- Jeudi 13 novembre
2014
- Agriculture et pêche - Propositions de règlement relatives aux médicaments vétérinaires et aux aliments médicamenteux pour animaux : proposition de résolution européenne de Mme Patricia Schillinger
- Politique étrangère et de défense - La situation en Ukraine après les élections législatives : communication de M. Yves Pozzo di Borgo
Jeudi 13 novembre 2014
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à dix heures cinq.
Agriculture et pêche - Propositions de règlement relatives aux médicaments vétérinaires et aux aliments médicamenteux pour animaux : proposition de résolution européenne de Mme Patricia Schillinger
M. Jean Bizet, président. - L'ordre du jour appelle, en premier lieu, l'examen d'une proposition de résolution européenne sur deux propositions de règlement relatives respectivement aux médicaments vétérinaires et aux aliments médicamenteux pour animaux.
Ces textes procèdent à une refonte de dispositifs anciens. Cette refonte est souhaitée par les États membres.
Mais l'objet même de ce nouveau dispositif, à savoir la santé animale, doit nous conduire à faire preuve de la plus grande vigilance, compte tenu des passerelles possibles entre l'animal et l'homme.
Cette vigilance est d'autant plus justifiée que la Commission européenne propose de remplacer des directives par des règlements. Or ces derniers sont d'application directe. Une fois qu'ils auront été adoptés, ils s'appliqueront dans le droit national sans qu'il soit besoin de mesures de transposition.
En outre, il est très important que nous nous exprimions maintenant car la Commission européenne prépare un texte sur les additifs alimentaires qui semble inspiré par le modèle américain - type poulet chloré - avec un traitement massif en fin de chaîne. Le modèle traditionnel européen privilégie au contraire jusqu'à présent un contrôle à toutes les étapes de la chaîne alimentaire. Nous devons faire connaître notre point de vue sur ce dossier. On ne peut exclure une volonté de la Commission européenne d'anticiper une harmonisation des normes en vue des négociations du traité transatlantique.
Je remercie notre collègue Patricia Schillinger d'avoir bien voulu se charger d'étudier ces textes afin de nous soumettre une proposition de résolution européenne, que nous examinerons après avoir entendu sa communication.
Mme Patricia Schillinger. - Nous sommes saisis de deux propositions de règlement relatives aux médicaments vétérinaires et aux aliments médicamenteux pour animaux. Ces deux règlements révisent ou abrogent des directives anciennes. Ce saut dans l'ordre institutionnel impose une vigilance accrue.
En l'espèce, cette vigilance n'est pas superflue puisque si l'orientation d'ensemble des textes n'appelle pas d'observations, certaines dispositions méritent d'être éclaircies, voire modifiées.
La réglementation des médicaments vétérinaires a cinquante ans. Un médicament vétérinaire est tout à fait comparable à un médicament pour la santé humaine. Dans le cas des aliments médicamenteux, le médicament est mélangé à l'alimentation animale, ce qui convient aux élevages hors sol, notamment les porcs et les volailles, lorsqu'il est matériellement impossible de faire absorber un médicament par voie orale à des milliers d'animaux. Tous ceux qui ont des chiens et des chats savent de quoi je parle !
Jusqu'à présent, la réglementation des médicaments vétérinaires est calée sur celle des médicaments humains. L'acte décisif est l'autorisation de mise sur le marché, qui est préparée par une analyse des effets et des résidus, avec des conditions d'utilisation, notamment le délai entre l'administration d'un médicament et le moment où l'animal est utilisé en denrée alimentaire. Cette autorisation est menée par les autorités sanitaires nationales.
Quels sont les objectifs de la réforme ?
Tout d'abord, plusieurs limites et inconvénients de la règlementation actuelle sont apparus.
Le « marché unique », premier objectif de toute réglementation européenne, s'est avéré plutôt fragmenté. Cette segmentation est liée à la diversité des procédures d'autorisation de mise sur le marché menées par les autorités nationales.
À 28 États, cette segmentation du marché devenait de plus en plus problématique. Il y avait même une certaine incohérence à imposer la libre circulation des animaux à l'intérieur de l'Union, tout en conservant des régimes sanitaires différents.
