer.
Je m'étonne de trouver dans ce texte un chapitre dont les douze articles autorisent le Gouvernement à légiférer par ordonnances sur toutes sortes de sujets. Une habilitation si large a de quoi surprendre quand on sait que les lois de ratification ne nous laissent que peu de marges de modification.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je félicite à mon tour Sophie Primas. J'espère que Jérôme Bignon repartira avec la conviction que malgré la disparition de notre grande commission ancestrale, la commission des affaires économiques, que l'on soupçonne parfois de penchants productivistes, reste très attentive aux questions environnementales.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Je vous remercie de votre soutien. Je rassure M. Labbé : ce que je propose sur la ressource génétique ne remet pas en cause le partage des avantages. Il est important de respecter les usages et de lutter contre la biopiraterie. Mon amendement ne vise que quelques alinéas, qui posent problème, notamment, aux petits semenciers. Il me semble important de protéger nos entreprises.
Je n'entrerai pas dans le débat sur les néonicotinoïdes, qui aura lieu en séance.
Mon amendement sur la composition du conseil d'administration de l'ONCFS a provoqué le mécontentement de Ladislas Poniatowski. J'indique que je l'ai déposé, après avoir entendu l'Office et la Fédération nationale des chasseurs. Deux voies s'offraient pour le faire. Soit, comme je vous le propose, rester à vingt-deux membres, et récupérer les postes sur le quota des non-chasseurs, pour préserver la majorité des chasseurs, soit augmenter le nombre des administrateurs, ce qui suppose, pour conserver aux chasseurs leur majorité, de porter ce nombre à vingt-six.
M. Ladislas Poniatowski. - Cela a un coût.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Je n'ai pas été saisie du problème de la période de frai des saumons. L'examen en séance n'étant pas prévu avant la rentrée, nous avons le temps de nous y pencher d'ici là.
Je remercie Martial Bourquin de ses propos. Nous pouvons certes avoir des différences de vue sur la place où situer le curseur, mais je n'ai procédé qu'à des ajustements, sans modifier en profondeur ce texte, qui vient en complément des lois Grenelle.
Je ne perds pas de vue la Cop 21, mais les sujets, touchant au climat, qu'elle sera amenée à aborder sont bien plus larges que la seule question de la biodiversité, à laquelle ce texte est circonscrit. Ce qui répond à la préoccupation de Daniel Gremillet : la question du réchauffement climatique relève de la Cop 21.
Je partage l'avis de Bruno Sido sur l'Anses, dont l'excellence est partout reconnue en Europe. Nombre d'entreprises européennes qui fabriquent des produits phytosanitaires s'en recommandent. Le processus des autorisations doit s'appuyer sur elle.
Pour répondre à Gérard Bailly, l'agriculture extensive favorise la biodiversité, en maintenant les prairies. Mais il est vrai que les agriculteurs peuvent se sentir parfois un peu perdus face aux orientations retenues par les pouvoirs publics.
Anne-Catherine Loisier a attiré l'attention sur la composition du conseil d'administration de l'Agence française pour la biodiversité, qui laisse peu de place aux acteurs de la forêt. Je partage son point de vue, mais notre commission n'est pas saisie de cet article. Jérôme Bignon aura sans nul doute noté ce souci.
Il est vrai, comme l'a souligné Jean-Jacques Lasserre, que la facture des politiques environnementales est souvent portée par les agents économiques. C'est pourquoi, à l'article 33, relatif aux obligations réelles environnementales, je propose un amendement mettant en cause le principe de la contrepartie pour les acteurs économiques.
Je partage la position de M. Montaugé sur la chasse à la glu, sur laquelle je me suis penchée avec intérêt.
M. Franck Montaugé. - En fait de glu, il s'agit d'huile de lin.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Il est vrai que le terme de chasse est impropre, puisqu'il ne s'agit que de capturer des oiseaux pour en faire des appelants. Les images que l'on trouve exposées sur internet sont assez éloignées de la réalité de la pratique, très encadrée, de cette chasse traditionnelle qui ne concerne que cinq départements du sud de la France.
Je souscris aux propos de Michel Magras sur l'importance des paysages. Ce projet de loi leur fait une place, mais il s'agit d'articles dont nous ne sommes pas saisis. Je ne doute pas que Jérôme Bignon y sera, là aussi, attentif.
La biodiversité maritime mérite, en effet, d'être prise en compte. C'est bien pourquoi nous estimons que les pêcheurs ont leur place dans les instances de gestion des zones de conservation halieutique.
Je partage largement votre regret de voir demandée une telle quantité d'habilitations. Je vous proposerai d'en supprimer deux, pour réintroduire certaines dispositions dans la loi.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 1 est relatif à la composition du conseil d'administration de l'ONCFS. Comme je l'ai dit, tout en maintenant le nombre des membres à 22, il rend la majorité aux chasseurs et réserve trois sièges, sur le quota des non-chasseurs, aux représentants des collectivités territoriales, respectivement désignés par l'AMF, l'ADF et l'ARF.
M. Ladislas Poniatowski. -. L'ONCFS emploie 1 400 personnes, ce qui suppose un budget conséquent, abondé à 60% par les chasseurs et à 40% par les deux ministères concernés, agriculture et environnement, ce qui explique la présence de représentants de l'État au conseil d'administration. Qu'est-ce qui justifierait, en revanche, la présence de trois représentants des collectivités ? Autant je suis d'accord pour la suppression du quatrième alinéa, autant je ne peux vous suivre sur ce deuxième point, dont je comprends mal la justification.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - J'ai entendu le directeur général de l'ONCFS et le président de la Fédération nationale des chasseurs, qui ne m'ont pas indiqués être opposés à cette proposition.
M. Ladislas Poniatowski. - Mais quels financements les collectivités territoriales apporteront-elles à l'ONCFS ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Seuls ceux qui financent auraient, pour vous, voix au chapitre ?
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - La participation au conseil d'administration n'implique pas, en effet, participation financière.
M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - j'ai également consulté les représentants de l'ONCFS et des chasseurs qui ne m'ont pas indiqué être opposés à cette disposition.
M. Ladislas Poniatowski. - L'amendement ne précise pas que ces trois sièges seront pris hors du quota des chasseurs.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - C'est arithmétique. Dès lors que l'amendement rend la majorité aux chasseurs, c'est sur le quota hors-chasseurs que seront pris ces trois sièges.
M. Daniel Gremillet. - Qui, sur ce quota, renoncera ? Il est important que nous sachions si l'équilibre sera préservé ?
M. Franck Montaugé. - Nous proposerons un conseil d'administration à 26, avec 13 sièges pour les chasseurs.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Les deux solutions sont possibles. Si celle-ci se révèle plus consensuelle, je suis prête à modifier mon amendement, en séance ou dès à présent.
M. Ladislas Poniatowski. - Il faut que les chasseurs restent majoritaires. Même avec un conseil à 26 membres, il faudra, en tout état de cause, changer la destination de l'un des sièges hors quota. Qui sacrifiera-t-on ? Un forestier ? Un agriculteur ?
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Peut-être notre rapporteure peut-elle formaliser dès à présent un amendement alternatif ?
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Le conseil d'administration compterait 26 membres ; treize sièges seraient réservés aux chasseurs et, parmi les treize autres, trois le seraient aux représentants des collectivités : deux grâce à l'adjonction de sièges supplémentaires, un grâce au retrait d'un représentant d'un autre organisme, par exemple de l'Etat.
M. Ladislas Poniatowski. - Il faudra savoir ce qu'en pense le Gouvernement...
M. Martial Bourquin. - L'important est de revenir sur ce qu'a voté l'Assemblée nationale.
M. Ladislas Poniatowski. - En supprimant l'alinéa 4.
M. Martial Bourquin. - La nouvelle proposition qui nous est faite par notre rapporteure est équilibrée.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Nous conservons la majorité aux chasseurs et nous ouvrons le conseil d'administration aux représentants des collectivités.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vais donc mettre aux voix l'amendement rectifié.
