- Mercredi 18 mars
2015
- Justice et affaires intérieures - Lutte contre le terrorisme : proposition de résolution européenne de MM. Jean Bizet, Philippe Bonnecarrère, Michel Delebarre, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Gattolin, Jean-Jacques Hyest, Mme Colette Mélot, MM. Michel Mercier, André Reichardt et Simon Sutour
- Questions diverses
- Jeudi 19 mars 2015
Mercredi 18 mars 2015
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 15 h 05.
Justice et affaires intérieures - Lutte contre le terrorisme : proposition de résolution européenne de MM. Jean Bizet, Philippe Bonnecarrère, Michel Delebarre, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Gattolin, Jean-Jacques Hyest, Mme Colette Mélot, MM. Michel Mercier, André Reichardt et Simon Sutour
M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme.
Nous débattons dans un contexte marqué par l'attentat terroriste qui a été perpétré ce matin même à Tunis. Nous exprimons notre respect pour celles et ceux qui ont payé de leur vie cet acte odieux, ainsi qu'aux nombreuses personnes qui ont été blessées.
Je rappelle que ce texte résulte d'une série de travaux qui ont été conduits à partir du programme que notre bureau avait arrêté le 21 janvier.
Au cours des dernières semaines, nous avons ainsi entendu six communications :
- sur la création d'un PNR (Passenger Name Record) européen avec Simon Sutour ;
- sur le renforcement de l'espace Schengen avec André Reichardt ;
- sur les déchéances de nationalité avec Michel Mercier ;
- sur la création d'un Parquet européen avec Jean-Jacques Hyest et Philippe Bonnecarrère ;
- sur le renforcement de la coopération policière européenne, notamment à travers EUROPOL, avec Michel Delebarre et Joëlle Garriaud-Maylam ;
- sur la lutte contre la propagande terroriste sur internet avec Colette Mélot et André Gattolin.
Je veux remercier très sincèrement nos rapporteurs de s'être mobilisés très rapidement. Ils nous ont livré des analyses très fines de l'état du droit et des pratiques dans les domaines qu'ils ont traités. Ils ont aussi formulé des propositions très pertinentes qui ont donné lieu à des échanges au sein de la commission.
À partir de ces différentes contributions, une proposition de résolution européenne a été élaborée. Elle a fait l'objet d'une concertation entre les différents rapporteurs et avec la commission des lois. Les observations formulées à cette occasion ont été prises en compte.
Je rappelle que nous nous réunirons avec la commission des lois le mercredi 25 mars à 14h30. Celle-ci adoptera formellement la proposition de résolution européenne sur le rapport de notre collègue Jean-Jacques Hyest.
Le texte sera examiné en séance publique le mercredi 1er avril à 18h30. Je rappelle par ailleurs que le lundi 30 mars, soit deux jours avant le débat en séance, les présidents des commissions des affaires européennes du Bundesrat, de la Chambre des Lords, du Folketing danois, du Seimas de Lettonie et du Sénat espagnol ont accepté de venir au Sénat pour marquer l'unité de nos chambres respectives dans la lutte contre le terrorisme. À cette occasion, une déclaration sera adoptée.
Chacun d'entre vous a pu prendre connaissance de la proposition de résolution européenne qui vous a été adressée. Je ne serai donc pas trop long pour en présenter l'économie générale.
Dans une première partie, il est souligné dans neuf considérants que le terrorisme porte une atteinte directe aux valeurs fondamentales de l'Union européenne et qu'au nom de ces valeurs, les citoyens sont en droit d'exprimer des attentes fortes quant à leur sécurité. Nous le ressentons tous dans nos départements. Certes, la sécurité demeure de la responsabilité de chaque État membre. Mais l'Union doit oeuvrer à son niveau notamment en développant la coopération judiciaire et policière.
Nous rappelons qu'une menace terroriste grave et sans doute durable pèse désormais sur les sociétés européennes et aux frontières de l'Union. Elle justifie une réponse commune de façon urgente. Or la mise en oeuvre opérationnelle des instruments existants demeure insuffisante. Je conserve à l'esprit que plusieurs d'entre vous avaient insisté sur cette urgence, notamment pour l'adoption d'un système PNR européen.
Dans le même temps, chacun est bien conscient qu'une réflexion doit être conduite sur les causes profondes du phénomène terroriste et sur les moyens d'y remédier sur la durée. Pour cela, il faut des actions communes, notamment dans le domaine éducatif.
Pour tous ces motifs, il nous paraît nécessaire d'adopter une législation anti-terroriste commune. La deuxième partie de la proposition en détaille l'économie.
En premier lieu, il faut revoir la définition des infractions terroristes, notamment pour mieux prendre en compte les nationaux qui partent combattre à l'étranger en vue de commettre des actes de terrorisme.
À la suite de la communication d'André Reichardt, le texte demande un contrôle renforcé des frontières extérieures de l'espace Schengen et une révision du code frontières Schengen. Des contrôles doivent pouvoir être effectués sur des ressortissants des pays membres en fonction d'indicateurs de risque. Nous souhaitons une augmentation des moyens humains et financiers de FRONTEX et la création d'un corps de gardes-frontières européens. Il faut renforcer le système d'information Schengen (le SIS) et réfléchir plus activement à une politique européenne des visas.
Sur le rapport de Simon Sutour, nous avons débattu ici-même d'un PNR européen. La résolution que nous avons adoptée et qui est devenue définitive en souligne l'urgence tout en rappelant que toutes les garanties doivent être prévues pour protéger les données personnelles.
La lutte contre le terrorisme passe aussi par une action ferme contre les sources de financement et le trafic d'armes. Des textes existent et doivent être appliqués. D'autres sont en préparation. Ils doivent être adoptés rapidement. Dans ce domaine, la coopération internationale est par ailleurs essentielle.
Nous avons par ailleurs intégré les suggestions de Michel Delebarre et Joëlle Garriaud-Maylam sur la coopération policière. La mise en place d'une plate-forme européenne de lutte contre le terrorisme au sein d'EUROPOL serait en particulier très utile.
La coopération judiciaire est un autre enjeu essentiel. Nous avons entendu les arguments de Jean-Jacques Hyest et Philippe Bonnecarrère en faveur d'un Parquet européen. Il doit être collégial et décentralisé comme le Sénat l'avait demandé dans une précédente résolution. Ses compétences doivent être élargies à la lutte contre la criminalité grave transfrontière.
Sur la place d'internet dans la lutte contre le terrorisme, André Gattolin et Colette Mélot nous ont fait part de leurs suggestions. Le texte les reprend. Il rappelle notamment la responsabilité des acteurs privés de l'internet. Il demande aussi l'extension des compétences du Centre européen sur le cybercrime et le renforcement des moyens d'EUROPOL.
Le texte reprend également les analyses que nous a livrées Michel Mercier sur les déchéances de nationalité et ce qui ressort du droit international dans ce domaine.
Enfin, il insiste sur le besoin d'une stratégie éducative de précaution et de lutte contre la radicalisation, ainsi que sur la nécessité d'une coopération internationale renforcée.
En toute hypothèse, l'efficacité des instruments dont dispose l'Union européenne doit être évaluée de façon systématique. Le texte l'indique expressément.
Voilà les précisions que je souhaitais vous donner en guise d'introduction au débat que nous allons avoir maintenant. Nous examinerons ensuite le texte qui vous est proposé.
M. Jean-Jacques Hyest. - J'observe, tout d'abord, que le point 50 du texte qui nous est proposé sur les déchéances de nationalité ne fait que rappeler l'état du droit existant. Il ne donne lieu, contrairement aux autres points abordés, à aucune proposition alors qu'une résolution européenne est par nature « prescriptive ». En second lieu, je rappellerai que la question des déchéances de nationalité est purement nationale et trouve mal sa place dans un texte qui s'adresse aux Européens.
M. Simon Sutour. - Je me félicite, pour ma part, de l'initiative de la commission des affaires européennes. J'approuve la démarche tendant à faire approuver une déclaration commune sur le terrorisme par d'autres parlements européens. J'insiste sur le fait que la proposition qui nous est présentée est un texte de compromis et d'équilibre entre les groupes politiques du Sénat, d'une part, entre notre commission et la commission des lois, d'autre part. Il ne faudrait pas remettre en cause ce consensus.
M. Jean Bizet, président. - Je rappelle que le 3 février 2011, nous avions adopté une déclaration commune sur la réforme de la PAC avec les représentants du Sénat, de l'Assemblée nationale et du Bundestag allemand.
M. André Reichardt. - Le point 50 du texte sur les déchéances de nationalité me convient plutôt même s'il est un peu « frustrant ». Notre collègue Michel Mercier, dans sa communication, nous avait rappelé les conventions internationales et le droit national en la matière. Il avait aussi évoqué la censure possible du Conseil constitutionnel si étaient déchues des personnes ne disposant que d'une seule nationalité. Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que le droit international valide, en principe, les déchéances de nationalité
M. Jean-Jacques Hyest. - Ce qui me gêne dans le point 50, c'est qu'il intègre, en définitive, dans la résolution un débat franco-français qui ne regarde pas les instances européennes.
Mme Colette Mélot. - Ne pourrait-on pas, dans le texte, faire référence à la situation des binationaux ainsi que l'a fait Michel Mercier dans sa communication ?
M. André Gattolin. - Il existe, au niveau de l'Union, une seule citoyenneté européenne. Il n'existe pas de binationalité européenne !
M. Philippe Bonnecarrère. - Je voudrais rendre hommage à la pertinence du dispositif dans son ensemble. Son contenu me paraît d'une très grande qualité. Le point 50 a été, selon moi, rédigé avec beaucoup de finesse. Renoncer à aborder la question des déchéances de nationalité nous ferait perdre de la crédibilité. Michel Mercier nous a très bien montré que ce dossier, s'il était complexe, restait ouvert. Il a insisté sur le fait que les binationaux et les mono-nationaux devaient faire l'objet d'un traitement différencié. Il a même signalé, si je me souviens bien, que les déchéances de nationalité ayant pour conséquence une situation d'apatridie pouvaient ne pas être impossibles en droit.
