Mardi 10 juin 2014
- Présidence de M. Simon Sutour, président,et de M. Philippe Marini, président de la commission des finances -
La réunion est ouverte à 15 h 03
Économie, finances et fiscalité - Audition de M. Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services
La commission procède, en commun avec la commission des finances, à l'audition de M. Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, conjointement avec la commission des affaires européennes.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Nos commissions se sont assigné, dans leur programme d'activité, de rencontrer en cette fin de mandat plusieurs membres de la Commission européenne : ceux dont les portefeuilles touchent le plus directement nos activités. Michel Barnier, en charge du marché intérieur et des services, succède ainsi à Joaquín Almunia et Algirdas Semeta.
Ces rencontres sont destinées à faire le point sur les principaux dossiers que les commissaires ont fait avancer, sur les résultats qu'ils ont atteints et sur les chantiers qu'ils doivent transmettre à leurs successeurs. C'est pour les commissions du Parlement une excellente occasion d'aborder de plain-pied les problématiques européennes.
Michel Barnier a été, tout au long de son mandat, particulièrement accessible aux parlementaires français, notamment aux sénateurs, sans doute pour avoir conservé une bonne part de la culture du Sénat dont il a présidé la délégation pour les affaires européennes.
Nous vous avions rencontré lors de notre séminaire annuel qui s'est tenu à Bruxelles en mai 2011. Il s'agissait d'une initiative de Jean Arthuis qui s'apprête à nous quitter le 1er juillet pour siéger au Parlement européen.
Plus de trente textes touchant les matières bancaires et financières ont été discutés sous votre égide : sur les agences de notation, le régime prudentiel des banques, les fonds de gestion alternatifs, les marchés financiers, les produits dérivés, etc...
J'aimerais pour ma part vous interroger sur un sujet d'actualité : la situation de certaines banques européennes, notamment la BNP, du fait des interprétations données par les autorités judiciaires américaines à certaines transactions en devises. Cela pourrait-il devenir un problème de régulation ?
M. Simon Sutour, président. - Je voudrais saluer Michel Barnier, qui a bien voulu répondre à notre invitation conjointe. Je me souviens moi aussi qu'il a été président de ce que l'on appelait alors la délégation pour l'Union européenne et que lorsque j'étais jeune sénateur, il a été mon « maître de stage ». Le temps a bien passé depuis.
Nous vous accueillons dans un contexte particulier, puisque la Commission européenne terminera son mandat à la fin du mois d'octobre. Les élections du 25 mai ont largement renouvelé la composition du Parlement européen. Des discussions ont commencé pour la désignation du président de la Commission, qui devrait être élu le 15 juillet - tout au moins le Parlement devra-t-il donner son accord à la proposition du Conseil européen ; la nouvelle Commission sera désignée en octobre.
Depuis la grave crise financière qui a failli tout emporter et la crise des dettes souveraines dont nous subissons encore les effets ravageurs, l'Union européenne a dû beaucoup agir. Vous avez été, monsieur le Commissaire, à l'origine de nombreuses initiatives législatives visant à rétablir la confiance : c'est l'intérêt de votre audition d'évaluer ce qui a été fait et d'envisager les nombreux chantiers qui doivent encore être menés à bien.
Depuis deux ans, les bases d'une union bancaire ont été jetées. Le Sénat a beaucoup travaillé pour qu'elle réponde aux objectifs ambitieux qui lui sont assignés ; notre collègue Richard Yung a suivi ce dossier au sein de la commission des affaires européennes. Nous voulons mettre fin aux errements qui ont fait tant de mal : l'union bancaire doit être un outil de protection des épargnants et des contribuables européens. Nous voulons déconnecter durablement dettes bancaires et dettes souveraines. Le mécanisme de surveillance unique confié à la Banque centrale européenne (BCE), consistant à superviser les principales banques de la zone euro, est en vigueur depuis novembre 2013 et entrera en application en novembre 2014. Vous nous direz votre appréciation sur ce processus essentiel au retour de la confiance dans le système financier.
Ce premier mécanisme doit être complété par l'accord de finalisation sur le mécanisme de résolution unique, lui aussi essentiel pour que les contribuables ne subissent plus les conséquences des défaillances bancaires. Un conseil et un fonds de résolution uniques seront instaurés. Ce dispositif ne sera cependant opérationnel qu'une fois ratifié l'accord intergouvernemental signé le 21 mai. Nous entendrons votre évaluation de ce mécanisme.
Votre important portefeuille vous a aussi conduit à prendre des initiatives pour relancer la dynamique du marché unique : ainsi l'Acte pour le marché unique. Comme l'a démontré il y a quatre ans le rapport de Mario Monti, ce marché subit une crise de confiance. Nos concitoyens ont trop souvent le sentiment qu'il ne leur est pas profitable. La crise et le chômage de masse ont aggravé ce climat de défiance. La montée des populismes et des mouvements extrémistes l'a manifesté dans les urnes en France comme à l'étranger.
