- Mardi 4 novembre
2014
- Environnement - Proposition de directive relative aux déchets (Paquet économie circulaire : proposition de résolution européenne de MM. Michel Delebarre et Claude Kern
- Économie, finances et fiscalité - Gouvernance de l'internet : Examen de la proposition de résolution européenne n° 44 de Mme Catherine Morin-Desailly et de M. Gaëtan Gorce - Rapport de Mme Colette Mélot
- Nomination de rapporteurs
Mardi 4 novembre 2014
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 17 heures.
Environnement - Proposition de directive relative aux déchets (Paquet économie circulaire : proposition de résolution européenne de MM. Michel Delebarre et Claude Kern
M. Jean Bizet, président. - L'ordre du jour appelle, en premier lieu, l'examen d'une proposition de résolution européenne sur une proposition de directive visant à modifier la législation européenne en matière de déchets.
Ce texte s'inscrit dans un paquet plus global relatif à ce que l'on appelle l'économie circulaire. Nous aurons l'occasion de revenir ultérieurement sur l'ensemble de ce dispositif. Mais il est important que notre commission se saisisse en priorité de la question des déchets. Le projet de la Commission européenne concerne, en effet, au premier chef les déchets municipaux. Il y a donc là un enjeu important pour nos communes, notamment sur le plan financier.
Je remercie nos collègues Michel Delebarre et Claude Kern d'avoir étudié ce texte. Nous allons entendre leur communication. Dans un second temps, nous procéderons à l'examen de la proposition de résolution.
M. Michel Delebarre. - La Commission a présenté le 2 juillet 2014 une proposition de directive visant à modifier la législation européenne existante en matière de déchets. Ce texte révise ainsi six directives adoptées entre 1991 et 2012 fixant des objectifs en matière de tri et de recyclage des déchets.
Le projet de la Commission européenne n'est pas sans incidence pour les collectivités territoriales. Il convient d'en évaluer les effets, notamment financiers.
Le paquet économie circulaire :
Abordons tout d'abord le contexte dans lequel cette proposition s'inscrit, à savoir le paquet dit « économie circulaire ». Celui-ci comprend quatre communications destinées à préciser le concept d'économie circulaire et ses conséquences en matière de croissance.
La première communication présente ainsi une approche globale de l'économie circulaire, fixant un objectif de « productivité des ressources ». Elle entend de la sorte limiter les prélèvements sur les ressources naturelles - renouvelables ou non - et réorienter ainsi la croissance économique. Les deux communications suivantes abordent les opportunités induites par un tel changement de modèle économique, tant pour les entreprises que pour l'emploi. La Commission européenne attend de cette mutation la création de 2 millions d'emplois à l'horizon 2030. La dernière communication vise, quant à elle, l'amélioration des performances environnementales des bâtiments.
Une des clés pour parvenir à la mise en place de cette économie circulaire tient à une meilleure gestion des déchets à l'échelle européenne. La Commission européenne vise à la fois à réduire la production de déchets, à transformer les déchets en une source importante et fiable de matières premières pour l'Union Européenne, à récupérer l'énergie à partir des matériaux non-recyclables et à éliminer, dans la mesure possible, la mise en décharge.
Ce volet « déchets » du paquet « économie circulaire » est censé permettre de réaliser une économie de 55 milliards d'euros pour les entreprises et de créer dans le même temps 526 000 emplois. Cet apport n'est pour autant pas démontré dans l'étude d'impact. En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, une réduction des émissions comprise entre 146 et 244 millions de tonnes est escomptée. Là encore, aucune justification n'est apportée à cette estimation assez large.
La directive « paquet déchets » :
Venons en plus en détail au projet de directive.
L'essentiel des objectifs proposés par la Commission européenne ont trait aux déchets municipaux. Ceux-ci, définis par le projet de directive, correspondent à l'ensemble des déchets dont l'élimination doit, par obligation légale, être assurée par les communes ou leurs regroupements. Cinq catégories de déchet sont ainsi concernées :
- Les ordures ménagères, soit les déchets issus de l'activité domestique quotidienne des ménages ;
- Les encombrants issus de l'activité domestique occasionnelle des ménages ;
- Les déchets de jardin, les feuilles, les tontes de gazon, les balayures de rue ;
- Ceux issus de l'entretien des espaces verts publics et des rues ;
- Les déchets industriels collectés et traités avec les ordures ménagères (déchets assimilés) : déchets des artisans, des commerçants, des établissements divers, collectés et éliminés dans les mêmes conditions que les ordures ménagères.
Les déchets qui ne sont pas collectés par les municipalités, mais directement par les producteurs dans le cadre de régimes de responsabilité du producteur ou ceux provenant des zones rurales non desservies par un service régulier de ramassage des déchets sont considérés comme des déchets municipaux.
Sont exclus de cette catégorie les déchets des réseaux d'égouts et des stations d'épuration ainsi que les déchets de construction et de démolition. Les déchets liés à l'assainissement collectif (boues des stations d'épuration des eaux, curage des réseaux) sont considérés en France comme des déchets municipaux. Les déchets de services de collecte municipale, intégrés dans le dispositif français, ne sont pas non plus visés par la proposition de directive.
Les déchets municipaux représentent 253 millions de tonnes, soit 500 kilos par habitant et par an au sein de l'Union européenne. 62 % (soit 157 millions de tonnes ou 310 kilos par habitant et par an) ne sont pas réemployés ou recyclés.
Quels sont les objectifs affichés par le projet de directive ? Force est de constater qu'ils sont très ambitieux.
La Commission européenne propose de porter à 70 % au minimum le taux de réemploi et de recyclage des déchets municipaux à l'horizon 2030.
