Mercredi 21 mai 2014
- Présidence de M. Simon Sutour, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Justice et affaires intérieures - Avenir des politiques européennes en matière de liberté, de sécurité et de justice : rapport d'information de Mme Sophie Joissains
M. Simon Sutour, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir des magistrats de la Cour des Comptes qui effectuent un stage au Sénat. En votre nom à tous, je leur souhaite la bienvenue.
Nous allons entendre une communication de notre collègue Sophie Joissains sur les perspectives des politiques qui concernent l'espace de liberté de sécurité et de justice.
Je rappelle que le programme actuel dit « de Stockholm » couvre la période 2010-2014. Le Conseil européen doit donc décider quelles seront les nouvelles priorités après 2014.
Début mars, la Commission européenne a présenté trois communications dans lesquelles elle a souhaité mettre l'accent sur les aspects opérationnels de préférence à l'adoption de nouveaux textes. Le Conseil « JAI » examinera la question début juin avant que le Conseil européen ne se prononce lors de sa session de fin juin.
Le champ des politiques couvertes est très vaste. Sont concernés tout à la fois la coopération policière et judiciaire pénale comme civile, les politiques de l'immigration et de l'asile ou encore les droits fondamentaux, en particulier la protection des données personnelles. Nous y sommes très sensibles dans notre commission.
Nos rapporteurs qui se sont rendus à Europol et Eurojust - André Gattolin, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond et Colette Mélot - nous ont bien expliqué tous les enjeux de la coopération policière et judiciaire en Europe.
Les drames qui se produisent - malheureusement de façon répétée - en Méditerranée sont là pour nous rappeler les défis que les politiques européennes en matière d'immigration et d'asile doivent relever.
Sophie Joissains a par ailleurs été notre rapporteure sur la création d'un Parquet européen. Elle nous donnera donc un éclairage sur l'état de la négociation sur ce dossier sur lequel nous avons exprimé des positions importantes.
Mlle Sophie Joissains. - Ma communication sur les perspectives de l'après Stockholm dans le domaine des affaires intérieures et de la justice, s'inscrit dans un contexte particulier.
En effet, jamais le terme « perspectives », avec ce qu'il comporte d'aléatoire, n'a été aussi approprié. Car les éléments d'information que je vais vous communiquer, relatifs au bilan des cinq dernières années, aux priorités ainsi qu'aux ambitions exprimées pour les cinq années qui viennent, ont été recueillis auprès d'institutions européennes qui se trouvent en fin de mandat.
Le « Programme de Stockholm » adopté par le Conseil européen pour la période 2010-2014, était ambitieux. Ses grandes priorités se sont articulées autour de l'objectif « mettre le citoyen au coeur de l'espace de liberté, de sécurité et de justice ».
C'est ce programme de Stockholm dont nous devons aujourd'hui, en 2014, dresser le bilan et envisager l'« après ».
J'évoquerai d'abord le volet affaires intérieures puis le volet justice.
S'agissant de la politique européenne de l'immigration, le bilan reste maigre.
La réunion conjointe Parlement européen - parlements nationaux, organisée à Bruxelles, le 19 mars dernier, à l'initiative de la commission Libé, a bien fait apparaître que la politique européenne en la matière se réduisait, en dépit de grandes déclarations de principe sur la nécessité d'une approche globale, à une tentative de rapprochement des règles en matière de droit d'asile ou de visas et à une contribution de l'agence européenne FRONTEX à la surveillance des frontières extérieures de l'Union.
À la Commission européenne, on estime, au demeurant, que les États membres sont, à titre principal, responsables du contrôle de leurs frontières extérieures.
Pourtant, il y a, aujourd'hui, « péril en la demeure européenne ».
Le dernier rapport trimestriel de l'agence FRONTEX est édifiant à cet égard.
En 2013, on a enregistré plus de 107 000 entrées illégales dans l'Union soit une hausse de 48 % par rapport à 2012. Le 3e trimestre 2013 a battu tous les records s'agissant des entrées illicites aux frontières extérieures de l'Union avec 47 400 passages illégaux (20 000 en 2012). Le 4e trimestre de cette année a été caractérisé par le plus grand nombre d'illégaux détectés aux frontières pour une période équivalente depuis 2009.
Sur les 4 premiers mois de l'année 2014, le nombre de traversées recensées entre l'Afrique du nord et l'Italie aurait presque décuplé par rapport aux 4 premiers mois de l'année 2013.
Dans ces conditions, on comprend que les autorités italiennes s'avouent complètement débordées par le phénomène.
