Mardi 14 janvier 2014
- Présidence de M. Simon Sutour, président, et de M. Jean-Louis Carrière, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -Institutions européennes - Audition de M. Evangelos Venizélos, vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères du gouvernement grec, et de M. Théodore Passas, ambassadeur de Grèce en France
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Monsieur le vice-Premier ministre, Monsieur l'ambassadeur, nous sommes heureux de vous accueillir pour que vous présentiez à nos deux commissions les priorités de la présidence grecque de l'Union européenne. Votre pays assume la présidence du Conseil de l'Union européenne depuis le 1er janvier, et il la transmettra à l'Italie le 1er juillet. Cette présidence - la cinquième exercée par la Grèce - sera marquée par les élections européennes de juin, et intervient à un moment où l'Europe traverse une phase de transition, au sortir d'une crise financière qui a touché l'ensemble de ses États membres et ébranlé la confiance de ses citoyens. Vos priorités seront la promotion de la croissance et la lutte contre le chômage, le développement de la cohésion économique et sociale, l'avancement des réformes structurelles, l'approfondissement de l'intégration et l'achèvement de l'union économique et monétaire. En matière de politique étrangère et de défense, l'attention devrait être portée sur la stratégie maritime de l'Union européenne, sur la question de l'intervention européenne en République centrafricaine et sur les problématiques des Balkans.
M. Simon Sutour, président. - Monsieur le vice-Premier ministre, Monsieur l'ambassadeur, merci d'être parmi nous. Il est de tradition que l'ambassadeur du pays qui prend la présidence de l'Union européenne vienne présenter ici les priorités de cette présidence. C'est la première fois en quinze ans que le ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes, vient les présenter lui-même ! Nous y sommes très sensibles.
Vous allez présider l'Union européenne dans des conditions particulières, marquées par les élections européennes et la mise en place d'une nouvelle Commission. Pourtant, il faudra achever l'examen de certains textes et agir pour restaurer la confiance alors que la reprise économique reste fragile. La Grèce a consenti de gros efforts pour rester dans la zone euro, ce qui lui donne une légitimité particulière pour parler au nom de l'Union européenne. Celle-ci a une dimension méditerranéenne forte, qu'il ne faut pas négliger : une fracture entre le nord et le sud de l'Europe serait très préjudiciable à la construction européenne. Le partenariat oriental promu par la présidence lituanienne doit se doubler d'un effort envers les pays du sud de la Méditerranée.
Président du groupe d'amitié France-Grèce au Sénat, je ressens une émotion particulière aujourd'hui. La Grèce et la France ont toujours été amies. Je suis allé pour la première fois en Grèce à l'époque de la dictature des colonels. Nombre de personnalités grecques étaient alors réfugiées en France : Mikis Theodorakis, Mélina Mercouri... Cette époque est révolue : le peuple grec, après avoir beaucoup souffert, est reparti vers l'avenir. La France aussi est un pays méditerranéen : je suis élu d'un département qui borde la mer Méditerranée et ma ville est à quelque cent kilomètres de Marseille, qui fut fondée par des colons grecs. La Grèce fut le berceau de notre civilisation et nous a appris la démocratie !
M. Evangelos Venizélos, vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères du gouvernement grec. - Merci pour votre invitation. Je suis heureux de m'exprimer au sein du Sénat de la République française pour présenter les priorités de notre présidence de l'Union européenne et évoquer avec vous l'avenir de la Grèce et celui de l'Europe. C'est en effet la cinquième fois que mon pays exerce cette présidence depuis qu'il a rejoint la famille européenne, ce qui avait été facilité par l'appui de la France, à laquelle nous sommes pour cela profondément reconnaissants. Nous avons désormais l'expérience nécessaire à cette tâche : nos institutions comme nos services y sont préparés. Nous coopérerons avec le président permanent du Conseil européen, avec la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et avec la présidence permanente de l'Eurogroupe, qui est une structure centrale dans l'édifice européen, quoiqu'elle ne soit pas contrôlée par les Parlements européen et nationaux.