A la même date, le taux de recyclage des déchets d'emballage devra, quant à lui, atteindre 80 %. Une telle ambition fait écho à l'augmentation des taux de collecte et de recyclage des emballages au sein de l'Union européenne entre 1998 - alors que l'Union européenne n'était composée que de 15 États membres - et 2011.
Pour le plastique, l'objectif fixé est de 60 % alors que pour le papier ou le fer, il est de 90 %.
La mise en décharge des déchets recyclables (plastiques, métaux, verre, papier et carton, déchets biodégradables) serait, quant à elle, interdite à partir de 2025. L'élimination de toute mise en décharge des déchets autres que résiduels est envisagée à l'horizon 2030. Les déchets résiduels sont les déchets issus d'une opération de valorisation, y compris le recyclage, qui ne peuvent pas être valorisés davantage et doivent être dès lors éliminés.
A ces objectifs contraignants, la Commission propose d'ajouter à titre indicatif une réduction de 30 % des décharges en mer d'ici 2020 et une réduction de 30 % du gaspillage alimentaire à l'horizon 2025.
Quels sont les moyens proposés par la directive pour atteindre ces objectifs ?
Le paquet « déchets » propose en premier lieu un certain nombre de dispositions techniques passant notamment par une harmonisation des définitions et des méthodes de calcul des statistiques déchets ainsi qu'à une modification des obligations en matière de rapports.
La Commission européenne relève, par ailleurs, de grandes différences entre États membres en matière de gestion des déchets municipaux. De fait, pour parvenir à une mise en oeuvre améliorée du nouveau dispositif, elle entend développer un système d'alerte précoce destiné à détecter les insuffisances et y remédier avant les échéances fixées par le texte. La Commission européenne présente alors des recommandations, que les États concernés doivent intégrer dans un plan de mise en conformité. Un report de trois ans peut alors leur être accordé.
La proposition de la Commission européenne prévoit également la mise en place d'exigences minimales pour le fonctionnement des régimes de responsabilité élargie du producteur (REP). Vous le savez, la REP a vocation à transférer aux producteurs de déchets, qu'ils soient fabricants, importateurs, ou distributeurs, la responsabilité, seuls ou en groupe, de la filière de traitement et d'élimination des déchets qu'ils ont produits. Ils peuvent assumer leur responsabilité de manière individuelle, ou collective dans le cadre d'un éco-organisme. Cette solution est la plus suivie en France, où 20 filières REP ont été mises en place. Il s'agit d'une application du principe « Pollueur-Payeur ». Les fabricants sont incités à prendre en compte les considérations environnementales tout au long du cycle de vie d'un produit. La prise en charge du coût de gestion des déchets n'est, en général, pas totale. 20 à 40 % des coûts peuvent ainsi rester à la charge des collectivités.
Enfin, en vue de parvenir à un recyclage optimal, la Commission européenne propose que les États membres mettent en place une collecte séparée des biodéchets d'ici à 2025.
Un texte en partie satisfaisant :
Que penser de cette proposition de directive ?
Le texte proposé par la Commission européenne constitue une indéniable avancée en faveur de l'économie circulaire. Il répond, par ailleurs, à l'approche retenue dans le domaine des déchets par la France.
Trois éléments méritent notamment d'être soulignés.
En premier lieu, il convient de saluer la volonté d'harmoniser les méthodes de calcul des statistiques européennes sur les déchets. Celles-ci diffèrent en effet d'un État membre à l'autre. Quatre méthodes existent en ce qui concerne le taux de recyclage. Ainsi, le taux français varie entre 38 et 45 %, en fonction de la méthodologie employée.
La définition des déchets municipaux répond, quant à elle et à une réserve près, à celle inscrite dans la loi française. Ce faisant, la Commission européenne bouleverse sa grille de lecture habituelle qui consistait en une opposition entre déchets dangereux et déchets non dangereux. Les négociations au Conseil et au Parlement européen permettront peut-être d'intégrer les déchets issus de l'assainissement collectif et les déchets de services de collecte municipale. Il s'agit en tout cas d'une des demandes formulées au sein de la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons aujourd'hui.
La mise en place d'un socle commun en matière de responsabilité du producteur constitue une troisième avancée. Cet encadrement est assez ambitieux puisqu'il insiste sur le fait que les contributions financières des importateurs de produits ou des producteurs couvrent la totalité des coûts de gestion des déchets, y compris ceux liés à la collecte ou au traitement séparés. Les REP devront également participer au financement de la lutte contre les décharges sauvages. Reste que la rédaction retenue par la Commission européenne n'est pas exempte d'ambiguïté en laissant entendre que les REP ne pourraient être mises en place que sur les territoires où la collecte et la gestion des déchets sont rentables. Il convient donc que l'universalité des REP et leur caractère non-lucratif soit clairement réaffirmés au sein de la directive.
Il convient enfin de saluer la volonté de la Commission européenne d'afficher un objectif de lutte contre le gaspillage alimentaire. Cette volonté rejoint celle de notre pays, quand bien même l'ambition est moindre : diminution de 30 % à l'horizon 2030 au sein de l'Union européenne contre 50 % d'ici 2025 en France.
Cet avis a priori positif est toutefois assorti de quelques réserves que va développer notre collègue Claude Kern.
M. Claude Kern. - Je suis en effet un peu plus sceptique sur l'équilibre général du texte et sur ses conséquences, notamment financières, pour les collectivités territoriales.
La mise en place d'une économie circulaire est un objectif qui doit rencontrer le plus large consensus. Il ne s'agit pas ici de remettre en question cette ambition. Il n'en demeure pas moins que les solutions préconisées ne répondent qu'imparfaitement à ce principe et que les objectifs affichés semblent trop ambitieux au regard de la réalité industrielle observable au sein de l'Union européenne. Plusieurs questions sont dès lors posées.
