- Mercredi 11 février
2015
- Economie, finances et fiscalité - Plan d'investissement pour l'Europe : proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Jean-Paul Emorine et Didier Marie
- Economie, finances et fiscalité - Directives « services » et « qualifications professionnelles » et professions réglementées : communication de MM. Michel Mercier et Alain Richard
- Justice et affaires intérieures - Déchéance de nationalité et conventions européennes : communication de M. Michel Mercier
- Désignation des membres du groupe de travail sur la transparence et la concurrence dans le transport aérien
Mercredi 11 février 2015
- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, vice-président -La réunion est ouverte à 15 heures 05.
Economie, finances et fiscalité - Plan d'investissement pour l'Europe : proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Jean-Paul Emorine et Didier Marie
M. Jean-Paul Emorine, vice-président. - Je dois d'abord excuser l'absence de notre président Jean Bizet qui est retenu dans son département pour une raison impérative.
L'ordre du jour appelle une communication de Didier Marie et de moi-même sur le plan d'investissement pour l'Europe. À l'issue de cette présentation et du débat qui suivra, nous examinerons une proposition de résolution européenne et un avis politique.
M. Didier Marie. - Je vous rappelle que, le 26 novembre dernier, notre commission a adopté un avis politique sur le plan d'investissement annoncé par le Président Juncker auquel nous n'avons pas eu de réponse pour l'instant. Le même jour, la Commission européenne présentait une communication exposant les grandes lignes de ce plan que le Conseil européen du 18 décembre 2014 a approuvées. Le 13 janvier 2015, la Commission a présenté une proposition de règlement instituant un Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) sur la base d'un accord entre la Commission et la Banque européenne d'investissement (BEI). Ce fonds, doté de 21 milliards d'euros, devrait permettre de financer les projets au titre du plan. Ce texte est accompagné de deux autres : un projet de budget rectificatif au budget 2015 de l'Union européenne, visant à tirer les conséquences des modalités de financement du plan, et une communication interprétative sur la façon dont la Commission utilisera sa marge de manoeuvre dans la mise en oeuvre des dispositions du Pacte de stabilité et de croissance.
Le plan d'investissement est conçu comme comprenant trois volets.
Son premier volet, que je vais vous présenter, est centré sur la mobilisation de 315 milliards d'euros sur les années 2015 à 2017, via le FEIS qui devrait être institué d'ici juin prochain avec l'adoption de la proposition de règlement déposée par la Commission. Ce montant est atteint grâce à une prévision d'effet levier de 1 à 15, sur une mise initiale de 21 milliards d'euros. On nous dit qu'il est dans la moyenne des programmes de l'Union et de la BEI. Ces 21 milliards d'euros sont composés de 16 milliards au titre de la garantie adossée au budget de l'Union européenne, dont la moitié sera effectivement provisionnée par un prélèvement de 2 milliards sur le budget de l'Union européenne, de 3,3 milliards sur le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe et de 2,7 milliards sur le programme Horizon 2020, garantie qui sera mise en oeuvre progressivement. 5 milliards d'euros seront mobilisés au titre des fonds propres de la BEI. Cependant, on peut relever que l'on ne sait pas ce qui se passera en cas d'appel de la garantie au-delà de cette provision de 8 milliards. Le montant des crédits publics pour financer le plan d'investissement paraît limité, mais résulte à la fois d'un choix politique de la Commission, qui privilégie une mobilisation du marché et des liquidités, et de la modestie du budget de l'Union européenne.
La garantie serait également accordée, par l'intermédiaire de la BEI, à des plateformes d'investissement spécialisées et à des banques nationales de développement. Il est prévu que, sur ces 315 milliards d'euros, 240 milliards soient alloués à des investissements à long terme, des infrastructures pour l'essentiel, et 75 milliards aux PME et entreprises de taille intermédiaire, c'est-à-dire qui comprennent moins de 3 000 salariés, à moyenne capitalisation.
Le FEIS apportera des financements au moyen de prêts, de garanties, d'apports en fonds propres ou encore d'instruments du marché des capitaux, mais ne versera pas de subventions. On ne perçoit pas encore clairement quelle sera l'articulation entre les moyens mobilisés au titre du plan et les fonds structurels et d'investissements européens, même si la Commission assure que ceux-ci et les fonds du plan d'investissement s'additionneront. On peut à cet égard noter l'inquiétude des collectivités territoriales de voir ces fonds structurels détournés de leur destination réelle.
La proposition de règlement met en place une garantie de l'Union européenne, qui permettra à la BEI de couvrir les premières pertes éventuelles du FEIS résultant du financement de projets risqués. D'après les calculs de la Commission, ces pertes ne devraient pas excéder 3 milliards d'euros.
En outre, les États membres pourront verser des contributions au FEIS ou aux plateformes d'investissement. Dans sa communication relative à la flexibilité des dispositions du Pacte de stabilité et de croissance, dont l'objet est néanmoins plus large, la Commission indique qu'elle ne tiendra pas compte de ces contributions nationales au moment de définir l'ajustement budgétaire au titre du volet préventif ou correctif du Pacte et que, si le déficit dépasse la valeur de référence, elle n'ouvrira pas de procédure pour déficit excessif, à la condition que ce dépassement soit dû uniquement à la contribution, qu'il soit limité et qu'il reste temporaire. On peut se féliciter de cette décision, qui marque une nouvelle approche d'application des règles budgétaires en faveur de l'investissement et de la croissance. Il conviendra cependant que cette opportunité faite aux États membres n'incite pas certains d'entre eux à privilégier l'accompagnement des investissements du plan à ceux des fonds structurels qui pour le moment ne bénéficient pas des mêmes dispositions.
La proposition de règlement détaille la gouvernance du FEIS. Celui-ci serait doté d'une double structure : un comité de pilotage, composé de représentants de la Commission et de la BEI, qui déciderait de la politique générale du Fonds, de la répartition de ses actifs, de sa politique d'investissement et du profil de risque, et un comité d'investissement, composé d'un directeur exécutif et de six experts indépendants disposant d'une solide expérience du marché dans le domaine du financement de projets, ces sept personnes étant nommées par le comité de pilotage et chargées de sélectionner les projets financés par le Fonds. Il conviendrait sans doute que ces experts disposent également d'une expérience des collectivités territoriales et des politiques sociales. Il est prévu que, si des États membres contribuent au FEIS, le nombre de membres et de votes au comité de pilotage soit adapté de façon proportionnelle à ces contributions nationales, mais la Commission et la BEI disposeraient d'un droit de veto sur les décisions de ce comité. Le texte est par ailleurs silencieux sur la possibilité pour des investisseurs non européens, des fonds souverains par exemple, de contribuer au Fonds et donc de siéger au comité de pilotage. Il est probable qu'une proposition de contribution sera examinée selon des critères de nature politique selon qu'elle émane, par exemple, de la Norvège ou de la Chine...
Cette gouvernance donne la primauté aux experts. Elle est conçue comme devant permettre d'éviter toute politisation de la sélection des projets, c'est-à-dire leur répartition nationale ou par secteur, dès lors que les États membres sont souvent tentés d'invoquer un « juste retour ». Si l'objectif est louable, « dépolitisation » ne doit pas être synonyme d'illégitimité. C'est pourquoi nous pensons que l'obligation de rendre compte au niveau du comité de pilotage doit être renforcée, qu'un bilan régulier de la mise en oeuvre du plan et du fonctionnement du FEIS doit être effectué et que le Parlement européen et les parlements nationaux puissent exercer leur contrôle.
