- Mercredi 4 février
2015
- Institutions européennes - Programme de travail de la Commission européenne - Proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Jean Bizet et Simon Sutour
- Justice et affaires intérieures - Proposition de directive relative à la création d'un PNR européen - Proposition de résolution européenne de M. Simon Sutour
- Justice et affaires intérieures - Espace Schengen - Communication de M. André Reichardt
Mercredi 4 février 2015
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 15h35.
Institutions européennes - Programme de travail de la Commission européenne - Proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Jean Bizet et Simon Sutour
M. Jean Bizet, président. - Je rappelle qu'à la suite de notre réunion, nous sommes appelés à 18h30, en séance, pour un débat préalable au Conseil européen, lequel mettra l'accent, précisément, sur les problématiques sécuritaires
M. Simon Sutour. - Nous sommes, de fait, dans le bon timing. Le prochain Conseil s'attachera à la question du terrorisme. Nous abordons cet après-midi, avec le PNR européen et le système Schengen, des questions qui y touchent de près. Nous aurons beaucoup à dire pour exprimer notre volonté, que j'espère commune.
J'en viens au programme de travail de la Commission européenne pour 2015, présenté le 16 décembre 2014 devant le Parlement européen et dont communication a également été transmise au Conseil.
Ce programme a été élaboré en concertation avec le Parlement européen dans le cadre de l'accord-cadre d'octobre 2010. La Conférence des présidents du Parlement européen a ainsi été associée à la préparation de ce texte. Faute d'accord interinstitutionnel, la consultation du Conseil a été plus tardive et moins soutenue. Ce programme de travail correspond néanmoins dans une large mesure aux cinq grands axes de travail définis en juin 2014 par le Conseil, qui conserve, en dépit de l'élection du président de la Commission européenne par le Parlement européen, une capacité d'impulsion indéniable. Il convient cependant de relever que les orientations du Parlement européen contenues dans un document mettant en avant le coût de l'absence d'action de l'Union européenne dans un certain nombre de domaines semblent également avoir nourri ce programme de travail.
Vingt-trois textes devraient être présentés en 2015. Ce chiffre est à comparer aux soixante initiatives qui étaient envisagées dans le programme de travail 2013, dernière année pleine du mandat de la précédente Commission. Ce faisant, le texte répond à la volonté affichée du nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, de ne légiférer que si nécessaire et quand des résultats concrets et importants peuvent être obtenus. Cette intention louable était déjà au coeur de l'action de la Commission Santer entre 1995 et 1999. Il conviendra d'être vigilant au maintien dans la durée d'un tel objectif.
Ce resserrement de l'action va de pair avec une réorganisation du fonctionnement de la Commission, beaucoup plus politique et hiérarchisée qu'elle ne l'était auparavant. La présence de vice-présidents qui devraient être dotés dans les prochaines semaines de directions générales dédiées et la mise en avant d'un numéro deux, en la personne de Franz Timmermans, que nous rencontrerons le 17 février, bouleverse notamment les rapports avec l'administration en mettant en avant une logique de filtres : toute proposition législative est soumise à l'examen du vice-président concerné puis du Premier vice-président et du Président de la Commission. Ajoutons que l'impulsion législative déterminante ne vient plus des équipes des commissaires mais du cabinet de la présidence et de celui du Premier vice-président, qui coordonne l'ensemble des travaux de la Commission.
Parallèlement à la présentation de son programme de travail, la Commission européenne a indiqué son souhait de retirer quatre-vingt propositions législatives sur les 452 actuellement en instance d'examen par les institutions européennes. La Commission européenne met ainsi en avant un principe de « discontinuité législative ». Ce retrait peut préfigurer une modification ou un ajustement à ses dix priorités.
Ces retraits ont cristallisé l'opposition de plusieurs groupes politiques au sein du Parlement européen, prompts à dénoncer un manque de concertation avec la Commission européenne, malgré l'accord interinstitutionnel. Le Parlement européen n'a pu, pour autant, s'accorder, le 15 janvier dernier, sur une résolution commune portant sur l'ensemble du programme de travail. Chaque groupe politique a mis en avant ses orientations propres et aucune synthèse n'a pu être dégagée. En privilégiant leur cohésion interne, les groupes ont pris le risque de fragiliser l'image même du Parlement européen.
La Commission européenne entend néanmoins recueillir un avis du Parlement européen et du Conseil sur ces retraits. Cette précaution n'est pas anodine puisque les conditions d'exercice de ce droit de retrait ont récemment été contestées par le Conseil devant la Cour de justice de l'Union européenne. L'avocat général a rappelé, le 18 décembre dernier, dans ses conclusions que les traités ne prévoyaient pas expressément l'existence d'un pouvoir de retrait d'une proposition législative par la Commission. Il reconnaît néanmoins que la Commission procède régulièrement à des retraits individuels ou groupés à titre de « nettoyage administratif ». Il souligne surtout que le retrait peut être envisagé comme une manifestation ultime du monopole d'initiative législative de la Commission, exprimant ainsi son rôle de gardienne de l'intérêt de l'Union. Il ne s'agit pas, à ses yeux, d'une manoeuvre permettant à la Commission européenne de s'ériger en colégislateur. Il appartient désormais à la Cour de suivre ou non cet avis.
L'année 2015 pourrait, quoi qu'il en soit, être marquée par l'élaboration d'un nouvel accord interinstitutionnel sur la programmation législative.
L'ampleur du nombre de retraits peut surprendre. La pratique habituelle était à retirer trente à quarante textes chaque année. Sur les quatre-vingt textes en passe de l'être, cinquante-huit étaient devenus obsolètes en raison d'un changement de contexte ou de l'adoption d'autres normes. Il n'y a donc pas lieu de s'y attarder. Les vingt-deux autres méritent, en revanche, un examen plus attentif. Les raisons du retrait tiennent tantôt à l'absence d'accord au Conseil ou au Parlement européen, tantôt à l'analyse de la Commission, qui estime que le texte ne paraît plus adapté aux besoins. Ces retraits ont suscité un certain nombre de réserves, notamment en ce qui concerne les textes environnementaux. Une analyse plus détaillée permet néanmoins de tempérer ces critiques dans la majorité des cas.
Ce retrait n'est pas automatique. Dans trois cas, la Commission appelle au préalable à un accord entre les institutions dans un délai de six mois. C'est notamment ce qui est envisagé pour le texte sur le congé de maternité. La proposition prévoit l'extension de la durée minimale du congé de maternité à dix-huit semaines, contre quatorze actuellement. Le Parlement européen souhaite une extension à vingt semaines et la mise en place d'un congé de paternité rémunéré d'au moins deux semaines, ce que refuse le Conseil. Notre commission avait, quant à elle, marqué son désaccord avec le texte initial, en 2008.
Les dix-neuf autres textes devraient, quant à eux, être retirés sans délai. Les propositions modifiant la législation en matière environnementale sont particulièrement concernées, qu'il s'agisse de textes anciens ou plus récents. Les critiques du Parlement européen se sont notamment portées sur la directive « paquet déchets ». Nous l'avions examiné ici en novembre dernier. La proposition de résolution que nous avions adoptée, à l'initiative de nos deux rapporteurs, Michel Delebarre et Claude Kern, était très réservée sur un dispositif que nous jugions très coûteux pour nos collectivités territoriales. Force est de constater que la plupart des textes qui sont retirés avaient fait l'objet de réserves de la part de notre commission. Je pense notamment à la rédaction du texte relatif à la taxation de l'énergie dont nous regrettions l'évolution au gré des négociations.
Il n'y a donc pas lieu de s'opposer au travail de « nettoyage » entrepris par la Commission européenne. Certains observateurs évoquent un droit de véto implicite du Conseil, qui n'aurait ainsi plus qu'à faire traîner les textes sur la table des négociations pour qu'ils soient in fine retirés par la Commission européenne. Mais force est de constater que s'ils devaient être adoptés, ces textes ne seraient plus qu'un compromis éloigné des intentions initiales et ramené au plus petit dénominateur commun. Cette option n'est bien sûr pas satisfaisante. Plus largement, il convient de saluer le travail entrepris par la Commission européenne en faveur de la lutte contre l'inflation normative et l'allègement de la charge réglementaire. Ce qui va dans le sens d'une meilleure application du principe de subsidiarité, auquel nous sommes très attachés. Il s'agit aujourd'hui de moins légiférer et de mieux légiférer. Une telle rationalisation est indispensable si l'on veut que l'action de l'Union européenne soit lisible par les citoyens.
Seul le retrait du texte sur la réciprocité en matière d'accès aux marchés publics des pays tiers suscite nos réserves. A l'heure où l'opinion publique s'interroge sur les négociations autour du Traité transatlantique et où l'Union européenne est accusée de naïveté dans l'élaboration des accords de libre-échange avec ses partenaires, un tel texte pouvait constituer un premier élément de réponse. Il répondait en outre au souhait de la Commission européenne de trouver un accord de libre-échange équilibré avec les États-Unis, comme l'a rappelé son président lors de la présentation du programme de travail. Le retrait de ce texte n'apparaît pas, dans ces conditions, opportun. S'il venait à être confirmé, un nouveau texte devra être rapidement présenté.
M. Jean Bizet, président. - Comme vous l'a indiqué Simon Sutour, vingt-trois propositions devraient être présentées par la Commission en 2015. Seules quatorze d'entre elles disposeront d'un volet législatif, les neuf restantes devant se traduire par des communications ou des stratégies. Toutes répondent aux dix priorités définies par Jean-Claude Juncker le 15 juillet 2014 devant le Parlement européen, au nombre desquelles on peut citer un nouvel élan pour l'emploi, la croissance et l'investissement, un marché unique du numérique connecté - sujet auquel on se souvient qu'ont travaillé, avec Catherine Morin-Desailly, nos collègues André Gattolin et Colette Mélot -, une Union européenne plus résiliente sur le plan de l'énergie, dotée d'une politique visionnaire en matière de changement climatique ou un marché intérieur plus approfondi et plus équitable, doté d'une base industrielle renforcée - question récemment soulevée devant nous par Michel Delebarre.
Si le programme de travail est formellement dédié à la croissance, à l'emploi et à l'investissement, quatre axes de travail peuvent être esquissés à la lecture des initiatives envisagées.