M. Michel Billout. - Nous sommes tous d'accord pour coordonner les politiques des États européens dans le domaine policier et judiciaire. Mon groupe est aussi favorable au renforcement des moyens d'organismes européens tels qu'Eurojust ou FRONTEX. Nous sommes aussi, évidemment, d'accord pour lutter contre le trafic d'armes ou le blanchiment des capitaux servant à financer le terrorisme. En revanche, les points 23, 24 et 26 de la proposition de résolution européenne relatifs respectivement à la révision ciblée du « Code frontières Schengen », au contrôle partagé des frontières extérieures de l'Union européenne ou encore au système d'information Schengen nous paraissent poser problème. Je soutiens, par ailleurs, la position de Jean-Jacques Hyest sur les déchéances de nationalité. Cette question constitue un débat franco-français qui n'a pas sa place dans une résolution européenne. Au nom de mon groupe, je ne voterai pas contre le texte qui nous est présenté mais je m'abstiendrai.
M. Simon Sutour. - Permettez-moi de répéter que, de notre point de vue, la proposition de résolution, telle qu'elle nous est présentée, traduit un équilibre politique subtil. Elle constituera un outil qui nous permettra d'indiquer au Gouvernement ce que nous souhaitons. Je pense que cette démarche nous donne de la force et consolide, en définitive, le rôle des parlements nationaux en Europe conformément au traité de Lisbonne.
Sur le point 50 relatif aux déchéances de nationalité, nous serions éventuellement d'accord pour le supprimer, mais, dans sa rédaction actuelle, il ne nous gêne pas. Je me félicite que nous puissions débattre, le 30 mars prochain, avec les présidents des commissions des affaires européennes d'autres États européens.
M. Jean-Paul Emorine. - Je pense que dans la communication qui sera faite après l'adoption de cette proposition, il conviendra d'expliciter la notion de « PNR ». Soyons conscients que beaucoup de nos concitoyens ignorent de quoi il retourne !
M. André Gattolin. - La formulation du point 48 relatif à la création d'une formation à la sécurité informatique dans le cadre du programme Erasmus demanderait à être clarifiée. A-t-on souhaité préconiser la mise en place, dans le programme Erasmus, d'une formation spécifique en matière de sécurité informatique ou a-t-on voulu intégrer dans les formations européennes en informatique une dimension sur la sécurité informatique ? Je penche plutôt pour la seconde solution.
M. André Reichardt. - Je voudrais formuler plusieurs observations. Je me demande en premier lieu si la rédaction du point 50 de la proposition de résolution a « reçu l'aval » de Michel Mercier. Je voudrais, en second lieu, souligner le très grand intérêt du point 17 relatif à la création d'une législation antiterroriste commune, au niveau de l'Union européenne, sous la forme d'un « Acte pour la sécurité intérieure ». Cette démarche constituerait, pour moi, un acte très fort. Je rappelle que le « Patriot Act », après bien des controverses, n'est plus contesté aujourd'hui aux États-Unis d'Amérique.
S'agissant du contrôle des frontières extérieures de l'espace Schengen, il me paraît important de rappeler que, souvent, le « Code frontières Schengen » n'est tout simplement pas appliqué. Je pense, en particulier, au contrôle aux frontières de ces milliers de réfugiés qui arrivent par la mer sur les côtes italiennes et parmi lesquels, selon certains, pourraient d'ailleurs se dissimuler des « djihadistes ».
J'estime, pour ma part que les points 22, 23 et 24 du texte sont indispensables et constituent même un « minimum minimorum ».
Au point 26, j'estime que la rédaction selon laquelle « le système d'information Schengen (SIS) doit être perfectionné » est floue. Ce fichier informatisé est bien évidemment alimenté par les États membres. Je note que le texte qui nous est présenté n'inclut pas les relevés ADN dans les données d'identification enregistrées par le SIS II. Je le regrette.
Au point 36, qui préconise une meilleure utilisation des capacités d'EUROPOL, je proposerai de renoncer à la formule « faire en sorte que » qui est imprécise au profit de « demande que ».
Je relève que le point 44 se contente de relever « l'intérêt » des procédures prévues par la dernière loi du 13 novembre 2014 sur le terrorisme permettant d'obtenir des fournisseurs d'accès le blocage de certains sites Internet. Ce qui me paraît fondamental, c'est le point 43 du texte qui rappelle la responsabilité des « acteurs privés » de l'Internet et souhaite les voir mieux impliqués dans la lutte contre le terrorisme. Je rappelle que parmi les acteurs privés dont il s'agit, il y a évidemment les géants du Net comme « Google », mais aussi les « communautés d'internautes » dont l'implication est, elle aussi, absolument indispensable.
Je souligne enfin que la mutualisation de la surveillance des sites Internet au niveau européen est fondamentale. Aux États-Unis, quelque 300 personnes sont chargées de cette mission.
M. André Gattolin. - Au point 47, je ferai, moi aussi, une remarque de forme. À la formule « niveau élevé commun de sécurité » des réseaux, je préfère celle de « niveau commun élevé de sécurité ».
Pour la surveillance des sites Internet faisant l'apologie de la violence terroriste, la coopération européenne fonctionne assez bien.
M. Simon Sutour. - Nous avons tous été invités à faire des propositions de modification du texte avec un délai limite. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui tient compte des modifications souhaitées par ceux qui ont bien voulu en présenter. Il est donc le fruit de cette concertation et traduit, encore une fois, un consensus et un subtil équilibre qui peut être rompu à tout moment. Je souhaite, en conséquence, que l'on ne touche plus au texte car nous pourrions, en ce qui nous concerne, ne plus être en mesure d'y apporter notre signature.
M. Jean Bizet, président. - Je pense, comme Simon Sutour, que nous sommes en présence d'un texte délicat et très équilibré. En tout état de cause, « notre main doit être ferme » dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Sur la question des déchéances de nationalité, nous sommes tous d'accord sur le fait qu'elle relève du domaine national et que le droit international valide, en principe, ces procédures.
Sur les points 26, 47 et 48 évoqués par André Reichardt et André Gattolin, je vous propose d'apporter au texte les modifications d'ordre formel proposées. Je prends acte, enfin, de l'abstention que je qualifierai de « constructive » de notre collègue Michel Billout.
Je rappelle que notre commission des affaires européennes a commencé ses travaux sur les questions liées au terrorisme dès le 21 janvier. Nous avons désormais l'« ardente obligation » d'envoyer des messages au Gouvernement.
M. Jean-Jacques Hyest. - Certains sujets suscitent de nombreux débats. Ceux que nous venons d'aborder en font partie. La future loi sur le renseignement va en susciter bien d'autres.
Je suis personnellement sceptique sur la nécessité d'un « Patriot Act » européen. Je pense, pour ma part, que notre objectif doit être d'inciter les gouvernements européens à développer les coopérations et les pratiques communes comme dans le cas du « PNR européen ».
J'estime qu'il ne faut pas « mélanger » les débats franco-français et le débat européen. Par conséquent, je reste opposé à l'introduction, dans le texte, du point 50 sur les déchéances de nationalité.
M. Jean Bizet, président. - Le Gouvernement pourra s'appuyer sur cette résolution européenne qui traduit la volonté de la représentation nationale. La question abordée par le point 50 du texte relatif aux déchéances de nationalité rappelle les règles issues du droit international. Dans ce domaine, ce sont les États qui agissent mais sous le contrôle des cours européennes.
À l'issue de ce débat, la proposition de résolution européenne a été adoptée dans le texte suivant, M. Michel Billout s'abstenant.
Questions diverses
M. Simon Sutour. - Je rappellerai à nos collègues que les créneaux horaires qui seraient dévolus à la commission des affaires européennes seraient, selon les propositions du Bureau du Sénat, le mercredi soir de 19h30 à 21 h, le jeudi matin de 8h30 à 10h30, et le jeudi en début d'après-midi entre 13h30 et 15 h. Il est évident qu'avec de tels horaires, il nous sera difficile d'auditionner des ministres ou des commissaires européens ! Le Sénat doit pouvoir continuer à jouer son « rôle européen » comme le prévoit l'article 88-1 de la Constitution. J'exprime le souhait que notre commission des affaires européennes puisse disposer, en la matière, de ce que j'appellerai une marge de manoeuvre intelligente.
M. Jean Bizet, président. - J'ai demandé, pour ma part, que la commission des affaires européennes puisse disposer, pour ses réunions, de tout le jeudi matin. Comme l'a souligné Simon Sutour, nous ne sommes par ailleurs pas maîtres des agendas des ministres ni des commissaires européens. Un peu de souplesse nous permettra d'organiser leurs auditions dans de bonnes conditions. La qualité du travail de notre commission est reconnue. Elle doit donc pouvoir se réunir à un rythme comparable à celui de notre homologue de l'Assemblée nationale avec laquelle nous organisons un certain nombre de réunions communes.
M. Jean-Paul Emorine. - Je partage les sentiments exprimés par Simon Sutour. Il est dommage que les réunions de la commission des affaires européennes soient traitées comme celles d'une délégation.
M. Michel Delebarre. - Je note, pour ma part, que nous avons organisé une audition conjointe avec la commission de l'Assemblée nationale de M. Franz Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne. Compte tenu des contraintes d'agenda de celui-ci, c'était un mardi en fin d'après-midi, à l'Assemblée nationale. Les sénateurs étaient d'ailleurs les plus nombreux dans la salle !
M. Michel Billout. - Les propositions de réforme qui nous sont annoncées par le Bureau du Sénat présentent, selon nous, une contradiction en ce qui concerne notre commission des affaires européennes. En effet, celle-ci est plutôt « maltraitée » quant aux créneaux horaires suggérés pour ses réunions hebdomadaires. Dans le même temps, ses prérogatives seraient renforcées à l'horizon 2017. J'observe, en second lieu, que les mêmes propositions de réforme portent atteinte, de notre point de vue, au droit d'amendement en séance.
La réunion est levée à 16 h 20.
Jeudi 19 mars 2015
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 10 h 10.
Économie, finances et fiscalité - Semestre européen et flexibilité dans le pacte de stabilité et de croissance : communication de Mme Fabienne Keller et M. François Marc
M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle une communication de Fabienne Keller et François Marc sur le semestre européen et la flexibilité dans le Pacte de croissance et de stabilité.