La proposition de règlement prévoit également la création d'une plateforme européenne de conseil en investissement au sein de la BEI chargée, contre une allocation annuelle de 20 millions d'euros, d'apporter une assistance technique aux investisseurs publics et privés dans le financement de projets. Ce point n'est cependant pas très clair, en particulier pour ce qui concerne son articulation avec les guichets uniques existants et son rôle envers les collectivités territoriales et dans l'accompagnement des PME-ETI.
Alors, que penser de ce premier volet du plan d'investissement ?
Il est indéniable que le plan du Président Juncker tire les conséquences de l'existence de liquidités abondantes et de la nécessité de les orienter vers l'économie réelle. À ce titre, il répond en particulier aux préoccupations françaises de mettre l'accent sur la croissance et l'investissement au niveau européen, et pas seulement sur l'assainissement budgétaire. Plusieurs personnes, lors de nos auditions à Paris comme à Bruxelles, ont considéré que ce plan était astucieux, voire « séduisant » selon l'expression de notre ancien collègue Jean Arthuis, qui préside la commission des budgets du Parlement européen. Pour autant, beaucoup de choses restent ouvertes à ce stade. D'aucuns ont même estimé que ce plan était une « vision », d'autres un « pari ».
De fait, il suscite de nombreuses interrogations.
Les trois quarts des financements devraient concerner des infrastructures. Or, la plupart d'entre elles, en particulier dans les transports et l'énergie, requièrent des subventions, alors que le FEIS les exclut. Leur retour sur investissement est généralement bien supérieur à trois ans, qui est l'horizon de mise en oeuvre du plan. À cet égard, les modalités de financement retenues pourraient être trop restrictives. Quant au quart restant, il devrait aller aux PME sur des projets plus risqués que ceux pour lesquels il existe déjà des dispositifs financiers européens qui leur sont destinés, en particulier le Fonds européen d'investissement (FEI) qui est une filiale de la BEI. Au total, le fonctionnement du FEIS pourrait mettre en évidence deux risques : la difficulté à trouver suffisamment de projets éligibles, d'une part, et un risque d'aubaine, pour les PME en particulier, d'autre part. Autrement dit, quelle sera la valeur ajoutée du plan ? Il sera nécessaire d'être vigilant à ce que des projets qui avaient de toute façon été engagés ne soient pas estampillés « plan Juncker ».
Une autre interrogation importante trouve sa source dans le
rôle fondamental
- que certains considèrent comme
excessif - que joue la BEI dans la mise en oeuvre du plan
d'investissement. Il est avéré que c'est la BEI elle-même
qui a « soufflé » à Jean-Claude Juncker
l'idée de ce plan qui serait un condensé des réflexions et
projets de la Banque depuis de nombreuses années. Aussi la
rapidité de la présentation du plan et de la rédaction des
différents textes ne serait-elle pas fortuite. De même, le fait
que la BEI pourra commencer à financer des projets avant que le FEIS ne
soit juridiquement opérationnel n'est pas non plus un hasard : c'est ce
qu'elle fait depuis des années.
On peut penser que la BEI, à laquelle on reproche souvent sa frilosité au risque, a décidé d'associer l'Union européenne, et la garantie financière de son budget, à la conduite de projets plus risqués. De fait, le FEIS ne sera pas un établissement autonome : il n'aura pas de personnalité juridique et sera une ligne dans les écritures de la BEI. En revanche, le plan sera l'occasion pour celle-ci de recruter une centaine de personnes supplémentaires et d'accroître ses frais de fonctionnement de 105 millions d'euros au titre des dépenses administratives du FEIS. Son conseil d'administration serait le décideur final de la politique d'investissement du FEIS et chapeauterait de fait le comité de pilotage et le comité d'investissement de ce dernier, ce qui allongera encore la procédure d'instruction des dossiers, faisant craindre à certains un risque bureaucratique. De surcroît, la plateforme européenne de conseil en investissement sera gérée par la BEI. La question principale est de savoir si le FEIS ne servira qu'à apporter des garanties supplémentaires à la BEI ou s'il sera en mesure de créer l'effet de levier escompté ?
Enfin, les relations que la BEI entretiendra avec les banques nationales de développement ne sont pas claires et la mise en réseau de ces dernières contribuerait à une réalisation du plan plus efficace.
Ce plan, s'il marque une inflexion notable en faveur de l'investissement et de la croissance, et doit être salué pour cela, devra être régulièrement évalué.
Par ailleurs, il ne doit pas occulter d'autres débats relatifs aux moyens que l'Union européenne devrait se donner pour conforter cet objectif pour la croissance et l'emploi, comme l'affectation en faveur de l'investissement d'une partie des moyens du Mécanisme européen de stabilité, de la possibilité pour la BEI de lever des obligations, de la perspective de la création d'une agence du trésor ou encore d'un livret d'épargne européen.
Jean-Paul Emorine va maintenant vous présenter les deux autres volets du plan d'investissement.
M. Jean-Paul Emorine, vice-président. - Outre ses modalités de financement, que vient de nous exposer Didier Marie, le plan d'investissement comporte deux autres volets.
Le deuxième volet porte sur les projets éligibles au FEIS.
La Commission et la BEI avaient, en amont, mis en place une task force destinée à collecter des projets sur l'ensemble du territoire de l'Union et au sein de laquelle la France était représentée par le commissaire général adjoint à l'investissement. L'objectif était de démontrer l'existence de besoins en investissements auxquels les liquidités, aujourd'hui abondantes, pourraient être affectées. La task force a ainsi identifié environ 2 000 projets représentant 1 300 milliards d'euros. Beaucoup d'entre eux ne seront cependant pas éligibles au FEIS.
Mais la proposition de règlement ignore les travaux de la task force. En revanche, elle cite les cinq objectifs généraux que les projets éligibles au FEIS doivent soutenir :
- le développement d'infrastructures, en particulier dans le domaine des transports, de l'énergie et du numérique ;
- l'éducation et la formation, la santé, la recherche et le développement, les technologies de l'information et de la communication et l'innovation ;
- les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique ;
- les infrastructures dans le domaine de l'environnement, des ressources naturelles et du développement urbain ;
- le domaine social.
À titre d'illustration pour notre pays, les modalités de financement retenues empêcheraient certains projets, en particulier dans les infrastructures, qui requièrent de longues années avant de pouvoir être menés à bien, d'être éligibles au FEIS. C'est le cas, par exemple, de la liaison ferroviaire Lyon-Turin ou de la liaison fluviale Rhin-Rhône.
En revanche, trois types de projets pourraient être concernés :
1°) certains types d'infrastructures, dont le niveau de risque est difficile à apprécier, comme le Charles-de-Gaulle Express, ou plus élevé, comme les éoliennes offshore, pour lesquelles une garantie partielle pourrait permettre de boucler le financement. La rénovation/modernisation des infrastructures constitue toutefois la plus grosse part des besoins d'investissement en la matière, la mise aux normes par exemple ;
2°) le financement des entreprises : les capacités financières sont actuellement insuffisantes et le plan Juncker constitue une opportunité à saisir pour les accroître, par exemple pour moderniser l'appareil industriel ou pour faciliter le passage de la recherche-développement vers l'industrialisation ;
3°) dans les collectivités territoriales, où le potentiel est le plus important, par exemple sous la forme de partenariat public-privé. Peuvent être cités des projets de rénovation thermique des bâtiments, de modernisation de l'éclairage public ou encore de crèches. De ce point de vue, il est important que les collectivités territoriales puissent bénéficier du plan d'investissement, le financement par le FEIS de projets qu'elles soutiennent contribuant de façon significative à la réalisation de ses objectifs. Alors que le très haut débit est éligible au plan d'investissement, les personnes que nous avons auditionnées ont souligné le peu d'intérêt de ce plan pour développer ce secteur en France, compte tenu à la fois de l'avance de notre pays en la matière et de la disponibilité de liquidités indépendamment du plan.