Il semble qu'on ait dépassé le stade où certains États membres, confrontés à de ponctuelles « poussées migratoires », avaient simplement besoin d'être « épaulés » par l'agence européenne FRONTEX qui ne dispose, au demeurant, que de 300 agents avec un budget en baisse en 2014 (89 millions d'euros) soit environ 0,4 % du budget de 24 milliards de dollars que les États-Unis consacrent à leurs douaniers (63 000 agents) et à leurs garde-côtes (50 000 agents) !
Un projet de règlement sur la surveillance des frontières extérieures de l'Union est en cours de discussion. Mais il faut maintenant aller plus loin. Chaque État membre de l'Union doit comprendre qu'il est directement concerné par les pressions migratoires qui s'exercent sur les pays de la périphérie.
Le principe de libre-circulation à l'intérieur du territoire de l'Union ne peut plus être remis en cause. En conséquence, tous les États membres ont la responsabilité de la surveillance des frontières extérieures.
Cette responsabilité est la contrepartie de la création de l'espace Schengen. On ne devrait même plus parler de solidarité entre États membres mais de responsabilité commune.
Il y a plusieurs années, la Délégation du Sénat aux affaires européennes avait préconisé la création de gardes-frontières européens. Cette proposition est toujours sur la table. Il s'agirait maintenant de l'activer. Contrairement à ce que certains prétendent, c'est impérativement de plus d'Europe dont nous avons besoin sur ce dossier. Le repli sur soi serait parfaitement illusoire. Les défis à relever en la matière appellent des réponses que chaque État membre seul est bien incapable d'apporter parce qu'elles requièrent l'échelle de toute l'Europe !
Le règlement de la situation d'urgence que je viens de décrire n'est nullement contradictoire avec la mise en place d'une véritable gestion raisonnée et prospective des flux migratoires, à l'échelle européenne.
Les principes qui doivent gouverner cette politique ont été définis depuis longtemps. Mais chacun voit que si l'actuelle crise migratoire ne trouve pas rapidement de solutions, toute politique globale d'accueil et d'intégration est vaine.
J'évoquerai maintenant un dossier voisin du précédent, celui de l'asile.
Un chiffre tout d'abord : d'après EUROSTAT, les demandes d'asile dans l'Union européenne auraient atteint 435 000 en 2013 soit une hausse de 36 % par rapport à 2012.
En la matière, il existe au sein de l'Union de grandes disparités : disparité relative au nombre des États membres qui accordent le droit d'asile : en fait, 5 à 6 États (Allemagne, France, Suède, Pays-Bas notamment) prennent en charge 80 à 90 % des demandeurs d'asile.
La seconde disparité concerne les taux d'acceptation. Certains États, par exemple, accordent le statut de réfugié à 80 % des Irakiens qui en font la demande, d'autres ne le délivrent qu'à 3 % des demandeurs de cette origine nationale !
Certains États ont une culture et une expérience de l'asile, comme par exemple la France ou l'Allemagne. D'autres en sont totalement dépourvus, comme les États nouvellement entrés dans l'Union européenne.
Les procédures et les pratiques diffèrent d'un pays européen à l'autre. Le statut de réfugié et les aides qui l'accompagnent sont aussi très différents d'un État membre à l'autre.
Un paquet législatif comportant trois directives - la directive « qualification », la directive « procédure » et la procédure « accueil » - a été adopté par le Parlement européen au mois de juin 2013. L'adoption de ces textes et leur transposition devraient permettre un certain nombre d'harmonisations.
L'actuelle explosion de la pression migratoire sur certains de ces pays pourra peut-être relancer le débat !
Mais ce qu'il importe avant tout pour l'Europe, c'est de mieux s'investir dans les régions du monde dont les demandeurs d'asile sont originaires. Les États européens devraient, par exemple, s'engager davantage avec des aides financières, mais aussi des programmes d'aide opérationnelle et technique, en faveur de l'Afrique et notamment en direction des pays africains qui accueillent parfois des millions de réfugiés. La Commission européenne appelle de ses voeux des programmes de ce type qui pourraient être mis en oeuvre par les États membres de concert avec l'Union européenne pour aider les régions du monde les plus concernées ; certains États européens, en fonction du contexte historique, pourraient d'ailleurs être mieux placés que d'autres pour piloter ce type d'opérations.
Dans le domaine de la sécurité intérieure, les progrès sont lents mais incontestables notamment dans le domaine de la coopération policière.