L'actualité dans ce domaine est assez chargée et mérite toute notre attention. Le 13 janvier, la Commission européenne a rendu publique une communication qui explore les possibilités de flexibilité dans l'application du Pacte de stabilité et de croissance. Le 25 février, elle a fait connaître son avis sur le budget français.
Je rappelle que dans sa recommandation qui a été adoptée par le Conseil, la Commission européenne demande à la France de mettre fin à la situation actuelle de déficit excessif en 2017 au plus tard. Elle fixe au 10 juin 2015 la date limite pour que la France engage une action suivie d'effets et remette un rapport détaillé sur la stratégie d'assainissement envisagé pour atteindre les objectifs fixés. Elle souligne que l'assainissement budgétaire devra être étayé par la mise en oeuvre de réformes structurelles globales et ambitieuses.
Nous avons débattu de cette recommandation avec le vice-président de la Commission européenne Valdis Dombrovskis que nous avons auditionné le 11 mars avec la commission des finances.
Dans le prolongement de cette audition, il est donc particulièrement intéressant d'entendre les analyses de nos rapporteurs.
M. François Marc. - La question de l'avenir de la zone euro prend aujourd'hui un relief particulier à la veille d'un Conseil européen pour partie dédié à la question de l'avenir de la Grèce au sein de celle-ci. Une réflexion a dans le même temps été lancée sur le renforcement de sa gouvernance. La surveillance des budgets de ses États membres demeure, quant à elle, un exercice important. Comme vous le savez, la Commission européenne a rendu, le 25 février dernier, son avis sur le déficit français. Je laisserai Fabienne Keller vous détailler tout à l'heure les contours de la recommandation du Conseil qui a été adressée à notre Gouvernement.
Cet examen, qui concernait également la Belgique et l'Italie, s'inscrivait dans un contexte particulier au sein de la zone euro. Il s'agissait en effet d'une première pour la Commission Juncker, les avis rendus fin novembre dernier n'ayant pas la même portée politique. La crédibilité de la nouvelle équipe a pu ainsi apparaître en jeu, alors qu'elle n'avait jusqu'ici affiché d'intransigeance qu'à l'égard de la Grèce. Le cas de deux poids lourds de l'économie européenne comme la France et l'Italie avait donc valeur de test.
Au-delà, la Commission européenne a pu également mettre en oeuvre une lecture plus souple du Pacte de stabilité et de croissance, appréciation qu'elle avait détaillée le 13 janvier dernier au sein d'une communication et sur laquelle je vais m'attarder quelques instants.
À l'occasion de sa présentation, Jean-Claude Juncker avait insisté sur la nécessité de mieux tirer parti de la flexibilité introduite dans les règles du Pacte de stabilité et de croissance à l'occasion de ses réformes de 2005 et 2011. Le Conseil européen du 27 juin 2014 avait également mis l'accent sur cette flexibilité. Les réformes structurelles qui favorisent la croissance et améliorent la viabilité des finances publiques devaient, selon lui, bénéficier d'une attention particulière.
La Commission européenne a donc présenté, le 13 janvier 2015, une communication destinée à préciser la manière dont elle appliquera le Pacte de stabilité et de croissance afin de mieux prendre en compte les réformes structurelles menées par les États membres et les investissements qu'ils opèrent. Il s'agit d'appliquer le pacte de manière « intelligente, effective et crédible », selon les termes retenus par le vice-président Dombrovskis. Le degré de flexibilité varie néanmoins selon que l'État est soumis au volet préventif ou au volet correctif du pacte, c'est-à-dire quand son déficit dépasse 3 % du PIB ou quand son endettement est supérieur à 60 % et qu'il ne met pas en oeuvre les mesures destinées à le réduire de 5 % par an.
Cette lecture du pacte n'implique pas l'adoption de nouveaux textes législatifs. Ce qu'elle propose relève en effet plus de la clarification, voire de l'explication des modifications introduites en 2005 et en 2011, que d'un véritable changement de philosophie.
Ce faisant, la Commission européenne poursuit trois objectifs :
- encourager la mise en oeuvre de réformes structurelles ;
- promouvoir les investissements, notamment ceux effectués dans le cadre du Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI) ;
- pousser les États membres à adopter des mesures contra-cycliques en période de croissance.
La Commission européenne a souhaité tout d'abord rappeler l'existence d'une clause « réformes structurelles ». Celles-ci doivent répondre à trois conditions :
- être importantes ;
- comporter des effets budgétaires positifs à long terme démontrables. Une attention particulière sera portée à leurs incidences en matière de croissance durable potentielle ;
- être effectivement mises en oeuvre.
La Commission européenne définit deux cas de figure pour la mise en oeuvre de cette clause « réformes structurelles ».
Le premier concerne les pays couverts par le volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance. La Commission européenne évaluera les réformes menées dans ces pays avant de recommander d'éventuels écarts temporaires par rapport à la trajectoire d'ajustement budgétaire ou à l'objectif budgétaire à moyen terme. Ces écarts ne sauraient dépasser 0,5 % du PIB.
Les États membres qui se trouvent, quant à eux, visés par une procédure concernant les déficits excessifs pourraient se voir proposer une prolongation du délai envisagé pour la correction desdits déficits. Cette prorogation n'interviendrait qu'après évaluation du programme de réformes structurelles envisagées par le pays concerné. L'évaluation du programme peut se faire ex ante, c'est-à-dire après adoption par le gouvernement et/ou le parlement de l'État concerné mais avant sa mise en oeuvre. Les pays placés sous procédure visant les déficits excessifs demeurent tenus de respecter la règle d'un effort structurel annuel de 0,5 % de PIB. Il ne s'agirait pas, par ailleurs, d'un blanc-seing. L'absence de mise en oeuvre effective des réformes structurelles peut déboucher en effet sur un renforcement de la procédure visant les déficits excessifs. La Commission européenne rappelle, en outre, que l'absence de réformes structurelles est considérée comme un « facteur pertinent aggravant ».
Le volet « investissements » de la communication vise deux cas : les contributions nationales au Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) créé dans le cadre du Plan Juncker pour la relance, et la « clause investissements » déjà mise en avant en 2013.
La Commission européenne préconise en premier lieu de ne pas tenir compte des contributions nationales au FEIS lorsqu'elle analysera la situation budgétaire des États membres.
La Commission européenne précise ensuite le principe de la « clause investissements », déjà incorporé au sein de lignes directrices présentées le 3 juillet 2013 par l'exécutif précédent. Cette approche avait déjà été retenue pour examiner la situation de la Bulgarie en 2013 et celles de la Roumanie et de la Slovaquie un an plus tard.
La « clause investissement » ne concerne pas les États membres visés par une procédure pour déficit excessif, à l'instar de la France, mais ceux qui s'intègrent dans le volet préventif du pacte. Ces pays pourront s'écarter de la trajectoire budgétaire ou de l'objectif budgétaire à moyen terme (OMT) définis préalablement s'ils réalisent des investissements structurels, sans forcément passer par le FEIS. Plusieurs conditions devront néanmoins être retenues :
- ces pays devront être en récession ou disposer d'un produit intérieur brut inférieur d'au moins 1,5 % au potentiel ;
- la dérive des comptes publics induite par ces investissements ne pourra conduire à un déficit supérieur à 3 % du PIB, une marge de sécurité devrait ainsi être préalablement définie. L'écart devrait être comblé dans des délais fixés au sein d'un plan budgétaire à moyen terme, transmis dans le cadre des programmes de stabilité ;
- les investissements concernés correspondent à des dépenses effectives, cofinancées par le FEIS ou par l'Union européenne via la politique de cohésion, les fonds structurels, les réseaux transeuropéens et le mécanisme pour l'interconnexion en Europe ou l'Initiative pour l'emploi des jeunes.
La Commission européenne estimait en 2013 que l'endettement devait dans le même temps être réduit de 5 % par an. L'Italie avait, en 2013 et 2014, formulé deux demandes pour que soit prise en compte cette « clause investissement ». Elles avaient été repoussées pour ce motif. Cette condition disparaît dans la communication du 13 janvier 2015. L'assouplissement de la position de la Commission européenne est avéré sur ce point.
La Commission européenne rappelle enfin la possibilité de prendre en compte la conjoncture économique dans l'élaboration des mesures d'ajustement budgétaire. Ainsi, les États concernés par le volet préventif du pacte sont tenus d'intensifier leurs efforts budgétaires au cours des périodes de croissance. Pour les pays visés par le volet correctif, la Commission entend appliquer l'approche élaborée en 2014 et validée par le Conseil Ecofin du 20 juin 2014. Celle-ci vise à distinguer les évolutions budgétaires liées à l'action des gouvernements de celles induites par une dimension inattendue de l'activité économique. Elle conduit à étaler dans le temps l'atteinte de l'objectif budgétaire à moyen terme.
Plusieurs conclusions peuvent être tirées de la communication de la Commission européenne.
La première tient au propos lui-même, il s'agit plus de réaffirmer que de proposer de nouvelles dispositions. La Commission rappelle la lecture qu'elle fait du pacte depuis 2013.
La seule véritable nouveauté tient in fine à la mention du Fonds européen d'investissement stratégique. La communication de la Commission européenne constitue à cet égard une réelle incitation à investir dans les infrastructures européennes, qui devraient constituer un vecteur de croissance. Il convient de rappeler que ce terme fait partie de l'intitulé du pacte. La communication de la Commission européenne peut dans ces conditions faire figure de volet budgétaire du Plan Juncker. Comme le programme d'assouplissement quantitatif mis en place le 22 janvier dernier par la Banque centrale européenne peut faire figure de volet monétaire dudit plan.
Il existe à ce titre une réelle complémentarité entre la communication du 13 janvier et l'annonce de la BCE neuf jours plus tard. L'assouplissement quantitatif devrait permettre aux États endettés de bénéficier de taux bas sur les marchés, et donc de pouvoir continuer à se refinancer pour pouvoir ainsi abonder le Fonds européen d'investissement stratégique ou financer, pour ceux visés par le volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance, leurs propres infrastructures. Ces sommes ne seront pas totalement prises en compte par la Commission européenne lorsqu'elle évaluera les critères de convergence. FEIS, assouplissement quantitatif et flexibilité dans l'application du Pacte de croissance et de stabilité apparaissent dès lors comme les éléments-clés pour la mise en oeuvre d'un cercle vertueux en matière de croissance pour l'Union européenne.