Les projets éligibles seront sélectionnés par le comité d'investissement, mais des interrogations demeurent sur les critères de sélection. Les projets doivent présenter un profil de risque plus élevé que ceux jusqu'à présent financés par la BEI. La proposition de règlement ne reprend cependant pas les critères utilisés par la task force, à savoir une dimension européenne, une réelle viabilité économique et un impact à court terme sur l'activité économique, le plan devant être mis en oeuvre sur trois ans. En outre, dès lors qu'il est prévu que le FEIS finance des projets dans des secteurs dont le retour sur investissement est plus aléatoire et plus long et qui sont donc a priori moins attractifs pour des investisseurs privés, il est important de connaître les critères qui leur permettront d'être retenus. Enfin, on peut se demander quelle sera la valeur ajoutée du FEIS dans le financement des PME et des entreprises de taille intermédiaire, alors que le secteur financier est déjà spontanément intéressé par ce secteur. Par ailleurs, si le souci d'éviter des quotas nationaux ou sectoriels est légitime, les critères de sélection doivent néanmoins se traduire par une couverture équilibrée du territoire européen, la cohésion économique, sociale et territoriale restant l'un des objectifs majeurs de l'Union européenne. Il convient donc de les préciser sur ce point.
Pour donner une suite concrète aux propositions comme celles du rapport de MM. Pisani-Ferry et Enderlein, que nous avons auditionnés en commission, il est important que le FEIS puisse financer des projets identifiés et mis en oeuvre sur une base bilatérale. Il existe des projets non seulement franco-allemands, mais aussi franco-espagnols ou franco-italiens.
Par ailleurs, la proposition de règlement prévoit la création d'une réserve européenne de projets d'investissement dont l'objectif est de permettre aux investisseurs de disposer d'informations sur les projets potentiels. La Commission et la BEI considèrent en effet que le manque d'informations pénalise souvent les investissements.
Enfin, le troisième volet du plan d'investissement est de nature réglementaire. Il s'agit de lever les obstacles à l'investissement et de renforcer encore le marché unique de manière à démultiplier les effets du plan et à rendre l'Union européenne plus attractive.
Ce volet est présenté comme particulièrement important et crucial pour atteindre les objectifs du plan - MM. Pisani-Ferry et Enderlein ont d'ailleurs insisté sur ce point -, mais, paradoxalement, il est aussi le moins détaillé.
La communication de la Commission du 26 novembre dernier évoque trois pistes en termes très généraux : d'abord, l'amélioration de la réglementation européenne et nationale, la réduction des charges administratives ou encore une amélioration de l'efficacité de la dépense publique ; ensuite, de nouvelles sources de financement à long terme, y compris des mesures visant à créer une union des marchés de capitaux ; enfin, la suppression des obstacles à l'investissement dans le marché unique. Dans ses conclusions, le Conseil européen du 18 décembre reprend ces objectifs et évoque plus spécifiquement l'Union de l'énergie, pour laquelle la Commission est invitée à présenter une proposition globale « bien avant le Conseil européen de mars 2015 », et le marché unique numérique, pour lequel la Commission est également invitée à présenter une communication ambitieuse « bien avant le Conseil européen de juin 2015 ».
La Commission devrait présenter dans les prochains mois diverses initiatives couvrant ce troisième pilier, ainsi qu'une communication sur l'implication des banques nationales de développement.
Ce troisième volet est certes ambitieux, mais s'apparente surtout, tout au moins pour l'instant, à une déclaration d'intention. C'est pourquoi il convient d'obtenir davantage d'informations, en particulier sur la manière dont il pourrait effectivement contribuer à la levée des obstacles réglementaires - objectif que nous partageons naturellement pourvu que soient respectées les normes sociales et environnementales.
Enfin, nous devrons nous montrer très vigilants sur la mise en oeuvre du plan d'investissement et plus particulièrement sur le rôle des collectivités territoriales.
Tant la Commission que le Conseil ont la volonté d'aller vite sur le plan d'investissement afin que des projets puissent être financés et engagés dès cette année. Les négociations ont commencé le 19 janvier au sein d'un groupe ad hoc du Conseil, où les questions restent nombreuses à ce stade. Il est prévu que le Conseil ECOFIN adopte une orientation générale le 10 mars en vue d'un accord politique en mai puis d'un accord en première lecture au Parlement européen, sur le rapport des commissions des affaires économiques et monétaires et des budgets, d'ici la fin du premier semestre.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, Didier Marie et moi-même vous invitons à adopter l'avis politique et la proposition de résolution européenne qui vous ont été préalablement distribués.
M. Simon Sutour. - De nombreuses interrogations demeurent sur ce plan d'investissement, même s'il comporte beaucoup de choses positives. Il est notamment tourné vers la croissance et l'emploi, ce qui permet de réorienter l'Europe jusqu'alors excessivement axée sur la rigueur budgétaire. Je suis en revanche, moi aussi, réservé sur l'effet de levier « fantastique » qui permettrait de mobiliser 315 milliards d'euros à partir de 21 milliards, d'autant plus que, lors d'un déplacement à Bruxelles, il m'a été dit que les crédits publics s'établissaient en réalité à 6 milliards d'euros. Ainsi, si l'idée du plan est bonne, il convient toutefois de lui consacrer de véritables moyens, et une part conséquente du budget européen devrait lui être allouée. Par ailleurs, j'ai une inquiétude qui tient à ce que les crédits affectés au plan d'investissement proviennent en réalité de crédits existants du cadre financier pluriannuel, notamment les fonds structurels.
M. Daniel Raoul. - Les 21 milliards d'euros de crédits publics constituent en partie du « recyclage ». Je suis moi aussi sceptique sur l'effet de levier de 1 à 15. Je note une contradiction entre les alinéas 20 et 21 de la proposition de résolution européenne qui nous est soumis : comment les projets financés au titre du fonds pourront-ils à la fois présenter un profil de risque élevé et être économiquement viables ? Cela pose d'ailleurs la question du profil des projets qui seront retenus. Je considère que les projets d'aménagement du territoire, dont le retour sur investissement ne sera pas immédiat, sont aussi importants que les projets industriels.
M. André Gattolin. - Le plan d'investissement du président Juncker soulève des doutes sur plusieurs aspects. Je m'interroge moi aussi sur la crédibilité de l'effet de levier. Je rappelle d'ailleurs que c'est le quatrième plan d'investissement que l'on nous soumet depuis une vingtaine d'années. L'effet de levier ne fonctionnera que si les projets retenus sont rentables suffisamment rapidement. Par ailleurs, la BEI n'est pas habituée à gérer des dossiers concernant des PME-PMI, mais plutôt des gros dossiers d'investissement, et n'a guère non plus de compétences en matière d'éducation ou de politique sociale. Elle n'est pas non plus habituée à prendre des risques importants. Enfin, elle n'entretient guère de très bonnes relations avec la Caisse des Dépôts et Consignations, ni avec les organismes comparables dans les autres États membres. Je note d'ailleurs que la Caisse des Dépôts française s'est rapprochée récemment de son homologue allemande. Je suis également inquiet de ce que le Parlement européen soit tenté d'obtenir un droit de veto sur chacun des projets sélectionnés au titre du plan : cela me paraît excessif.
