- Mardi 10 décembre 2013
- Audition de M. Rémy Guilleux, vice-président de l'Union nationale des associations familiales (UNAF)
- Audition de M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration, et de M. Daniel Lenoir, directeur, et M. Frédéric Marinacce, directeur des politiques familiales et sociales de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF)
- Audition de Mme Françoise Moulin-Civil, présidente du comité de suivi de la réforme des rythmes scolaires
Mardi 10 décembre 2013
- Présidence de Mme Catherine Troendlé, présidente. -Audition de M. Rémy Guilleux, vice-président de l'Union nationale des associations familiales (UNAF)
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Nous accueillons M. Rémy Guilleux, vice-président de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), accompagné de Mme Patricia Humann, coordonnatrice du pôle « Education - Petite enfance - Handicap » à l'UNAF.
M. Rémy Guilleux, vice-président de l'UNAF. - Représentant quelque 7 500 associations organisées en une centaine d'unions départementales, l'UNAF a, sur la question des rythmes scolaires, un positionnement complémentaire à celui des associations de parents d'élèves qui sont plus directement des usagers de l'école : nous portons un regard global sur la famille, impliquant l'ensemble des générations - et c'est à ce titre, forts d'une observation d'un nombre important de situations locales, que nous participons de longue date au débat sur l'école, avec pour ligne de mire l'intérêt de l'enfant : le principal, pour nous, est que la réforme aide les élèves dans leur parcours scolaire, dans leur développement. Cela dit, nous sommes très prudents sur la réforme des rythmes scolaires : elle se met tout juste en place et elle n'a porté que sur près de 4 000 établissements scolaires, sur les 24 000 que compte notre pays.
Quelques réflexions générales, d'abord, sur cette réforme des rythmes scolaires. Des journées d'enseignement moins longues, la possibilité pour tous les élèves d'accéder à des activités qui les ouvrent sur le monde - qu'il s'agisse de la culture, des arts ou des sports - , la mobilisation des acteurs locaux - les élus, les parents, les acteurs associatifs, voire économiques, j'y reviendrai -, un recentrage des enseignements sur les fondamentaux, car la diminution du temps d'apprentissage scolaire doit nécessairement être accompagnée d'un allègement des programmes : autant de points positifs de cette réforme, dont, à tout le moins, on peut espérer qu'ils se réalisent. La réforme, cependant, n'aborde pas d'autres points importants de la vie scolaire : l'organisation du temps scolaire tout au long de l'année, l'alternance entre les vacances et l'école, le temps de travail dans la journée elle-même - les spécialistes conviennent que l'attention de l'enfant est plus grande le matin, puis dans la seconde moitié de l'après-midi -, l'articulation entre la notion de cadre commun à tous les élèves et les disparités entre les territoires, ou encore, parmi les points exclus de la réforme, la question pourtant déterminante du financement.
Que nous disent les associations affiliées à l'UNAF, après ces quelques mois de mise en oeuvre et, j'insiste, sur une partie seulement des établissements scolaires ? Les parents, d'abord, évoquent la fatigue des enfants : le fait d'aller à l'école cinq jours au lieu de quatre les fatiguerait davantage ; le sujet, cependant, est loin d'être simple car les spécialistes du sommeil des enfants - je pense en particulier à l'association Morphée - soulignent que le facteur déterminant est plutôt la régularité du rythme des enfants, le fait de se coucher tous les jours aux mêmes heures, ce qui concerne au premier chef les familles elles-mêmes et non pas l'école. Deuxième source d'inquiétude : l'application de la réforme aux classes maternelles. Troisième élément important : les parents ne sont pas convaincus de ce que cette réforme améliorera le bien-être de leurs enfants, d'autant que ceux-ci passent finalement le même temps à l'école, même si c'est pour des activités différentes. Quatrième élément : la réforme des rythmes scolaires peut obliger les parents à changer leurs horaires de travail, donc l'équilibre auquel ils étaient parvenus avec leur vie professionnelle : le mercredi matin peut être désormais travaillé, d'autres journées peuvent se terminer plus tôt. Cinquième élément : les difficultés d'organisation de certaines écoles ont généré du stress pour les parents - donc de la fatigue pour les enfants... - à quoi s'ajoute la diversité des encadrants, autre source d'inquiétude pour les parents, en particulier dans les écoles maternelles. Sixième élément : la tendance à vouloir « remplir » d'activités, coûte que coûte, les heures sans enseignement scolaire, comme s'il fallait que les enfants soient nécessairement et tout le temps stimulés, comme s'ils n'avaient plus la possibilité... de rêver ! Septième élément : la désorganisation des agendas : il faut articuler les activités extrascolaires avec les nouvelles activités périscolaires, ce qui peut poser des problèmes de transport, ou encore de cantine à l'heure du déjeuner. Huitième élément : la qualité des activités proposées, directement liée, mais pas seulement, aux questions de recrutement, de formation. Enfin, et je l'ai gardée pour la fin parce que nous y tenons beaucoup à l'UNAF : la question de la gratuité des activités proposées, garante de l'égalité d'accès.
