Mardi 16 décembre 2014

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, vice-présidente -

Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission énergie à l'Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir, et de M. Frédéric Blanc, juriste

La réunion est ouverte à 15 h 10.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je souhaite tout d'abord excuser le président Jean Claude Lenoir qui s'était engagé de longue date à rencontrer des élus locaux en Seine-et-Marne pour leur exposer l'intérêt des PLU intercommunaux.

Nous accueillons les représentants de l'UFC-Que choisir, Nicolas Mouchnino, chargé de mission énergie et Frédéric Blanc, juriste. Ils nous diront quelles inquiétudes le projet de loi sur la transition énergétique suscite chez les consommateurs.

M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission énergie à l'UFC-Que choisir. - Nous saluons les avancées du Parlement en matière d'efficacité énergétique, qu'elle soit passive ou active.

Les consommateurs peinent à identifier les bons professionnels capables d'effectuer leurs travaux de rénovation énergétique. En inscrivant une allégation de résultats dans le contrat qui lie le consommateur au professionnel, le projet de loi évite les promesses sans garantie portées sur des feuilles volantes - nous aurions souhaité aller plus loin en prévoyant une mention manuscrite. Cette allégation permettra d'engager la responsabilité du professionnel pour que les objectifs de performance énergétique soient respectés. Les tests que nous avons réalisés montrent que les promesses des professionnels sont souvent très exagérées.

Sacraliser l'allégation de résultats dans le contrat est une bonne mesure, qui est pourtant aussitôt contredite par la suppression obligatoire de la clause de solidarité. Dans le cadre de travaux de rénovation globale, les nombreuses interactions des professionnels sur le chantier rendent difficile la mise en cause d'une responsabilité isolée. Le consommateur se trouve démuni, alors que l'offre de rénovation globale est la plus pertinente en termes d'efficacité énergétique. Pourtant, des acteurs utilisent cette clause comme un outil promotionnel.

En termes de financement, ni le crédit d'impôt développement durable (CIDD), destiné à devenir crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), ni l'éco-prêt ne favorisent l'innovation. Obtenu à partir de critères de performance datant de 2005, le CIDD fait peser sur les entreprises innovantes le poids d'une concurrence capable de fournir des équipements moins performants, à moindre coût, tout en respectant les seuils imposés pour que les consommateurs bénéficient d'une réduction fiscale. Conditionner les aides au financement en fonction de la performance énergétique atteinte plutôt qu'en fonction des équipements inciterait les ménages à choisir des solutions plus efficaces tout en évitant les effets d'aubaine. On rendrait ainsi confiance aux consommateurs, tout en leur garantissant un financement suffisant et incitatif.

Le texte devrait également inciter les bailleurs à réaliser des travaux de rénovation énergétique. Nous proposons la mise en place d'un bonus-malus sur la performance énergétique de leur logement. C'est en agissant sur le rendement locatif des logements que nous pousserons les bailleurs à entreprendre les travaux nécessaires.

Le système assurantiel n'est actuellement pas satisfaisant, car il n'apporte au consommateur aucune garantie si le professionnel ne respecte pas l'allégation de performance énergétique. Au contraire, c'est lui qui en supporte le coût. En outre, les prêts pour travaux de rénovation énergétique sont difficiles à obtenir auprès des banques : un système assurantiel pourrait contribuer au développement de l'investissement privé en sécurisant les différents acteurs.

On ne pourra pas atteindre les objectifs fixés d'efficacité énergétique active, sans changer le comportement des ménages. Nous saluons les dispositions du texte qui visent à développer l'information en temps réel du consommateur, tout en déplorant le fait que cette information soit confiée aux fournisseurs et non aux gestionnaires de réseaux. Les quantités consommées font partie des informations minimales pour les consommateurs. Rien ne justifie de les transférer aux fournisseurs, qui risquent de les capter pour mettre en place un service payant, s'assurant ainsi la mainmise pour contrôler le développement de services en aval des compteurs Linky. L'information doit rester accessible et interopérable. Nul ne sait quelles seront les évolutions en matière de domotique ou de services pour maîtriser la demande énergétique. Le marché doit rester le plus ouvert possible, pour favoriser l'innovation et afin que les consommateurs puissent opérer leurs propres choix.

La mise en place du compteur Linky a contribué à améliorer la sécurité en matière de transmission des données, de sorte qu'elles sont transmises au distributeur qui envoie ensuite aux fournisseurs les données de consommation nécessaires à leur facturation. Cette sécurisation a coûté entre 4 et 5 milliards d'euros. Or, parallèlement, on a développé des box connectées au compteur Linky, avec une remontée d'informations conséquentes. Pourquoi avoir sécurisé le compteur Linky, si c'est pour organiser une fuite d'informations importante ?

Les réseaux de distribution constituent la pierre angulaire de la transition énergétique. Quel est l'intérêt de l'article 42 si les trajectoires d'investissement des tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe 3) ne sont pas respectées ? La construction des Turpe favorise la sur-rémunération du distributeur. La qualité du réseau n'a pas donné lieu à une amélioration conséquente de la distribution d'électricité : les coupures varient de 30 minutes à 190 minutes selon les départements.

Bien loin de résoudre les problèmes de distribution, l'article 42 les aggrave. En effet, la marge raisonnable n'est liée ni à l'investissement par l'opérateur, ni à la qualité du réseau. Dans les faits, l'investissement prévu n'est pas respecté, et le lien entre le distributeur et sa maison mère est fragilisé. Les bénéfices d'ERDF reviennent à 75 % à la maison-mère, sous forme de dividendes. La centralisation de la trésorerie entre ERDF, dont l'activité est régulée, et EDF, qui intervient sur un marché, pose un problème de concurrence.

Les activités annexes des grands groupes mériteraient d'être davantage encadrées pour éviter une situation de monopole. Parce qu'elles peuvent lier les travaux à la fourniture de gaz ou d'électricité tout en apportant les garanties d'une marque, deux filiales d'EDF et de GDF, Dalkia et Cofely, se partagent l'essentiel des contrats pour la rénovation énergétique dans les copropriétés et les logements sociaux (CPE), lesquels manquent souvent d'ambition.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Vous avez manifestement une connaissance pointue des trois sujets que vous avez abordés. Je partage vos analyses à propos des réseaux. Vous n'avez pas évoqué la contribution au service public de l'électricité (CSPE), sujet sur lequel je vous ai souvent lu. La situation devient inquiétante, et pas seulement pour les énergies renouvelables. Qu'en pensez-vous ?

Le chèque-énergie comble certaines attentes des consommateurs. Comment le financer ? Que pensez-vous de l'article 60 bis sur l'interdiction du rattrapage de la consommation d'énergie au-delà d'un an ? Quid de l'article 5 qui étend la garantie décennale au respect de la réglementation thermique en vigueur ? L'article 5 ter inscrit pour les marchés privés de bâtiments, inférieurs à 100 000 euros, une règle d'absence de solidarité juridique en cas de cotraitance ? Comment abordez-vous ce sujet difficile ?

M. Roland Courteau. - Je ne reviens pas sur la CSPE ni sur le chèque énergie ; en revanche, quel regard portez-vous sur le nouveau dispositif de soutien aux énergies renouvelables ? Certains considèrent qu'EDF ne doit pas rester le seul acteur soumis à l'obligation d'achat ; est-ce aussi votre avis ? Que pensez-vous d'une mesure qui mettrait fin à l'obligation de réaliser un bouquet de travaux, dans le cadre du CITE ? La mise en place d'un dispositif de garantie constitue-t-elle une mesure positive ? Quelles remarques avez-vous à faire sur l'article 46 portant sur l'effacement ?

M. Frédéric Blanc, juriste à l'UFC-Que choisir. - L'offre globale est un enjeu essentiel dans la réussite de la transition énergétique, parce qu'elle autorise une garantie de résultat. Il faut encourager les consommateurs à la privilégier. La disposition du projet de loi sur l'allégation de résultats dans le contrat y contribue, tout en favorisant une concurrence loyale.

Il est paradoxal de supprimer la clause de solidarité des intervenants. La performance énergétique dépend d'un ensemble d'acteurs : comment dégager l'imputabilité de la faute, si l'on considère qu'ils ne sont plus solidaires ? C'est là détruire ce que l'on vient de construire. Il est urgent de supprimer cette disposition contreproductive de l'article 5 ter qui pousse le marché vers le bas. Les acteurs des travaux de la rénovation énergétique avancent souvent par corps de métier, sans se regrouper. Il est possible de s'accorder en amont sur un partage de la responsabilité, avec la définition de quantum pour chacun.

La responsabilité décennale du constructeur est engagée en cas d'impropriété à destination. Suffit-il de constater que les travaux effectués ne respectent pas les normes en vigueur, ou prend-on en compte les allégations du professionnel, comme le fait la jurisprudence ? Le projet de loi prévoit que le constructeur est responsable de plein droit de la réglementation thermique en vigueur. Cela implique que sa responsabilité décennale ne serait plus engagée dans le cas d'un ouvrage qui ne respecterait pas la performance énergétique du bâtiment, dès lors que toutes les normes auraient été respectées. C'est priver le consommateur de tout recours.

Le coût d'effacement, qui va peser sur la CSPE, est une vraie question. Un décret paru en juillet prévoit une prime de 30 euros pour les opérateurs d'effacement faisant des offres aux résidents. Quel serait l'intérêt pour les consommateurs d'avoir à financer cette prime, alors qu'on les incite à souscrire à des offres d'effacement pour diminuer leur facture ? Ce système injuste risque d'alourdir la CSPE dans des proportions insoutenables. Il faudrait plutôt mettre en place un mécanisme incitant les consommateurs à souscrire des offres d'effacement.

M. Nicolas Mouchnino. - A propos du bouquet de travaux, nous regrettons l'abandon d'un système dont la logique globale se rapprochait de celle d'une rénovation en fonction de la performance énergétique atteinte.

M. Roland Courteau. - C'est une question de moyens.

M. Nicolas Mouchnino. - Le montant du CIDD s'élevait en 2008 à 2,7 milliards d'euros, dont 5 % ont été consacrés à des travaux efficaces (ventilation, production de chaleur ou isolation). La plupart du temps, les gens utilisent le CIDD dans une logique de réduction d'impôts et non de rénovation énergétique. Ils achètent des équipements qui répondent aux critères de 2005 utilisés pour définir le CIDD, plutôt que de choisir une chaudière efficace et puissante. De plus, bien souvent, les consommateurs ne savent pas par où commencer leurs travaux. Ils commencent par calibrer la chaudière sur les besoins de leur maison, et quand ils font des travaux d'isolation, cette chaudière n'est plus adaptée. Le bouquet de travaux compliquait certes le dispositif. Il demeure plus intéressant de prendre en compte la performance de la rénovation, et pas seulement les équipements.

Rénover un bâtiment, ce n'est pas y ajouter des équipements ; c'est presque le reconstruire, d'où l'intérêt d'un audit initial.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Les dépenses ne sont pas les mêmes.

M. Nicolas Mouchnino. - Le coût d'origine sera forcément plus élevé, mais dans la durée ces travaux seront source d'économies. A force d'isoler les logements sans créer de ventilation, nous allons au-devant de « pathologies » des bâtiments.

M. Frédéric Blanc. - Pour encourager les consommateurs à choisir les bons travaux en matière de rénovation énergétique, il faut leur parler en coût net, en intégrant les aides octroyées et la performance énergétique atteinte. Ils entendraient ainsi un discours nouveau, qui leur indiquerait la bonne décision à prendre, moins coûteuse à terme.

M. Nicolas Mouchnino. - Il est possible de conduire les travaux par étapes, à condition d'anticiper. Or l'éco-prêt n'est attribué qu'une seule fois, ce qui encourage à changer d'équipement, mais pas à faire des travaux pour améliorer l'efficacité énergétique d'un bâtiment.

L'UFC-Que Choisir n'a pas défini de position sur le chèque énergie. Il reste à savoir comment le financer, et comment assurer la transition vers le nouveau système ; il faut y faire rentrer toutes les énergies nécessaires au chauffage. La CSPE finance le tarif de première nécessité (TPN) en fonction de la consommation d'énergie effective, si bien que des ménages en difficulté, dont les logements sont souvent des passoires énergétiques, paient plus de CSPE qu'ils ne bénéficient du TPN. La situation explosive de la CSPE résulte essentiellement de contrats anciens. Qui doit assumer ces dépenses ? Doit-on élargir son assiette au-delà des factures d'électricité ? La hausse de la CSPE, qui représente déjà une partie importante de la facture des ménages, va par ailleurs coïncider avec l'augmentation des charges pour les réseaux et pour la production. Nous n'avons pas de réponse.

M. Daniel Gremillet. - Que pensez-vous de la proposition du député Jean-Yves Le Déaut et du sénateur Marcel Deneux de rendre obligatoire le passage d'un conseiller avant toute rénovation aidée ? Votre organisation se plaçant du côté des propriétaires et des locataires, vous avez parlé de la frilosité des banquiers ; ne faut-il pas rappeler, à leur décharge, que, dans bon nombre d'opérations, le retour sur investissement est très lointain ? C'est d'ailleurs un problème tant pour les propriétaires que pour les locataires, s'ils supportent une part des coûts.

M. Marc Daunis. - Si j'apprécie les approches systémiques, comme la vôtre, je m'interroge sur le fait que vous demandiez au législateur de prendre le risque d'ouvrir des contentieux... à tous les étages, pourrait-on dire. Si la solidarité entre acteurs est intéressante, comment comptez-vous redistribuer le contentieux lorsque les objectifs ne seront pas atteints ? Je vois l'intérêt d'adopter comme critère, pour l'attribution des crédits d'impôt, la performance plutôt que l'équipement, mais comment la performance sera-t-elle mesurée ? Imaginons par exemple que le nombre de membres de la famille évolue... Je crains que le mieux soit l'ennemi du bien et que nous aboutissions à un système extrêmement complexe. Une solution de bon sens serait l'accompagnement, auquel faisait allusion Daniel Gremillet -les intercommunalités sont riches de compétences dans le domaine énergétique. Une forme souple de prévalidation des opérations serait moins hasardeuse.

Mme Sophie Primas. - Comment, en effet, mesurer l'efficacité énergétique ? Étant séquentielle, elle ne peut être appréciée que sur une période longue, bien au-delà du retour sur investissement.

M. Frédéric Blanc. - Sur la question centrale de la sécurité juridique, notre dispositif ne rend pas les allégations obligatoires ; simplement si l'entreprise allègue un résultat, elle doit le mentionner dans le contrat. Nos 160 associations locales, réparties dans toute la France, portent plus de 2 500 contentieux touchant des panneaux photovoltaïques. Ce contentieux endémique résulte d'allégations inscrites par des professionnels sur des feuilles sans en-tête, qui laissent ensuite les consommateurs dans un désarroi complet face à des installations qui n'y sont pas conformes.

Les professionnels ne sont bien évidemment pas comptables des effets rebonds, ou du comportement abusif du consommateur après les travaux. Nous disposons désormais d'une technologie de capteurs qui, pour un coût modique, cernent ce comportement : ils décèlent le nombre d'occupants, repèrent une fenêtre ouverte, mesurent la température de l'eau chaude... S'il reste à financer les logiciels nécessaires au traitement de ces informations, cette solution est préférable au statu quo, qui provoque énormément de contentieux. L'accompagnement est important. Seul le contrat de performance énergétique, incluant la maintenance et l'entretien des équipements installés, peut garantir un résultat.

Nous ne sommes en revanche pas favorables à ce qu'un conseiller-rénovation réalise un audit avant les travaux réalisés par un prestataire : chacun renverrait la responsabilité sur l'autre...

M. Nicolas Mouchnino. - Des sociétés d'ingénierie interviennent dans des logements collectifs ; leurs audits des bâtiments donnent lieu à des préconisations. Si les copropriétés décident de les suivre, la maîtrise d'oeuvre échoit à ces cabinets qui s'engagent sur les performances alléguées, avec une variation possible de 5 %. Le risque qu'ils prennent ainsi est garanti par des sociétés d'assurances, comme Axa par exemple. Des capteurs sont ensuite installés afin de suivre la consommation. Cela se fait.

M. Marc Daunis. - Pas à la même échelle !

M. Nicolas Mouchnino. - Reste à adapter ce dispositif aux maisons individuelles, comme en Suède. Il y a des solutions techniques. Le coût d'entrée pourrait être financé par des systèmes d'aide, et serait largement amorti par la meilleure efficacité énergétique des travaux. Le consommateur serait certainement gagnant par rapport à la situation actuelle.

M. Frédéric Blanc. - Le contrat de performance énergétique prévoit bien, selon le projet de loi, une garantie de résultat. Il suffirait de disposer d'un référentiel technique des seuils d'économies à attendre de chaque type de travaux pour obtenir les aides correspondantes.

Les banques manquent de visibilité sur les retours sur investissements, d'où leurs réticences. Ce financement privé pourrait être favorisé par la garantie de résultat ainsi que par une couverture assurantielle obligatoire spécifique, destinée à assurer une totale solvabilité du consommateur.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je vous remercie pour vos exposés et vos réponses.

Transition énergétique pour la croissance verte - Audition conjointe de Mme Sandra Lagumina, directeur général de Gaz réseau Distribution France (GrDF), de M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de Transport d'Électricité (RTE), de M. Philippe Monloubou, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF), et de M. Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous accueillons à présent les transporteurs et les distributeurs d'électricité et de gaz.

Mme Sandra Lagumina, directeur général de GrDF. - Je vous remercie de donner à GrDF l'occasion de s'exprimer devant cette commission. Ce projet de loi a beaucoup évolué depuis son passage en conseil des ministres, l'Assemblée nationale ayant conduit un travail très exigeant. Nous sommes convaincus qu'il en sera de même au Sénat.

Parce qu'elle marque l'émergence d'un modèle de la demande, là où l'offre était jusqu'ici le grand driver de la politique énergétique, la transition énergétique s'accomplit essentiellement sur les territoires, dont le Sénat est historiquement le représentant privilégié.

GrDF prévoit depuis longtemps cette évolution. La distribution du gaz s'étend sur 200 000 kilomètres de réseau et alimente 9 500 communes avec lesquelles nous avons 6 000 contrats de concession.

Si la distribution du gaz naturel relève exclusivement de GrDF dans sa zone historique de desserte, des délégations de service public étendent celle-ci depuis 2003. GrDF assure l'ensemble des investissements sur le réseau de gaz, sans préfinancement par les collectivités. La sécurité est sa grande priorité : nous y consacrons près d'un million par jour. Ces spécificités sont inscrites dans le temps ; nous nous engageons sur le long terme, par des investissements amortis parfois sur 45 ans via les contrats de concession.

Nous sommes soumis à la régulation de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), à celle des collectivités, par le biais des contrats de concession, enfin à la réglementation des pouvoirs publics. C'est dire toute l'importance, pour nous, d'un texte qui se propose de modifier ce cadre.

Nous avons exprimé notre vision de la transition énergétique dans le scénario « GrDF 2050 », qui envisage sans dogmatisme la combinaison future des réseaux, des usages et des énergies. Cette démarche s'appuie sur la maîtrise de la demande, grâce notamment au compteur communiquant, sur le développement des énergies renouvelables, mettant particulièrement l'accent sur le biométhane, et sur la complémentarité des réseaux d'énergie. Le pacte électrique breton constitue à cet égard une réelle réussite. Nous attendons de cette loi un encouragement à persévérer dans cette voie.