Europol, qu'une délégation de notre Commission des affaires européennes a récemment visité, apparaît à cet égard comme une vraie réussite. Il se qualifie lui-même comme un « méga-moteur de recherche » et permet, à l'évidence, une meilleure transmission des informations entre États membres.
Il reste que de l'aveu même de la Commission, la sécurité intérieure relève prioritairement, comme son nom l'indique, des affaires intérieures des États membres et donc des politiques régaliennes.
Elle ne s'en félicite pas moins de l'amélioration constante de la collaboration entre les différentes organisations policières. Cette coopération, au demeurant, a vocation à se renforcer à l'heure où la cybercriminalité ainsi que les différentes formes de grande criminalité organisée se moquent allègrement des frontières.
J'en viens aux perspectives de l'après Stockholm dans le domaine de la justice.
La Commission entend, à l'horizon 2020, renforcer l'État de droit.
À cet égard, elle a publié, au mois de mars dernier, une communication intitulée « Un nouveau cadre de l'Union européenne pour renforcer l'État de droit ».
L'objectif est de combattre les violations du droit de l'Union lorsqu'il existe, mais aussi la mise en cause des valeurs européennes dans tel ou tel État membre.
Lorsqu'un État membre de l'Union décide de se mettre en dehors de la loi, la Commission propose d'enclencher un mécanisme spécifique qui comprendrait deux étapes :
- un processus d'établissement des faits ;
- un processus de dialogue avec l'État membre afin qu'il finisse par respecter les règles et les valeurs de l'Union.
Ce processus déboucherait sur une recommandation, au cas où l'État concerné ne donnerait pas suite aux observations qui lui sont faites.
En fin de processus, si l'État concerné refuse de donner suite à la recommandation européenne, il sera toujours possible d'appliquer l'article 7 du traité - ce que la Commission appelle, elle-même, son « arme atomique » - qui prévoit la suspension du droit de vote au Conseil de l'État récalcitrant.
Des pays comme la Hongrie ou la Roumanie sont, en particulier, dans le « viseur » de la Commission.
Rappelons par exemple que la Hongrie s'est « débarrassée » de 600 juges tout simplement en abaissant l'âge de la retraite des magistrats.
Sur le dossier du parquet européen, qui fut quand même un des grands « chevaux de bataille » de notre commission des affaires européennes, on note que le ton, à la Commission, est désormais mesuré et positif. La plupart des acteurs du dossier sont même étonnés que les discussions sur une avancée aussi importante pour l'Union européenne soient plus faciles que prévu.
Pour commencer, la Commission n'est plus hostile à l'idée de collégialité. Elle s'attache, en revanche, à faire prévaloir deux aspects qui lui paraissent essentiels : l'efficacité et l'indépendance du parquet européen.
Le schéma qui semble rallier aujourd'hui tous les suffrages à l'exception du Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni, pour la structure du parquet européen, serait le suivant :
- un procureur en chef avec cinq adjoints ;
- une formation collégiale de 20 à 25 membres (un par État).
La formation collégiale, qui pourrait être divisée en chambres permanentes ou ad hoc pour traiter les dossiers, serait bien le lieu du pouvoir stratégique pour toutes les décisions importantes notamment celles d'engager des poursuites ou de classer sans suite une affaire. Le procureur européen serait lui chargé de faire tourner la structure est d'assurer le suivi des dossiers traités ;
- des procureurs délégués dans les États membres.
La Commission restera ferme sur ce qu'elle considère comme l'indépendance du parquet européen par rapport aux États membres. Si une affaire concerne un État membre, par exemple, elle refuse que le procureur de cet État membre faisant partie de la structure collégiale du parquet européen soit en charge seul du dossier. Elle accepte toutefois que ce procureur puisse siéger dans la chambre qui prendra la décision.
En tout cas, tous mes interlocuteurs ont insisté sur le fait que le carton jaune des parlements nationaux a eu un impact psychologique déterminant.
En ce qui concerne le dossier sur la protection des données personnelles, il convient d'être prudent sur l'état d'avancement du dossier.
La Commission recherche manifestement un hypothétique équilibre entre la protection des données et le développement des entreprises européennes dans le domaine du numérique.
Les plus optimistes relèvent que la situation évolue lentement et que le Parlement européen a, pour sa part, bien avancé sur le sujet. Les pessimistes constateront qu'il sera sans doute difficile de trouver une solution avant la fin de l'année 2015, les blocages restant forts sur un certain nombre de points.
Les données personnelles constituent, comme le pétrole, une matière première d'une valeur considérable : le marché mondial des données représente sans doute des trillards d'euros !