Je laisse maintenant la parole à Fabienne Keller pour aborder le cas de la France dans cette procédure de surveillance budgétaire.
Mme Fabienne Keller. - La communication de la Commission européenne que vient de détailler François Marc a pu être présentée comme un texte permettant à l'Italie et à la France de ne pas être sanctionnées quelques semaines plus tard. Force est de constater que cette appréciation n'a pas totalement résisté à l'examen des annonces faites par la Commission européenne le 25 février dernier. Une lecture trop souple du pacte de stabilité et de convergence favorable aux grands pays faisait craindre de voir émerger le principe d'un « too big to blame », aux termes duquel un État pourrait ne pas être blâmé en raison de son poids politique et économique. Si l'Italie comme la Belgique ont échappé à la mise en place de sanctions, la situation de la France s'est avérée la plus « compliquée », pour reprendre les mots de Valdis Dombrovkis.
La Commission européenne avait déjà reconnu en octobre dernier que l'objectif d'un déficit public inférieur à 3 % n'était pas atteignable. Dans ces conditions, un nouveau report de l'objectif apparaissait logique. Restait à déterminer la durée de celui-ci. Dans la proposition de recommandation soumise au vote du Conseil Ecofin le 10 mars dernier, la Commission européenne a privilégié 2017, date à laquelle le déficit public devra atteindre 2,8 %. Elle a dans le même temps reconnu que la France a quasiment répondu aux attentes formulées par le Conseil en 2013 en ce qui concerne les mesures à mettre en oeuvre pour réduire le déficit structurel en 2013 et 2014. La France échappe donc aux sanctions.
Mais revenons au délai. La Commission européenne justifie ce troisième report depuis 2009 en mettant en avant la clause « réformes structurelles » contenue dans sa communication du 13 janvier 2015. Elle relève que les réformes adoptées ou en cours d'adoption depuis 2013 - CICE, projet de loi sur la croissance et l'activité, réforme territoriale ou pacte de responsabilité - devraient contribuer à relancer l'économie, et donc améliorer la situation des comptes publics. Sans pour autant qu'elles n'y suffisent. La Commission européenne s'inquiète dans le même temps de l'absence de précision quant aux 50 milliards d'euros de mesures d'économie sur trois ans annoncés par le Gouvernement français en novembre 2014. Elle ne comptabilise ainsi que 25 milliards d'euros dans ses calculs.
Le report ne saurait donc constituer une fin en soi et ne peut occulter les objectifs parallèlement assignés à la France. La Commission estime en effet que le rebond de l'économie sur lequel tablent les autorités françaises - 1,7 % en 2016 puis 1,9 % l'année suivante - ne sera pas suffisant pour permettre une réduction sensible du déficit structurel, soit le déficit public corrigé des effets de la conjoncture. Sa diminution fait pourtant figure de priorité aux termes du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Dans ces conditions, la recommandation adoptée par le Conseil le 10 mars à l'initiative de la Commission européenne double la trajectoire retenue pour le déficit public d'objectifs annuels de diminution du déficit structurel : 0,5 % du PIB en 2015 puis 0,8 % en 2016 et 0,9 % lors de l'exercice suivant. La loi sur la programmation des finances publiques publiée le 30 décembre dernier tablait sur une réduction de l'ordre de 0,3 % du PIB en 2015 et 2016 puis 0,5 % du PIB en 2017.
Afin de parvenir à souscrire à ces objectifs, la recommandation invite le Gouvernement français à adopter des mesures d'ajustement structurel supplémentaires, qui viendraient s'ajouter à celles déjà annoncées dans le cadre du plan de 50 milliards d'euros, ramené, je le rappelle, à 25 milliards d'euros par la Commission européenne.
La recommandation demande que 4 milliards d'euros de mesures complémentaires soient présentés d'ici au 10 juin prochain afin que l'effort structurel de la France soit porté à 0,5 % du PIB en 2015. S'il n'était pas atteint, la Commission européenne proposerait d'aller plus loin dans la procédure pour déficit excessif. Pour les années 2016 et 2017, ces mesures d'ajustement complémentaires devraient respectivement représenter 1,2 % du PIB, soit environ 24 milliards d'euros, puis 1,3 % du PIB, soit environ 26 milliards d'euros. L'effort supplémentaire est donc évalué à 54 milliards d'euros sur trois ans. Ils viennent s'additionner aux 25 milliards attendus du plan d'économie. Au final, la recommandation prévoit un effort structurel d'environ 79 milliards de la part du Gouvernement français sur trois ans, soit près de quatre points de PIB. J'insiste sur le qualificatif de structurel tant les sommes attendues ne peuvent provenir de recettes exceptionnelles liées à des privatisations par exemple. La recommandation invite à cet effet la France à intensifier ses efforts pour identifier les économies possibles au sein de tous les secteurs de l'administration publique, collectivités territoriales et sécurité sociale comprises.
La Commission européenne ne néglige pas l'impact économique de cette accélération de la réduction du déficit structurel sur la croissance du pays. Elle reconnaît que la progression de l'activité ne devrait pas, dans ce contexte, dépasser 1 % sur la période 2015-2017 : 0,8 % à la fin du présent exercice, puis 0,7 % en 2016 et 0,8 % en 2017. La Commission européenne rappelle dans le même temps que si elle avait cédé à la pression de certains États de ramener le délai à un an, la France entrait en récession. Plus largement, pour la Commission européenne, comme l'a rappelé Valdis Dombrovskis au Sénat le 11 mars, l'assainissement budgétaire constitue un préalable indispensable pour permettre à la France d'attirer de nouveaux investisseurs. La rigueur ne saurait être envisagée selon lui comme un obstacle à la création d'emplois.
C'est pourtant à l'aune de cet effet sur la croissance que le Gouvernement a émis des réserves sur la recommandation et notamment sur l'effort complémentaire demandé en 2016 et 2017. Selon lui, le plan annoncé en novembre 2014 devrait bien déboucher sur 50 milliards d'euros d'économie. Il s'est également déclaré en mesure de dégager 4 milliards d'euros supplémentaires en 2015. Il estime que l'écart entre les attentes de ses pairs et ses propres chiffres tient pour partie à une différence d'appréciation sur l'inflation. L'écart s'élève tout de même à 29 milliards d'euros...
L'effort structurel attendu sera, de toute façon, rapidement vérifié par la Commission européenne puis par le Conseil. Dans la lignée de sa communication du 13 janvier, la Commission entend évaluer en mai l'impact des réformes structurelles qui seront présentées par la France en avril dans le cadre de la transmission du programme national de réforme. Le Conseil a de son côté indiqué, le 10 mars, que les réformes attendues ne sauraient se limiter à celles annoncées par le Gouvernement français le 18 février : loi Macron bien sûr, réforme hospitalière et réforme du dialogue social.
La France devra, en outre, présenter tous les six mois un rapport devant le Comité économique et financier sur l'état d'avancement des réformes. Le Comité économique et financier prépare les réunions du Conseil Ecofin. Il est composé de représentants des États membres - deux pour chaque État, le premier issu du ministère des finances et le second de la Banque centrale nationale -, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne. Les autorités françaises présenteront ainsi un premier rapport le 10 décembre prochain. Cette obligation de rapport pour les pays faisant l'objet d'une procédure de déficit excessif a été introduite en 2013 dans le cadre du two pack. Nous sommes donc sous la surveillance étroite de nos pairs, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne...
Au-delà de la question budgétaire, la France a également été visée par la Commission européenne dans le cadre de la procédure pour déséquilibre excessif. 16 pays sont concernés à des degrés divers par cette procédure, introduite par le six pack en décembre 2011. Un mécanisme d'alerte est ainsi mis en place afin d'identifier un certain nombre de risques pesant sur l'économie d'un État membre : déficit de compétitivité, bulle spéculative, endettement privé, etc. 10 indicateurs sont retenus à cet effet. Sur proposition de la Commission européenne, le Conseil peut adopter une recommandation constatant l'existence d'un déséquilibre excessif et demandant à l'État membre concerné de présenter, dans un délai imparti, un plan de mesures correctives, sous peine de sanctions.
La procédure pour déséquilibre excessif est graduée, cinq catégories précédant celle où doit être adoptée une recommandation. La France est désormais classée dans la cinquième catégorie, celle des déséquilibres excessifs, avec 4 autres pays : Croatie, Hongrie, Italie et Portugal. Elle était l'an dernier dans la catégorie précédente, celle où un déséquilibre nécessite une surveillance spécifique et des réformes adaptées, sans pour autant qu'il ne soit jugé excessif. Le passage de la France dans la catégorie supérieure se justifie pour la Commission européenne par une perte importante de compétitivité, une détérioration de son déficit extérieur, un taux de chômage relativement élevé et un endettement public qui rend le pays vulnérable. La Commission européenne pointe par ailleurs la complexité de la réglementation et les rigidités observées sur le marché du travail. Le programme national de réforme, transmis en avril et examiné par la Commission en mai devrait, là encore, s'avérer crucial. S'il n'était pas suffisant, il déboucherait sur l'adoption d'une recommandation, prélude à d'éventuelles sanctions.
Si tel était le cas et comme dans le cadre de la procédure de déficit excessif, il semble délicat pour la France de pouvoir bénéficier d'une majorité inversée pour échapper aux sanctions. Notre pays semble en effet isolé au sein du Conseil. Les pays qui ont effectué des efforts ces dernières années, qu'ils soient sous programmes d'assistance financière ou non - je pense à l'Espagne, à l'Irlande, à la Lettonie, à la Lituanie ou au Portugal - s'associent désormais aux tenants habituels de l'orthodoxie budgétaire pour demander la mise en place de réformes structurelles dans les pays en difficulté et condamnent tout traitement de faveur à l'égard de la France. La Banque centrale européenne a également émis des réserves sur ce nouveau report.
La mise en place de réformes structurelles apparaît donc comme une priorité. La Commission européenne s'interroge d'ailleurs sur l'application de celles-ci au sein des États membres dans le cadre de sa réflexion sur l'approfondissement de la gouvernance de la zone euro. Mais je laisse François Marc nous en dire un mot.
