Mercredi 26 février 2014
- Présidence de M. Michel Savin, président -La séance est ouverte à 14 heures 35.
Diffusion audiovisuelle du sport professionnel - Table ronde
M. Michel Savin, président. - La mission commune d'information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales a été créée pour réaliser un état des lieux sur les relations entre les collectivités et les clubs professionnels. Nous avons auditionné les associations d'élus locaux, les représentants des fédérations et des ligues professionnelles ce qui nous a permis de prendre la mesure de l'émergence d'une nouvelle industrie, d'une véritable filière économique autour du sport professionnel qui possède son propre modèle économique et repose à la fois sur des investissements dans des équipements modernes - stades ou arénas - et sur une diversification des ressources avec un nouveau triptyque composé de la billetterie, des partenariats et des droits TV.
Dans cette mutation économique, notre pays connaît une situation singulière qui se caractérise par le fait que les collectivités locales sont à la fois largement propriétaires des stades et parties prenantes au financement même des clubs au travers de subventions et des achats de prestations. Autant dire que cette situation devient de plus en plus rare en Europe comme nous avons pu le constater il y a peu lors de nos déplacements au Bayern de Munich et à Londres où nous avons rencontré les dirigeants du tournoi de Wimbledon, ceux de la fédération anglaise de rugby à Twickenham et ceux du club d'Arsenal.
Nombreux sont les acteurs du sport professionnel français qui ont pris conscience de cette évolution. Nous avons auditionné en particulier Jean-Michel Aulas sur le projet de grand stade de Lyon. Nous nous sommes déplacés sur le site de la future Aréna 92. Nous avons également répondu à l'invitation de la fédération française de rugby (FFR) qui souhaitait nous présenter son projet de grand stade. Autant de projets financés principalement sur fonds privés avec un modèle économique fondé largement sur des recettes nouvelles et diversifiées.
Nous avons constaté qu'une partie du sport professionnel a vocation à s'organiser en dehors de toute aide publique. Mais que va-t-il advenir des clubs qui ne pourront bénéficier d'un investisseur providentiel ou qui se retrouveront en difficulté ? Aujourd'hui, de nombreuses collectivités sont encore sollicitées plus que de raison pour assurer le financement des équipements sportifs afin de les mettre en conformité avec les exigences des fédérations ou des ligues pour permettre, en particulier, la diffusion audiovisuelle des événements sportifs. Nous avons ainsi rencontré le club de basketball de Nanterre, champion de France l'année passée, qui a participé à la coupe d'Europe et qui a beaucoup de difficulté à organiser ses matchs.
Voilà pourquoi nous avons souhaité organiser cette table ronde avec les diffuseurs audiovisuels. Les Français sont de plus en plus nombreux à s'intéresser aux retransmissions d'épreuves sportives, pourtant notre pays reste insuffisamment équipé en stades et surtout en arénas, ce qui explique que nous accueillons peu de rencontres internationales même si l'Euro 2016 devrait changer la donne pour le football.
L'intérêt des diffuseurs devrait être de pouvoir disposer d'un spectacle de qualité à proposer à leur audience ce qui implique un certain niveau dans les disciplines et des équipements adaptés aux retransmissions. Un questionnaire vous a été transmis par le rapporteur qui vous a interrogé sur le niveau d'équipements sportifs de notre pays et son adaptation aux retransmissions audiovisuelles, sur les projets de nouveaux équipements, sur les normes fixées pour ces retransmissions, sur les perspectives de développement du sport professionnel ainsi que sur l'affectation d'une partie de droits TV au financement direct des équipements sportifs. J'ajouterai pour ma part une question suite à notre déplacement à Londres où nous avons appris que les droits internationaux audiovisuels de la Premier League de football étaient répartis de manière plus équilibrée entre les différents clubs qu'en France. Que penseriez-vous d'un tel dispositif pour assurer une certaine équité entre les clubs ?
Pour discuter de ces différentes questions, je remercie de leur présence MM. Daniel Bilalian, directeur général adjoint de France Télévisions, en charge des sports, François Pellissier, directeur délégué de TF1 Production, en charge des sports, Arnaud Simon, directeur général d'Eurosport France, Florent Houzot, directeur de la rédaction de beIN SPORTS et Vincent Chaudel, expert Sport du cabinet Kurt Salmon et vice-président de l'association sport et citoyenneté. Je tiens à excuser le directeur des sports de Canal+ qui ne peut participer pour des raisons professionnelles à cette table ronde.
Je rappelle que nos débats sont filmés et diffusés en direct sur Internet et qu'un live-tweet est organisé sur le compte officiel du Sénat.
M. Daniel Bilalian, directeur général adjoint de France Télévisions, en charge des sports. - Les chaînes thématiques de sports et les chaînes évènementielles n'ont pas exactement les mêmes attentes : les nôtres sont assez simples par rapport aux vendeurs et aux acteurs du sport : nous voulons disposer d'installations convenables, comme en Grande-Bretagne, mais les Anglais sont des sportifs, ce que ne sont pas les Français. Les Anglais vivent pour et par le sport : ils ne vont pas au restaurant ni au cinéma de toute la semaine pour assister au match. Les installations des clubs de deuxième ou de troisième division anglaise valent largement celles du Parc des Princes...
La privatisation des stades est un enjeu politique : avant de privatiser le stade municipal de Marseille, le maire y réfléchira à deux fois... Le nomage est un procédé difficile à imposer en France où nous avons des stades qui portent le nom de grands résistants ou de grands sportifs ; certains ne sont pas très vendeurs... Difficile dans ces conditions de vouloir appliquer des méthodes anglo-saxonnes ou allemandes. La fédération française de rugby veut construire un stade parce que la fédération anglaise possède le stade de Twickenham, mais cette dernière l'a acheté il y a un siècle et il est rentabilisé depuis longtemps.
Pour le football, des installations vont être nécessaires, mais il va y avoir une telle différence entre les deux clubs leaders et les autres que la compétition va se résumer au choc entre les deux premiers.