Le premier concerne la réponse de l'Union européenne à la crise économique et aux difficultés budgétaires des États membres. On y trouve le souhait de poursuivre le lancement du plan Juncker, d'assurer le suivi de l'initiative pour l'emploi des jeunes ou d'évaluer le Six Pack et le Two Pack, sans que soient apportées plus de précisions.
Le deuxième axe vise l'amélioration du fonctionnement du marché unique. Il combine initiatives sectorielles et textes plus généraux. La Commission envisage de renforcer la reconnaissance mutuelle des standards et normes au sein du marché unique dans les domaines de l'industrie et des services, en particulier pour les petites et moyennes entreprises et de mettre en place un marché unique du numérique. Un travail spécifique sur des professions réglementées est également envisagé. La Commission européenne souhaite également encadrer la pratique des rescrits fiscaux ou tax rulings, notamment mis en lumière en Irlande, au Luxembourg et aux Pays-Bas, via la mise en place d'un échange automatique d'informations entre pays. La Commission propose également une nouvelle révision de la directive sur le détachement des travailleurs, qui nous paraît prématurée. La directive d'exécution qui a été adoptée au printemps dernier est en cours de transposition chez nos partenaires. Il appartient d'en mesurer les effets avant d'envisager une révision.
Le troisième axe de travail concerne les questions environnementales, la Commission européenne souhaitant mettre en place une Union énergétique, définir une position commune en vue de la conférence de Paris à la fin de l'année et revoir la procédure d'autorisation des OGM.
Le dernier volet de l'action de la Commission européenne prévue en 2015 aborde la position de l'Union européenne dans le monde et son fonctionnement. Il s'agit notamment de proposer un nouvel agenda sur la sécurité et une nouvelle méthode de gestion des flux migratoires, deux sujets que nous allons aborder tout à l'heure.
Des feuilles de route devraient détailler les projets de la Commission européenne au cours du mois de février 2015. L'ensemble de ces dispositions est censé, selon le Parlement européen, accroître le PIB de l'Union européenne de 1 705 milliards d'euros par an.
L'examen du programme de travail de la Commission doit être l'occasion de mettre en avant un droit d'initiative des parlements nationaux. Il s'agit de ne pas les cantonner à un rôle d'opposant perpétuel, via le contrôle de subsidiarité et la procédure de « carton jaune ». Il convient de faire émerger un droit d'initiative - une sorte de « carton vert » - qui confère aux parlements nationaux la possibilité de proposer des actions à mener par l'Union européenne. Des échanges ont lieu en ce sens au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). Une proposition de résolution européenne et un avis politique sur le programme annuel de travail de la Commission permettraient de rendre concret ce « carton vert ». L'idée progresse rapidement au sein des Vingt-huit. Elle est pertinente, car elle nous sort de notre rôle de censeurs et nous appelle à nous montrer créatifs en même temps que pragmatiques.
Il ne s'agit pas pour autant de dresser une longue liste de priorités mais bien de s'intégrer au cadre défini par la Commission européenne, à savoir une action concentrée sur un nombre réduit de domaines. Dans ce contexte, deux sujets apparaissent prioritaires : l'énergie et le numérique.
La Commission européenne devrait présenter le 25 février prochain une première communication sur l'Union énergétique. Son action doit être guidée, selon nous, par deux principes : le renforcement de l'interconnexion pour ne pas laisser à la périphérie certains États membres, à l'image des pays baltes, et l'introduction d'un mécanisme de coordination pour atténuer l'impact des choix nationaux sur le bon fonctionnement de cette Union. Il s'agit d'éviter d'être de nouveau confrontés à un phénomène similaire à la stratégie allemande de sortie du nucléaire. Ce mécanisme de coordination doit cependant garantir une certaine autonomie aux États membres dans le choix de leur mix énergétique. Il doit surtout concourir à atteindre des objectifs globaux visant la baisse des coûts, la sécurité de l'approvisionnement, l'efficience énergétique et la lutte contre le changement climatique. Les lignes de force sont donc assez claires.
Sur le sujet du numérique, la Commission européenne devrait proposer une communication en mai prochain, le thème devant être inscrit à l'ordre du jour du Conseil de juin prochain. Aux yeux de vos rapporteurs, deux axes de travail devraient être mis en avant par la Commission européenne : la gouvernance de l'internet et la promotion d'une véritable industrie européenne des nouvelles technologies, sujets sur lesquels nous avons chargé nos collègues André Gattolin et Colette Mélot de nous tenir régulièrement informés.
La participation de l'Union européenne à la gouvernance de l'internet fait figure de priorité en 2015, année au cours de laquelle l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), l'organisme qui gère depuis 1988 le système des noms de domaine, devrait être refondé. Comme l'a souligné le rapport de la mission commune d'information du Sénat sur la gouvernance mondiale de l'internet rendu en juin 2014, l'Union européenne doit s'affirmer dans ce processus et défendre un modèle plus démocratique. La Commission européenne a présenté, le 12 février 2014, une communication sur le sujet, qui envisageait l'Internet comme un espace civiquement responsable, unifié, régi par une approche multipartenaire, au service de la démocratie et des droits de l'homme, et dont l'architecture doit être fiable et reposer sur une gouvernance transparente et inclusive. La Commission européenne devrait désormais introduire ces principes dans un texte normatif et le soumettre au vote des colégislateurs.
Le volet industriel ne doit pas non plus être négligé. La Commission européenne doit, dans son action en faveur d'un marché unique du numérique, combiner protection des consommateurs et promotion d'une industrie européenne compétitive. Elle pourrait ainsi reprendre plusieurs propositions contenues dans le rapport présenté ici par Catherine Morin-Desailly, « L'Europe, colonie du monde numérique ». Il faut favoriser l'émergence de nouveaux acteurs européens via la promotion du capital-risque, promouvoir des mesures en faveur de la préservation de la neutralité des terminaux. La Commission européenne doit faciliter le recours à l'achat public pour faire émerger une informatique en marge, un « .cloud » européen. Il n'est pas impossible que l'approche du plan Juncker en fasse un sujet majeur.
La mise en oeuvre d'une véritable stratégie
industrielle dans le domaine du numérique va de pair avec une
réflexion sur la politique de la concurrence européenne.
L'émergence de géants européens dans les nouvelles
technologies est aujourd'hui bridée par une vision étroite du
droit de la concurrence, focalisée notamment sur la notion de
marché pertinent. La Commission européenne se borne à
appliquer la notion de marché pertinent au niveau national ou
régional pour vérifier si telle entreprise n'enfreint pas les
règles de la concurrence. Cette approche contraint ces
sociétés à rester enfermées sur des marchés
restreints. La Commission européenne doit rouvrir cette question et
proposer une nouvelle définition, étant entendu que le
marché pertinent est aujourd'hui européen. Il s'agit aussi de
mieux évaluer l'impact des aides d'État sur la
compétitivité du secteur du numérique européen. Il
serait logique d'envisager à cet égard une clause d'alignement
dans les accords commerciaux. Elle permettrait d'assurer une concurrence plus
loyale entre l'Union européenne et les pays tiers sur les aides
d'État au profit de ce secteur, en particulier sur les technologies
clefs génériques - microélectronique,
nanoélectronique, matériaux avancés, biotechnologie
industrielle, photonique, nanotechnologie et systèmes avancés de
fabrication - que la Commission européenne a, par le passé,
jugées essentielles pour la capacité industrielle et innovatrice
de l'Union européenne. À l'aune de quoi le retrait du texte sur
la réciprocité en matière d'accès aux
marchés publics des pays tiers apparaît contreproductif. Ces
sujets
- autorité de la concurrence, marché pertinent,
numérique - font partie des quatre ou cinq points qu'avec Gérard
Larcher nous irons défendre, demain matin, devant Jean-Claude Juncker,
dont nous saurons alors quelle est sa réceptivité à leur
égard.
Le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), qui s'inscrit dans le fameux Plan Juncker, doit pouvoir jouer un rôle dans les domaines de l'énergie et du numérique. De façon générale, la Commission européenne devra dépasser les effets d'annonce. Il s'agit désormais de préciser les contours du Fonds et de favoriser les projets européens dont l'impact économique est réel et qui n'auraient pu être financés sans son concours. Il est également souhaitable que la Commission confirme la sanctuarisation des crédits accordés au titre de la politique de cohésion, qui ne sauraient être diminués pour abonder ce plan. On se souvient que du temps du commissaire Hahn nous avions bagarré pour sanctuariser ce Fonds, au travers des régions intermédiaires. Avec l'installation de la nouvelle Commission et la fin de la mandature des régions, qui en sont les autorités de gestion, on a perdu près d'un an. Il faudra mettre les bouchées doubles. J'ajoute qu'il faudra être vigilant : il ne faudrait pas qu'au prétexte que certaines lignes n'ont pas été consommées, les crédits soient réinjectés ailleurs.
Au-delà des priorités économiques, les attentats perpétrés en France appellent une réponse européenne opérationnelle au terrorisme. Elle passe par l'adoption d'un dispositif sur le PNR européen, dont Simon Sutour vous parlera tout à l'heure. La question du Parquet européen doit également être abordée en 2015. Ses compétences devraient être élargies à la criminalité grave transfrontière. Il s'agit également de réfléchir aux moyens supplémentaires qu'il conviendrait d'accorder à l'agence Europol pour lutter plus efficacement contre le terrorisme. Une attention particulière doit, en outre, être apportée à la lutte contre l'incitation à la violence terroriste sur Internet.
Vous trouverez l'ensemble de ces recommandations au sein de la proposition de résolution européenne dont le texte suit. Elle sera doublée, si vous en êtes d'accord, d'un avis politique.
Mme Colette Mélot. - Une simple remarque formelle : il est de bonne pratique de développer les sigles. Je pense, par exemple, à celui de l'ICANN.
M. Jean Bizet, président. - Nous y remédierons.
M. André Gattolin. - Pour suivre le paquet dit « qualité de l'air », j'estime qu'un retrait complet des textes concernés serait dommageable. Il était notamment prévu d'édicter une réglementation sur les installations de combustion moyennes, qui manquait aux côtés de celle sur les installations de petite et grande taille. Ce serait, pour moi, un choix idéologique, sans cohérence, que de retirer l'ensemble du paquet.