M. François Marc. - La Commission européenne a effectivement publié une note analytique de huit pages sur le renforcement de la gouvernance de la zone euro. Prenant acte d'une Union économique et monétaire de plus en plus hétérogène, elle insiste sur la nécessité de renforcer le dialogue politique entre les États via un semestre européen rénové. Elle souhaite également que des mesures à court terme soient envisagées pour encourager les pays membres à adopter les réformes structurelles contenues dans les recommandations. L'exécutif européen ne précise pas, pour autant, la nature de ces dispositions. On ne peut pas pourtant construire la zone euro sur le seul renforcement de la surveillance budgétaire.
Je ne peux que constater un manque d'allant sur le sujet de la part de la nouvelle Commission européenne. On est loin des pistes avancées dans le rapport von Rompuy fin 2012 ou les communications de la Commission Barroso sur la capacité budgétaire dont pourrait être dotée la zone euro. Les huit pages ne contiennent aucune référence à celles-ci et encore moins au dispositif d'assurance-chômage européen un temps envisagé.
Je peux concevoir que la Commission Juncker souhaite s'affranchir de l'héritage de ses prédécesseurs, mais pourquoi ne pas reprendre l'idée de l'instrument de convergence et de compétitivité que l'équipe Barroso avait développé dans une communication en mai 2013. Ce mécanisme de solidarité visait à encourager les réformes structurelles relatives à la compétitivité et à la croissance dans les États membres. Une logique de contractualisation devrait permettre aux États membres de bénéficier d'un soutien financier pour mettre en place ces réformes. Les États membres participants contribueraient ainsi selon des modalités qui restent ouvertes. Un tel dispositif a le mérite de répondre à la question des réformes structurelles que se pose actuellement la Commission.
Que signifie par ailleurs le renforcement du semestre européen ainsi annoncé ? Le projet de rapport sur la gouvernance de l'Union économique et monétaire, présenté par Pervenche Berès au Parlement européen le 24 février dernier, contient une disposition pertinente en la matière. Il pointe en effet l'absence de diagnostic commun sur l'économie de la zone euro. Le principe du semestre européen semble se concentrer sur une revue de la situation individuelle des États membres et notamment sur leur capacité à mettre en oeuvre les réformes structurelles recommandées. Il n'existe pas de revue globale de la situation de l'ensemble de la zone pouvant permettre un ajustement plus précis des recommandations. Le two pack insiste pourtant sur le fait que l'Eurogroupe délibère sur la situation et les perspectives budgétaires pour la zone euro dans son ensemble. Cette évaluation de l'orientation budgétaire agrégée apparaît essentielle afin notamment de cibler les États membres qui disposent de marges budgétaires suffisantes pour pouvoir soutenir investissements et consommation domestique et contribuer ainsi à la relance économique de la zone. Une telle appréciation de la situation globale de la zone pourrait être systématisée au sein du semestre européen. Elle n'est pas éloignée du raisonnement de la Commission européenne qui considère aujourd'hui que l'Allemagne n'investit pas assez et affecte la reprise économique sur son territoire mais aussi au sein de la zone euro.
Un nouveau rapport cosigné par les présidents de la Banque centrale européenne, de la Commission européenne, du Conseil européen et de l'Eurogroupe auquel sera associé celui du Parlement européen, soit le format 4+1, devrait être présenté à l'occasion du Conseil européen de juin prochain. J'espère qu'il permettra d'avancer dans ces directions mais aussi dans le sens d'une amélioration du contrôle démocratique des décisions prises au sein de la zone euro. Je passe la parole à Fabienne Keller pour aborder ce dernier point.
Mme Fabienne Keller. - La question grecque ou l'adoption d'une résolution au Parlement européen sur la troïka mettent en avant la nécessité d'une amélioration de la transparence en ce qui concerne les décisions prise par l'Eurogroupe. Les réformes structurelles recommandées dans le cadre du semestre européen, comme l'impact budgétaire mais aussi médiatique des plans d'aide sur les choix de politique nationale opérés au sein des États membres, plaident, en effet, pour une meilleure association des parlements nationaux. Il s'agit également d'éviter de laisser la place à une remise en cause démagogique de l'assistance financière octroyée par l'Union européenne en veillant à ce que les conditions d'octroi puissent faire l'objet d'un contrôle démocratique, tout comme l'action des deux fonds de sauvetage : le Fonds européen de stabilité financière et son successeur, le Mécanisme européen de stabilité.
La conférence interparlementaire prévue par l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, ne répond pourtant pas pleinement aux attentes. Elle ne constitue pas encore une véritable association des parlements nationaux au processus de coordination budgétaire. Il conviendrait, à cet effet, qu'elle puisse se doter d'un règlement et qu'elle soit en mesure d'adopter des conclusions ou des orientations. Ce qu'elle ne peut faire à l'heure actuelle, comme nous avons pu le constater avec Richard Yung début février. Elle doit également pouvoir se réunir deux fois par an. Possibilité doit être laissée, pour un ou des parlements autres que le parlement présidant la Conférence, d'organiser des « réunions additionnelles ». Cette procédure serait, par exemple, de nature à permettre aux parlements des États de la zone euro de se réunir à leur initiative, même lorsque la présidence de la Conférence est assurée par un État n'appartenant pas à la zone euro.
Reste que ce renforcement ne suscite pas l'adhésion du Parlement européen, enclin à mettre en avant une compétence exclusive en la matière, ni de certains parlements nationaux, à l'instar de l'Allemagne, qui estime le contrôle qu'il exerce suffisant et ne tient en aucune manière à le déléguer.
Le semestre européen doit également constituer le cadre d'une meilleure association des parlements nationaux. La semaine parlementaire prévue en son sein mérite, à cet égard, un examen plus attentif. Le calendrier retenu pour son organisation fragilise en effet sa portée. Tenue en même temps que la conférence dite « article 13 », la réunion avec la Commission européenne se tient fin janvier-début février, soit plus d'un mois avant que ne soient publiées les lignes directrices pour les politiques nationales et deux mois avant que les gouvernements ne présentent leurs programmes de réforme et leurs programmes de stabilité. Afin de donner un peu plus de sens à ces échanges, deux pistes pourraient être envisagées : intercaler cette semaine entre la présentation des lignes directrices et celle des programmes nationaux pourrait être opportun, ou en juin, avant l'adoption des recommandations pays. Ce qui pourrait conférer une portée plus politique au semestre européen. Il ne faut pas, en tout état de cause, fusionner semaine parlementaire et conférence de l'article 13.
La nouvelle Commission européenne apparaît encline à une telle évolution, comme elle l'a indiqué le 28 novembre 2014. Elle a en effet proposé de rationaliser et de renforcer le semestre européen, en le ciblant davantage et en lui conférant un rôle plus politique. Elle entend aboutir à une plus grande appropriation de cette période par tous les acteurs et souhaite rendre le processus plus ouvert et plus multilatéral. Aucune précision n'a pour l'heure été apportée sur ce projet. Le président de la Commission européenne a néanmoins estimé le 3 février dernier, à l'occasion de l'ouverture de la session du Parlement européen, que le semestre européen, assimilé à une « usine à gaz », devait être simplifié, de façon à permettre une meilleure « appropriation par les parlements nationaux » de cette procédure. J'espère désormais que le rapport des quatre présidents dont parlait à l'instant François Marc permettra d'avancer sur ce sujet fin juin.
M. Jean Bizet, président. - Je remercie tout d'abord les rapporteurs et les félicite pour leur présentation. Je relève comme eux la complémentarité entre l'annonce du plan d'assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne, la mise en place du Fonds européen pour les investissements stratégiques et cette nouvelle lecture du Pacte de stabilité et de croissance proposée par la Commission européenne.
Celle-ci n'autorise pas pour autant tout écart avec les critères de convergence. On le voit dans la recommandation adoptée par le Conseil qui demande un effort structurel qui pourrait atteindre 79 milliards d'euros sur trois ans, soit un effort conséquent. La Commission européenne insiste par ailleurs sur la notion de déséquilibre. On comprend la logique : ce sont bien les déséquilibres excessifs qui génèrent les déficits excessifs...
En ce qui concerne la gouvernance de la zone euro, nous ne pouvons nous satisfaire du rôle accordé aux parlements nationaux. La Conférence des présidents des parlements de l'Union européenne qui se tiendra à Rome les 20 et 21 avril prochains nous permettra d'aborder cette question. Au vu des conclusions qui y seront adoptées, notre commission pourrait exprimer des voeux au sein d'un avis politique.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Je remercie également les rapporteurs pour leur présentation et souhaite la mettre en perspective avec l'audition du vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, devant notre commission et celle des finances le 11 mars dernier. Il a lui aussi mis en avant les réformes structurelles que devait accomplir la France. Il n'est, cependant, pas entré dans les détails. Est-ce parce qu'il respecte le poids de la France, notamment économique ? La question que je me pose tient pourtant à la nature des réformes que nous devons accomplir. Trois apparaissent majeures à mes yeux : les retraites, bien sûr, celle de la durée annuelle du temps de travail, et une refonte du droit du travail afin d'alléger la charge réglementaire pesant sur les entreprises. La Commission européenne partage-t-elle le même diagnostic ?
M. Éric Bocquet. - Le constat effectué par nos deux collègues est finalement effrayant ! La France est au bord du gouffre et ce sont nos partenaires qui le disent ! Comme l'a indiqué Fabienne Keller, nous sommes isolés et placés sous surveillance étroite. Je me demande si, à terme, avant chaque élection nationale, les partis politiques ne devront pas aller à Bruxelles faire valider leurs programmes politiques afin d'éviter des sanctions une fois arrivés au pouvoir ! Nous parlions ici même il y a quelques semaines du déficit démocratique de l'Union européenne : nous sommes en plein dans le sujet. Cela conforte inévitablement le vote extrémiste.
La France n'est pourtant pas toujours ce qu'on en dit. Elle reste un territoire attractif pour les investissements américains, britanniques, italiens ou allemands. Sa productivité est l'une des meilleures du monde, malgré les trente-cinq heures, malgré la protection sociale que l'on voudrait réformer ! Nous sommes toujours une grande puissance économique mondiale.