Ensuite, la révision des textes permet également de traiter des questions nouvelles, absentes des directives actuelles.
C'est le cas de la résistance aux antibiotiques qui est une préoccupation croissante des milieux sanitaires, qu'il s'agisse de santé humaine ou animale.
Au début des années 2000, les autorités sanitaires ont fait le constat d'une perte d'efficacité des antibiotiques, voire d'une véritable résistance. Ce phénomène est bien connu dans le milieu hospitalier mais le même phénomène se produit en médecine vétérinaire.
La proposition de règlement est le volet juridique de ce nouveau défi sanitaire.
L'autre adaptation concerne l'évolution des modes de commercialisation. Le texte évoque ainsi les médicaments génériques, ainsi que la vente par internet, mode de commercialisation encore mal appréhendé par les autorités sanitaires (et budgétaires) nationales.
Les deux textes sont liés. La proposition de règlement sur les médicaments vétérinaires rompt le lien entre médicament pour la santé humaine et médicament vétérinaire. Il y aura désormais une base légale autonome pour la médecine vétérinaire.
La proposition de règlement vise une simplification des procédures. La période de protection juridique des données des médicaments est allongée. L'idée générale est d'alléger la charge administrative.
Plusieurs articles dans les deux textes renvoient également à la pharmacovigilance afin de surveiller les effets indésirables des médicaments vétérinaires notamment l'antibiorésistance. Les opérateurs devront alimenter une base de données européenne sur les effets indésirables auprès de l'agence européenne du médicament.
Concernant l'agenda législatif, et même si la présidence italienne s'est montrée très motivée par ces textes, nous sommes au tout début de la procédure. Le rapporteur au Parlement européen n'a pas encore été nommé, par exemple. Une adoption des textes ne peut être envisagée avant au moins un an, soit vraisemblablement début 2016.
Notre commission intervient donc très en amont. Ce qui est une bonne chose.
Malgré son orientation générale satisfaisante, ces textes suscitent néanmoins quelques observations critiques.
Sur le plan technique, le texte comporte des incohérences sur la résistance aux antimicrobiens et des imprécisions sur la vente par Internet.
Sur le plan des principes, le texte présente des insuffisances concernant le régime des importations et même des dangers sur la place du contrôle des États membres.
Je vais reprendre chacun de ces points.
- En premier lieu, l'incohérence concernant les dispositifs sur la résistance aux antimicrobiens. Cet objectif de lutte contre la résistance aux médicaments est clairement rappelé, à juste titre, dans les deux textes, mais le dispositif retenu est très différent.
Tandis que le texte sur les aliments médicamenteux fixe le principe d'une interdiction d'utilisation préventive, le dispositif prévu par la proposition de règlement sur les médicaments est considérablement plus léger.
Ainsi, le premier texte dispose - je cite - : « les aliments médicamenteux contenant des médicaments vétérinaires antimicrobiens ne doivent pas être utilisés pour prévenir des maladies chez les animaux producteurs de denrées alimentaires ou pour améliorer leurs performances ». En revanche, l'accoutumance n'est traitée que de façon très vague et indirecte lorsque le texte aborde les informations associées à l'autorisation de mise sur le marché ou la publicité.
Je conviens que la rédaction est difficile car il ne s'agit pas d'interdire tout usage préventif mais l'administration d'antibiotiques peut être réservée aux troupeaux dans lesquels on peut avoir des doutes d'une infection, et non de façon systématique.
Ce décalage entre les deux textes est excessif et injustifié. Il conviendrait d'harmoniser les deux rédactions.
En deuxième lieu, il y a une grande imprécision sur les dispositions relatives aux ventes par Internet.
Il n'y a aujourd'hui aucune réglementation. La vente par Internet n'est ni autorisée, ni interdite. Le texte proposé jette quelques bases.
Le dispositif paraît néanmoins insuffisant. En effet, bien que l'objectif général du texte soit de favoriser le bon fonctionnement du marché unique, s'agissant des ventes par Internet, la Commission renvoie curieusement aux applications nationales en prévoyant que « Les États membres peuvent imposer des conditions (...) pour le commerce par Internet ». Les spécificités nationales vont évidemment jouer à fond, notamment entre les États qui imposent de délivrer des médicaments sur ordonnance et ceux qui ont des ventes libres.