M. Simon Sutour. - Je précise que le texte est retiré, mais que la Commission entend en présenter un nouveau.
M. André Gattolin. - J'espère qu'il répondra au souci de cohérence des textes du paquet.
J'estime que nous avons tendance, sur les grands sujets, à réagir, dans nos résolutions, de manière trop sectorisée. Est-il justifié de n'aborder la question du terrorisme que sous l'angle de la sécurité publique, du judiciaire, du policier ? Nous sommes confrontés de façon récurrente à des questions touchant à la sécurité informatique, qui concernent aussi bien la sécurité des entreprises que la sécurité publique. C'est dire que tout ne se résoudra pas grâce au PNR européen ou au renforcement d'Europol et d'Eurojust. Or, les textes relatifs au big data sur lesquels nous serons amenés à travailler n'abordent pas la question de la sécurité informatique. Si l'on considère que le big data est la richesse de demain et qu'il y a là un enjeu stratégique pour l'Union européenne, il serait temps de s'en préoccuper, alors que nous subissons des attaques de plus en plus massives et de plus en plus élaborées. Ce fut même le cas au Sénat, pas plus tard que la semaine dernière, où ont été visés les débats de notre commission d'enquête sur le djihadisme. Si nous voulons travailler à un marché commun du numérique stratégique, il faut prendre en compte tous les enjeux, défense, sécurité publique mais aussi sécurité juridique et économique, sans les fragmenter et sans distinguer entre questions économiques liées au libre marché et questions de sécurité, qui s'interpénètrent.
M. Jean Bizet, président. - Simon Sutour vous a répondu sur le premier point. Si le nouveau texte qui sera présenté ne nous convient pas, nous le dirons. Quant à votre souci de voir retenue une approche plus large, il mérite que l'on y réfléchisse.
M. Éric Bocquet. - Nous saluons l'initiative de cette discussion sur la feuille de route de la Commission. Autant certains des thèmes retenus nous paraissent pertinents, voire urgents, autant d'autres nous laissent plus dubitatifs.
Nous saluons l'initiative du plan d'investissement, qui marque une inflexion dans les choix de la Commission - avec cette double réserve qu'elle en fait largement reposer le financement sur les investisseurs privés et que le ciblage méritera d'être précisé, et pertinent.
La question de la fiscalité est un sujet récurrent. Si l'on veut lutter contre les pratiques de l'Irlande, du Luxembourg, bientôt de la Belgique, il faut avancer sur le projet d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés (ACCIS), qui peine à aboutir. L'échange d'informations ne suffit pas : on ne règlera rien sans une harmonisation. Le numérique est devenu un vecteur essentiel de la croissance. L'accès au haut débit figure au deuxième rang des critères qui déterminent les choix d'implantation des entreprises. Si l'on veut aller vers un marché unique du numérique, on ne peut laisser de côté la question de la fiscalité. Comme l'a dit la ministre, Axelle Lemaire, sur ce sujet, il ne faut pas hésiter à taper du poing sur la table. C'est une question à laquelle Philippe Marini avait beaucoup travaillé et qui reste d'actualité.
Sur les autres sujets, nous sommes plus réservés. Ainsi d'une Union européenne de l'énergie, sachant combien diffère la situation des partenaires. Ainsi également de la question sensible des migrations, tant les approches sont différentes selon les États membres. Aller vers une harmonisation supposera un travail approfondi au sein de chaque État membre.
M. Daniel Raoul. - Ecrire, dans notre proposition de résolution, que nous jugeons « prématurée » l'adoption d'une nouvelle directive sur le détachement des travailleurs me pose problème. On a vu le temps qu'il a fallu pour parvenir à l'adoption de la précédente directive. Si la Commission entreprend d'en écrire une nouvelle, c'est que des problèmes persistent.
L'Union européenne de l'énergie ? Tant qu'on n'aura pas défini une politique énergétique européenne, on n'avancera pas. Cela passe certes par la coordination, mais pour assurer l'interconnexion, il faut un régulateur européen : de simples réunions des coordinateurs nationaux ne suffiront pas pour aboutir. Nous devrions appeler à une vraie politique énergétique de l'Union européenne, comme nous appelons, au sein de la commission des affaires économiques, à une vraie politique industrielle.
M. Michel Delebarre. - Une remarque sur l'alinéa 19, qui évoque le « cloud computing ». Si nous n'opposons pas de barrière aux anglicismes, nous verrons réapparaître des formules dont l'Union européenne fait son miel et que nous devons combattre.
Je regrette, par ailleurs, qu'il faille attendre l'alinéa 22 pour voir mentionnée la nécessité d'une réponse européenne opérationnelle au terrorisme. Peut-être serait-il bon de montrer plus explicitement notre très grande vigilance sur ce sujet prioritaire...
M. Jean Bizet, président. - Je rejoins Eric Bocquet sur la nécessité d'une convergence fiscale. Le chemin sera long, mais c'est à quoi il faut tendre. Nous avons désigné deux de nos collègues, Claude Kern et François Marc, pour suivre le sujet.
En ce qui concerne le détachement des travailleurs, Monsieur Raoul, la directive d'exécution vient juste d'être adoptée : voyons comment elle se concrétise sur le terrain.
M. Daniel Raoul. - Encore une fois, si la Commission européenne estime qu'il faut une nouvelle directive, c'est qu'elle a constaté des lacunes. Pourquoi la freiner dans son élan ? Je serais d'avis de supprimer cet alinéa.
M. Jean Bizet, président. - La directive d'application, je le répète, vient d'être mise en place.
M. Daniel Raoul. - Si la Commission veut une nouvelle directive, c'est qu'il se pose des problèmes. Laissons-la travailler.
M. Simon Sutour. - La directive adoptée le 28 mai 2014 va entrer en application. On peut craindre que certains États, si l'on annonce qu'il s'en prépare déjà une autre, rechignent à la transposer. Peut-être pouvons-nous revoir notre formulation, mais prenons garde à ne pas décourager la transposition.
Je partage le souci de M. Delebarre de mettre en avant la nécessité d'une réponse européenne opérationnelle au terrorisme. Je rappelle cependant que nous entendons adopter une proposition de résolution et un avis politique sur le PNR européen, qui doit y concourir.
M. Jean Bizet. - Si la lutte contre le terrorisme relève de la compétence des États membres, il n'en reste pas moins qu'une approche coordonnée est indispensable. Nous pourrions remonter ce point à l'alinéa 11.
M. Daniel Raoul. - Je reviens sur la directive sur le détachement des travailleurs. Pourquoi ne pas écrire qu'il est urgent de transposer la directive du 28 mai, en l'attente de la nouvelle ?
M. André Reichardt. - Je suis d'accord avec Daniel Raoul : la question des travailleurs détachés est fondamentale. Elle pourrit l'existence de nombreuses entreprises. Je suis sénateur d'une région frontalière, l'Alsace, particulièrement touchée. Je suis intervenu à plusieurs reprises en séance publique sur le sujet : les travailleurs détachés provoquent un dumping social sans précédent. On ne peut laisser cette situation perdurer. Or, malgré la directive, malgré les engagements des ministres successifs, rien ne change.
De quoi parle-t-on, au juste ? De travailleurs détachés par des pays tiers à des salaires sans commune mesure avec ceux qui sont pratiqués chez nous, étant entendu que les charges sociales sont réputées avoir été acquittées dans leur pays d'origine. Certaines entreprises allemandes implantées en France contournent le dispositif en embauchant un travailleur polonais détaché en Allemagne et dûment pourvu d'un document attestant qu'il paye ses charges en Pologne, et le rémunère au lance-pierre - d'autant que la Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'il n'était pas obligatoire de se référer au salaire de branche pour les travailleurs détachés. Ce sont des rues entières de nos villages frontaliers qui sont refaites par ces travailleurs détachés qui maçonnent, crépissent, rénovent. Nos entreprises en meurent. Intensifier les contrôles ? Mais le problème est bien que ces contrôles impliquent trois pays ! Il est vrai qu'entretemps, l'Allemagne a institué un salaire minimum, mais qui admet beaucoup de dérogations, comme dans l'agriculture. Quant aux cotisations sociales, j'estime qu'elles devraient être celles du pays d'accueil, sauf si celles du pays d'origine assurent une meilleure couverture. Dans la configuration actuelle, on ne peut pas même être sûrs qu'elles sont effectivement acquittées.
Certes, il importe de ne pas décourager la transposition de la directive du 28 mai, mais il ne s'agit pas non plus de freiner l'adoption d'une nouvelle directive.
M. Éric Bocquet. - Je souscris à ce qui vient d'être dit.
M. Jean Bizet. - Nous allons travailler à préciser notre rédaction dans ce sens.
M. Claude Kern. - Le problème va plus loin encore. Le président de la Fédération du bâtiment alerte sur le fait que les entreprises sont harcelées par des sociétés de travail temporaire qui proposent des employés polonais à 7,90 euros de l'heure.
M. Jean-Yves Leconte. - La mise en place d'un SMIC en Allemagne a tout de même changé la donne. Les Allemands essayent même de l'appliquer aux transports. Le taux de cotisation en Pologne n'est pas particulièrement bas, puisqu'il est de 47 %, le problème est que l'on ne peut vérifier qu'elles ont été acquittées. D'autant que les entreprises polonaises ignorent pour beaucoup l'existence de cette directive...
M. Jean Bizet, président. - Je vous propose la rédaction suivante : le Sénat « relève la proposition de nouvelle directive sur le détachement des travailleurs et juge urgente la transposition dans tous les États membres de la directive d'exécution du 28 mai 2014, afin de corriger les dérives générées entre États membres ».
M. Claude Kern. - Mieux vaudrait exprimer les choses en deux temps.
M. André Reichardt. - Ne pourrait-on écrire : « et dans l'attente, juge urgente la transposition... » ?
M. Jean Bizet, président. - On retient votre suggestion. Je vous propose de faire mention, à l'alinéa 14, de la nécessité d'un régulateur européen, en écrivant que le Sénat « encourage le projet d'union énergétique et rappelle que celle-ci doit aboutir au renforcement de l'interconnexion des États membres et à la mise en place d'un régulateur européen ».
Nous prenons en compte par ailleurs l'observation de M. Delebarre, sur le « cloud computing ».
M. Michel Billout. - Autant j'estime qu'il est intéressant de débattre du programme de travail de la Commission, autant je m'interroge sur l'utilité d'une résolution, qui s'en tient à des termes très généraux.