M. François Marc. - Je souligne également la contradiction entre les alinéas 20 et 21 de la proposition de résolution européenne. Une part de risque est indispensable.
M. Alain Richard. - Nous avons peut-être cru un peu trop rapidement que le plan Juncker allait régler tous nos problèmes. Un choc d'investissement est en effet nécessaire, mais ces investissements doivent être rentables. Actuellement, ni le Parlement européen ni le Conseil européen n'ont de majorité pour rompre avec les principes de base de la politique monétaire commune. Nous ne sommes pas dans un contexte où l'on va relancer la croissance par une hausse des dépenses publiques. Le plan du président Juncker repose en partie sur des prêts bancaires, mais les bénéficiaires de ces prêts doivent être capables de les rembourser. Je partage également les réserves qui ont été formulées sur la BEI et ses capacités à gérer des dossiers à hauteur de 315 milliards d'euros.
M. Philippe Bonnecarrère. - Pour ma part, j'approuve la proposition de résolution européenne et le projet d'avis politique qui nous sont soumis. Je considère que les critiques envers le plan d'investissement sont un peu sévères. Je rappelle que les grandes lignes de ce plan ont été formulées à un moment où les récentes décisions de la Banque centrale européenne en matière monétaire n'avaient pas encore été annoncées. De même, la Commission européenne est obligée d'agir avec le budget dont elle dispose et qui est limité. Elle a la volonté de l'optimiser et c'est une bonne chose. On ne peut pas exiger de l'Europe à la fois qu'elle adopte une politique d'investissement en soutien des États membres, et dans le même temps, qu'elle réclame des économies budgétaires. Je rappelle que nous avons nous-mêmes beaucoup de difficultés à dégager des capacités d'investissement qui ont plutôt diminué au cours des dernières années.
M. André Reichardt. - Il conviendrait d'éclaircir la question du montant des crédits publics alloués au plan d'investissement. S'agit-il de 21 milliards d'euros ou de 6 milliards ? Comment ce montant sera-t-il réparti ? Selon quels projets ? Si je considère que la possibilité pour les collectivités territoriales de bénéficier du plan est une bonne chose, nous devons aussi nous garder du risque de demandes disparates et mobilisant de faibles crédits. Pour ce qui concerne la place des investisseurs ressortissants d'États tiers à l'Union européenne dans la gouvernance du plan, je suppose qu'ils demanderont des contreparties en échange de financements.
Mme Fabienne Keller. - Il existe effectivement des interrogations sur la gouvernance du plan. J'ai lu des informations selon lesquelles une liste de projets avait déjà été publiée, sur des thématiques proches de celles du grand emprunt. Le commissariat général à l'investissement est chargé d'instruire ces dossiers. Je voulais donc connaître l'articulation entre le niveau européen et le niveau national pour la mise en oeuvre de ces projets.
M. Michel Billout. - Les difficultés d'accorder du crédit à ce plan d'investissement sans se poser de nombreuses questions apparaissent rapidement, d'autant plus que l'Union européenne est dépourvue de ressources propres, ce qui rend l'exercice particulièrement difficile, comme on le voit avec les discussions sur la taxe sur les transactions financières. Je rappelle que, au cours de leur audition, MM. Pisani-Ferry et Enderlein avaient mis en garde sur la façon dont l'Allemagne avait sensiblement réduit ses investissements au cours des dernières années, ce qui a des répercussions sur l'état de ses infrastructures. Le mérite de la proposition de résolution européenne qui nous est soumise est de poser les bonnes questions, et pour cette raison je suis prêt à le soutenir. Sur la gouvernance, nous pouvons nous interroger sur le crédit à apporter aux experts ; c'est pourquoi il me semble indispensable d'ajouter une dimension de contrôle démocratique. Je suis en revanche plus réservé sur le volet réglementaire du plan.
M. Didier Marie. - Je voudrais d'abord rappeler que le plan d'investissement est né d'un compromis politique : le président Juncker avait pris un certain nombre d'engagements devant le Parlement européen, dont une inflexion de la politique européenne en faveur de la croissance et de l'emploi. Il avait ainsi annoncé une mise en oeuvre rapide de ce plan. Celui-ci part du constat qu'il existe des liquidités abondantes aujourd'hui en Europe et qu'il est nécessaire de les orienter vers des projets risqués assis sur une garantie. La Commission européenne et la BEI font valoir que l'effet de levier de 1 à 15 se situe dans la moyenne des expériences passées en matière d'investissement : ainsi, l'augmentation du capital de la BEI de 10 milliards d'euros en 2012 a donné lieu à un effet de levier de 1 à 18, et de 1 à 20 pour le projet COSME. Les 21 milliards d'euros de crédits publics alloués au fonds se répartissent en 5 milliards au titre de la BEI, et en deux fois 8 milliards sur le budget de l'Union européenne, 8 milliards constituant la garantie proprement dite et les 8 autres milliards devant être mobilisés uniquement en cas de besoin. La Commission nous a d'ailleurs indiqué que la garantie du budget de l'Union européenne ne devrait pas être sollicitée au-delà de 3 milliards d'euros, ce qui, selon elle, rend suffisants les 8 milliards prévus. Les projets financés doivent certes présenter un profil plus risqué, mais il convient aussi d'éviter de financer des « éléphants blancs » sans valeur ajoutée significative, comme cela a pu exister dans le passé. Les alinéas 20 et 21 cherchent à exprimer cette double préoccupation. Mais nous sommes naturellement ouverts pour préciser la rédaction si nécessaire. À cette fin, nous vous proposons de modifier les points 18 de l'avis politique et 21 de la proposition de résolution européenne afin de retenir le critère d'une « perspective raisonnable de bonne viabilité économique » des projets. Sur la Caisse des Dépôts et Consignations, il y a effectivement une rivalité historique entre la BEI et les banques nationales de développement. C'est pourquoi la proposition de résolution européenne souhaite la structuration d'un réseau européen de ces banques, qui devrait permettre une meilleure mise en oeuvre du plan d'investissement, y compris au niveau de la plateforme d'ingénierie que la Commission propose d'instaurer.
M. Jean-Paul Emorine. - Le plan d'investissement permettra d'apporter des garanties à des entreprises qui n'auraient pas pu les trouver sans lui. Pour que les projets financés soient rapidement et efficacement mis en oeuvre, il convient de les décliner au niveau des territoires. De ce point de vue, le numérique constitue un très bon exemple : le plan permet de financer des projets de très haut débit, mais il faut que les collectivités territoriales s'y impliquent pour leur donner une réalité sur le terrain.
M. Didier Marie. - Il est important que les collectivités territoriales puissent présenter des projets au FEIS. Je rappelle qu'aujourd'hui, 55 % de l'investissement en Europe proviennent des collectivités territoriales. Nous ne devons donc pas nous priver de leurs capacités de levier. Le risque de saupoudrage n'est pas nul, mais il doit être évité par la définition des critères de sélection de projets qui seront retenus par le comité d'investissement. La rédaction que nous proposons pour ce qui concerne le positionnement des investisseurs hors Union européenne vise précisément à obtenir des informations complémentaires sur leur rôle éventuel et sur leur implication dans la gouvernance du plan.