Le biométhane, ce gaz vert issu de la transformation de déchets, est largement porté par le monde agricole et fédère les acteurs locaux. Nous conduisons six projets d'injection dans nos réseaux, 400 sont attendus. Nous sommes un peu déçus que le projet de loi ne reconnaisse pas explicitement l'objectif de 10 % de gaz renouvelable dans la consommation finale de gaz à l'horizon 2030, même s'il doit figurer dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Un autre point d'interrogation concerne la mobilité : je constate dans tous mes déplacements une forte demande de bioGNV. Lorsque le texte parle des « véhicules électriques et véhicules propres », ceux qui fonctionnent au bioGNV sont-ils inclus dans la seconde catégorie ? Le décret d'application le dira. L'enjeu est considérable pour les collectivités en matière de lutte contre la pollution, ainsi que pour les opérateurs, dont la grande distribution, qui ont besoin de valoriser leurs déchets.

Quelle place, enfin, le ga z tiendra-t-il dans le mix énergétique ? À son arrivée à l'Assemblée, la loi était extrêmement électricienne, mais la transition énergétique est l'occasion d'un rééquilibrage en faveur du gaz. Or il a été question, lors de certains débats, de remettre en cause la règlementation thermique « RT 2012 », la différenciation entre énergies fossiles, la CSPE... Nous nous inquiétons de voir ces équilibres menacés.

Ce projet de loi offre enfin au distributeur que nous sommes l'opportunité de lier son rôle traditionnel à des missions d'efficacité énergétique et d'insertion des énergies renouvelables. Il nous invite à moderniser notre réseau, en concertation avec les collectivités, dont le rôle dans cette transition est affirmé. J'ai constaté récemment, lors d'un colloque à l'Assemblée, un large accord sur l'idée que, si notre histoire énergétique repose sur l'existence de grands opérateurs et sur la péréquation tarifaire, la transition énergétique doit favoriser l'émergence de modèles décentralisés qui préserveront ces apports. Certaines collectivités doivent recevoir des missions de planification et des informations plus approfondies sur la gestion des données. GrDF a invité, le 20 novembre, toutes les associations d'élus et certaines collectivités à discuter avec la CRE et la DGEC pour nous dire de quoi elles ont besoin. Le décret annoncé dans l'article 42 représente à cet égard une avancée importante. Notre enthousiasme à porter certains sujets dans cette feuille de route rencontre un écho certain dans les territoires.

M. Dominique Maillard, président du directoire de RTE. - Ce projet de loi est pour nous un enjeu très structurant. Sur les 63 articles du texte initial, plus de quarante nous concernent. RTE est responsable du transport de l'électricité sur 100 000 kilomètres de lignes. Nous nous acheminons vers des systèmes électriques de plus en plus complexes, combinant une production centralisée, une production décentralisée, des consommateurs proactifs, des moyens de stockage de masse et des stockages dispersés, y compris dans les maisons individuelles ou les véhicules électriques.

Il faudra donc de plus en plus de flexibilité. Les réseaux font partie des instruments de cette flexibilité, puisqu'ils relient des moyens de production à des points de consommation. La disponibilité d'une électricité de qualité à un prix abordable fait partie des facteurs d'attractivité de notre territoire.

Nous devons cependant consacrer de plus en plus de temps à l'étude de ces projets. Nous avons mis en service depuis deux ans une grande ligne aérienne en Normandie. Elle concourra notamment à l'évacuation de la production de la future centrale de Flamanville. Il nous aura fallu huit ans et demi pour la réaliser, dont sept ans de procédures et quinze mois de travaux. Il y a des progrès à faire, sinon sur le rythme des travaux - nous avons utilisé des hélicoptères - en tout cas sur celui des procédures : chez nos voisins, un aménagement de ce type prend quatre ou cinq ans.

Si les avancées de ce texte sont des hirondelles - que nous accueillons avec plaisir -, elles comportent des mesures fortes de rationalisation des procédures. Nous espérons que votre assemblée les préservera. Les débats publics auxquels nous sommes astreints peuvent être organisés de deux manières : par la désignation d'un garant ou d'une commission particulière. Cédant à notre manie d'ingénieurs de calculer des ratios, nous avons établi qu'un débat avec garant nous coûtait sept jours de concertation par kilomètre de ligne, tandis que qu'un débat conduit par une commission particulière donnait lieu à 47 jours de concertation par kilomètre, pour un résultat à peu près équivalent en termes de satisfaction ou de frustration des riverains. La longueur d'une procédure n'est d'ailleurs pas un gage de son efficacité. Nous souhaitons donc que l'article 35 de ce texte soit conservé.

Une autre avancée concerne la possibilité de demander des dérogations à la loi Littoral, ce qui concerne particulièrement le raccordement des éoliennes en mer : cette loi interdit tout ouvrage, même souterrain, même si nous nous engageons à remettre en place le moindre grain de sable !

Nous sommes indirectement concernés par l'évolution des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables. Comme chez nos voisins allemands, les prix garantis aboutissent au déversement sur le marché de kilowatts heure à des prix négatifs, ce qui décourage tout investisseur ; si bien que nous risquons, après soixante-dix ans de surcapacités en Europe, d'entrer dans une période où l'offre sera insuffisante. Le projet de loi avance d'autres propositions, comme l'effacement, qui consiste non seulement à augmenter l'offre mais aussi à réduire la demande. Reste à trouver un cadre légal et un modèle économique. Nous espérons que vous apporterez certaines précisions sur ce point.

L'article 43 propose un soutien tarifaire aux consommateurs électro-intensifs, en usage chez la plupart de nos voisins européens. Il s'agit, comme le régulateur le fait déjà dans l'attente d'un support législatif, de leur consentir des rabais sur le coût du transport qui pourraient atteindre 60 %. Une validation législative est évidemment souhaitable.

Nous nous félicitons également de voir reconnue une vieille pratique française : la programmation pluriannuelle, voire la planification - c'est un mot dont on ne doit pas rougir. Nous la pratiquons depuis longtemps, de même que monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, mais il fut un temps où il fallait presque s'en cacher pour échapper aux réprimandes de nos voisins anglo-saxons. Eux-mêmes s'y sont mis depuis, et je m'en réjouis. L'article 49 définit, de manière plus englobante que par le passé, la « programmation pluriannuelle de l'énergie » (PPE).

Le projet de loi parle également de « bilan prévisionnel » et confie à RTE la responsabilité d'établir un registre des installations de production et de stockage d'électricité. Cela ouvre la question des données énergétiques, qui seront un enjeu important. Tout en respectant la volonté de nos compatriotes de protéger certaines informations personnelles, nous sommes conscients de la valeur commerciale de ces données. Les autorités concédantes et les opérateurs souhaitent en disposer. Notre centre de Saint-Denis met à jour 40 000 informations par seconde. Le Sénat doit être vigilant afin de préserver le bon équilibre entre protection des données individuelles, accès aux données nécessaires au service public et appétits commerciaux de certains grands acteurs.

Le déploiement des réseaux électriques intelligents, enjeu important, fait l'objet de l'un des 34 plans industriels lancés par le président de la République. Nous avancerons quelques propositions afin de préciser ce que recouvre le service « flexibilité » et de coordonner les expérimentations locales, puisque plus de 120 démonstrateurs existent déjà. Au-delà des concepts articulés dans ce projet de loi, nous nous efforcerons de définir les modalités de leur mise en oeuvre.

M. Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz. - La France consomme depuis longtemps autant d'énergie sous forme d'électricité que sous forme de gaz. Or celui-ci est stockable - nos infrastructures sous-terraines permettent de stocker 30 % de la consommation annuelle de la France - et flexible : alors que la pointe de consommation d'électricité atteint à peu près, les jours les plus froids, 101 000 mégawatts, nous montons au même moment à 158 000 mégawatts. Cette capacité du système gazier à faire des sauts est un atout dont il ne faut pas se priver.

La France dispose en outre du plus grand réseau de distribution de gaz d'Europe, dans lequel elle investit 700 millions d'euros par an. Cela implique une visibilité industrielle - un gazoduc s'amortit sur 50 ans -, mais aussi politique : qu'entendez-vous faire de l'énergie gazière dans les cinquante années à venir ?

La production d'électricité à partir de gaz produit 50 % de CO2 de moins qu'à partir de charbon. Des outils de production flexibles sont en outre nécessaires pour compenser l'intermittence des énergies renouvelables. Si le nucléaire est un bel atout, il n'a pas la flexibilité requise pour compenser les baisses de vent ou de soleil.

Utilisé dans un moteur, le gaz n'émet pas de particules ; il produit 80 % d'oxyde d'azote de moins que le diesel, et 25 % de CO2 de moins qu'un moteur à essence. La performance écologique est encore supérieure si, à la place de gaz naturel, on emploie du bioGNV, qui est une énergie renouvelable.

Changeons donc de prisme sur la question gazière : loin d'être un problème dont il faudrait se débarrasser, le gaz est un atout pour la transition énergétique. Or le biométhane est la seule énergie renouvelable qui fasse en France l'objet d'une taxation carbone.

Je plaide pour la complémentarité entre systèmes électriques et système gazier. Le « power to gas » crée la possibilité de produire du gaz renouvelable grâce à l'électricité intermittente, parfois surabondante. Le simple fait qu'une grande partie de notre chauffage fonctionne au gaz soulage d'autant le système électrique lors des pointes de consommation.

Nous arrivons à la troisième révolution du gaz : la première a été celle des gaz manufacturés, la seconde celle du gaz naturel, la troisième sera celle des gaz verts et de l'usage du gaz dans la mobilité.

Parmi les aspects du projet de loi qui nous semblent encore susceptibles d'amélioration se trouve la définition des objectifs. L'article 1er prévoit une baisse de 30 % de la consommation des énergies fossiles - charbon, fuel et gaz naturel - dont les différences d'émission de CO2 justifieraient pourtant qu'ils ne soient pas mis sur le même plan. Au moment d'investir pour cinquante ans dans les infrastructures gazières, nous avons besoin d'un signal politique fort.

Nous aimerions également avoir davantage de visibilité sur l'avenir du biométhane. Il serait bon que l'objectif de 10 % de biométhane en 2030 soit inscrit dans la loi. Quant à la mobilité, la loi est d'une extrême pudeur, alors même que l'Union européenne a adopté en octobre une directive relative aux infrastructures de distribution de carburants alternatifs qui distingue bien entre électricité, gaz naturel et hydrogène. La loi sur la transition énergétique n'offre-t-elle pas l'occasion de transposer cette directive européenne ?

Il serait préférable, à l'inverse, que la loi ne revienne pas sur les grands équilibres définis par la RT 2012 et qu'elle n'élargisse pas l'assiette de la CSPE au gaz, ce qui le condamnerait tant dans l'industrie que chez les particuliers.

J'espère vous avoir convaincus que le gaz est un facilitateur de la transition énergétique, et que nous devons viser, dans les vingt années à venir, un système énergétique hybride, associant gaz naturel et gaz renouvelable à l'électricité.

M. Philippe Monloubou, président du directoire d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF). - Le souci des territoires, dans leur diversité, est une composante très forte de notre identité. ERDF s'est engagé depuis deux ans dans les débats sur la transition énergétique. Les infrastructures de réseaux sont le lieu physique où se cristalliseront les capacités de réaliser cette transition.

Les énergies renouvelables sont, dans leur grande majorité, intermittentes. ERDF accueille d'ores et déjà 95 % des producteurs sur le réseau moyenne et basse tension, soit l'équivalent de 300 000 sites ou de 13 gigawatts. Les équilibres sur le réseau de distribution devront être considérés demain au regard de la capacité à faire face à ces aléas de production et à réguler ces équilibres sur un maillage très local.

La maîtrise de la demande en énergie doit également être replacée dans ce paysage évolutif. Il s'agit de l'une des grandes ambitions de la loi, dont la réalisation sera largement conditionnée par le développement du compteur communiquant : nous aurons demain 35 millions de compteurs Linky, qui seront autant d'interfaces nouvelles avec les consommateurs. La relation de chacun à son fournisseur d'électricité et à son distributeur en sera transformée. Cette dimension technologique, intégrant les nouvelles technologies de l'information, donnera naissance à un rapport original de chaque consommateur à l'efficacité énergétique.

Un troisième levier majeur sera la mise à disposition des données des opérateurs énergétiques aux personnes publiques. ERDF est d'ores et déjà un opérateur de big data, et le projet de loi donne cette responsabilité aux opérateurs de réseaux.

Enfin, sept millions de véhicules électriques sont prévus, soit des investissements d'environ 5 milliards d'euros d'ici 2030 et un impact non négligeable sur le réseau.

Ces grands chantiers vont considérablement modifier les métiers et les activités des opérateurs, en les rendant plus réactifs, plus complexes et plus numériques. Il s'agit d'une véritable révolution, mais qu'il va falloir accompagner.

J'en arrive à la loi.

La distribution dans notre pays repose sur la solidarité territoriale et ce modèle doit être préservé à tout prix pour accompagner la transition énergétique. Quant aux opérateurs de réseaux, ils ont besoin d'une bonne visibilité pour investir. D'ici dix ans, ERDF investira près de 40 milliards d'euros dans les réseaux : elle doit donc connaître le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe) dans les prochaines années afin de pouvoir entretenir et développer le réseau. Ce Turpe est fixé nationalement par la CRE afin de garantir les mêmes prix à tous les utilisateurs. L'autoproduction et le développement des véhicules électriques imposeront de revoir le calcul du Turpe. L'article 42 répond à cet impératif et je forme le voeu que l'instabilité des douze dernières années, provoquée par des recours réguliers contre le Turpe, prenne fin afin qu'ERDF dispose d'une réelle visibilité pour les années à venir. Le texte prévoit que la CRE propose sa propre méthode de rémunération des gestionnaires de réseau de distribution d'électricité.

La loi instaure un comité du système de distribution publique de l'électricité afin de maîtriser la convergence et les enjeux de la transition énergétique. En février 2013, la Cour des comptes en avait d'ailleurs recommandé la création dans son rapport sur les concessions de distribution d'électricité.

Le rôle des différents acteurs devra être défini. À l'Assemblée nationale, la question de l'effacement des consommations a été abordée. Il serait légitime que le gestionnaire du réseau de transport soit associé à ces décisions.

L'article 7 bis consacre le déploiement du compteur Linky. Le distributeur devra mettre à disposition des clients un système d'alerte et garantir au fournisseur l'accès aux données de comptage. La répartition des rôles des uns et des autres devra être clarifiée notamment pour ce qui concerne l'offre aux clients les plus précaires.

Nous allons devoir installer 35 millions de compteurs, ce qui est un projet industriel sans précédent. Nous nous félicitons du droit à l'expérimentation, mais il doit tenir compte de l'existence de quelques 120 démonstrateurs. Nous devrons en tirer tous les enseignements avant de nous engager dans des expérimentations.

Cette loi est une formidable opportunité : le modèle de service public de la distribution électrique y apportera toute sa contribution afin de préparer les réseaux de demain à la transition énergétique.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Nous avons bien compris que vous travaillez à la transition énergétique depuis de nombreuses années !

Un des objectifs de la loi est de diviser par deux la consommation énergétique finale d'ici 2050. Or, vos investissements sont importants et vous avez besoin de temps pour les amortir. Allez-vous bouleverser vos programmations ?

Les articles 43, 43 bis, 44 et 44 bis traitent des électro et gazo-intensifs. Dominique Maillard a évoqué un rabais pour le transport de 60 %. L'Allemagne va jusqu'à 90 %. Pour aider nos entreprises, ne faudrait-il pas accorder des rabais plus importants ?

L'arrivée des énergies renouvelables pose de gros problèmes, plus pour les distributeurs que pour les transporteurs. Elles bouleversent vos programmations. Dominique Maillard y a fait allusion à propos de l'article 35. À l'Assemblée nationale, vous avez dit que le problème tenait plus à la règlementation qu'au financement.

La capacité de stockage du gaz représente 30 % de la consommation : la conversion de l'électricité en hydrogène ou en méthane impose-t-elle d'augmenter les volumes de stockage ?

Avez-vous des propositions concrètes pour les colonnes montantes dans les copropriétés ?

Le compteur Linky est une révolution, avez-vous dit, mais vous ne changez rien à votre programmation. Ne faudrait-il pas que votre actionnaire principal vous donne plus de moyens pour installer plus rapidement ces compteurs ? Qu'en sera-t-il pour le compteur Gazpar ?

Mme Sandra Lagumina. - Nous déploierons 11 millions de compteur Gazpar et, durant deux ans, nous mènerons des expérimentations pour tester le rythme de déploiement et pour organiser la concertation locale afin de démontrer l'utilité de Gazpar. Nous avons choisi quatre zones pilotes pour ce compteur qui communique par radio et qui ne coupera pas la livraison du gaz à distance pour des raisons de sécurité.

Le réseau de gaz est assez plastique et le volume de gaz acheminé diminuant de 2 % par an, il absorbera le gaz vert produit localement, notamment le bi-méthane. Une fois le biogaz épuré, il devient un gaz comme un autre et peut donc être intégré dans le réseau.

L'objectif de réduction de 50 % de la consommation énergétique en 2050 a été qualifié par certain de malthusien. Les énergéticiens doivent accepter ces évolutions, mais les véhicules électriques et au gaz vont entraîner une consommation accrue de ces énergies.

M. Dominique Maillard. - En ce qui concerne la division par deux de la consommation énergétique, tout dépend de la qualité de ces énergies. S'il s'agit de réduire la part des énergies fossiles, cet objectif peut se concevoir. Si cette énergie est décarbonnée et d'origine renouvelable, pourquoi vouloir réduire de 50 % la consommation ? Il est dommage de ne pas avoir introduit de notion qualitative. Cet objectif n'aura aucun impact sur le réseau, car ce dernier relie des points de production à des points de livraison. Si la consommation est stable, la géographie des moyens de production est en pleine évolution, ce qui explique le développement de notre réseau puisque nous devons acheminer de nouveaux flux d'énergie renouvelables. Nous allons donc maintenir nos investissements à un niveau élevé.

Les Allemands avaient supprimé le coût de transport pour les électro-intensifs jusqu'à ce que la Commission européenne les rappelle à l'ordre, d'où l'exonération de 90 % actuelle. Nous pourrions sans doute proposer une telle réduction, mais les autres consommateurs devront payer le différentiel.

Le développement des énergies renouvelables (EnR) nous pose des problèmes qui ne sont pas insurmontables. Depuis longtemps, nous étions confrontés à la variabilité de la consommation mais pas encore de l'offre. Il nous faut donc prévoir du stockage, des réseaux et de l'optimisation. Techniquement, il n'y a pas de limite à l'insertion des EnR. En revanche, elle coûtera de plus en plus cher.

Des simplifications de procédures sont envisageables, notamment en matière de programme. On nous demande ainsi d'avancer au même rythme dans les dossiers alors que l'instruction des différentes phases est plus ou moins rapide : il est plus long d'examiner un cycle annuel pour la végétation et la faune que de réaliser une étude de l'habitat marin aux alentours des pieux des éoliennes. Dès lors, le délai le plus long donne le tempo à l'ensemble du dossier. Nous gagnerions un an si les procédures étaient séparées...

De même, nous souhaiterions, comme dans l'immobilier, pouvoir lancer des actions contre des recours abusifs intentés uniquement pour ouvrir des négociations.

M. Thierry Trouvé. - On ne peut qu'être favorable à la baisse de la consommation énergétique à l'horizon 2050, mais je suis plus préoccupé par l'objectif de baisse de 30 % de la consommation de gaz d'ici 2030, car c'est demain ! Depuis deux ans, le gaz dans le sud de notre pays coûte 20 % de plus que dans le nord, ce qui est significatif pour les industriels. Pour résoudre ce problème, il faudrait construire le gazoduc Val-de-Saône, soit un milliard d'euros d'investissement pour une mise en service en 2018. Cet ouvrage qui aura une durée de vie de 60 ans et qui sera amorti au bout de 50 ans ne serait donc utilisé que douze ans d'après la loi. Selon que vous déciderez que le gaz est, ou non, exclu de cet objectif, nos investissements ne seront pas les mêmes. En outre, quid de la mobilité au gaz ? Selon votre réponse, notre programmation sera différente.