M. Joël Labbé. - Je m'abstiendrai.
L'amendement n° AFFECO.1 rectifié est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 2 vise à supprimer l'article 11 bis qui prévoit la remise d'un rapport au Parlement relatif à l'élargissement du périmètre de l'Agence française pour la biodiversité et à l'opportunité de fusionner cette agence avec d'autres établissements publics nationaux afin de permettre une meilleure prise en compte de la biodiversité terrestre. Il sera toujours loisible aux commissions compétentes ou au Gouvernement de se saisir de ce sujet.
M. Martial Bourquin. - Le groupe socialiste s'abstiendra. Le débat aura lieu en séance.
L'amendement n° AFFECO.2 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 33 vise à lever une ambiguïté dans la rédaction de l'article 18, qui organise l'accès et le partage des avantages liés aux ressources génétiques et connaissances traditionnelles. Une lecture stricte de ses alinéas 49 à 53 pourrait en effet laisser croire que lorsque le détenteur d'une collection de ressources constituée avant l'entrée en vigueur de la loi réutilise ses ressources pour un nouveau développement à but commercial, il doit passer de nouveau par la procédure d'accès et de partage des avantages. Une telle interprétation serait dangereuse, en particulier pour les instituts de recherche comme l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui ont constitué des collections depuis des décennies sans toujours pouvoir en retracer l'historique.
M. Martial Bourquin. - Nous nous abstiendrons.
M. Joël Labbé. - Je voterai contre l'amendement.
L'amendement n° AFFECO.33 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 4 vise à supprimer l'article 27 bis qui prévoit que le document d'orientation et d'objectifs du SCoT devra traduire les dispositions pertinentes des chartes de parcs nationaux, comme c'est le cas pour les chartes des parcs naturels régionaux. Cela va à l'encontre de l'idée d'un SCoT intégrateur et répond à la demande forte de l'AMF d'un moratoire sur la modification des documents d'urbanisme.
M. Martial Bourquin. - Nous sommes défavorables.
M. Joël Labbé. - Moi de même.
L'amendement n° AFFECO.4 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 18 vise à supprimer l'article 32 quater, ajouté par les députés, qui donne à l'Agence des Espaces Verts (AEV) de la région Ile-de-France la possibilité d'instituer un droit de préemption sur tout l'espace non urbanisé ou non urbanisable de la région. Alors qu'il existe des procédures contractuelles très efficaces entre les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) et l'AEV, les pouvoirs ici donnés à l'AEV sont exorbitants et pourraient s'exercer au détriment des agriculteurs, puisque l'Agence n'a pas mission de leur louer des terres. Elle pourrait ainsi se prévaloir d'un droit de préemption, sans allouer par la suite ces terres à l'agriculture.
M. Martial Bourquin. - Nous sommes favorables à l'amendement.
M. Joël Labbé. - Défavorable.
L'amendement n° AFFECO.18 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - L'article 33 A, issu d'amendements parlementaires en première lecture à l'Assemblée nationale, perfectionne le dispositif de la compensation environnementale, en permettant de déléguer la compensation à des opérateurs spécialisés et de constituer, à l'avance, des réserves d'actifs naturels. Contribuer à la constitution de ces actifs serait alors une des formes que pourrait prendre la compensation environnementale.
Il n'existe pas de barèmes pour cette compensation, car chaque cas est particulier, et une telle mesure n'est pas souhaitable car elle conduirait à tarifer les atteintes à l'environnement, mettant à mal le principe voulant qu'on évite d'abord, qu'on réduise les impacts ensuite, et enfin, qu'on compense les atteintes à l'environnement, lorsque celles-ci constituent l'inévitable conséquence d'un projet.
Or, l'alinéa 8 de cet article entame une énumération des formes que pourrait prendre la compensation, en précisant que celle-ci peut prendre la forme des obligations réelles environnementales (ORE) de l'article 33. Nous aurions pu compléter l'énumération, en citant par exemple les cahiers des charges environnementaux des SAFER en cas de rétrocession de parcelles après préemption, situation prévue par le code rural et de la pêche maritime. Dresser une liste des compensations possibles serait nécessairement sans fin. C'est pourquoi je vous propose, par mon amendement n° 19, de supprimer cet alinéa 8.
M. Martial Bourquin. - Nous sommes défavorables.
M. Joël Labbé. - Moi de même.
L'amendement n° AFFECO.19 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - L'article 33 crée un nouvel outil, l'obligation réelle environnementale, que je vous propose de mieux encadrer. Je vous proposerai quatre amendements à cette fin.
La rédaction actuelle, qui permet aux propriétaires d'un bien de contracter pour faire naître les « obligations que bon leur semble » pourrait donner lieu à des conventions fantaisistes, comportant des clauses farfelues. Mon amendement n° 20 renvoie au décret le soin de dresser la liste des obligations réelles environnementales pouvant être mises en place.
Mon amendement n° 21 vise à assurer un meilleur équilibre entre parties prenantes au contrat initial créant l'obligation réelle. Durant les débats à l'Assemblée nationale, l'obligation réelle environnementale a été présentée comme un contrat à long terme. La durée de l'obligation et les possibilités de résiliation doivent d'ailleurs être précisées. Je vous propose donc de faire cesser l'obligation, lorsque la contrepartie de celle-ci, a cessé de produire ses effets. Ainsi, l'obligation devra faire l'objet de contreparties, même si celles-ci sont librement négociées entre les partenaires.
Mon amendement n° 32 renforce l'exigence de précision du dispositif des obligations réelles environnementales en prévoyant que les engagements réciproques des parties au contrat initial doivent être précisés au sein dudit contrat.
Enfin, mon amendement n° 22 prévoit que le contrat créant l'obligation réelle environnementale ne peut être un acte sous seing privé, mais un acte en forme authentique. En effet, les députés ont prévu que l'obligation réelle environnementale serait inscrite au fichier immobilier, ce qui permettra aux propriétaires successifs de la connaître. Or, le passage par un notaire paraît le seul moyen fiable de garantir l'inscription de l'obligation réelle à ce fichier. La traçabilité de cet engagement juridique ne peut en effet pas reposer sur un document connu de ses seuls signataires. L'amendement dispense cette inscription de la taxe sur la publicité foncière.
M. Martial Bourquin. - Le groupe socialiste s'abstiendra sur ces quatre amendements.
M. Joël Labbé. - Je voterai contre.
Les amendements n°s 20, 32, 21 et 22 sont successivement adoptés.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - L'article 34 crée un nouveau zonage environnemental, les zones prioritaires pour la biodiversité. Dans ces zones, afin de protéger des espèces très menacées dans leur survie, du fait d'atteintes à leur habitat naturel, l'autorité administrative peut mettre en place des mesures draconiennes, pouvant aller jusqu'à l'obligation d'adopter certaines pratiques agricoles, plutôt que des mesures partenariales du type « mesures agro-environnementales ». Or, l'arsenal de protection des espèces en danger est déjà bien fourni. Par ailleurs, le dispositif ne prévoit pas de compensation systématique des surcoûts imposés aux agriculteurs. Cet article a été écrit pour répondre au contentieux soulevé contre la France par la Commission européenne au sujet du grand hamster d'Alsace, mais il est d'application beaucoup trop large. Pour toutes ces raisons, je vous propose un amendement de suppression n° 23.
M. Yannick Vaugrenard. - Le groupe socialiste est défavorable.
M. Joël Labbé. - Le groupe écologiste de même.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - J'y suis personnellement très favorable. Quand on voit les contraintes qui s'accumulent sur les sols destinés à l'agriculture, on se demande qui aura encore le courage de cultiver la terre.
L'amendement n° AFFECO.23 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - L'article 35 permet d'effectuer un assolement en commun pour un motif environnemental. Un tel ajout dans la loi n'emporte pas de conséquences négatives. La finalité de l'assolement en commun n'est aujourd'hui pas définie par la loi. Il s'agit avant tout, pour les agriculteurs, d'une pratique à but économique et social : mon amendement n° 24 vise à le rappeler.