L'Europe, estime la Commission, a un puissant intérêt à voir se développer sur son sol des « Google européens ».
Mais, d'un autre côté, il ne faut pas oublier les enjeux liés aux droits des personnes : droit d'accès (« qui » détient « quoi » sur tel ou tel citoyen), droit au consentement, droit à l'oubli, droit au refus de voir traiter et exploiter des données personnelles, interprétation uniforme des droits des citoyens au niveau européen.
Le projet de règlement sur la protection des données personnelles civiles et commerciales, de même que le projet de directive sur les données pénales et judiciaires s'efforcent de répondre à ces enjeux.
À la suite de l'affaire « Snowden », la Commission a remis 13 revendications au Gouvernement américain pour « assainir » les relations entre l'Europe et les États-Unis en matière d'échange de données et rétablir la confiance.
Sur ces 13 recommandations, 12 ont un caractère technique ; une seule pose vraiment problème : il s'agit de la question capitale de savoir ce qu'il advient des données européennes transférées aux États-Unis. La discussion n'est pas facile mais les lignes semblent bouger. On se dirige, semble-t-il, vers une restriction d'accès à ces données pour les agences de sécurité de type NSA.
Un accord pourrait donc être trouvé sur un principe de limitation d'accès et sur l'idée que certaines données pourraient faire l'objet d'un traitement spécifique.
Mais si un accord s'avérait impossible sur la 13e recommandation, on serait, juge la Commission, face à un très gros problème politique. N'oublions pas que le gouvernement américain n'est pas la seule partie prenante en la matière. Le Congrès américain semble en effet plutôt hostile à la position européenne.
La Commission invite les parlementaires des États membres à entrer en contact avec leurs collègues américains pour en discuter.
J'en viens à la formation des juges en Europe.
C'est un aspect très important du programme de travail que la Commission européenne souhaiterait mettre en oeuvre pour les cinq prochaines années.
La formation des magistrats tient une place importante dans le programme justice de 2014-2020. La moitié des crédits de la Commission dédiés à la Justice y sera consacrée. Toutefois, rien de très concret ne m'a été présenté.
Permettez-moi de tirer deux conclusions :
Je rappelle tout d'abord que les éléments d'information qui m'ont été fournis et qui constituent la matière première de cette communication, m'ont été fournis par des représentants d'institutions européennes en fin de mandat. J'ai donc été souvent destinataire de réflexions pouvant s'apparenter à un « testament politique ».
Ma première conclusion, c'est que je trouve parfaitement fondé le souhait exprimé par la Commission de consacrer le mandat à venir à la simplification, à la consolidation et à la mise en oeuvre des textes législatifs existants au plan européen.
Mes interlocuteurs ont souvent été modestes en développant l'idée que les institutions européennes existaient pour apporter une valeur ajoutée aux politiques conduites par les États membres dans le secteur, et s'efforçaient de mettre en place un socle minimal et acceptable par tous, de règles et de procédures dans le domaine de la coopération policière et judiciaire, de l'asile, de l'immigration, des visas, etc.
Ma seconde conclusion sera peut-être plus sévère. Dans le secteur JAI, l'Union européenne dispose de moyens très maigres voire dérisoires même si certains investissements ont été conséquents en particulier pour Europol.
Je vous ai indiqué tout à l'heure que le budget consacré par l'Union à la surveillance de ses frontières extérieures représentait environ 0,4 % du budget que les États-Unis dédient à cette fin. En adhérant à l'Union européenne, beaucoup d'États n'ont pas compris que l'entrée dans l'espace Schengen - la Bulgarie et la Roumanie n'y sont pas encore mais pourraient en être membres à part entière dans l'avenir - impliquait le contrôle de leur portion de frontières extérieures pour le compte de tous les autres États membres.
Cette contrainte est d'autant plus forte que les accords de Dublin les obligent à traiter les demandes et à héberger, en cas d'acceptation, les réfugiés qui ont présenté leur requête sur leur territoire. Et pourtant, ces États sont souvent dans l'incapacité d'assurer un contrôle efficace de leurs frontières.
Désormais, il faut tirer les conséquences de cette situation. Le repli sur soi n'étant pas une solution, ce sont au contraire les moyens mutualisés de l'Europe toute entière qui doivent être renforcés et mis au service des politiques d'immigration, d'asile et d'intégration, pour le plus grand profit de tous les États membres de l'Union européenne.