Des objectifs trop ambitieux :
Tout d'abord, les objectifs sont-ils tenables pour l'ensemble des États membres ?
Les objectifs fixés en matière de recyclage et de mise en décharge peuvent paraître très ambitieux au regard des performances constatées au sein de l'Union européenne.
Si des pays comme l'Allemagne ou l'Autriche ont statistiquement éliminé la mise en décharge des déchets municipaux, il convient de s'attarder sur les méthodes de calcul pour atteindre cette performance. En Allemagne comme en Autriche, les déchets font en effet l'objet d'un prétraitement avant leur mise en décharge. Ce prétraitement les classe de facto dans la catégorie des déchets industriels. La mise en décharge concerne par conséquent non plus des déchets municipaux mais bien des déchets industriels. L'objectif zéro déchet municipal en décharge est donc facticement atteint. L'exemple allemand ne peut pas, en tout état de cause, servir de référence à la Commission européenne pour promouvoir son objectif d'interdiction de mise en décharge des déchets municipaux à l'horizon 2030. Cet objectif apparaît par conséquent techniquement impossible à atteindre.
À l'inverse, les États membres entrés en 2004 et 2007, principalement à l'Est du continent placent plus de 70 % de leurs déchets en décharge. Les objectifs de la proposition de la Commission européenne peuvent donc apparaître inadaptés pour ces États tant en raison des délais proposés que des coûts qu'ils induisent. Le texte a en effet plus de pertinence dans le cadre de l'Union européenne à 15 États membres que dans celle à 28.
Dans ces conditions, il convient que la Commission européenne puisse mettre en place des objectifs différenciés selon les États membres, adaptés à leur situation au moment de l'entrée en vigueur de la directive. Dans le même ordre d'idée et compte tenu de l'harmonisation des méthodes de calcul, la réévaluation des objectifs de la proposition de directive, cinq ans après son entrée en vigueur, devrait également s'imposer.
Un manque d'ambition industrielle :
Ma deuxième interrogation porte sur l'adéquation de la filière industrielle de tri et de recyclage européenne à ces objectifs. Le cas français est assez éloquent : les 250 centres de recyclage des matières plastiques se limitent au retraitement des flaconnages et ne peuvent prendre en charge les barquettes et les films plastiques. Il convient donc de les moderniser, comme l'a souligné récemment l'Ademe.
La question du financement doit à ce titre être posée. La Commission européenne reconnaît d'ailleurs dans son étude d'impact que les investissements européens via les Fonds structurels ou la Banque européenne d'investissement visent plutôt la création de décharges ou d'incinérateurs. Cette incohérence a d'ailleurs été relevée par la Cour des comptes européenne.
Les règlements adoptés pour l'utilisation des fonds structurels pour la période 2014-2020 intègrent désormais la promotion d'une telle filière. Sans pour autant qu'elle ne soit chiffrée. Il convient, en tout état de cause, de mettre en place des financements adaptés, qui ne passent pas uniquement par les fonds structurels.
Au-delà de ces considérations statistiques, l'absence de déchets résiduels dans les décharges en 2030 peut également apparaître chimérique au regard même de la composition des poubelles des ménages. En effet, un tiers de celles-ci n'est pas recyclable.
Or, si la proposition de la Commission européenne insiste sur la valorisation matière, elle ne s'attarde pas sur l'autre volet de la valorisation des déchets, la valorisation énergétique. Celle-ci est pourtant la plus à même de réutiliser les déchets non recyclables. Elle peut, en outre, permettre à l'Union européenne de renforcer son indépendance énergétique à l'égard des pays émergents. Il convient donc de mettre en avant, dans la proposition de directive, la valorisation énergétique des déchets, au travers, notamment, d'un soutien aux filières dont les rendements dépassent 60 % aujourd'hui, afin qu'ils atteignent 70 % d'ici 2030.
Les conséquences financières pour les collectivités territoriales :
Ma troisième question, qui est une véritable inquiétude, a trait aux conséquences financières pour les collectivités territoriales.
La proposition de directive prévoit que les États membres mettent en place une collecte séparée pour les biodéchets, qui représentent un tiers des déchets contenus dans une poubelle. Ce qui suppose des pratiques de porte à porte qui pourraient s'avérer extrêmement coûteuses pour les municipalités. La collecte séparée des biodéchets et leur valorisation représenteraient en France un coût d'environ 400 euros par tonne pour les collectivités territoriales.
En imposant cette pratique, la Commission européenne écarte l'utilisation du traitement mécano-biologique (TMB), dispositif industriel de pré-traitement des ordures ménagères brutes qui permet de séparer les déchets organiques du reste. Le TMB permet ainsi une filière de valorisation biologique par compostage ou méthanisation. Ce faisant, la Commission européenne ne prend pas en compte les réalités du terrain, tant en milieu urbain où une collecte séparée est délicate à mettre en oeuvre qu'en milieu rural où il existe déjà une filière de récupération des déchets végétaux. Elle mésestime également la réalité des déchets, à l'image du cas du carton de pizza. Qui nettoiera son carton des résidus organiques qu'il peut contenir ?
Ce parti-pris en faveur de la collecte séparée souligne l'insuffisante prise en compte des collectivités territoriales dans la proposition de directive et dans l'étude d'impact qui lui est jointe. À ce titre, il y a lieu de s'interroger sur l'absence de référence au « principe de proximité » dans la gestion des déchets. Celui-ci est pourtant mis en avant par l'article 16 de la directive cadre sur les déchets de 2008. Il permet aux États de tenir compte des conditions géographiques ou du besoin d'installations spécialisées pour certains types de déchets. Il est par ailleurs regrettable que la Commission annonce une évaluation de la gestion des biodéchets après l'entrée en vigueur de la directive. Le calcul coût / efficacité de la collecte séparée sera donc effectué a posteriori !