M. Martial Bourquin. - Nous sommes favorables.
M. Joël Labbé. - Moi de même, les trois objectifs vont de pair.
L'amendement n° AFFECO.24 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - L'article 36 met l'aménagement foncier agricole et rural, nouvelle dénomination du remembrement, au service d'objectifs environnementaux, en plus de ses objectifs agricoles. Or c'est une procédure exorbitante du droit commun, dont il convient de fixer précisément les buts et limites. Donner un objectif proprement environnemental à la redistribution parcellaire consiste à changer la nature de cet instrument, et à l'étendre de manière considérable. Je vous propose donc un amendement de suppression n° 25.
M. Martial Bourquin. - Nous nous abstiendrons.
M. Joël Labbé. - Moi de même.
L'amendement n° AFFECO.25 est adopté.
Article 36 quinquies A (nouveau)
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Cet article 36 quinquies A est le fruit d'un amendement adopté nuitamment à l'Assemblée nationale, qui rend obligatoire la végétalisation des toitures et incite très largement à la non-imperméabilisation des parkings. Je vous proposerai, par mon amendement n° 6, de supprimer cet article. Je m'en expliquerai plus longuement en séance mais pour résumer, j'estime que la loi doit porter une obligation de résultats plutôt que de moyens. Quant aux contraintes sur les parkings, la loi Alur et la loi relative à l'artisanat les ont déjà durcies. J'ajoute que ce qui est proposé est, pour moi, contraire à l'objectif de protection de l'environnement puisque la non-imperméabilisation est de nature à entraîner une pollution des nappes phréatiques par les hydrocarbures.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je puis ici apporter mon témoignage d'élu local : j'ai fait végétaliser le toit d'une école et j'en subis aujourd'hui les conséquences : tout est à refaire.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Je précise que mon amendement ne vise pas à contester la végétalisation, mais le fait de la retenir comme solution unique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - C'est souvent efficace. Tout dépend de la manière dont elle a été faite.
M. Martial Bourquin. - Nous nous abstiendrons.
M. Joël Labbé. - Je voterai contre l'amendement.
L'amendement n° AFFECO.6 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - L'article 37 dispense d'évaluation individuelle l'activité de pêche maritime professionnelle dans les zones Natura 2000 en mer. C'est sage car on voit mal comment chaque pêcheur pourrait faire une étude d'impact pour chaque zone Natura 2000 où il sera amené à pêcher.
Il faudra cependant avoir réalisé l'analyse de l'incidence de l'activité de pêche maritime professionnelle dans la zone, dans le document d'objectif du site Natura 2000, et mettre en oeuvre les mesures de gestion imposées sur le site.
La rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale parle de mesures règlementaires. Or, la gestion des sites Natura 2000 passe de manière privilégiée par des mesures contractuelles. Il est donc préférable de préciser, comme je vous le propose par mon amendement n° 26, que la dispense d'évaluation individuelle par les pêcheurs vaut lorsque le site Natura 2000 est doté de mesures de gestion, quelle qu'en soit la nature.
M. Martial Bourquin. - Nous sommes favorables.
M. Joël Labbé. - Je m'abstiens.
L'amendement n° AFFECO.26 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 27 rétablit la possibilité pour les comités régionaux des pêches et les comités régionaux de conchyliculture d'être désignés gestionnaires des réserves naturelles marines. Les députés l'avaient à tort supprimée, au motif qu'il y aurait conflit d'intérêt, ce qui n'est nullement le cas.
M. Martial Bourquin. - Nous nous abstiendrons.
M. Joël Labbé. - Je voterai contre.
L'amendement n° AFFECO.27 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - L'article 43 crée des zones de conservation halieutiques pour protéger les zones de reproduction et de croissance des poissons et crustacés. Les professionnels de la pêche jugent le mécanisme proposé trop rigide, tout reposant sur un décret de classement, qui délimite la zone et définit les mesures à mettre en oeuvre. Je vous propose, par mon amendement n° 28, de renvoyer au décret le soin de fixer les grands objectifs, le périmètre et la durée de la zone de conservation halieutique, et à l'autorité administrative, probablement au préfet maritime, le soin de décider des mesures appropriées à mettre en oeuvre dans la zone.
M. Martial Bourquin. - Nous nous abstiendrons.
M. Joël Labbé. - Moi de même.
L'amendement n° AFFECO.28 est adopté.
Article 51 quinquies (nouveau)
L'amendement de cohérence rédactionnelle n° AFFECO.29 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - L'article 51 nonies, ajouté par les députés, donne la priorité à deux types d'actions dans le cadre du plan Ecophyto : soutenir les GIEE et supprimer les néonicotinoïdes. Or, il existe de nombreux autres objectifs qui méritent tout autant d'attention, comme la diffusion des résultats des expérimentations dans les fermes du réseau Dephy, la recherche du moindre usage des autres produits que les néonicotinoïdes. Pour ne pas restreindre les possibilités, je vous propose un amendement de suppression n° 30.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Le groupe socialiste votera contre.
M. Joël Labbé. - Moi de même.
L'amendement n° AFFECO.30 est adopté.
Article 51 quaterdecies (nouveau)
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 31 vise à supprimer l'article 51 quaterdecies, qui interdit l'usage des néonicotinoïdes à compter du 1er janvier 2016. Nous aurons une large discussion sur ce sujet en séance.
M. Martial Bourquin. -Favorable.
M. Joël Labbé. - Je voterai contre.
L'amendement n° AFFECO.31 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 7 vise à harmoniser les délais de transmission des procès-verbaux des gardes-chasse et gardes-pêche.
L'amendement n° AFFECO.7 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 8 vise à supprimer cet article qui applique aux piscicultures les dispositions relatives au classement en deux catégories des cours d'eaux, canaux et plans d'eau. Cela pose des problèmes d'application. Des discussions sont en cours qui aboutiront peut-être à un amendement du Gouvernement en séance.
M. Martial Bourquin. - Défavorable.
M. Joël Labbé. - De même.
L'amendement n°AFFECO.8 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 9 comble un oubli.
M. Martial Bourquin. - Nous nous abstiendrons.
M. Joël Labbé. - Moi de même.
L'amendement n° AFFECO.9 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n°10 revient au compromis difficilement obtenu, lors de la discussion du projet de loi d'avenir de l'agriculture, entre les chasseurs et les forestiers.
M. Martial Bourquin. - Nous nous abstiendrons.
M. Joël Labbé. - Défavorable.
L'amendement n° AFFECO.10 est adopté
Article additionnel près l'article 58
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 11 ouvre la faculté de proroger de six mois le schéma départemental de gestion cynégétique lorsqu'il est en phase de réécriture.
L'amendement n° AFFECO.11 tendant à insérer un article additionnel après l'article 58 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 12 vise à supprimer une demande d'habilitation à légiférer par ordonnances afin de modifier directement le droit en vigueur, comme je vous le proposerai à l'amendement suivant.
L'amendement n° AFFECO.12 est adopté.
Article additionnel après l'article 59
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 13 réécrit l'article L. 421-12 du code de l'environnement relatif aux fédérations interdépartementales des chasseurs afin de supprimer les dispositions spécifiques applicables à la fédération interdépartementale des chasseurs pour les départements de l'Essonne, du Val-d'Oise et des Yvelines, d'une part, et à la fédération interdépartementale des chasseurs pour les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, d'autre part. Ces règles n'ont plus vocation à s'appliquer puisque ces deux fédérations interdépartementales ont fusionné.
L'amendement n° AFFECO.13 tendant à insérer un article additionnel après l'article 59 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 14, sur lequel nous avons travaillé très étroitement avec le ministère, évite de recourir à une habilitation. Il vise notamment à préciser le vocabulaire employé pour les animaux dit « nuisibles », le sens de l'adjectif étant de fait très différent selon les dispositifs de régulation concernés. Il s'agit de remplacer les mots : « animaux nuisibles » par « animaux d'espèces non domestiques », lorsqu'il est fait référence aux animaux sauvages « nuisibles » au sens large, pouvant recouvrir tout type d'espèce protégée ou non ; et de remplacer les mots : « animaux nuisibles » par les mots « animaux susceptibles d'occasionner des dégâts » lorsqu'il est fait référence aux animaux nuisibles dans le sens spécifique d'animaux appartenant à la classe juridique particulière d'animaux dont la destruction est autorisée.