Notre premier devoir sera de promouvoir les priorités des citoyens, des peuples, de la société civile. Nous développerons un modèle de croissance européen susceptible de nous faire dépasser la crise, qui a touché tous les pays d'Europe : partout, la croissance, la compétitivité, le chômage, le financement de l'économie posent problème. En particulier, le secteur financier doit être mieux assujetti à l'économie réelle. Nous devrons restaurer l'idée même d'État social européen.
Notre deuxième priorité sera la gouvernance économique. Les défauts des institutions actuelles sont flagrants. Nous avons besoin de nouveaux mécanismes pour faire fonctionner la zone euro à dix-huit membres. Nous devons aussi proposer des améliorations de la gouvernance économique mondiale. Nous nous attacherons à achever la procédure législative instaurant l'union bancaire et le mécanisme unique de résolution. Notre système bancaire en Grèce est à présent recapitalisé et modernisé. Quatre de nos banques font partie des cent trente banques systémiques européennes. La sécurité des dépôts doit être le critère ultime du mécanisme de garantie européenne des dépôts : la surveillance et la résolution ne suffisent pas.
Notre troisième priorité sera constituée par les questions humanitaires et de sécurité. La protection des frontières européennes contre l'immigration illégale doit faire l'objet d'une plus grande coordination : ce problème ne concerne pas seulement les pays frontaliers, c'est un problème européen.
La quatrième priorité sera la politique maritime intégrée européenne, après la déclaration de Limassol pendant la présidence chypriote. Ce sujet comporte plusieurs dimensions, puisqu'il concerne la politique de l'énergie, le tourisme, les activités maritimes, l'environnement... Il s'agit également de délimiter les zones maritimes en se conformant au droit international de la mer.
La troisième et la quatrième présidence grecque de l'Union européenne avaient coïncidé avec des vagues d'élargissement de la famille européenne : sous notre troisième présidence, celle-ci est passée de douze à quinze pays - cela aurait été seize s'il n'y avait eu le deuxième référendum négatif en Norvège - et sous notre quatrième, de quinze à vingt-cinq, ce qui a donné lieu à une cérémonie historique à Athènes. Elles avaient également promu des efforts d'intégration institutionnelle : le grand débat sur la Constitution européenne, avant d'être stoppé par les référendums français et hollandais, avait été lancé à Thessalonique en 2003 sous la présidence grecque. Cette fois, nous ne disposerons que d'un court semestre parlementaire avant que le Parlement ne soit dissous en vue des élections européennes. Nous n'aurons donc guère que trois mois et demi pour mener à terme les procédures législatives en cours.
Nous faisons face à un euroscepticisme d'un genre nouveau, qui s'attaque à l'idée même d'Union européenne, et non à certains aspects de sa mise en oeuvre. Notre devoir historique sera donc d'offrir une nouvelle narration de la construction européenne. Car, pour la majorité des jeunes Européens, l'idée et la pratique de l'Europe sont associées à l'austérité et à la crise économique. Il importe que nous puissions présenter un discours politique différent, surtout en France.
Le grand problème institutionnel, politique, économique et financier de l'Europe sera de rétablir l'équilibre entre Berlin et Paris. La relation entre la France et l'Allemagne, qui sont les deux grands pays de l'Union européenne et de la zone euro, accuse en effet un déséquilibre flagrant. Or les rapports de force en Europe restent principalement interétatiques. Les partis politiques européens et nationaux peuvent avoir des stratégies différentes - pourvu qu'elles ne fassent pas renaître le nationalisme - mais les rapports s'établissent entre les États.