Actuellement, le prix de la diffusion est souvent imposé par le vendeur. J'ai dans mon bureau le contrat du tournoi des Cinq nations de 1976 : un document de trente lignes écrites à la main et tâché de graisse... aujourd'hui, le même contrat fait environ 150 pages parce que les vendeurs ont de grandes exigences de production. Ainsi, l'année dernière, nous avons été obligés d'annuler un match de rugby France-Irlande, ce qui a coûté à France Télévisions 130 000 euros, alors que je n'avais fait qu'appliquer les normes imposées par le vendeur. Chaque année, de nouvelles exigences techniques apparaissent et nous n'avons même plus le temps de rentabiliser les matériels que nous achetons.
L'Euro 2016 va sans doute permettre à divers clubs d'améliorer leurs installations. Le financement doit-il être privé ou public ? S'il est public, c'est à dire financé par les impôts, les Français, qui ne sont pas idiots, mettront en rapport l'augmentation de leur taxe d'habitation pour financer les stades et les salaires des joueurs. Mieux vaut donc un financement privé.
M. François Pellissier, directeur délégué de TF1 Production, en charge des sports. - Je rejoins ce que viens de dire M. Bilalian sur le marché audiovisuel : il existe deux types de diffuseurs, les gratuits comme France Télévisions et TF1, et les diffuseurs payants. Notre groupe a tendance depuis trois ou quatre ans à se recentrer sur les grands évènements sportifs car ce sont des spectacles fédérateurs en termes d'audience. Les droits augmentent de façon exponentielle et nous sommes obligés de procéder à des arbitrages alors que le contexte économique est assez difficile. Les chaînes thématiques payantes s'adressent, elles, aux fans et aux supporters. Nous ne pouvons plus nous permettre d'avoir accès à la Ligue des champions de football ou à la Formule 1.
Nous sommes souvent mis devant le fait accompli avec les contrats signés avec des ayants droit. Ces contrats sont assortis de conditions drastiques et nous avons peu de marge de manoeuvre sans compter que les stades, même les récents, ne sont pas toujours adaptés à la diffusion et à la production audiovisuelle. Ainsi, dans certains stades, impossible de faire entrer un semi-remorque ou encore des emplacements des caméras qui laissent à désirer. Beaucoup de paramètres, qui devraient être pris en compte en amont, ne le sont pas suffisamment. La fédération de rugby nous a demandé quels seraient nos besoins pour le futur stade, mais c'est rarement le cas.
Nous voulons offrir à nos téléspectateurs le plus beau spectacle possible, ce qui passe par des droits accessibles mais aussi par des conditions de travail et de production adaptées à nos métiers.
M. Florent Houzot, directeur de la rédaction de beIN SPORTS. - Je suis d'accord avec mes confrères sur la distinction entre diffuseurs gratuits et diffuseurs payants. Les premiers s'orientent de plus en plus sur des grands évènements sportifs qui ne sont pas récurrents. Depuis deux ans, l'arrivée de beIN SPORTS est une bonne nouvelle pour le sport puisque les budgets des clubs ne reposent pas seulement sur un évènement annuel. Notre chaîne diffuse près de quinze disciplines différentes. Évidemment, le football est la vitrine, car sans lui, impossible de diffuser du basketball, du volleyball ou du handball. Grâce aux droits que notre chaîne verse aux fédérations, aux ligues ou aux organisateurs internationaux, elle contribue au financement des clubs. Le PSG Handball, qui n'a pas de salle pour accueillir des clubs qui viennent jouer la Ligue des champions de handball, est obligé d'annexer la Halle Carpentier et il doit harmoniser son calendrier avec l'équipe de basketball de Nanterre qui joue dans cette même salle, d'où des problèmes de programmation. Il est urgent que les différents intervenants du monde du sport, que ce soient les politiques, les vendeurs d'un évènement, les clubs mais aussi les diffuseurs se mettent autour d'une table dès le départ. Nous regrettons que tel n'ait pas été le cas pour le nouveau stade de Lille où nous avons diffusé le premier match : la zone technique ne reçoit pas les liaisons Internet ni de signal GSM. Dès la conception d'un stade, tout le monde doit être convié pour élaborer le meilleur projet possible.
Notre pays a beaucoup de retard dans le domaine des infrastructures, non pas pour le football, mais pour les autres sports comme le basketball ou le rugby. Lorsque nous avons des difficultés à produire, les coûts s'envolent, ce qui implique que les droits diminuent.
M. Arnaud Simon, directeur général d'Eurosport France. - Merci pour votre invitation. Eurosport est un groupe international détenu à 51 % par le groupe américain Discovery et à 49 % par TF1. Eurosport est une sorte de miracle permanent puisque cette chaîne est reçue par près de 120 millions de foyers dans 54 pays et en 22 langues. En France, Eurosport est une chaîne populaire, généraliste et accessible. Populaire, parce que nous sommes reçus par 9 millions de foyers alors que nous sommes une chaîne payante, accessible car peu chère - quelques dizaines de centimes par mois - généraliste car nous sommes très attachés au football, au rugby, mais aussi au ski, aux sports mécaniques, à la natation, au cyclisme.
Quand nous diffusons la coupe de France de football, nous sommes obligés de nous adapter aux installations, très diverses. Nous essayons également de développer des disciplines, comme le football féminin : nous croyons beaucoup à la D1 féminine, mais certains clubs doivent demander aux clubs masculins l'autorisation de jouer sur leur pelouse... Nous manquons en France de petits stades modernes. Ainsi, Juvisy, qui est un club phare de la D1 féminine, évolue malheureusement au stade Bondoufle qui ressemble à ceux des pays de l'Est, d'où notre difficulté à produire un spectacle convivial.
Nous avons été les premiers à montrer du biathlon en direct à la télévision : désormais Martin Fourcade est un héros national et c'est tant mieux. Nous essayons d'être ancrés dans l'aménagement du territoire du sport français.