Ainsi, par cette proposition de règlement, la Commission fait un pas en avant vers l'harmonisation des pratiques entre États membres. Mais en proposant cette rédaction sur la vente par Internet, elle fait un pas en arrière en autorisant des différences entre États membres.
En troisième lieu, on peut s'inquiéter de l'absence de cohérence entre la rigueur du régime vétérinaire et un certain laxisme concernant le contrôle des importations de produits animaux.
C'est un reproche couramment entendu à l'encontre de la réglementation européenne et des initiatives de la Commission. L'Union européenne se dote d'un dispositif sécurisé, multiplie les exigences à l'égard de ses producteurs et éleveurs, mais ouvre largement ses frontières à des pays qui n'ont pas les mêmes exigences.
Cette interrogation, rituelle, trouve là encore une occasion de s'exprimer.
Certains pays tiers font un usage très large des médicaments et additifs alimentaires.
Le cas le plus connu et le plus emblématique est celui des hormones de croissance, destinées à accroître le poids des animaux. Cette pratique est interdite en Europe et les importations de ces viandes sont également interdites. Mais s'agissant des médicaments proprement dits et en particulier des antibiotiques, il existe aussi de grandes différences dans les pratiques mondiales. Certains pays ne se privent pas d'utiliser les antibiotiques à grande échelle, à des fins préventives.
Ce décalage entre pratiques nationales est de nature à entraîner des distorsions de concurrence.
Car lorsqu'un animal sera importé, aucun contrôle ne permettra de déterminer s'il aura été élevé avec des aliments médicamenteux comportant des antibiotiques utilisés en traitement préventif, alors que la pratique sera prohibée dans l'Union européenne.
Le décalage, patent, entre le régime interne imposé aux éleveurs notamment concernant les médicaments vétérinaires et le régime appliqué aux importations des denrées alimentaires est très embarrassant.
Enfin, il faut aussi s'inquiéter du recul du contrôle des États membres.
La procédure d'autorisation de mise sur le marché des médicaments suit un parcours complexe d'expertises et d'évaluations. Mais les procédures actuelles laissent une large place aux États membres, à la fois dans l'évaluation des médicaments et dans leur faculté d'opposition. Ces facultés seraient singulièrement réduites dans le cas de la proposition de règlement sur les médicaments vétérinaires qui ne parait pas satisfaisante et apparaît même inacceptable.
- Le « réexamen par le groupe de coordination » des États membres - composé des vétérinaires désignés par les États - intervient lors de la phase d'élaboration du rapport d'évaluation, préalable à l'autorisation de mise sur le marché.
La proposition prévoit que, lorsque qu'un État n'est pas d'accord avec le rapport d'évaluation, le réexamen est possible mais serait adopté à la majorité simple. Un choix à la fois contraire à une tradition constante et contestable puisque tous les États auraient le même poids, qu'il s'agisse de grands pays d'élevage ou de pays sans élevage.
Cette disposition n'est pas acceptable.
- Le « réexamen scientifique » intervient cette fois, après l'adoption du rapport d'évaluation.
La proposition de règlement prévoit que cette demande de réexamen par l'Agence européenne est seulement ouverte au « demandeur », c'est-à-dire à l'industriel fabricant, et non à l'État membre.
Cette disposition n'est pas acceptable.
Compte tenu de ces observations, j'ai été amenée à vous proposer une proposition de résolution européenne.
J'ajoute que sur les recommandations de notre président, je vous propose une résolution sous une forme un peu inhabituelle puisqu'elle ne se contente pas d'un positionnement politique mais, va jusqu'à suggérer des modifications rédactionnelles de certains articles. C'est, sans doute, une voie à explorer.