M. André Gattolin. - Je ne comprends pas que l'on puisse s'étonner qu'un grand État comme la France puisse disposer d'un traitement différencié par rapport à celui accordé à des États d'importance plus relative, pour ne pas dire des États confettis ! C'est pourtant un des principes du fédéralisme !
Je n'accepte pas par ailleurs que nous puissions recevoir des leçons d'orthodoxie budgétaire par des États qui pratiquent l'optimisation fiscale. Les divergences de fiscalité entre les États membres ne sont pas prises en compte dans les recommandations adressées à chacun des pays. On demande ainsi des réformes structurelles visant le marché du travail et les retraites mais on ne s'attarde pas assez sur cette question des instruments fiscaux, patent boxes ou tax rulings, mis en place par certains États membres pour maximiser leurs recettes budgétaires. Je pense à l'Irlande, au Luxembourg mais aussi aux Pays-Bas toujours prompts à émettre des observations sur la situation de ses partenaires européens.
La Commission européenne semble vouloir se saisir du problème aujourd'hui et a notamment lancé une vaste revue des pratiques existantes, visant même le crédit impôt-recherche que nous avons mis en place en France. Il faut aller plus loin et intégrer la remise en cause de ces pratiques dans les recommandations afin de parvenir à une véritable convergence fiscale tout en traitant équitablement chacun des États membres.
Je reviens juste sur les excédents de la balance commerciale allemande, sur laquelle la Commission européenne et le Conseil ne semblent émettre que de légères réserves...
M. Simon Sutour. - L'Allemagne est une vache sacrée...
M. André Gattolin. - Je constate qu'elle n'encourt effectivement aucune sanction.
M. Richard Yung. - C'est un sentiment de frustration nationale qui s'exprime dans nos interventions. Il est compréhensible. Surtout si l'on compare notre situation à celle de nos voisins. Le Royaume-Uni ne me paraît pas plus rigoureux en matière budgétaire, quand bien même son économie redémarre ! J'ai également des doutes sur la lisibilité des procédures mises en place pour surveiller les budgets des États membres : six pack et two pack. L'articulation entre ces dispositifs est aussi complexe que le schéma d'une raffinerie de pétrole !
Revenons un instant aux chiffres et à l'audition de Valdis Dombrovskis la semaine passée. Si l'on résume, on nous demande 79 milliards d'euros d'efforts structurels en échange du report du délai de deux ans. Tout cela n'est pas raisonnable. Cela revient quasiment à doubler les efforts préconisés par le Gouvernement sur la période, au risque de casser la croissance. Le malade va mourir guéri en somme.
Au sujet des réformes structurelles à mettre en oeuvre, je doute que la remise en cause des trente-cinq heures contribue directement à résoudre la question du déficit...
M. Yves Pozzo di Borgo. - L'augmentation de la durée annuelle du temps de travail devrait contribuer à augmenter notre productivité et donc notre richesse. C'est à cela que je voulais faire allusion. Le même raisonnement peut être appliqué en ce qui concerne les retraites. Nous ne sommes pas allés assez loin en France. En Islande, le débat porte sur une prolongation de l'activité au-delà de 70 ans.
Le poids de la fonction publique pose également question. Nous ne pouvons faire l'économie d'une réforme d'ampleur en la matière. La mairie de Paris dispose de 53 000 agents, qui bénéficient de 53 jours ouvrés de vacances par an. Le taux d'absentéisme y est de 17 %. Nous devons engager un dialogue avec les partenaires sociaux pour aboutir à une modernisation du secteur public.
M. François Marc. - Je partage l'analyse de Richard Yung sur ce sentiment de frustration. Nous n'entendons pas être considérés comme le pays qui entend s'affranchir des règles. Nous entendons seulement souligner que le contexte a changé et que l'heure n'est plus, me semble-t-il, à la focalisation sur le critère budgétaire. Ce qui pouvait être le cas il y a encore trois ans, lors de l'élaboration des six pack et two pack. L'OCDE et le FMI mettent aujourd'hui l'accent sur deux autres données : la croissance et la lutte contre la déflation. La communication de la Commission européenne que je vous ai présentée tend à remettre la notion de croissance au coeur du Pacte de stabilité, même si elle ne propose pas pour autant beaucoup de nouveautés. Elle constitue un bon signal néanmoins.
La logique poursuivie par Valdis Dombrovskis peut être comprise à la lumière de son passé de Premier ministre de la Lettonie. Il a accompli dans le cadre de ces fonctions des réformes d'envergure, d'inspiration libérale, destinées à réduire le déficit budgétaire et permettre à son pays d'intégrer la zone euro. Cette politique n'a pas été sans conséquence en matière de migration puisque près de 25 % des jeunes Lettons ont quitté le pays pour la Pologne ou le Royaume-Uni. Ce qui n'est pas forcément un gage de réussite pour l'avenir.
Les propos de M. Dombrovskis sur l'assainissement budgétaire comme préalable en vue de pouvoir attirer des investisseurs peuvent également interpeller. Je ne crois pas que la France souffre actuellement d'un déficit en la matière. La France accueille sur son sol le quatrième stock mondial d'investissements directs à l'étranger, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et Hong-Kong. Ceux-ci ont augmenté de 8 % en 2014. Paris est même considérée comme la troisième métropole mondiale la plus attractive derrière Londres et Shanghai. Quels sont les atouts de la France pour attirer ces flux ? Les infrastructures, le système éducatif et la qualité de la formation de la main d'oeuvre, soit autant de domaines financés par des investissements publics... De telles performances interpellent et invitent donc à réviser toute appréciation uniforme de la situation budgétaire des États membres. Nous sommes légitimes à demander un traitement particulier.
Le Premier ministre était à Bruxelles hier pour rappeler notre engagement en matière de réduction des déficits. Il a insisté sur le fait que celle-ci ne devait pas se faire au détriment de la croissance. Je pense que nous pourrons arriver à un compromis avec la Commission européenne afin qu'elle réévalue à la fois le plan d'économies de 50 milliards annoncé par le Gouvernement, mais aussi les mesures additionnelles qu'elle préconise.
André Gattolin a raison lorsqu'il demande que l'on appréhende la situation des pays européens de façon globale, en intégrant leurs pratiques fiscales mais aussi leur utilisation des excédents commerciaux... Je pense dans ce dernier cas à l'Allemagne. Il y a actuellement une certaine frilosité à envisager ces données et évaluer, notamment, leurs incidences sur la zone euro.
Mme Fabienne Keller. - Je voulais également vous faire part de mes impressions à l'issue de ma participation à la conférence interparlementaire de l'article 13. J'ai eu en effet le sentiment que nos 27 partenaires étaient inquiets face à notre situation économique. Cette inquiétude n'est pas toujours perçue en France, elle est pourtant tangible. La France se retrouve un peu dans la position qui était la sienne après le rejet du traité constitutionnel en 2005. On s'interroge aujourd'hui sur son affaiblissement économique, qui comporte des risques pour l'ensemble de l'Union européenne compte tenu de son poids.
Je reviens un instant sur la Lettonie dont M. Dombrovskis nous a parlé. Ce pays a, comme l'a rappelé François Marc, accompli de nombreux efforts pour rejoindre la zone euro. Ce qui a conduit 10 % de sa population à émigrer vers le Royaume-Uni : 200 000 Lettons vivent aujourd'hui là-bas. Le renforcement de son intégration européenne constitue une nouvelle manifestation de résistance face à son voisin russe. C'est dans cette optique qu'elle ne peut comprendre l'absence d'efforts en France et son ralentissement économique. La France est considérée comme un moteur de l'Europe. Son affaiblissement fragilise l'Union européenne aux yeux des Lettons, et les rend donc plus vulnérables aux menaces de Moscou. Je conçois également que l'Espagne, l'Irlande et le Portugal, placés sous assistance financière et qui ont entrepris de vastes réformes structurelles, soient assez critiques sur le report du délai.
Je comprends le sentiment de frustration et ce rejet des contraintes dont certains ont fait part ici. Reste que nous sommes membres d'une union monétaire et que celle-ci implique de respecter des critères, qui sont tout sauf la manifestation d'un fait du prince. Ils doivent nous permettre d'aller vers plus de convergence économique. Dans quelle situation serions-nous aujourd'hui si nous n'avions pas adhéré à l'euro ? Notre monnaie aurait subi déjà plusieurs dévaluations et nous subirions d'autres contraintes imposées par les marchés financiers. Gardons en mémoire que le déficit public ne représente pas uniquement plus de 4 % du PIB mais bien 20 % du budget du pays. Quelle entreprise pourrait fonctionner de la sorte ?
Je suis consciente que le respect des critères du Pacte de stabilité et de croissance ne résout pas toutes nos difficultés. La compétition fiscale qu'a mise en avant André Gattolin est effectivement inacceptable. Mais peut-on agir au Conseil en faveur de l'harmonisation fiscale dès lors que notre influence est affaiblie par nos difficultés à respecter les règles budgétaires européennes ? Je vous rappelle en plus que toute norme fiscale européenne implique un vote à l'unanimité...
Pour en revenir à la France, je ne crois pas à la perspective de sanctions. La vraie sanction c'est finalement la menace de sanction. Celle-ci exprime une attente à l'égard de notre pays, afin qu'il respecte une trajectoire plus rigoureuse. Quand bien même celle-ci comporte un effet récessif.
M. Richard Yung. - Mais la France accomplit déjà des efforts !
Mme Fabienne Keller. - Jean-Claude Juncker demandait encore ce matin sur une radio française qu'on aille encore plus loin que la loi Macron et que l'on réforme aussi le marché du travail. C'était également le sens des propos de Valdis Dombrovskis la semaine passée.
Au sujet de la balance commerciale excédentaire allemande, nous aimerions avoir la même...
M. Richard Yung. - C'est vrai...
M. François Marc. - L'Allemagne n'a pas la même démographie que nous, ce qui dans ce cas précis constitue un avantage...
Mme Fabienne Keller. - Effectivement. Cela conduit d'ailleurs le gouvernement allemand à affecter ses excédents budgétaires à la gestion du vieillissement de sa population.
M. Richard Yung. - C'est le modèle japonais.
Mme Fabienne Keller. - Ne nous méprenons-pas quoi qu'il en soit : nous ne pourrons échapper aux réformes structurelles indéfiniment. Je fais désormais le rêve d'un consensus national sur les réformes à accomplir en priorité, pour retrouver à la fois le chemin de la croissance et la confiance de nos partenaires.