Les industries gazo-intensives sont évidemment des clients importants et nous approuvons toutes les mesures prises en leur faveur, même si elles impliquent un transfert de charge. En outre, le système gazier n'a pas besoin de flexibilité ni d'effacement comme le système électrique. Le besoin de stockage est assuré en partie par les sites souterrains. Si, demain, des sites industriels prennent le relais, il faudra fermer des stockages souterrains, mais leur réouverture en cas de disparition de ces sites industriels serait extrêmement longue et coûteuse. Ne fragilisons pas le système gazier en fermant des infrastructures essentielles. Un débat est donc nécessaire.

Le power to gas utilise l'électricité excédentaire pour la transformer en gaz afin de fournir, en cas de besoin, de l'énergie supplémentaire, mais pas nécessairement dans une logique hiver été. L'intérêt de ce système est de valoriser une électricité inutilisable en gaz stocké.

M. Philippe Monloubou. - Le déploiement des compteurs Linky a fait l'objet d'un business plan validé par la CRE. Dans la période la plus intense, nous installerons huit millions de compteurs par an, ce qui représente la création de 10 000 emplois. Pour chacun de ces compteurs, nous devrons assurer la connexion, les remontées d'informations et l'intervention à distance. Nous avons choisi d'opérer par « taches de léopard » : toutes les entreprises, y compris les plus petites, seront sollicitées pour nous aider à installer les compteurs, même dans les endroits les plus reculés.

Nous nous sommes attachés, dans le cadre de notre politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE), à gérer au mieux la montée en charge de ces installations puis leur décroissance sur l'ensemble du territoire. Il s'agit donc de maîtrise industrielle : si nous achevons l'installation en 2020, tant mieux, mais si nous nous en tenons à 2021, ce programme fera référence, tant d'un point de vue industriel, qu'économique et numérique.

Le cahier des charges de 1992 clarifie le statut des colonnes montantes dans les immeubles. Toutes les colonnes installées après 1992 sont sous la responsabilité d'ERDF. Toutes celles qui sont antérieures sont sous la responsabilité des propriétaires. Aujourd'hui, ces derniers peuvent abandonner leurs droits au profit du distributeur, mais à condition que les ouvrages soient conformes aux règles en vigueur. Nous verrons quelles sont les conclusions du rapport prévu par la loi.

Les EnR - éolien et photovoltaïque - bouleversent effectivement la programmation car elles sont rarement installées dans les centres urbains. Or ces installations génèrent de nouveaux investissements sur les réseaux. La question en terme de programmation est la même pour les véhicules électriques : plus nous sommes associés à l'élaboration des schémas directeurs, moins ils ont d'impact sur les réseaux. Enfin, l'intégration massive d'EnR a des conséquences techniques sur les réseaux mais entraîne également des investissements massifs.

M. Franck Montaugé. - L'article 23 prévoit la mise en place d'un complément de rémunération pour les EnR. Qu'en pensez-vous ?

L'effacement de la consommation relève-t-elle de la loi ou du règlement ?

M. Gérard Bailly. - Sait-on vraiment quels seront les besoins énergétiques de notre pays en 2030 et 2050 ? Notre démographie est dynamique et les nouvelles technologies de l'information se développent : comment imaginer une diminution par deux de notre consommation ?

En France, une commune seulement sur quatre est reliée au gaz. Les réseaux vont-ils s'étendre pour réduire cette fracture dont personne ne parle ?

Si notre agriculture produit demain autant d'énergie que celle de nos voisins allemands, notre réseau fera-t-il face ?

Le rôle essentiel des communes et des syndicats d'électricité semble remis en cause : faut-il supprimer les syndicats ?

M. Roland Courteau. - En septembre, RTE a publié le bilan de la demande et de l'offre d'électricité en 2014 qui fait apparaître une dégradation de la sécurité d'approvisionnement électrique pour les hivers 2015 à 2018 à hauteur de 2 000 mégawatts. Les lois en vigueur répondent-elles à cette problématique ? Qu'en est-il des interconnexions européennes ? Les réseaux intelligents permettront-ils de mieux gérer l'offre et la demande ?

Le développement des stations de transfert d'énergie par pompage (Step) semble compromis par le Turpe qui fait payer deux fois la même énergie. Que faire ?

Il y a toujours eu un lien entre exploitation de production et réseaux de distribution d'électricité. Comment appréhender les installations d'autoproduction et d'autoconsommation ?

Le gaz n'est pas une énergie fossile comme les autres : ne devrait-on pas en tenir compte dans les objectifs de réduction de consommation ?

L'article 35 qui aménage les règles de consultation des ouvrages de stockage afin d'accélérer leur construction doit être maintenu.

M. Daniel Gremillet. - Tout industriel qui quitte le fioul pour passer à la biomasse achète une installation mixte pour plus de sécurité. Dans mon département, une entreprise souhaitant doubler son unité de biomasse et donc sa chaudière gaz a reçu une proposition outre-Atlantique à base de gaz de schiste 23 % moins chère qu'en France.

Ne va-t-on pas assister à la même compétition entre ERDF et RTE qu'entre la SNCF et RFF ?

Aujourd'hui, le réseau électrique est partout, ce qui n'est pas le cas pour le gaz. Si demain un industriel veut s'implanter sur une zone non desservie, il devra construire la ligne à ses frais, mais il pourra desservir d'autres clients. C'est un changement de mentalité.

M. Henri Cabanel. - En quoi les compteurs Linky et Gazpar permettront-ils de réduire la consommation ? Certes, tout se fera automatiquement et la consommation réelle sera facturée, mais le client devra changer ses habitudes pour faire des économies. Les nouvelles technologies ne seraient-elles pas plus à même de réduire la consommation que ces compteurs ?

M. Philippe Monloubou. - Grâce à Linky, il sera possible de s'approprier sa propre consommation et donc de la réduire à la marge en mesurant l'empreinte thermique de son logement. En outre, le client pourra comparer sa consommation à celle de référentiels nationaux : cette prise de conscience encouragera les pilotages à distance et le recours aux nouvelles technologies. Linky transmettra aussi des informations aux fournisseurs qui pourront proposer des tarifs différenciés en fonction des niveaux de consommation, d'où une économie sur la facture.

Les industriels qui construisent leur ligne peuvent accepter des raccordements ultérieurs qui participent alors au coût de l'installation.

L'autoconsommation et l'autoproduction sont des sujets d'actualité : les courbes ne se superposent pas. Les clients auto-producteurs doivent comprendre qu'ils resteront connectés à un réseau car ils continueront à bénéficier d'un service réseau. Enfin, le Turpe, organisé aujourd'hui en fonction d'une logique de consommation, devra laisser plus de place à une tarification à la puissance pour mieux refléter la nécessité d'être connecté à un réseau.

Le maillage national, bien sûr indispensable, se retrouve au niveau régional puis local où les syndicats sont absolument nécessaires, notamment en tant qu'interlocuteurs de proximité. Je ne puis en revanche me prononcer sur leur intégration dans d'autres structures.

M. Thierry Trouvé. - Personne ne sait quels seront les besoins énergétiques du pays en 2050. La parole politique est néanmoins importante, surtout si elle est assortie de mesures concrètes. Les objectifs que vous déciderez sont importants car ils fixent des caps aux opérateurs.

Le modèle allemand de culture dédiée à la production énergétique n'est sans doute pas le mieux adapté à notre pays. Il n'est pas certain que nous puissions valoriser toutes les sources de biomasse pour des raisons qui tiennent essentiellement au réseau. Le biogaz peut être transformé en chaleur et en électricité ou en biométhane injecté dans les réseaux, ce qui donne une double chance à la valorisation de la biomasse.

Un industriel peut faire jouer la concurrence pour se fournir en gaz et, effectivement, le gaz de schiste va arriver en France. Un grand opérateur électrique et gazier est en train de construire un terminal méthanier à Dunkerque et il a signé des contrats avec les États-Unis pour y acheter du gaz de schiste. La question des prix relève de négociations entre les différents acteurs.

M. Dominique Maillard. - La fin de l'obligation d'achat n'est pas rétroactive mais elle est économiquement nécessaire : le dispositif actuel, exorbitant du droit commun, donne une priorité d'accès au réseau et un prix garanti, quel que soit l'état de la demande. C'était nécessaire pour développer les filières photovoltaïques et éoliennes mais ce dispositif ne s'impose plus, surtout quand le marché est saturé, car on aboutit alors à des prix négatifs, ce qui donne de très mauvais signaux aux investisseurs. La plupart des pays européens proposent désormais des « contrats pour différence » : les producteurs d'EnR sont sur le marché mais ils bénéficient d'une modulation des prix.

L'effacement est un enjeu important : nous avons un potentiel mobilisable de près de 2,5 gigawatts, soit deux tranches nucléaires, qui pourra atteindre 6 gigawatts d'ici 2020.

L'Assemblée nationale a introduit l'article 46 bis qui définit un cadre. Il mériterait d'être précisé, notamment sur la notion d'effacement. S'agit-il d'un simple report, lorsque l'industriel ne consomme pas, mais respecte son carnet d'ordre, ou d'une vraie économie, lorsque M. et Mme Dupont choisissent de ne pas éclairer la chambre d'amis, car on ne l'utilise pas ? Cette distinction entre un effacement de report et un effacement vertueux contribuerait à instaurer un système de rémunération adapté. Des discussions sont en cours avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) pour élaborer ce système sans qu'il y ait de conséquences financières prêtant à contentieux.

Sur les prévisions de consommation à l'horizon 2030 ou 2050, j'ai moi-même participé à des travaux de prévision, et je me suis trompé comme d'autres experts. Ce n'est pas pour autant que nous ne devons pas nous fixer des objectifs à long terme.

Roland Courteau, nous avons effectivement tiré la sonnette d'alarme pour les hivers 2015, 2016 et 2017. En 2015, nous devrons mettre en oeuvre des directives européennes sur les modes de combustion qui renforceront les exigences en matière d'émissions environnementales. En France, on prévoit un risque de déclassement des installations de 8 000 mégawatts. Nous disposons d'un outil pour corriger cela, le mécanisme de capacité, qui prévoit que chaque fournisseur justifie des moyens de production ou d'effacement nécessaires à la consommation de ses clients. Le chemin est long. L'arsenal législatif est ancien. Nous attendons une série de textes réglementaires pour activer ce dispositif, afin de bien passer l'hiver. Il faudra effectivement renforcer les interconnections. Les stations de transfert d'énergie par pompage (Step) sont pénalisées par le Turpe actuel. Il faudrait convaincre le président de la commission de régulation de l'énergie (CRE). Ce n'est pas faute d'avoir essayé.

Merci de votre soutien sur l'article 35 portant sur la simplification. Certains milieux disent que la France ne respecte pas la Convention d'Arrhus. C'est faux. La loi stipule que les infrastructures linéaires sont soumises au débat public avec garant.

En plus d'être un moyen d'acheminement, un réseau de transport ou de distribution est une police d'assurance. Si l'on veut pouvoir pallier toute défaillance, il faudra multiplier par deux ou par trois nos installations, ou bien développer nos capacités de stockage. Cette valeur d'assurance que représente le réseau est trop souvent escamotée.

Diviser par deux la consommation énergétique aura des conséquences économiques directes. Notre tarification dépend du volume de soutirage. Si l'on divise par deux l'assiette, le coût unitaire sera doublé. C'est un peu, mutatis mutandis, le problème de la Poste : le trafic s'effondre, mais les Français veulent le même service qu'autrefois, ce qui implique une augmentation du prix du timbre.

Mme Sandra Lagumina. - Au-delà de nos frontières, en Asie ou en Afrique, le gaz est considéré comme une énergie qui permet la transition énergétique. La France est un pays peu gazier. Seulement 11 millions de consommateurs sont raccordés au réseau. Vous avez raison, 75 % des communes ne sont pas raccordées. Entre 2010 et 2011, nous avons constaté en France 70 000 dé-raccordements au réseau de gaz. Nous restons pourtant convaincus de l'importance de cette énergie.

En ce qui concerne la méthanisation, la clef du succès est une réflexion en amont et en aval, dans une perspective de programmation pour se rapprocher du réseau. Nous collaborons avec l'Ademe sur la question. Les projets qui réussissent sont ceux où l'origine des intrants est garantie tout en maintenant une valorisation énergétique. Il faut garder cet équilibre.

Le compteur Gazpar en tant que tel ne permettra pas de réaliser des économies d'énergie. L'étude Pöyry s'appuyant sur des expériences menées en Angleterre prévoit jusqu'à 850 millions d'euros d'économies, si la maîtrise de la demande d'énergie atteint un niveau de 1,5 à 2 %. Les distributeurs doivent développer à côté des compteurs d'autres moyens d'accès à l'information. Laissons place à la créativité : nous verrons bientôt surgir des applications gratuites pour smartphones.

Gérard Bailly, GRDF a signé 6 000 contrats de concession avec 9 500 communes. Nous sommes pragmatiques et nous nous adoptons à tous les modes d'organisation. Des doutes subsistent, pour déterminer par exemple si la compétence gaz a été transférée ou pas aux métropoles. Sur le terrain, nos interlocuteurs souhaitent que la situation soit clarifiée.

Mme Élisabeth Lamure, vice-présidente. - Je vous remercie pour la précision de vos réponses.

La réunion est levée à 18 h 35.

Mercredi 17 décembre 2014

- Présidence de Mme Elisabeth Lamure, vice-présidente, puis de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Transition énergétique pour la croissance verte - Table ronde avec des représentants de syndicats et d'associations patronales

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Mme Élisabeth Lamure, présidente - Dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, nous auditionnons des représentants du Medef, de la CGPME et de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden).

M. Michel Guilbaud, directeur général du MEDEF. - La transition énergétique représente un enjeu majeur pour les entreprises, touchant aux déterminants de leur compétitivité, au modèle même de la croissance économique ; c'est pourquoi nous avons participé activement aux travaux préparatoires de ce texte complexe, dès le lendemain de la Conférence environnementale de septembre 2012 : depuis deux ans, nous nous sommes fortement impliqués, tous secteurs confondus, dans les groupes de travail, nous avons été consultés, nous avons participé au débat national qui a ouvert sur le document final où l'on a constaté les points de divergence aussi bien que de convergence sur ce vaste sujet.

Ce projet de loi est satisfaisant par la façon dont il embrasse les enjeux tout en restant pragmatique, en prenant des rendez-vous réguliers sur l'atteinte de ses objectifs ambitieux plutôt qu'en se lançant dans une planification volontariste qui ne serait guère réaliste. La définition d'une stratégie pour une croissance à bas carbone va dans le bon sens, dès lors qu'elle est cohérente avec les engagements européens de la France.

Dans le débat, nous avons insisté sur les enjeux de compétitivité, dans un contexte où celle des entreprises françaises est extrêmement dégradée. L'énergie est l'un de nos atouts mais il est fragile et les évolutions récentes sont préoccupantes - d'où notre souhait de voir l'objectif de compétitivité au premier rang des priorités, mais aussi que le texte mentionne, au service de la transition énergétique, l'ensemble des filières industrielles et pas seulement les « filières vertes ».

La prise en compte d'un accès spécifique au réseau pour les industriels électro et gazo-intensifs est une bonne chose, mais il faut aller plus loin : nous aurons plusieurs propositions pour renforcer la portée des articles 43, 44 bis et 46 bis.

Nous nous félicitons également que l'efficacité énergétique, avec la rénovation des bâtiments, soit érigée au tout premier plan, c'est effectivement un enjeu central pour la transition énergétique et un levier de croissance pour notre économie. Nous plaidons pour la reconnaissance de l'efficacité énergétique active, et pas seulement passive, pour parvenir à mieux maîtriser la consommation énergétique.

Même chose pour la refonte du financement des énergies renouvelables : le complément de coût, proposé par ce texte, est de loin préférable au dispositif actuel, il permettra de mieux prendre en compte la réalité économique et de trouver une articulation avec le développement des entreprises françaises, plutôt que de développer des « bulles », comme avec le photovoltaïque, qui profitent surtout à des entreprises étrangères.

A côté de ces points favorables, nous voulons attirer votre attention sur des thèmes qui appellent la plus grande vigilance et sur lesquels nous aurons des propositions d'amendement.

D'abord sur le risque que la pluralité et la diversité des objectifs énoncés ne gênent le pilotage même de la transition énergétique, puisque ces objectifs sont de nature différente, certains n'étant que de moyens, et qu'ils peuvent être contradictoires ; ne vaudrait-il pas mieux séparer l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, puis dresser la liste des objectifs et des moyens au service de cet objectif fédérateur ?

Nous sommes surpris, du reste, d'avoir vu l'objectif de réduction de la consommation énergétique prendre le pas sur celui d'efficacité énergétique, les deux notions ne sont pas identiques. De même, si l'objectif de compétitivité figure à l'article 1er sur le plan qualitatif, il n'est pas repris à l'article 2, ce qui affaiblit l'aspect concret du prix de l'énergie : ce déséquilibre est regrettable, parce que le prix est un critère évident d'allocation des ressources et des choix économiques.

Ce même déséquilibre se retrouve à l'article 49 dans les volets de la programmation pluriannuelle de l'énergie ; y figurent la sécurité d'approvisionnement, l'amélioration de l'efficacité énergétique, la baisse de la consommation d'énergie primaire fossile, le soutien de l'exploitation des énergies renouvelables, le développement équilibré des réseaux, du stockage de l'énergie et du pilotage de la demande d'énergie - mais pas le critère de la compétitivité économique, qui est pourtant déterminant.

Nous souhaiterions, ensuite, une association plus explicite du monde économique au pilotage de la transition énergétique : la simple consultation au sein du Conseil national de la transition énergétique n'est pas suffisante et les entreprises pourraient être mieux représentées dans le comité des experts institué à l'article 49 bis du projet de loi.

Enfin, l'obligation introduite à l'Assemblée nationale d'un plan de mobilité pour toutes les entreprises au-delà de 50 salariés, nous paraît inadaptée à la situation de bien des entreprises en deçà de la centaine de salariés : il faut davantage tenir compte de leur réalité.

M. Jean-François Carbonne, membre de la commission « Environnement et développement durable » de la CGPME. - Ce projet de loi qui nous avait paru équilibré dans sa rédaction initiale, est plus rigide et plus à charge pour les entreprises après son passage à l'Assemblée nationale - pour ne prendre qu'un exemple, l'obligation d'afficher la durée de vie des produits poserait de sérieux problèmes aux entreprises et elle entrainerait une procédure complexe, il faut faire attention à ce que la transition énergétique ne signifie pas d'abord plus de complexité pour les PME ; ce texte affiche l'intention de protéger les PME, mais son dispositif concret va dans le sens contraire, les PME ne s'y reconnaissent pas. Même chose sur l'économie circulaire, que les députés ont ajoutée au projet initial : la démarche devait être volontaire, elle serait obligatoire, attention aux conséquences sur la vie des PME !

Nous déplorons également l'absence d'un véritable volet de formation sur la transition énergétique, alors que les PME en ont un besoin évident pour s'adapter aux changements technologiques et que c'est même une condition de réussite de la transition énergétique. Nous nous étonnons, ensuite, du nombre important d'ordonnances que ce texte prévoit, plaçant l'administration en position de définir seule les normes concrètes de la transition énergétique.