M. Vincent Chaudel, expert Sport du cabinet Kurt Salmon. - Je suis atypique à cette table puisque je ne représente pas de média. En 2010, j'avais publié une tribune « Sports et médias : une relation interdépendante construite en cinq mouvements majeurs ».
Le problème est complexe et il faut prendre garde aux fausses bonnes idées. Vous avez tous dit qu'en plus des droits télévisuels, il convient de prendre en compte d'autres coûts. Si l'on veut que les médias accompagnent le sport, ils doivent y trouver leur compte avec un retour sur investissement. Aujourd'hui, les crispations se font autour du contenant, à savoir les infrastructures. Pendant 50 ans, elles se sont en effet très peu renouvelées. Les collectivités accompagnaient la performance mais aujourd'hui le parc des stades et des salles arrive en fin de vie. Le renouvellement des infrastructures coûte très cher et c'est bien souvent les collectivités territoriales qui en assument la charge. Mais l'aléa sportif a du mal à cohabiter avec l'importance des investissements : voyez le malheureux cas du Mans.
Pour le contenu, il faut faire une distinction entre sports individuels et sports collectifs et nous interroger sur notre capacité à générer des talents en France. Très peu de sportifs ont une véritable dynamique sur Twitter et sur Facebook... Quand Amélie Mauresmo gagne un tournoi du « Grand Chelem », il est facile de promouvoir le tennis féminin ; cette tâche est beaucoup moins facile quand aucune française n'est dans le Top 10 mondial...
Autre fausse bonne idée : promouvoir le football féminin. Le montrer, c'est bien, mais pas au Parc des Princes devant 5 000 spectateurs ! Il faut trouver un écrin adapté. Aux États-Unis, le soccer a été présenté dans un premier temps dans les stades immenses du football américain, ce qui le desservait. Désormais, les matchs ont lieu dans des stades à taille pertinente et le soccer se développe.
En 50 ans, le sport a considérablement évolué : nous sommes passés d'une dépendance à l'argent public - essentiellement des subventions municipales - à une télé-dépendance. Le réflexe serait de dire qu'il suffit d'agir sur les médias pour régler les problèmes. Les collectivités vont devoir procéder à des arbitrages, ce qui implique un changement de culture puisque des choix vont s'imposer.
Quel est le rôle social d'un club ? En France, il existe un décalage par rapport à nos voisins : l'ancrage populaire et l'attachement aux clubs ne sont absolument pas les mêmes, probablement à cause de notre culture centralisatrice. Nous avons un club par ville, alors que tel n'est pas le cas en Grande-Bretagne ou en Allemagne.
Le rôle social du club est d'animer la cité : pour être attractive, une ville a besoin d'activité économique, académique, culturelle mais aussi sportive. Voyez l'exemple de Montpellier.
Il faut aussi envisager les clés de répartition entre une culture horizontale et une culture verticale : doit-on à tout prix considérer l'échelon 1, 2 et 3 de façon différente ou doit-on prévoir des solidarités ? Les gens s'intéressent à l'échelon 1 d'une compétition : par exemple, pour le sport automobile, les spectateurs veulent voir de la Formule 1, pas du GP2. Quels que soient les moyens que vous mettrez pour diffuser une division 2, l'intérêt général ne sera pas au rendez-vous. En revanche, l'intérêt local l'emportera, d'où le rôle d'animation de la cité. Il peut être intéressant d'imaginer des mécanismes de solidarité non pas financiers mais de talents, par exemple en donnant des temps de jeux à de jeunes joueurs. Il s'agit alors de gouvernance et les médias n'ont pas voix au chapitre en ce domaine.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Merci d'avoir répondu à notre invitation.
M. Bilalian estime que la France ne peut être comparée à la Grande-Bretagne ou à l'Allemagne. Nous nous sommes déplacés dans ces pays et nous avons visité des infrastructures sportives : effectivement, il y a une véritable appropriation du lieu où se pratiquent les disciplines par les supporters et un réel attachement aux clubs.
Aujourd'hui, nos interlocuteurs nous disent que ce décalage est dû au manque d'infrastructures pour les sports de salle ou de plein air. Les clubs sportifs veulent désormais s'approprier leurs infrastructures : Lyon va construire son propre stade et la FFR le veut aussi. Les clubs nous disent que ces projets sont viables car il y aura demain un engouement des spectateurs. Nous sommes dubitatifs. Une infrastructure suffira-t-elle à créer du lien et à susciter l'engouement des spectateurs ?
M. Daniel Bilalian. - Notre pays n'est pas un pays sportif au sens où l'entendent les Anglo-Saxons, les Allemands ou les Américains. D'abord, nous n'avons pas de sport scolaire ou universitaire, alors qu'aux États-Unis le championnat universitaire de basketball est presque au niveau de la NBA. Dans les établissements scolaires français, le sport n'est pas valorisé. Pour faire du sport en France, il faut donc aller dans un club. Dans le meilleur des cas, les collèges ont un terrain de handball ou un panneau de basketball...
Construire de beaux équipements pour créer un besoin me semble une fausse bonne idée. Les Anglais vont au stade de Twickenham ou à l'Emirates Stadium d'Arsenal avant le match, ils y restent après. En outre, les stades sont dans la ville en Grande-Bretagne ; c'est essentiel : il serait dramatique d'éloigner Roland-Garros car les spectateurs se sentiraient repoussés. Non, le stade ne crée pas une atmosphère sportive et les performances, en France, sont essentielles, ce qui n'est pas vrai en Grande-Bretagne.
Regardez ce qui s'est passé au Mans ! Un beau stade, mais une fois que le club est descendu en deuxième division, il n'y a plus eu de spectateurs ! En Grande-Bretagne, les gens iront voir Portsmouth en troisième division parce que c'est leur club, mais aussi parce que c'est la seule sortie possible : aux États-Unis et au Royaume-Uni, la vie culturelle est beaucoup plus limitée. Le prix des places doit également être pris en compte dans vos réflexions.