M. Jean Bizet, président. - Nous arriverons sans doute à un compromis avec la Commission au sujet des efforts additionnels demandés à la France.
J'ai accompagné il y a une quinzaine de jours le président Larcher en Allemagne pour une visite de travail. Nous avons pu rencontrer le ministre des finances allemand, Wolfgang Schaüble, qui nous a indiqué qu'une partie de l'excédent commercial, 12 milliards d'euros pour être précis, serait affectée au financement des infrastructures sur le territoire allemand. Nos amis allemands sont, par ailleurs, inquiets de la situation en France. Toute divergence économique entre nos deux pays fragilise le couple franco-allemand et donc l'Union européenne.
L'Allemagne n'est en tout état de cause pas d'avis de sanctionner la France, qui reste la deuxième économie de l'Union européenne. Une sanction ferait courir le risque d'une augmentation des taux d'intérêts français. Ce qui renforcerait un peu plus nos difficultés à l'heure où nous devons fournir un effort structurel pouvant atteindre 79 milliards d'euros sur trois ans... La seule option viable tient donc à l'annonce de nouvelles réformes structurelles et à l'obtention d'un compromis le 10 juin prochain.
Les difficultés que la zone euro rencontre aujourd'hui avaient été prévues dès l'origine par Jacques Delors quand il disait que l'Union monétaire devait être doublée d'une véritable union économique. Nous devons arriver à plus de convergence en la matière. Celle-ci suppose que certains États aient, bien évidemment, des pratiques plus vertueuses, notamment dans le domaine de la fiscalité. J'ai encore en mémoire l'audition ici même de l'ancien ministre des affaires européennes irlandais en février 2011 qui refusait une révision du taux de l'imposition sur les sociétés pratiqué dans son pays...
Économie, finances et fiscalité - Projet de taxe sur les transactions financières : communication de Mme Fabienne Keller
M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant entendre une communication de notre collègue Fabienne Keller sur le projet de taxe sur les transactions financières.
Je rappelle que ce projet fait l'objet d'une coopération renforcée entre onze États membres dont la France. Les discussions sont assez laborieuses puisque le premier texte a été présenté par la Commission européenne en 2011. Une coopération renforcée a été lancée début 2013. Mais aucun texte n'en est sorti à ce jour. La France est à l'initiative pour faire aboutir les négociations.
Fabienne Keller nous avait fait un point sur ce dossier en novembre 2012. Il est intéressant de l'entendre aujourd'hui pour savoir où l'on est exactement et si ce projet peut aboutir dans un délai raisonnable et sur quelles bases.
Mme Fabienne Keller. - La crise de 2008 a remis en selle une idée ancienne qui consiste à introduire dans certains rouages de la machine financière quelques grains de sable pour éviter que la machine ne s'emballe.
C'est ainsi que sous la pression de l'opinion publique et celle de certaines ONG, les États membres de l'Union européenne ont déclaré dans un premier temps qu'ils souhaitaient s'assurer que le secteur financier contribue de manière équitable et substantielle aux finances publiques. Sans attendre l'intervention de l'Union européenne, certains États membres dont la France et la Grande-Bretagne ont alourdi la fiscalité pesant sur le secteur financier. La Commission européenne, quant à elle, a proposé d'instituer une taxe sur les transactions financières (TTF) dans le but de conduire à une harmonisation de la taxation du secteur financier à l'intérieur du Marché unique.
Comme j'ai été amenée à le dire dans mon rapport sur ce sujet daté de décembre 2012, la taxe sur les transactions financières, projet auquel je suis très attachée, est facile à concevoir mais difficile à mettre en oeuvre.
J'en veux pour preuve l'histoire même de ce projet, depuis son lancement par l'ancien commissaire Algirdas emeta en 2011.
Aujourd'hui, je vous rappellerai les différentes étapes de cette histoire - ou faut-il dire ces différents obstacles qui ont déjà été franchis ?- et je ferai le point sur la position française qui semble l'emporter.
Toutefois, comme vous le savez, il n'y a plus à ce jour de projet de directive et nous attendons un texte nouveau à la fin du mois d'avril, texte qui devrait s'inspirer du compromis proposé par la France, malgré les réticences marquées de la Commission.
Je vais rappeler la chronologie du projet TTF et je devrais plutôt parler d'un parcours du combattant. Tout a commencé avec l'ambitieux projet du commissaire Algirdas emeta en 2011.
Le projet de directive de 2011 avait pour objectif de faire contribuer davantage le secteur financier pour deux raisons : premièrement, la Commission avançait que le secteur financier lui apparaissait moins taxé que les autres secteurs et deuxièmement, le secteur financier ayant joué le rôle de déclencheur de la crise de 2008 et ayant bénéficié d'aides publiques à ce moment, il semblait naturel qu'il participât davantage à la réparation des dégâts subis par les finances publiques.
Le projet de 2011 était maximaliste. En effet, son assiette était universelle : le principe était que toutes les transactions subiraient la taxe dès lors qu'au moins une des parties à la transaction était établie sur le territoire de l'Union ou qu'un établissement financier partie à la transaction était établi sur ce même territoire.
Par transaction financière, il fallait entendre la vente ou l'achat d'un instrument financier quel qu'il soit, dérivés compris.
La taxe projetée reposait sur le « principe de résidence » appliqué à au moins une des parties à la transaction.
Ce projet - dont le plus grand défaut était le risque de la délocalisation des transactions financières hors du territoire de l'Union européenne - a échoué et faute d'accord entre les États membres, il a été envisagé de s'orienter vers une grande première : une coopération renforcée en matière fiscale.
Je rappelle qu'en matière de fiscalité, la règle est celle de l'unanimité et que certaines voix se sont aussitôt élevées contre le principe même d'une coopération renforcée dans le domaine fiscal qui remettrait en cause indirectement la règle de l'unanimité puisque neuf États au moins allaient joindre leurs efforts pour s'imposer une règle fiscale ne concernant a priori qu'une fraction du territoire de l'Union européenne, mais qui, à travers le principe de résidence tel que l'entendait la Commission, viendrait à concerner même les États membres hors de la Zone TTF.
Il y a donc eu un premier projet de la coopération renforcée en 2013.
Début 2013, la Commission européenne a adopté une proposition de directive du Conseil mettant en oeuvre une coopération renforcée sur la TTF, à la demande de onze États (la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Autriche, la Slovénie, le Portugal, la Grèce, la Slovaquie, l'Italie, l'Espagne et l'Estonie). Or, cette proposition reprenait à peu de choses près le texte même de la directive initiale de l'ancien commissaire.
Le Royaume-Uni a aussitôt introduit un recours contre la décision du Conseil affirmant que la décision du Conseil autorisait une législation avec des effets extraterritoriaux illégaux et qu'elle ne respectait pas les droits des États membres non participant à la coopération renforcée.
Mais ce n'est pas ce recours qui a conduit à l'échec des premiers travaux de la coopération renforcée. En effet, les onze n'ont pu se mettre d'accord sur le texte de départ trop maximaliste. Un autre texte est maintenant en préparation pour la fin du mois d'avril.
Je rappellerai que dans sa proposition initiale, la Commission créait une taxe qui était due dès que l'une des parties à la transaction était établie dans un État membre participant, indépendamment de l'endroit où la transaction avait lieu. Cette disposition était maintenue, mais la nouveauté, pour la coopération renforcée, consistait à combiner ce principe avec le principe du lieu d'émission afin d'ajouter une garantie supplémentaire contre le contournement de la taxe.
Selon ce principe, les instruments financiers émis dans les onze États membres entrés dans la coopération renforcée auraient été imposés lorsqu'ils sont négociés, même si ceux qui les négocient ne sont pas établis dans la zone TTF.
C'était donc un important élargissement de la base qui était proposé par la Commission pour la coopération renforcée. C'était surtout une garantie supplémentaire que la taxe serait plus difficile à contourner.
En résumé, aurait été astreinte à la taxe toute partie qui entre dans une transaction avec une partie établie dans la zone TTF ou qui opère une transaction sur un instrument financier émis dans la même zone TTF où qu'est lieu la transaction. Cela signifiait que la taxe n'était pas due uniquement par les ressortissants de la zone où elle aurait été établie et qu'elle reposait sur une base extraterritoriale, ce que les pays qui ne l'auraient pas instaurée refusaient d'accepter.
Voici en outre la liste des principaux points qui achoppaient :
- le problème de l'extraterritorialité
Selon le projet de la Commission pour la coopération renforcée, la taxe devait être perçue en dehors de la zone TTF et comme la Commission envisageait de mettre la collecte de la taxe à la charge des chambres de compensation et des plates-formes de « trading », la Commission indiquait qu'il reviendrait aux pays participants de signer des accords bilatéraux ou multilatéraux avec les pays non participants pour s'assurer de leur coopération dans la récolte et le reversement de la taxe. La Commission misait aussi sur des dispositions d'engagements solidaires et conjoints qui inciteraient les institutions financières des pays participants à ne travailler qu'avec des institutions qui coopéraient sur la taxe, même si elles étaient en dehors des pays soumis à la TTF.
Ces dispositions auraient inclus naturellement les plates-formes de trading, les chambres de compensation et les dépositaires centraux des pays participants.
- la taxation des fonds de placements
Plusieurs États membres de la coopération renforcée ont voulu empêcher la taxation des fonds de pension et de l'ensemble des fonds communs de placement au motif bien compréhensible que la taxe allait venir amoindrir les retraites et qu'il s'agit de toute manière d'une double taxation dans le cas des fonds communs de placement, puisque la taxe serait perçue à l'intérieur de l'enveloppe lors des arbitrages et à l'extérieur au moment d'entrer ou de sortir du fonds.
- le marché du « repo »
Le fait que le marché du « repo » ne fasse pas l'objet d'un traitement particulier dans le projet de la Commission a inquiété sérieusement les banques. En effet, dans le premier état du projet de coopération, ces transactions qui portent essentiellement sur des obligations auraient été taxées à 0,1 %.