Sur le fond, les PME sont bien sûr favorables à la transition énergétique, à ce qu'une perspective claire soit dressée, c'est nécessaire aux orientations d'investissement et de recherche, nous ne contestons pas le mix énergétique ni les grands objectifs énoncés par ce texte. Mais il faut voir à quel coût une telle transition est possible : si les règles nouvelles devaient casser toute croissance, le bénéfice serait nul ; on peut avoir des objectifs de réduction de gaz à effet de serre, mais il faut que la croissance économique reste possible, ou bien nous y perdrons tous.

Le coût de l'électricité a longtemps été un facteur positif pour notre compétitivité, atténuant d'autres facteurs comme la fiscalité ou le coût du travail : attention à ne pas casser cet avantage ! Les petites entreprises, ensuite, peuvent être en situation de précarité énergétique, comme des ménages, elles auront les plus grandes difficultés à remplir des obligations nouvelles d'efficacité énergétique : pourquoi, pour les aider, ne pas leur ouvrir l'accès au fonds de garantie prévu pour les ménages ?

Nous sommes inquiets, également, de l'usage du terme « sobriété » : les entreprises n'ont pas l'habitude ni intérêt à gâcher de l'énergie, pourquoi utiliser ce terme ? L'efficacité énergétique, oui, mais la sobriété énergétique, c'est nécessairement de la décroissance ! Il faut être réaliste, sinon on décourage l'initiative, c'est regrettable.

Une étude préalable devra être conduite avant les travaux d'efficacité énergétique, c'est une bonne chose, parce qu'il faut bien s'adapter aux situations concrètes : un garage, par exemple, devra-t-il se passer de toute baie vitrée ? Ce serait tuer son activité... au nom d'objectifs définis par la loi, loin du terrain.

Nous sommes favorables, enfin, au développement des énergies renouvelables dans leur ensemble, plutôt que limité à la seule filière photovoltaïque. Le texte va dans le bon sens à cet égard ; de même l'efficacité énergétique passe-t-elle par de nombreux leviers, avec des outils comme les smart grids et les PME ont toute leur place.

M. Philippe Rosier, vice-président de l'UNIDEN. - L'énergie représente entre 10 et 25 % des coûts de production pour les quelque 700 sites industriels électro-intensifs que nous représentons, c'est donc un facteur déterminant de leur activité, d'autant plus que ces secteurs, de la chimie à la métallurgie, sont directement exposés à la concurrence mondiale. Dans une étude de juillet dernier, le Commissariat général du développement durable estime que nos secteurs ont gagné en efficacité énergétique depuis une quinzaine d'année, de 10 % pour l'acier à 20 % pour la chimie ; cependant, nous n'avons pas connu de rupture technologique : nos sites industriels s'améliorent, ils sont devenus parmi les plus « propres » au monde, ce qui revient à dire que produire en France, c'est utile à la planète car c'est produire dans les meilleures conditions pour l'environnement.

Nos concurrents, en revanche, ont pris des décisions qui leur ont procuré une énergie moins chère que la nôtre : révolution des gaz de schiste, allongement à 60 ans de la durée de vie des centrales nucléaires, vente de gaz à prix coûtant des producteurs à leur industrie nationale, rente pétrolière des producteurs de pétrole... autant d'avantages qui expliquent qu'en Europe, nous payons l'énergie jusqu'à 50 % de plus que dans les pays les plus compétitifs. Mais l'écart joue contre nous à l'intérieur de l'Europe même, c'est ce qui est nouveau : nos électro-intensifs paient leur électricité 30 à 40% plus cher, tout compris, que leurs concurrents allemands. La France n'a plus un avantage compétitif pour l'électricité, c'est ce qui a changé ces dernières années.

Grâce aux gaz de schistes, la chimie a été relancée aux États-Unis : le gaz y devenant deux à trois fois moins cher qu'en Europe, les producteurs y proposant désormais des contrats avec des prix stables sur dix ans, les industriels s'y sont précipités du monde entier, les deux-tiers des investissements proviennent d'entreprises étrangères. A l'inverse, sans chaîne de gaz domestique, l'Europe perdra la bataille du « grand export », celle des industries qui consomment le plus d'énergie et qui vont s'installer là où elle est le moins cher.

Dès lors, comment préserver des capacités de production énergétique suffisantes aux besoins des industriels européens ? Comment, aussi, se garantir contre les écarts de prix du gaz qui existent par exemple entre le nord et le sud de la France, qui ont atteint jusqu'à 20 % récemment et qui seront susceptibles de se produire jusque la fusion de nos réseaux, prévue pour 2018-2019 ?

Nous avons plusieurs propositions en la matière. D'abord, rattacher les industries « gazo-intensives » au point d'échange de gaz (PEG) Nord, pour éviter tout écart de prix jusqu'à la fusion effective des réseaux. Ensuite, mettre en place pour le gaz la boîte à outils utilisée en Allemagne, qu'il s'agisse du tarif réduit pour le transport ou de la rémunération de l'effacement, et nous avons des propositions d'amendements qui vont dans ce sens aux articles 43 et 44 bis. Enfin, il faut trouver les moyens pour que les entreprises « gazo-intensives » accèdent à des prix compétitifs sur une durée suffisante, au-delà des contrats actuels qui ne portent pas à plus de deux ou trois ans, mais aussi pour qu'elles disposent d'un accès privilégié aux terminaux méthaniers et aux unités de stockage : une table-ronde serait bienvenue sur ces sujets.

M. Stéphane Delpeyroux, président de la commission « Électricité » de l'UNIDEN. - Les entreprises électro-intensives paient, en France, leur électricité 30 à 40 % plus cher que leurs concurrentes allemandes, nous tenons à votre disposition une analyse détaillée de cette comparaison - faisant apparaître un coût de 32 euros le mégawattheure en Allemagne, contre 43 euros en France. Ce différentiel, qui est récent, appelle à agir au-delà de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), en affectant une partie de la rente hydraulique et nucléaire aux électro-intensifs, en réservant un accès spécifique au nucléaire historique et une possibilité de co-investir dans le prolongement de la durée de vie de certaines centrales nucléaires.

La comparaison avec l'Allemagne montre un avantage de nos voisins sur chacune des composantes du prix final. Les électro-intensifs allemands bénéficient d'un abattement de 90 % des frais d'accès au réseau et de transport, contre un abattement de 60 % pour les Français, soit un avantage de 60 millions d'euros contre 400 millions outre-Rhin ; nous vous suggérons de porter l'abattement à 90 % et de consolider législativement le dispositif actuel, la décision de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ayant été contestée devant le Conseil d'État, ce qui fragilise l'ensemble - alors que le mécanisme allemand, plus avantageux, a reçu l'aval de la DG Énergie de la Commission européenne. Fiscalement, notre dispositif est lui aussi fragile, puisque 6,50 euros sur 16 euros de CSPE ne correspondent pas au refinancement des énergies renouvelables : la France doit se mettre en règle avec le droit européen avant le 1er juillet prochain, l'Allemagne s'y conforme bien mieux. Le risque serait de devoir rattraper 1 milliard d'euros sur le passé et réduire le soutien de 250 à 300 millions par an pour l'avenir, c'est considérable. Enfin, nous utilisons trop peu le levier de l'effacement : le dernier appel d'offres affichait une rémunération réduite de moitié par rapport à l'an passé, les électro-intensifs y retrouvent 30 millions d'euros, contre 100 millions pour les Allemands. Au total, le transport et l'effacement représente 100 millions d'euros pour les électro-intensifs français, contre 1 milliard pour les allemands et, même, 550 millions pour les espagnols.

Notre production d'électricité est particulièrement décarbonée, il est donc d'autant plus utile de soutenir la compétitivité prix de notre électricité, que nous la produisons à moindre effet pour l'environnement : produire en France, c'est lutter contre le changement climatique.

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Je prends bonne note de vos craintes qu'une accumulation d'objectifs rende le pilotage de la transition énergétique plus difficile et qu'il serait peut-être plus efficace d'énoncer l'objectif central de réduction des gaz à effet de serre, pour lister ensuite les objectifs et les moyens venant à son service ; cependant, proposez-vous une réécriture de l'article 1er et de l'article 2 ?

Sur les énergies renouvelables, vous apportez votre soutien au complément de rémunération, aux possibilités nouvelles d'investissement participatif, y compris des collectivités locales - vous nous avez aussi déjà transmis des propositions d'amendement sur ces sujets. Je souligne, au passage, que ce texte se focalise sur le logement et qu'il ne vise pas les bâtiments du tertiaire : je n'ai pas l'intention d'ouvrir ce chapitre. Même chose pour le fonds de garantie : il n'est pas question de l'ouvrir aux entreprises, nous parlons bien des économies d'énergies dans le logement.

Nous sommes bien au fait des problèmes posés aux électro-intensifs : nous vous avons déjà auditionné et avons reçu vos propositions. Pour les « gazo-intensifs », je crois que le récent statut vous donne satisfaction, je n'ai pas l'intention pour ma part d'y revenir, même si je suis bien sûr ouvert à vos propositions d'outils nouveaux pour améliorer la compétitivité prix de nos entreprises. Enfin, vous suggérez une table-ronde, mais vous vous adressez-là au Gouvernement, c'est bien à lui qu'il revient de prendre une telle initiative, pas au Parlement...

M. Michel Guilbaud, directeur général du MEDEF. - Oui, nous vous transmettrons un projet de réécriture de l'article 1er, pour bien distinguer l'objectif central de réduction d'émissions de gaz à effet de serre, et les autres objectifs qui le servent. Fixer un objectif à 2050 n'a guère de sens pratique pour les entreprises, l'horizon est trop lointain, c'est bien pourquoi il ne faudrait pas figer les choses, sans savoir sur quel type de croissance nous serons dans quelques décennies ; le principe de rendez-vous réguliers nous paraît donc de bonne méthode.

Nous sommes effectivement favorables au complément de rémunération et nous n'avons pas de proposition d'amendement en la matière, mais la question du prix demeure : les modalités pratiques seront déterminantes.

La question de la participation des collectivités locales aux projets d'énergie renouvelable ne relève pas de nos missions ; leur apport est certainement utile, mais il ne faut pas perdre de vue que l'architecture des politiques énergétiques de notre pays doit être définie à l'échelle nationale.

M. Martial Bourquin. - Nous recevons parfaitement votre message sur l'importance des électro-intensifs pour notre économie tout entière : s'ils désertaient notre pays pour la Chine, par exemple, ce serait mauvais pour la planète puisque l'énergie serait produite dans des conditions bien plus défavorables à l'environnement, et ce serait désastreux pour nos territoires, parce que les secteurs comme la chimie ou la métallurgie, sont indispensables à toute grande nation industrielle. Ne répétons pas les erreurs que nous avons faites avec le secteur des machines-outils ! Les industriels de la vallée de la Maurienne nous l'ont dit : s'ils devaient payer leur énergie plus cher, l'activité irait soit au Canada, soit en Chine... Les Allemands ont su trouver la réponse, conciliant respect du droit européen et maîtrise du prix à long terme, pourquoi n'y arriverions-nous pas ?

Nous devons garantir à nos électro-intensifs une électricité compétitive à long terme, nous connaissons les mesures à prendre, elles passent par un accès plus avantageux au réseau, par du transport moins cher, par un meilleur effacement, il faut maintenant passer aux actes. La transition énergétique est une bonne chose, mais ne perdons pas de vue que, comme vous le dites, produire en France, c'est lutter contre le réchauffement climatique !

M. Daniel Gremillet. - Je souscris parfaitement à cette analyse. Disposez-vous, pour notre information, d'une comparaison des tarifs de l'énergie dans l'Union européenne et dans la zone euro, compte tenu des mesures de ce projet de loi ?

M. Yannick Vaugrenard. - Vous rappelez très utilement l'aspect économique de la transition énergétique, donc la nécessité d'une prospective sur les métiers de demain, sur les nouvelles filières, sur la formation, sur les réformes que nous devons conduire pour adapter notre système de formation à ces métiers. Je crois, cependant, que nous devons également renforcer la confiance de nos concitoyens dans l'industrie en général : l'affichage de la durée des produits va dans le bon sens à cet égard, même si c'est complexe, nous avons besoin de transparence pour restaurer plus de confiance.

Même chose sur le fait de fixer des objectifs à 2050 : effectivement, cet horizon est lointain, surtout pour les prévisionnistes et les économistes qui démontrent fréquemment leur capacité de se tromper même pour l'année suivante ; mais l'affichage d'une ambition est nécessaire, comme nous l'avons fait avec le Grenelle de l'environnement, c'est une dimension du politique - et nous devons, comme vous le dites, marier l'ambition et le pragmatisme, cet alliage est utile à la pédagogie politique de la réforme.

M. Michel Le Scouarnec. - Je partage pleinement l'avis que la formation représente un enjeu formidable de la transition énergétique, nous devons y travailler. Une question technique, ensuite : dans quelle proportion les outils « intelligents » vous paraissent-ils capables de faire diminuer la consommation d'énergie ? Enfin, vous proposez d'aider les très petites entreprises à investir dans la transition énergétique, mais n'est-ce pas aussi aux banques de le faire : n'y a-t-il pas une place pour des outils bancaires spécifiques ?

M. Gérard César. - Vous nous dites que l'écart de prix sur le gaz entre le Nord et le Sud de la France pourrait se prolonger jusqu'en 2018 ou 2019 : pourquoi ce phénomène est-il appelé à perdurer à ce point ?

M. Joël Labbé. -Je souscris également à plusieurs idées comme le fait que l'accumulation d'objectifs puisse brouiller le message, que nous soyons en retard pour la recherche et la formation, ou encore que la transition énergétique soit un levier de croissance. Mais le principal, cependant, c'est que la transition énergétique ouvre vers une autre forme de croissance, d'une croissance qui ne se focalise pas sur la multiplication des biens de consommation : il y a bien une rupture de logique de développement. La chimie américaine se relance, mais à quel prix ? Des centrales nucléaires prolongées au-delà de soixante ans de service, l'exploitation de gaz de schistes, l'accès asymétrique aux ressources d'Amérique latine : est-ce là votre modèle de société ? Ce n'est, en tout cas, pas le nôtre... Ce que nous voulons, plutôt, c'est une gouvernance mondiale de l'énergie, elle est nécessaire, la France et l'Europe ont tout leur rôle à jouer - en particulier sur le continent africain.

Vous nous dites encore que l'horizon 2050 est trop lointain, mais c'est bien ce qui distingue le politique, notre rôle est aussi de tracer des perspectives, au-delà de l'action quotidienne, surtout en matière d'énergie où les investissements sont de long terme.

Enfin, le terme de « sobriété » vous hérisse le poil, parce que vous l'associez à la décroissance, mais vous n'y êtes pas : la sobriété est une qualité, qui ouvre non pas sur un repli, mais sur une autre forme de croissance.

M. Roland Courteau. - Je partage ce propos... La transition énergétique est un levier de développement économique, de croissance verte, de sortie de crise. Une question technique : que pensez-vous de l'expérimentation prévue à l'article 59 sur le déploiement de réseaux électriques intelligents ou de dispositifs de gestion optimisée de stockage et de transformation des énergies ? Quelles sont vos observations, ensuite, sur l'article 46 bis ?

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Mes chers collègues, compte-tenu de notre ordre du jour, je vous propose que nos invités vous répondent par écrit - et je remercie chacun d'entre vous pour ce débat.

Règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport et le texte de la commission sur la proposition de résolution européenne contenue dans le rapport n° 134 (2014-2015), adoptée par la commission des affaires européennes en application de l'article 73 quinquiès du Règlement, sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. - La commission des affaires européennes du Sénat a adopté à l'unanimité, le 27 novembre dernier, une proposition de résolution européenne concernant les accords commerciaux Europe-Canada et Europe-États-Unis.

Ces accords en sont à des étapes différentes. L'accord avec le Canada, dit CETA, a été initié en 2009. Les négociations se sont conclues en octobre 2014. Nous allons entrer dans la dernière phase, avant ratification par l'Union européenne, mais aussi par les États membres, car cet accord a un caractère « mixte » : il touche à des compétences communautaires comme à des compétences nationales.

L'accord avec les États-Unis ou partenariat transatlantique, dit TTIP, a été lancé plus tardivement. La Commission européenne a reçu du Conseil un mandat de négociation en juin 2013 et les discussions ont commencé dans la foulée. Nous en sommes au septième cycle de négociations, qui avancent très lentement. La fin du processus n'est pas une perspective proche.

Autant l'accord avec le Canada a eu peu d'écho médiatique, comme l'accord bilatéral qui vient d'être conclu avec Singapour, autant le TTIP suscite un intérêt dans l'opinion, mêlé de critiques et de craintes. Le contenu de l'accord avec le Canada peut cependant être perçu comme une préfiguration de ce qui pourrait se conclure avec les États-Unis.

Début juin 2013, notre commission, sur le rapport du Président Daniel Raoul, avait pris position sur l'ouverture des négociations en vue du partenariat transatlantique, en adoptant une proposition de résolution européenne, devenue résolution du Sénat, qui approuvait le lancement de négociations, mais en émettant de nombreuses réserves.

Concernant le champ de la négociation, notre commission demandait une grande vigilance sur les questions agricoles, réclamant notamment la protection des indications géographiques. Notre commission demandait aussi l'exclusion du champ de la négociation des services audiovisuels ou encore des marchés de défense. Elle a été entendue car ces questions ne figurent pas dans le mandat de négociation.

Concernant le sens de la négociation, le Sénat demandait que la convergence réglementaire transatlantique ne conduise pas à un nivellement par le bas, en particulier en matière de normes environnementales.

Le Sénat recommandait aussi une plus grande transparence dans les négociations, avec le retour régulier des négociateurs devant le comité de politique commerciale auprès du Conseil des ministres de l'Union européenne et l'information des autorités nationales. Le Sénat demandait aussi au Gouvernement de fournir au Parlement une étude d'impact du TTIP en France.

Enfin, le Sénat souhaitait que le TTIP ne contienne pas de dispositif d'arbitrage pour le règlement des différends entre investisseurs et États, car cela paraissait de nature à remettre en cause la capacité des États à légiférer. Sur ce point, le Sénat n'a pas été entendu, car le mandat de négociation du TTIP précise que le futur accord pourra prévoir ce mécanisme.

Le 30 octobre dernier, soit moins de 18 mois après que notre commission a examiné la question du TTIP, notre collègue Michel Billout a déposé une nouvelle proposition de résolution européenne qui pose une double question : celle de la transparence dans les accords commerciaux bilatéraux et celle du règlement des différends entre États et investisseurs privés.

L'examen par la commission des affaires européennes de cette proposition de résolution l'a fait évoluer.

Sur la question de la transparence, la commission des affaires européennes a repris la proposition de résolution initiale. Elle demande que le Gouvernement agisse auprès des institutions européennes pour davantage d'information et de contrôle démocratique sur les négociations des accords commerciaux et réclame que les deux chambres du Parlement aient accès aux documents de négociation et soient associées aux travaux du Conseil.

Sur ce point, il faut reconnaître que les derniers mois ont permis d'enregistrer de nets progrès. Le projet d'accord avec le Canada a été publié en octobre - il fait 1 634 pages ! Après des pressions multiples, dont celle de la France, le mandat de négociation du TTIP a également été publié par la Commission européenne le 9 octobre : l'autorisation unanime du Conseil était nécessaire et a été obtenue. Le comité stratégique de suivi des négociations du TTIP a été modifié, avec un collège associant les parlementaires nationaux -députés et sénateurs- et députés européens, et un autre collège rassemblant les acteurs de la société civile : ONG, syndicats, fédérations sectorielles. Le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, Mathias Fekl, a annoncé qu'il réunirait fréquemment le comité stratégique de suivi et a demandé la création de groupes de travail thématiques en son sein.