En outre, sur TF1, un stade plein est synonyme d'évènement, alors qu'un stade vide, c'est un non-évènement. Avec l'arrivée des chaînes thématiques, les chaînes évènementielles ne diffusent plus que des évènements. Ainsi, Canal+ diffuse le Top 14 de rugby et nous co-diffusons la finale. Les spectateurs viennent voir la finale sur notre chaîne, parce que c'est une fête !
Enfin, le football britannique est mieux filmé que chez nous car dans leurs stades, les caméras sont placées plus bas sur les gradins, même si cela doit supprimer des places. En France, les caméras sont placées en haut, ce qui libère des places, mais la qualité de retransmission s'en ressent. Lors de la construction du stade de Lille, on ne nous a rien demandé : il est flambant neuf, mais inadapté.
M. Florent Houzot. - La fédération de rugby a-t-elle vraiment intérêt à construire un stade pour dix matches par an ? Pourquoi ne pas réaliser des pôles omnisports pour mutualiser les structures qui pourraient alors servir 30 ou 40 fois par an ?
M. Vincent Chaudel. - Le spectateur est l'élément moteur du business model sportif ; un record du monde enregistré devant un stade vide, comme cela a eu lieu à Charléty récemment, n'en est pas un. Sans spectateur, le frisson est absent. Même si la billetterie ne constitue pas le coeur du modèle économique, la vente de billets génère de la création de valeur pour les annonceurs et diffuseurs.
La création d'infrastructures nouvelles peut augmenter les recettes et la consommation mais si elle ne s'appuie pas sur une culture sportive enracinée, elle ne sera pas durable. La relégation du club entraînera une baisse immédiate de fréquentation.
Un stade ne se construit pas pour cinq ans. Il faut imaginer le stade de demain. Que proposer au téléspectateur pour l'arracher à son salon - dans lequel il peut revoir un but au ralenti, consulter des statistiques pendant le match - et le faire venir ? Il faut lui donner la possibilité de disposer des mêmes outils dans le stade qu'à son domicile, ce que l'on appelle la problématique du stade connecté. Le renouvellement des infrastructures doit intégrer cette approche. Il n'y a pas lieu d'opposer spectateurs et téléspectateurs, ils constituent deux types de consommateurs à satisfaire. Cela ne nécessite pas nécessairement la construction de stades toujours plus grands, mais il est clair qu'il faut renouveler les infrastructures, qui sont plus coûteuses qu'hier : autrefois, il suffisait de tribunes, d'un toit et de vestiaires...
M. Arnaud Simon. - Les deux notions de confort et de famille sont importantes. Nous remplirons les stades si on peut y être mieux en famille et y disposer des mêmes possibilités qu'à la maison, la faculté d'utiliser Twitter par exemple. Les stades ne doivent pas être trop éloignés des centres-villes. Je suis sceptique sur le futur grand stade de rugby au coeur de l'Essonne. Il promet d'être beau... mais inaccessible. Il faut être au coeur des cités ou concevoir un complexe autour du stade, avec des boutiques, un cinéma où belle-mère et enfants pourront aller pendant le match. C'est la vision de Jean-Michel Aulas à Lyon. Il a su faire venir un nouveau public féminin et créer un univers global « Olympique Lyonnais ». Nous vivons dans une société de confort. La démarche du PSG qui propose de choisir sa place, de commander sa bière à l'avance est intéressante. Aujourd'hui au Stade de France la bière coûte neuf euros ! Il faut faciliter la vie, faciliter l'accès. Les multiplex ont sauvé le cinéma ; ils sont des lieux de vie. Les stades intermédiaires de dix ou douze mille places gagneraient à être repensés sur ce modèle, ils se rempliraient. Le football féminin aura besoin de ce type de stade. Le gigantisme est inutile : il est dévalorisant de jouer devant des tribunes vides.
M. François Pellissier. - Tout ce qui vient d'être dit est juste. Il ne faut pas cristalliser le débat autour du stade ou des droits TV. Nous parlons de clubs professionnels, c'est-à-dire d'entreprises de spectacle. Ils doivent développer un modèle économique qui fonctionne. En Allemagne et au Royaume-Uni, les stades sont pleins. Cela ne sera peut-être jamais le cas en France, où nous sommes sans doute moins sportifs. Le modèle économique doit intégrer tous les paramètres : la billetterie, le confort du stade, le marketing, le sponsoring, les droits TV. Il convient de trouver le bon équilibre entre eux et de mener une réflexion adaptée à la région d'implantation. Pour remplir le stade, le match doit être intéressant. Il s'agit d'obtenir 40 000 spectateurs dans le stade et 4 à 5 millions de téléspectateurs dans un écosystème cohérent.
M. Daniel Bilalian. - Dans le système de financement des clubs de football, la première année suivant la signature du contrat sur les droits TV, le club achète des joueurs, il les conserve la deuxième année, les revend la troisième et répare les fuites de la tribune présidentielle la quatrième. Le cycle est immuable.
Pour résoudre cette difficulté et transformer les clubs professionnels en entreprises économiques viables, la ligue fermée constitue une solution. C'est ce que font les Américains. Le club qui a acquis une licence dispose d'une zone de chalandage. Ce système supprime l'aléa financier des investisseurs... qui n'hésitent donc pas à investir. Ce qui s'est passé au Mans ne serait plus à craindre... Dans un monde dirigé par l'argent, où la construction et la gestion d'un stade supposent des partenariats financiers, il n'y a guère d'alternative. Un système ouvert fidèle à l'esprit de Coubertin est-il encore possible ? Le sport est devenu un spectacle. Aujourd'hui, le PSG s'exporte à la manière du Bolchoï... mais n'est-ce pas l'état d'esprit de notre époque ?
M. Florent Houzot. - Il n'y a pas lieu de craindre l'arrivée des investisseurs. Grâce au PSG et à Monaco, les droits TV du championnat de France ont été multipliés à l'étranger par trois ou quatre. Cet argent revient ensuite dans le circuit par l'intermédiaire de la ligue et des fédérations.