M. Jean Bizet, président. - C'est un sujet technique mais la proposition de résolution est équilibrée. Sur un plan général, elle souligne qu'il faut être vigilant à ne pas creuser des distorsions de concurrence entre pays vertueux et d'autres qui le seraient moins, qu'il s'agisse de concurrence intra-européenne ou entre l'Union européenne et les pays tiers. Dans le recours aux médicaments préventifs et aux additifs alimentaires, certains ont la main lourde. Le recours aux hormones de croissance, évoqué par notre rapporteure, a été le premier gros contentieux alimentaire entre les États-Unis et l'Union européenne. Il a duré quinze ans, avec un arbitrage au niveau du « Codex alimentarius ». L'Union est parvenue à imposer sa vision et a choisi de ne pas importer des viandes ayant été anabolisées. Mais en contrepartie, elle a dû accepter une augmentation des importations de viande des États-Unis n'ayant pas été anabolisées, de l'ordre de 150 000 tonnes par an. Un accord qui semble équilibré, mais il faut admettre que le contrôle de la qualité des importations n'est pas facile, tant par la méthode employée, par sondage, que parce que l'absence de tout traitement hormonal est difficile à vérifier.
Cette résolution fixe donc une orientation de principe sur le contrôle des importations. Mais, en même temps, elle entre dans le détail en proposant précisément une modification rédactionnelle. Cette modification concerne les contrôles des États membres en proposant le maintien de la majorité qualifiée et le maintien du contrôle des États membres aux articles 49 et 50 du texte de la Commission. Les articles sont visés précisément. Ainsi, le SGAE pourra suivre plus facilement l'application de nos résolutions.
M. Simon Sutour. - Nos résolutions sont destinées au Gouvernement. Mais dès lors que nous proposons des modifications rédactionnelles, je me demande si nous n'aurions pas intérêt à adresser aussi un avis politique, directement à la Commission européenne. Ce dialogue direct paraît en l'espèce bien adapté.
M. Jean Bizet, président. - D'autant plus que sur les questions de sécurité alimentaire, les Français sont très vigilants et ont raison de l'être. Dans le prolongement de ce que j'ai rappelé sur les hormones de croissance, il ne faut pas être naïf. On peut craindre que ce sujet soit à nouveau évoqué lors de la négociation du traité de partenariat transatlantique de commerce et d'investissement dit aussi « traité commercial transatlantique ». Les États-Unis vont vouloir harmoniser les normes et, en fait, demander que l'Union européenne applique les leurs. Il faut bien être conscient du fait que, dès lors que les barrières douanières n'existent pratiquement plus, l'essentiel des négociations porte sur les normes. Certains signes me laissent penser que la Commission pourrait être sensible à cette approche américaine et libérale. Il y a des projets, non encore formalisés, de revoir les réglementations des additifs alimentaires sur lesquels nous devrons être extrêmement vigilants.
La proposition de résolution doit être renvoyée à la commission des affaires économiques.
M. Simon Sutour. - Je souhaite que notre résolution ne soit pas complétement re-rédigée par la commission saisie au fond. À la commission des lois, par exemple, lorsque j'étais président de la commission des affaires européennes, la commission des lois se contentait d'une communication et reprenait le texte voté par notre commission. Mais ce n'est pas toujours le cas. Je me souviens même d'une proposition de résolution qui avait été totalement revue et corrigée. Ce qui était décourageant pour notre collègue qui avait rapporté la proposition initiale. Je pense qu'il serait intéressant de disposer d'un suivi du traitement des propositions de résolutions européennes par les commissions au fond.
Mme Colette Mélot. - Je comprends bien les désagréments que cet examen, ce réexamen, peut comporter. Mais l'intérêt de cette procédure en deux temps est que nos collègues des autres commissions peuvent à leur tour s'intéresser à ces questions et s'en emparer.
M. Simon Sutour. - L'un n'empêche pas l'autre. Il faut les impliquer, discuter, mais sans refondre le texte, sinon on a l'impression d'une redondance dans le travail.
M. Gérard César. - Je suis le seul membre de notre commission des affaires européennes qui siège également à la commission des affaires économiques et nous allons donc être confrontés à cette question très bientôt. Je suggère deux choses. La première est que les présidents des deux commissions se rencontrent au préalable, ce qui permettrait de désamorcer les problèmes. La seconde est que les rapporteurs de notre commission puissent présenter leurs propositions à la commission saisie au fond. Cela devrait écarter les inconvénients mentionnés, car dans la plupart des cas, la résolution serait adoptée de façon implicite, en faisant jouer le délai d'adoption prévu par notre règlement.