M. Simon Sutour, président. - Le rapport présenté par notre collègue, Mme Sophie Joissains, montre que la situation évolue dans le bon sens même si c'est lentement.
Il faut se souvenir à quel point la Commissaire européenne en charge de la Justice exprimait, il y a encore peu de temps, sa vive réticence sur l'idée de collégialité pour le parquet européen. Notre « carton jaune » a donc été utile.
Le déplacement à Europol et Eurojust a permis le recueil d'informations très utiles.
Il serait intéressant de partager avec la commission des lois les éléments d'information qui nous ont été communiqués sur l'ensemble de ces questions.
Mlle Sophie Joissains. - Je présenterai à la commission des lois une communication sur ce sujet la semaine prochaine.
M. Jean Bizet. - Bravo à notre rapporteure pour le panorama qui vient de nous être dressé.
Je relèverai, pour ma part, que les demandes d'asile, présentées dans l'Union européenne ont connu une progression de 36 % en 2013 par rapport à l'année 2012 ! Qu'en est-il du taux d'acceptation de ces demandes, en France par exemple.
Sur le Parquet européen, il faut se féliciter des progrès accomplis sur l'idée de la collégialité. Nos efforts n'ont donc pas été vains.
Sur la question de la protection des données personnelles, il ne faut surtout pas céder aux Américains. Il faut faire preuve, au contraire, de volonté politique même si des solutions techniques doivent être trouvées. Notre démarche doit s'inscrire, aussi, dans le contexte des négociations que mène actuellement la Commission européenne avec nos partenaires américains sur le Traité transatlantique.
Les Américains tiennent beaucoup à ce qu'une solution soit trouvée sur le Traité transatlantique ; de notre côté, il nous faut « tenir bon » sur le dossier de la protection des données.
Certes, le Net doit conserver son caractère universel mais l'affaire « Snowden », qui fragilise à l'évidence la position américaine, nous montre que nous devons, absolument, conforter en Europe un régime de protections et de garanties.
M. Simon Sutour, président. - Je signale que la commission des lois a invité les membres de la commission des affaires européennes à participer à un colloque qu'elle organise, demain, sur la protection des données personnelles.
Mlle Sophie Joissains. - Nos interlocuteurs, à Bruxelles, m'ont dit qu'ils verraient d'un très bon oeil que les parlementaires nationaux des États membres entrent en contact avec leurs collègues américains pour expliquer la position européenne.
M. Simon Sutour, président. - Cette discussion ne sera pas facile !
M. Jean Bizet. - Quand nous connaîtrons le nom de l'ambassadeur des États-Unis en France, peut-être pourrons-nous entamer un processus de discussion.
M. Simon Sutour, président. - Pour répondre à la question posée par M. Jean Bizet, j'indique que, selon l'OFPRA, on a enregistré, en 2013, en France quelque 47 000 demandes d'asile et que 11 000 décisions, soit un taux d'acceptation d'un peu moins du quart, ont été positives !
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport.
Énergie - Sûreté nucléaire : rapport d'information de Mme Françoise Boog et de M. Jean Bizet
M. Simon Sutour. - Nous allons maintenant entendre la communication de Françoise Boog et Jean Bizet qui vont nous présenter leur rapport d'information sur la sûreté nucléaire.
Que l'on soit pour ou contre l'énergie nucléaire, la sûreté doit figurer au premier rang des priorités européennes. Avec Jean Bizet, nous avions présenté ici-même, en mai 2011, un rapport d'information sur cette question. Nous avions fait valoir qu'après la catastrophe de Tchernobyl en 1996 et l'accident de Fukushima de 2011, il n'était plus possible d'imaginer un nucléaire à deux vitesses ou « low cost ». Ce modèle économique est révolu. L'opinion publique attend légitimement des réponses crédibles. Tout l'enjeu d'une approche européenne est donc de parvenir à tirer vers le haut le niveau de sûreté dans chaque État membre.
Dans une résolution européenne que nous avions présentée, le Sénat avait retenu une série de recommandations. Elles portaient notamment sur l'indépendance des autorités nationales chargées de la sûreté nucléaire. Nous avions aussi demandé un développement des obligations des États membres et des opérateurs en matière de transparence et d'information du public ainsi qu'une extension des évaluations par les pairs.
Le rapport d'information qui nous est présenté aujourd'hui permet donc de faire un point sur l'état de cette importante question trois ans après. Et ce dans un contexte où a été engagée la révision de la directive de 2009 qui fixe les principes applicables au niveau européen.
Je donne la parole à Françoise Boog et Jean Bizet.