En France, les habitudes sont difficiles à bousculer. La ligue de football professionnel a imaginé de vendre les droits des matchs français à l'étranger. Cela nécessite de modifier les horaires des matchs. Certains clubs se plaignent... tout en revendiquant le bénéfice de la vente des droits. Les Espagnols programment déjà de nombreux matchs le dimanche à 12 heures pour le marché asiatique, tout comme les italiens. Et il ne s'agit pas des clubs de bas de classement. Il ne faut pas trop attendre des collectivités et des diffuseurs dans la recherche de revenus supplémentaires. Les diffuseurs sont souvent montrés du doigt alors qu'ils ne choisissent pas les horaires. Ils achètent un évènement avec une case horaire. Ils ont aussi des budgets à respecter. Les clubs sont des entreprises et doivent prendre leurs responsabilités sans hésiter à bousculer les habitudes.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Vous n'êtes pas associés en amont dans la conception des infrastructures. Quelles sont vos principales exigences pour retransmettre des spectacles sportifs en matière d'aménagement des stades ? Comment les formalisez-vous avec les organisateurs des compétitions ?
M. Arnaud Simon. - Sortons du football. Un effort de consultation est parfois réalisé avant la construction d'un stade, d'une aréna. C'est le cas par exemple pour la nouvelle piscine de Tourcoing. Nous avons été interrogés, en qualité de partenaire de la fédération française de natation, sur nos besoins en termes d'éclairage, de câblage, d'emplacement des caméras, de puissance de la régie. Cela progresse. L'éclairage est essentiel depuis le passage à la haute définition : la HD, c'est 1 200 Lux le soir. Très souvent, nous ne les avons pas en Ligue 2 ce qui nous empêche de retransmettre certains matchs joués dans des villes petites ou moyennes où le match est une fête.
Le grand prix de France de moto du Mans, qui avait disparu, est devenu un grand prix populaire qui attire plus de 150 000 personnes grâce à sa créativité : il y a des concerts, un village pour les enfants, un ticketing inventif... C'est un exemple à suivre.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Comment formalisez-vous vos exigences ?
M. Daniel Bilalian. - Nous répondons à des exigences plus que nous ne les fixons. En dehors de l'éclairage nous n'avons pas de demandes techniques. Nous voulions retransmettre la finale de football féminin organisée à Saint-Brieuc et valoriser cette compétition. Cela n'a pas été possible en raison d'un manque de lumière. Il nous faudrait soit délocaliser soit avancer l'heure du match. Les principales exigences sont celles du vendeur, elles concernent le nombre de matchs en prime time, le nombre de caméras... Nous demandons seulement un spectacle de qualité et la possibilité d'accéder à l'intimité des joueurs car c'est ce que le public attend. La position des caméras dépend de la conception du stade. Parfois le diffuseur apporte des idées, comme la cable cam.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Lorsque les clubs présentent des demandes aux collectivités locales, ils expliquent qu'elles sont imposées par la fédération qui en renvoie la responsabilité aux diffuseurs...
M. Daniel Bilalian. - Nos demandes en matière d'éclairage ne relèvent pas du caprice. L'annulation du match de rugby du Tournoi des Six nations nous a coûté 130 000 euros.
M. Arnaud Simon. - Plus le stade est petit, plus nous avons de surcoûts car nous devons rajouter des moyens. Les chaînes de télévision améliorent la façon de capter et de montrer les évènements sportifs, elles proposent des angles nouveaux. Ensuite, les fédérations et les ligues s'approprient ces nouveautés et les imposent comme standards dans leurs appels d'offre. C'est une sorte de course à l'échalote... et chacun se renvoie la balle.
M. Daniel Bilalian. - Chaque chaîne veut améliorer sa retransmission. Puis on essaie de nous faire payer plus cher le produit que nous achetons.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Pour faire vivre le spectacle sportif, l'intérêt de la compétition est primordial. Or, le championnat risque de perdre de sa saveur du fait de la prédominance du PSG et de Monaco. Un des moyens de lui redonner de l'intérêt est de modifier la répartition des droits TV. Avez-vous votre mot à dire en ce domaine ? En avez-vous le désir ? La clef de répartition actuelle n'influe-telle pas sur le niveau de la compétition ?
M. Daniel Bilalian. - Je vois mal la ligue nous autoriser à intervenir dans ce débat. La répartition des droits TV est fondamentale pour le football. Les billetteries étant peu importantes, les budgets des clubs sont dépendants des droits de retransmission.
M. Florent Houzot. - Ce n'est ni l'intérêt des diffuseurs ni leur travail de se mêler de la redistribution financière entre clubs. Le diffuseur doit rester libre de sa programmation. Son rôle est de valoriser le produit qu'il achète. Chacun son métier !
M. Daniel Bilalian. - La seule chose que peut demander le diffuseur c'est de pouvoir choisir les matchs.
M. Florent Houzot. - On parle beaucoup de la capacité des stades, mais il faut aussi évoquer la qualité de leurs pelouses, mauvaise en France, ce qui est dommageable pour les diffuseurs. En Grande-Bretagne, on peut jouer le 25 décembre. En France, les matchs sont souvent reportés ce qui induit des coûts. Un match annulé est parfois reprogrammé le soir d'un autre évènement important... ce qui ne permet pas une bonne optimisation. Cela a été le cas hier d'un match Bordeaux/Lorient reprogrammé en même temps qu'un match de la Champions League.
M. Arnaud Simon. - Outre l'état des pelouses, nous subissons les effets négatifs d'une compréhension extensive du principe de précaution et de sécurité. Face à un risque de crue de l'Aube, un match a été reporté à Troyes, tout comme un match à Rouen en raison d'un incident dans une usine faisant craindre des émanations toxiques. Il a été impossible de programmer en prime time un match de football au Mans parce qu'un match de basketball était prévu à la même heure et que la police estimait cette coexistence trop risquée. La préfecture a imposé de programmer en diurne un match Cannes/Saint-Étienne pour des raisons de sécurité...