M. Jean Bizet, président. - Cela a été fait quelques fois et cela mériterait certainement d'être généralisé.
M. Gérard César. - Je peux évoquer mon expérience sur les droits de plantation de vignes sur lesquels je m'étais beaucoup impliqué. J'ai présenté la proposition de résolution européenne aux deux commissions et la commission de l'économie de l'époque n'avait pas modifié une ligne.
M. Jean Bizet, président. - Il est en effet très important de conduire ce travail d'harmonisation pour assurer une bonne coordination.
Pour revenir sur la proposition de résolution qui nous est soumise par notre rapporteure, il me semble qu'elle est doublement utile, à la fois sur le plan politique, car elle aborde directement la question de la sécurité alimentaire, et sur le plan technique, car elle donne des indications très précises.
À l'issue de ce débat, la commission a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne qui suit :
Politique étrangère et de défense - La situation en Ukraine après les élections législatives : communication de M. Yves Pozzo di Borgo
M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant entendre une communication d'Yves Pozzo di Borgo sur la situation en Ukraine après les élections législatives du 26 octobre.
Je rappelle que, face à la dégradation de la situation, la commission des affaires européennes avait pris position dès février dernier. Nous avions exprimé une très vive préoccupation devant les violences meurtrières et notre solidarité avec le peuple ukrainien, qui fait partie intégrante de l'espace européen.
Notre commission avait estimé que seule une solution s'appuyant sur l'ensemble des composantes politiques ukrainiennes pouvait permettre le retour à la paix civile et à la démocratie. Nous avions aussi soutenu la démarche engagée à l'époque, on s'en souvient, par les ministres des affaires étrangères d'Allemagne, de Pologne et de France, y compris en ce qui concerne d'éventuelles sanctions. Des sanctions ont été effectivement prises par la suite par l'Union européenne.
La commission des affaires européennes avait par ailleurs rappelé sa demande que l'Union européenne développe un dialogue constructif avec la Russie, estimant qu'un rapprochement pourrait contribuer à réduire les tensions. Nous savons que ces tensions restent vives à l'est de l'Ukraine, comme les évènements les plus récents en apportent une nouvelle preuve.
Notre collègue Yves Pozzo di Borgo a fait partie de la mission d'observation électorale de l'OSCE. Il va donc pouvoir nous faire part de son évaluation du processus électoral et nous livrer son appréciation sur les perspectives envisageables.
M. Yves Pozzo di Borgo. - On ne peut pas comprendre le problème ukrainien si on ne le replace dans le contexte géostratégique des relations entre l'Union européenne et la Russie.
Notre commission - même du temps de la délégation - a toujours joué un très grand rôle dans l'étude des relations entre l'Union européenne et la Russie. Je mentionnerai en particulier le rapport de Jean Bizet et Simon Sutour de 2013, et mes rapports de 2007 et de 2011. Notre action n'a pas été sans influence : le Président Sarkozy, après son élection de 2007, a évolué jusqu'à suggérer un vaste partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Russie et la suppression des visas. Sur la question de l'Ukraine qui nous occupe aujourd'hui, pour bien comprendre les enjeux, il faut reprendre ce que j'appelle la thèse mittérando-gaullienne qui se décline en deux temps. L'Europe se fait d'abord avec l'Allemagne puis on passe à une « grande Europe » avec la Russie. C'est le vrai sens de notre débat et cette thèse irrigue toujours notre action diplomatique. Il se trouve que l'Ukraine n'est qu'un élément de cette stratégie et que la situation actuelle est un facteur de déstabilisation.
Le dimanche 26 octobre dernier se sont tenues dans 23 des 26 régions que compte l'Ukraine - et donc à l'exception de la Crimée, du Donetsk et du Donbass - des élections législatives anticipées. Pour la Crimée, je rappelle qu'en infraction au droit international, elle a été annexée par la Russie après un référendum non reconnu et non observé par l'OSCE alors que la Russie aurait pu probablement récupérer la Crimée par des voies normales et légales.
Ces élections ont marqué une étape importante dans la détermination de l'Ukraine à consolider ses acquis démocratiques et à organiser des élections parfaitement libres conformément à l'ensemble de ses engagements internationaux.