Mme Françoise Boog. - Cette nouvelle étude que nous avons menée sur la sûreté nucléaire, à l'occasion du projet de la Commission modifiant la directive de 2009, a confirmé que la sûreté est pour tous les acteurs du secteur une priorité absolue et qu'elle est en constante amélioration.
La directive dite « Sûreté nucléaire » de 2009 a toujours été considérée comme une première étape. Après l'accident de Fukushima en mars 2011, le mouvement ne pouvait que s'accélérer et l'actualité a placé la question de la sûreté nucléaire sur le devant de la scène, mais aussi au coeur du débat sur l'avenir du nucléaire et sur la transition énergétique.
La sûreté nucléaire apparaît aujourd'hui comme une priorité européenne et il est clair aussi qu'elle constitue un avantage compétitif majeur pour les industriels européens de la filière, car ils ont une petite longueur d'avance dans ce domaine.
On ne doit pas cacher que l'opinion publique est inquiète, même en France où nous pouvons nous prévaloir d'un très haut niveau de sûreté grâce à la qualité des centrales nucléaires et grâce à l'action et à l'indépendance reconnues de l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), mais dans notre pays nous avons la culture du doute. Il est donc légitime de répondre à cette inquiétude. En conséquence, l'enjeu de l'approche européenne consiste à parvenir à hisser vers le haut le niveau de sûreté nucléaire dans chaque État membre et en particulier chez ceux qui n'ont pas encore atteint un niveau optimal. Le projet de modification de la directive de 2009 va naturellement dans cette direction en préconisant une évolution uniforme du cadre général européen en matière de sûreté nucléaire. Comme le résumait un opérateur, tout l'esprit de la sûreté nucléaire est contenu dans cette formule : « Rien de ce qui se passe à l'intérieur d'une centrale nucléaire ne doit avoir de conséquence à l'extérieur et vice-versa ».
La première directive sur la sûreté des installations nucléaires adoptée le 25 juin 2009 a sacralisé, sans les développer, les grands principes en matière de sûreté en résumant le travail de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et de l'Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d'Europe de l'Ouest (WENRA). Cette directive a eu le mérite de fixer un cadre communautaire pour assurer le maintien et la promotion de l'amélioration continue de la sûreté nucléaire et de sa réglementation.
Il était logique que, suite à l'accident de Fukushima, qui aurait pu être évité si l'opérateur avait fait les travaux demandés par le régulateur, le Conseil européen décide en mars 2011 d'évaluer la résistance des centrales nucléaires européennes en cas d'événements extrêmes, et invite la Commission à procéder à l'examen du cadre législatif et réglementaire existant en matière de sûreté des installations nucléaires et à proposer toutes les améliorations qui lui sembleraient nécessaires.
C'est ainsi que la Commission a lancé des pistes de réflexion visant à l'amélioration du cadre communautaire existant en matière de sûreté nucléaire. Puis, le 13 juin 2013, après consultation et négociation, elle a adopté un projet de révision de la directive de 2009.
Il faut rappeler qu'il existe 132 réacteurs en activité sur le territoire de l'Union européenne et que certains États membres envisagent d'en construire d'autres, comme l'Angleterre en particulier. En outre une partie du parc nucléaire a vieilli et bientôt se posera la question de son renouvellement ou de son démantèlement. Un chantier nucléaire immense nous attend dans tous les cas de figure.
Certes, les tests de résistance effectués dans l'Union européenne à la suite de l'accident de Fukushima montrent que le niveau global de sûreté de ces réacteurs est satisfaisant. Toutefois, il est apparu que des améliorations pouvaient être apportées et que l'on constatait des divergences dans l'approche adoptée par les États membres dans ce domaine. La communication du commissaire Oettinger sur les « stress tests » a été malheureuse et alarmiste dans un premier temps, mais il faut rappeler que ces tests ont été très positifs.
C'est ainsi que le cadre européen pour la sûreté nucléaire sera actualisé par le projet de révision afin de prendre en compte les dernières avancées techniques intégrant les conclusions des tests de résistance et des analyses de l'accident de Fukushima.
Dans ce projet européen, on peut distinguer quatre points importants :
1 - Un renforcement de l'indépendance des autorités de sûreté
Toutes les autorités de sûreté nationale ne sont pas comme l'ASN des entités indépendantes du pouvoir exécutif ; il s'avère même souvent qu'elles sont un département du ministère de l'énergie. Certains États membres n'ont pas d'autorité de sûreté comme les Pays-Bas. La Commission, soutenue en cela par la France, souhaite que les autorités nationales voient leur rôle se renforcer et soient dotées des ressources et du personnel appropriés. L'ASN compte 450 collaborateurs.