Nous devons bâtir un marché unique pour les citoyens ; l'assainissement budgétaire est important, mais il n'est pas moins essentiel de créer les conditions d'un retour à la croissance et à l'emploi. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la question des travailleurs détachés et le risque de dumping social : notre collègue Éric Bocquet suit ce dossier pour la commission des affaires européennes. Un accord a été trouvé sur la directive d'exécution - encore faudra-t-il s'entendre sur le problème crucial de la mise en oeuvre et de l'efficacité des contrôles.
M. Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services. - Je me souviens que vous m'aviez invité en mars 2012 ; je suis depuis resté disponible pour le Sénat comme pour l'Assemblée nationale. La tradition d'audition des commissaires européens que vous avez créée devrait être systématisée.
Je ne sais quelle leçon vous tirez de ce qui s'est passé le 25 mai ; mais faute qu'il ait eu lieu avant l'élection, le débat doit être engagé maintenant : rétablissons le lien entre ce que nous faisons à Bruxelles et à Strasbourg, dans ce jeu institutionnel européen un peu complexe, et les enjeux nationaux. Ce lien passe d'abord par les parlements nationaux : ils doivent utiliser leur capacité d'écoute et d'influence pour reconnecter ces deux débats, faute de quoi il ne faudra pas s'étonner que les choses s'aggravent encore.
Je suis très heureux de venir pour rendre des comptes, d'autant que je n'attache pas moins d'importance à l'effet de suivi qu'aux effets d'annonce. Quatre ans, c'est un temps suffisant pour tirer les leçons de la crise qui en 2008 a failli faire tout exploser ; mais c'est aussi l'occasion de dire quelle est la valeur ajoutée de l'action européenne face à une telle crise. Nous nous trouvions dans une situation d'instabilité et de volatilité générales sur les marchés ; beaucoup d'épargnants craignaient à juste titre pour leur patrimoine et la zone euro était au bord de l'implosion. Je me souviens des questions que l'on me posait ; je serai demain soir à Washington, pour la huitième fois depuis le début de mon mandat, et j'y ai souvent entendu demander : « Quand la zone euro va-t-elle exploser » ?
Les responsabilités sont partagées : il y a eu le choc externe, massif, venu des États-Unis et du comportement irresponsable de certaines banques, des bonus inexplicables sinon par la prise de risques que l'on fait payer finalement au contribuable, de l'absence de supervision, des produits toxiques, de la dérégulation générale - encouragée d'ailleurs par l'Europe pendant trente ans, gouvernements de gauche et de droite confondus -, une confiance excessive dans l'autorégulation, enfin l'absence d'une gouvernance mondiale, que sont venues pallier en 2008 et 2009 les réunions du G 20.
Au-delà de ce choc externe, la crise a révélé d'un coup toutes les faiblesses de l'Europe, notamment celle que Jacques Delors avait clairement identifiée au début de l'euro : on ne peut avoir l'union monétaire dans la désunion économique, budgétaire et fiscale. À ces faiblesses collectives touchant la gouvernance de la zone euro, aggravées par le défaut de supervision et de régulation financière, se sont ajoutées celles de chacun des États membres. La crise l'a bien montré : l'Europe est une zone où le problème de l'un devient très vite le problème de tous ; cela est vrai des banques et des États, et pas seulement de la Grèce.
Il est clairement apparu que, face à ce risque systémique, il n'y avait pas de bonne réponse nationale. Dans un monde globalisé comme l'est celui de la finance, nous devons élaborer une réponse européenne et collective. J'ai eu la preuve qu'aucun régulateur national ne peut à lui seul encadrer les produits dérivés, dont la masse se monte à 600 000 milliards de dollars, dont la plupart sont sous la table - over the counter, de gré à gré. Nous avons commencé à changer cela, en imposant des règles : la transparence, l'enregistrement et la compensation de ces produits dérivés. Mais un seul régulateur ne peut maîtriser de tels échanges ; pire, il y a lieu de craindre que si les superviseurs nationaux restent juxtaposés, leur action ne soit contre-productive : certains superviseurs ont ainsi demandé aux banques de leur pays de cantonner leurs actifs dans les frontières nationales, ce qui a limité les possibilités de financement transfrontalier et fragmenté le marché interbancaire au détriment des entreprises et des particuliers.
Face à une crise globale, la réponse doit être au moins européenne. Je m'y suis consacré depuis quatre ans et demi, avec mon cabinet et mes équipes : nous avons présenté et fait voter quarante et une lois de régulation financière...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Je croyais une trentaine, j'étais bien en-deçà...
M. Michel Barnier. - Toutes n'ont pas la même importance, beaucoup étant des lois d'application. Mon objectif a été de créer un unique cadre réglementaire pour les vingt-huit pays : only one single rule book, y compris pour le Royaume-Uni et tous les pays qui ne sont pas dans la zone euro. Quant à l'union bancaire, elle consiste à mettre en oeuvre dans la zone euro, où nous avons un risque systémique et une solidarité obligée entre banques et États, les mêmes règles bancaires qui s'imposent aux autres, mais appliquées de manière intégrée et beaucoup plus efficace, en un mot fédérale.