Que pouvons-nous proposer pour que les choses se passent le mieux, dans l'intérêt de l'enfant ? D'abord, ouvrir le dialogue pour construire des réponses collectives aux questions très concrètes et importantes qui se posent sur les activités, les locaux, les transports, la cantine, le coût des activités, l'adaptation aux contraintes locales, mais aussi la mobilisation des ressources du territoire. Ce dialogue me paraît indispensable pour que les familles s'approprient les objectifs et le sens même de la réforme des rythmes scolaires. Je crois, ensuite, qu'il ne faut pas tomber dans le piège de la surconsommation d'activités, que nous devons aussi valoriser le temps de décompression et pas seulement les capacités d'acquisition de connaissances, que nous devons laisser aux enfants un temps vide d'activités, propice à l'imagination - nous connaissions ces temps vides, à l'école, pendant lesquels nous apprenions à inventer nos propres jeux.
Il nous semble important, encore, de mettre un peu de souplesse dans la réforme - en particulier de la souplesse à l'Education nationale : nous nous sommes enfermés trop vite dans des schémas, au lieu de rechercher collectivement les meilleures solutions, sur des questions pourtant aussi importantes que celles des activités elles-mêmes et de leur rythme - vaut-il mieux, par exemple, des activités régulières, à jours fixes, ou bien des séquences extraordinaires ? La réponse est-elle identique partout ?
Autre point auquel nous tenons : la gratuité des activités pour les familles. Les enquêtes montrent la diversité des situations, des coûts, il nous semble essentiel de maintenir le principe de la gratuité.
Une piste majeure de travail, enfin : la réforme des rythmes scolaires est une occasion formidable d'ouvrir l'école sur son territoire - il y a tant de ressources, de forces vives à mobiliser localement, c'est un atout évident pour l'école. Ici, cependant, nous constatons que le monde économique, les entreprises ne se mobilisent pas suffisamment, alors qu'elles sont indispensables à la vie des territoires. Cette mobilisation collective de la communauté éducative, dans son sens le plus large, ne peut se concevoir que dans la durée.
Je citerai pour finir Nelson Mandela : « Tout ce qui est fait pour moi, mais sans moi, est fait contre moi ».
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Merci pour cette présentation très vivante et pragmatique, utile à notre mission !
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Je vous remercie également pour ce tableau précis et réaliste de la réforme. Vous dites que les parents ne sont pas convaincus du bien-fondé de cette réforme, je l'avais également dit au ministre : à votre avis, qui serait le plus légitime pour bien expliquer la réforme et quel vous paraîtrait le support le plus approprié ?
Savez-vous, ensuite, dans quelle proportion les parents - principalement les mères - ont repris le travail le mercredi du fait de la réforme des rythmes scolaires ?
Je partage votre souci de ne pas pousser à la surconsommation d'activités ; cependant, comment faire avec la très forte attente des familles pour des activités, voire leur angoisse à l'idée que leurs enfants resteraient sans rien faire ? Je précise, enfin, que la réforme n'a pas touché à la durée du temps d'apprentissage : il reste de 24 heures, mais réparties sur cinq jours au lieu de quatre.