Le marché du « repo » (ou pension livrée) est le poumon du refinancement bancaire. C'est le marché qui permet aux banques de se prêter des liquidités en échange de titres qui sont souvent des obligations. Cette détention qui s'apparente à un prêt est par définition de courte durée et prélever un impôt sur ces échanges renchérirait sensiblement l'opération au moment même où les banques centrales s'efforcent de faire diminuer le coût de l'argent.
Les fonds monétaires et les obligations à court terme également n'étaient pas mieux traités.
Quant à la France, elle rappelait qu'elle ne voulait pas qu'on taxe les obligations d'État ou pour dire les choses autrement, elle souhaite que les obligations d'État soient également exonérées sur le marché secondaire.
C'est dans ce contexte d'inquiétude généralisée que la BCE était intervenue, contre toute attente, par la voix de Benoît Coeuré, son vice-président. La BCE avait alors proposé en vain ses bons offices pour reformuler les contours de la taxe de manière à gommer tout impact négatif. Tout en soulignant qu'il n'entrait pas dans son rôle statutaire de se prononcer sur la taxe, la BCE a confirmé alors implicitement qu'elle avait des réserves sur les conséquences de la taxe sur les marchés comme sur l'économie réelle.
On pensait donc alors que le projet de la Commission allait connaître des modifications substantielles et qu'il serait même question d'élargir les exonérations, d'abaisser les taux et de reporter la taxation des obligations et des dérivés à 2017.
Mais, à la fin de l'année 2014, aucun des États membres de la coopération renforcée n'était plus satisfait du texte existant, le texte existant ayant été vidé de toute sa substance au fur et à mesure des négociations. On pouvait se demander s'il existait encore un volonté de créer la TTF.
Pourtant, au moment où tout semblait perdu, la proposition française a relancé la machine.
D'abord le 27 janvier 2015 ; dix des onze États membres de la coopération renforcée (La Grèce était retenu par d'autres urgences) ont confirmé leur détermination à mener leur projet à bien d'ici au 1er janvier 2016 mais sur la base de « nouvelles orientations ».
Il s'agit d'une remise à zéro des compteurs : la taxe devra reposer sur l'assiette la plus large possible (mais en tenant compte des exemptions nécessaires), les taux devront être faibles et il faudra tenir compte des risques de délocalisation d'activités financières. Telles sont les grandes lignes de la feuille de route. Enfin, c'est le ministre autrichien des finances Hans Jörg Schelling qui coordonne ces nouveaux travaux de la coopération renforcée.
La France propose une taxe sur les actions liée à la nationalité de l'émetteur (comme cela existe en France depuis 2012) et pour éviter que les petits pays qui ont moins de grosses sociétés soient lésés, ce serait le pays dans lequel est réalisée la transaction qui recevrait la recette.
La grande question est de trouver un système de taxation qui n'entraîne pas de délocalisations.
Apparemment pour converger à 11 États membres sur cette question, il faut, dans un premier temps, s'en tenir à la seule taxation des actions. Les dérivés feraient l'objet d'une seconde législation. C'est une fois de plus la méthode des petits pas qui doit l'emporter. Alors que la Commission combinait le principe d'émission et celui de résidence, la France défend à ce jour le seul principe d'émission, c'est-à-dire la taxation des actions en fonction de la localisation du siège de la société émettrice. Naturellement les pays qui n'émettent pas s'y opposent encore.
Selon le principe d'émission, les instruments financiers émis dans les onze États participants seraient taxés chaque fois qu'ils sont négociés même si les parties ne sont pas établies dans la zone TTF. La France propose donc d'appliquer le principe d'émission pour déterminer l'assiette de la taxe et de partager ensuite le produit de la taxe entre les pays membres de la zone TTF.
Les petits pays préfèrent le principe de résidence, car ils n'ont généralement pas d'activités financières importantes courant le risque d'être délocalisées. Mais le principe de résidence de la partie contractante a été considéré comme non compatible avec la législation de l'Union européenne parce qu'il entraîne l'extraterritorialité.
Certains considèrent que nous nous orientons dans un premier temps vers une TTF a minima mais le projet ayant failli totalement échouer, la proposition française a le mérite de remettre le projet de TTF sur les rails. Aujourd'hui, la France et l'Allemagne se sont entendues pour faire un pas. On attend donc le nouveau texte qui serait élaboré en étroite collaboration par l'Autriche et la France, mais la Commission a demandé à être associée aux travaux de la coopération renforcée. Or on sait que la Commission ne partage pas l'intégralité de la position française. Une nouvelle année de négociation commencera fin avril quand le nouveau texte de base sera dévoilé.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Parmi les financements innovants, la TTF est un projet fondamental pour une innovation remarquable. Il y a eu d'abord la taxe sur les billets d'avion qui s'est révélée un vrai succès. Une fois de plus, la France est le moteur de l'innovation fiscale et je me réjouis que le président de la République soit volontariste sur ce projet. Je suis convaincu que la création de la TTF n'aura qu'un impact marginal sur l'économie, contrairement à ce que les milieux financiers avancent avec une certaine mauvaise foi. Enfin, je suis heureux que la France retrouve son rôle de force de proposition et de réflexion sur l'équilibre du monde.
M. Éric Bocquet. - Il ne faut pas lâcher le manche sur ce sujet. Pourquoi le projet n'avance-t-il pas ? Nous avons 11 États membres qui veulent avancer, mais il manque le Royaume-Uni et le Luxembourg et une première question me vient à l'esprit : « Que dit M. Juncker sur le sujet, lui qui a occupé certaines fonctions au Luxembourg et qui aujourd'hui occupe de nouvelles fonctions importantes à Bruxelles ? » Le Luxembourg ne veut pas de cette taxe. Le lobby bancaire à Bruxelles est le lobby le plus important. Le commissaire en charge du sujet n'est autre que Jonathan Hill, ancien de la City, si je ne m'abuse. Il y a là quelques obstacles idéologiques majeurs... Quant à la concurrence, à la délocalisation et au « risque singapourien », oui, soit, il existe et il faudrait une mise en place de la TTF au niveau mondial pour bien faire. Pourquoi la Commission ne met-elle pas la même ardeur pour exiger la mise en oeuvre de cette taxe que celle qu'elle déploie pour exiger les réformes structurelles de certains pays ? Je suis parfaitement lucide, mais je répète qu'il ne faut rien lâcher. Je rends hommage à la ténacité de Fabienne Keller dans cette affaire et je conserve son rapport de 2012 sur la TTF comme la bible sur le sujet. Le rapporteur peut compter sur nous dans cette bataille.
M. Jean Bizet, président. - Le 21 mai, nous auditionnerons le commissaire Jonathan Hill.
M. François Marc. - Je remercie le rapporteur Fabienne Keller pour ce rappel historique très pertinent des étapes du projet TTF et je me réjouis que tous saluent l'initiative de la France conjointement avec l'Autriche pour sauver le projet qui a failli être abandonné. Je suis inquiet pour la suite, car je me souviens de ma rencontre avec les responsables des grandes banques françaises et de leurs arguments assez virulents contre ce projet de TTF (et leur chantage à la délocalisation). C'est un lobbying permanent en France et c'est encore plus fort à Bruxelles. Restons fermes pour aboutir en 2016 et luttons contre cet état d'esprit réticent.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Comparaison n'est pas raison, mais lors de la création de la taxe sur les billets d'avion, que de cris de la part des banques aussi ! Or il n'y a pas eu d'incidences sur l'économie. Quelle est l'entreprise qui va quitter Francfort, Londres ou New York pour aller dans une bourse de l'autre bout du monde ? Je ne crois pas à la délocalisation des centres financiers, mais il est normal que les banquiers se défendent.
Mme Fabienne Keller. - Je vous remercie tous pour vos réactions très positives et je me réjouis de votre soutien et du consensus qui se dégage. Tobin voulait créer un tout petit frottement. Il faut bien avoir en tête que l'argent a cette particularité par rapport aux autres produits négociés, qu'il n'y a pas de livraison physique et donc la délocalisation est très facile. Au fond, c'est une ligne sur un ordinateur, mais encore faut-il qu'il soit sécurisé, c'est tout. Donc une TTF efficace devrait être mise en place dans tous les pays à système financier et bancaire fiable et solide. Cette bonne idée de TTF semblait arriver au bon moment en 2008 quand on a voulu partir en guerre contre des transactions délirantes de produits non normés qui ne passent pas par des chambres de compensation. De plus, les directives EMIR et MIFID devaient venir en renfort de ce projet de TTF.
En 2008, l'Union européenne allait assainir les marchés et revenir aux bonnes vieilles pratiques de la bourse de Chicago : un produit normé qui s'échange en gros volumes et une vraie rencontre transparente entre l'offre et la demande. Le projet de TTF s'insérait dans ce contexte. Mais au moment de la mise en oeuvre, le projet s'est heurté à l'opposition britannique qui protège son secteur financier. Aujourd'hui, parmi les onze États membres de la coopération renforcée, certains sont convaincus et quelques autres ne sont là que par complaisance, ce qui complique les choses. Le moment opportun est passé, les marchés financiers sont repartis et le projet TTF semble moins urgent. Pourtant une nouvelle crise est probable. Certes, le consensus politique s'est étiolé mais il faut persévérer. Je reste favorable à des taux vraiment très bas, car l'urgence est de lancer la taxe et de ne pas inquiéter avec des taux trop élevés. Quand la taxe sera mise en place, il sera toujours temps de remonter les taux.
Sur les financements innovants, c'est un coup de génie du président Chirac, mais cela n'a marché que sur les billets d'avions. Le financement carbone ne marche pas. Il faut soutenir la proposition française de TTF tout en ayant conscience que la TTF qui nous est proposée est pour l'instant très modeste à cause d'une base très étroite : les actions ; elle sera sans effet sur les marchés. Mais quand on a des convictions, il faut insister, les porter, et attendre que l'occasion favorable se présente et elle se représentera même si pour l'instant, les circonstances jouent contre la TTF.
M. Claude Kern. - Le projet français est une petite TTF qui aurait le mérite d'insister !
M. Yves Pozzo di Borgo. - J'ai cessé d'appartenir pendant trois ans à cette commission et je prends conscience que la commission des affaires européennes a acquis une importance très grande. Chacun peut mesurer, comme moi, l'excellent travail que nous faisons ici.
La réunion est levée à 11 h 55.