Lors de mon arrivée en 2010, ma priorité a été de mettre en oeuvre le rapport de Jacques de Larosière sur la supervision. Les trois autorités de régulation qu'il prévoyait étaient plutôt des coordinations de superviseurs nationaux : l'Autorité bancaire européenne (ABE), l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP). Vous avez la mémoire de cette période très grave, vous mesurerez donc à quel rythme les esprits évoluent : il était à l'époque inimaginable d'aller plus loin que la création de ces trois autorités. L'idée de Jacques de Larosière de créer un seul superviseur pour la zone euro semblait irréalisable ; pourtant cela a été possible deux ans plus tard en raison de la gravité de la crise. Nous avons créé ces trois autorités et le Comité européen du risque systémique.
La sous-capitalisation des banques a trouvé sa réponse dans la mise en oeuvre de Bâle III, les marchés dérivés ont fait l'objet du règlement EMIR (European Market Infrastructure Regulation) et l'union bancaire a imposé l'application rigoureuse et homogène de ces règles aux 6 200 banques de la zone euro, qu'il s'agisse de leur supervision cohérente par la BCE avec un même manuel ou de la résolution bancaire, c'est-à-dire de la mise en faillite ordonnée des banques, afin que les banques payent pour les banques quand elles sont en difficulté, pas les contribuables.
Vous avez suivi tout cela avec attention, et j'ai toujours été très heureux de lire et d'utiliser les rapports du Sénat - je pense notamment à celui de François Marc de février 2014 et à celui de Richard Yung sur le mécanisme de résolution unique ; vous êtes toujours les bienvenus à Bruxelles.
Par rapport à l'agenda que je m'étais fixé et que j'avais annoncé devant le Parlement européen en janvier 2010, nous avons réalisé 80 % de notre objectif. Restent trois points : faire adopter, tout d'abord, les 20 % des textes de régulation financière que j'ai présentés au nom de la Commission européenne et qui sont dans le pipe-line législatif du Parlement européen et du Conseil. Ainsi la réforme structurelle des banques, qui concerne les vingt-neuf plus grandes d'Europe : chacune a un bilan tellement lourd par rapport au PIB des pays où elle se trouve - parfois équivalent, sinon supérieur - qu'une difficulté pour l'une d'entre elles créerait un problème systémique auquel les législations nationales ne sauraient répondre. Les quelques critiques qu'a suscitées en France la création de ce cadre européen ne m'empêcheront pas d'avancer.
Deuxièmement, le système bancaire parallèle ou shadow banking, au sujet duquel j'ai présenté plusieurs textes qui doivent être adoptés. La tâche est très lourde, étant donnée l'amplification des transactions sur le marché parallèle. Je ne le condamne pas idéologiquement, car il rend à l'économie et aux territoires des services que le secteur traditionnel n'a pas rendus, mais il doit être régulé et astreint à des règles de transparence. Cela doit devenir la première tâche du G 20, maintenant que l'essentiel de ses recommandations ont été mises en oeuvre par chacun de ses partenaires.
Il faut prendre garde à un certain essoufflement de la régulation financière et à l'idée que, la crise étant finie, on serait revenu au business as usual. Loin s'en faut : les lois que nous avons fait adopter ne sont pas toutes opérationnelles et de grands secteurs appellent des règles nouvelles. Ne relâchons pas nos efforts et n'ayons pas la mémoire courte, dans un contexte général où les taux sont historiquement faibles et où les liquidités très abondantes peuvent inciter certains acteurs à prendre des risques non contrôlés.
Le troisième texte auquel je tiens beaucoup porte sur les indices, comme l'Euribor, qui donnent lieu à des manipulations scandaleuses. J'espère qu'il sera adopté avant la fin de l'année.
Ces réformes, parfois très techniques, doivent être mises en oeuvre ; peut-être faudra-t-il, au terme de leur nécessaire évaluation, revoir à la hausse certains de nos accords politiques. Mes textes contiennent pour cela beaucoup de clauses de revue et d'évaluation avec des périodes transitoires : ainsi celui sur les hedge funds, particulièrement pertinent dans le contexte actuel, celui sur l'audit, dont la réforme n'a pas été à la hauteur de ce que j'aurais souhaité ou encore ceux sur les agences de notation.
Il faudra enfin observer l'impact de cette législation sur l'économie ; nous avons pour l'instant vu celui, dramatique, de l'absence de régulation. J'ai veillé très précisément au triple calibrage de chacun de ces textes, pour qu'ils soient efficaces et justes, cohérents entre eux et propices à la coordination transatlantique - c'est pour cela que je vais demain pour la huitième fois aux États-Unis : il s'agit de veiller à ce que ceux qui ont pris les mêmes engagements pour réguler la finance internationale mènent bien, dans le même temps, des actions parallèles.