La proposition de résolution suggère enfin au Gouvernement de présenter au Parlement un rapport annuel sur la stratégie globale de la France et de l'Union européenne en matière d'accords commerciaux et d'accords de protection des investissements. Le ministre a fait savoir qu'il était disposé à préparer un tel rapport, qui serait utile pour donner de la visibilité à la politique commerciale extérieure de la France.

Sur la transparence, la proposition de résolution est donc exigeante mais équilibrée.

La deuxième grande question abordée, plus délicate à traiter, porte sur le recours à l'arbitrage pour le règlement des différends entre États et investisseurs.

Le recours à l'arbitrage privé en cas de litiges entre un investisseur et un État, dit mécanisme ISDS (Investor-State Dispute Settlement) est prévu par de multiples accords internationaux sur la protection des investissements (API). Le rapport de Michel Billout recense près de 100 accords signés par la France qui contiennent des clauses d'arbitrage.

Cet outil a accompagné le développement des investissements directs à l'étranger et répond à l'objectif de protéger les investisseurs contre les abus des États. D'ailleurs, plus de la moitié des demandes d'arbitrage provient d'investisseurs européens.

Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), adossé à la Banque mondiale, administre les procédures d'arbitrage, mais n'a aucun monopole : les parties peuvent choisir une multitude d'organismes spécialisés dans l'arbitrage, comme la Cour internationale d'arbitrage de Paris ou la Cour permanente d'arbitrage de La Haye.

Le but de ces clauses dans les accords de protection des investissements consiste à assurer la protection contre des traitements injustes ou inéquitables, permettre les transferts de capitaux ou encore lutter contre l'expropriation directe ou, plus souvent indirecte, des investisseurs.

Mais cette protection de l'investissement doit se combiner avec la préservation du droit des États de règlementer, de mener les politiques publiques qu'ils souhaitent. D'ores et déjà, les accords excluent qu'une entreprise puisse demander à être indemnisée suite à la décision d'un État, simplement si cette décision réduit ses profits.

Il n'en reste pas moins que la liberté pour un État de décider des politiques publiques qu'il veut mener peut être amoindrie par le risque économique de devoir indemniser des entreprises s'estimant lésées par ces politiques.

Certaines demandes d'arbitrage sur le fondement de l'expropriation indirecte peuvent paraître tout à fait abusives, comme celle de la société suédoise Vattenfall, qui exploite deux centrales nucléaires en Allemagne et lui réclame 4,7 milliards d'euros d'indemnisation suite à la décision prise par le pays, en 2011, de sortir du nucléaire, ou encore celle de la société Philip Morris contre l'Australie ou l'Uruguay, suite à la décision de ces États d'imposer le paquet neutre, ou de couvrir 80 % de la surface des paquets de cigarettes d'avertissements de santé publique.

La proposition de résolution porte une lourde critique des mécanismes ISDS. Surtout, elle appelle à examiner avec la plus grande vigilance celui négocié dans l'accord CETA avec le Canada, qui pourrait constituer un précédent, et préfigurerait le mécanisme retenu dans le futur TTIP.

La nécessité de clauses d'arbitrage peut tout à fait être discutée car il existe d'autres dispositifs de règlement des différends. Le premier est celui des règlements interétatiques des différends mis en oeuvre dans le cadre multilatéral au sein de l'Organe de règlement des différends (ORD) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais il présente un inconvénient : la seule issue au conflit est soit la renonciation par l'État membre de l'OMC à une mesure non conforme aux règles du commerce international soit l'imposition par l'État s'estimant lésé de mesures de compensation. En outre, les investisseurs privés dépendent de la volonté des États de protéger ou non les intérêts de leurs entreprises.

Un autre mécanisme consiste pour les entreprises privées à saisir la justice ordinaire : après tout, Europe, Canada, États-Unis sont des États de droit qui disposent d'un système judiciaire robuste et digne de confiance auquel tout opérateur économique, qu'il soit un opérateur national ou non, peut confier ses litiges. Or, ce recours direct aux tribunaux n'est pas toujours possible : ainsi la justice américaine exige une clause expresse d'application directe des traités, rarement accordée par le Congrès dans l'acte de ratification, pour permettre aux entreprises de saisir la justice contre les règlementations fédérales ou des États.

La proposition de résolution marque une préférence pour l'absence de clause de recours à l'arbitrage. Elle s'inscrit dans la droite ligne de la précédente résolution du Sénat sur le TTIP, qui réclamait l'absence de clause de ce type. Mais la commission des affaires européennes a fait évoluer la proposition initiale en ne fermant pas totalement la porte à l'arbitrage.

La renégociation des chapitres 10 et 33 de l'accord CETA avec le Canada paraît délicate : le Canada pourrait exiger en contrepartie la réouverture d'autres chapitres de la négociation, et les États membres ne sont pas tous d'accord avec cette approche. Si l'Allemagne est réticente vis-à-vis de la clause d'arbitrage, 14 États membres, parmi lesquels les pays d'Europe du Nord, y sont beaucoup plus favorables.

Une position équilibrée consiste à rechercher des améliorations du mécanisme d'arbitrage. C'est la voie choisie par la Commission européenne, qui a lancé une consultation publique sur la clause ISDS dans le TTIP. Plusieurs dispositions peuvent être envisagées : l'encadrement de la notion d'expropriation indirecte, en rappelant que les États disposent d'un droit plein et entier à réglementer et à poursuivre des objectifs légitimes des politiques publiques, sans que cela justifie une indemnisation des investisseurs privés ; une définition précise des actions autorisées et non autorisées, afin de mieux cerner la notion de traitement juste et équitable des entreprises ; la pénalisation des investisseurs auteurs de recours abusifs, par exemple en mettant à leur charge les coûts de la procédure d'arbitrage, soit en moyenne 7 millions d'euros par affaire ; l'instauration d'une plus grande transparence dans l'arbitrage, avec la publication des actes et la prévention des conflits d'intérêt des arbitres, à travers notamment la publication des déclarations d'intérêt ; la mise en place d'une cour d'appel des décisions des tribunaux d'arbitrage privés, afin d'aboutir à une unité de jurisprudence.

La question du règlement des différends par l'arbitrage est, en somme, une question très délicate. Au Canada, où je m'étais rendu en septembre dernier avec la délégation conduite par Daniel Raoul, j'ai pu mesurer combien nos interlocuteurs y étaient sensibles.

La proposition de résolution marque une hostilité à cette solution, tant que le maximum de garde-fous ne sera pas mis en place. Je propose de conserver cette approche prudente, voire méfiante, sans condamner brutalement l'arbitrage, qui peut répondre dans certains cas de figure à l'objectif de protection juridique des investissements, non seulement dans des pays en développement disposant d'un appareil judiciaire qui peut être soumis au pouvoir politique, mais aussi dans des pays développés disposant de systèmes judiciaires autonomes du pouvoir politique et respectueux des droits des investisseurs.

C'est pourquoi je ne vous soumets aucun amendement, et propose d'adopter cette proposition de résolution européenne sans modification, suite au vote unanime émis fin novembre par la commission des affaires européennes.

M. Gérard César. - Je remercie notre rapporteur. Je veux insister sur le rôle des indications géographiques protégées (IGP), essentiel en matière agricole. Or, le Canada et les États-Unis veulent changer les règles du jeu. Dans le domaine viticole, les Etats-Unis prétendent ainsi enregistrer sur Internet des noms de châteaux ne correspondant pas à un terroir.

M. Gérard Bailly. - Je m'interroge sur l'effet de telles résolutions. Certes, elles peuvent venir en appui à notre Gouvernement face à Bruxelles, mais quelle est, en la matière, l'attitude des autres États membres ? Les précédentes résolutions européennes que nous avons adoptées ont-elles été suivies d'effets ?

Nous en savons bien peu sur la teneur des échanges en cours avec les États-Unis. Nous avons été alertés par l'Association nationale inter-professionnelle du bétail et des viandes (Interbev) sur les échanges massifs de viandes qui pourraient résulter du traité, alors que notre agriculture est déjà à la peine. Pas plus tard qu'hier, notre collègue de Côte d'Or interpellait le ministre sur la situation des agriculteurs de son département. J'ai bien noté que la négociation comporte un volet relatif à la protection des normes sociales et sanitaires et les appellations, mais j'aimerais savoir, au-delà, sur quels produits va porter l'accord.

M. Martial Bourquin. - Au-delà de la volonté de transparence sur les négociations qui s'est manifestée, on sent monter, en Europe, des interrogations sur la question de l'arbitrage. Notre droit européen doit pouvoir s'imposer dans les relations commerciales. Or, l'expérience montre que les tribunaux d'arbitrage mettent toujours en défaut les États. On sait ce qu'est notre législation sur les OGM. Peut-on imaginer qu'un tribunal d'arbitrage puisse, demain, nous contraindre à y revenir ? Nous avons une conception différente des États-Unis dans bien des domaines - voyez, par exemple, le traitement des volailles. Comment pourrons-nous, demain, défendre nos choix ?

On nous dit que les parlements nationaux seront consultés à chaque étape, mais c'est maintenant que nous avons besoin de transparence. L'accord à venir ne doit pas être un simple copier-coller de l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena). Le marché européen, qui reste le plus grand du monde, avec un fort pouvoir d'achat, suscite bien des convoitises, notamment aux États-Unis. Il n'est pas question de le laisser pénétrer de toutes parts sans réciprocité. Or, les États-Unis sont un des pays les plus protectionnistes au monde. Voyez comment ils ont bloqué, en 48 heures, les importations de textile ou de panneaux solaires.

Le manque de transparence sur des négociations engagées depuis des années est dommageable. Les Allemands sont comme nous en alerte, dans la crainte que la règle de l'arbitrage n'en vienne à mettre en cause les législations nationales. On peut craindre non seulement pour nos IGP, mais aussi pour nos industries, nos savoir-faire, qui risquent d'être mis en concurrence, demain, sans réciprocité.

M. Jean-Pierre Bosino. - Nous soutiendrons la position de la commission des affaires européennes, qui a su trouver un équilibre sur ses deux points importants, et d'abord sur la nécessaire transparence dans la négociation. Je souscris pleinement aux propos de Martial Bourquin : il n'est pas normal qu'un traité de cette importance soit négocié dans l'opacité, à l'insu des parlements et des peuples. S'il est vrai que tout le monde ne peut pas se plonger dans un document de 1 634 pages, les parlements peuvent et doivent le faire, c'est une question de démocratie.

Concernant les tribunaux d'arbitrage, la commission des affaires européennes est parvenue à une position équilibrée. Je suis plutôt en faveur de leur interdiction, mais il faut savoir entendre tous les points de vue. Sous réserve que prévale la transparence quant à la désignation des juges et au déroulement de la procédure, il peut être envisageable, sur des affaires particulières, de les accepter. Des sommes importantes sont en jeu et la place de Paris est une place importante dans ce type de règlement, qui n'est pas, soit dit en passant, à la portée de toutes les entreprises si l'on en croit le coût moyen de la procédure - vous avez évoqué 7 millions d'euros.

M. Alain Chatillon. - Nous avons beaucoup débattu, au sein de la commission des affaires économiques, des OGM. L'existence de réglementations différentes n'est pas pour rien dans les difficultés que rencontrent nos agriculteurs, qui ne sont plus, faut-il le rappeler, que 436 000 aujourd'hui quand ils étaient 2,2 millions dans les années 1980. Alors que la France importe plus de 1,5 milliard de tonnes de protéines végétales OGM, qui arrivent de l'étranger dans nos ports, on interdit à nos agriculteurs d'être compétitifs. M. Joël de Rosnay et d'autres grands chercheurs ont beau dire, nos animaux consomment à 90% des OGM. Nos jeunes s'expatrient, notre agriculture fait naufrage, et nous nous interdisons de produire des OGM, alors qu'il faudrait, pour redevenir compétitifs, parvenir à un rééquilibrage à 120 ou 130 euros à l'hectare.

Autre remarque : il serait peut-être temps de revisiter le rapport qu'avec Martial Bourquin j'avais signé en 2010, et qui faisait suite à nos travaux sur la désindustrialisation des territoires. C'est bien la vocation de notre commission que de se pencher sur la situation de l'industrie.

M. Yannick Vaugrenard. - Nous devons faire preuve d'une grande vigilance sur les questions extrêmement complexes que soulève cette proposition de résolution. Alors que des négociations sont en voie d'aboutir entre la Russie et la Chine, entre la Russie et l'Inde, tandis qu'un pays comme le Brésil entre sur la scène de la négociation, nous ne pouvons rester l'arme au pied. L'Europe est le plus grand marché du monde, mais les choses bougent vite... Pour autant, il ne faudrait pas que l'accord en cours de négociation soit un marché de dupes. La transparence est un impératif, et il est bon que nos parlements soient appelés à se prononcer en dernière instance. Mais cela amène du même coup une question : du côté des États-Unis, si l'accord est signé au niveau fédéral, qu'en sera-t-il pour chacun des États américains ? Auront-ils la faculté de refuser l'accord ?

M. Joël Labbé. - L'opacité sur les négociations est inadmissible. Les peuples européens sont parfaitement capables d'en analyser les données et d'émettre leur point de vue. Les exemples rappelés par le président Lenoir sur les tribunaux d'arbitrage en montrent les limites.

Les choses ont bien changé en vingt ans. Nous sommes désormais dans un grand marché libéral qui s'ouvre au gré d'accords bilatéraux. Le sommet de Paris sur le climat sera essentiel pour l'avenir de la planète : il est vital de parvenir à une gouvernance dans le domaine de l'alimentation.

Laissera-t-on sans réagir la viande bovine américaine venir concurrencer nos marchés, alors que nous produisons des viandes de grande qualité ? Une étudiante de Berkeley me disait récemment que si l'agriculture américaine est grande exportatrice, elle nourrit très mal la population américaine et entraîne, en particulier pour les plus pauvres, tout un cortège de problèmes de santé. Au point que l'on voit se développer, sous la pression des habitants des villes qui aspirent à se nourrir de produits sains, une agriculture périurbaine alternative, fondée sur la permaculture et les circuits courts. Il en va de même au Canada. Les Américains ne veulent pas des produits de l'agriculture industrielle.

L'Institut national de recherche agronomique (INRA) a développé, sur le site de Mirecourt, dans les Vosges, une ferme expérimentale visant à développer deux modèles d'agriculture alternative, l'un fondée sur le système herbagé, cher à André Pochon, l'autre sur un mélange entre cultures et élevage. La preuve a été faite qu'en dix ans, de tels modèles alternatifs deviennent plus rentables que l'agriculture industrielle.

Une étude de l'université de Berkeley démontre quant à elle que le différentiel entre agriculture industrielle et agriculture biologique, dès lors que l'on met en place cultures associées et rotations de cultures, n'est plus de 20 % mais de 8 % à 9 %. Si l'on ne veut pas voir notre agriculture s'américaniser, la France, dont la voix est attendue en Europe, doit le clamer haut et fort.

M. Michel Magras. - J'apprécie les propos de Martial Bourquin sur l'exigence de réciprocité. J'en profite pour dire que je suis toujours surpris de constater que lorsque l'Europe fixe des règles à transposer, la France va systématiquement plus loin que ce qui était prescrit. Avec des conséquences parfois beaucoup plus importantes qu'on ne l'imagine.

Lorsque la France signe, directement ou via l'Union européenne, un accord avec un pays comme les États-Unis, la réciprocité ne joue pas de la même manière pour tout le monde. En matière de transport aérien, par exemple, il y aura sans problème réciprocité entre les aéroports de Roissy et JFK de New-York, mais dans les petites îles comme la mienne, je puis vous dire que l'avantage va à 90 % aux États-Unis, et que les petites sociétés françaises n'obtiennent aucun retour.

Je suis choqué des propos de Joël Labbé à l'encontre des Américains. On ne saurait assimiler une population entière à ses dirigeants. Quant à ce qu'il a dit de la qualité de vie des Américains, c'est un tissu d'idées fausses. Quand on avance quelque chose de tel, il faut pouvoir en faire la preuve. La situation géographique de mon île veut que je côtoie de nombreux Américains, dont je ne retrouve rien dans le portrait, très dur à l'égard de ce grand pays, qu'il a brossé.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. - Pour répondre à Gérard César sur les IGP, je rappelle que sur les 173 qui figurent dans le CETA, 42, soit un quart, sont françaises.

M. Gérard César. - Il en manque tout de même 120.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. - Nous avons obtenu une large satisfaction et espérons obtenir autant dans l'accord avec les États-Unis. S'agissant des châteaux et de leur enregistrement en noms de domaine, c'est un problème qui relève de la gouvernance de l'internet.

Gérard Bailly s'est interrogé sur le sort de nos résolutions. Je puis l'assurer que ces initiatives sont utiles. Nous avons marqué nos exigences en matière de transparence, et obtenu satisfaction. On est bien loin de la situation qui prévalait il y a dix ou vingt ans, quand le Parlement ne voyait arriver les textes européens qu'une fois bouclés, pour ratification.

M. Gérard César. - Bien souvent en peine nuit.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. - Nos commissions sont aujourd'hui étroitement associées aux démarches de l'exécutif. Cela étant, la proposition de résolution européenne porte sur la transparence, pas sur le contenu du TTIP, guidé par le mandat de négociation, qui déterminera le cadre de la discussion. Un groupe de travail sera mis en place avec la commission des affaires européennes pour assurer un suivi : c'est un maillon supplémentaire. Nous n'en sommes pas, sur le TTIP, au même point que sur le CETA, loin de là, mais il est clair que le contenu du CETA aura inévitablement un impact sur le TTIP.

Les OGM, Martial Bourquin, ne font pas partie de la négociation.

M. Martial Bourquin. - Le boeuf aux hormones, en revanche...

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. - La question de la réciprocité est fondamentale. Nous l'avons posée au Canada, au sujet du secteur des services. C'est une question récurrente. C'est par un système de règlement des différends que nous pourrons contraindre un État à ouvrir son marché, mais nous sommes, comme vous l'avez compris, plus que prudents sur l'arbitrage. Nous serons d'autant plus vigilants sur le TTIP que nous avons déjà eu l'occasion d'exprimer notre préoccupation au sujet de l'accord avec le Canada.

Jean-Pierre Bosino juge la transparence insuffisante. Mais une volonté unanime de la voir se développer s'est manifestée, et c'est ainsi que nous avons obtenu la publication du mandat de négociation sur le TTIP.

Faut-il refuser ou encadrer l'arbitrage ? Certains États membres, comme l'Allemagne, y sont très réticents, mais dans la mesure où l'Europe n'échange pas seulement avec des pays dont le système judiciaire est indépendant, elle a intérêt à l'arbitrage.

Alain Chatillon est revenu sur les OGM. Mais la question de la mise en culture n'est pas celle de la commercialisation. La signature du TTIP ne saurait conduire à autoriser la mise en culture en Europe. Cela étant, j'ai été frappé par le discours très offensif qu'a tenu à Lima l'ancien président de la République du Mexique, M. Calderon, qui a clairement posé la question des techniques propres à assurer une productivité suffisante pour nourrir, demain, la planète.

Le rapport sur l'industrie pourrait en effet, ainsi que vous le suggérez, être revisité.

Yannick Vaugrenard nous appelle à la vigilance : c'est précisément l'objet de cette proposition de résolution européenne. S'agissant de l'application du traité par les États-Unis, le mandat de négociation est clair : l'accord deviendra obligatoire à tous les niveaux de Gouvernement, ce qui signifie qu'un État américain ne pourra s'en exempter. Sachant qu'en Europe, les parlements nationaux auront à se prononcer sur la ratification, j'avais posé la question lors de notre voyage au Canada : les provinces, de la même manière, seront appelées à se prononcer.

Je rappelle à Joël Labbé que l'article 8 du mandat de négociation fixe un objectif de développement durable.