M. Jean-Paul Emorine. - La rédaction de l'alinéa relatif au volet réglementaire obéit à la même préoccupation d'obtenir des précisions sur sa contribution à la réalisation du plan. Par exemple, il existe aujourd'hui des obstacles réglementaires qui empêchent les collectivités territoriales d'intervenir dans le développement du très haut débit.
À l'issue du débat, la commission a adopté l'avis politique et la proposition de résolution européenne à l'unanimité dans la rédaction suivante :
Economie, finances et fiscalité - Directives « services » et « qualifications professionnelles » et professions réglementées : communication de MM. Michel Mercier et Alain Richard
M. Jean-Paul Emorine, vice-président. - Nous allons entendre une communication d'Alain Richard et de Michel Mercier sur la question des professions réglementées.
Comme nous le savons, cette question fait l'objet de dispositions dans le projet de loi pour la croissance et l'emploi, porté par le ministre de l'économie, qui est en cours de discussion à l'Assemblée nationale. Le Sénat discutera de ce texte dans les prochaines semaines. Il a d'ores et déjà mis en place un groupe de travail qui préfigure une future commission spéciale. Ce groupe est présidé par notre collègue Vincent Capo-Canellas. Trois rapporteurs ont été désignés : Catherine Deroche, Dominique Estrosi-Sassone et François Pillet.
Notre commission n'a pas vocation à s'immiscer dans les réflexions de ce groupe de travail pas plus que dans celles de la future commission spéciale. Mais il a paru intéressant, en vue des prochains débats, de faire un point sur le cadre juridique européen qui est applicable aux professions réglementées. Tel est l'objet de la communication de nos deux collègues.
Je donne la parole à Alain Richard qui va s'exprimer en premier. Puis Michel Mercier interviendra.
M. Alain Richard. - Comme vous le savez, l'Assemblée nationale examine en ce moment le projet de loi pour la croissance et l'emploi, qui comporte plusieurs dispositions relatives à la réforme des professions juridiques réglementées. Il s'agit notamment de réviser les grilles tarifaires pour les rapprocher des coûts réels, d'assouplir la liberté d'installation des notaires, huissiers et commissaires-priseurs, d'élargir le champ de la postulation territoriale des avocats, d'instituer une profession unique de l'exécution, le commissaire de justice, et d'ouvrir le capital entre professionnels du droit et du chiffre.
S'il n'appartient naturellement pas à la commission des affaires européennes d'analyser ces dispositions, qui ont du reste été profondément modifiées par l'Assemblée nationale, il apparaît en revanche opportun de rappeler le cadre juridique européen dans lequel elles interviennent, en particulier en vue de l'examen du texte par le Sénat prévu en mars prochain.
Le droit français ne donne pas de définition des professions réglementées. Ces dernières sont en revanche définies par la directive du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles qui retient une définition centrée sur l'exigence d'une qualification et qui établit un lien entre les professions réglementées et les professions libérales. Il existe également des directives sectorielles, par exemple celles applicables aux avocats.
Actuellement, les compétences relatives à la réglementation de ces professions demeurent nationales. Ces règles nationales reflètent des choix politiques quant aux intérêts à protéger. Ainsi, des professions sont réglementées dans certains États membres, et pas dans d'autres. Même quand elles le sont, les réglementations diffèrent selon les pays pour ce qui concerne les activités réservées ou les qualifications requises. Mais dans un arrêt de 2011, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a souligné que « la définition de cette notion [de profession réglementée] relève du droit de l'Union ». Autrement dit, le caractère réglementé ou non d'une profession résulte de la directive.
La France se caractérise par la spécialisation et la réglementation de ses professions juridiques. Dans notre pays, la quasi-totalité des professions juridiques réglementées sont des professions libérales. Certaines d'entre elles ont soit le statut d'officier ministériel, comme les avocats aux conseils et les commissaires-priseurs judiciaires, et leurs membres sont nommés par le ministre de la justice, soit celui d'officier public et ministériel, comme les notaires, les greffiers des tribunaux de commerce et les huissiers de justice, ce qui signifie que leurs membres sont également nommés par le ministre de la justice et qu'ils ont aussi le pouvoir d'établir des actes authentiques. On notera que la France serait le seul pays au monde à avoir conservé ce statut d'officier public ou ministériel. Se pose la question de sa compatibilité avec le droit européen.
En effet, l'organisation des professions réglementées en France fait l'objet d'interrogations récurrentes au niveau européen et cette pression européenne s'exerce principalement de trois manières.
Je vous propose de vous exposer la première et de laisser à Michel Mercier le soin de vous présenter les deux autres.
La réglementation de certaines professions doit être conforme aux dispositions des directives « services » et « reconnaissance des qualifications professionnelles ».
Pour ce qui concerne les professions juridiques réglementées, le champ d'application de ces deux directives se limite :
- d'une part, aux activités des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ;
- d'autre part, à celles des avocats, pour autant que les dispositions des deux directives sectorielles applicables à ces derniers en matière de libre prestation de services et d'établissement ne sont pas en conflit avec les dispositions des deux directives.
Les activités des autres professions juridiques réglementées en sont exclues, soit explicitement, pour ce qui concerne les notaires dans les deux directives et les huissiers de justice dans la directive « services », soit au regard de leur participation à l'exercice de l'autorité publique, conformément à l'article 51 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
J'en viens d'abord à la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Je rappelle que notre commission a porté beaucoup d'attention à ce texte tant en amont, au cours de son élaboration, qu'en aval, lors de sa transposition, le président Jean Bizet ayant consacré deux rapports d'information au sujet.
La directive « services » pose deux principes fondamentaux :
- celui de la liberté d'établissement des prestataires : à ce titre, les États membres doivent passer en revue leurs régimes d'autorisation existants et évaluer ceux qui peuvent être maintenus, ceux qui doivent être modifiés et ceux qui doivent être supprimés. Le principe est que tout régime d'autorisation constitue désormais l'exception. Les régimes d'autorisation ne peuvent être maintenus que s'ils ne sont pas discriminatoires, s'ils sont justifiés par une raison impérieuse d'intérêt général et s'ils sont proportionnés ;
- et celui de la libre circulation des services : le principe du pays d'origine, qui figurait dans la proposition initiale de la Commission, a été remplacé par celui de la libre prestation des services.
Les dispositions des directives sectorielles restent importantes car elles prévalent et s'appliquent à des aspects spécifiques qui ne seraient pas traités par la directive « services ».
Quant à la directive « reconnaissance des qualifications professionnelles », elle a modernisé l'ensemble du système de reconnaissance des qualifications professionnelles au sein de l'Union européenne. Elle établit les règles selon lesquelles un État membre qui subordonne l'accès à une profession réglementée ou son exercice, sur son territoire, à la possession de qualifications professionnelles déterminées reconnaît, pour l'accès à cette profession et son exercice, les qualifications professionnelles acquises dans un ou plusieurs autres États membres et qui permettent au titulaire desdites qualifications d'y exercer la même profession. En France, près de 140 professions ont été concernées par la mise en oeuvre de ce texte, dont la transposition s'est terminée début 2010.
Cette directive a été révisée par la directive du 20 novembre 2013, qui doit être transposée avant le 18 janvier 2016.