Le rétablissement de la stabilité et de la confiance des marchés financiers, dont nous sommes trop dépendants, est la condition préalable de toute initiative de croissance et de relance économique. Nous y sommes presque parvenus : le Conseil européen du 29 juin 2012 - le premier auquel ait participé le président Hollande - a réuni toutes les réponses à la crise, et y a ajouté l'union bancaire et le volet de croissance. Cette réponse très forte a rendu à l'Europe un peu de calme et de sérénité ; c'est pourquoi je me suis attaché immédiatement après à mener à bien l'union bancaire ; j'ai proposé en septembre suivant la première proposition sur la supervision, moins d'un an après celle sur la résolution et, moins de deux ans après, tout avait été voté, ce qui dans le temps démocratique européen est extrêmement rapide.
Il s'agit maintenant de relancer la croissance. Le marché unique - 500 millions de consommateurs, 22 millions d'entreprises - est dans une situation paradoxale : il serait la première victime de la crise si elle entraînait le retour du protectionnisme, mais il est aussi le premier atout pour sortir de la crise. Pourvu que son fonctionnement s'améliore, on peut y trouver deux à trois points de croissance supplémentaire, sans sortir de chez nous : nous n'avons pas d'excuse pour ne pas aller la chercher. C'est pourquoi j'ai établi un agenda de cinquante mesures très concrètes : le brevet unique que les entreprises attendent depuis des années, la simplification des marchés publics pour ne plus en détourner les PME, le e-commerce, la signature électronique, ou encore l'entreprenariat social - une entreprise sur quatre qui se créent en Europe appartient au secteur de l'économie sociale et solidaire, dont Bruxelles ne s'était jamais vraiment occupé. Cela est vrai aussi de toutes les formes nouvelles de financement, comme le crowdfunding - le financement participatif.
L'agenda prioritaire de la croissance et du financement de long terme contient de nouvelles idées que nous testons : une bonne titrisation, contrôlée, serait notamment un outil pour faciliter le financement des PME et permettre à l'économie de trouver des prêts bancaires. On peut en créer un marché actif et bien régulé.
M. François Marc, rapporteur général. - Je me réjouis moi aussi de la présence de Michel Barnier. Vous nous dites que l'Europe a beaucoup travaillé ces dernières années pour adapter la régulation bancaire et financière. Pourtant, nos concitoyens ont parfois l'impression que ce processus est très lent. Beaucoup ignorent totalement les progrès accomplis : un effort de communication est donc souhaitable.
Dans l'intervalle nécessaire à la mise en place de ces réglementations, comment éviter le retour au business as usual ? Je pense notamment à la limitation des bonus, car il semblerait que les banques soient déjà en train de contourner la nouvelle législation. La commission des finances, pour le cas de la France, devra s'investir dans une réponse à ce problème.
La directive MIF 2, récemment adoptée, prévoit un encadrement mais non une interdiction du trading à haute fréquence. Pourquoi n'a-t-on pas pu ou voulu interdire cette pratique, pourtant largement décriée ?
Le mécanisme de résolution unique, adopté par le précédent Parlement, constitue une architecture très progressive : pourra-t-il mettre fin au lien entre risque bancaire et risque souverain ? L'urgence n'est-elle pas plutôt de préparer des solutions pour les banques européennes, dont la revue par la BCE révèlera sans doute à l'automne que nombre d'entre elles sont sous-capitalisées ? On verra alors resurgir la question lancinante d'une recapitalisation par le mécanisme européen de stabilité (MES) : peut-elle être envisagée ?
J'en terminerai avec une question qui intéresse les Français : la taxe sur les transactions financières. Son introduction à l'échelle européenne ou du moins de la zone euro, est soutenue par la France depuis près de deux ans, sans avancée concrète. Où en est-on ? Où sont les blocages ? Quel en sera l'assiette : seules les actions seront-elles concernées, comme dans le dispositif français, ou taxera-t-on également les obligations et, surtout, les produits dérivés ? A-t-on quelques perspectives d'aboutissement ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Je donne la parole à Richard Yung, en sa double qualité de membre de la commission des finances, devant laquelle il a rapporté la loi sur la réforme bancaire, et de membre de la commission des affaires européennes, auteur de nombreuses propositions de résolution.
M. Richard Yung. - Les propositions de résolutions, on les met sur la rivière et elles flottent vers leur destin, parfois incertain...
Vous avez raison de dire, monsieur le Commissaire, que nous devrions rencontrer plus souvent vos collègues : nous n'en faisons sans doute pas assez, notamment à l'égard de la BCE.
Vous présentez un bilan impressionnant de textes et de régulations, qui me donnerait presque l'impression que ce n'est pas un libéral qui parle, mais quelqu'un de mon bord, et je m'en réjouis.
Vous avez évoqué la cohérence de l'action européenne avec celle des Américains. Quelle perception avez-vous de l'évolution de la législation très complexe de ce pays ? Se rapproche-t-elle de la nôtre ?
Quant au MES et au filet de sécurité européen, nous nous trouvons dans une période transitoire qui durera un ou deux ans. Que se passerait-il en cas de défaillance d'une banque dans cette période ? Il semble y avoir un blocage côté allemand ; voyez-vous des progrès dans ce domaine ?
Êtes-vous heureux de l'architecture construite pour la résolution ? Nous avions été plusieurs à souhaiter pour la Commission un rôle plus fort que celui qui lui a été attribué.