Ces élections ont été saluées par l'ensemble de l'Union européenne comme une double victoire, celle de la démocratie et celle du peuple ukrainien. Il convient d'ajouter que beaucoup ont parlé aussi de la victoire du « camp occidental ». Il est vrai qu'aucun parti ouvertement prorusse et nostalgique de l'ère soviétique n'est entré au Parlement.
Ayant fait partie de la mission d'observation électorale de l'OSCE, je peux vous confirmer que le scrutin s'est déroulé dans un climat serein et qu'aucune irrégularité n'est à déplorer. Nous avons tous conclu à la régularité du scrutin.
Les conditions pratiques du scrutin étaient toutefois rudes : en raison de la crise énergétique, les bureaux de vote n'étaient pas chauffés et la température oscillait entre - 2° et 0°.
La participation s'est établie à 51 % des inscrits, ce qui traduit un recul par rapport aux précédentes législatives (62 %) et même par rapport aux élections présidentielles (56 %) ayant porté Petro Porochenko au pouvoir en mai dernier.
Cela s'explique par le fait que les Ukrainiens, accablés par les difficultés de la vie quotidienne, avaient certes hâte d'en finir avec la crise politique ouverte par la dissolution de la Rada le 25 août dernier, mais n'ont pas toujours trouvé l'énergie ni le temps de voter.
Pour ces élections, l'Ukraine avait mis en place une Commission électorale centrale « impartiale et efficace » selon les observateurs internationaux. Les électeurs se sont vus offrir un véritable choix et les libertés fondamentales ont été respectées, même si l'on doit reconnaître quelques actes d'intimidation à la fin de la campagne électorale et une inégalité de traitement dans les médias et même si l'on déplore que le scrutin n'ait pas pu être organisé sur l'ensemble du territoire.
On note enfin que le vote a quand même eu lieu dans 12 des 21 circonscriptions électorales de Donetsk et dans 5 des 11 circonscriptions de Louhansk.
Je rappelle que l'Ukraine a un parlement monocaméral nommé la « Rada » où siègent 450 députés, élus selon un scrutin mixte proche du modèle allemand : 225 sont élus à la proportionnelle sur des listes nationales et 225 sont élus au scrutin uninominal à un tour sur le mode anglais.
On considère que le camp pro-occidental mené par le Président Porochenko a remporté une victoire sans précédent depuis l'indépendance de l'Ukraine. On remarque l'accession - somme toute modeste - au Parlement de quelques héritiers de l'ancien président pro-russe Janoukovitch (à travers le « Bloc d'opposition » et l'« Ukraine forte ») et on note la disparition du Parti communiste qui n'est plus représenté au Parlement. D'une manière générale, les Ukrainiens se sont tenus à l'écart des partis les plus extrêmes. Cependant ce camp pro-occidental n'est pas monolithique.
Le « Bloc Petro Porochenko » arrive en tête avec 21,81 % des voix et 132 élus (loin pourtant des 30 % espérés). Le Président Porochenko a échoué dans son pari d'obtenir une majorité absolue.
En effet, le « Front populaire » du Premier ministre sortant Arseni Iatseniouk remporte 22,17 % des voix et 82 sièges. C'est un peu la surprise du scrutin. Le gouvernement de l'Ukraine devra donc reposer sur une coalition qui comprendra forcément les deux premiers partis pro-européens.
Le troisième parti « Samopomitch » ou « auto assistance » du maire de Lviv, Andrey Sadovy, recueille 11 % des votes et 33 sièges. Pro-européen, c'est l'esprit militant de Maïdan dans sa composante la plus pure qui entre au Parlement : société civile, libéralisme économique, lutte contre les oligarques et la corruption.
À propos de Maïdan, je tiens à rappeler que ce fut un très curieux mélange d'extrémistes et d'authentiques pro-européens soutenus par la société civile ; les acteurs de Maïdan sont arrivés au pouvoir avec Porochenko et Iatseniouk dont le premier gouvernement comprenait même cinq ministres de la société civile, très vite éliminés par les oligarques qui ont repris la main.
Les négociations pour la formation d'une large coalition se poursuivent dans la difficulté et ne devraient aboutir qu'en décembre prochain.