Une vision linéaire de l'économie circulaire :
Ma quatrième interrogation concerne l'appréciation même de l'économie circulaire effectuée par la Commission européenne. Il s'agit d'une vision linéaire en fait. Il est en effet regrettable que le recyclage ne soit envisagé qu'en fin de vie des produits, au moment de la mise en décharge.
Aucun objectif contraignant n'est ainsi imposé aux producteurs ou aux importateurs de biens. Il est pourtant indispensable de les inciter à concevoir ou à vendre des produits écoresponsables.
L'introduction d'un objectif d'incorporation de 50 % de matières recyclées dans les biens mis sur le marché pourrait constituer une mesure incitative intéressante. La mise en place d'une taxe commune frappant tous les produits non recyclables vendus sur le marché européen, qui aurait notamment le mérite de concerner les produits importés, doit également être envisagée, même si un tel projet reste ambitieux.
Il est, par ailleurs, regrettable que la proposition de directive ne couvre pas totalement la question des déchets économiques. Parmi les déchets des activités économiques, seuls ceux produits par le secteur du bâtiment et des travaux publics sont concernés. Dans ces conditions, plus de 50 % des déchets produits en Europe ne sont pas soumis à des objectifs de valorisation.
Les marges de manoeuvre des États membres :
Ma dernière réserve porte sur les marges de manoeuvres laissées aux États membres pour mettre en oeuvre la directive une fois qu'elle sera adoptée.
La proposition de directive met en place un mécanisme d'alerte précoce en cas de manquement d'un État. Il est indispensable qu'il demeure un simple système d'alerte et n'autorise pas la Commission européenne à obliger certains États membres à adopter des dispositions, fiscales notamment.
L'annexe jointe à la proposition de directive, qui détaille ce mécanisme, permet de demander aux États membres d'adopter des mesures d'incitation comme l'instauration ou la majoration des taxes d'incinération sur les déchets recyclables ou l'augmentation progressive des taxes sur la mise en décharge pour toutes les catégories de déchets. La suppression de subventions contraires aux objectifs poursuivis est également envisagée. Il convient de rappeler que la fiscalité demeure de la compétence des États membres et que les recommandations de cet ordre adressées par la Commission européenne dans le cadre du mécanisme d'alerte précoce ne sauraient être, en conséquence, que non contraignantes.
Le texte de la Commission européenne renvoie également à des actes délégués dans un grand nombre de domaines. Il en va ainsi de la mise à jour de la liste des déchets ou des propriétés qui rendent les déchets dangereux. Une telle évolution n'est pas sans susciter de réserves d'autant qu'elle peut porter sur des domaines où l'on constate une absence de convergence entre les États membres.
Compte tenu de ces réserves mais aussi des points positifs mis en avant par notre collègue Michel Delebarre, nous vous proposons d'adopter la proposition de résolution européenne qui vous a été transmise.
M. Jean Bizet, président. - Je remercie tout d'abord les rapporteurs pour leur présentation. Il s'agit d'un sujet important pour nos collectivités territoriales.
M. Simon Sutour. - Je remercie également nos deux collègues pour leur rapport étayé et construit qu'ils nous ont présenté. Nous partageons tous, je pense, les positions qui sont exprimées dans cette proposition de résolution.
C'est évident en ce qui concerne les objectifs. Mon collègue Richard Yung m'indiquait qu'en Allemagne les ménages disposaient de cinq poubelles. L'emballage d'un yaourt ne bénéficie pas ainsi du même traitement selon qu'il s'agisse de la languette ou du pot. Cette collecte séparée exacerbée m'apparaît être un objectif difficilement atteignable à court terme dans la plupart des États membres...
C'est également clair au sujet du coût induit pour nos collectivités territoriales, par ailleurs déjà bien affaiblies. Je partage la volonté des rapporteurs de trouver des solutions de financements européennes. Je crains qu'elles ne se limitent cependant aux fonds structurels existants et qu'aucune enveloppe spécifique ne soit dédiée à la poursuite des objectifs de cette proposition de directive.
Je salue donc cette proposition de résolution complète que nous allons sans doute adopter sans modification. Reste à savoir ce qu'elle va devenir au sein même du Sénat. Aux termes de la procédure d'examen définie par le Règlement du Sénat, elle va être transmise à la commission du développement durable. Nous avions obtenu par le passé de certaines commissions permanentes qu'elles n'amendent pas le dispositif que nous avions adopté. Je souhaite que cette tradition perdure ! Dans le cas contraire, on observe que les modifications proposées ne sont pas substantielles et équivalent plus à une perte de temps qu'autre chose...
En tout état de cause, je souhaite que le contenu de cette proposition de résolution européenne qui sera adressée au Gouvernement soit intégré au sein d'un avis politique. Celui-ci est, comme vous le savez, transmis directement à la Commission européenne. Il permet ainsi d'installer un dialogue direct avec la Commission.
M. Jean Bizet, président. - Je souscris à cette approche. L'avis politique nous permet en effet de créer les conditions d'un échange direct avec la Commission européenne. Espérons simplement que la nouvelle Commission Juncker soit plus rapide à nous répondre que la Commission Barroso...
Je vous ai fait distribuer une petite note qui récapitule la procédure d'adoption d'une proposition de résolution européenne. La commission du développement durable dispose d'un délai d'un mois pour examiner ce texte. À l'expiration de ce délai, le texte devient résolution du Sénat. Elle peut auparavant s'en saisir et l'amender. Un examen en séance publique peut par ailleurs être demandé.
Mais revenons au texte de cette résolution qui comprend trente-deux points. Deux doivent être particulièrement soulignés. Le premier, le point 27, insiste sur les conséquences financières supportées par les collectivités territoriales. Le second, le point 31, s'attarde sur le recours aux actes délégués. Cette problématique a été régulièrement soulevée par notre commission au cours de ces dernières années.