Il est vrai, Michel Magras, que la France va souvent plus loin que les exigences européennes. Il est vrai aussi que la réciprocité dans les accords pose problème, et c'est pourquoi il faudra être vigilant quant à leur application.

Cela dit, l'accord avec les États-Unis n'est pas pour demain. Nous avons quelques années devant nous. Il nous faudra suivre de près la négociation, et c'est bien pourquoi un dispositif opérationnel a été mis en place à cette fin.

Le rapport est adopté à l'unanimité.

Communications diverses

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Comme l'a souhaité le président du Sénat, notre commission et la commission du développement durable mèneront des travaux hors les murs sur la transition énergétique. Nous nous rendrons à Bordeaux, le lundi 12 janvier, pour une table ronde avec des start up du monde de l'énergie et de l'écoconstruction, une autre consacrée à la mobilité, ainsi que la visite d'un écoquartier.

M. Martial Bourquin. - Je crains qu'avec la période électorale qui va s'ouvrir jusqu'en mars, cela ne se révèle assez lourd.

J'ajoute qu'il serait bon que nous trouvions un équilibre entre commissions et séance : nous avons passé la journée d'hier en auditions alors que le projet de loi portant nouvelle organisation de la République était débattu en séance...

M. Jean-Claude Lenoir, président. - C'est bien pourquoi j'ai choisi un lundi de janvier.

J'indique que le projet de loi relatif à la transition énergétique est à l'ordre du jour de la semaine du 9 février, et éventuellement de celle du 16 février.

M. Martial Bourquin. - Si nous siégeons en commission le lundi, faisons en sorte d'être libérés les jours suivants, pour pouvoir être en séance.

M. Jean-Claude Lenoir, président. -.Nous nous réunirons pour l'examen du rapport sur le projet de loi relatif à la transition énergétique les mardi 27 et mercredi 28 janvier. Sachant que la commission du développement durable se sera réunie la semaine précédente pour l'examen des articles qui lui ont été délégués au fond et de ceux dont elle s'est saisie pour avis, je vous propose de fixer le délai limite pour le dépôt des amendements au vendredi 16 janvier, à 17 heures.

La réunion est levée à 12 h 10.

Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF-Suez

La réunion est ouverte à 14 h 30.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous accueillons M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF-Suez, groupe qui est un acteur mondial dans le domaine de l'énergie. Monsieur Mestrallet, quelle est votre position sur le texte adopté par l'Assemblée nationale ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF-Suez. - La transition énergétique revêt une importance majeure pour GDF-Suez. En février 2014, l'entreprise a redéfini sa stratégie. Elle se fixe désormais deux objectifs : être le leader de la transition énergétique en Europe et l'énergéticien de référence dans les pays à croissance rapide, en particulier le monde émergent.

Après cinquante années de stabilité, le secteur de l'énergie connaît depuis dix ans des transformations spectaculaires, parfois brutales, liées à la dérégulation du marché européen et surtout à des innovations technologiques. Les unités de production électriques ont vu leur taille diminuer de manière drastique, les techniques numériques suscitant des progrès considérables ; la révolution du gaz de schiste fait des États-Unis des exportateurs de gaz - nous ambitionnons, à GDF Suez, de devenir le premier exportateur de gaz liquéfié des États-Unis. La transition énergétique correspond au passage d'un monde ancien, caractérisé par une production électrique centralisée, réalisée dans de grandes centrales en situation de monopole, à un monde nouveau, marqué par une production au plus près des territoires, avec un rapport à l'énergie renouvelé, chacun souhaitant maîtriser la consommation et s'inquiétant aussi des modalités de production.

Pendant de nombreuses années, le coût des énergies renouvelables est demeuré élevé de sorte que le développement de celles-ci était dépendant de subventions très importantes ; bientôt, leur coût sera inférieur aux prix de marché. C'est d'ores et déjà le cas en Europe du Sud en ce qui concerne l'énergie solaire. Cette situation sera généralisée dans quinze ans.

La transition énergétique se produit partout, car les technologies nouvelles sont accessibles dans le monde entier ; plus de la moitié des capacités en énergies renouvelables se situent dans les pays émergents. En l'absence de croissance économique, la consommation énergétique par habitant diminue en Europe depuis 2008. C'est une rupture historique. À l'inverse, dans les pays émergents, les besoins en énergie sont gigantesques. En Europe, l'augmentation des capacités de production des énergies renouvelables condamne des unités de production traditionnelles : le monde nouveau chasse l'ancien, alors que les deux cohabitent dans les pays à croissance forte. Cela est particulièrement visible en Allemagne, où de nombreuses centrales thermiques ont fermé, moins en France du fait de la prépondérance du nucléaire. Le groupe Magritte, qui réunit de grands groupes européens du secteur, a établi, concernant les centrales à gaz, que 70 gigawatts de capacités avaient disparu en Europe. Pour notre part, nous avons regroupé nos centrales thermiques conventionnelles au sein d'une business unit dont nous avons immédiatement déprécié les actifs de 15 milliards d'euros. Parallèlement, nous avons créé une autre unité dédiée aux énergies renouvelables en Europe. Nous n'investissons plus dans le conventionnel ; nos investissements dans les énergies nouvelles vont passer de 7,5 milliards d'euros en 2013 à 9 à 10 milliards d'euros par an pour les prochaines années et concerneront toutes les filières de l'électricité, de la chaleur et du gaz renouvelable : solaire photovoltaïque et à concentration, éolien terrestre et off shore, biomasse, géothermie, micro-cogénération, micro-pompes à chaleur et biogaz.

GDF-Suez est la première entreprise mondiale en matière d'efficacité énergétique : cette activité occupe 100 000 salariés et dégage un chiffre d'affaires de 15 milliards d'euros. Initialement implantés en Europe seulement, nous sommes désormais présents dans le monde entier après avoir réalisé des acquisitions au Chili, au Brésil, à Singapour, en Chine, aux États-Unis et en Australie. L'efficacité énergétique est consubstantielle à la transition énergétique ; c'est par ailleurs une industrie de main d'oeuvre alors que la production énergétique est essentiellement capitalistique.

Notre troisième axe de développement dans les énergies nouvelles concerne les techniques digitales qui transforment notre activité ainsi que les attentes de nos clients.

Je voudrais évoquer un instant E.ON, première entreprise allemande dans le secteur de l'énergie, tous secteurs confondus, pendant cinq ans. Violemment touchée par ce passage de l'ancien monde au nouveau, elle a scindé ses activités pour se séparer des anciennes et ne conserver que les énergies nouvelles, dans lesquelles elle est aujourd'hui un acteur plus petit que GDF-Suez.

La loi sur la transition énergétique en discussion est très importante pour GDF-Suez et notre appréciation en est globalement positive. Nous craignions une loi sur le nucléaire. Nous sommes heureux de constater que tel n'est pas le cas. La réduction des énergies fossiles en énergie primaire avec la priorité donnée à la baisse des énergies les plus émettrices va dans le bon sens, de même que l'attention portée à la rénovation des bâtiments - le passeport rénovation faisait partie des 22 propositions faites par GDF-Suez dans le débat national sur la transition énergétique. Nous saluons le renouvellement du cadre légal pour les concessions électriques sur le modèle de la Compagnie nationale du Rhône ainsi que l'amorce de simplification administrative pour le développement des énergies renouvelables (EnR). La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) constitue un autre point intéressant car nous avons besoin d'une visibilité sur le long terme pour réaliser des investissements ; l'annonce d'un renforcement du fonds chaleur est aussi une bonne chose. Le texte est ambitieux, équilibré. Il fait largement écho à nos propositions lors du débat national.

Des améliorations sont possibles : la filière naissante du biométhane offre un potentiel important de production d'un gaz d'origine française renouvelable. Elle revêt d'autant plus d'intérêt que la France a fait le choix de ne pas exploiter le gaz de schiste, choix que nous n'avons jamais discuté. Nous suggérons d'inscrire dans la loi, ou au moins dans la PPE, un objectif chiffré d'insertion de biométhane dans le réseau de gaz naturel de 10 % à horizon 2030.

Le gaz comme carburant est une solution complémentaire à l'électricité. Dans tous les pays du monde, à l'exception de la France, le gaz est considéré comme une énergie propre, flexible, abondante appelée à prendre une part croissante dans le mix énergétique. La Chine a compris que la meilleure manière de réduire la pollution des villes consiste à transformer les équipements fonctionnant au charbon en équipements à gaz. La pollution provient en effet des particules diesel et du charbon. Nous accompagnons les grandes métropoles chinoises dans cette politique. Le gaz doit être utilisé dans les transports publics. À Séoul, à Santiago, à Buenos Aires, à Barcelone, les bus fonctionnent au gaz.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Pas à Lima !

M. Gérard Mestrallet. - Ils vont peut-être s'y mettre ! On pense spontanément au véhicule électrique pour réduire la pollution. Nous avons présenté des solutions gaz à la RATP : 900 de ses bus fonctionneront bientôt au biogaz produit à partir de la méthanisation. Il conviendrait d'encourager les carburants alternatifs pour le transport terrestre ou maritime. Le développement des EnR électriques doit être ambitieux, sans dérive des coûts. À cet égard, la PPE est un très bon instrument. Il est nécessaire de disposer d'une photographie des coûts des différentes filières technologiques afin de pouvoir encourager les filières les plus compétitives et ajuster les trajectoires si des dérives se manifestent.

Il faut aller plus loin dans la simplification administrative. Pourquoi la France a-t-elle dix fois moins d'énergie renouvelable que l'Allemagne ? La complexité administrative nous a protégés de bien des excès mais elle est actuellement source d'immobilisme. Les délais nécessaires à l'obtention des permis d'exploitation des méthaniseurs biogaz - 5 ans en France contre 18 mois en Allemagne - découragent les initiatives. Nous proposons de supprimer le permis de construire pour les éoliennes et de prévoir une seule autorisation au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).

Les acteurs du marché doivent être placés dans des conditions de concurrence équitables : tous doivent avoir accès aux informations sur les coûts de production des EnR. Il doit être mis fin au monopole de l'obligation d'achat confié à EDF qui a finalement conforté sa position dominante. Il serait plus logique que le versement du complément de rémunération prévu par le texte soit versé à un organisme indépendant plutôt qu'à l'un des acteurs du marché.

En conclusion, la loi va dans la bonne direction. Si la France entend jouer un rôle actif dans la transition énergétique, qui est un mouvement irréversible, elle doit définir les domaines prioritaires de son action.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous vous remercions pour cet exposé très riche.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Une observation : l'objectif d'un pourcentage de biométhane dans le réseau gaz naturel figurera dans la PPE. Je suis favorable à ce qu'il soit mentionné dans la loi.

Pouvez-vous nous apporter des précisions sur vos investissements, notamment en matière de « power to gas » c'est-à-dire de conversion de l'électricité en hydrogène et en méthane ?

Vous vous êtes opposé à l'élargissement de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) au motif que chaque énergie doit payer ses propres EnR. Pouvez-vous développer cette position ?

Le projet de loi prévoit la possibilité de créer des sociétés d'économie mixte pour l'hydroélectricité sur le modèle de votre filiale, la Compagnie nationale du Rhône, qu'en pensez-vous ?

M. Roland Courteau. - J'ai eu l'occasion de réaffirmer que le gaz n'est pas une énergie fossile comme les autres, du fait de ses atouts indéniables. Il convient d'en tenir compte et de moduler les objectifs de consommation pour le gaz. Je crois en l'avenir du biométhane et voulais vous interroger sur les mesures à prendre pour dynamiser cette filière.

Vous avez répondu par avance à ma question en évoquant les délais administratifs - 8 mois pour obtenir un permis en Italie, 6 mois en Allemagne, 3 ans en France... hors recours. Je suis favorable à ce que l'objectif chiffré de 10 % de biométhane dans le réseau gaz naturel apparaisse dans la loi. Faut-il figer les taux de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) sur le biométhane combustible, et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur le biométhane carburant,  en cohérence avec leur caractère renouvelable ? Comment soutenir la valorisation du carburant biométhane ? Où en sommes-nous de la deuxième génération de biocarburants ?

M. Bruno Sido. - Vous nous avez indiqué votre ambition pour votre société et avez livré vos remarques sur la loi sur la transition énergétique. Vous avez annoncé la baisse du coût des panneaux photovoltaïques, et affirmé que le gaz ne dégageait pas de particules. Avec respect, sans polémiquer, j'aimerais aller au fond des choses. Pouvez-vous nous parler de votre société et de l'état de vos centrales nucléaires en Belgique ? Quel est la sécurité des approvisionnements en électricité décarbonée ? Les Belges abandonnent le nucléaire, accepteront-ils l'électricité décarbonée ? Vous n'avez pas évoqué la question centrale qui doit nous occuper : les deux degrés de plus à ne pas dépasser en matière de réchauffement climatique. Comment parvenir à tenir cet objectif ?

M. Martial Bourquin. - Je note votre avis positif sur la loi. Il est important pour nous de disposer de l'opinion d'un producteur d'énergie implanté mondialement. Vous avez évoqué récemment l'existence d'un « état de choc énergétique », entre la démultiplication des besoins et le réchauffement climatique, problème que nous devons traiter pour éviter des désordres humains et économiques. Quel est selon vous le meilleur mix énergétique pour notre pays ? Que pensez-vous de la réduction de la part du néclaire à 50 % de la production d'électricité? Le prix du photovoltaïque a été divisé par 5 entre 2006 et 2013 : les énergies renouvelables ne sont plus une contrainte mais un élément d'arbitrage de marché. Je souhaiterais vous entendre sur votre projet de baisser de 10 % les émissions de CO2 de GDF-Suez et des membres du groupe Magritte d'ici 2020.

M. Gérard Bailly. - Vous avez évoqué une baisse de la consommation d'énergie. Pourtant la population de la planète devrait augmenter de 3 milliards d'habitants d'ici 2050 et la population française de 10 millions d'habitants. Cette donnée est-elle prise en considération ? Disposons-nous d'une estimation de nos besoins énergétiques en 2040 ou 2050 ? Les investissements doivent en effet être programmés à long terme. Des producteurs d'électricité m'ont indiqué qu'ils s'attacheraient à remplir les objectifs fixés par la loi, ce qui est une manière d'en faire porter la responsabilité au législateur : celui-ci n'est pourtant pas le mieux armé pour les définir. C'est pourquoi je voudrais connaître votre position sur nos besoins énergétiques. Le faible prix de l'énergie constitue l'un des derniers atouts de compétitivité pour la France. Pourra-t-il être maintenu avec le développement des énergies renouvelables ? Dans mon département, le Jura, nous ne parvenons à développer ni l'éolien ni le photovoltaïque car les oppositions locales sont fortes. Je voulais souligner ces difficultés même si le Jura n'est pas la France...

Mme Frédérique Espagnac. - L'article 28 de la loi sur la transition énergétique ouvre des perspectives en matière de prorogation des concessions hydroélectriques, sous condition de travaux. La vallée d'Ossau, qui compte 3 barrages, 12 usines, est particulièrement concernée. Nous avons évoqué cela ensemble il y a un an. Des emplois sont en jeu. Votre groupe est-il prêt à investir ?

M. Michel Houel. - Vous avez indiqué que la révolution du gaz de schiste était une réalité à l'étranger. L'avenir est-il totalement fermé en France ? Nous devons faire de la recherche.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Vous avez évoqué les trois axes de vos investissements, dont le digital. Pouvez-vous nous donner des détails sur ce dernier volet ?

M. Jean-Jacques Lasserre. - Depuis trente ans, j'entends les industriels annoncer que les énergies fossiles seront épuisées dans trente ans. Qu'en est-il ? Je suis heureux que vous investissiez dans les énergies renouvelables. Quels sont les secteurs prioritaires pour votre groupe ? Avez-vous une stratégie à l'étranger dans ce domaine ? Quel est l'état de votre réflexion sur le stockage ?

M. Michel Le Scouarnec. - Quelles sont les perspectives en matière de véhicules au gaz et au biogaz compte tenu des difficultés liées à l'absence de stations-services équipées ? Y a-t-il un avenir pour la géothermie ? J'ai visité le centre Nicolas Hulot à Branféré, c'est une réussite !

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Certains soulignent l'intérêt du mix énergétique allemand où la compensation se fait avec le gaz et une augmentation de la consommation de charbon. Et pourtant, on ferme des centrales à gaz, en Allemagne. Pourquoi ce manque de cohérence ?

La transition énergétique concerne surtout le secteur du bâtiment et celui des transports. Que préconisez-vous, notamment pour le bâtiment qui est le premier poste de dépenses d'énergie ? Dans l'ensemble du territoire, les situations varient entre un milieu urbain assez bien adapté, et un milieu rural qui l'est moins. Comment se conformer à la réglementation thermique dans les territoires ruraux, où l'on n'a pas toujours accès au réseau du gaz ?

Nous aimerions également entendre vos propositions sur les possibilités d'utilisation du gaz dans les transports, pour les véhicules collectifs ou individuels. Je cite une gazette qui vous fait dire : « Il faut savoir accepter de payer pour le climat ». Quel message adresseriez-vous aux consommateurs pour justifier l'augmentation de leurs factures ? Il faudra un budget considérable pour sauver la planète. Je reviens de la Conférence sur le climat, à Lima : les pays émergents ont besoin d'aide pour s'engager dans la lutte contre le réchauffement climatique. Pouvons-nous les aider ? Enfin, la disponibilité de vos réacteurs nucléaires en Belgique est plus importante que celle des réacteurs d'EDF. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

M. Gérard Mestrallet. - Merci au rapporteur de soutenir l'inscription dans le projet de loi du seuil de 10 % pour le biométhane. Cela donne de la visibilité à cette énergie verte. C'est un encouragement pour tous les acteurs concernés. Pour faire face à l'accroissement de la volatilité des consommations et des productions, il est indispensable d'exploiter le stockage, qui a trop longtemps été négligé. Nous investissons dans le « power to gas », qui consiste à produire de l'électricité renouvelable à partir du gaz naturel, grâce à des centrales à cycle combiné. L'idéal serait de refaire ensuite du méthane de synthèse à partir de cette électricité renouvelable. Le stock d'électricité inutilisée peut servir à produire à peu de frais, par séparation de l'oxygène et de l'hydrogène, une autre énergie renouvelable, l'hythane, mélange d'hydrogène et de gaz naturel. Un projet expérimental est en cours pour alimenter une flotte d'autobus. Un autre projet prévoit d'alimenter un éco-quartier de Dunkerque, en injectant de l'hydrogène dans un réseau de distribution de gaz naturel. Pour aller plus loin, il faudrait réussir à faire la synthèse du méthane (CH4 + H2O) à partir du monoxyde de carbone (CO2) et de l'hydrogène (H2). Nous y travaillons en collaboration avec des groupes automobiles allemands et des chimistes. La boucle qui transforme le gaz en électricité puis l'électricité en gaz renforce puissamment la flexibilité du système énergétique.

L'élargissement de la CSPE est une mesure injuste, inefficace et anti-écologique. Elle augmentera de 10 % la facture de gaz des consommateurs, alors qu'ils n'auront pas consommé l'électricité correspondante. Elle n'affectera pas à l'électricité ses vrais coûts. Enfin, elle ne tient pas compte du système électrique thermosensible et donc respectueux de l'environnement dont s'est dotée la France. Pour mettre en place un bon système énergétique, mieux vaut développer le chèque énergie pour les ménages en situation de précarité énergétique, appliquer un traitement particulier pour les sites électro-intensifs, et encourager la croissance des énergies renouvelables par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

Les sociétés d'économie mixte ont fait leurs preuves. Nous acceptons d'être minoritaires à leur capital, tout en restant le partenaire industriel de référence, lorsque le contrôle de l'entreprise revient aux collectivités territoriales. Cependant, ce modèle ne vaut que pour des concessions importantes. Et demander aux collectivités de prendre 51 % dans ces sociétés, c'est peut-être exiger beaucoup.