Quant à la séparation des activités bancaires, vous avez présenté des directives et des règlements que nous avons étudiés avec intérêt. La législation allemande diffère de la nôtre, puisqu'elle repose plutôt sur la notion de risque que sur celle de bilan. Nous avons été choqués par le baiser que vous avez donné aux Britanniques... Un baiser financier, bien sûr, pas le baiser de la mort.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Nous voilà rassurés.
M. Richard Yung. - Vous sembliez leur dire : « Ce que vous avez fait est tellement bien que ma législation ne s'appliquera pas chez vous ». Cette exception nous a inspiré un peu d'amertume...
Mme Nicole Bricq. - La question du rapporteur général sur la taxe sur les transactions financières met le doigt sur un problème auquel nous faisons face depuis la crise financière : la relation entre la Commission, le Conseil et les États. Quelle est donc votre vision de la réforme de la Commission ? Ce débat a malheureusement été absent de la campagne européenne. Lorsque la Commission a présenté son avant-projet il y a quelques années nous nous étions rendus à Bruxelles et avions rencontré le commissaire à la fiscalité. La Commission avait beaucoup consulté, notamment les entreprises, et adapté son avant-projet. Or, très tôt, la France - sous l'ancien gouvernement, mais le nouveau est sur la même ligne - a fait son propre système, si bien que nous avons maintenant un blocage qui vient de ce qu'elle n'arrive pas à convaincre l'Italie et l'Allemagne. Le projet de directive, que je trouvais assez bon, est donc bloqué, et la Commission ne parvient pas à reprendre la main sur les États à cause de ce problème politique. Cela pose la question du rapport de la Commission avec les États, alors que le Parlement monte en puissance. Où se font les arbitrages ? Il faudrait s'inspirer de l'exemple de la BCE, que Mario Draghi est parvenu à rendre plus transparente. Comment pensez-vous que puissent évoluer ces rapports, qui engagent notre avenir collectif ?
Une question plus pratique et d'actualité sur laquelle j'aimerais votre avis à son sujet : il s'agit de l'affaire BNP-Paribas aux États-Unis. Je connais bien les dégâts que peut faire le principe d'extra-territorialité. C'est une arme puissante dont les Américains disposent et qui crée en leur faveur un rapport de force déséquilibré avec l'Europe. Notre seule grande banque internationale, qui finance des entreprises, risque de perdre sa licence aux États-Unis. De quelle arme pourrions-nous nous doter pour leur répondre ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Je remercie Nicole Bricq de nous faire bénéficier de son expérience et d'avoir repris la question que je posais sur les rapports entre les autorités américaines et certaines banques, dont BNP-Paribas. L'extra-territorialité de la puissance qui détient la devise la plus puissante du monde, au seul motif que des transactions sont théoriquement compensables sur le territoire américain, va assez loin. Certains mauvais esprits pourraient y voir une méthode comparable à celles de la big stick policy de Theodore Roosevelt à l'égard de la zone caraïbe avant 1914.
M. Aymeri de Montesquiou. - J'aimerais, en complément des interrogations de Nicole Bricq, demander à Michel Barnier si l'on peut envisager une solidarité européenne sur ce dossier. La guerre d'Irak a coûté 14 000 milliards de dollars et a provoqué un déséquilibre international extrêmement important ; les subprimes ont détruit le système financier international et Goldman Sachs a entériné les comptes falsifiés de la Grèce, ce qui a failli faire exploser l'euro. Tout cela passe-t-il en pertes et profits ? La politique du big stick peut-elle continuer ? Cette idée me semble insupportable. La responsabilité américaine dans les déséquilibres financiers internationaux est grande et nous plaiderions coupables ? Peut-on envisager une réaction collective européenne ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Trois agences de notation occidentales toutes-puissantes se partagent le marché. La Chine et la Russie viennent de s'associer afin de créer une agence concurrente et de mettre en place un système de notation dual apportant une alternative aux trois grandes agences anglo-saxonnes. Vous avez rappelé qu'il y avait eu trois textes européens sur le sujet, en 2008, 2010 et 2011, mais ils n'ont pas permis de promouvoir une approche européenne, territoriale, des agences de notation. La création d'une agence de notation est certes un processus très long, mais les réactions de ces dernières semaines, y compris le « carton jaune » infligé par Moody's à la France pour sa réforme territoriale, m'incitent à me demander si nous n'aurions pas dû nous défendre davantage, en adoptant une législation beaucoup plus percutante.
M. Francis Delattre. - Les dispositifs de financement de l'économie varient d'un pays à l'autre. En France, plus de 80 % des investissements des entreprises se font par crédit bancaire. J'aimerais vous interroger sur Bâle III et sur la possibilité de renforcer les possibilités de prêts aux entreprises dans ce contexte, et sachant que les États-Unis semblent s'être déjà largement exclus de ces accords, qu'ils avaient pourtant négociés. Dès lors que l'on impose aux banques européennes des contraintes plus fortes, ne les met-on pas en difficulté dans la concurrence mondiale ?