Les objectifs affichés par la proposition de directive nous renvoie à ceux atteints par des pays peut être plus vertueux que nous... Ils seront peut-être atteignables à moyen sinon long terme...
M. Michel Delebarre. - Mais nous ne sommes pas si mal positionnés en Europe ! Nous n'avons à rougir ni de nos performances ni des objectifs que nous nous sommes assignés. C'est ce qui rend d'ailleurs notre proposition de résolution encore plus crédible à l'égard de nos partenaires européens. Le vrai problème concerne plutôt les États membres qui ont adhéré à l'Union européenne au cours de la décennie précédente. C'est une douce illusion de croire qu'ils seront aux rendez-vous des objectifs affichés par la Commission européenne.
M. Jean Bizet, président. - Cela passe peut être par l'éducation...
M. Richard Yung. - Certainement !
M. Simon Sutour. - Ils demanderont des moyens financiers pour y parvenir...
M. Claude Kern. - L'éducation a aussi ses revers En Allemagne, le tri du verre est différencié devant le conteneur : verre blanc, verre brun et verre vert sont ainsi séparés... Reste que le contenu est lui versé dans la même benne, faute de solution industrielle adaptée... Lorsque j'interroge mes voisins allemands sur l'utilité d'un tel tri séparé et l'opportunité d'un retour à la situation antérieure où tous les verres étaient jetés ensemble, on m'indique que la population ne pourrait le comprendre, au nom justement de cette éducation en faveur du tri.
M. Richard Yung. - L'Allemagne dispose même de contrôleurs du tri...
M. Michel Mercier. - En Rhône-Alpes aussi...
M. Jean Bizet, président. - Il y a déjà beaucoup trop de contrôleurs en France, n'allons pas en créer de nouveaux ! Ce n'est pas, en tout cas, le trente-troisième point de cette proposition de résolution...
Je vous propose donc d'adopter cette proposition de résolution européenne en l'état et de la transformer parallèlement en avis politique.
*
À l'issue de ce débat, la commission a adopté à l'unanimité la proposition de résolution européenne suivante :
Économie, finances et fiscalité - Gouvernance de l'internet : Examen de la proposition de résolution européenne n° 44 de Mme Catherine Morin-Desailly et de M. Gaëtan Gorce - Rapport de Mme Colette Mélot
M. Jean Bizet, président. - Nous devons maintenant examiner le rapport de Colette Mélot sur la proposition de résolution européenne relative à la nécessaire réforme de la gouvernance de l'internet.
Je rappelle que cette proposition de résolution a été déposée par nos collègues Catherine Morin-Desailly et Gaëtan Gorce. Elle fait suite au travail de très grande qualité que nos deux collègues ont réalisé avec les membres de la mission commune d'information qui a rendu ses conclusions en juillet dernier.
La gouvernance de l'Internet est devenue un enjeu géopolitique mondial à la suite des révélations d'Edward Snowden sur la surveillance de masse exercée en ligne par les services de renseignement américains, avec la collaboration des grandes entreprises du net.
L'Union européenne doit jouer tout son rôle pour une nouvelle gouvernance garantissant un Internet ouvert et respectueux des droits fondamentaux et des valeurs démocratiques. Elle doit aussi doit prendre en main son destin numérique pour peser dans la gouvernance du net.
Les enjeux sont multiples. Ils ont été parfaitement analysés par la mission d'information. Ils portent sur la mise en place d'un régime exigeant et réaliste de protection des données. L'Union européenne doit afficher une ambition forte pour être productrice sur le marché du numérique. Elle ne doit pas se satisfaire d'être une « colonie du monde numérique », selon l'expression retenue par Catherine Morin-Desailly dans le rapport d'information qu'elle nous avait présenté en mars 2013. L'Union européenne doit aussi veiller à promouvoir une appropriation citoyenne de l'Internet.
Je donne la parole à notre rapporteur.
Mme Colette Mélot. - Notre commission est donc chargée d'examiner la proposition de résolution européenne sur la nécessaire réforme de la gouvernance de l'Internet, déposée par Catherine Morin-Desailly et Gaëtan Gorce.
L'Internet est devenu aujourd'hui le coeur de nos économies et de nos sociétés. Faute de volonté politique, l'Europe se trouve à présent sous la domination commerciale des géants américains du net, et sous la domination juridique qui l'accompagne.
Le sujet de la gouvernance de l'Internet a longtemps été sous-estimé ; mais il s'est affirmé cette année comme un sujet politique majeur, suite aux révélations d'Edward Snowden en 2013 sur la surveillance massive du réseau. C'est ce qui a motivé la création au Sénat, fin 2013, d'une mission commune d'information (MCI), rassemblant 33 sénateurs dont certains d'entre nous, pour analyser quel nouveau rôle et quelle nouvelle stratégie l'Union européenne pourrait avoir dans la gouvernance mondiale de l'Internet. Cette mission a rendu son rapport en juillet 2014. Son président Gaëtan Gorce et sa rapporteure, Catherine Morin-Desailly, ont souhaité prolonger ce travail, en déposant la proposition de résolution européenne qui nous est soumise aujourd'hui. Leur objectif est d'appeler le Gouvernement à s'appuyer sur la position élaborée par la MCI après six mois de travaux, alors que s'engagent au Conseil de l'Union européenne des discussions sur la gouvernance de l'Internet.