M. Martial Bourquin. - Nous nous abstiendrons.
M. Joël Labbé. - Favorable à cet amendement.
L'amendement n° AFFECO.14 est adopté.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 15 vise à supprimer l'article 68 quater, qui interdit la chasse aux mammifères pendant les périodes de reproduction et de dépendance, à l'exception de ceux classés nuisibles ou qui font l'objet d'un plan de chasse. Il ne vise pas, au reste, les seuls blaireaux mais va bien au-delà, et conduirait à des aberrations.
M. Joël Labbé. - Les blaireaux font partie de la biodiversité. On en trouve même, si j'en crois l'expression, dans l'espèce humaine. Blague à part, je ne suis pas favorable à l'amendement, même si je reconnais que les chasseurs participent utilement à la régulation des espèces.
M. Martial Bourquin. - Nous sommes favorables à l'amendement. Dans plusieurs départements, les blaireaux sont porteurs de maladies susceptibles d'infecter les bovins. Il peut être utile de les chasser hors période réglementée.
L'amendement n° AFFECO.15 est adopté.
Article 68 quinquies (nouveau)
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° 16 vise à supprimer l'article 68 quinquies, qui interdit la chasse à la glu. Je m'en suis expliquée.
M. Ladislas Poniatowski. - Cette chasse se pratique dans cinq départements de la région PACA : Alpes-Maritimes, Var, Bouches-du-Rhône, Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse. Les oiseaux englués ne sont pas tués, il ne s'agit que de les capturer pour en faire des appelants. C'est une chasse très contrôlée, et limitée en quantité.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. - Nous aurons l'occasion d'en reparler en séance. J'ai reçu la fédération de chasseurs concernée, qui défend le caractère social de cette chasse. J'ai été impressionnée par la qualité de la protection assurée aux animaux ainsi capturés, qui sont mis en volière d'une année sur l'autre ou relâchés à défaut à la fin de la saison.
M. Ladislas Poniatowski. - Ceux qui se révèlent de mauvais appelants sont également relâchés.
M. Franck Montaugé. - C'est la même chose que pour la chasse à la palombe. On attrape les oiseaux au filet pour en faire des appelants.
M. Joël Labbé. - Je voterai contre l'amendement.
M. Martial Bourquin. - Nous sommes favorables.
L'amendement n° AFFECO.16 est adopté.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je mets aux voix l'avis de la commission sur l'ensemble du projet de loi.
La commission émet un avis favorable au projet de loi ainsi modifié.
Audition de Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, et M. Bruno Sido, sénateur, sur le rapport fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) : « Sécurité numérique et risques : enjeux et chances pour les entreprises »
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir à présent Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée co-auteur avec notre collègue Bruno Sido du rapport fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et intitulé « sécurité numérique et risques : enjeux et chances pour les entreprises ». Notre commission avait en effet saisi l'Office d'une demande d'étude sur le risque numérique en juin 2013. L'intervention des rapporteurs sera précédée de la projection d'une brève vidéo.
M. Bruno Sido, co-rapporteur. - Mme Le Dain, députée, et moi-même, avons donc aujourd'hui le plaisir de vous présenter ce rapport de l'OPECST sur le risque numérique. C'est à partir d'une saisine de la commission des affaires économiques, en effet, que nous avons entrepris une étude de faisabilité adoptée par l'Office le 16 avril 2014.
Cette saisine faisait elle-même suite à une journée d'auditions publiques organisée conjointement par l'OPECST et les commissions chargées de la défense de l'Assemblée nationale et du Sénat au mois de février 2013. Ce jour-là, l'audition publique avait été scindée en deux parties, la première relative au risque numérique militaire et la seconde au risque numérique civil, qui était apparue moins documentée.
Au début de nos investigations, nous comptions donc réaliser notre rapport en approfondissant la seule question du risque numérique civil afin de compléter la journée d'audition du 21 février 2013. Mais il nous est rapidement apparu que, en matière de risque numérique, la distinction entre le civil et le militaire était artificielle, compte tenu justement de la nature du numérique, qui est présent partout.
Au terme d'une centaine d'auditions comprenant trois journées d'auditions publiques et des déplacements à Bruxelles et en province, notamment près de Rennes pour visiter le centre de haute sécurité de la direction générale pour l'armement (DGA) et le laboratoire de haute sécurité de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), proche de Nancy, vos rapporteurs ont établi une douzaine de constats sur la situation de la sécurité numérique et procédé à trois choix pour mener à bien leur étude.
Au début de celle-ci, nous avons pris soin de rencontrer notre collègue Daniel Raoul, alors président de la commission des affaires économiques du Sénat, et qui est aujourd'hui de retour à l'OPECST, ce dont nous nous réjouissons.
Nous lui avons indiqué que nous centrerions notre réflexion sur les opérateurs d'importance vitale (OIV), prioritairement sur ceux des secteurs des télécommunications et de l'énergie, c'est-à-dire les entreprises dont le fonctionnement ne doit en aucun cas être interrompu, notamment pas par une défaillance de leur système d'information numérique.
Ces entreprises sont d'ailleurs soumises à des directives nationales de sécurité (DNS) qui leur imposent des obligations extrêmement précises, que la loi de programmation militaire de 2013 a renforcées.
Après quelques mois de nos travaux, l'angle d'attaque pour aborder l'étude à partir des OIV s'est révélé avoir été intéressant pour le raisonnement mais nous a conduit bientôt à replacer l'ensemble des activités desdits opérateurs dans la chaîne de sécurité numérique qu'ils constituent avec leurs fournisseurs, leurs sous-traitants, leurs clients et leurs personnels.
En outre, pour être tout à fait complet, alors que le Gouvernement annonce depuis des mois un ambitieux projet de loi sur le numérique, il n'a cependant pas attendu le dépôt de celui-ci pour prendre, comme déjà dans la loi de programmation militaire, en 2013, des initiatives relatives justement aux OIV et, d'autre part, pour élaborer, au cours de l'été 2014, des mesures relatives à la sécurité numérique concernant les administrations.
Ce qui montre que le Gouvernement, comme nous-mêmes, avons été conduits à effectuer en parallèle des analyses rigoureuses sur les différents secteurs pour finalement constater que tout se recoupe et que la sécurité numérique, voire la sécurité tout court, ne peuvent être assurées qu'à partir de mesures reliées entre elles.
Par quelque bout que l'on considère la question, les ramifications du numérique apparaissent constituer le système nerveux de la société et même, en partie, celui des individus qui la composent, d'où l'impossibilité de scinder artificiellement les préoccupations de sécurité en divers segments d'études.
C'est bien ce qu'ont vu, les premiers, les personnes s'attaquant aux systèmes numériques. À l'heure où notre pays se trouve placé sous le plan Vigipirate à son plus haut degré - soit alerte attentats -, le thème d'étude de l'OPECST s'est trouvé être, de plus en plus, au coeur des préoccupations de tous les parlementaires comme de nos concitoyens.
Pour relever le défi de la sécurité numérique, depuis quelques années, des dispositifs ingénieux ont été imaginés et des moyens réels en hommes et en moyens ont été accordés. Par exemple, en 2009, l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'informations (ANSSI) a été créée.
Mais, dès l'abord, je dois préciser que des dispositifs étaient déjà en place avant 2009 et que, à présent, ce n'est pas en accordant toujours davantage de compétences à l'ANSSI ni en portant, par exemple, ses effectifs de 300 à 1 000 ou à 3 000 - seuils qui ne sont d'ailleurs nullement envisagés -, qu'on résoudrait toutes les questions posées par les failles de la sécurité numérique ni qu'on parerait à toutes les attaques dont cette sécurité est l'objet.
En effet, cette question transversale de sécurité suppose l'acquisition par l'ensemble de la société d'une culture du numérique et d'une éducation initiale et continue à la hauteur des services rendus par la technique, à la fois en dépit et en raison des fragilités qu'elle recèle.