À Wall Street, tout est reparti comme avant la crise. Les économistes se demandent simplement où et comment va apparaître la nouvelle bulle financière. Notre nouvelle régulation bancaire ne nous condamne-t-elle pas à payer alors l'essentiel de la casse ?
En matière bancaire et fiscale, les États-Unis légifèrent peu, ils cognent. Ils ont infligé à UBS une amende record et retiré son agrément. Résultat, la Suisse a abandonné ses pratiques opaques. Je ne connais pas le dossier BNP -peut-être y a-t-il eu abus - mais je sais que la régulation ne peut être que mondiale.
Au Sénat, nous avons particulièrement mal vécu l'affaire Dexia. Avec la nouvelle régulation, peut-on penser qu'aucune banque ne pourra plus se trouver dans une situation aussi périlleuse ?
M. André Gattolin. - Votre objectif est de restaurer la confiance, de créer les conditions du retour de la croissance, dites-vous. Je souhaiterais vous interroger sur l'architecture et l'organisation de la Commission européenne. La direction de la concurrence est très rigoureuse ; le financement des entreprises très difficile, notamment en France. Il n'y a pas de politique industrielle européenne. Les inégalités fiscales ou d'investissement au niveau mondial sont inquiétantes. Or la posture de l'Union européenne demeure idéologique. Autant les crédits d'impôt recherche sont facilités, autant les crédits d'impôt sectoriels, nécessaires pour développer les industries stratégiques à risques, notamment dans les nouvelles technologies, sont bannis, alors que l'Amérique du Nord et l'Asie utilisent les règles plus souples de l'OMC et font de la ré-industrialisation. Nos conditions de concurrence sont irréelles au regard de ce que pratiquent les autres continents. Comment rendre la politique économique européenne plus cohérente ?
M. Jean Bizet. - En donnant l'avis de la Commission européenne, le 2 juin dernier, sur l'état de nos finances, José Manuel Barroso a employé des termes mesurés mais clairs, soulignant les difficultés de la France à engager des réformes structurelles et à réduire les dépenses publiques. Nous sommes en situation de surveillance renforcée. Dans l'hypothèse où la croissance ne repartirait pas, comment la position de la Commission pourrait-elle évoluer, sans risquer d'inquiéter les marchés ?
Que pensez-vous de la décision de la BCE, dont Mario Draghi est un formidable président ? La baisse des taux directeurs sera-t-elle de nature à relancer la croissance ? Ne vient-elle pas un peu tard ?
Je me réjouis de l'accord du 9 décembre sur les travailleurs détachés, qui a permis l'adoption définitive de la directive d'exécution le 7 mai dernier, mais en tant que partisan d'un libéralisme encadré, je regrette la timidité de la Commission dans le contentieux autour de Ryanair et Air France : on peut craindre la disparition, à terme, du pavillon français. La création d'emplois ne dispense pas de respecter un certain nombre de règles.
Mme Fabienne Keller. - Je salue le travail considérable réalisé par Michel Barnier, en synergie avec ses collègues. Le règlement EMIR amorce l'obligation de déclaration des produits dérivés, avec l'idée d'une convergence dans un système de compensation permettant de suivre les flux financiers. Quelles sont les perspectives ? Si c'est business as usual, avec un foisonnement de produits non maîtrisés, on risque une nouvelle crise.
M. Éric Bocquet. - Dans une interview au journal Les Echos, Paul Krugman, prix Nobel d'économie 2008, estime que la France souffre d'hypocondrie et que sa situation est loin d'être comparable à celle de l'Italie, par exemple. Il en veut pour preuve les taux d'emprunt historiquement bas dont la France bénéficie. Partagez-vous cette analyse ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Vous voyez quel intérêt soulève votre audition, monsieur le Commissaire !
M. Michel Barnier. - Monsieur le rapporteur général, le temps de la démocratie est forcément plus long que le temps des marchés. Le processus collégial n'est pas une formalité mais une garantie : l'alchimie entre services, cabinets, commissaires sert à construire l'intérêt général. Une fois que nous avons abouti à une proposition, vient le temps du processus démocratique, devant le Parlement et le Conseil en formation législative. Entre le moment où un texte est présenté et son adoption, il faut compter entre un et trois ans.
J'ai présenté le texte sur la réforme structurelle du secteur bancaire après que bien d'autres mesures ont été adoptées. Nous avons fait quarante-et-une lois, qui suffisaient pour la quasi-totalité des banques, mais pas pour les trente plus grandes. Il était plus sérieux de faire cette réforme après le reste. Je souhaite que le gouvernement et le Parlement français prennent leurs responsabilités sur un texte que je crois raisonnable et complémentaire des législations nationales existantes. « Un baiser aux Britanniques » ? Ce n'est pas comme ça que je travaille. J'ai proposé un texte qui va plus loin que la loi française et allemande en interdisant le proprietary trading, la spéculation pour compte propre, qui n'a aucun lien avec l'économie réelle. Je vais moins loin que le rapport Liikanen sur la filialisation : c'est un texte raisonnable pour traiter les vingt-neuf banques qui sont too big to fail, too complex to resolve, trop chères pour être financées par les fonds publics. Le rapport Vickers va théoriquement plus loin. La Commission contrôlera s'il y a bien équivalence entre les législations européenne et nationales ; si tel est le cas, il n'y aura pas lieu d'imposer la loi européenne.