Dans la zone balkanique occidentale, notre politique est très claire : nous sommes favorables à une perspective européenne et atlantique pour tous les pays de la région. Je présiderai la semaine prochaine la première séance de la conférence intergouvernementale sur l'adhésion de la Serbie. Le début de la discussion est très positif pour la Serbie et le Kosovo. Nous avons d'étroites relations avec l'Albanie, dont le nouveau Premier ministre est proche de nos vues politiques. Le cas du Monténégro ne soulève pas de difficulté, mais la forme institutionnelle de la Bosnie pose problème. Sur l'Ancienne République Yougoslave de Macédoine (ARYM), j'aurai l'occasion d'expliquer notre position plus en détail, mais nous sommes disposés à accepter un compromis : la Grèce est le premier investisseur à Skopje, qui est aussi notre premier marché pour le tourisme. Nous pouvons donc aider à rapprocher ce pays de la perspective d'une adhésion à l'Union européenne et à l'OTAN.
Sur les grands problèmes internationaux, j'ai indiqué hier à mon homologue français que nous partagions les positions françaises. C'est la Grèce qui préparera, à Larissa, dans les prochaines semaines, la mission militaire européenne en Centrafrique.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Pouvons-nous espérer un réel engagement des pays de l'Union européenne pour contribuer à stabiliser la situation en République centrafricaine ? Cet engagement pourra-t-il intervenir rapidement ? La France n'est certes pas en difficulté, mais la tâche est complexe, et l'opinion publique française sera plus sensible à une intervention multilatérale qu'à une action unilatérale de la France. Vous n'avez pas parlé de la Turquie. Quelle sera votre attitude à l'égard de la reprise des négociations ?
M. Gilbert Roger. - Comment abordez-vous les élections européennes ? Quelle audience le parti néonazi « Aube dorée » a-t-il dans la société grecque ? Quel score pensez-vous qu'il pourrait atteindre ? Qu'attend la population grecque de votre présidence de l'Union européenne ? Celle-ci pourra-t-elle réconcilier les citoyens avec les institutions européennes ? Si oui, comment ?
M. Jean Bizet. - Je me réjouis de vous entendre dire qu'il faut rééquilibrer l'axe Paris-Berlin. Je le dis depuis quelques temps : lorsque la France et l'Allemagne ne se parlent pas et que le couple franco-allemand ne fonctionne pas bien - ce qui est le cas -, l'Europe n'avance pas. La France ne parle guère en ce moment. Quant à l'Allemagne, sa santé économique suscite de telles crispations qu'elle doit garder profil bas. La Grèce pourra-t-elle contraindre la France et l'Allemagne à retrouver leur rôle d'entraînement ?
L'union bancaire est pratiquement mise en place, et la garantie des dépôts est une réalité. Vous n'avez pas parlé de l'union économique et monétaire, ni de la décision prise lors du dernier Conseil européen sur les instruments de convergence et de compétitivité. N'estce pas une évolution importante ?
Dans mon département, la pêche est une activité qui compte. Les positions du commissaire en charge de ce secteur, plus favorables à la pêche minotière qu'à la pêche artisanale, suscitent souvent notre incompréhension. Pensez-vous que votre présidence y apportera une inflexion ?
M. Evangelos Venizélos, vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères du gouvernement grec. - L'intervention en Centrafrique doit avoir une base légale : nous devons donc attendre la décision du Conseil de sécurité. Nous souhaitons organiser une opération en coopération avec l'Union africaine et avons offert de la préparer en Grèce, où nous disposons du groupement tactique européen, qui est dirigé ce semestre par la Grèce.
La situation politique en Turquie est actuellement complexe. Nos relations bilatérales sont liées à la perspective européenne comme au problème chypriote. La résolution de celui-ci, comme l'acceptation de l'acquis communautaire, sont des conditions nécessaires à l'amélioration définitive de nos relations. La stratification sociale et politique de la Turquie laisse pressentir une certaine stabilité parlementaire. Le problème est institutionnel : le président sera élu sans véritables compétences. Au sein du parti dirigeant, le rapport de force est complexe, et le pays souffre de divisions ethniques et religieuses. Les relations bilatérales de la Turquie avec ses voisins sont partout en crise : Syrie, Irak, Liban, Iran... Si la perspective européenne de la Turquie nous semble un horizon stable, il est difficile de rendre ce pays plus démocratique lors d'une période marquée par une confrontation entre pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire. Mieux vaut attendre quelques mois.