M. Simon Sutour. - Nous ignorons encore le détail du programme, qui reste à établir.
M. Jean Bizet, président. - Étant entendu, ainsi que l'a rappelé Simon Sutour, que la main est rendue aux politiques.
M. Simon Sutour. - Et notamment au Parlement européen.
M. Michel Billout. - Nous appuierons fermement la proposition de résolution sur le PNR européen, mais nous abstiendrons sur celle-ci. Toute mesure en faveur de l'industrie passe par « une nouvelle réflexion sur la politique de la concurrence européenne » est-il écrit à l'alinéa 20. Mais qu'entend-on par-là ?
M. Jean Bizet, président. - Nous en discuterons tout au long de l'année. Une réflexion a déjà émergé sur la notion de « marché pertinent ».
M. Simon Sutour. - Il ne s'agit ici que d'un cadre, qui va se garnir à mesure. D'où le caractère généraliste du propos, pour l'instant. Je comprends que l'on puisse n'être pas d'accord sur tout, mais nous avons bâti cette proposition de résolution dans un esprit européen de compromis.
M. Jean Bizet, président. - Si, quand on entrera dans le vif du sujet, il est des points qui ne nous donnent pas satisfaction, nous pouvons le faire savoir. Rien ne nous interdira alors de réclamer d'autres orientations.
À la suite de ce débat, la commission a adopté, les membres du groupe CRC s'abstenant, la proposition de résolution européenne dont le texte suit :
Justice et affaires intérieures - Proposition de directive relative à la création d'un PNR européen - Proposition de résolution européenne de M. Simon Sutour
M. Jean Bizet, président. - Nous allons entendre une communication de Simon Sutour sur la proposition de directive relative à la création d'un PNR européen. Notre collègue nous soumettra une proposition de résolution européenne que nous examinerons dans un second temps.
Je rappelle que cette communication s'inscrit dans le cadre du programme de travail que nous avons adopté le 21 janvier en matière de lutte contre le terrorisme.
Ce projet de PNR européen est sur la table depuis des années maintenant sans réelle avancée. C'est le Parlement européen qui a bloqué le dossier via sa commission « LIBE ». Nous avions nous-mêmes pris position pour que toutes les garanties soient prévues pour la protection des données personnelles.
Chacun voit bien aujourd'hui l'urgence d'avancer, après les circonstances tragiques qui ont frappé notre pays et face aux menaces qui concerne l'Europe dans son ensemble.
M. Simon Sutour. - La présente communication a pour objet de vous rappeler brièvement le cheminement du Passenger Name Record dit PNR dans le circuit législatif européen, de faire le point sur l'état actuel de la discussion et de vous présenter une nouvelle proposition de résolution européenne sur le sujet.
Le PNR, que l'on pourrait traduire en français par « dossier de réservation des passagers »...
M. Michel Delebarre. - Que l'on doit traduire en français !
M. Simon Sutour. - ... est créé par les compagnies aériennes au moment de la réservation des vols, quelquefois plusieurs mois avant la date du départ. Ce dossier contient toutes les informations fournies lors de la réservation du voyage (passagers, itinéraires et horaires des déplacements, mode de paiements, etc.). Une partie de ce dossier PNR est ensuite transférée dans le dossier dit API, en anglais Advanced Passengers System, créé lors de la procédure d'embarquement. Ces données relatives aux passagers peuvent être utilisées par les autorités publiques pour renforcer la surveillance des frontières dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les infractions graves, l'immigration clandestine...
Au début des années 2000, la Commission européenne a proposé au Conseil que soit édictée une législation européenne précisant les conditions à remplir pour exiger des compagnies aériennes européennes la transmission de leurs données PNR, afin d'harmoniser la gestion et l'utilisation desdites données à l'échelle de l'Union européenne.
On rappellera que la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme a autorisé, en France, la collecte et l'exploitation des données PNR et API. Elle allait donc au-delà de la simple transposition de la directive du 29 avril 2004 concernant l'obligation pour les transporteurs de communiquer les données API. En pratique, la mise en oeuvre de la loi de 2006 n'a concerné, dans un premier temps, que les données API. Le système PNR national français devrait être opérationnel à l'automne 2015.
Qu'en est-il des relations avec les pays tiers ? Ce sont les États qui fixent les conditions du transfert de données, telles que les données PNR, que les compagnies aériennes doivent respecter pour pouvoir desservir leur territoire. Toutefois, afin de normaliser ces transferts, l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a défini certaines lignes directrices. Lorsque les États-Unis, l'Australie et le Canada ont exigé le transfert des données PNR détenues par les compagnies aériennes européennes, l'Union européenne a jugé que des accords internationaux devaient être conclus entre elle et ces pays afin que les transferts de données puissent s'effectuer conformément à la réglementation européenne sur la protection des données. Je précise à cet égard que la proposition de règlement initiée par Mme Redding reste en débat, les discussions semblant devoir s'accélérer dans le courant de l'année. Les accords, conclus dans les années 2005 - 2006, ont été renégociés à partir de 2010. La négociation a abouti avec l'Australie, en 2011, et avec les États-Unis, en 2012. L'accord avec le Canada signé le 25 juin 2014, est en voie de ratification, le Parlement européen ayant adopté, le 25 novembre 2014, une motion tendant à la saisine pour avis de la Cour de justice de l'Union européenne afin de vérifier la légalité de l'accord PNR entre le Canada et l'Union européenne au regard du droit de l'Union européenne.
D'autres États tels que le Mexique, la Russie ou l'Arabie saoudite exigent désormais des compagnies aériennes européennes la communication de leurs données PNR. Le Japon, la Corée du Sud, le Brésil, les Émirats arabes unis, le Qatar de même que la Nouvelle-Zélande envisagent de le faire.
La Commission européenne a demandé à tous les États tiers envisageant la création d'un système PNR d'exempter les compagnies européennes de tout transfert tant qu'un instrument européen spécifique ne garantira pas le respect des règles européennes de protection des données. Un dialogue technique s'est ainsi engagé avec certains des États concernés, dans l'attente de l'adoption du PNR européen.
L'encadrement juridique est essentiel tant pour les voyageurs que pour les transporteurs aériens européens. L'existence d'un accord doit assurer aux voyageurs un niveau de protection des données satisfaisant. Quant aux compagnies aériennes, il est essentiel de leur garantir un cadre juridique sûr. En l'absence d'accord, elles se trouvent exposées soit à se mettre en contradiction avec le droit de l'Union si elles transmettent les données, soit à des mesures de restriction de vols de la part des autorités des États tiers. Cette absence de sécurité juridique peut par ailleurs les mettre dans une situation concurrentielle défavorable par rapport aux autres compagnies aériennes qui ne se trouveraient pas devant la même contradiction.
On rappellera que la Commission a déposé, le 6 novembre 2007, une proposition de décision-cadre du Conseil relative à l'utilisation des données des dossiers des passagers à des fins répressives dans l'Union européenne.
Cette proposition faisait obligation au transporteur aérien assurant des vols vers le territoire d'au moins un État membre ou à partir de celui-ci, de transmettre aux autorités compétentes les renseignements relatifs aux passagers aux fins de prévenir et de combattre les infractions terroristes et la criminalité organisée.
Le dispositif général était le suivant. Les transporteurs aériens fourniront aux États membres les données contenues dans le dossier de voyage de chaque passager empruntant un vol international à destination ou en provenance de l'Union européenne ; ces données seront exploitées par les États membres pour prévenir et détecter les infractions terroristes et les formes graves de criminalité ; chaque État membre devra, sur son territoire, constituer une plate-forme dite « unité de renseignement passager » (URP). Ces unités conserveront les données PNR pour une durée maximale de cinq ans et exploiteront lesdites données à la demande des services opérationnels ; elles constitueront un réseau européen et pourront s'échanger leurs données.
Cette proposition de décision-cadre de 2007 a donné lieu à une proposition de résolution adoptée le 30 mai 2009 par le Sénat, à notre initiative. Cette résolution faisait valoir les priorités à retenir pour assurer un respect effectif des droits fondamentaux, en particulier le droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles.
En 2008, le Conseil avait adopté une importante décision-cadre du 27 novembre 2008 relative à la protection des données à caractère personnel traitées dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale qui définit les grands principes et les droits fondamentaux en la matière.
C'est à ce texte que la proposition de directive sur la protection des données à caractère pénal et judiciaire en cours de discussion entend se substituer.
En application des nouvelles règles procédurales du traité de Lisbonne mais aussi compte tenu des fortes réserves exprimées par le Contrôleur européen de la protection des données, l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne et le groupe européen des autorités de protection des données, la Commission européenne a présenté, le 2 février 2011, une nouvelle proposition de directive. C'est cette proposition de directive qui peine aujourd'hui à avancer, et sur laquelle nous entendons réagir, dans le respect de l'exigence de protection des citoyens.
Cette proposition de la Commission de 2011 a été modifiée sur certains points par le Conseil, le 18 avril 2012. Elle avait déjà, il faut en convenir, répondu à plusieurs attentes exprimées par le Sénat dans sa résolution européenne en 2009.
Dans sa résolution européenne, le Sénat demandait que soit retenue, parmi les priorités, la nécessité d'assurer un respect effectif des droits fondamentaux, en particulier le droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles. Plusieurs considérants de la directive de 2011 reprennent cette exigence.
Le Sénat soulignait en outre que les finalités de la proposition devaient être précisément délimitées et concerner exclusivement le terrorisme et un ensemble d'infractions graves définies par référence à la décision- cadre relative au mandat d'arrêt européen. De fait, la proposition retient ces finalités.
S'agissant de la composition de l'« unité de renseignements passagers », nous avions, en 2009, jugé nécessaire que des garanties supplémentaires soient prévues s'agissant de la qualité des services chargés de l'« unité de renseignements passagers », de la qualité des autorités compétentes pour recevoir les données PNR et les traiter, ainsi que des conditions dans lesquelles des intermédiaires seraient susceptibles d'intervenir dans la collecte et la transmission des données.
La proposition de directive renvoie aux États membres le soin de créer ou de désigner une autorité compétente pour exercer la fonction d'« unité de renseignements passagers » nationale chargée de la collecte des données PNR. Chaque État membre informera la Commission dans un délai d'un mois à compter de la mise en place de l'URP et pourra à tout moment actualiser sa déclaration. La proposition précise également que chaque État membre arrêtera une liste des autorités compétentes habilitées à demander ou obtenir des données PNR. Les autorités compétentes sont seules habilitées à intervenir en matière d'infractions terroristes et d'infractions graves.