M. Rémy Guilleux. - Comment expliquer la réforme aux familles ? Il faut d'abord constater qu'elle a été faite avec une grande rapidité, pour ne pas dire précipitation : quelques mois seulement, c'est très rapide pour une réforme de cette ampleur, concernant autant d'acteurs, et visant les enfants - ce trésor des familles... La réforme, en fait, doit être expliquée dans la proximité et progressivement, car c'est bien par le dialogue qu'elle sera reconnue et acceptée.
Quelle incidence la réforme a-t-elle sur l'emploi des parents ? Nous ne disposons pas d'enquête en la matière...
Mme Patricia Humann, coordonnatrice du pôle "Education - Petite enfance - Handicap" à l'UNAF. - Il semble que des parents, surtout des mères, négocient leur temps de travail pour mieux tenir compte des nouveaux rythmes scolaires ; reste aux entreprises à accepter de la souplesse dans ce sens...
M. Rémy Guilleux. - Il faudra effectivement regarder comment les choses évoluent de ce côté-là.
La tendance à la surconsommation d'activités pose la question du choix des activités elles-mêmes. Pourquoi, par exemple, faudrait-il proposer davantage de sport, quand l'offre est satisfaisante ? Comment mieux utiliser les potentialités locales, je pense en particulier à celles du monde rural, pour développer une Education mettant en avant des valeurs de liberté, d'autonomie, d'ouverture - pour un esprit sain dans un corps sain ? Voyez l'échec scolaire : doit-on parler surtout des « décrocheurs », ou bien d'une « institution décrochante », qui ne sait pas susciter l'intérêt, l'adhésion des enfants dont elle a la charge ? Ce débat est évidemment très large et je ne saurais m'y avancer beaucoup aujourd'hui - mais j'y participe avec mon bagage issu de l'enseignement agricole, une branche qui valorise ce que les élèves savent, peuvent, alors que, trop souvent, on s'attache surtout à mesurer, et avec quel détail, ce qu'ils ne savent pas et ce qu'ils ne peuvent pas...
M. Pierre Martin. - Je vous remercie d'avoir souligné que cette réforme est trop rapide et de citer Nelson Mandela comme vous le faites : effectivement, mieux aurait valu commencer par dialoguer ! Comment espérer que les parents s'approprient une réforme ainsi commencée, quels que soient ses effets positifs pour les enfants ? Ne vous semblerait-il pas préférable de dire qu'il ne s'agit encore que d'une expérimentation - pour dialoguer davantage avant la généralisation ?
Mme Dominique Gillot. - J'apprécie d'autant mieux votre propos, Monsieur Guilleux que, lors de la réforme de l'école, j'ai mesuré les difficultés à mobiliser pour un projet commun de l'école dans l'intérêt de l'enfant... Vous dites que les entreprises devraient s'impliquer davantage, qu'elles pourraient adapter davantage les horaires de travail pour que le parent puisse chercher son enfant à l'école : le résultat ne serait-il pas une moindre participation aux trois heures d'activité - ce qui n'est certainement pas l'objectif de la réforme ? Ne pensez-vous pas que les entreprises devraient participer financièrement aux activités ?
Vous soulignez encore que cette réforme exige de la durée, mais il faut dire également qu'il était important d'agir sans tarder, car l'évolution des résultats de notre école n'est guère encourageante !
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Des parents m'ont dit qu'ils pourraient choisir l'école en fonction des activités périscolaires qu'elle propose : cette évolution serait très inquiétante, car elle menacerait l'existence même de bien des écoles dans de petites communes. Vous êtes pour la gratuité des activités, mais comment les plus petites communes y parviendraient-elles ? Ici encore, c'est un facteur de différenciation entre les territoires : qu'en pensez-vous ?