La justice pénale grecque a estimé que, si l'« Aube dorée » était bien un parti politique, il abritait aussi, en son sein, une organisation criminelle. Certains députés, légitimement élus, sont membres de cette organisation criminelle qui fait l'objet d'une enquête pénale. Les sondages montrent qu'une partie de la société grecque est favorable à des idées anti-européennes. Il ne s'agit pas d'un courant néonazi, mais d'une réaction à la crise, aux politiques d'austérité et à l'incapacité des institutions européennes de répondre aux vraies préoccupations des citoyens. C'est pourquoi nous devons proposer une autre narration sur l'avenir de l'Europe. Les institutions doivent améliorer leur communication envers les citoyens et sortir du discours bureaucratique pour investir le champ politique. Il faut plus de transparence et les dirigeants doivent s'affranchir du conservatisme auquel ils sont insensiblement enclins.
Il y a entre la France et l'Allemagne un rapport de force économique et politique. La France est un grand pays, membre permanent du Conseil de sécurité, qui a une vision globale. Mais, sur la gestion des déficits et de la dette et en termes de puissance économique, c'est l'Allemagne qui domine. Il y a un déséquilibre flagrant. La troïka, entité provisoire et hybride, n'existe que parce que le FMI a été mêlé aux affaires européennes. Pourtant, il avait été créé à l'intention des pays en développement et non pour le noyau dur de la zone euro ! Sa présence reflète la méfiance extrême de chaque gouvernement allemand envers la Commission et envers la dimension communautaire de la procédure européenne : elle témoigne d'une préférence pour la méthode intergouvernementale. Il faut, le plus souvent, pour des raisons de souveraineté et de dignité nationale, respecter l'unanimité. Pour le FMI, comme pour le gouvernement américain, l'interlocuteur valable c'est l'Allemagne : quand le secrétaire du Trésor américain vient en Europe, il s'entretient avec le ministre des finances allemand, non avec les commissaires ou l'Ecofin. Il importe donc au plus haut point de rétablir l'équilibre de l'axe franco-allemand.
Il est vrai que les annonces sont nombreuses sur l'Europe sociale. Mais, en pratique, rien ne se produit. C'est que la priorité absolue est donnée à la réforme du système bancaire européen, qui assure le lien entre la sphère financière et l'économie réelle. La question de la garantie des dépôts à l'échelon européen reste une question ouverte : il existe une garantie nationale, par la Banque centrale et l'État ; il s'agit de créer un mécanisme européen.
Je ne puis répondre dans le détail à la question portant sur la pêche, mais je la poserai à mon collègue ministre de l'agriculture et à la commissaire concernée.
M. Jean Besson. - M. Sutour a bien fait de signaler le danger qu'il y aurait à diviser l'Europe en Europe du Nord et Europe du Sud. Certains économistes souhaiteraient même qu'il y ait deux euros : un euro du Nord, autour de l'Allemagne, et un euro du Sud, pour ces pays que les Anglais appellent « PIGS » et la France, d'une valeur inférieure de près de 20 %. J'espère que vous allez tordre le cou à cette idée catastrophique. Les militants européens, dont nous sommes, ont été choqués par un article paru dans un quotidien du soir, considéré bien à tort comme faisant référence, sur le problème de la troïka : entièrement à charge, il est illustré par une grande photo en couleur de manifestants grecs brûlant un drapeau européen. Allez-vous y réagir ?