Je rappelle que l'Ukraine est un pays très affaibli économiquement, mais qu'il y a eu récemment cet accord sur le gaz qui apporte un peu de réconfort.
Cependant sur la situation récente des affrontements à l'Est, nous devons être prudents et nous méfier des manipulations. Les accords de Minsk n'ont pas encore été dénoncés et je crois qu'il serait profitable pour nous d'entendre les services du ministère des affaires étrangères sur ce qu'ils savent vraiment du conflit.
Une autre question importante est celle des sanctions et de leur effet que nous n'arrivons pas à mesurer. Les sanctions affaiblissent l'Europe et affaiblissent le rouble, mais la chute du prix du pétrole n'est-elle pas aussi responsable de cet affaiblissement ? Je voudrais pouvoir le mesurer.
Je répète que nous devons oeuvrer pour créer le grand bloc Union européenne/Russie avant que la Russie se tourne complètement vers la Chine qui est son vrai problème. La situation en Ukraine nous a détournés de cette mission essentielle et la faute est en partie américaine. Souvenons-nous que les Russes et les Ukrainiens se connaissent bien et que leur opposition apparaît parfois comme une simple bataille entre oligarques des deux pays.
Quant à l'Union européenne, elle a commis la maladresse d'aggraver les sanctions le jour même du rapprochement entre Porochenko et Poutine.
Les sanctions européennes contre la Russie font des dégâts commerciaux des deux côtés ; peut-on les maintenir très longtemps ?
L'interdépendance entre l'Union européenne et la Russie est manifeste. Construire un grand ensemble associant la Russie est une nécessité.
M. Jean Bizet, président. - Je remercie notre collègue pour son excellente communication qui ouvre un vrai débat sur les relations avec la Russie.
M. Jean-Yves Leconte. - Je ne partage pas l'intégralité des positions de notre collègue sur la Russie et l'Ukraine, mais je reconnais que sur la responsabilité des Américains, je suis d'accord.
Je souhaite toutefois souligner qu'en 1989 nous sommes sortis de Yalta et que nous ne devons pas y retourner. Aujourd'hui, les Russes et les Américains sont à Yalta.
Je voudrais nuancer le propos de notre collègue et affirmer qu'aujourd'hui il y a une vraie rupture du côté ukrainien : pour eux, la Russie est redevenue l'ennemi historique.
Effectivement nous avons été surpris par le résultat des élections : Porochenko perd du terrain, et Iatseniouk en gagne, mais Porochenko a toutefois une majorité pour gouverner.
Dans les régions séparatistes, la situation est désastreuse, nous sommes loin de Maïdan. Les meneurs arrivés de l'extérieur sont mal perçus et la population a peur de parler.
Sur la situation économique de la Russie, je tiens simplement à dire que les problèmes avaient commencé avant la crise en Ukraine et que Poutine fait croire à sa population que toutes les difficultés viennent des sanctions, ce qui est faux. La situation économique est proche de l'effondrement comme à la fin du mandat d'Eltsine. Nous savons que les sanctions nous font mal mais de toute manière nous ne pouvons plus travailler en confiance avec la Russie. Le processus de Minsk est caduc par la faute des Russes.
À propos des sanctions, je regrette qu'elles soient prises sans l'avis des parlements nationaux et d'une manière aussi peu démocratique alors que les États-Unis les prennent avec l'accord du Congrès.
Quant à l'accord d'association avec l'Ukraine, je signale que la partie commerciale est reportée d'un an.
Enfin, mes chers collègues, je dois reconnaître, pour être allé sur place, que les séparatistes ont des méthodes terroristes. Je tiens à mentionner également l'affaire des visas biométriques qui ne manquera pas de gêner les Ukrainiens.
M. Jean Bizet, président. - Effectivement, je crois que notre commission doit se pencher sur la question des sanctions.
M. Simon Sutour. - Nous avons entendu deux points de vue opposés mais nuancés. Quand j'étais sur place on nous donnait le sentiment qu'il y avait les bons à l'ouest et les mauvais à l'est, mais en fait il y a des blocs régionaux traversés par des clivages et au fond, la réalité est que ce sont les oligarques qui partout tirent les ficelles. Je ferais une autre remarque concernant le manque d'adhésion démocratique au pouvoir en place. Quant aux sanctions, les États-Unis sont les plus malins, car leurs sanctions sont sans contrecoup pour eux, tandis qu'ils nous poussent à prendre des sanctions qui nous coûtent.