Depuis le début de mon propos, vous vous demandez peut-être si les rapporteurs de l'OPECST n'ont pas cédé à quelque alarmisme. Je vous rassurerai en disant que nous avons d'abord souhaité démontrer dans une analyse, que nous avons voulu extrêmement fouillée, le mécanisme de transmission d'un message au sein du système d'information de l'entreprise et les fragilités, souvent de conception, des matériels, des réseaux, des services et des diverses applications numériques.
Mais avant cela, nous devons lever une ambiguïté. En dépit de l'actualité sur les aspects les plus médiatisés du risque numérique et ses liens avec le terrorisme, le présent rapport de l'Office n'a rien d'une fresque générale ou journalistique sur le numérique ou, par exemple, de considérations sur la gouvernance mondiale de l'Internet, car il s'agit d'un rapport centré sur la sécurité d'une technique.
L'OPECST produit de tels rapports directement liés aux préoccupations des entreprises que, malheureusement, l'Assemblée nationale comme le Sénat ont parfois tendance à négliger. C'est pourquoi je rappelle que la commission des affaires économiques du Sénat, à l'origine de la saisine, s'inquiétait fort pertinemment de l'éventuelle fragilité des entreprises liée notamment aux vulnérabilités des réseaux, des matériels et des logiciels numériques. Cela est particulièrement technique.
En qualité de membre de cette commission, j'insiste sur l'importance de l'interrogation exprimée lors de la saisine et sur la réalité du risque numérique.
La question sous-jacente posée à l'Office était notamment celle du pillage organisé des informations des entreprises. En effet, il serait déraisonnable de continuer à ignorer que des tiers, des concurrents, puisent dans ces informations comme dans un libre-service. La situation de l'économie française s'accommode-t-elle de tels pillages ou bien résulte-t-elle en partie de ceux-ci, alors justement qu'ils durent depuis des années ?
Face à cela, à un moment donné, il nous est apparu que les imperfections constatées pourraient constituer également des chances et c'est cet aspect que Mme Anne-Yvonne Le Dain va maintenant développer pour vous montrer aussi que la situation comporte bien des facettes pouvant inciter à une mobilisation constructive.
Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, co-rapporteure. - Merci de m'accueillir dans votre commission. Députée de l'Hérault, je suis membre de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Nous avons, durant plus de six mois, réalisé plus de cent auditions, sur un sujet nous paraissant potentiellement créateur d'emplois plus que porteur de craintes. Or la question numérique est, en France, soit inexistante, soit présentée de façon inquiétante, en mettant en avant la problématique de la protection des données personnelles.
Entre l'autorégulation du secteur et son encadrement très strict, nous pensons cependant qu'il y a une voie plus positive à trouver, consistant à créer une excellence française - et même européenne - en matière de sécurité informatique. Nous avons de nombreux atouts en la matière : une solide école de mathématique, des ingénieurs compétents, des start up innovantes, des centres de recherche de premier plan, des connaissances poussées en cryptographie, cryptologie, langage informatique, codage, linguistique ... Nous devons inventer des solutions qui ne soient pas récupérées par notre premier concurrent, les États-Unis, ni par des pays comme la Russie, l'Inde ou la Chine.
Pour cela, il faut se débarrasser des préjugés et attitudes routinières, comme ceux liés à l'image des hackers. Si certains sont malveillants, d'autres sont des génies, que nous devrions être capables de mettre au service de l'intérêt commun. Certaines personnes nous ont rapporté le cas de jeunes entreprises innovantes rapidement rachetées par de grosses sociétés américaines, soit pour récupérer les technologies qu'elles développent, soit au contraire pour les neutraliser.
Nous devons, en tant que parlementaires, montrer l'exemple, personnellement mais aussi à travers nos assemblées et les collectivités territoriales dont nous sommes élus. Certaines de nos propositions vont en ce sens. Le projet de loi numérique en cours de préparation par la secrétaire d'État chargée du numérique, Mme Axelle Lemaire, devrait aborder les problématiques liées à l'usage de l'Internet. Le programme « French Tech » entend donner aux petites entreprises technologiques cherchant à se développer les moyens de le faire. Ce texte fait l'objet d'un appel à contributions sur Internet depuis une semaine environ.
Cette économie de l'Internet ne peut être appréhendée de la même façon qu'avant, en se bornant à exiger des autorisations ou fixer des contraintes. Il faut intégrer toutes ces nouveautés qui, de toute façon, vont s'imposer à nous, et faire de l'économie à partir du droit, en quelque sorte.
Nos comportements trahissent notre manque de vigilance, voire notre insouciance dans le domaine de la sécurité informatique. Il est vrai que ces enjeux n'ont longtemps pas été soulevés, l'informatique étant perçue très positivement - à raison d'ailleurs - mais sans prendre conscience de ses dangers. Et je vous rappelle qu'il y a cinq ans, un terminal comme l'IPhone n'existait pas. Il faut que nous ajustions nos modes de raisonnement à ces nouvelles réalités. Qui d'entre nous hésite à s'abonner à une messagerie électronique contrôlée par une firme étrangère ? La fluidité, l'instantanéité, la simplicité ou l'ergonomie priment sur la sécurité, la régularité et les considérations intellectuelles, morales et politiques. Qui prend le temps de réfléchir à la voie de transmission la plus sûre avant d'envoyer un message sensible ou confidentiel ? Nos propres services informatiques, au sein des assemblées, sont-ils performants en matière de sécurité ? Dans les entreprises, les postes de directeur des services informatique (DSI) sont relégués dans les services techniques, loin du comité de direction, alors qu'ils y auraient pleinement leur place. Les salariés amenés à voyager pour le compte de l'entreprise utilisent-ils à l'étranger des téléphones sécurisés ?
La question du langage est fondamentale en ce domaine. L'Éducation nationale a bien sûr un rôle important à jouer. Nous proposons, à cet égard, d'enseigner le codage dès la maternelle de façon ludique, et de développer une véritable filière d'enseignement en informatique intégrant des modules d'apprentissage des réflexes de sécurité. Il faut apprendre aux enfants à utiliser tout le potentiel, mais aussi à se méfier des technologies, dès le plus jeune âge, à cinq ou six ans. Or, aujourd'hui, l'informatique n'est pas ou peu présente dans les programmes, et en tout cas n'aborde pas les problématiques liées à la sécurité. Il faut aller en ce sens dans les écoles spécialisées et les universités. Où recruterons-nous les enseignants capables de faire passer ces messages et ces compétences ? La résistance de la communauté en place est forte : l'ancien ministre de l'Éducation nationale, Claude Allègre, s'y était heurté lorsqu'il avait cherché, il y a quelques années, à créer des postes dans le domaine des sciences et technologies de l'information. Il avait raison, en fait, comme l'a montré l'utilité des 900 postes créés par la suite à l'INRIA. Il faut aller vers des diplômes qualifiant ces compétences, mais en unifiant les différentes disciplines sollicitées.
M. Bruno Sido, co-rapporteur. - Pour bien situer notre propos par rapport aux contextes international, européen et national actuels, je souhaiterais insister sur la totale symbiose existant entre le numérique et la société. En général, chacun admet ce phénomène fusionnel mais sans accepter d'en tirer vraiment les conséquences. Ainsi, il ne sert à rien d'élever des digues juridiques ou technologiques si, dans le même temps, des accords internationaux ou la réalité d'un rapport de force non encadré viennent ruiner nos efforts.
Autant une partie de notre rapport entre dans le détail des systèmes informatiques, autant il nous a paru indispensable de faire précéder cette analyse par une vision d'ensemble. Tel fut le cas pour expliquer pourquoi la négociation actuelle du traité de partenariat transatlantique et le rythme d'avancée de l'élaboration de la directive et du projet de règlement européens, ainsi que la maturation de la stratégie numérique et du projet de loi sur le numérique en France, sont en réalité étroitement liées.
Vous pouvez trouver, dans les deux premiers chapitres du rapport, les raisons pour lesquelles il est très important que les droits et libertés soient respectés dans l'univers numérique tout en veillant à protéger la souveraineté numérique de la France comme de l'Union européenne. Il s'agit là d'objectifs vitaux qui doivent primer sur la libre circulation des marchandises, l'abaissement des droits de douane ou l'instauration d'une concurrence libre et parfaite.