M. Richard Yung. - Merci de votre visite. J'ai cru que vous alliez dire que le secrétaire américain, lorsqu'il venait en Europe, ne parlait pas avec le ministre des finances français. Mais vous ne l'avez pas dit. Hélas, vous avez raison. Vous avez eu sur la troïka des mots très mesurés, alors que la Grèce a beaucoup souffert. L'existence même de la troïka soulève de plus en plus d'interrogations : ses recommandations en matière de politiques sociales sont en réalité des ordres. Ne faudrait-il pas concevoir un mécanisme plus efficace et plus centralisé ?
Votre présidence sera raccourcie par les élections. Parmi les éléments, fort complexes, du mécanisme de l'union bancaire, figure la négociation d'un traité intergouvernemental sur le fonds de résolution : qui doit payer, en dernier ressort, lorsqu'une banque s'effondre ? Ce calendrier prévoyant une ratification de l'union bancaire en juillet vous semble-til réaliste ?
Votre pays, comme l'Italie, est en première ligne sur le problème de l'immigration. Dans ce domaine, il n'y a guère d'amélioration, malgré les propositions formulées par la Commission. Avez-vous l'espoir de débloquer la situation ?
Mme Catherine Tasca. - N'est-il pas temps de s'interroger sur le rôle d'expert du FMI, considéré comme allant de soi, alors que nombre de ses interventions, notamment en Afrique, n'ont pas été très convaincantes ? Quel est votre point de vue sur la négociation commerciale qui s'engage entre l'Union européenne et les États-Unis ?
M. Evangelos Venizélos, vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères du gouvernement grec. - Parmi les économistes qui ont proposé la scission de l'euro, il y a M. Pissarides, qui a eu le prix Nobel et est citoyen chypriote. Je suis formellement opposé à cette idée, qui signerait l'arrêt de mort de l'Union monétaire, surtout après l'expérience de la convergence par dévaluation interne qu'ont vécue la Grèce, l'Espagne, l'Italie, mais aussi la France et même les Pays-Bas ! Pour préserver la paix sur notre continent, il faut protéger l'union monétaire. Décidée il y a vingt ans, mise en oeuvre il y a onze ans, elle résulte d'une volonté politique forte. L'histoire de l'Union européenne est une histoire de volontarisme politique, ce qui, en France doit faire écho à la dimension gaullienne.
La troïka est un phénomène étroitement lié à la crise. J'ai expliqué quel est le fondement politique de la présence du FMI au centre de l'Europe. Il y eut plusieurs phases. Durant la première, la troïka était l'expression institutionnelle technique de ses trois composantes. Pendant la deuxième, elle est devenue la représentante politique des gouvernements, et surtout du gouvernement allemand, en contact avec ces institutions. Je respecte pleinement les prérogatives du Parlement européen, et je constate que la troïka cumule les obstacles démocratiques. La Commission est sous contrôle parlementaire, la Banque centrale dispose d'une autonomie institutionnelle, le FMI accueille les pays du monde entier sur le seul critère de leur PIB. L'UE est fondée sur la souveraineté et l'égalité institutionnelle des pays membres, la Banque centrale sur la force économique ; quant au FMI, il se caractérise par une certaine obscurité institutionnelle. Votre concitoyen Olivier Blanchard, chef économiste au FMI, dit que des erreurs ont été commises sur le multiplicateur fiscal de la Grèce. Cela s'est traduit par le fait que des sacrifices majeurs, des mesures fiscales hostiles au peuple et à l'économie réelle, pour un montant de 80 milliards d'euros, n'ont abouti qu'à un ajustement fiscal de 25 milliards d'euros : pour trois euros sacrifiés, l'ajustement n'a été que d'un euro ! Tels furent les effets d'erreurs non seulement politiques, mais aussi intellectuelles, méthodologiques, scientifiques. Ce n'est pas seulement un problème pour la Grèce, mais pour l'existence institutionnelle de l'Europe, la compétitivité de l'économie et l'équilibre entre Berlin et Paris : il y a des conséquences en chaîne.