M. Vincent Chaudel. - Je voudrais m'élever contre certaines fausses bonnes idées, telle que celle selon laquelle une équipe très forte nuit à l'intérêt du championnat. Le championnat espagnol est passionnant malgré la prédominance du Barça. En France, le PSG fait office de locomotive. Il génère de très bon taux de remplissage lorsqu'il se déplace à l'extérieur. Le problème est moins d'avoir un trop gros club que de ne pas avoir de grand club. Dans la France des années quatre-vingt-dix, l'équilibre entre les clubs affaiblissait nos représentants au niveau européen. La complexité du système tient à la coexistence entre une compétition nationale et une compétition continentale. Il faut permettre aux petits clubs de vivre et aux gros d'être compétitifs. De ce point de vue, la France et l'Allemagne, à la différence de l'Espagne ou de l'Italie, ont atteint un bon équilibre.
M. Pierre Martin. - Vous travaillez avec de nombreux partenaires, municipalités, fédérations, ligues dont les plus exigeants ne sont pas les payeurs. Le spectacle est nécessaire et doit être ouvert aux familles. Même si nous n'avons pas l'esprit sportif anglais, certaines villes ont montré qu'il était possible de fidéliser le public autour de clubs : le Racing, le Grand Reims, les Verts, l'OL, aujourd'hui le PSG... Il nous faut des grands clubs de ce type qui attirent les foules. Leur taxation est problématique. Les quatre millions d'euros de redressement infligés à l'OM auraient pu être mieux utilisés pour rénover les équipements. Le PSG remplit les stades mais s'attire des réflexions négatives.
Notre environnement financier est moins favorable qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni. Dans ces pays, les chaînes de télévision versent plusieurs milliards de droits ; en France, ce sont des millions. Vous dévalorisez vous-même le championnat français en payant moins ! Pourtant le public est là qui réclame un spectacle de qualité. Il génèrera des recettes par l'augmentation de la fréquentation des stades et des droits TV. Mais pour occuper la première place, l'argent est indispensable, même s'il n'est pas suffisant. La réussite du PSG, de Monaco, d'Arsenal en sont l'illustration. Arsenal a refait le stade à grand frais, il a dû limiter les achats de joueurs jusqu'à mettre en péril ses résultats, puis les choses se sont retournées, le club a de nouveau acheté des joueurs et remonte ses scores. S'il devient champion d'Angleterre, il aura fait la démonstration de ce qui serait réalisable en France aussi.
M. Daniel Bilalian. - Si vous venez de ce côté-ci de la table nous expliquer que nous ne payons pas assez cher, vous passerez un mauvais moment ! Il y a une grande différence entre les situations de Madrid et du Barça et celles du PSG et de Monaco. Les clubs espagnols, endettés, fonctionnent comme des clubs ordinaires dans lesquels les investissements doivent être rentabilisés. Ce n'est pas le cas du PSG ou de Monaco dans lesquels les investisseurs ont un projet politique et non financier.
M. François Pellissier. - Nous dépensons déjà beaucoup pour les droits ! Nous sommes heureux de retransmettre les matchs de l'équipe de France mais cela ne nous fait pas gagner d'argent. Il faut remettre les choses à leur place. Le football français dépend pour plus de 50 % de ses recettes des droits TV, ce qui n'est pas le cas du football anglais. Si les chaînes payaient davantage, les clubs seraient encore plus dépendants. Il est préférable de construire un modèle économique équilibré. La responsabilité en incombe aussi à la ligue.
M. Daniel Bilalian. - Aucun diffuseur ne se rembourse sur un achat de match. Notre revenu direct correspond à environ un tiers du prix. La diffusion des matchs augmente notre part de marché d'audience moyenne sur l'année, ce qui permet ensuite à notre régie publicitaire de vendre plus cher le temps d'antenne aux annonceurs.
M. Michel Savin, président. - En France, la répartition des recettes entre billetterie, droits TV et animations diverses est moins équilibrée qu'ailleurs, mais les choses évoluent ; certains stades projettent d'augmenter leurs revenus grâce à des activités non sportives. Cette évolution vous inquiète-t-elle ?
M. Arnaud Simon. - Cela ne nous inquiète pas, mais il faut rester réaliste. De nombreux plans de financement de stades sont fondés sur des prévisions de recettes issues d'activités culturelles. Mais en dehors de Johnny Hallyday, de Mylène Farmer et d'Indochine quel artiste français peut remplir un stade ? Et le salut n'est pas à attendre des artistes étrangers : ils ne viendront pas tous en tournée chez nous. Depeche Mode a annulé un concert prévu à Lille car le stade n'était pas chauffé.
M. Alain Néri. - Le constat est que les stades de football se vident globalement.
M. Arnaud Simon. - La fréquentation ne baisse pas pour les matchs de football et de rugby. Elle augmente dans le Top 14 de rugby.
M. Alain Néri. - Ce n'est pas l'information que nous avons. Vous nous fournirez les chiffres.
Une question se pose et nous indispose. Pour faire du chiffre d'audimat, la programmation des matchs ne correspond pas toujours aux souhaits des spectateurs. En Ligue 2, on nous dit qu'il faudrait programmer le vendredi à 18 heures. Les provinciaux ont droit à un spectacle sportif le soir, même si cela n'intéresse pas les Parisiens, surtout lorsque les finances locales sont mises à contribution. La France ce n'est pas Paris et un bout de terre autour ! La programmation doit être faite en fonction de l'intérêt sportif. Déplacer l'horaire d'un match dans une compétition serrée peut influer sur les résultats ; il n'est pas indifférent de connaître le résultat du match du concurrent.
Vous posez le problème des aléas qui affectent la diffusion de certains matchs. Vous avez pris l'exemple du Mans. Le match de basketball était programmé de longue date, mais le match de coupe de France n'était pas connu puisqu'il dépendait des éliminations préalables.
M. Arnaud Simon. - Je m'étonnais juste qu'une ville sportive comme Le Mans ne soit pas capable de supporter l'organisation de deux matchs le même soir.