Il est indispensable de moduler l'objectif de réduction de 30 % de la consommation des énergies fossiles en fonction du taux de carbone de chacune. À quoi servirait-il de supprimer le gaz, si c'est pour le remplacer par d'autres énergies contenant du carbone ? La filière du biométhane doit continuer à se développer, et la France doit rattraper son retard. Le biométhane est un complément de revenus pour les agriculteurs. Nous avons créé une filiale dédiée au sein de GDF, GNVert, qui opère en lien avec une autre filiale de Suez-Environnement. Nous travaillons aussi avec GRDF et GRTgaz sur un projet de réinjection du biométhane dans les réseaux, après épuration.

Notre groupe est né d'alliances historiques. Il est le produit de six fusions amicales entre Suez et d'autres sociétés, Gaz de France bien sûr, ou, pour citer la dernière, International Power, il y a deux ans. En chiffre d'affaires et en capitalisation boursière, GDF-Suez est la première entreprise mondiale dans le domaine de l'électricité et du gaz, devant ses concurrents américains et chinois : trois étaient devant nous, nous les avons aujourd'hui dépassés. Nous produisons 40 gigawatts d'électricité en Europe et deux fois plus dans le reste du monde. Aujourd'hui, notre ambition est de nous positionner comme premier acteur privé en Amérique latine : nous avons annoncé deux grosses opérations au Brésil et au Chili. Le nucléaire représente 6 gigawatts sur notre production totale de 120 gigawatts, dont sept tranches sont produites en Belgique, dans des centrales qui ont une très haute disponibilité, en régime normal. Les difficultés actuelles sont liées à un sabotage dans l'une d'entre elles - fait qui reste exceptionnel - et à un défaut d'épaisseur dans la structure de la cuve d'acier dans deux autres cas. Des tests sont en cours sous le contrôle de l'autorité de sûreté nucléaire belge pour prévoir leur redémarrage.

Nous sommes d'autant plus engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique que les énergéticiens sont de très gros émetteurs de CO2. J'ai pris l'initiative de réunir au sein du groupe Magritte les dirigeants des plus grandes entreprises énergétiques d'Europe, qui comprend aussi bien l'allemand RWE, l'un des plus gros émetteurs de CO2 du monde, que l'espagnol Iberdrola, leader mondial en matière de développement des énergies renouvelables. Nous nous sommes tous entendus sur un objectif de 40 % de baisse d'émissions de CO2 à l'horizon 2030. En fixant ce seuil ambitieux, nous espérons pouvoir faire entendre notre voix sur le sujet. Nous avons présenté nos propositions à la Commission européenne en début d'année, puis au Conseil européen d'octobre : elles ont été approuvées. C'est ce programme que nous défendrons lors de la COP 21.

Nous avons les moyens de réussir, notamment en jouant sur le prix du carbone en fonction de l'objectif à atteindre. Le marché du carbone en Europe s'est effondré, car on émettait un nombre fixe de certificats sans tenir compte de l'état de la croissance économique. En période de récession, les certificats se sont trouvés en nombre excessif, leur prix a chuté, il n'y avait plus aucun frein à l'utilisation du charbon. En Allemagne, le charbon très bon marché élimine le gaz, ce qui rend difficile la transition énergétique. Les émissions de CO2 remontent, alors qu'elles baissent aux États-Unis, grâce à l'utilisation du gaz de schiste. Nous plaidons - et je l'ai déjà fait devant cent chefs d'État réunis à l'ONU - pour un pricing mondial, un système de fixation du prix du carbone reflétant les objectifs que nous nous sommes donnés en matière de réduction d'émissions. Nous voulons que la COP 21 soit un succès. Nous n'avons pas le choix.

Monsieur Roland Courteau, en matière de biogaz, nous considérons que l'augmentation de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) et de la TICPE devraient être nulles.

Pour parvenir à un bon mix énergétique, nous nous sommes imposés une réduction de 10 % des émissions spécifiques, en développant le poids des énergies hydraulique, éolienne et solaire et en réduisant la part de charbon. Nous développons les énergies renouvelables dans le monde entier, en insistant sur l'éolien. En France, l'éolien et le solaire progressent, la géothermie est une source renouvelable prometteuse. On peut capter l'énergie en grande profondeur, comme en Indonésie (notre projet pour capter une eau à 350 degrés est le plus important du monde). Il y a aussi une géothermie plus douce, je songe au réseau chaleur de la Ville de Paris ou au chauffage, à Bruxelles, de notre immeuble de bureaux.

Pour répondre à Monsieur Gérard Bailly, la consommation d'énergie n'évolue pas partout de la même manière. Elle baisse en Europe, où on enregistre un écart de 1 à 2 % entre la croissance économique et la croissance énergétique, en raison de l'efficacité énergétique. En revanche, aux États-Unis, où la croissance économique est de 4 %, au Chili où elle est de 5 % et en Chine où elle est de 7 %, la consommation d'énergie augmente. Globalement, cette consommation est amenée à croître ; d'où, l'importance de décarboner le système de production électrique. Au début de leur développement, les énergies renouvelables coûtaient cher. C'est un peu moins le cas aujourd'hui. Le nouveau nucléaire coûte cher : en Grande-Bretagne, 2,5 fois plus que le prix de vente sur le marché. Les coûts relatifs des technologies varient. Celui du nucléaire nouveau augmente, tandis que celui du photovoltaïque baisse. Les politiques s'adaptent à ces évolutions, comme en Belgique : une loi de 2003 prévoyait la sortie du nucléaire. Puis nous avons conclu un accord avec le gouvernement Van Rompuy, pour allonger la durée de vie de nos centrales ; l'accord a été remis en cause par la coalition suivante, mais réactivé par l'actuelle équipe gouvernementale. Une loi prévoit déjà de porter à cinquante ans la durée de vie d'une de nos centrales.

Madame Frédérique Espagnac, nous sommes très fiers de la Société hydro-électrique du Midi (Shem), que nous avons reprise à la SNCF et où nous investissons 27 millions par an. C'est un joyau industriel ! L'ouverture à la concurrence est une décision de l'État, sous contrôle de l'Europe. La France est le pays où le marché de l'électricité est le moins ouvert. La Commission européenne espérait que les concessions hydroélectriques et la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité serviraient de leviers pour introduire de la concurrence. Dans le cas de la Shem, si l'État décide de prolonger la procédure de renouvellement des concessions hydroélectriques, nous nous battrons pour gagner. L'atelier de Laruns n'est pas concerné par cette procédure. Nous souhaitons lui donner un avenir, en l'appuyant sur les concessions électriques des vallées avoisinantes.

Quant au développement du gaz de schiste, nous nous plions à la volonté souveraine des États. En France, une loi l'interdit, qui a fait l'unanimité à droite et à gauche.

M. Gérard César. - À droite, pas franchement !

M. Roland Courteau. - C'est la loi Jacob.

M. Gérard César. - La loi du président Lenoir, plutôt.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous souhaitions l'interdiction de la fracturation hydraulique. Ce texte n'interdit pas d'exploiter le gaz de schiste par d'autres méthodes. Mais le débat s'est ensuite déplacé : aujourd'hui, il a abouti au refus de l'exploitation du gaz de schiste.

M. Gérard Mestrallet. - Nous regardons avec intérêt le développement des techniques d'exploitation, en Pologne, en Allemagne ou en Angleterre. Pour l'instant, aux États-Unis, nous ne voulons pas être producteurs, mais exportateurs : il n'existe que deux projets en ce domaine, dont le nôtre, qui représente 12 milliards de dollars. Nous sommes pratiquement les seuls sur ce marché.

On estime généralement que les réserves en hydrocarbures conventionnels couvrent quarante ans de besoins. Mais quand le prix du pétrole augmente, et il a atteint 100 dollars du baril, des réserves deviennent rentables et s'ajoutent au total recensé. Elles le sont un peu moins quand le baril tombe à 60 dollars. La logique est la même pour le gaz.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie pour ces réponses précises qui pourront être complétées par un document écrit.

Transition énergétique pour la croissance verte - Audition conjointe de M. Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et de M. Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Pour clore notre cycle d'auditions sur la transition énergétique, je suis heureux de recevoir M. Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et M. Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). L'énergie nucléaire fait partie de notre mix énergétique. C'est pour la France une filière d'excellence, créatrice d'emplois. Elle doit néanmoins faire l'objet d'exigences non négociables en matière de sécurité. Messieurs, votre niveau d'expertise est reconnu dans le monde entier. On a pu voir le respect qu'inspirait la voix de l'ASN au niveau international, après les événements de Fukushima. J'aimerais que vous nous donniez votre point de vue sur le volet du projet de loi qui concerne l'énergie nucléaire.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN. - L'importance des enjeux auxquels nous sommes confrontés dans le domaine de la sûreté et de la radioprotection est sans précédent. Nous devons tirer les leçons de Fukushima, et comprendre ce qui s'est passé. Les accidents précédents nous ont montré qu'il fallait du temps pour cela, au moins dix ans. Pour améliorer la sécurité, nous avons déjà mis en place certains dispositifs provisoires. Nous estimons que nous devrons encore effectuer des modifications sur les réacteurs dans les cinq ans à venir. L'éventuelle prolongation du parc de centrales est un autre chantier sur lequel nous travaillons. À l'origine, les réacteurs ont été conçus pour durer quarante ans. La première mise en oeuvre datant de la fin des années soixante-dix, l'échéance est fixée pour 2020. L'exigence européenne conditionne la prolongation à une amélioration de la sûreté qui porte les anciens réacteurs au niveau de ceux de dernière génération, avec pour référence le réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville. Un dialogue technique est engagé avec EDF, et nous prévoyons de rendre notre avis sur les conditions de prolongation en 2018. La tâche est lourde et les délais sont courts. Les installations non nucléaires - de recherche et de cycle du combustible - devront suivre le même processus. La loi qui soumet ces installations à un examen de sûreté tous les dix ans date de 2006. Elle arrivera à échéance en 2016. Une cinquantaine d'installations anciennes du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou d'Areva est déjà sur la liste. Enfin, l'EPR de Flamanville doit être mis en service en 2017, et nous devons examiner une demande d'autorisation pour lancer le projet Cigéo porté par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).

Pour faire face à ces enjeux importants, nous avons besoin de renforcer nos effectifs. Nous sommes 500 à l'ASN et il y a autant de postes à temps plein à l'IRSN. Nous aurions besoin de créer 200 postes de plus. Pour les trois ans à venir, l'État a prévu de nous en octroyer 30. C'est déjà positif dans la conjoncture actuelle, mais on reste loin du compte. Il faudrait revoir notre système de financement, en prenant modèle sur ce qui se fait aux États-Unis. Nos homologues américains sont financés grâce à des taxes affectées, et un rapport de votre collègue Michel Berson, datant de l'été dernier, confirme l'intérêt d'un tel modèle.

Le projet de loi contient un certain nombre de dispositions qui confortent le système dual de contrôle par nos deux institutions. Notre pouvoir de sanction est soit très fort, en cas de manquement grave aux obligations de sécurité, soit trop léger. Il nous manque la possibilité de sanctions intermédiaires lorsque les écarts de sûreté sont minimes, mais perdurent. C'est le cas par exemple de l'établissement d'Areva à La Hague, qui a mal conditionné ses déchets il y a vingtaine d'années, sans jamais remédier à la situation. La loi prévoit une extension de notre pouvoir de contrôle d'inspection. C'est une bonne chose : nous aurons accès au siège des exploitants ou aux installations des sous-traitants, à leurs usines. Le dispositif de démantèlement pourrait également être amélioré, en prévoyant que lors de l'arrêt d'une installation, les équipes qui y travaillent soient chargées de préparer le plan de démantèlement. Si on laisse passer quatre ou cinq ans, on perd la connaissance de la centrale, de son histoire. Dans le texte, une disposition encadre le délai du démantèlement, en le fixant à deux ans. C'est tout à fait judicieux.

D'autres bonnes mesures concernent les sites pollués et la capacité de prendre des servitudes d'utilité publique, ce qui ne se faisait pas jusqu'à présent dans le nucléaire. Le projet de loi donne également, à juste titre, des pouvoirs supplémentaires aux commissions locales d'information (CLI), qui pourront visiter les installations et seront tenues d'organiser une réunion publique par an. En zone frontalière, les pays voisins pourront siéger à la CLI en tant que membres et pas seulement comme observateurs. Pour le rendez-vous des quarante ans, pourtant important, rien d'autre n'a été prévu pour l'instant qu'une consultation de l'opinion publique, pendant trois semaines sur internet. Nous ne pouvons que nous réjouir de la disposition du projet de loi qui propose une enquête publique à partir du dossier de l'exploitant, menée par des commissaires désignés par le tribunal administratif.

Certaines dispositions restent à améliorer pour lever toute ambiguïté. Des avancées sont également souhaitables. Nous déplorons un « trou dans la raquette » en matière de sécurité des sources radioactives. Utilisées sur tous les chantiers, notamment pour vérifier les soudures, elles sont très puissantes. Si quelqu'un de malveillant venait à s'en emparer, on risquerait de gros dégâts. Or, elles ne sont soumises au règlement ou au contrôle d'aucun service.

Il faudrait une disposition législative pour organiser cela. Je suis conscient que le sujet ne relève pas strictement de la transition énergétique. Cependant, voilà huit ans que nous avons identifié le problème ; aucun débat interministériel n'y a été consacré, aucun véhicule législatif n'a été jugé adapté. Alors que les présidents de la République successifs ont tous exigé la plus grande rigueur dans la gestion des matières radioactives, rien n'a été fait sur les sources radioactives. Nous ne pouvons, sur ce point précis, donner de leçon à personne...

Une nouvelle directive européenne sur la sûreté a été adoptée l'été dernier. Ce projet de loi pourrait être l'occasion de la transposer. Deux mesures sont à inscrire dans la loi : l'obligation pour les autorités de contrôle de se soumettre elles-mêmes tous les dix ans au contrôle de leurs pairs - nous venons de le faire spontanément pour la seconde fois, avec le plus grand profit - et l'obligation pour chaque pays européen de procéder, tous les six ans, à un exercice de sécurité, comme nous l'avons fait après Fukushima, en présentant ensuite ses résultats à une revue des pairs internationale afin de détecter d'éventuelles incohérences. C'est une manière concrète de progresser vers une approche européenne de la sûreté.

Certains terrains ayant jadis accueilli des installations nucléaires de base ont été déclassés. Il serait bon d'inscrire dans la loi l'obligation d'informer les nouveaux acquéreurs de leur histoire. On le fait pour les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), pas pour les installations nucléaires.

M. Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN. - Ne laissons pas penser tout de même qu'il n'y a aujourd'hui aucun contrôle sur les sources. La radioprotection opérationnelle est contrôlée, la sûreté assurée. C'est la sécurité, c'est-à-dire la prévention des détournements de leur usage, qui reste problématique.

La sûreté nucléaire est organisée en France de manière très formelle, depuis la loi de 2006, autour de quatre grandes responsabilités : celle de l'exploitant, d'abord, à qui il incombe d'apporter toutes les preuves de conformité de ses installations à la réglementation, et qui doit obtenir de l'autorité de sûreté une autorisation délivrée après analyse critique de cette démonstration. Nous sommes saisis pour cela 500 ou 600 fois par an par l'ASN, 300 ou 400 fois par l'autorité de sûreté de la Défense, et d'autres autorités nous saisissent également - en tout environ 1 300 demandes par an. Nos avis sont rendus en toute indépendance, puisque nous dépendons directement de nos ministres de tutelle. Notre expertise est le résultat de notre propre effort de recherche, grâce auquel nous sommes en mesure de rendre des avis pertinents. L'IRSN compte à peu près 500 personnes travaillant pour l'ASN, mais nos missions concernent aussi, au titre de la surveillance radiologique du territoire, 350 000 salariés en France qui travaillent avec des rayonnements ionisants, dans les hôpitaux, le système de défense, chez EDF, etc. Nous sommes également chargés de l'appui à la gestion de crise : l'IRSN réunit 400 experts entraînés à surmonter le stress induit par une crise nucléaire, grâce à une vingtaine d'exercices nationaux tous les ans.

Notre activité de recherche emploie environ 40 % de nos ressources financières et vise à nous doter de l'expertise dont nous aurons besoin demain : nos connaissances sur le vieillissement des bétons des enceintes des réacteurs, par exemple, sont peut-être insuffisantes. Or nous devons être capables de critiquer intégralement les dossiers qu'EDF produira à l'avenir. De même sur le projet Cigéo, l'IRSN mène depuis plusieurs années ses propres recherches afin de disposer de modèles indépendants de ceux de l'Andra. Nous avons ainsi validé le projet de Bure sur la base d'études différentes des siennes. La question est maintenant de savoir s'il est possible de réaliser l'objet industriel dont nous avons montré la validité de principe.

L'IRSN emploie environ 1 700 personnes, moyennant un budget de 300 millions d'euros. Nous avons besoin de consolider notre système dual associant la recherche à l'expertise : il ne suffit pas d'avoir des gendarmes, il faut que ceux-ci soient alimentés en analyses scientifiques qu'une administration ne peut pas produire. L'intérêt de ce système est qu'il nous affranchit des contraintes déontologiques pesant sur une autorité indépendante : rien ne nous interdit de travailler avec EDF ou Areva, puisque nous pouvons distinguer notre fonction de recherche de notre fonction d'expertise. Nous sommes très satisfaits des dispositions inscrites à l'article 54 bis, qui pose les missions générales de l'IRSN et articule l'interface entre ASN et IRSN.

Le quatrième pilier du système de sûreté nationale est la transparence, indispensable à la vigilance de la société civile et des élus. Elle s'était affaiblie au Japon, et le système a fini par être dévoyé. Nous travaillons avec les associations, les élus. Certains des avis de l'IRSN sont d'ailleurs rendus publics.

Le projet de loi sur la transition énergétique encadrera la production électronucléaire. L'avis que nous avions rendu en vue de l'élaboration du texte demandait que cet encadrement préserve des marges de production : la sûreté nucléaire n'a de sens que si l'on peut à tout moment suspendre le fonctionnement d'une installation si l'on y décèle un signe de faiblesse ; encore faut-il ne pas être contraint par des capacités de production trop limitées.

Nous nous félicitons de l'augmentation, prévue par le projet de loi, des montants d'indemnisation en cas d'accident. Cela favorisera l'application du principe de la responsabilité sans faute des exploitants.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Si l'article 32 porte théoriquement sur démantèlement des installations, ne posera-t-il pas problème pour toute centrale arrêtée pendant plus de deux ans ? Ne faudrait-il pas modifier cette disposition ?

EDF souhaiterait que le montant des astreintes que vous prononcerez en vertu de l'article 33 soit le même que pour les ICPE. Qu'en pensez-vous ? Plusieurs rapports ont souligné que le niveau de sous-traitance atteint dans les centrales françaises nuisait à la sûreté. Ce sujet devrait-il être évoqué dans la loi ? L'IRSN fournit un appui technique aux décisions. Si l'un de ses avis ne plaît pas à l'ASN, que se passe-t-il ? À qui peut-elle s'adresser pour un complément d'information ? La loi devait comporter un article sur Cigéo, qui se trouvera finalement dans la loi Macron : est-ce logique ?

J'ai bien compris votre démarche concernant la sécurité des sources. Vous suggérez la transposition dans la loi de la directive concernant le contrôle des autorités de sûreté les unes par les autres : c'est un point très intéressant. Quant aux terrains déclassés, il est en effet souhaitable que leurs acquéreurs soient informés.