Vos rapporteurs se sont d'ailleurs demandé s'il ne serait pas primordial de concevoir une exception numérique d'après le modèle de l'exception culturelle et pour les mêmes raisons. En effet, l'exception culturelle a permis de conserver une industrie cinématographique française dynamique alors qu'elle aurait pu être laminée par des principes commerciaux qui prétendaient la dominer. Les cinémas d'autres pays d'Europe en ont été victimes.
De même dans le numérique, toutes les chances doivent être mises de notre côté pour que des industries françaises et européennes puissent concevoir, fabriquer, voire au moins contrôler pour les labelliser, les matériels, les logiciels, les systèmes d'exploitation, les coeurs de réseaux qui forment la longue chaîne de la sécurité numérique. Cette idée n'a pu être qu'esquissée dans ce rapport mais elle mériterait d'être développée dans d'autres enceintes et, prioritairement, de se concrétiser avant qu'il ne soit définitivement trop tard.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur les schémas figurant dans le rapport. Beaucoup d'entre eux ont été élaborés par l'OPECST, ce qui n'est pas si fréquent. Ils nous ont semblé indispensables pour expliciter une réalité numérique multiple difficile à appréhender autrement. C'est ainsi que le schéma de l'éléphant vous permet soudain de voir que, par exemple, la perception du numérique est généralement trop parcellaire, ce qu'illustre d'ailleurs au quotidien la multitude de rapports parlementaires traitant de ce thème. En effet, beaucoup de ces études n'ont traité que d'un aspect bien particulier du numérique. Et très peu ont approfondi la question transversale de la sécurité du recours croissant au numérique par les entreprises.
C'est ainsi qu'un rapport parlementaire a analysé l'ouverture des données ou « open data », un autre le traitement des données massives ou « big data », le troisième la gouvernance mondiale de l'Internet, un autre enfin le modèle proposé par les États-Unis d'Amérique, et ainsi de suite. Face à cela, le présent rapport n'a pas pour ambition de constituer une anthologie du numérique mais de montrer que, même si cela ne saute pas aux yeux, toutes les questions évoquées à l'instant sont interdépendantes.
La sécurité numérique est présente derrière chacune d'entre elles et permet, peut-être, de reconstituer le puzzle des Internets et de tous les aspects du numérique en général, pour en faire ce que vous trouvez à la page 73 du rapport sous la forme imagée d'un éléphant.
Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, co-rapporteure. - Ce schéma de l'éléphant est une métaphore de l'humain croyant voir le tout parce qu'il est énorme et juste devant lui, alors qu'il n'en saisit qu'un des éléments constitutif ; c'est ce qui nous arrive aujourd'hui avec Internet.
Un autre schéma représente le réseau global d'Internet en Ile-de-France, Renater, mis en place dans les années 90 pour les chercheurs et scientifiques, et dont le coeur est sous la Défense. Il est d'une puissance colossale et fonctionne parfaitement, de façon très sécurisée. Imaginons un instant que cette technologie rentre dans le monde de l'entreprise et de la libre circulation des données ! Un spécialiste nous a indiqué que, à cet endroit, une frontière numérique séparerait l'Inde de l'Europe du point de vue de la gestion des réseaux numériques, ce qui ne tombe pas sous le sens.
Il est plus facile d'installer un réseau quand on n'en possède pas que d'en rénover un. Nous avons des difficultés techniques et financières, en France, à substituer un réseau fibre au réseau cuivre. La Corée est, elle, passée directement au très haut débit.
Un autre schéma représente les ramifications numériques d'une entreprise avec son centre de gestion, ses activités de production, ses contacts avec l'extérieur et, évoluant au coeur de tout cela, les multiples connexions, par nature très imprévisibles, de ses employés. Il est évident que des liens entre tous ces éléments, de leur continuité, de leur intégrité, dépendent, dans un premier temps, la sécurité numérique, et, bien sûr ensuite, la protection contre de mauvaises surprises.
À cet égard, une des propositions de recommandations que vos rapporteurs ont imaginées consiste à couper totalement les SCADA - c'est-à-dire les systèmes numériques commandant la production - de l'Internet. Cette préconisation peut, à première vue, sembler très exagérée à beaucoup d'organisations qui croient fonctionner parfaitement actuellement.
Cependant, pour vous convaincre en un instant de l'utilité de cette recommandation, j'évoquerai simplement l'anecdote rapportée par une personne entendue, à savoir la pénétration du système des SCADA d'un hôpital nord-américain par un adolescent de seize ans qui avait réussi à bloquer la climatisation de cet établissement et exigeait ensuite le paiement d'une rançon pour rétablir le bon fonctionnement de cet hôpital.
Par ailleurs, quand on sait que des logiciels d'attaques informatiques sont maintenant disponibles dans le commerce, le rapprochement de ces deux faits peut conduire à réfléchir. D'autant que, même si notre rapport a souhaité disséquer, pour ainsi dire, la complexité de la sécurité numérique d'une entreprise, un des constats auxquels vos rapporteurs sont parvenus, et figurant dans le préambule du rapport, est le suivant : au-delà des failles technologiques, les failles humaines entraînent les plus graves vulnérabilités.
D'où l'effort d'éducation que j'ai déjà évoqué et, plus généralement, une action de sensibilisation à mener dont la petite projection du début de notre réunion a montré la nécessité. En effet, ce film réalisé par le CIGREF, réseau de grandes entreprises, à la demande d'une quarantaine d'entreprises internationales, est destiné à être diffusé accompagné du jeu sérieux (serious game) qu'il annonce à tous les employés desdites sociétés avec, évidemment, l'espoir que cette sensibilisation gagne leurs familles et d'autres entreprises, ainsi que les administrations, voire les politiques eux-mêmes.
En outre, figure en annexe du tome premier du rapport un petit questionnaire, imaginé par le même CIGREF, recensant certaines situations quotidiennes liées au numérique et proposant plusieurs réactions possibles traduisant la nécessité d'acquérir les réflexes d'une hygiène numérique. Il a été remis à chacun d'entre vous les quelques pages de ce jeu-questionnaire et, tout en écoutant avec attention notre présentation à deux voix, vous avez peut-être déjà tenté de déterminer ce qu'aurait été votre attitude numériquement responsable dans tel ou tel cas.
Quand on parcourt l'ensemble de ce questionnaire, chacun ne peut que s'étonner des erreurs qu'il commet en réponse ou même des hésitations apparues et qui auraient constitué des failles de sécurité dans la vie quotidienne. Cela illustre qu'il ne faudrait plus jamais concevoir quelque avancée du numérique que ce soit sans qu'une analyse approfondie ait pu proposer, dans le même temps, des instruments de sécurité. Une sécurité par conception comme disent les spécialistes. À noter au passage qu'une telle sécurité est très généralement absente de la conception des objets connectés.
Ce qui suppose aussi de faire preuve de davantage de cohérence dans la prise au sérieux du concept même de sécurité numérique. Et cela commence par les organigrammes des entreprises où l'empêcheur de tourner en rond que constitue souvent le responsable de la sécurité n'est pas situé au bon niveau pour que ses conseils puissent être entendus et acceptés à temps par les dirigeants.
Croyez bien que ces affirmations ne sont pas excessives car des exemples quotidiens montrent que les entreprises n'ont pas encore tiré les conséquences des impératifs que devraient leur dicter la sécurisation numérique de leurs activités. C'est ainsi que, dans de trop nombreuses entreprises, et au mépris total de la sécurité numérique, les employés utilisent indifféremment leurs matériels numériques personnels ou professionnels. Les accès Internet sont multiples, les personnes séjournant temporairement dans l'entreprise pas assez contrôlées, etc.