Le Sénat avait souhaité qu'au sein de ces autorités, seuls les agents individuellement désignés et dûment habilités puissent accéder aux données PNR. C'est ce que prévoit la proposition, à l'expiration d'une première période de conservation des données d'une durée de trente jours.
Nous avions également souhaité que les autorités indépendantes sur la protection des données soient habilitées à effectuer des contrôles au sein de l'URP. La proposition de directive reconnaît cette faculté, en même temps qu'un rôle de conseil et de surveillance de l'application du dispositif aux autorités nationales de contrôle de la protection des données.
Conformément à la demande expresse que nous avions exprimée, les articles 4, 5 et 11 de la proposition de directive excluent le traitement des données sensibles.
Notre travail n'a donc pas été vain. Le texte a beaucoup évolué. Du temps que je présidais notre commission, nous avions refusé, au titre de la réserve d'examen parlementaire, que le Gouvernement approuve l'accord avec les États-Unis. Le Gouvernement Fillon avait respecté notre voeu et s'était abstenu. Nous nous sommes battus en faveur d'un instrument - nécessaire - tout en défendant certains principes. Comme dirait le Premier ministre Manuel Valls, les mesures exceptionnelles ne doivent pas être des mesures d'exception.
S'agissant de la durée de conservation des données, la décision-cadre de 2007 avait prévu treize ans au total, durée que le Sénat avait jugé manifestement disproportionnée. Nous avions proposé une durée de conservation de trois ans, à laquelle pourrait succéder une durée de conservation de trois ans des seules données PNR ayant montré un intérêt particulier au cours de la première période.
L'article 9 de la proposition initiale de directive de 2011 prévoit que passée une première période de trente jours, les données peuvent être conservées pendant une période supplémentaire de cinq ans mais qu'au cours de cette période, elles doivent être masquées, et ne rester accessibles qu'à un nombre limité d'employés de l'URP, expressément autorisés à analyser les données et à mettre au point des critères d'évaluation. En 2011, nous avions jugé cette disposition satisfaisante.
S'agissant des droits des personnes concernées, le Sénat avait considéré que le régime de protection des données applicable devait être clarifié, en privilégiant un haut niveau de protection par référence aux standards du Conseil de l'Europe. La proposition de directive prévoit pour tout passager un droit d'accès, de rectification, d'effacement et de verrouillage des données, un droit à réparation et le droit à un recours juridictionnel ainsi que des informations claires et précises sur la communication des données PNR.
Enfin, nous avions demandé que le transfert des données vers des États tiers ne soit possible qu'au cas par cas, sous réserve que l'État tiers assure un niveau de protection adéquate des données et que des garanties soient prévues dans la mise en oeuvre du principe de réciprocité. De fait, la proposition de directive prévoit qu'un État membre ne pourra transférer à un pays tiers des données PNR et les résultats du traitement de telles données qu'au cas par cas si les conditions précisées par la décision cadre de 2008 du Conseil sont remplies et si le transfert est nécessaire aux fins de ladite directive. Le pays tiers devra n'accepter de transférer les données à un autre pays tiers que lorsque le transfert est nécessaire aux fins de la directive et uniquement sur autorisation expresse de l'État membre qui a communiqué les données à l'État tiers.
La résolution européenne adoptée par le Sénat le 18 mai 2011, à notre initiative, prenait acte de la proposition de directive tendant à promouvoir une approche harmonisée au sein de l'Union européenne de l'utilisation des données des dossiers passagers à des fins répressives ; soulignait qu'une telle approche devait retenir, parmi ses priorités, celle d'assurer un respect effectif des droits fondamentaux, en particulier le droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel ; estimait que les dispositions protectrices des données à caractère personnel et de la vie privée retenues pour le PNR devaient inspirer les négociations en cours d'accords internationaux entre l'Union européenne et les États tiers.
Le Sénat, dans sa résolution, considérait aussi que les négociations sur la directive PNR devaient intégrer les réflexions, alors en cours, en vue d'assurer une approche globale de la protection des données à caractère personnel dans l'Union européenne. Il lui était apparu indispensable que les discussions tiennent le plus grand compte des évolutions du cadre général de la protection des données dans l'Union européenne.
Qu'est-il advenu de cette proposition de directive de 2011 ? La proposition a été discutée au sein du Conseil de mars 2011 à avril 2012 et adoptée le 26 avril 2012. Le texte adopté par le Conseil en avril 2012 a modifié la proposition initiale de la Commission principalement sur la période de conservation des données : il prévoit que les États membres veillent à ce que les données PNR transmises par les transporteurs aériens à l'unité de renseignements passagers soient conservées dans une base de données pendant une période de cinq ans à compter de leur transmission à l'URP de l'État membre sur le territoire duquel se situe le point d'arrivée ou de départ du vol. À l'expiration de la période de deux ans à compter du transfert, les données PNR sont « dépersonnalisées » par masquage d'un certain nombre d'éléments d'information pouvant servir à identifier directement le passager auquel se rapportent les données PNR. La divulgation de l'intégralité des données PNR n'est alors plus autorisée que s'il existe des motifs raisonnables de penser qu'elle est nécessaire et qu'elle est approuvée par une autorité nationale compétente, en vertu du droit national, pour vérifier si les conditions de divulgation sont remplies. Les États membres veillent à ce que les données soient effacées à l'issue de la période de cinq ans.
Le Conseil a également introduit la possibilité d'appliquer la directive aux vols intracommunautaires. C'est une innovation importante. Tant la décision-cadre de 2009 que la proposition initiale de la Commission, en 2011, ne concernaient que les vols extra-communautaires. Aux termes de l'article premier bis tel qu'adopté par le Conseil en 2012, tout État membre peut, s'il le souhaite, appliquer la directive PNR aux vols intracommunautaires. Il en informe, à cet effet, la Commission européenne par un avis écrit. Toutes les dispositions de la directive s'appliquent alors aux vols intracommunautaires comme s'il s'agissait de vols extracommunautaires et aux données PNR des vols intracommunautaires comme s'il s'agissait de données PNR de vols extra-communautaires.
Le texte adopté par le Conseil prévoit également qu'un État membre peut décider de n'appliquer la directive qu'à certains vols intracommunautaires. Lorsqu'il prend une telle décision, l'État membre sélectionne les vols qu'il juge nécessaires aux fins de la directive.
Au sein du Parlement européen, la commission Libertés civiles, justice et affaires intérieures, dite commission LIBE, a voté une motion de rejet de la proposition le 24 avril 2013. Ce rejet a pu surprendre dans la mesure où ladite commission avait validé, au mois d'avril 2012, le projet d'accord PNR entre les États-Unis et l'Union européenne.
Le Conseil a donc évolué. Qu'en est-il du Parlement européen ? Réuni en séance plénière le 12 juin 2013, il a refusé de valider cette motion et a demandé à la Commission LIBE de reprendre ses travaux sur ce texte, ce qu'elle a fait au mois de novembre 2014.
Relevons que la Commission européenne s'est fortement engagée pour faire aboutir la directive PNR et soutient financièrement, via le programme Prévenir et combattre la criminalité, doté d'un fonds de 50 millions d'euros, la création de systèmes PNR nationaux dans dix-neuf États membres, dont la France.
J'indiquerai qu'à ce jour, en dehors de la France, la Suède et les Pays-Bas ont créé un PNR avec les aides du fonds européen ; de leur côté le Royaume-Uni (depuis 2008), le Danemark et la Belgique ont créé leur propre PNR sans aide européenne ; par ailleurs, d'autres pays comme les pays Baltes, l'Autriche, la Hongrie, la Slovénie, la Roumanie, la Bulgarie et l'Espagne bénéficient actuellement du fonds européen pour créer un PNR.
La majorité des États membres s'est déclarée favorable à une législation européenne en la matière. Nombre d'entre eux soulignent notamment l'utilité de la directive dans la lutte contre le phénomène des combattants étrangers.
Les conclusions du Conseil européen du mois d'août 2014 et les réunions des deux Conseils JAI sous présidence italienne ont constamment réitéré la nécessité d'instituer cet outil notamment pour lutter contre le terrorisme tout en regrettant l'insuffisance des progrès réalisés.
Avant de conclure cette communication, je me dois de rappeler que le 8 avril dernier, la Cour de justice de l'Union européenne a invalidé la directive du 15 mars 2006 sur la conservation des données générées ou traitées dans le cadre de la fourniture de services de communications électroniques accessibles au public. La Cour a estimé que le législateur européen avait dépassé les limites appropriées et nécessaires aux objectifs de recherche, de détention et de poursuite d'infractions graves, en imposant à ses fournisseurs une si large obligation de conservation des données, sans encadrement strict. Elle a conclu que « cette directive comporte une ingérence dans ces droits fondamentaux d'une vaste ampleur et d'une gravité particulière dans l'ordre juridique de l'Union sans qu'une telle ingérence soit précisément encadrée par des dispositions permettant de garantir qu'elle est effectivement limitée au strict nécessaire. ». Le Parlement en tire argument pour estimer qu'il faut attendre.
Si l'intensification, par tous les moyens, de la lutte contre toutes les formes de terrorisme, tant au plan national qu'au plan européen, constitue la priorité de tous les États membres, l'enjeu de la protection des données personnelles n'en a pas pour autant disparu, dans la mesure compatible avec les nécessités de cette lutte.
Dès le mois de juillet 2013, par un courrier identique, huit ministres de l'Intérieur dont le ministre français, avaient signalé au président de la commission LIBE l'importance du dossier PNR dans la lutte contre les combattants étrangers. Dans ses conclusions du 30 août 2014, le Conseil européen a appelé le Conseil et le Parlement européen à mener à bien, pour la fin de l'année 2014, les travaux sur la proposition PNR.
Au Conseil Justice et Affaires intérieures des 9 et 10 octobre et des 4 et 5 décembre 2014, les ministres de l'Intérieur ont convenu d'agir ensemble auprès du Parlement européen afin de faire évoluer sa position.
Comme on le sait, l'actuel blocage est le fait de certains rapporteurs influents de la Commission LIBE - même si son président, M. Claude Moraès, s'est, semble-t-il, prononcé en faveur du PNR européen. Aujourd'hui même, 4 février, la Commission LIBE procède à une audition d'experts en présence, m'a-t-il été indiqué, de notre ministre de l'Intérieur, M. Bernard Cazeneuve.