2 - Prendre en compte chaque étape du cycle de vie d'une centrale
Le projet fixe de nouveaux objectifs de sûreté à chaque étape du cycle de vie des installations nucléaires (choix du site, conception, construction, mise en service, exploitation et déclassement). Cette exigence nouvelle découle de la maturité d'une partie du parc nucléaire. On pense que si la durée de vie de certaines centrales est prolongée, cela ne peut se faire qu'en s'entourant des mesures de sûreté adaptées (sur ce point, EDF investira 10 milliards d'euros). De même, le démantèlement des réacteurs qui seront fermés doit se faire dans les meilleures conditions.
3 - La revue par les pairs « Peer Review »
Le projet de révision institutionnalise le principe de la revue par les pairs, c'est-à-dire un système européen d'examen régulier par les pairs des installations nucléaires afin de vérifier le niveau de conformité technique de ces installations aux objectifs de sûreté.
Ces examens par les pairs, sur le modèle de ceux lancés par l'AIEA, permettront d'élaborer des lignes directrices techniques destinées à améliorer la sûreté nucléaire.
La question qui se pose est celle de leur périodicité, car il s'agit d'exercices lourds et coûteux. La négociation a porté aussi sur l'attribution du pouvoir de choisir le thème d'investigation et sur la place de la Commission dans le processus.
4 - Vers une plus grande transparence
Le projet de révision tend vers une plus grande transparence (certains préfèrent qu'on parle plutôt d'information) : les titulaires d'une autorisation d'exploiter des installations nucléaires et les autorités de surveillance seront tenus d'informer la population rapidement et régulièrement, en particulier en cas d'accident et les citoyens pourront participer davantage au processus d'autorisation des installations nucléaires. Je laisse la parole à mon collègue.
M. Jean Bizet. - Je vais vous parler des réactions au projet de la Commission.
Les réactions à la première mouture du projet ont été d'abord très mitigées, car la Commission semblait vouloir s'arroger un pouvoir centralisé et supranational sur les autorités de sûreté nationales. Après négociation, le texte corrigé fait consensus, la Commission ayant admis que la sûreté nucléaire devait rester une compétence nationale soumise aux normes internationales émises par les instances internationales où se retrouve l'ensemble des autorités de sûreté (AIEA - WENRA - ENSREG). Désormais, chacun s'accorde pour dire que sur un territoire donné, il ne peut y avoir qu'un seul gendarme de la sûreté nucléaire. Je crois qu'on peut remercier la Représentation permanente à Bruxelles pour l'excellente négociation qu'elle a menée.
1 - La position française et l'avis de l'Agence de Sûreté Nucléaire sur le projet de révision de la directive de 2009
Le 15 janvier 2014, l'ASN a rendu public son avis sur ce projet. L'ASN se réjouit du renforcement des dispositions sur la transparence et sur l'information du public ; elle salue la définition d'objectifs de sûreté pour les installations nucléaires couvrant toutes les étapes de leur vie et l'obligation de conduire des réexamens de sûreté décennaux.
Cependant, l'ASN demandait que la Commission lève toute ambiguïté sur la responsabilité du contrôle de la sûreté nucléaire et renforce davantage l'indépendance institutionnelle des Autorités de sûreté. Au-delà de la séparation fonctionnelle, ces autorités doivent être juridiquement indépendantes des autorités chargées de la politique énergétique. Sur le premier point, l'ASN a obtenu satisfaction, mais sur le second, il n'a pas été possible d'obtenir plus que l'indépendance fonctionnelle des autorités nationales de sûreté.
L'ASN recommandait de prévoir un mécanisme commun pour des examens thématiques de sûreté sous la responsabilité des Autorités de sûreté nationales faisant l'objet, au niveau européen, de revues et de suivi par les pairs, les résultats étant rendus publics et elle a été entendue.
Il faut rappeler que la France s'oppose à toute ingérence de la Commission dans les missions de sûreté de l'Autorité de sûreté. Pour la France, il est crucial de respecter le partage des compétences en matière de sûreté nucléaire et de veiller au caractère facilement transposable des dispositions de la directive. L'intervention de la Commission pour définir un sujet commun d'examen avec les États membres lors des revues périodiques n'est pas souhaitable : même si elle soutient le principe de la revue par les pairs, la France juge qu'il conviendrait que cette revue soit mise en place par les États et non pas imposée par la Commission. La Commission considère, pour sa part, qu'elle a un rôle d'initiative en collaboration avec les États membres et qu'elle se doit d'intervenir dans le cas où les États membres ne sélectionneraient aucun sujet d'examen. La négociation s'est conclue en faveur de la position française. La Commission sera simplement observateur grâce à son siège au Groupement européen des autorités de sûreté nucléaire (ENSREG).