Des exemples récents montrent que des pirates ou attaquants ont bien compris que les failles du numérique peuvent être d'autant mieux exploités qu'elles sont élargies par les défaillances humaines. Évidemment, les pirates informatiques tablent sur ces défaillances pour élaborer leurs attaques. C'est ce que les spécialistes du numérique appellent l'ingénierie sociale associée aux attaques techniques. Tel est, par exemple, le cas avec l'attaque connue sous le nom d'« arnaque au président » où, après une étude poussée des habitudes numériques et des caractéristiques de chacun des protagonistes par les pirates, un appel téléphonique du supposé président d'une société est adressé, le vendredi soir, à un comptable de cette entreprise pour lui demander d'expédier d'urgence, de la part du président, une somme importante qui permettra d'assurer in extremis, au cours de la fin de semaine, la conclusion d'une négociation déjà bien avancée.
Ce procédé peut vous paraître enfantin voire grossier, mais, à la fin de l'année 2014, l'entreprise Michelin a versé, et perdu, 1,6 million d'euros sur cette base. De nombreux dirigeants d'opérateurs d'importance vitale ont été sollicités de la même manière et tous n'ont pas eu la chance d'avoir des personnels assez sensibilisés au risque numérique pour ne pas tomber dans de tels traquenards. Parfois, même si l'attaque n'est pas identifiée immédiatement, il est encore possible d'interrompre les rebonds successifs de pays en pays de l'argent ainsi naïvement remis mais à condition d'opérer extrêmement rapidement.
M. Bruno Sido, co-rapporteur. - Je voudrais, avant de terminer notre présentation, et avant d'en venir à vos questions, évoquer les objets connectés dont chacun s'amuse et s'émerveille et qui ont constitué des cadeaux de Noël recherchés : il faut rappeler, encore une fois, que ces objets sont conçus d'abord pour séduire sans que la question de leur sécurité numérique soit incluse dès l'origine.
Or, d'après certaines personnes auditionnées, le nombre de ces objets par individu pourrait dépasser la cinquantaine dans quelques années et nombre de ces objets communiqueront entre eux sans intervention ni contrôle humains. D'où la recommandation de l'OPECST de prévoir des protocoles de conception d'objets connectés incluant obligatoirement à tout coup des préconisations de sécurité et, à tout le moins, une information sur l'impossibilité de les utiliser en toute sécurité.
Pour résumer l'esprit des propositions de recommandations essentielles faites par les rapporteurs de l'OPECST en faveur d'une amélioration de la sécurité numérique des entreprises, nous vous les présentons en distinguant les trois temps d'une attaque : avant, pendant et après. La sécurité numérique d'une entreprise ne s'improvise pas, elle se construit et ce processus doit être permanent.
Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, co-rapporteure. - Avant une attaque numérique, il serait infiniment souhaitable pour les entreprises de :
- classer les données et simuler des pertes d'archives ;
- chiffrer les données sensibles ;
- chiffrer les réseaux Wifi ;
- construire une sécurité numérique dans la profondeur ;
- établir un plan global de sécurité prévoyant l'homogénéité de celle-ci ;
- installer des sondes sur le réseau dont des sondes de détection d'attaque ;
- n'acheter que des matériels et ne recourir qu'à des fournisseurs référencés par l'ANSSI ;
- déconnecter les SCADA de l'Internet ;
- sécuriser les passerelles d'interconnexion avec l'Internet ;
- éviter l'usage d'infrastructures sans fil ;
- effectuer des tests d'intrusion et des exercices réguliers de crises informatiques, des audits de sécurité des règles informatiques ;
- former à la sécurité informatique ;
- mettre en place un centre de sécurité opérationnel ;
- assurer le risque numérique.
M. Bruno Sido, co-rapporteur. - Pendant une attaque numérique, il est urgent :
- d'activer les cellules de crise et les équipes d'intervention ;
- d'informer sans délai l'ANSSI et la Commission nationale informatique et liberté (CNIL) ;
- de communiquer avec d'autres OIV ;
- d'avoir à disposition le nom du développeur du site de l'entreprise, ses clés d'accès, ses mots de passe et la manière d'obtenir les journaux informatiques ;
- de réagir à un virus en moins de vingt-quatre heures ;
- d'analyser l'attaque informatique subie.
Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, co-rapporteure. - Après une attaque numérique, si une prévention avait été mise en place et utilisée lors de l'attaque, il faudrait :
- mettre en oeuvre les enseignements des exercices de restauration des archives ;
- changer les mots de passe.
Si toutes ces précautions avaient été négligées - et, dans ce cas, ce serait au préjudice des entreprises concernées -, il ne leur resterait plus qu'à observer d'urgence, mais un peu tard toutefois, chacune des recommandations de l'OPECST.
M. Bruno Sido, co-rapporteur. - Dans leurs préconisations, vos rapporteurs ont souhaité distinguer deux grandes catégories. D'abord une vingtaine de recommandations générales classées en cinq sous-ensembles, puis, pour ceux qui souhaitent construire une sécurité numérique cohérente, une centaine de recommandations placées sous un intitulé « Vade-mecum pour la sécurité numérique des entreprises » où ne sont détaillées qu'environ la moitié des idées que la centaine d'auditions a inspirées à vos rapporteurs.
Il est donc possible d'avoir deux niveaux de lecture des recommandations du rapport, l'une, traditionnelle, avec les vingt premières recommandations et l'autre, plus technique, et qui se veut opérationnelle, avec le vade-mecum destiné aux entreprises. Les recommandations de l'OPECST sont présentées entremêlées avec les recommandations de l'ANSSI pour bien montrer les articulations entre les éléments de sécurité complémentaires.
Faut-il rappeler que toutes les recommandations pouvant émaner de l'OPECST n'ont pas vocation à se traduire obligatoirement ou uniquement dans un texte législatif ? Elles peuvent également prendre des formes plus directes à destination soit du Gouvernement, soit encore des entreprises, soit, enfin, des individus eux-mêmes puisque, vous le verrez à la lecture de ce rapport, chacun d'entre nous peut en tirer des leçons pour son comportement quotidien personnel.
Pour terminer, il peut être mentionné que l'Office a souhaité renforcer l'adéquation entre l'objet du rapport et son intitulé pour mieux marquer que, face au risque numérique, il s'agit de renforcer les conditions de la sécurité numérique, de favoriser les conditions de la confiance à mettre en lui et de mieux indiquer que ce rapport est très largement tourné vers les entreprises qui, au-delà des risques qu'elles encourent, peuvent aussi se saisir des opportunités du marché de la sécurité numérique.
Nous vous remercions de votre attention et vous proposons de répondre maintenant à vos questions.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie pour la présentation de ce rapport très intéressant, qui mériterait d'être largement diffusé.
M. Yves Rome. - Je m'associe aux félicitations du Président Lenoir et salue la qualité de vos travaux. Votre rapport fait opportunément écho aux écoutes américaines dont nous avons appris l'existence ce matin.
La sécurité numérique est un sujet des plus importants, qui appelle une révolution culturelle de l'ensemble des acteurs et à une sensibilisation de chacun dès le plus jeune âge.
De nombreuses sociétés françaises, notamment en matière de recherche scientifique, ont réussi à élaborer des protections particulièrement efficaces de leurs données. Or, la confiance numérique est un secteur industriel émergent dont nous devons favoriser l'essor, au plan national et européen.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - En France, on a souvent de bonnes intuitions en matière de recherche, mais on ne se donne pas assez les moyens de les concrétiser. Je ne crois pas aux générations spontanées et je crains que la concurrence étrangère nous devance sur ce secteur porteur. Quelle stratégie politique pourrait-on, selon vous, mettre en oeuvre pour favoriser l'émergence d'entreprises françaises répondant aux différents besoins de sécurisation du numérique ?
Une piste serait d'associer les chambres de commerce et d'industrie (CCI) pour sensibiliser et accompagner les entreprises. Et pour renforcer notre présence en Europe, nous aurions intérêt à nous rapprocher de notre partenaire allemand qui est plus avancé que nous en la matière.
Mme Sophie Primas. - Je salue à mon tour la qualité du travail accompli sur un sujet majeur pour notre économie. Je rejoins notre collègue Marie-Noëlle Lienemann concernant les CCI.