La proposition de résolution rappelle qu'aucune autorité centrale ne gouverne l'Internet aujourd'hui ; une pléthore d'enceintes (IETF, IAB, ISOC, W3C, ICANN...) participe plutôt à une forme d'autorégulation du réseau, sur un mode ascendant et consensuel. Pour des raisons historiques, cette gouvernance est américaine, de fait. Le texte retrace comment cette domination américaine a fait l'objet d'une contestation croissante :
- il y a d'abord eu l'Agenda de Tunis, qui a conclu le sommet mondial de la société de l'information en 2005 : il a reconnu le rôle de tous les acteurs (États, secteur privé, société civile) dans la gouvernance de l'Internet, sur un pied d'égalité, et il a créé l'Internet Governance Forum (IGF). Ce forum est onusien mais pas interétatique : il réunit les multiples parties prenantes - on le dit multistakeholder dans le jargon -, qui y dialoguent une fois par an, sans jamais conclure ;
- puis, l'opposition entre les tenants du modèle multistakeholder et les tenants d'une reprise en main étatique de l'Internet s'est cristallisée fin 2012, lors de la conférence organisée par l'Union Internationale des Télécoms (UIT) à Dubaï ;
- en 2013, en réaction à l'affaire Snowden, ce sont les enceintes de gouvernance de l'Internet elles-mêmes qui ont appelé à mondialiser cette gouvernance ; parallèlement, le Brésil convoquait une conférence mondiale sur ce sujet pour avril 2014. Ce NETmundial s'est conclu par une déclaration qui condamne la surveillance en ligne et qui affirme des principes fondateurs pour un internet libre et démocratique.
Les États-Unis ont ainsi perdu avec l'affaire Snowden leur crédibilité comme garant des libertés en ligne. Pour reprendre l'avantage, l'administration Obama a annoncé en mars 2014 son intention de renoncer à sa tutelle sur le système, d'ici septembre 2015. Le département du commerce américain a chargé l'ICANN, l'organisme qui gère depuis 1998 le système des noms de domaine, d'organiser le processus de transition, selon un cahier des charges bien défini : notamment, le processus ne doit pas aboutir à une solution menée par les gouvernements ou par une organisation intergouvernementale, et le gouvernement américain devra valider la proposition de l'ICANN. Or l'ICANN, chef de file de cette transition, est une société de droit californien ; elle est en proie aux conflits d'intérêt, et accusée de fonctionner de manière trop opaque; en outre, elle n'offre pas de droit de recours satisfaisant et ne rend de comptes qu'au seul gouvernement américain.
À la suite de cela, l'ICANN a engagé deux processus de réforme : le premier doit préparer la fin de la tutelle américaine - qui est établie par un contrat expirant en 2015 - sur les fonctions de gestion de la racine d'Internet, dites fonctions IANA ; le second doit permettre d'améliorer le processus de reddition de comptes de l'ICANN, qui est jusqu'ici régi par l'Affirmation d'engagements passée entre l'ICANN et le Département du commerce américain.
C'est dans ce contexte que la MCI a proposé en juillet dernier plusieurs pistes de réforme du système de gouvernance de l'Internet. Elles dessinent un horizon différent de celui envisagé par le gouvernement américain et elles sont fidèlement reprises dans la proposition de résolution européenne qui nous est soumise. Je ne vais donc pas les présenter dans le détail mais rappeler les 7 principales. Il s'agit de :
- consacrer les principes fondateurs du NETmundial de São Paulo dans un traité international ouvert à tous les États ;
- globaliser la gouvernance de l'Internet sur le fondement des principes du NETmundial, notamment en transformant le Forum pour la Gouvernance de l'Internet en Conseil mondial de l'Internet, doté d'un financement propre et chargé de contrôler la conformité des décisions des enceintes de gouvernance aux principes dégagés à São Paulo ;
- transformer l'ICANN en WICANN (World ICANN) et organiser une supervision internationale du fichier racine des noms de domaine en substitution de la supervision américaine ;
- rendre la WICANN responsable devant le Conseil mondial de l'Internet ou, à défaut, devant une assemblée générale interne ;
- mettre en place un mécanisme de recours indépendant et accessible, permettant la révision d'une décision de la WICANN, voire sa réparation ;
- établir une séparation fonctionnelle entre ceux qui élaborent les politiques d'attribution des noms de domaine et ceux qui les attribuent individuellement ;
- définir des critères d'indépendance pour réduire les conflits d'intérêts au sein du conseil d'administration de la WICANN.
J'ai pu rencontrer récemment M. David Martinon, représentant spécial de la France pour les négociations internationales sur le numérique, qui suit l'évolution de ce dossier pour la France.
Il m'a indiqué que la réforme de l'ICANN progressait rapidement pour son volet qui concerne la transition de la fonction IANA : plusieurs questions ont été soulevées, qu'il s'agisse de la souveraineté des États sur leurs domaines internet nationaux (".fr" pour la France), de la nature des contrats passés entre l'ICANN et les États, lesquels ne sauraient ressortir des seules juridictions californiennes, ou de la reddition des comptes concernant l'exercice de cette fonction IANA. L'échéance de septembre 2015, que les Américains présentent comme indicative, mérite d'être tenue ; nous ne savons pas en effet ce qu'il adviendrait du fait des élections présidentielles américaines qui se tiendront dans l'intervalle.
Le deuxième volet de réforme de l'ICANN, qui concerne la nécessité d'améliorer la façon dont elle rend des comptes sur son action, avance plus lentement. Il y a bien là un risque de dilution et de capture par l'ICANN de son propre processus de réforme.
Dans cette recomposition en cours de la gouvernance de l'Internet, la parole européenne est restée peu audible. Certes, la Commission européenne a présenté plusieurs communications sur le sujet - la dernière en février 2014 -. Mais cette voix européenne n'est pas assumée par le Conseil qui réunit les États membres. Il faut dire que les États-Unis n'aident pas tellement l'Europe à exister sur le sujet : ils assimilent en fait tous ceux qui interrogent le statu quo à des ennemis de la liberté. Or il est urgent que l'Union européenne s'impose comme un interlocuteur crédible dans le processus de réforme qui est amorcé : elle doit saisir l'opportunité historique qui se présente de promouvoir une approche véritablement inclusive de la gouvernance d'un Internet, bâti sur les valeurs démocratiques et les droits fondamentaux.