M. Rémy Guilleux. - Le conseil d'administration de l'UNAF a souligné le caractère très serré du calendrier de cette réforme, il a débattu de son caractère expérimental, du passage à la généralisation ; cependant, il ne lui appartient pas de dire si l'expérimentation doit être prolongée, ou si la généralisation doit se faire dès l'an prochain. Notre rôle, c'est plutôt d'observer ce qui se passe, de relayer l'opinion des familles, de rechercher des solutions aux problèmes qui se posent, de participer au débat et au dialogue - vous avez compris que nous croyons aux vertus du dialogue, des initiatives locales et de la construction de solutions en commun.
Quant à l'adaptation des entreprises, je crois qu'elle doit fonctionner dans les deux sens.
Mme Patricia Humann. - J'évoquais surtout le fait que, les activités périscolaires n'étant pas obligatoires, il peut être utile aux parents de venir chercher leurs enfants plus tôt : ils ne pourront le faire sans que l'entreprise les y aide - et je sais, d'expérience, que c'est une négociation parfois très difficile.
M. Rémy Guilleux. - Nous n'avons pas entendu dire que les activités périscolaires deviendraient un critère de choix des écoles, mais le risque existe, effectivement ; cela rend d'autant plus utile de mobiliser les ressources du territoire pour définir les projets, et cela pose encore la question de la souplesse à l'Education nationale.
M. Alain Fauconnier. - Une précision au propos de Mme Humann : quand les parents inscrivent leur enfant à une activité, c'est bien pour les y amener pour la durée entière de cette activité, c'est un engagement à tenir, non ?
Mme Patricia Humann. - Oui, tout à fait.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Disposez-vous d'enquête sur la préférence entre le mercredi ou le samedi matin pour la demi-journée d'école supplémentaire ?
M. Rémy Guilleux. - Oui, le mercredi est de loin préféré au samedi, même si des associations se sont positionnées pour le samedi.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Il serait pourtant plus équilibré, pour les enfants, d'aller à l'école le samedi matin plutôt que le mercredi matin...
Mme Marie-Annick Duchêne. - L'UNAF a travaillé dans ce sens avec les parents, pour leur dire que le samedi matin serait préférable pour les enfants... L'application de la réforme ne va pas sans contradictions : à Paris, par exemple, les enfants ont conservé deux journées comportant six heures de cours, alors que la réforme avait précisément pour but qu'il n'y en n'ait plus aucune... L'école le samedi matin, ce serait mieux que le mercredi, mais il y a un blocage ; cependant, si les associations familiales ne le disent pas clairement, qui pourra le dire à leur place ?
M. Rémy Guilleux. - Elles ont eu l'occasion de se prononcer, en particulier lors de colloques que nous avons organisés ; le mercredi l'ayant emporté, il nous reste à en tirer le meilleur parti, dans l'intérêt des enfants, et en particulier à cultiver la régularité du rythme sur les cinq jours d'école.
Audition de M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration, et de M. Daniel Lenoir, directeur, et M. Frédéric Marinacce, directeur des politiques familiales et sociales de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF)
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Nous auditionnons M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), accompagné de M. Daniel Lenoir, directeur de la CNAF et de M. Frédéric Marinacce, directeur des politiques familiales et sociales à la CNAF.