M. Alain Néri. - Le Mans a dû mal à remplir ses stades. Il aurait été intelligent d'organiser une concertation pour décaler le match de coupe de France. Les droits TV constituent une manne. Certains de mes collègues veulent les augmenter, mais M. Bilalian semble réticent. L'inflation exponentielle des droits TV et de l'argent qui circule ne pourra pas durer éternellement ; la bulle explosera. Le budget du ministère de la jeunesse et des sports est stable à 0,20 % du budget de la France. Il n'y a pas assez d'argent pour le sport et trop d'argent dans le sport. Il y a quelques années une partie des droits TV étaient reversés au sport amateur, je me demande s'il n'y a pas une réflexion à mener en ce domaine.
M. Daniel Bilalian. - La taxe Buffet existe toujours, mais elle est payée par les ligues et les fédérations seulement pour les droits payés en France. Initialement, le diffuseur devait se substituer au vendeur et payer à sa place la taxe sur les droits payés à l'étranger. Quelqu'un - le Conseil constitutionnel je crois - a été raisonnable et a mis le holà à cette absurdité.
M. Florent Houzot. - Certains nous ont accusés de vouloir la mort de la Ligue 2 parce que nous diffusions les rencontres à 18 h 45 : cette case horaire n'était pas de notre ressort ; en fait, la Ligue 2 ne voulait pas mettre en concurrence un match de Ligue 1 et de Ligue 2. Ces matchs coûtent autour de 10 millions d'euros ; ce n'est pas rien. Pourtant, nous avons dû diffuser des matchs avec des banderoles anti-beIN SPORTS !
M. Alain Néri. - On ne peut pas toujours contrôler les supporters.
M. Florent Houzot. - Certains feraient bien de ne pas accuser les diffuseurs et d'assumer leurs responsabilités. Comme nous nous considérons comme des partenaires, nous avons proposé à la ligue de les diffuser en multiplexe à 20 heures, alors que ce n'était pas évident ! Cela n'a rien changé à l'affluence dans les stades ! Ce n'était donc pas un problème de case horaire.
M. François Pellissier. - Nous travaillons aussi sous contrainte. Notre marge de manoeuvre pour installer nos caméras est étroite. Les sponsors nous sont parfois imposés par les ayants droit. Il nous faut bien pourtant un peu de recettes en face de nos dépenses ! Nous ne sommes pas là pour donner de l'argent et obéir aux ordres. C'est un message que nous avons du mal à faire passer. Nous sommes des partenaires, mais aussi des clients, et nous payons pour un produit.
M. Alain Néri. - Les collectivités territoriales paient les investissements dans les stades mais ne participent pas à la fixation des droits.
M. Jean-Jacques Lozach. - Des clubs comme Arsenal en Angleterre ou le Bayern de Munich ont une dépendance à la télévision de 22 % seulement, tout en ayant une politique active en faveur des jeunes. J'ai malgré tout l'impression - à tort ou à raison, vous me le direz - que le processus d'attribution des droits TV pourrait être plus transparent. Les contraintes des collectivités - code des marchés publics, contrôles de la chambre régionale des comptes - sont connues et j'ai l'impression que vos procédures manquent de transparence. Les collectivités doivent satisfaire des demandes très diversifiées, encourager le plus grand nombre de pratiquants et de pratiquants potentiels dans un nombre de sports toujours plus grand : elles sont donc sensibles à leur médiatisation, qui influe sur le financement du sport amateur, à travers la taxe Buffet, le Centre national pour le développement du sport (CNDS) et les politiques des fédérations. Sur le long terme, n'avons-nous pas un intérêt commun à l'élargissement des disciplines médiatisées ?
M. Daniel Bilalian. - Si nous voulons alléger les contraintes administratives, n'en rajoutons pas ! Ce qui est certain, c'est que l'adage « diffusion égale audience » est complètement faux. Certains sports sont confidentiels par nature : un spectateur ne comprend pas instinctivement les règles de l'escrime ou du judo aussi vite que celles du cyclisme ou du football, et ne parle pas du tir à la carabine en zigzags ! Le million d'euros que le ministère met à disposition de certains sports pour se faire connaître ne devra pas rendre la diffusion obligatoire, l'obligation retombant sur le service public ; ce ne serait pas rentable. Nous accompagnons des sports comme le football ou le rugby féminins, mais avec beaucoup de prudence, en diffusant quelques matchs emblématiques. Si un groupe n'a pas de reproches à se faire pour la promotion des sports olympiques, c'est bien le nôtre. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), a voulu, il y a deux ans, fonder une chaîne consacrée à l'olympisme. L'État n'a pas voulu que le service public se porte candidat. Le résultat, c'est un échec : l'Équipe 21, où il y a plus de football et de rugby que de sports olympiques. C'est dommage, nous avions proposé une vraie chaîne olympique.
Je vous rassure sur la clarté des procédures d'attribution des droits : c'est très notarial. Les appels d'offres des fédérations ne laissent pas de place à la discussion. Vous recevez un cahier des charges, et vous devez vous distinguer par la qualité de votre offre et le prix que vous acceptez de payer, les deux critères étant soumis à une péréquation. Une autre façon de faire est pour le vendeur de consulter tous les diffuseurs éventuels - il ne doit pas en oublier un seul, sous peine de contentieux, comme lorsque Canal+, nullement candidat, a contesté un appel d'offres qui stipulait que le diffuseur devait être gratuit. La France avait échappé à la concurrence avant l'arrivée d'une multinationale qui a changé la nature du marché et face à laquelle nous ne sommes que des petites et moyennes entreprises (PME). Il y a certes des occasions de contestation juridique dans l'attribution des droits, mais pas de combines.
M. Florent Houzot. - BeIN SPORTS appartient à un groupe qatari au niveau international, venu en France pour créer deux chaînes de sport complémentaires aux chaînes existantes. Si les droits ne sont pas comparables en France et au Royaume-Uni, c'est en raison de l'absence de concurrence en France, surtout avant notre arrivée. Pourtant, le juste prix est dans l'intérêt à long terme bien compris de tous : si les droits ne sont pas assez élevés, les joueurs s'en vont, le niveau baisse et l'audience fuit. Malheureusement, la France a parfois pour habitude de voir les investisseurs étrangers d'un mauvais oeil.