La présidence italienne de l'Union européenne s'est investie pour mobiliser le Conseil ; elle a été aidée en cela par la controverse autour de la délégation de nouveaux noms de domaine en « .vin » et en «.wine », qui menace la protection de nos indications géographiques : un conseil Télécoms informel s'est ainsi réuni à Milan début octobre, avec l'objectif de préparer une position du Conseil Télécoms lors de sa réunion prévue le 27 novembre prochain.
Mais certains États membres continuent, au nom de la prudence, de défendre des positions alignées sur les États-Unis : Royaume Uni, Suède, Pologne, Estonie, République tchèque, Pays-Bas... Tous ces États manifestent leur inquiétude à l'idée qu'un changement trop profond du mode de gouvernance actuel de l'Internet pourrait déstructurer le système et précipiter nos économies et nos sociétés dans une forme de chaos. Paradoxalement, et malgré la perte de confiance occasionnée par les révélations sur l'espionnage américain des communications privées de la Chancelière, l'Allemagne semble se rallier à ce groupe d'États.
Il n'est donc pas acquis que le Conseil parvienne fin novembre à adopter une position satisfaisante et suffisamment ambitieuse. C'est la raison pour laquelle il est important que le Sénat proclame par une résolution européenne son souhait de voir l'Union européenne s'affirmer dans ce débat et défendre un modèle plus démocratique et fondé sur les principes unanimement reconnus au NETmundial : la liberté d'expression, la liberté d'association, la liberté d'information, le droit au respect de la vie privée, l'accessibilité, l'architecture ouverte d'internet, une gouvernance qui soit multipartite, ouverte, transparente, redevable, un système qui soit inclusif, équitable et qui promeuve des standards ouverts.
Afin d'entraîner derrière elle d'autres démocraties, il est important que l'Union européenne déploie des efforts diplomatiques pour s'assurer du soutien d'États non européens, notamment ceux en développement. À cet égard, nous pouvons saluer le fait que les autorités françaises s'attellent à faire consacrer ces mêmes principes à l'Organisation internationale de la francophonie, qui tiendra sommet fin novembre à Dakar.
Je partage donc l'ambition de la proposition de résolution n° 44. Il est urgent que, dans la perspective des prochaines échéances de négociations internationales sur le sujet, l'Union européenne porte une vision propre : les enjeux qui s'attachent à l'Internet interdisent de priver les États de tout droit de regard sur la gouvernance de l'Internet et c'est plutôt pour une mondialisation qu'une privatisation de cette gouvernance que l'Europe doit plaider.
Je vous propose simplement d'apporter à la proposition de résolution trois légères modifications.
D'abord, nous pourrions compléter le considérant qui appelle à reconnaître le rôle légitime des États dans le système de nommage, pour préciser que l'attribution des noms de domaine ne saurait obéir qu'à des motifs commerciaux. En effet, la pratique actuelle de contrôle et d'attribution des noms de domaine par l'ICANN est inacceptable, on l'a vu avec les cas du « .vin » et « .wine ».
Ensuite, je crois utile d'insister sur la nécessité de mieux reconnaître dans le système multi-acteurs non seulement le rôle spécifique des États comme garants des droits et libertés mais aussi, plus fondamentalement, leur souveraineté. Il importe en effet que les processus d'élaboration des décisions en matière d'Internet et leur mise en oeuvre prennent en compte les cadres juridiques nationaux ou internationaux.
Enfin, le texte suggère à l'Europe d'accueillir une réunion pour marquer son engagement sur le sujet de la gouvernance de l'Internet : il semble que cette réunion pourrait difficilement être celle occasionnée par la célébration du dixième anniversaire du Sommet mondial pour la société de l'information, car elle aura naturellement lieu à New York sous l'égide des Nations Unies. Nous pourrions plutôt proposer que se tienne sur le sol européen une conférence de type NETmundial, dans la lignée de celle qui s'est tenue au Brésil en avril 2014 : cela permettrait de lancer un processus de négociation pour consacrer dans un acte international les principes du NETmundial qui ne doivent pas tomber dans l'oubli ni être confisqués par l'ICANN.
Je vous soumets donc cette proposition de résolution européenne ainsi modifiée.
M. Jean Bizet, président. - Je remercie le rapporteur pour sa présentation, concernant un sujet qui est au coeur des conclusions de la mission commune d'information menée au premier semestre 2014 par le Sénat. Nous aurons l'occasion de travailler prochainement sur les autres dimensions de l'enjeu numérique, comme le volet industriel, sur lequel j'ai noté l'intérêt de notre collègue André Gattolin, ou le volet protection des données, que suit notre collègue Simon Sutour. Le sujet que nous abordons aujourd'hui est absolument central, et j'ai moi-même pris l'initiative d'adresser le mois dernier un courrier, avec nos collègues Catherine Morin-Desailly et Gaëtan Gorce, à Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat chargée du numérique auprès du Ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, afin de dénoncer les pratiques de l'ICANN concernant la délégation des noms de domaine en « .vin » et « .wine ».
M. Simon Sutour. - Il n'est pas facile de s'y retrouver dans cette multitude de sigles autour de la gouvernance de l'Internet, mais je fais confiance à mes collègues, d'autant qu'il s'agit de la prolongation d'un travail transpartisan. Je suivrai avec attention les développements relatifs à la protection des données, et particulièrement la négociation sur la proposition de règlement initiée par Mme Viviane Reding, commissaire européenne à la justice devenue depuis députée européenne. Nous avons exprimé notre inquiétude à l'égard du risque que le niveau de protection des données de nos concitoyens, aujourd'hui assurée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), se dégrade avec la règle proposée qui voudrait que les citoyens s'adressent non plus à l'autorité de protection des données de leur pays de résidence mais à celle du pays où l'entreprise en cause est installée, soit l'autorité irlandaise pour ce qui concerne Google ou Facebook. Or cette autorité irlandaise est calibrée pour un pays d'à peine plus de 4 millions d'habitants et n'est pas en mesure de relever seule ce défi.