M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). - Très honnêtement, la CNAF a été un peu mise à l'écart de la préparation de la réforme des rythmes scolaires et c'est seulement en février 2013, à notre initiative et suite aux observations d'un certain nombre d'élus, que nous avons rencontré le cabinet du ministre de l'Education nationale, en présence de représentants du ministère de la famille, qui est notre ministère de tutelle, pour souligner l'incidence de cette réforme sur la vie familiale. Nous avons alors proposé un rapprochement de terrain, direction territoriale par direction territoriale, au sein de chaque académie - un projet de courrier a même été acté, pour être cosigné par les deux ministres de tutelle, et invitant à des échanges entre les CAF et les DASEN ; malheureusement, ce courrier n'a jamais été envoyé... Le bon sens a ensuite prévalu, dans l'intérêt de l'accompagnement périscolaire et des enfants ; cependant, alors que nous étions en cours de négociation de notre convention d'objectifs et de gestion (COG) avec l'Etat, nous avons appris l'inscription obligatoire de financements pour accompagner la réforme des rythmes scolaires dans des conditions pour lesquelles nous n'avions pas la possibilité de nous organiser au mieux. Nous avons donc fait part de notre mécontentement. Nous avons aussi fait valoir que les caisses d'allocations familiales (CAF) interviennent de très longue date dans l'accompagnement périscolaire - et que nous avions à ce titre une exigence de qualité, qu'il n'était pas question pour nous, par exemple, de financer de la garderie avant ou après l'école... Au moment de la signature de la COG, nous sommes parvenus à un compromis sur l'intervention des CAF dans les temps éducatifs et nous avons co-élaboré, avec le ministère de la jeunesse et des sports, un guide d'accompagnement des élus ; nous avons ainsi mobilisé une enveloppe de 10 millions d'euros en soutien dès 2013, inscrite à notre fonds d'action sociale, portée à 62 millions d'euros en 2014 et qui devrait atteindre 250 millions d'euros en 2015, 2016 et 2117. Il nous a été également demandé d'intervenir au titre du fonds d'amorçage, qui représente quelque 60 millions d'euros supplémentaires ; mais, ici encore, la situation est complexe car c'est la première fois que le fonds national d'action sociale (FNAS) intervient de façon aveugle sur le fonds public que constitue le fonds d'amorçage. Nous avons souhaité être associés à l'élaboration des projets éducatifs de territoire, en apportant notre expertise. Les élus ont fortement demandé à revoir les taux d'encadrement, trop contraignants à leur sens ; le décret du 2 août dernier a alors, pour les trois heures d'activité périscolaire dégagées par la réforme, fixé le seuil minimum d'un encadrant pour quatorze élèves, au lieu de un pour dix dans les autres activités périscolaires. Cet assouplissement a posé de réelles difficultés d'application, puisque les activités ont vu leur taux d'encadrement varier selon qu'elles se déroulent ou non dans ces trois heures supplémentaires. Nous avons relayé ces difficultés et nous attendons une amélioration, annoncée pour bientôt.
La CNAF s'est donc vue obligée d'intervenir financièrement pour accompagner la réforme des rythmes scolaires, sans avoir participé à l'élaboration de la réforme ; nous aurions aimé que le dialogue intervienne plus en amont et nous tâchons d'améliorer les choses, dans l'intérêt des enfants et de l'accompagnement périscolaire.
M. Daniel Lenoir, directeur de la CNAF. - L'engagement de la branche famille est important : sur cinq ans, nous engagerons, aux termes de notre contrat d'objectifs et de gestion, quelque 913 millions d'euros pour accompagner la réforme, qui s'ajoutent aux 765 millions d'euros de la prestation de service ordinaire (PSO) et aux 568 millions d'euros pour les contrats enfants-jeunesse (CEJ). Le fonds d'amorçage, pour lequel nous mobilisons 62 millions d'euros l'an prochain, n'a pas vocation à perdurer au-delà de 2014, sauf à être redéfini - ce qui supposera, pour que nous y participions, un avenant à la COG. Cet effort global de la branche famille est tout à fait soutenable, dans l'enveloppe de 250 millions d'euros annuels inscrite à notre convention.
Des consultations sont en cours, sous l'égide du Premier ministre, sur l'assouplissement du taux d'encadrement des activités périscolaires et l'hypothèse, en particulier, d'étendre les dérogations prévues par le décret du 2 août dernier aux activités réalisées dans le cadre des projets éducatifs de territoire (PEDT) - hypothèse qui implique, cependant, que les CAF cosignent ces PEDT, car nous tenons à notre politique de qualité et de sécurité des activités périscolaires. Devant le congrès des maires de France, le Premier ministre vient d'annoncer qu'il en saisirait le conseil d'administration de la CNAF, ce qui pourrait intervenir début janvier. L'important pour nous, je le répète, est d'assurer la qualité de service, tout en évitant la dérive financière d'un système qui serait sans contrôle. Les activités coûtent, en moyenne, 4,40 euros par heure et par enfant, les CAF y participent pour 50 centimes, et pour un euro lorsqu'il y a un CEJ. Nous finançons donc 11 % des activités au titre du PSO, et 23 % dans l'hypothèse d'un CEJ.