Sur l'immigration illégale, nous avons pris des initiatives avec l'Italie, avec laquelle nous partageons cette priorité, dans le cadre de cette année méditerranéenne, au niveau du Conseil Affaires générales et du Conseil européen, avec la participation de neuf pays membres, afin de renforcer les compétences de Frontex et d'exploiter les possibilités du système Eurosur. L'Italie a proposé d'organiser des opérations militaires maritimes en Méditerranée. Mais il convient de distinguer interventions militaire et policière. Il y a, à n'en pas douter, une corrélation entre les crises au Proche-Orient et en Afrique du Nord et l'augmentation de l'immigration illégale. Il faut aussi distinguer la protection des réfugiés, selon les conventions de Genève et le droit d'asile, des problèmes de sécurité et d'immigration illégale. La distinction est parfois ténue, nous y travaillons avec la Commission et les pays méditerranéens, membres de l'UE ou non. La signature du récent accord entre la Commission et la Turquie est une avancée importante, mais la Turquie a déclaré exclure l'île de Chypre, ce qui pose un problème.
La Turquie veut faire partie d'une communauté de 28 pays mais refuse de reconnaître un de ses membres !
Des comportements extrémistes, tels l'incendie du drapeau, sont inacceptables à nos yeux, pas à ceux de la Cour suprême des États-Unis, comme en atteste sa jurisprudence constante, au nom de la liberté d'expression. Je me reconnais dans les principes qui prévalent en Europe...
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Nous sommes confrontés à de tels débats en France en ce moment.
Mme Josette Durrieu. - Nous constatons tous que l'Europe est en panne. On l'a peut-être beaucoup élargie et pas assez approfondie. Faut-il, comme vous l'avez déclaré, un nouveau récit, un nouveau discours, à destination de la jeunesse et des populations ? Je ne suis pas sûr que les discours passent. Il faut rééquilibrer la relation Paris-Berlin, certes, mais aussi la relation de l'Europe avec la rive Sud de la Méditerranée. Bref, il faut revoir la politique de voisinage.
Soyons concrets : avançons avec des projets communs, une politique maritime intégrée, sûrement, mais aussi une politique énergétique intégrée. Ce que l'on est en train de trouver dans les fonds marins entre la Grèce et Chypre ne va-t-il pas aggraver des relations déjà conflictuelles ? Dessinons aussi une politique migratoire nouvelle, pour gérer cette mobilité acceptée - ne parlons plus seulement d'immigration clandestine !
M. Aymeri de Montesquiou. - J'admire votre maîtrise du français. Lorsque vous êtes devenu ministre des finances, votre pays était dans une situation extrêmement difficile. Il avait présenté des comptes insincères, recouvrait mal ses impôts et n'avait pas de cadastre. Sur les deux premiers points, il s'est amélioré. Existe-t-il un cadastre ? Un pays fort renforce l'Union, un pays faible l'affaiblit. Vous êtes ancien ministre de la défense et, pourtant, l'Europe de la défense ne figure pas parmi vos priorités, ce qui me surprend. Nous avons l'impression d'être un peu seuls en Afrique, comme l'a indiqué le président Carrère.
Quant à l'élargissement, il faut prendre conscience qu'il va de pair avec l'affaiblissement de l'UE.
Quelles sont les relations de la Grèce avec la Macédoine ? Y parle-t-on grec ?
M. Simon Sutour, président. - La Turquie veut entrer dans l'UE, tout en occupant militairement 40 % de la superficie d'un de ses États membres, ce qui est inacceptable. Bien sûr, vous allez présider l'ensemble de l'Union, mais cela n'interdit pas d'avoir des priorités liées à la situation géographique : ce n'est pas un hasard si la Lituanie accordait beaucoup d'importance au partenariat oriental.