2 - La position de la commission des affaires européennes du Sénat
Notre commission a voté le 25 mai 2011 une proposition de résolution dans laquelle elle soutenait la démarche des tests de résistance ainsi que le principe des tests périodiques en collaboration avec les pairs, appelant de ses voeux une révision de la directive de 2009. Sur ce point, nous avons donc été suivis.
Il ressort de cette résolution, et de l'ensemble des travaux précédents de la commission des affaires européennes dans ce domaine, que notre commission est parfaitement en phase avec les derniers développements du sujet ainsi qu'avec l'esprit du projet de révision à l'exception de divers points qui ont fait l'objet d'une négociation serrée et positive à Bruxelles comme par exemple le rôle de la Commission européenne.
En conclusion, je vous dirai que ma collègue et moi-même n'avons aucun doute que le texte de révision de la directive « Sûreté nucléaire » tel qu'il a été renégocié et tel qu'il est sorti de la réunion du Groupe des questions atomiques du mercredi 14 mai dernier va dans le bon sens. En matière de sûreté nucléaire, il convient d'adopter le principe dynamique d'une constante vigilance et d'une constante amélioration. C'est un domaine où il faut imaginer l'inimaginable. Une gestion saine de la sûreté nucléaire passe par la nécessité de poser des normes élevées et d'attendre que chacun les ait adoptées avant de réformer ces premières limites qui avaient d'abord été jugées indépassables. L'industrie demande qu'on la laisse atteindre un palier avant d'en proposer un autre. Cependant, chaque fois un nouveau palier d'exigence se profile.
Heureusement, le progrès technique vient étayer la sûreté nucléaire. On sait que les nouvelles centrales sont bien plus sûres et que le vrai problème qui se pose concerne naturellement les anciens réacteurs, ce qui conduit à la question de leur durée de vie et, de là, au choix de politique énergétique.
Quant à la question de savoir si le coût de la sûreté nucléaire est ou non proportionné aux bénéfices qu'on en retire, vos rapporteurs tiennent à rappeler qu'aujourd'hui, l'approche reste et devra encore rester que « la sûreté n'a pas de prix ». Les producteurs nous ont fait savoir que le renforcement constant de la sécurité avait renchéri le prix de l'électricité nucléaire mais qu'elle restait cependant compétitive pour l'instant mais qu'ils ne préjugeaient pas de la suite.
Il ressort de nos entretiens que la sûreté nucléaire est le souci constant des régulateurs et des producteurs. Il ressort aussi que la sûreté nucléaire ne cesse de progresser et que tous la perçoivent comme une ardente obligation.
Comme la production d'électricité d'origine nucléaire est aujourd'hui plus écologique et plus compétitive que les autres modes de production et que la question de la sécurité est traitée d'une manière toujours plus satisfaisante, le débat quitte le terrain technique et économique et se déplace maintenant sur le plan politique : quelle part d'énergie nucléaire voulons-nous ? Si nous voulons conserver la même part, il faut commencer à renouveler une partie du parc nucléaire. Si nous voulons une plus grande part d'énergie d'origine renouvelable, il faut aussi assurer la transition en renouvelant le parc nucléaire. Dans les deux cas, ce renouvellement plus ou moins extensif se fera dans les meilleures conditions de sûreté. Le projet de révision de la directive de 2009 y veillera dès qu'il aura été adopté, ce qui devrait arriver avant le 14 juillet prochain.
M. Simon Sutour, président. - À propos de M. Oettinger, je me souviens d'un débat à Chypre sur l'avenir énergétique où le commissaire a parlé quarante-cinq minutes sans prononcer une seule fois le mot « nucléaire », ce que je lui ai fait remarquer pour son plus grand déplaisir. L'énergie nucléaire tient une place importante dans mon département avec le site de Marcoule. Je partage votre opinion que la sûreté n'a pas de prix. Il faut donc élever toujours plus haut les standards dans ce domaine. Mais le « risque zéro » n'existe pas. C'est aussi le cas pour les autres sources d'énergie.
À l'issue du débat, la Commission des affaires européennes a autorisé la publication du rapport.
La réunion est levée à 16h10.