Les principales modifications apportées lors de cette révision, qui concernent essentiellement les professions de santé, sont les suivantes :
- la création d'une carte professionnelle européenne ;
- la mise en place de cadres communs et d'épreuves communes de formation, ainsi que la fixation d'exigences minimales de formation ;
- l'introduction du principe d'accès partiel aux professions ;
- la vérification des compétences linguistiques ;
- l'exclusion de la profession de notaire du champ d'application de la directive. Alors que la Commission avait initialement proposé d'étendre le champ d'application de la directive aux notaires, avec des dispositions spécifiques, la directive prévoit une exclusion expresse des notaires. Les longues négociations sur ce point ont finalement donné satisfaction à la France et au Sénat qui avait fermement appuyé cette position dans une résolution européenne du 31 août 2012.
En octobre 2013, sur la base de cette directive, la Commission a lancé un exercice, toujours en cours, d'évaluation mutuelle des professions réglementées, similaire à celui retenu pour l'évaluation de la directive « services ». Les États membres ont été invités à agir dès avant l'entrée en vigueur de la directive révisée et à commencer à examiner, au niveau national, les exigences en matière de qualifications imposées aux professions réglementées et le champ des activités réservées.
L'un des objectifs de l'exercice d'évaluation mutuelle est de parvenir à une plus grande transparence et à trouver un équilibre entre les intérêts à protéger et les conséquences pratiques des règles nationales sur la mobilité et l'accès à ces professions. Dans le cadre de cet exercice, les États membres sont appelés à notifier à la Commission, par le biais d'une base de données dédiée, toutes les informations relatives aux professions qu'ils réglementent. Ils doivent à cette occasion répondre à des questions permettant d'apprécier le caractère justifié et proportionnel de la réglementation nationale. À la fin de cet exercice, et après négociation, les États membres devront présenter, avant le 18 janvier 2016, un plan d'action sur les mesures qu'ils envisagent de prendre pour réviser leur réglementation de manière à la mettre en conformité avec le droit européen.
Je terminerai en rappelant que ces deux directives ont un impact direct en France puisqu'elles constituent le fondement de nombreuses modifications législatives et réglementaires. Sans entrer dans un détail qui pourrait vite devenir fastidieux, je citerai une ordonnance du 30 mai 2008 qui a modifié les conditions de la libre prestation de services des opérateurs de ventes volontaires pour tenir compte de la reconnaissance des qualifications professionnelles, la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, un décret du 18 février 2009 modifiant la réglementation de la profession d'avocat, la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et de certaines professions réglementées ou encore la loi du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.
Je laisse maintenant la parole à Michel Mercier.
M. Michel Mercier. - Outre les dispositions des directives « services » et « reconnaissance des qualifications professionnelles », la réglementation des professions juridiques dans notre pays doit aussi tenir compte de deux autres aspects : d'une part, la jurisprudence des cours européennes, et, d'autre part, les recommandations adressées à la France au titre du semestre européen.
La jurisprudence des cours européennes revêt une importance particulière pour apprécier la conformité au droit européen des législation et réglementation nationales relatives aux professions juridiques réglementées.
Deux exemples, aux conclusions différentes, permettent de l'illustrer.
Le premier concerne la profession d'avocat aux conseils, c'est-à-dire au Conseil d'État et à la Cour de cassation, qui a le statut d'officier ministériel et qui bénéficie d'un monopole de la représentation et de la plaidoirie devant les juridictions suprêmes. Le nombre d'offices est très restreint (60) et n'a de facto pas évolué depuis 1817.
Ce statut n'est pas contraire au droit européen en matière de liberté d'établissement et de prestation de services. Une directive de 1998 qui concerne les avocats comporte plusieurs dispositions en ce sens. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) s'est à plusieurs reprises prononcée sur la compatibilité du caractère obligatoire du ministère d'avocat aux conseils avec les dispositions de l'article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui garantit le droit à un procès équitable.
Le second exemple concerne la profession de notaire.
Dans un arrêt important de 2011, la CJUE s'est prononcée sur le fait de savoir si, en imposant une condition de nationalité pour l'accès à la profession de notaire, la France avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions du Traité relatives à la liberté d'établissement et aux exceptions à ce principe liées à l'exercice de l'autorité publique. Par cet arrêt, la CJUE a apporté une réponse positive à cette question. Elle a en effet considéré que la dérogation prévue au principe de la liberté d'établissement « doit être restreinte aux seules activités qui, prises en elles-mêmes, constituent une participation directe et spécifique à l'exercice de l'autorité publique ». Au terme d'une longue démonstration, la Cour, rappelant que « c'est au regard de la nature des activités en cause, prises en elles-mêmes, et non pas au regard du [statut spécifique des notaires dans l'ordre juridique français] en tant que tel, qu'il convient de vérifier si ces activités relèvent de la dérogation » au principe de la liberté d'établissement, a jugé que « les activités notariales, telles qu'elles sont définies en l'état actuel de l'ordre juridique français, ne participent pas à l'exercice de l'autorité publique ». Tirant les conséquences de cet arrêt, le décret du 17 octobre 2011 a modifié la réglementation française et ouvert le notariat aux ressortissants des autres États membres.
Pour autant, la Cour a aussi précisé que « le fait que les activités notariales poursuivent des objectifs d'intérêt général, qui visent notamment à garantir la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers, constitue une raison impérieuse d'intérêt général qui permet de justifier d'éventuelles restrictions [à la liberté d'établissement] découlant des spécificités propres à l'activité notariale, telles que l'encadrement dont les notaires font l'objet au travers des procédures de recrutement qui leur sont appliquées, la limitation de leur nombre et de leurs compétences territoriales ou encore leur régime de rémunération, d'indépendance, d'incompatibilités et d'inamovibilité, pour autant que ces restrictions permettent d'atteindre lesdits objectifs et sont nécessaires à cette fin ».
Au total, la Cour a estimé que les activités notariales sont concernées par la liberté d'établissement dans la mesure où elles ne participent pas à l'exercice de l'autorité publique. Il convient de noter une divergence sur ce point entre la CJUE et un arrêt du Conseil d'État de 2006 de même qu'avec une décision du Conseil constitutionnel de novembre dernier au titre d'une question prioritaire de constitutionnalité.
Pour aussi important qu'il soit, l'arrêt de la CJUE concerne toutefois la seule profession de notaire et ne porte que sur la seule question de la nationalité requise, sans se prononcer ni sur le statut et l'organisation du notariat dans l'ordre juridique français ni sur les conditions d'accès, autres que celles liées à la nationalité, à la profession de notaire en France. De manière générale, il n'est pas possible d'affirmer que la décision de 2011 doit être interprétée comme signifiant que le statut d'officier public ou ministériel serait en soi contraire au droit européen. Jusqu'à présent, ce statut n'a d'ailleurs pas été contesté par la Commission ni par la CJUE au motif qu'il serait contraire au droit européen. En effet, la Cour de Luxembourg juge au cas par cas et il ne faut pas tirer de généralités de son arrêt.
Le ministère de la justice nous a indiqué que « l'arrêt pourrait ne pas être sans conséquence sur les autres professions juridiques ou judiciaires réglementées, notamment les greffiers des tribunaux de commerce, les commissaires-priseurs judiciaires ou les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation » dès lors que, parmi ces professions, « la condition de nationalité française est exigée par décret en Conseil d'État pour les huissiers de justice et les greffiers des tribunaux de commerce ». Toutefois, le ministère considère qu' « il est possible de soutenir que les professions précitées relèvent de l'article 51 [du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne], malgré une jurisprudence restrictive de la CJUE pour l'appréciation de la notion de participation à l'exercice de l'autorité publique au sens de cet article ». En effet, selon cet article, « sont exceptées de l'application des dispositions du présent chapitre, en ce qui concerne l'État membre intéressé, les activités participant dans cet État, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique ».