Pour en revenir à la proposition de résolution européenne qui nous est soumise aujourd'hui, j'indique que mon groupe l'approuve.
M. Michel Billout. - Cette proposition de résolution européenne se situe dans le droit fil du travail déjà réalisé collectivement. Donc elle ne soulève de mon point de vue aucune difficulté. Je souscris également aux propositions d'enrichissement de la rapporteure. Je n'aurais qu'un regret : que le texte n'insiste pas sur la problématique de l'évasion fiscale, qui représente en matière numérique un manque à gagner considérable, notamment pour notre pays.
M. Richard Yung. - Le texte dans son ensemble me convient. Mais je voudrais faire part de mes interrogations concernant le fait que la proposition de résolution appuie la transformation de l'ICANN en un organe qui prendrait le Comité international de la Croix-Rouge comme modèle. En effet, l'opacité de la Croix-Rouge n'en fait pas, selon moi, le meilleur modèle à suivre.
Mme
Colette Mélot. - La référence
à la Croix-Rouge ne signifie pas que cet organisme soit exemplaire
à tous points de vue. Elle me paraît toutefois utile dans le
contexte actuel, où les États-Unis tendent à refuser de
refonder l'ICANN sur un traité de droit international public : en
effet, bien que relevant du droit privé suisse, le CICR se voit
reconnaître une personnalité juridique internationale au
même titre que les organisations intergouvernementales, en vertu d'un
statut souvent qualifié de sui generis. Même si son
existence ne découle pas en soi d'un mandat conféré par
des gouvernements, ses activités
- fournir protection et
assistance aux victimes de conflits armés - sont prescrites par la
communauté internationale des États et fondées sur le
droit international, en particulier sur les Conventions de Genève. Ce
statut hybride pourrait donc inspirer la réforme de l'ICANN.
M. Jean Bizet, président. - Je mets aux voix la proposition de résolution européenne dans la rédaction proposée par le rapporteur.
La proposition de résolution européenne ainsi modifiée est adoptée à l'unanimité.
M. Jean Bizet, président. - Je précise que les questions de protection des données seront traitées à la fois par la commissaire européenne à la justice, Vera Jourova, par la commissaire au commerce, Cecilia Malmström, notamment concernant la renégociation de l'accord euro-américain dit Safe Harbor, voire par Günther Oettinger, commissaire chargé de l'économie et de la société numériques, sous la supervision de Andrus Ansip, vice-président de la Commission chargé du marché unique numérique. Nous pouvons en tout cas nous féliciter que le numérique soit l'une des priorités affirmées par le président Juncker car il est au coeur de l'achèvement du marché intérieur.
M. Simon Sutour. - Mme Malmström, suédoise, est très libérale... Nous devrons être vigilants.
Nomination de rapporteurs
Le dernier point de l'ordre du jour porte sur la désignation de rapporteurs.
- Suivi des pays
Plusieurs collègues ont manifesté leur intérêt pour assurer le suivi de certains pays :
1. Partenariat oriental (Arménie, Biélorussie, Géorgie, Azerbaïdjan, Ukraine, Moldavie)
- M. Pascal Allizard
- M. Gérard César
- M. Yves Pozzo di Borgo
- M. Jean-Claude Requier
- M. André Reichardt
- M. Simon Sutour
2. Politique de voisinage avec les pays méditerranéens
- M. Louis Nègre
- M. Simon Sutour
3. Pays candidats
a) Balkans occidentaux (Monténégro, Serbie, Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Kosovo) :
- M. Michel Billout
- M. Claude Kern
- M. Alain Richard
- Mme Colette Mélot
- M. Simon Sutour
b) Turquie :
- M. Jean-Yves Leconte
- M. Michel Mercier
- M. André Reichardt
4. Relations de l'Union européenne avec la Russie
- M. Pascal Allizard
- M. Yves Pozzo Di Borgo
- M. Jean-Marc Todeschini
Notre collègue Louis Nègre pourrait être désigné pour représenter le Sénat à l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée.
- Suivi de la politique européenne des transports
Je vous propose de désigner :
- M. Michel Delebarre et M. Louis Nègre
- Situation du secteur laitier
Nous devons être très attentifs à la situation dans le secteur laitier en Europe. Une baisse des prix est déjà perceptible. La fin des quotas laitiers est programmée. Le secteur subit une baisse de ses débouchés extérieurs notamment sous l'effet de la crise ukrainienne et de l'embargo russe. Je vous propose de désigner :
- M. Claude Haut et M. Michel Raison
- Proposition de résolution sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis
Michel Billout a déposé avec plusieurs collègues, le 30 octobre, une proposition de résolution européenne qui demande que les mécanismes d'arbitrage entre investisseurs et États soient retirés des projets d'accord avec le Canada et les États-Unis.
Je propose de le désigner comme rapporteur.
- Proposition de résolution sur l'expression des parlements nationaux lors du renouvellement de la Commission européenne
André Navarro a présenté, le 29 octobre, une proposition de résolution européenne. Notre collègue demande que soit prévue une expression collective des parlements nationaux au moment de la formation d'une nouvelle Commission européenne ainsi qu'une consultation des organes compétents des deux assemblées avant que soit proposé le candidat français. Je propose de le désigner rapporteur.
La commission procède à ces désignations.
La réunion est levée à 18 heures 15.