Dans cette affaire, il y a eu une grande maladresse : le pouvoir ukrainien a voulu imposer la langue ukrainienne alors que 40 % de la population parlent le russe. Lorsque j'étais à Odessa, il y avait une manifestation pour s'opposer au rétablissement de la statue de Catherine La Grande, mais les manifestants venaient tous de Lviv. J'ajoute que Sébastopol est une ville russe et que c'est la réalité des peuples, nous ne saurions nous y opposer. Dans notre rapport, Jean Bizet et moi-même avons conclu qu'il y avait une volonté russe de dialoguer avec l'Europe et je suis favorable à un dialogue apaisé avec la Russie. Enfin sur la question du Mistral, j'invite notre gouvernement à penser à nos intérêts.
M. André Gattolin. - Je ne suis pas un spécialiste de l'Ukraine, mais je m'intéresse à la problématique des sanctions internationales. J'étais la semaine dernière à la Fête de la Pomme. La France exporte 30 000 tonnes de pommes vers la Russie. Elle ne peut plus le faire. De leur côté les Polonais, ne pouvant plus vendre leurs pommes aux Russes nous les envoient, ce qui déstabilise le marché. Voilà pourquoi je me méfie des sanctions et je considère aussi qu'elles renforcent le nationalisme des pays sanctionnés. Je préférerai que l'on sanctionne les hommes responsables car nous assistons impuissants aux conséquences politiques de ces sanctions : la Chine et la Russie se rapprochent. C'est pourquoi j'attire votre attention sur les effets collatéraux des sanctions au moment même où l'Union européenne travaille sur le projet d'une nouvelle vague de sanctions contre la Russie. Un examen parlementaire est nécessaire.
M. Claude Kern. - Je confirme que j'ai les mêmes retombées des agriculteurs alsaciens sur la question de la viande et des pommes. Il faut donc bien réfléchir aux conséquences des sanctions européennes.
M. Michel Billout. - Je souhaite revenir sur la problématique des sanctions car j'ai un doute sur leur efficacité. Il est vrai qu'elles ont fonctionné dans le cas de l'Afrique du Sud au moment de l'apartheid, mais je serais plus sceptique pour l'Iran et pour l'Irak et naturellement pour la Russie. Je crois que nous devrions être plus nuancés en matière de sanctions, car il y a un autre problème : que souhaite-t-on obtenir avec ces sanctions ? Cela reste assez flou et de toute façon, les Russes ne semblent pas en souffrir et finiront par se tourner vers d'autres horizons. En outre, aujourd'hui, avec ces sanctions, nous renforçons la position politique de Poutine au sein de sa population.
M. Yves Pozzo di Borgo. - La Russie est un dossier majeur pour l'Europe et je ne comprends pas la vision caricaturale que les fonctionnaires de Bruxelles ont de la Russie ni le bashing permanent que fait la presse. Poutine en sort renforcé. Quant aux sanctions, je considère effectivement que nous devrions avoir notre mot à dire en tant que parlementaires. Sur l'affaire du Mistral, je rappelle que les Russes n'en avaient pas besoin, que c'est une affaire politique, décidée entre les présidents Poutine et Sarkozy et qu'aujourd'hui le gouvernement français est véritablement embarrassé. En conclusion, nous avons vraiment à travailler sur la question des sanctions et à garder en mémoire que les Russes veulent coopérer avec l'Europe.
M. Jean Bizet, président. - Je vois que le débat se cristallise sur le problème des sanctions et de leurs dégâts collatéraux qui sont beaucoup plus difficiles à cerner. Je sais, par exemple, que l'Allemagne a été très réactive et qu'apparemment les Russes ne souffrent pas d'un manque d'approvisionnement grâce au canal de la Biélorussie.
M. Jean-Yves Leconte. - Si nous voulons faire oeuvre utile, il nous faut réfléchir dans l'absolu sur la manière dont nous sanctionnons.
M. Jean Bizet, présent. - Nous en parlerons en réunion de Bureau.
La réunion est levée à onze heures quarante.