Nous sommes le premier continent à avoir encadré les bonus, grâce au Parlement européen, que j'ai soutenu. La loi s'applique, cela n'a pas fait plaisir aux banques. L'ABE sera très vigilante sur les risques de contournement. Nous ne sommes pas une économie administrée, il n'est pas question d'encadrer les rémunérations mais les bonus porteurs de risques, risques qui sont payés in fine par le contribuable.
Nous n'avons pas interdit le trading haute fréquence, méthode utile pour la liquidité mais qui comporte des risques. Nous l'avons encadrée. Laissons ces mesures être mises en oeuvre, nous verrons s'il y a lieu d'aller plus loin. J'ai essayé de peser le pour et le contre. Le texte comporte en outre des dispositions intéressantes contre la spéculation excessive sur les matières premières, notamment agricoles, que je considère scandaleuse.
Sur la résolution, le dispositif est assez éloigné de ce que je proposais initialement, mais c'est le fruit d'un compromis. Le Conseil et le Parlement européen travaillent chacun de leur côté, puis il faut se mettre d'accord. Le dernier trilogue sur la résolution bancaire a duré dix-sept heures, sans interruption. Ce texte est sérieux, crédible, et a été reçu comme tel par les acteurs financiers. Même s'il y a une progressivité dans la mutualisation, le mouvement sera prouvé en marchant. L'important est d'avoir enfin un système de résolution, un mécanisme de décision rapide. Avec la directive Résolution, les actionnaires paieront plus que les contribuables. Les stress tests en cours démontreront sans doute certaines faiblesses des banques, qu'il faudra traiter par des mesures de restructuration bancaire, de capitalisation et d'appel au marché, mais nous ne sommes pas là dans le cadre d'une faillite bancaire.
J'ai soutenu depuis le premier jour la taxe sur les transactions financières, qui avait été demandée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Mon collègue Algirdas Semeta, qui ne manque pas de courage, a présenté un texte ambitieux, avec une taxe à taux faible et base large, y compris sur les produits dérivés. Faute d'unanimité, il a été restreint. Onze pays ont décidé de s'engager, c'est un progrès. Une telle taxe me paraît économiquement supportable, techniquement assez facile et moralement juste. Je préfèrerais qu'elle soit mondiale, pour que les marchés financiers contribuent à relever les défis mondiaux.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Tant qu'elle ne s'applique pas à Londres...
M. Michel Barnier. - Les Britanniques ont la Stamp Duty Reserve Tax.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Cela ne va pas très loin.
M. Michel Barnier. - La Commission propose, les gouvernements et le Parlement disposent. Bruxelles ne décide pas de tout. Ministre à quatre reprises, j'ai rarement connu des processus de consultation équivalents à celui de la Commission. Et nous tenons compte de toutes les réponses que nous recevons !
Il est très important que vous invitiez les commissaires et les responsables de la BCE, mais il y aurait aussi intérêt à confronter vos points de vue avec les députés européens.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - La commission des finances du Sénat attache une importance particulière à la conférence interparlementaire prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Mais il est difficile de trouver une vision commune avec les Allemands, qui nous opposent immédiatement des arguments constitutionnels. Il est indispensable que les parlementaires nationaux échangent davantage avec le Parlement européen.
M. Simon Sutour, président. - Nous rencontrons les parlementaires européens à l'occasion des Cosac et nous tenons une réunion trimestrielle avec les membres de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale et les eurodéputés français. Ces derniers sont malheureusement peu assidus. Les instances existent, mais les députés européens considèrent que les affaires européennes leur appartiennent, quoi qu'en dise la Constitution !
M. Michel Barnier. - Continuez ! Peut-être en organisant des réunions spécifiques, par exemple sur les questions financières. Certains eurodéputés français sont très compétents sur ces sujets.
S'agissant du maintien de l'égalité des conditions de concurrence, notre législation est somme toute très proche de celle des États-Unis, qui sont nos principaux partenaires : nous avons avancé parallèlement avec eux. Je souhaite que l'accord transatlantique comporte notamment des mesures sur l'interopérabilité de nos systèmes de régulation. J'y travaille et nous avons beaucoup avancé.
L'affaire BNP-Paribas est instruite par la justice américaine.
Mme Nicole Bricq. - Je ne parlais pas du fond, mais du principe de réciprocité.
M. Michel Barnier. - Compte tenu de l'importance de cette banque, elle doit être traitée de manière équitable et objective. Les chiffres avancés justifient l'attention du gouvernement et des autorités européennes. Je suis très soucieux de la réciprocité et j'ai d'ailleurs présenté un projet sur la réciprocité dans les marchés publics.
Mme Nicole Bricq. - Le Parlement européen l'a voté.
M. Michel Barnier. - J'attends que le Conseil des ministres en fasse autant.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - L'Europe n'est pas une plus grande France.
M. Michel Barnier. - Grâce au trilogue, monsieur Yung, nous sommes parvenus à un dispositif opérationnel sur la résolution.