Je suis particulièrement sensible à cette question de la sécurité numérique puisque de nombreuses entreprises de l'aérospatiale sont implantées dans mon département des Yvelines. J'ai pu assister à des réunions de chefs d'entreprises avec les cellules spécialisées de lutte contre la cybercriminalité de la gendarmerie et de la police ; il est sidérant de constater à quel point ces dirigeants de PME sont mal informés des risques encourus. Ce serait le rôle des CCI et des associations d'entrepreneurs de les sensibiliser et les conseiller.
M. Bruno Sido, co-rapporteur. - Vos interventions sont pertinentes. Ce que je retiens de notre étude c'est que sauf à tout crypter, la confidentialité des données est un leurre. Marie-Noëlle Lienemann a raison de s'interroger sur la stratégie européenne. Par exemple, sur une puce Intel, il y a des « portes de derrière » dont on ne sait rien. Avec un routeur chinois, on n'a aucune garantie de sécurité non plus. Peut-être n'est-il pas trop tard pour développer une industrie européenne robuste qui garantirait notre indépendance face aux États-Unis ou à la Chine.
Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, co-rapporteure. - Je vous remercie de votre accueil et de vos réactions. Nous ne pourrons pas régler seuls l'ensemble des problèmes soulevés. La France pourrait concentrer ses efforts sur le développement d'équipements de détection des attaques numériques, et bénéficier ainsi du programme d'investissements d'avenir (PIA). Ces sujets exigent une grande réactivité et impliquent de laisser la créativité s'exprimer, sans chercher à tout cadrer autoritairement.
Nous devrions également soumettre à notre droit français et européen les sociétés étrangères qui gèrent des serveurs sur notre territoire ou des sociétés françaises qui gèrent des entités hors du territoire national. Ce ne sera pas facile, car il s'agit souvent de sociétés américaines. Mais ces sociétés s'autorégulent, ce qui est utile par ailleurs.
Enfin, nous devons avoir confiance en nous, travailler sur la cryptologie et la virologie, et mettre nos moyens militaires et civils en commun pour ces enjeux de performances économiques.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie. Ce rapport vous a été demandé par la commission des affaires économiques du Sénat. Compte tenu de l'intérêt et de l'importance de vos travaux, il me semble opportun qu'un débat en séance plénière soit inscrit à l'ordre du jour du Sénat sur cette question fondamentale.
Stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je redonne la parole à notre collègue Bruno Sido, qui va nous présenter son rapport sur la proposition de résolution européenne n° 423 présentée le 4 mai dernier par nos collègues Catherine Morin-Desailly et Gaëtan Gorce pour une stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse.
M. Bruno Sido, co-rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, je vous propose de vous livrer un bref résumé de notre rapport, avant d'examiner la dizaine d'amendements qui ont été déposés.
La stratégie numérique de la Commission européenne, longtemps appuyée sur le seul marché unique, intègre désormais les deux autres volets que sont la régulation concurrentielle et la politique industrielle. Cela va dans le sens du message porté de longue date par la France et ses partenaires. Il faut aller de l'avant.
Cette proposition de résolution tend à « promouvoir une stratégie numérique ambitieuse et globale, au-delà de la seule construction d'un marché unique numérique parfaitement concurrentiel ». Elle prend donc le parti d'une approche plus interventionniste, et soutient l'enrichissement de la stratégie par les deux volets de la régulation concurrentielle et de la politique industrielle, qu'elle appelle à développer.
Elle recommande en outre de faire évoluer la fiscalité européenne du numérique pour mieux appréhender les grands acteurs transfrontaliers, de mieux assurer la protection des données personnelles et de garantir le respect des droits d'auteur.
La commission des affaires européennes a enrichi ce texte sur trois points. Elle a marqué son soutien à une véritable politique industrielle pour le numérique en Europe ; souligné l'importance pour l'Union de défendre des conditions de concurrence équitable dans les négociations commerciales, transatlantiques notamment ; et insisté sur l'importance des enjeux de cybersécurité pour les acteurs publics et privés européens.
Pour ma part, et après avoir procédé à trois auditions, je vous proposerai cinq amendements visant à saluer l'intégration des trois volets à la stratégie européenne, et appeler à développer les deuxième et troisième piliers ; à préciser que les carences en matière de régulation de la concurrence proviennent moins de l'action de la Commission européenne que des faiblesses intrinsèques aux instruments existants ; à plaider en faveur d'une meilleure intégration des contraintes liées à l'investissement des opérateurs dans la régulation, afin de permettre un déploiement plus rapide et plus large des réseaux à très haut débit sur l'ensemble du territoire européen ; à demander l'application du principe de loyauté aux plateformes et moteurs de recherche, dans l'intérêt des nombreuses petites et moyennes entreprises (PME) gravitant autour d'elles ; à appeler, enfin, à mettre en place au niveau européen des agences d'évaluation et de notation desdites plateformes.
Sous réserve de ces quelques modifications, ainsi que de celles préconisées à votre commission par nos collègues, je vous proposerai d'adopter cette proposition de résolution ainsi amendée.
M. Yves Rome. - Je félicite notre rapporteur pour la qualité de son travail. Nos amendements, au nombre de cinq, visent à insister sur la contribution de la France à la stratégie numérique européenne, ainsi que sur la nécessité d'engager un effort, au niveau européen, en faveur de la croissance des start up, à défendre la spécificité du droit d'auteur à la française et à protéger l'exception culturelle.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement n° COM-1, qui vise à rappeler la contribution de la France à la stratégie numérique européenne.
L'amendement n° COM-1 est adopté.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Mon amendement n° COM-6 appelle à intensifier l'action en matière de régulation concurrentielle et de politique industrielle, qui demeure très en-deçà de l'action relative au marché unique.
L'amendement n°COM-6 est adopté.
L'amendement de précision n° COM-7 est adopté.
M. Bruno Sido. - Avis favorable à l'amendement n° COM-3, qui vise à préserver le droit d'auteur à la française.
L'amendement n°COM-3 est adopté.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Mon amendement n° COM-8 appelle les instances européennes, soucieuses de favoriser à tout prix le respect du droit de la concurrence, à mieux prendre en compte les contraintes des opérateurs.
L'amendement n° COM-8 est adopté.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Mon amendement n° COM-9 vise à responsabiliser les grandes plates-formes, dont les décisions ont des répercussions sur des milliers de PME, en les appelant à respecter le principe de loyauté.
L'amendement n° COM-9 est adopté.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Mon amendement n° COM-10 appelle la création d'agences d'évaluation et de notation des grandes plates-formes numériques, dont le fonctionnement est inégalement pertinent et sujet à évolutions, afin d'éclairer les utilisateurs dans leurs usages.
L'amendement n° COM-10 est adopté.
M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n° COM-11 est relatif au droit d'auteur à l'ère numérique. Je suis tout prêt à m'y déclarer favorable, mais comment faut-il comprendre l'expression d'« assise territoriale réservée » ?
M. Yves Rome. - Disons qu'il s'agit d'une périphrase pour désigner le territoire français.
L'amendement n° COM-4 est adopté.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Favorable à l'amendement n° COM-2, qui appelle à accompagner le développement de start up européennes. Le plan Juncker en faveur de l'investissement doit contribuer à cette ambition.
L'amendement n° COM-2 est adopté.
M. Bruno Sido, rapporteur. - Favorable, enfin, à l'amendement n° COM-5, qui vise à préserver l'exception culturelle telle que la défend la France depuis longtemps.
L'amendement n° COM-5 est adopté.
La proposition de résolution européenne est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Deuxième dividende numérique et poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Il me semble important que la commission des affaires économiques demande à être saisie pour avis de la proposition de loi , adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre, n° 544, déposée le 24 juin 2015et renvoyée à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Il s'agit en effet de la réaffectation de la bande de fréquences des 700 Mégahertz de la télévision numérique terrestre vers le secteur des télécommunications, dont les enjeux industriels, économiques et financiers sont considérables.
Comme rapporteur pour avis, je vous propose Bruno Sido.
M. Bruno Sido est désigné rapporteur pour avis.
La réunion est levée à 12 h 40.