M. François Pellissier. - Il faut bien distinguer dans l'offre télévisuelle le payant du gratuit. Tous les sports ne sont pas éligibles à une audience fédératrice familiale pour laquelle nous avons l'obligation de rassembler plusieurs millions de téléspectateurs. C'est le cas des Jeux olympiques et de la coupe du monde de football, mais pas d'autres sports ou d'autres compétitions faits pour le marché du payant. Certes, les téléspectateurs aimeraient voir un peu de grand prix de Formule 1 et de matchs du PSG, mais ils le peuvent d'ores et déjà grâce aux extraits diffusés dans des émissions et au journal télévisé (JT).
M. Rachel Mazuir. - La différence essentielle avec l'Allemagne et la Grande-Bretagne est que là-bas, les stades sont pleins ! Londres compte sept à huit clubs de football professionnel, Madrid - où les enfants sont inscrits comme socios du Real dès leur naissance - en compte trois ! Chez nous, on en est loin, sans aller jusqu'à Monaco ...
M. Daniel Bilalian. - ...où ce sont les joueurs qui connaissent les spectateurs par leur nom ! En France, la direction nationale de contrôle de gestion (DNCG) contrôle strictement les clubs français. Qu'arriverait-il si elle contrôlait les clubs espagnols ? Les Américains ont peut-être la solution avec les ligues fermées et le salary cap, qui permettent une gestion beaucoup plus rationnelle que la nôtre, avec moins de déficits et plus de régularité entre les clubs. Le salary cap évite aussi ce qui apparaît comme choquant pour moi, comme pour des millions de gens. Les gouvernements européens pourraient facilement mettre en place un tel système.
Mme Michelle Demessine. - Je ne sais pas si la solution passe par plus d'argent, plus de droits TV ; le problème n'est pas tellement les droits TV, mais le niveau inimaginable des salaires de joueurs. Je ne sais pas si le modèle américain est le seul : d'autres pays semblent aussi équilibrés, mais avec un engouement plus fort, c'est certain, comme en Angleterre.
Vous avez parlé du stade de Lille. On ne peut effectivement pas faire des équipements multifonctionnels partout ; il leur faut une zone de chalandise suffisante. Il faudra donc le réguler. Si le stade de Lille est un prototype auquel nous ne sommes pas habitués, il ne faut pas enterrer le modèle. Il faut du temps pour construire une nouvelle activité dans laquelle de toute manière, le sport continuera de dominer.
M. Arnaud Simon. - Encore faut-il en être capable. Il ne faut pas être dépendant d'une seule source de financement, qu'il s'agisse d'investissements étrangers comme à Monaco et à Lens, ou des droits TV. Le marché n'est pas extensible : combien de ménages sont prêts à payer un abonnement à une chaîne payante aujourd'hui ?
Eurosport s'est toujours pensée avec un coeur de service public et un portefeuille d'entreprise privée. C'est une chaîne bon marché - l'abonnement ne coûte que quelques centimes d'euros - mais qui peut développer et montrer au public de nouvelles disciplines. Nous pouvons diffuser des disciplines confidentielles, mais vous ne remplissez pas Bercy avec un groupe de jazz ! Contre l'idée reçue des méchants payants opposés aux gentils gratuits, n'oublions pas le soutien des chaînes payantes à certains sports, alors que le gratuit recherche par nature les événements fédérateurs. Eurosport suit un modèle entre les chaînes du top premium et les chaînes gratuites.
Mme Françoise Boog. - Dans des sports confidentiels, certaines fédérations payent-elles pour que leurs compétitions soient diffusées ?
M. Arnaud Simon. - Cela arrive. Nous avons ainsi un accord avec la fédération internationale du sport universitaire (FISU).
M. Florent Houzot. - Ce n'est pas notre cas. Mais au-delà des compétitions qui nous servent de vitrine, nous diffusons les compétitions de quinze disciplines, du basketball, du handball ou du rugby à treize au judo ou à l'athlétisme. Nous avons répondu positivement à des fédérations désireuses d'une diffusion pour convaincre leur fédération internationale d'organiser en France une compétition, comme la fédération française de volleyball, qui a ainsi pu se qualifier sur son terrain pour le championnat du monde. Mais les fédérations doivent parfois prendre conscience de nos coûts : les championnats du monde de ski de Val d'Isère nous ont ainsi prévenu au dernier moment qu'ils voulaient utiliser deux pistes au lieu d'une, ce qui représente un coût de production double pour nous.
M. Daniel Bilalian. - Bien des gens croient que nous n'en faisons pas assez. À la radio, il est possible de faire sans argent si on a du talent. À la télévision, c'est impossible : rien qu'en vous disant bonjour, j'ai dépensé 20 000 euros chez EDF ! À la radio, un direct avec Kiev coûte 40 euros - le prix d'un coup de téléphone -, à la télévision, 15 000 euros ! Nous sortons de la diffusion des Jeux olympiques d'hiver sur lesquels 200 personnes ont travaillé ; nous préparons ceux de Rio, cela coûte des millions d'euros. Mais comme c'est le service public - comme EDF ou la SNCF - nos succès n'étonnent pas ; en fait, nous nous réjouissons quand on ne nous reproche rien ! Nous favorisons certains sports tels que le patinage, en chute libre en dehors des Jeux olympiques, en les produisant sans payer de droits de diffusion. Autrefois, la concurrence se faisait entre les gratuits ; aujourd'hui, c'est entre les payants : nos contraintes économiques sont trop strictes. Nous nous réservons pour quelques événements, comme les matchs de l'équipe de France de football et de rugby, le Tour de France - qui est pour les Français un moment de joie simple dans la redécouverte de leur pays et a peu de choses à voir avec le sport - et Roland-Garros.
M. Michel Savin, président. - Nous vous remercions pour la qualité de vos réponses.
La réunion est levée à 17 heures 15.