Selon certaines informations, en cas de désaccord persistant, la Commission européenne serait prête à présenter un nouveau texte. Mon avis personnel est que ce ne serait pas une bonne solution, car elle pourrait entraîner de nouveaux retards dans l'adoption du PNR européen. Lorsque nous avons rencontré, avec Jean Bizet, son Secrétaire général, nous avons compris que c'était là une manière, pour le Parlement européen, de sauver la face.
Le Conseil européen des 12 et 13 février prochains devrait se saisir à nouveau du dossier.
En conclusion, je vous proposerai une proposition de résolution européenne invitant, eu égard à la gravité des menaces terroristes de toute nature qui pèsent sur nos sociétés, à la mise en place rapide d'un système PNR européen, un tel système étant seul de nature à assurer une coordination efficace entre les PNR nationaux, tout en veillant au respect des garanties indispensables pour la protection des données personnelles. Elle rappelle aussi que dans ses résolutions du 30 mai 2009 et du 18 mai 2011, le Sénat avait énoncé les conditions qui devraient être selon lui réunies pour que ces garanties indispensables soient affirmées.
M. Jean Bizet, président. - C'est là un sujet complexe sur lequel il est urgent d'aboutir. Si, après le bel élan républicain du 11 janvier, nous devions vivre un autre drame, l'opinion publique ne le comprendrait pas. Or, en cas d'accord sur le PNR, il ne faudrait pas moins de dix-huit mois pour sa mise en oeuvre effective.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Je vois mal, par parenthèse, comment on pourra limiter l'accès aux données à quelques personnes. On sait combien il est facile d'accéder à un ordinateur.
Je suis représentant du Sénat à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Mes collègues ont souhaité que je conserve mes fonctions à la présidence de la sous-commission sur les questions liées à la criminalité et au terrorisme. Celle-ci entend être active sur les questions de protection des droits.
M. Jean-Yves Leconte. - Il faut soutenir cette proposition de résolution. Mettre en place un PNR français n'est pas assez : il suffit d'aller en voiture de l'autre côté de la frontière. Les PNR nationaux se mettent en place par défaut.
On parle ici de coordination avec les PNR nationaux. Mais si un dispositif européen se met en place, les PNR nationaux n'ont plus lieu d'être.
M. Simon Sutour. - Si la directive européenne est adoptée.
M. Michel Delebarre. - Je suis effaré par ce débat, édifiant pour les djihadistes, qui y découvriront qu'il nous faudra des années pour mettre en place un dispositif indispensable. Il est effrayant de penser que quatre à six ans peuvent passer avant que ne soit adoptée une disposition urgente. Cette résolution doit clairement affirmer qu'il est temps que l'Europe se dote en urgence de ce dispositif destiné à assurer sa sécurité contre les tentatives terroristes. Il faut profiter du contexte pour obliger à une accélération.
M. Simon Sutour. - Cette situation est imputable à nos collègues du Parlement européen. Au niveau des gouvernements, l'accord existe depuis 2012, sur un texte qui intègre les apports des parlements nationaux. J'ajoute que son rejet par la commission LIBE n'a été voté qu'à une étroite majorité.
M. Jean-Yves Leconte. - Il est indispensable de se doter d'un dispositif européen. Nos auditions sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme l'ont montré. Mettre en place des PNR nationaux est coûteux et peu efficace.
Mme Colette Mélot. - J'irai dans le même sens. Nous venons de vivre une tragédie. Face à des attentes qui sont immenses, la réponse institutionnelle est en décalage. Je plaide pour que nous musclions les considérants de cette proposition de résolution, en insistant, comme l'a dit Michel Delebarre, sur l'urgence, notamment en matière de transports aériens, mais aussi dans d'autres champs, comme celui de la gouvernance de l'Internet.
M. Pascal Allizard. - Je souscris à ce qui a été dit. L'Europe donne à la communauté internationale des signes de faiblesse sur ces sujets. Sans parler de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme sur deux affaires de pirates somaliens - ce n'est certes pas tout à fait le même sujet, mais cela donne encore un mauvais signal. Oui, il faut muscler notre texte.
M. Michel Billout. - Nous soutiendrons cette proposition de résolution, parce que ses alinéas 8 à 10 insistent tout particulièrement sur la protection des données et des droits. Il faut faire attention à ne pas légiférer dans la précipitation. Certes, il est difficile d'admettre qu'à partir du moment où le Parlement européen émet un avis négatif sur un texte, il faille dix-huit mois pour reprendre le débat, mais il ne faut pas oublier que la décision, un an auparavant, de la Cour justice de justice de l'Union européenne, aurait déjà dû alerter.
M. André Reichardt. - Le PNR européen est indispensable. Une illustration : à l'aéroport de Bâle-Mulhouse, les passagers ont le choix d'emprunter une sortie soit vers la Suisse, soit vers la France. Quel sens peut avoir un PNR français dans un tel cas ? Reste cependant à savoir si le PNR européen s'appliquera en Suisse.
M. Didier Marie. - Le temps de production des normes européennes est en décalage avec celui du terrorisme. Cette proposition de résolution est indispensable. Cela dit, il faut faire vite, mais sans se précipiter, car il faut aussi veiller à la protection des libertés individuelles. Le PNR européen doit s'accompagner d'autres mesures et en particulier, sachant qu'il sera connecté au PNR des États-Unis, en matière de protection des données, domaine où bien des points de discussion demeurent entre l'Europe et les États-Unis.
On peut espérer que le Conseil européen, la Commission et le Parlement européen avancent plus vite et utilisent tous les outils déjà en place en matière de police et de justice, ainsi que le système d'information Schengen, qui reste sous-utilisé. Nous manquons également d'une coopération réelle en matière de contrôle sur le net. Bien des sujets sont ainsi corrélés.
M. André Gattolin. - Il ne faudrait pas que notre débat soit l'arbre qui cache le désert. Le PNR européen ne résoudra pas tout. On s'en est rendu compte avec l'affaire Coulibaly. Il y a bien eu signalement, mais a posteriori. La question n'est pas tant de constituer des bases de données, mais des critères que l'on retient et de notre capacité à les analyser. Voyez la polémique sur les fameux repas halal. Il se trouve que je voyage beaucoup et que, pour être servi en premier, je choisis toujours les menus spéciaux - casher, halal, végétarien. A l'inverse, les auteurs de l'attentat du 11 septembre avaient bien pris garde de ne pas se faire repérer : ils ne mangeaient pas halal, commandaient de l'alcool. Quand on s'engage dans le djihad, il y a ainsi des indulgences... Ceci pour dire que de tels critères sont bien faibles. Surtout, ils enclenchent une logique de profilage de masse qui pose problème. Un travail qualitatif est bien plus fructueux que ce profilage de masse. Je rappelle également les travaux très intéressants du criminologue Alain Bauer, qui appelle les États à se doter, avant tout, de capacités humaines qui ne soient pas de seule police. La police et les chercheurs rechignent à travailler ensemble, mais les uns et les autres détiennent pourtant des capacités d'analyse qui gagneraient à s'associer. Faute de quoi, on en restera à une logique analogue à celle de la politique de vidéo surveillance dans les villes. Le dispositif déployé en Grande-Bretagne a montré que la criminalité se reporte sur les quartiers où les caméras sont absentes. Et s'il y a partout des caméras, elle prend une autre forme. Les travaux conduits depuis dix ans montrent que la vidéosurveillance, dont le coût est élevé, ne fait pas reculer la criminalité. Songez qu'une seule personne doit analyser les enregistrements de vingt à trente caméras. Comment prévenir, à ce compte ? Certes, les enregistrements ont un intérêt a posteriori, pour comprendre, mais ils ne sauraient être préventifs, sauf à y mettre d'énormes moyens humains.
Ce PNR européen est un peu une façon, pour l'Europe, de dissimuler son incapacité à mettre en place de vraies coopérations. Alors que l'on voit croître la criminalité transnationale, on élargit les missions d'Europol et d'Eurojust, mais sans y associer des moyens. Je l'ai dit et je le répète, nous avons démissionné lors de l'élaboration du cadre financier pluriannuel européen. J'ajoute que la coopération judiciaire et policière ne se décrète pas. Elle est le fruit d'une volonté des États à travailler ensemble. Or, peu d'organismes acceptent de collaborer avec Eurojust. Il serait bon de sensibiliser nos polices, nos systèmes judiciaires sur la nécessité de coopérer avec les agences européennes.
M. Simon Sutour. - Pour répondre à M. Reichardt, j'indique que si la Suisse est partie à l'accord Schengen ; il n'en faudra pas moins, dès lors qu'elle n'est pas membre de l'Union européenne, signer avec elle un nouvel accord bilatéral sur le PNR européen.
M. Jean-Yves Leconte. - Et pour la Norvège ?
M. Simon Sutour. - Il existe des accords.
M. André Gattolin. - Elle est déjà très intégrée ; elle fait partie d'Europol et d'Eurojust.
M. Simon Sutour. - Je vous propose, pour répondre à vos attentes, d'ajouter à notre proposition de résolution un alinéa 13, pour exprimer que le Sénat « considère que le contexte actuel et les récentes attaques terroristes imposent la mise en place rapide et urgente de ce PNR ».
M. André Gattolin. - D'autres mesures, dont ce PNR.
M. Simon Sutour. - La proposition de résolution porte sur le PNR. Tenons-nous y, étant entendu que nous formulerons une proposition de résolution plus globale sur le terrorisme.
M. Jean Bizet, président. - Je rappelle que nous avons engagé des travaux, notamment sur le projet d'un Parquet européen élargi, sur Schengen, sur Internet... Nous ramasserons cela le moment venu dans une proposition de résolution globale, soulignant l'urgence des réponses à apporter.
Je livre à votre réflexion le fait qu'avec le traité de Lisbonne, l'Union européenne est amenée à adhérer à la Convention européenne des droits de l'homme. Je vous renvoie à la presse de ce matin : on ne peut pas renvoyer des djihadistes dans leur pays, parce que leur sécurité n'y serait pas assurée, comme le veut la Convention. On marche un peu sur la tête. Nous verrons ce qu'en dira notre rapporteur, Michel Mercier, au moment de notre discussion sur le projet d'adhésion. Le débat s'annonce épineux.