Vu des rives de la Méditerranée, on a le sentiment qu'une partie de l'Europe serait parée de toutes les vertus, travailleuse, respectueuse du droit, créatrice de richesses, sérieuse et qu'une autre partie, où l'on chanterait, où l'on danserait, serait dépensière, insincère... Mais que les pays où l'on ne danse ni ne chante sont tristes !
La politique de voisinage concerne pour un tiers l'Est de l'Europe et pour deux tiers les pays de la Méditerranée. Je représente le Sénat à l'assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée. Quelles sont, à cet égard, les intentions de votre présidence ? La COSAC va se réunir prochainement à Athènes. Pour la première fois, nous nous rencontrerons, la veille, à Chypre, entre présidents des commissions des affaires européennes des pays qui bordent la Méditerranée.
En cette année méditerranéenne, puisque la présidence italienne succèdera à la vôtre, quelle est votre position sur cet enjeu essentiel qu'est la politique méditerranéenne de l'Union ?
M. Evangelos Venizélos, vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères. - Pour la politique énergétique, nous devons tenir compte des évolutions récentes concernant les gazoducs, ainsi que des découvertes relatives à l'exploitation de nos réserves et des réserves chypriotes. La Commission doit négocier avec la Russie sur le prix du gaz naturel. Nous acceptons les suggestions de la Commission sur la compétitivité et les règles du jeu du marché énergétique, mais les disparités de prix et de disponibilité du gaz naturel au sein de ce marché sont inacceptables. Notre économie, après la crise, est confrontée à deux grands problèmes : les coûts de l'énergie et de la monnaie, représentés par les taux intérêt.
Des possibilités de coopération existent entre la Grèce, Chypre et Israël, avec l'Égypte aussi ; la Turquie peut devenir un partenaire.
Notre position est identique à celle de la France sur la Syrie, le Liban, la Libye, la Jordanie, l'Iran. Quant à l'ARYM, il faut trouver un compromis sur la dénomination de ce pays, puisque plusieurs territoires portent déjà ce nom : la Macédoine centrale, capitale Thessalonique, dont je suis député depuis 25 ans, la Macédoine occidentale, la Macédoine bulgare, la Macédoine albanaise. Nous proposons un compromis définitif, qui porte sur un nom, une appellation, pour chaque usage.
Le grand problème de ce pays tient aux relations entre les communautés ethniques. La communauté albanaise est importante, 35 %, avec la langue albanaise. Il y a aussi la langue pseudo-macédonienne, qui est, selon le gouvernement et la communauté scientifique bulgares, une langue bulgare. Il y a un problème idéologique d'identité nationale artificielle, entre Skopje et Sofia. Notre problème de nom est mineur par rapport aux grandes questions linguistiques et historiques entre minorités slaves. Personne ne parle grec dans l'ARYM. La communauté albanaise est tout à fait ouverte, et d'accord avec nous, sur le nom, question mineure par rapport au problème idéologique et historique.
Quant au partenariat oriental, il faut rétablir les relations entre l'Europe et la Russie, après l'expérience ukrainienne...
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. - Nous nous y employons.
M. Evangelos Venizélos, vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères. - Nous sommes d'accord là-dessus avec Laurent Fabius et Frank Steinmeier, le nouveau ministre des affaires étrangères allemand.
Pour l'approche bureaucratique de la Commission et du secrétariat du Conseil, les négociations transatlantiques et le TTIP forment une expérience positive, win-win. Il y a, dans le seizième arrondissement de Paris, l'avenue du président Wilson. Souvenez-vous des « quatorze points » posés par lui comme préalable à la fin de la Première guerre mondiale : la sécurité en Europe devint un problème euro-atlantique. Après la crise monétaire et bancaire, nous pouvons comparer la présence du FMI au sein de l'Europe à celle de l'OTAN après-guerre. Nous devons éviter que l'histoire se répète ! Merci pour votre amitié, et votre philhellénisme, mouvement très important pour l'avenir de notre pays.