L'organisation de la Commission est un problème d'actualité. Avec le retour de la stabilité est venu le temps de l'initiative politique. Je vous recommande mon livre dont le titre reprend une phrase de Périclès, citée par Thucydide dans La Guerre du Péloponnèse : « Se reposer ou être libre, il faut choisir ». J'y traite du sujet, prioritaire à mes yeux, de l'industrie. Je propose moins de réglementation et plus de politique, qu'il s'agisse d'industrie, de numérique, de défense, d'énergie. Sans stratégie, la direction de la concurrence est toute puissante, m'a toujours dit mon directeur de cabinet, qui a longtemps été chargé de la lutte anticartel. Pourquoi ne ferions-nous pas pour l'industrie ce que nous avons fait pour l'agriculture ? Un groupe d'experts européens, présidé par Jean Therme, a identifié les technologies clés, les key enabling technologies, qui sont en voie de disparition en Europe. Protection n'est pas protectionnisme : avec les règles actuelles de concurrence, plus on s'éloigne de la recherche fondamentale pour se rapprocher de la mise en marché, moins on peut aider. Résultat, les États-Unis, la Chine achètent la recherche que nous avons financée et industrialisent chez eux !
M. André Gattolin. - Absolument.
M. Michel Barnier. - Il faut faire évoluer les règles en matière d'aides d'État : c'est possible sans changer les traités.
La question des agences de notation m'a beaucoup occupé ; par leurs excès et leurs défauts, elles ont dans certains cas accentué la crise. Certains produits toxiques étaient bien notés, certaines banques sur le point de faire faillite aussi. Les textes que j'ai présentés ont mis fin à l'absence de transparence, aux conflits d'intérêts, à l'absence de supervision. Vingt-quatre agences sont désormais enregistrées et supervisées par l'AEMF. Vous avez évoqué l'initiative russo-chinoise. Nous n'avons pas les 300 millions d'euros nécessaires à la création d'une agence européenne, mais les petites agences pourraient se regrouper... Avec ces textes, il ne s'agit pas de casser le thermomètre mais de s'assurer qu'il fonctionne correctement.
Les banques financent 75 % de l'économie européenne, contre 25 % aux États-Unis. Cela explique le soin que j'ai apporté aux textes instituant les règles de Bâle III. Les premières estimations sur les règles de liquidité publiées par le comité de Bâle en 2011 auraient eu des conséquences dramatiques sur le financement de l'économie ; le comité les a revues. J'ai souhaité réduire les exigences prudentielles lorsque les banques financent les entreprises, notamment les PME, car l'effet de levier est très important ; Nicolas Dufourcq vous le dira.
Sommes-nous à l'abri d'une nouvelle crise ? Non, mais nous sommes mieux outillés, nous pouvons mieux anticiper, mieux réagir, limiter l'impact des crises pour le contribuable, faire payer les responsables : la directive Abus de marché criminalise certaines manipulations. Le plus important demeure la supervision, qui permet de réagir vite et d'interdire certaines pratiques.
J'ai participé activement aux délibérations du collège des commissaires européens sur les recommandations faites à la France : les commissaires sont coresponsables, je l'ai dit. La France a bien fait de ne pas demander un délai supplémentaire. Le gouvernement français peut atteindre 3 % en 2015 ; c'est dans l'intérêt national. Il est aberrant de consacrer 46 milliards d'euros au seul service de la dette ! La clé pour réussir, au-delà de la réduction des dépenses, réside dans la croissance. Nous pensons que les estimations de croissance du gouvernement sont crédibles.
Pour avoir été sénateur, député, président de conseil général, je sais que ce pays a une réserve d'innovation, d'initiative, d'énergie qu'il faut libérer. C'est ainsi que nous trouverons les quelques points de croissance nécessaires pour réduire le déficit. Le plan présenté par Manuel Valls va dans la bonne direction. Il faut aller plus loin et plus vite, accompagner la politique budgétaire d'une politique économique, de flexibilisation du marché du travail, de financement des retraites, de formation professionnelle, qui est la seule possible.
Je connais mal le dossier Ryanair évoqué par Jean Bizet ; je tâcherai de vous faire une réponse écrite.
J'ai soutenu Michel Sapin sur les travailleurs détachés. La directive est utile si elle est appliquée, elle ne doit pas être détournée. À titre personnel, j'ai proposé que l'on dresse une liste noire des entreprises qui fraudent et que l'on coordonne dans un corps européen les inspections du travail.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Envoyons nos inspecteurs du travail dans d'autres pays !
M. Michel Barnier. - Madame Keller, le marché des dérivés était le plus important, mais le moins transparent. Nous y avons mis de la lumière par les obligations d'enregistrement, de standardisation, de compensation. La résolution des chambres de compensation est un sujet pour l'avenir. Avec l'entrée en vigueur du règlement EMIR, la part de produits enregistrés va passer de 15 % à 70 %.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Vous nous avez répondu de manière approfondie, motivée et souvent passionnée ; merci de cette belle prestation.
La séance est levée à 16 heures 50