M. Michel Delebarre. - Reste l'assignation à résidence.
M. Jean Bizet, président. - Ces gens-là sont assignés à résidence dans nos campagnes. Les élus locaux commencent à s'inquiéter de cette situation...
M. Michel Billout. - Ce que vous proposez à l'alinéa 13 rejoint ce qui est exprimé à l'alinéa 5.
M. Simon Sutour. - Nous pourrions déplacer cet alinéa 5 à la fin.
M. Michel Billout. - Ou en faire, plutôt, le premier considérant, à l'alinéa 4.
M. Jean Bizet, président. - Nous retenons cette suggestion.
À l'issue de ce débat, la commission a adopté à l'unanimité la proposition de résolution dont le texte suit :
Justice et affaires intérieures - Espace Schengen - Communication de M. André Reichardt
M. Jean Bizet, président. - Nous allons à présent entendre la communication d'André Reichardt sur l'espace Schengen.
Cette communication entre aussi dans le cadre de notre programme de travail concernant la lutte contre le terrorisme, même si, naturellement, la question de l'espace Schengen ne se réduit pas à cette seule question.
Chacun est attaché à cet espace de libre circulation. Mais dès l'origine, la libre circulation s'est accompagnée de mesures dites « compensatoires ». Il s'agit de règles communes pour le franchissement et le contrôle des personnes aux frontières externes. Une base de données commune, le système d'information Schengen (SIS), a également été créée afin de permettre aux autorités responsables des États Schengen d'échanger des données sur certaines catégories de personnes et de biens. Des règles et des procédures communes sont appliquées en particulier dans le domaine des visas pour séjours de courte durée.
Poser la question de l'efficacité des contrôles aux frontières extérieures est donc légitime. La lutte contre le terrorisme rend cette question d'autant plus sensible. De même, elle justifie un examen du code Frontières Schengen pour envisager d'éventuelles modifications.
M. André Reichardt. - Dans cette première communication que je vais vous livrer après avoir été chargé par notre commission de travailler sur l'espace Schengen, je m'en tiendrai à un état des lieux et à quelques recommandations de principe. Après avoir procédé à un rappel sur les textes fondateurs, puis vous avoir livré la teneur du sixième rapport semestriel sur le fonctionnement de l'espace Schengen, couvrant la période du 1er mai au 31 octobre 2014, je centrerai mon propos sur deux éléments essentiels des discussions récentes, soit l'opportunité d'une révision du code Frontières Schengen et le système d'information Schengen II.
L'accord de Schengen du 14 juin 1985 conclu entre la France, la République fédérale d'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg a engagé une démarche de suppression progressive des contrôles aux frontières intérieures pour permettre la libre circulation des personnes, quelle que soit leur nationalité, et a parallèlement renforcé les contrôles aux frontières extérieures pour maintenir la sécurité dans l'espace Schengen.
La Convention d'application de l'accord de Schengen a été signée le 19 juin 1990 et est entrée en vigueur le 26 mars 1995.
Le règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établit un Code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, dit Code Frontières Schengen, qui a codifié, en grande partie, ces dispositions. Ce code prévoit notamment l'absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures terrestres, maritimes ou aéroportuaires entre les États membres de l'espace Schengen ; les règles relatives au contrôle des personnes franchissant les frontières extérieures des États membres de l'espace Schengen ; les règles applicables au rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures. Ce dispositif, on le verra, a été complété par le règlement du 22 octobre 2013 permettant la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l'Union dans des circonstances exceptionnelles.
Notons encore qu'en application du traité d'Amsterdam, en 1997, le dispositif Schengen initié hors du cadre communautaire par le biais d'un accord de type intergouvernemental, a été intégré au sein du cadre juridique de l'Union européenne à compter du 1er mai 1999.
La France, la République fédérale d'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas ont été les premiers signataires des accords en 1985. Les pays de l'Union européenne ont ensuite suivi, à différentes dates, à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande, qui participent néanmoins à certains instruments comme le SIS ou la coopération judiciaire et pénale. Ne sont pas non plus dans Schengen la Croatie, entrée dans l'Union européenne au 1er juillet 2013, ainsi que Chypre, la Bulgarie, la Roumanie. Inversement, l'Islande et la Norvège, qui ne sont pas membres de l'Union européenne, sont néanmoins partie à la convention en raison d'accords de libre circulation qui les lient aux autres pays nordiques, de même que la Suisse et le Liechtenstein.
J'en viens au sixième rapport semestriel de la Commission européenne sur le fonctionnement de l'espace Schengen, qui couvre la période du 1er mai au 31 octobre 2014.
La Commission a, d'abord, évoqué la situation aux frontières extérieures de l'espace Schengen en mettant l'accent sur l'intensification de la pression migratoire.
Les détections de franchissements irréguliers des frontières par l'Italie - notamment dans le cadre de son opération maritime Mare Nostrum entre octobre 2013 et décembre 2014 - ont été six fois plus nombreuses que l'année dernière sur la même période. Sur les seuls mois de mai, juin et juillet 2014, les franchissements irréguliers détectés étaient au nombre de plus de 81 000 soient plus de deux fois et demi le chiffre de 31 401 constaté sur la même période en 2013, lequel était déjà très en hausse par rapport à 2012.
La principale route migratoire a été la Méditerranée centrale : 48 000 détections de franchissements irréguliers sur la période mai - juillet 2014, soit un nombre cinq fois supérieur à ce qu'il était en 2013 sur la même période.
Deuxième route migratoire, celle de la Méditerranée orientale où le nombre de détections a doublé par rapport à la même période en 2013 avec en particulier une augmentation des détections sur les frontières grecques.
En troisième position vient la route des Pouilles et de la Calabre, avec un nombre de détections quasiment multiplié par neuf pour dépasser 13 000 ! De plus en plus d'embarcations arrivent, de fait, par le sud de l'Italie.
La Commission fait observer que depuis le début de la
crise en Ukraine, le nombre de franchissements clandestins
détectés sur cette frontière terrestre extérieure
est resté faible, même si le nombre des demandes d'asile
émanant de ressortissants ukrainiens
- 2 500 - a
été multiplié par douze par rapport à la même
période de 2013. La poussée à laquelle on s'attendait n'a
donc pas lieu.
S'agissant de la question du retour dans l'Union européenne de combattants en provenance de Syrie, la communication de l'Union européenne, rédigée au mois de novembre 2014, estimait que ce phénomène constituait « un défi pour les États membres, notamment pour ce qui est de leur détection aux frontières extérieures ». Mais elle était convaincue que le cadre juridique existant permettait « de répondre efficacement à cette menace, tant en ce qui concerne le contrôle des personnes que celui des documents de voyage, et qu'il devait être pleinement exploité ». Propos qui nous interpellent alors que les réfugiés syriens arrivent en masse.
En ce qui concerne les séjours illégaux détectés à l'intérieur de l'espace Schengen, la Commission a estimé que leur nombre avait augmenté, sur la période allant de mai à juillet 2014, de 35 % par rapport à la période correspondante de 2013, soit environ 108 700. Les principaux pays concernés étaient la Suède suivie de l'Allemagne, de la France et de l'Espagne. Elle fait observer que de nombreux pays ne transmettent pas toujours les statistiques relatives aux déplacements des illégaux à l'intérieur de l'espace Schengen. L'opération Mos Maiorum, opération la plus récente de collecte d'information sur les flux migratoires dans l'espace Schengen, s'est déroulée sous la présidence italienne du 13 au 26 octobre 2014. Elle a permis de réunir des informations importantes sur les principaux itinéraires des migrants clandestins et sur les modes opératoires des réseaux criminels qui les font entrer dans l'Union européenne. Hors cela, on n'a pas le sentiment que les pays de l'Union européenne mènent les travaux propres à connaître et maîtriser ces flux.
À la suite des attentats meurtriers du mois de janvier en France, la question de l'opportunité d'une révision du code Schengen s'est réintroduite en force dans le débat public. La question d'une réintroduction des contrôles aux frontières intérieures des États membres de l'espace Schengen est posée.
Quel est l'état du droit ? le Code Frontières Schengen, dans sa version de 2006, prévoit, dans son article 23, paragraphe 1, qu'« en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure, un État membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle à ses frontières intérieures durant une période limitée d'une durée maximale de 30 jours ou pour la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à 30 jours » étant entendu que « l'étendue et la durée de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures ne doivent pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre à la menace grave ».
La nouvelle rédaction du Code Frontières 2013 a confirmé ces dispositions en précisant en outre que le rétablissement exceptionnel du contrôle peut ne concerner que certains tronçons spécifiques des frontières intérieures de l'État intéressé.
Le Code Frontières de 2006 prévoyait une procédure dans les cas nécessitant une action urgente. Le nouvel article 25 issu du règlement de 2013 crée une procédure spécifique dans les cas requérant une action immédiate. Quant au nouvel article 26, il institue une procédure spécifique en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l'espace sans contrôle aux frontières intérieures.
Je n'entrerai pas dans le détail des dispositions qui, dans les différents cas que je viens d'évoquer, prévoient les durées autorisées des contrôles, les notifications et communications d'information aux autres États membres ainsi qu'à la Commission européenne, à quoi s'ajoutent les recommandations éventuelles du Conseil sur proposition de la Commission.
Dans sa communication semestrielle, la Commission européenne a indiqué que sur la période allant de mai 2013 à octobre 2014, trois États membres seulement ont rétabli temporairement les contrôles à leurs frontières intérieures : la Belgique du 1er au 6 juin en raison du sommet du G7, la Norvège, du 24 au 31 juillet, en raison d'une menace terroriste et l'Estonie, du 31 août au 3 septembre, à l'occasion de la visite du président américain.
Un point, à présent, sur le système d'information Schengen de deuxième génération, dit SIS II. Le système d'information Schengen est un fichier informatisé utilisé par les États membres de l'Union européenne dans le cadre de la Convention de Schengen et de la coopération policière européenne. Développé dans les années 90, ce dispositif concernait à l'origine les personnes sous mandat d'arrêt ou les véhicules dont on avait perdu la trace. Il est alimenté par les informations fournies par les États - le fichier des personnes recherchées (FPR) dans le cas de la France.