Que pensez-vous des autres autorités de sûreté dans le monde ? Celle des États-Unis a prolongé très rapidement et facilement la durée de vie des centrales américaines, jusqu'à soixante ans. Quel est votre avis ? L'article 54 bis consacre la mission de l'IRSN, je suppose que vous en êtes l'inspirateur. Il prévoit des mesures réglementaires qui restent à prendre : lesquelles ?

Votre budget, enfin, dépend partiellement des opérateurs du nucléaire. Si cela ne remet pas en cause votre indépendance, j'aimerais toutefois connaître votre opinion à ce sujet. Il n'y a rien de choquant à ce que vous travailliez avec EDF, il serait même souhaitable que cette collaboration se fasse plus étroite en vue du débat sur la durée de vie de nos centrales.

M. Yannick Vaugrenard. - La question de la sûreté ne peut pas ne pas être évoquée dans ce projet de loi : les événements survenus dans le monde ces dernières années ont mis à mal la relation de confiance entre décideurs et opinion publique. Il nous incombe de rassurer et de combattre les peurs irrationnelles.

Pourriez-vous, Monsieur Chevet, être plus précis sur le problème des sources radioactives ? Pourquoi rien n'a-t-il été fait depuis 18 ans ? Je crois comprendre que c'est leur éventuel détournement qui poserait problème. Que faire pour l'éviter ?

Vous avez souligné que la consultation publique par internet sur la prolongation de la vie de nos centrales était très insuffisante ; des enquêtes publiques traditionnelles semblent effectivement nécessaires. Elles donnent cependant lieu à des recours de plus en plus nombreux : nous risquons d'être confrontés à une démocratie d'opinion travaillée par des tendances irrationnelles.

L'encadrement précis du plan de démantèlement est rassurant ; de même le fait qu'il soit assuré par ceux qui connaissent la centrale. Si les commissions locales d'information favorisent la confiance du grand public, vous semblez avoir des réserves à leur sujet : pouvez-vous être plus précis ?

Comment plusieurs drones ont-ils pu survoler nos centrales nucléaires ? L'opinion s'en inquiète légitimement.

M. Gérard César. - Lors de la tempête de 1999, la digue protégeant la centrale du Blayais a été submergée et la centrale envahie par l'eau. Les nouvelles digues, surélevées, suffiront-elles en cas de tempête ? À combien se montera le coût de la prolongation des travaux de l'EPR de Flamanville ? Je pense comme Yannick Vaugrenard qu'il importe de rassurer l'opinion publique après l'épisode des drones. Que font les gendarmes ? Pourquoi, enfin, ne pas fusionner vos deux organismes ? Cette question est bien sûr une provocation, mais nous sommes contraints à des économies...

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Existe-t-il un club des responsables de la sûreté nucléaire dans le monde ? Sur la nécessité de conserver des marges de production, je reviens au texte : il fixe comme plafond une capacité installée de 63 gigawatts, et entend réduire à 50% la part du nucléaire dans notre énergie. On fermera donc 23 réacteurs d'ici 2025. Est-ce possible ? Est-ce surtout raisonnable au regard de la sûreté nucléaire ? Commencera-t-on par fermer Fessenheim avant la fin de 2016 ?

Sur les CLI, je suis réservé. Vous dites qu'elles fonctionnent, mais celle du secteur de Cigéo ne peut même pas se réunir. On assiste à une congestion de la démocratie participative par quelques individus.

Le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale prévoit qu'au-delà de quarante ans, une nouvelle enquête sera nécessaire. Cette disposition a été inspirée par le groupe écologiste : n'est-ce pas une manière perverse d'empêcher la prolongation de la vie des centrales ? Les personnes qui ont été larguées en parachute au-dessus des réacteurs ou qui se sont introduites dans les centrales ont-elles été condamnées ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Le délai de deux ans dont je parlais est celui qui sépare le moment où une centrale s'arrête et celui où le dossier de démantèlement doit être remis. Dans le texte actuel, le ministre peut en revanche prolonger la validité de l'autorisation de fonctionnement d'une centrale arrêtée jusqu'à trois ans, si elle nécessite des améliorations de sûreté importantes.

L'astreinte journalière applicable aux installations classées pour la protection de l'environnement se monte à environ 10 000 euros, alors qu'un jour d'arrêt d'un réacteur coûte un million d'euros. Il faut évidemment que les astreintes soient proportionnées... Les travaux à La Hague, pour remédier à la mauvaise gestion passée, coûtent 2 ou 3 milliards d'euros.

Dans certains cas, la sous-traitance est bénéfique à la sûreté, lorsque l'intervention d'un spécialiste est nécessaire. Mais il ne faut évidemment pas en arriver à une situation dans laquelle plus personne ne sait qui fait quoi. C'est pourquoi les exploitants ont déjà l'obligation de surveiller eux-mêmes toute la chaîne de sous-traitance qu'ils ont créée. Fixer un nombre maximal de sous-traitants n'a guère de sens, il n'y a pas un chiffre magique de la sûreté.

Quant à notre relation fusionnelle avec l'IRSN, elle est anormale, ou plutôt atypique : l'autorité américaine, qui est la référence mondiale, est d'un seul bloc, ce qui est censé favoriser les économies budgétaires. Elle gère cependant un parc double du nôtre avec un effectif quadruple... L'intérêt de notre système est surtout que, au moment où l'expert, nourri de sa recherche, rédige son avis, il ne supporte pas le poids de la décision à prendre : d'où une liberté de ton précieuse. Nos avis ne sont d'ailleurs pas tous publics. Nous avons formulé conjointement des propositions, que la Cour des comptes a approuvées, afin d'améliorer notre fonctionnement. Mais ce système unique au monde mérite d'être conservé.

Pour tous les avis importants, nous avons créé des groupes d'experts qui se réunissent une fois par mois et regardent par-dessus l'épaule de l'IRSN et de l'exploitant concerné, afin de rendre un jugement préalable. Nous sommes également en mesure de faire appel ponctuellement à d'autres experts sur des sujets particuliers : nous avons ainsi sollicité, pour les travaux de Fessenheim, des spécialistes allemands des bétons. On peut enfin envisager des groupes d'experts internationaux pour répondre à des questions graves, comme celle de la prolongation de la durée de vie des réacteurs.

Quant à Cigéo, il est grand temps de mettre en oeuvre effectivement la loi de 2006 qui prévoit qu'avant l'analyse d'une demande d'autorisation, le Parlement ait statué sur les questions de réversibilité. La séquence doit être respectée. Il vous appartient d'éclairer le chemin pour tous les acteurs.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Nous ne l'avons pas fait...

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Il faut une loi spécifique. Le Gouvernement pourrait la présenter très rapidement. Si nous ne faisons rien, on nous le reprochera un jour.

M. Pierre-Franck Chevet. - Nous fréquentons régulièrement nos collègues d'outre-Atlantique. Leur philosophie sur la durée de vie des installations est totalement différente de la nôtre : ils considèrent que l'objectif est le maintien de la sûreté telle qu'elle a été définie dans des règles d'origine, qui remontent à quarante ou cinquante ans. Les pays européens s'efforcent au contraire d'améliorer la sûreté en fonction des meilleures techniques disponibles. L'alternative à la prolongation est la construction de nouvelles installations, or elle ne se ferait pas aux normes anciennes. J'ai moi-même initié un cycle de séminaires avec EDF et l'IRSN afin d'identifier les questions essentielles, qui s'avèrent être au nombre d'une dizaine.

Nous distinguons toujours entre la sûreté - des travailleurs, par exemple - et la sécurité, c'est-à-dire la prévention des actes de malveillance. Si la sûreté des sources est assurée, elles présentent encore des risques de sécurité, faute notamment d'enquêtes systématiques sur les personnes qui y ont accès, d'où le contrôle de l'obligation de les conserver dans un coffre.

Nous nous attendons évidemment à des contentieux lors de l'enquête publique sur le contrôle des quarante ans. Mais c'est surtout la décision qui risque d'être attaquée ! De ce point de vue il n'y a guère de changement. Je ne crois pas que l'enquête publique génère davantage de contentieux que la méthode actuelle de décision, que l'on pourrait presque qualifier de subreptice.

Toutes les CLI n'organisent pas des réunions publiques, alors que la loi le prévoit. Celles qui font réellement leur travail sont celles à qui l'on a donné les moyens d'embaucher un salarié au moins à mi-temps. La loi de 2006 prévoyait bien un million d'euros de crédits, mais cette disposition n'a pas été mise en oeuvre.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - On pourrait leur adjoindre des gendarmes : voyez le cas de Cigéo !

M. Pierre-Franck Chevet. - Le débat public sur Cigéo a évidemment été très compliqué, mais à ma connaissance la CLI se réunit.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Un député qui en fait partie m'a dit le contraire.

M. Pierre-Franck Chevet. - La digue du Blayais a été renforcée à proportion des aléas envisageables. Il y a bien un club européen des autorités de sûreté, à la création duquel nous avons beaucoup contribué : la Western european nuclear regulator's association (Wenra). La même chose existe pour les autorités de radioprotection. Ces institutions sont parvenues à un accord sur les rayons de danger en cas d'incident, mais il nous manque toujours une approche européenne en matière de gestion de crise.

Quant à retrouver les personnes qui font voler des drones au-dessus des centrales, c'est une question de police, non de sûreté. Nous nous efforçons en revanche, conjointement, de repérer les zones de vulnérabilité des centrales. Si les objets qui les ont survolées n'étaient pas de nature à menacer les installations, le survol organisé ne peut être considéré comme bienveillant. Les piscines de certains réacteurs, notamment, pourraient être des zones vulnérables. Nous travaillons sur ce sujet avec EDF dans le cadre de la prolongation de la durée de vie des centrales.

Nous pouvons nous trouver devant la nécessité d'arrêter, pour des raisons de sûreté, entre cinq et dix réacteurs en l'espace d'une semaine : des marges sont nécessaires pour que le système de production électrique puisse faire face. Nous pouvons louer ou acheter ailleurs en Europe ces moyens de substitution, ou encore prévoir des effacements de consommation.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Ou garder toutes les centrales...

M. Pierre-Franck Chevet. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai évoqué l'arrêt de cinq à dix réacteurs pour avoir dû régler, il y a vingt ans, un problème de début de corrosion sur des couvercles de cuves. Les réacteurs français étant standardisés, la question s'est immédiatement posée de savoir quoi faire pour l'ensemble. Nous ne pouvons exclure la possibilité d'un nouvel incident du même ordre.

M. Jacques Repussard. - L'article 54 bis comporte une clause prévoyant des textes réglementaires d'application. Un décret définit les missions de l'IRSN, non seulement dans le cadre du code de l'environnement, mais aussi de celui du travail, de la défense et de la santé.

Des peines de prison avec sursis ont été prononcées contre les personnes qui ont sauté en parachute au-dessus des centrales. L'amélioration actuelle de la sécurité nucléaire consiste en une pénalisation plus rigoureuse - entrer dans une centrale ne doit plus être l'équivalent d'une simple violation de domicile - ainsi qu'en une détection plus efficace et en une meilleure protection des installations, définie par des directives du Premier ministre. Il n'est pas certain que ces tâches reviennent à l'ASN : la sécurité nucléaire n'est pas très différente de la sécurité de nombreuses infrastructures, raffineries de pétrole ou autres. La Défense nationale a mis en place toute une organisation de protection des cibles civiles. La cohérence de l'action de l'État dans ce domaine doit être préservée.

La fusion de l'IRSN et de l'ASN ne serait pas une bonne idée, ne serait-ce que pour des raisons pratiques : les salariés de l'IRSN ne sont pas des fonctionnaires assermentés, ils n'appartiennent pas à un corps de contrôle. Si nos activités sont complémentaires, elles sont bien différentes. Les crédits de l'IRSN sont portés par la mission « Recherche » du budget, ceux de l'ASN par la mission « Contrôle de l'État ».

Aux États-Unis, la recherche n'est pas intégrée à l'autorité de sûreté nucléaire, mais à une institution équivalente au CEA, dont la plupart des programmes mélangent les travaux effectués pour les industries et ceux destinés à l'autorité de sûreté. Nos programmes, à l'inverse, sont exclusivement consacrés à la sûreté. Il arrive d'ailleurs que l'autorité américaine souhaite consulter l'IRSN, lors d'une rencontre formelle, sur ses projets de règlements.

Le problème des sources radioactives a été soulevé par l'IRSN à l'occasion de travaux conduits, après le 11 septembre 2001, sous l'égide du G7. Nos rapports ont montré que 50 000 sources radioactives circulent en France, dont 10 % pourraient présenter un intérêt pour des personnes malveillantes.

Quant à Cigéo, un complément législatif est indispensable pour traiter le problème de la réversibilité. L'Andra en aura besoin. L'absence de ce complément aurait un effet délétère sur le projet.

Il serait bon d'exploiter le rapport Berson, qui propose de créer un « jaune » budgétaire fournissant un état récapitulatif clair des crédits que la France consacre à la sûreté, voire à la sécurité nucléaire, et de libérer le financement de la sûreté nucléaire par rapport au budget de l'État, pour le faire supporter non par le contribuable, mais par les abonnés à l'électricité.

Le projet de l'EPR a été entaché d'un sous-affichage des coûts et des délais : cinq ans étaient prévus pour la construction des réacteurs, or il a fallu entre huit et douze ans pour des réacteurs comparables actuellement en service. Le coût sera finalement le double ou le triple de ce qui avait été annoncé... C'est une leçon pour l'avenir : construire cinquante-huit réacteurs en vingt ans, puis s'arrêter pendant vingt ans, n'était sans doute pas une bonne idée. Le risque est maintenant de dépenser beaucoup d'argent pour maintenir en vie des centrales âgées, plutôt que d'en construire de nouvelles.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Quel est donc l'optimum ?

M. Jacques Repussard. - La France n'a pas aujourd'hui la capacité industrielle de remplacer les réacteurs existants. Comment choisir les vingt-trois réacteurs à fermer ? D'autres pourraient devoir être arrêtés pour des raisons de sûreté...

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Puis-je solliciter une contribution écrite pour compléter vos réponses ?

M. Jacques Repussard. - Bien entendu.

Parce que la sécurité est sous une chape de non-transparence, certains pensent qu'elle n'existe pas. Pourtant nous avons des textes réglementaires, une autorité compétente et un corps d'inspecteurs. Il n'y a donc pas de vide, pas de « trou dans la raquette ». Un dernier mot pour vous dire que l'IRSN a émis un avis sur l'affaire des drones à la demande de votre office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST).

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous vous remercions pour ces réponses et cette très utile contribution.

Normes en matière agricole - Désignation des membres du groupe de travail

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Il nous revient de procéder à la désignation des membres du groupe de travail sur les normes en matière agricole.

J'ai reçu les candidatures de :

- Gérard BAILLY (UMP),

- Jackie PIERRE (UMP),

- Daniel LAURENT (UMP),

- Daniel DUBOIS (UDI),

- Henri TANDONNET (UDI),

- Henri CABANEL (Soc),

- Franck MONTAUGE (Soc),

- Frédérique ESPAGNAC (Soc),

- Michel LE SCOUARNEC (CRC).

Négociations en cours sur le traité transatlantique de libre-échange et sur la mise en oeuvre de la réforme de la politique agricole commune - Désignation des membres des groupes de suivi

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Il nous revient également de procéder à la désignation des membres de la commission appelés à siéger au sein des groupes de suivi, communs avec la commission des affaires européennes, sur les négociations en cours sur le traité transatlantique de libre échange et sur la mise en oeuvre de la réforme de la politique agricole commune.

Pour le groupe de suivi sur le traité transatlantique, j'ai reçu les candidatures de :

- Jean Claude LENOIR (UMP),

- Philippe LEROY (UMP),

- Bruno SIDO (UMP),

- Valérie LÉTARD (UDI),

- Martial BOURQUIN (Soc),

- Marie-Noëlle LIENEMANN (Soc),

- Alain BERTRAND (RDSE).

Pour le groupe de suivi sur le la réforme de la PAC, j'ai reçu les candidatures de :

- Sophie PRIMAS (UMP),

- Daniel GREMILLET (UMP),

- Michel HOUEL (UMP),

- Jean-Jacques LASSERRE (UCI),

- Henri CABANEL (Soc),

- Franck MONTAUGE (Soc),

- Frédérique ESPAGNAC (Soc),

- Joël LABBE (EELV).

Organismes extra parlementaires - Désignations

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous devons procéder à la désignation de candidats pour être membres d'un certain nombre d'organismes extraparlementaires de la compétence de notre commission, candidatures qui seront validées en séance publique.

Je suis en mesure de vous faire des propositions suivantes sur la base de ce que m'ont transmis les groupes :

- un poste de titulaire au Comité consultatif du conseil d'administration de l'établissement public Paris Saclay : Sophie Primas ;

- un poste de titulaire au sein du Comité local d'information et de suivi du laboratoire souterrain de Bure : Jackie Pierre ;

- un poste de titulaire au sein de la Commission nationale chargée de l'examen du respect des obligations de logements sociaux : Dominique Estrosi-Sassone ;

- un poste de titulaire au sein de la Commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier : Martial Bourquin ;

- deux postes de titulaires au sein de la Commission supérieure du Crédit maritime mutuel : Daniel Laurent et Michel Magras ;

- un poste de titulaire et un poste de suppléant au sein de la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'Etat outre-mer : Serge Larcher, titulaire et Michel Magras, suppléant ;

- un poste de titulaire au sein du Conseil d'administration de l'établissement public des produits de l'agriculture et de la mer, FranceAgriMer : Gérard César ;

- un poste de titulaire au sein du Conseil d'administration d'UBIFrance, Agence française pour le développement international des entreprises : Elisabeth Lamure ;

- un poste de titulaire au sein du Conseil national de la montagne : Alain Duran ;

- un poste de titulaire au sein du Conseil supérieur de la coopération : Jean-Jacques Lasserre ;

- un poste de titulaire au sein du Conseil supérieur de la forêt, des produits forestiers et de la transformation du bois : Alain Bertrand, sachant que M. Philippe Leroy m'ayant fait part de sa démission lorsqu'il nous sera demandé de désigner un candidat pour le remplacer, Mme Anne-Catherine Loisier sera proposée ;

- un poste de titulaire et deux suppléants au sein du Conseil supérieur de l'énergie : Roland Courteau, titulaire, Alain Bertrand et Henri Tandonnet, suppléants ;

- un poste de titulaire et un poste de suppléant au sein du Conseil national de l'habitat : Daniel Dubois, titulaire et Yves Rome, suppléant ;

- un poste de titulaire au sein du conseil d'orientation de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles : Annie Guillemot ;

- un poste de titulaire au sein du Conseil national des villes : Franck Montaugé ;

- un poste de titulaire au sein du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire : Bruno Sido ;

- un poste de titulaire et un suppléant au sein de l'Observatoire national du service public de l'électricité et du gaz : Ladislas Poniatowski, titulaire et Jean-Pierre Bosino, suppléant.

Nous devrions également être prochainement saisis d'une demande pour le poste de titulaire au conseil d'administration de l'Etablissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA), le mandat de M. Pierre Camani s'achevant le 15 décembre 2014, et c'est la candidature de M. Franck Montaugé qui sera proposé.

De même, nous devrions être prochainement saisis d'une demande pour un poste de titulaire à la commission nationale chargée de l'examen du respect des obligations de logements sociaux, M. Claude Dilain ayant démissionné et la candidature de Mme Marie-Noëlle Lienemann sera proposée.

Enfin, il nous appartient de désigner directement un collègue pour occuper un poste de titulaire au sein de la Commission d'examen des pratiques commerciales : Daniel Gremillet.

La réunion est levée à 18 h 50.