Notre pays doit aussi tenir compte des recommandations que lui adresse le Conseil de l'Union européenne dans le cadre du semestre européen, même si ces recommandations ne revêtent pas un caractère contraignant.
Depuis 2012 au moins, le Conseil, dans sa recommandation concernant le programme national de réforme de la France et portant avis sur son programme de stabilité, a systématiquement demandé à notre pays de poursuivre ses efforts pour supprimer les restrictions injustifiées dans les professions et secteurs réglementés.
Au total, la réglementation des professions juridiques en France doit prendre en compte des directives qui, dans l'esprit des traités, favorisent la libre concurrence, mais qui ne méconnaissent pas certaines spécificités. Ces directives fixent un cadre d'action et des principes généraux dont le respect est contrôlé par le juge européen au cas par cas. Par ailleurs, la réforme des professions juridiques réglementées est certes recommandée par le Conseil de l'Union européenne, mais elle figure parmi un ensemble de mesures attendues des États membres. Il pourrait donc paraître excessif d'affirmer qu'une telle réforme est exigée « par l'Europe ».
M. Jean-Jacques Hyest. - Il existe en France des professions d'auxiliaires de justice - je pense aux commissaires-priseurs judiciaires et aux huissiers de justice - dont la compatibilité avec le droit européen que vous venez de rappeler suscite des interrogations. En effet, ces professions diffèrent de celle de notaire qui est un officier public et ministériel. Si la CJUE a considéré que les notaires ne participaient pas directement à l'exercice de l'autorité publique, elle n'en permet pas moins aux États membres de réglementer cette profession, comme d'autres professions juridiques. Mais je voulais savoir plus précisément ce que dit le droit de l'Union européenne sur la réglementation des auxiliaires de justice.
M. Alain Richard. - La CJUE n'est, à l'heure actuelle, pas saisie d'un contentieux relatif à ces professions.
M. Michel Mercier. - Aux termes de la directive « reconnaissance des qualifications professionnelles », c'est la qualification qui est à prendre en compte. Celle des auxiliaires de justice peut tout à fait être reconnue dans l'Union européenne pourvu que les dispositions de la directive soient respectées.
M. Alain Richard. - La réglementation en soi d'une profession juridique n'est pas interdite : elle doit être justifiée et proportionnée au regard des dispositions des directives « services » et « reconnaissance des qualifications professionnelles ».
M. André Reichardt. - Je voudrais obtenir des informations sur d'autres professions réglementées que celles du droit. Je pense à celles qui relèvent de la loi dite « Raffarin » de 1996 sur l'artisanat, les coiffeurs par exemple, et qui fixe un niveau de qualification requis.
M. Alain Richard. - La directive « reconnaissance des qualifications professionnelles » fixe des principes qui concernent la reconnaissance des qualifications de l'ensemble des professions, à l'exception de celles qui sont explicitement exclues.
M. Michel Mercier. - En outre, la France doit tenir compte des recommandations que lui adresse le Conseil de l'Union européenne dans le cadre du semestre européen. Or, si ces recommandations évoquent régulièrement, parmi les réformes à entreprendre, celle des professions réglementées, elles ne vont pas dans ce degré de détail et ne mentionnent pas expressément les coiffeurs.
Justice et affaires intérieures - Déchéance de nationalité et conventions européennes : communication de M. Michel Mercier
M. Jean-Paul Emorine, vice-président. - Nous allons entendre la communication de Michel Mercier sur la déchéance de nationalité au regard des conventions européennes et internationales qui lient la France.
Je rappelle que cette communication s'inscrit dans le cadre de notre programme de travail concernant la lutte contre le terrorisme. Nous avons adopté la semaine dernière, sur le rapport de notre collègue Simon Sutour, une proposition de résolution européenne relative au PNR européen. Nous avons également entendu une communication de notre collègue André Reichardt qui nous a proposé des pistes pour renforcer l'espace Schengen. Nous entendrons ultérieurement les analyses de Jean-Jacques Hyest et Philippe Bonnecarrère sur la question du Parquet européen puis celles de Michel Delebarre et de Joëlle Garriaud-Maylam sut la coopération policière, notamment à travers Europol.
Les différentes suggestions de nos rapporteurs seront regroupées dans une proposition de résolution européenne que nous examinerons le 18 mars en vue d'une réunion conjointe avec la commission des lois.
Au regard des événements tragiques qu'a vécus notre pays, nous devons examiner tous les instruments envisageables pour renforcer la lutte contre le terrorisme, sans rien exclure a priori. C'est ce que nous demandent fort légitimement nos concitoyens. Les déchéances de nationalité peuvent à ce titre être un instrument auquel on doit pouvoir recourir.
Beaucoup de choses ont été dites sur ce sujet. Souvent avec une certaine confusion, notamment sur ce qu'il ressort exactement des textes européens et internationaux.
Nous avons la chance de compter parmi nous un ancien garde des Sceaux qui va nous exposer ce qu'il en est précisément.
Je donne la parole à Michel Mercier.
M. Michel Mercier. - La présente communication a pour principal objet de répondre à la question suivante : dans quelle mesure un État peut-il priver un citoyen de sa citoyenneté en le privant dès lors de la protection attachée à cette citoyenneté ? Car, en effet, le citoyen déchu est, en quelque sorte, rejeté de la communauté nationale.
Dans quelle mesure le droit international interdit-il les déchéances de nationalité et s'applique-t-il aux États et en particulier à la France ?
Au niveau des Nations unies, il existe la Déclaration universelle.
L'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme dispose :
1. Tout individu a droit à une nationalité.
2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité.
La Convention de New York (1954) sur le statut des apatrides a été signée en 1955 et ratifiée en 1960 par la France.
Cette Convention prévoit, notamment, en faveur des personnes dites « apatrides » une protection juridique en termes de non-discrimination, de statut personnel, de droits civils, d'accès aux professions salariées et non-salariées, d'avantages sociaux... Elle tend, d'une façon générale, à aligner, dans l'État de résidence contractant, la situation des apatrides sur celle des étrangers en situation régulière sur le territoire.
On relèvera, toutefois, qu'aux termes de l'article 1er paragraphe 2 de la Convention, la protection conventionnelle n'est pas accordée aux apatrides « dont on aura des raisons sérieuses de penser :
- qu'ils ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ;
- qu'ils ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays de leur résidence avant d'y être admis ;
- qu'ils se sont rendus coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies. »
Sur la question de l'expulsion des apatrides par les États membres contractants dans lesquels ils résident, l'article 31 de la Convention de 1954 dispose :
« 1. Les États contractants n'expulseront un apatride se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public.
2. L'expulsion de cet apatride n'aura lieu qu'en exécution d'une décision rendue conformément à la procédure prévue par la loi.
3. Les États contractants accorderont à un tel apatride un délai raisonnable pour lui permettre de chercher à se faire admettre régulièrement dans un autre pays. Les États contractants peuvent appliquer, pendant ce délai, telles mesures d'ordres interne qu'ils jugeront opportunes. »
On évoquera ensuite la Convention de New York de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie.