Un règlement européen du mois de décembre 2006 a créé un système d'information Schengen de deuxième génération qui a notamment permis d'inclure dans le fichier informatisé des données biométriques ainsi que des données relatives à la non admission sur le territoire de l'Union ou aux interdictions de séjour. Le système d'information Schengen de deuxième génération est désormais connecté à Eurodac et au système d'information des visas dit VIS qui détiennent respectivement les empreintes digitales des demandeurs d'asile et des demandeurs de visa. La mise en place de SIS II a été plus coûteuse et plus longue que prévu puisque la mise en service ne date que du 9 avril 2013.
Le SIS II joue un rôle important dans la détection des itinéraires empruntés par les terroristes et les groupes criminels mobiles, grâce à un mécanisme spécifique qui permet de contrôler discrètement les personnes et certains types d'objets, notamment en cas de menaces liées à des combattants étrangers.
Certains considèrent que le dispositif, qui n'est peut-être pas suffisamment utilisé par tous les États membres, pourrait être renforcé afin de mieux contrôler les entrées et les sorties de l'espace Schengen notamment à travers le projet de Smart frontiers, que M. Delebarre préfèrera sans nul doute me voir nommer Frontières intelligentes.
En ce qui concerne le système d'information sur les visas (VIS), la Commission rappelle qu'il a, d'ores et déjà, permis la délivrance de 7,5 millions de visas. Elle estime, cependant, que les États membres doivent redoubler d'efforts pour améliorer la qualité des données tant biométriques qu'alphanumériques que leurs autorités consulaires introduisent dans le fichier. Notons que le recours aux empreintes digitales pour vérifier l'identité des titulaires de visas aux points de passage frontalier de l'espace Schengen est devenu obligatoire le 11 octobre 2014 pour les titulaires de visas. Il est encore trop tôt, néanmoins, pour tirer des enseignements sur la mise en oeuvre de cette nouvelle mesure, même si l'expérience montre, côté italien, notamment, que ce dispositif ne suffit pas, tant sont nombreux les navires qui arrivent sur la côte adriatique.
Je voudrais, enfin, évoquer quelques pistes de propositions sur certains des points qui viennent d'être abordés.
En ce qui concerne la possibilité pour les États membres de rétablir temporairement un contrôle à leurs frontières intérieures, j'ai le sentiment que la réforme opérée en 2013 du Code Frontières Schengen a mis en place une véritable usine à gaz. En voulant prévoir tous les cas de figure et en énonçant dans tous ces cas des dispositions spécifiques concernant en particulier la limitation de la durée de ces contrôles, sous la surveillance du Conseil et de la Commission, la nouvelle version du code Frontières Schengen apparaît complexe, bureaucratique voire illisible. On est quand même, ici, dans le domaine régalien. Les États sont les mieux placés pour évaluer la menace sur leur sécurité intérieure ou l'ordre public. Il serait préférable de revenir à un texte plus simple, plus souple et plus pragmatique.
Dans le contexte lourd de menaces avec lequel nous allons devoir compter dans les prochaines années, des mesures devraient, selon moi, être envisagées. L'identification des personnes suspectées de terrorisme et la détection de leurs déplacements est devenue un impératif majeur. Il nous faut donc nous orienter vers une révision ciblée du Code frontières Schengen.
Je pense d'abord à un contrôle renforcé aux frontières extérieures de l'espace Schengen. Il faut faire en sorte que tous ceux qui rentrent dans cet espace soient systématiquement et obligatoirement contrôlés. Tel est l'objectif. Mais ce contrôle renforcé pourrait être ciblé. Il est évident que certaines frontières extérieures sont plus sensibles que d'autres. Ce contrôle renforcé pourrait aussi concerner toutes les personnes jouissant de la liberté de circulation dans l'espace Schengen c'est-à-dire les détenteurs d'un passeport européen. L'heure est venue d'être plus attentif à leur égard. On se souvient, par ailleurs, qu'il y a plusieurs années notre commission des affaires européennes avait préconisé la création de gardes-frontières européens. Cette proposition est toujours sur la table mais n'a pas eu encore d'effets concrets. Il serait bon de progresser, car ces gardes-frontières pourraient participer au contrôle des personnes.
S'agissant du contrôle des frontières intérieures des États membres, pourquoi ne pas autoriser les États à effectuer des contrôles ponctuels en cas de menace pour l'ordre public ? Cette proposition est d'ores et déjà avancée par l'Espagne.
Quant au fichier informatisé Schengen de deuxième génération, s'il inclut, d'ores et déjà les données biométriques, il ne prend pas en compte les relevés ADN. Il serait intéressant d'en connaître les raisons techniques. Ne conviendrait-il pas de tout mettre en oeuvre pour disposer, à l'échelon européen, du système d'information le plus fiable possible ?
Telles sont les premières observations que je voulais vous livrer. J'entends poursuivre mes travaux dans un esprit très pragmatique, pour rechercher les moyens de renforcer les contrôles tant aux frontières extérieures qu'à l'intérieur de l'espace Schengen. Il me semble, en particulier, que l'on pourrait gagner en lisibilité sur les dérogations.
M. Jean Bizet, président. - Ce dossier touffu s'intègre dans l'ensemble des réflexions que nous avons voulu conduire sur le terrorisme. Le 18 mars, nous émettrons une proposition de résolution globale, qui sera examinée le 25 mars par la commission des lois. Nous verrons alors, avec la Conférence des présidents, si un débat en séance est possible. Ce sera l'occasion de souligner à nouveau la nécessité d'être très réactifs au regard des drames que nous avons vécus, et qui sont à tout instant susceptibles de se reproduire. Il s'agit aussi de répondre à l'incompréhension de nos concitoyens face aux lenteurs du processus communautaire.
M. Jean-Yves Leconte. - Il est légitime d'avancer rapidement sur ces questions, mais nous n'obtiendrons rien en avançant seuls. Voyez ce qu'il est advenu de la carte d'identité biométrique. On a voulu faire plus, en retenant le principe d'un fichier à lien fort, disposition qui a été censurée, in fine, par le Conseil constitutionnel. Moyennant quoi, il faut nous passer de l'instrument biométrique. Tirons-en la leçon, notamment pour ce qui concerne les contrôles aux frontières intérieures. Beaucoup de pays de l'espace Schengen sont attachés à la liberté de circulation. J'ajoute que nous disposons déjà d'instruments pour opérer de tels contrôles. Nos services de renseignement sont là pour définir un ciblage.
On entend trop souvent parler de Schengen comme d'un handicap pour la sécurité. Mais il suffit de regarder la carte pour mesurer ce que chaque pays devrait surveiller si nous ne nous faisions pas confiance entre nous, et ce que cela nous coûterait. Ne donnons pas le sentiment qu'en constituant un espace de liberté et de sécurité, nous sommes allés dans la mauvaise direction. Il est bon de le rappeler, sauf à accréditer l'idée que l'on doit gérer les conséquences d'un dogme. Or, Schengen n'est pas un dogme, mais le moyen d'assurer plus de liberté et de sécurité.
Il faut renforcer les contrôles à l'entrée de l'espace. On ne pourra le faire sur le temps court, parce que beaucoup de nos partenaires ne sont pas prêts. Si nous sommes prêts à faire de l'identification à l'entrée de l'espace, il faut avoir conscience que ce n'est pas le cas de tous nos partenaires. Il faudra travailler à les convaincre. Se pose également la question des fichiers - cartes d'identité, passeports - qui demande du temps. En revanche, nous pouvons nous engager rapidement vers une meilleure coordination de nos politiques de visas. Il n'est pas normal que chaque pays ait ses critères propres. Nous avons partagé du régalien, il faut l'assumer.
M. André Gattolin. - Je félicite le rapporteur pour son travail. Il a relevé la complexité des mesures dérogatoires. C'est un débat qui a été soulevé au printemps 2012 avec Manuel Valls, alors nouveau ministre de l'Intérieur, qui voulait renforcer ces mesures. C'est là une question qui touche aux droits fondamentaux. On ne peut déclarer que l'Union européenne est un espace de libre circulation des biens et des personnes tout en imposant des restrictions sur les seules personnes. J'estime pour ma part que cette jurisprudence sur les personnes pourrait trouver à s'appliquer aux biens. Si nous sommes dans une spécification quasiment notariale des exceptions au droit commun, c'est que procéder autrement reviendrait à mettre en cause les principes sur lesquels s'est bâtie l'Union européenne. Jean-Yves Leconte a rappelé à juste titre que nous ne sommes pas seuls en Europe. L'espace Schengen s'est élargi, mêlant des pays dotés d'une pratique en matière de contrôles aux frontières, de visas, avec d'autres pays qui n'en sont pas au même point. L'Italie paye seule, et très cher, les conséquences de notre mauvaise gestion de la situation en Afrique du Nord et ailleurs. C'est bien pourquoi, aussi, l'on renforce Frontex à son initiative.
La situation des aéroports est préoccupante. Je m'étais penché il y a quelques années sur l'immigration clandestine venue de Syrie, d'Iran, et qui passait par la Grèce, à l'aéroport d'Athènes, qui fait encore figure de passoire. On songe trop aux frontières terrestres, sans se préoccuper de ces points d'accès. Les contrôles sont beaucoup plus rigoureux dans les aéroports américains.
M. André Reichardt. - Je souscris aux propos de M. Leconte : Schengen doit être considéré comme un instrument de notre sécurité. Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Comment renforcer les contrôles aux frontières extérieures ? Faut-il retenir le principe de l'identification ? Je le crois. Je pense aussi qu'il faut une plus forte coordination européenne en matière de visas.
On se cache les yeux sur le fait que certains États, qui payent un lourd tribut, comme l'Italie, évoquée par André Gattolin, ne relèvent plus les empreintes et n'identifient plus les passages. Il faut vraiment que chaque État de l'Union revienne à cet effort d'identification, ce qui suppose aussi que cela soit possible techniquement, et que l'on y mette les moyens.
Il faut, certes, être prudent sur les dérogations. Alors que les biens circulent librement, nous devons être attentifs aux restrictions à la circulation des personnes.
M. André Gattolin. - Ou à l'inverse, ne pas s'interdire de poser des restrictions sur les biens...
M. André Reichardt. - On a vu, cependant, avec les événements de janvier, combien le danger est réel. Étant membre de la commission d'enquête sur les réseaux djihadistes, j'ai eu l'occasion de me rendre à la frontière turco-syrienne et de constater combien cette frontière était poreuse. L'heure n'est pas à tergiverser. Y compris s'il faut passer par un rétablissement, ciblé, des contrôles aux frontières intérieures.
La réunion est levée à 18h10.