Aux termes du paragraphe 1 de l'article 8 de cette Convention, « Les États contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride. »
Toutefois, le troisième paragraphe dispose : « Nonobstant la disposition du paragraphe 1 du présent article, un État contractant peut conserver la faculté de priver un individu de sa nationalité, s'il procède, au moment de la signature, de la ratification ou de l'adhésion, à une déclaration à cet effet », ce qu'a fait la France, signalons-le, à l'époque, « spécifiant un ou plusieurs motifs prévus à sa législation nationale à cette date et entrant dans certaines catégories, et notamment lorsque :
Un individu, dans des conditions impliquant de sa part un manque de loyalisme envers l'État contractant :
· a, au mépris d'une interdiction expresse de cet État, apporté ou continué d'apporter son concours à un autre État, ou reçu ou continué de recevoir d'un autre État des émoluments ;
· a eu un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'État. »
Le quatrième paragraphe de l'article 8 de la Convention prévoit qu'« un État contractant ne fera usage de la faculté de priver un individu de sa nationalité dans les conditions définies précédemment que conformément à la loi, laquelle comportera la possibilité pour l'intéressé de faire valoir tous ses moyens de défense devant une juridiction ou un autre organisme indépendant. »
La Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie a été signée par la France en 1962 mais n'a jamais été ratifiée.
On signalera aussi la Convention européenne sur la nationalité, adoptée en 1997, sous les auspices du Conseil de l'Europe.
L'article 7 de cette Convention porte le titre : « Perte de la nationalité de plein droit à l'initiative d'un État Partie ».
Le 1 de cet article 7 dispose qu'« un État Partie ne peut prévoir dans son droit interne la perte de sa nationalité de plein droit ou à son initiative », sauf dans les cas suivants :
- acquisition volontaire d'une autre nationalité ;
- acquisition de la nationalité de l'État à la suite d'une conduite frauduleuse, par fausse information ou par dissimulation d'affect pertinent de la part du requérant ;
- engagement volontaire dans des forces militaires étrangères ;
- comportement portant un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'État Partie.
La Convention européenne de 1997 sur la nationalité a été signée par la France en 1997 mais n'a jamais été ratifiée.
Évoquons, enfin, le Protocole n° 4 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention.
Ce Protocole, ratifié par la France le 3 mai 1974, comporte un article 3 intitulé « Interdiction de l'expulsion des nationaux ». Selon le 1 de cet article : « Nul ne peut être expulsé, par voie de mesure individuelle ou collective, du territoire de l'État dont il est le ressortissant. » Au terme du 2 : « Nul ne peut être privé du droit d'entrée sur le territoire de l'État dont il est le ressortissant. »
Ces dispositions sont ici rappelées car elles concernent indirectement la question des déchéances de nationalité. En effet, le problème de l'interdiction du retour des Français ou des binationaux djihadistes sur notre territoire est aujourd'hui, parfois, posé. Il résulte donc de l'adhésion française au Protocole n° 4 que deux voies seulement sont offertes pour une telle mesure d'interdiction :
- une procédure préalable de déchéance de nationalité pour les intéressés ;
- la dénonciation de la Convention. Mais cette solution apparaît, à bien des égards, comme l'« arme nucléaire » de dernier recours.
Après les conventions internationales et européennes, j'évoquerai la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme et de la Cour de justice de l'Union européenne.
La première, dans un arrêt du 13 juillet 2010, paraît prohiber, sur le fondement du droit au respect de la vie privée et familiale, « dans certaines circonstances, le refus ou le retrait arbitraire de la citoyenneté. ».
De son côté, dans un arrêt de la même année, la Cour de justice de l'Union européenne a invoqué l'application du principe de proportionnalité dans les décisions de retrait de nationalité prises par les États membres dès lors que celles-ci impliquaient la déchéance de la citoyenneté européenne. Elle a rappelé, néanmoins, que la compétence des États afin de désigner leurs nationaux reste une manifestation de leur souveraineté exclusive.
Ce rapide survol relativise l'éclairage selon lequel les États seraient, en matière de déchéance de la nationalité, « contraints » par les conventions internationales. On constate, par exemple, que ces conventions ont prévu des règles particulières lorsque sont en jeu la sécurité nationale, l'ordre public, les intérêts essentiels de l'État, ou quand sont commis des crimes particulièrement graves.
On rappellera, au surplus, que la France n'a, à ce jour, ratifié ni la Convention de New York de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie, ni la Convention européenne de 1997 sur la nationalité.
Le droit international et le droit européen ne font donc nullement obstacle aux procédures de déchéance de nationalité en particulier lorsqu'elles concernent des auteurs de crimes ou de délits liés au terrorisme. S'agissant des binationaux, il n'y a aucune ambigüité. Mais quid de ceux que la déchéance de nationalité française rendrait apatrides ?
Au plan international, la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie, signée mais non ratifiée par la France, énonce : « Les États contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride. »
De son côté, la Convention de 1954 sur le statut des apatrides, signée et ratifiée par la France, prévoit bien la possibilité d'expulser un apatride se trouvant régulièrement sur le territoire d'un État contractant pour des raisons de sécurité nationale et d'ordre public.
Dans sa rédaction issue de la loi n° 98-170 du 16 mars 1998, l'article 25 du Code civil, quant à lui, dispose que s'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme, l'individu « qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'État, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride. »
Dans une décision du 13 juillet 2012, le Conseil constitutionnel a rappelé que le respect de la vie privée ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant la nationalité dès lors que, dans l'exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles puisque « ni le respect de la vie privée ni aucune autre exigence constitutionnelle n'impose l'acquisition [ou la perte] de la nationalité française. »
Dans sa récente décision du 23 janvier 2015 suite à une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a expressément réaffirmé ces principes. Son 22e Considérant rappelle que la déchéance de la nationalité d'une personne ne met pas en cause son droit au respect de la vie privée.
S'agissant des personnes naturalisées qui n'ont que la nationalité française, le Code civil est donc clair. Il interdit de « fabriquer » des apatrides.
M. Daniel Raoul. - Nous avons bien compris que sur ces questions de déchéance de nationalité, il importe de bien distinguer les binationaux et ceux que l'on pourrait qualifier de « monos nationaux ».
Dans quelle mesure les dispositions du Code civil français sont-elles susceptibles d'être mises en cause par les cours européennes étant observé que, s'agissant de la Cour européenne des droits de l'Homme, il existe désormais, en la matière, une véritable unité de jurisprudence ?
Si l'unique possibilité de refuser l'accès du territoire à un national, c'est de dénoncer notre adhésion à la Convention européenne des droits de l'Homme, je pense, comme Michel Mercier, que cette solution doit être exclue.
M. Jean-Jacques Hyest. - Un de nos premiers devoirs est de respecter le Code civil qui fonde les bases de notre vie collective.
M. André Reichardt. - Si j'ai bien compris, notre droit de la nationalité est fixé par le Code civil qui relève de la loi ordinaire. Que se passe-t-il si notre Code civil est en contradiction avec les conventions internationales ?
M. Michel Mercier. - Il est certainement plus facile de modifier le Code civil qu'une convention internationale. Cela dit, en la matière, ce qui compte c'est notre « corpus constitutionnel ». Une modification du Code civil est toujours possible, encore faut-il respecter les principes généraux du droit.
Désignation des membres du groupe de travail sur la transparence et la concurrence dans le transport aérien
M. Jean-Paul Emorine, vice-président. - Je vous propose de nommer comme membres de ce groupe de travail :
M. Jean BIZET
M. Eric BOCQUET
M. Claude KERN
M. Simon SUTOUR
La commission procède à ces nominations.
La réunion est levée à 16 h 30.