Suie à une circulaire sur l'accompagnement de la réforme, à destination des CAF, nous avons fait une première analyse de la mise en oeuvre qui témoigne de ce que les choses se sont plutôt bien passées de notre point de vue et que le bon sens l'a emporté : nous tenons ces éléments à votre disposition.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Nous aimerions partager votre optimisme - et c'est bien pourquoi nous recherchons des pistes pour que cette réforme se déroule mieux que ce que les maires en ont dit cette année...
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Les maires se sont sentis abandonnés, se heurtant au silence des CAF entre février et août dernier alors que la rentrée de septembre allait se faire avec de nouveaux rythmes scolaires : la seule réponse qu'ils obtenaient, c'était : « On réfléchit à Paris », ce qui ne va pas sans poser de problème dans une République dont la Constitution affirme qu'elle est décentralisée... Vous nous donnez les chiffres globaux, mais l'important, pour un maire, c'est de savoir sur combien il peut compter précisément, par enfant et par activité ; c'est de prévoir des encadrants en nombre suffisant pour ne pas essuyer un refus de la CAF, alors que tout est organisé ! Quelle est la participation précise de la CAF ? Quel taux d'encadrement ? Un maire de mon département m'indique, par exemple, que ses activités ne sont pas éligibles au soutien de la CAF, sans qu'on lui ait expliqué pourquoi : quelles sont les règles ?
Les maires ne comprennent pas, ensuite, pourquoi il faut tant de temps pour harmoniser les taux d'encadrement : comment expliquer aux parents qu'une même activité requiert un encadrant pour dix, ou pour quatorze élèves, selon que cette activité se déroule ou non dans le volume horaire rendu disponible par la réforme des rythmes scolaires ? C'est proprement incompréhensible, donc très inconfortable pour les élus locaux ! Pourquoi attendre autant pour harmoniser les taux ?
Ceci dit, ces règles incompréhensibles n'empêchent pas tel ou tel conseiller d'une CAF de faire un travail formidable de préparation, aux côtés des maires - en Gironde, un conseiller a ainsi pointé très précisément, dans un tableau, le reste à charge pour les communes : c'est de ce type d'outils dont les maires ont besoin.
Ce que les maires demandent, enfin, c'est de la cohérence : ils ont trop souvent l'impression d'être ballotés entre l'Education nationale et les CAF, ils doivent multiplier leurs négociations, alors que ces politiques sont multipartenaires et qu'on gagnerait à mener une négociation globale.
M. Daniel Lenoir. - Les délais de mise en oeuvre tiennent à notre propre gouvernance, nous avons agi rapidement, entre la signature de notre convention d'objectifs et de gestion, le 16 juillet, et la circulaire du 27 septembre ; ce qu'il aurait fallu, pour gagner du temps, c'est une concertation bien plus en amont avec l'Education nationale, comme nous le demandions...
La participation financière de la branche famille, ensuite, est publique : 50 centimes par heure et par enfant présent (et non par enfant inscrit), à la condition d'une « déclaration jeunesse et sports », c'est le droit commun du code de l'action sociale et des familles.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Des maires nous indiquent qu'il y aurait de nouvelles exigences, est-ce le cas ?
M. Alain Fauconnier. - La « déclaration jeunesse et sports » comporte une grille complexe de six critères, qu'il faut tous remplir - en particulier celui du déroulement de l'activité pendant les périodes de vacances et de loisirs des élèves... Ce dernier critère est contestable, puisqu'il y a une ambiguïté d'interprétation sur le « et » cumulatif des périodes de vacances et de loisirs.
M. Daniel Lenoir. - Vous parlez ici des activités extrascolaires.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Ce que les maires veulent connaître, ce sont les critères de la participation financière, et ses montants !
M. Daniel Lenoir. - Il y a deux grands régimes : celui des activités périscolaires et celui des activités extrascolaires - et, au sein du périscolaire, les dispositions propres aux trois heures dégagées par la réforme des rythmes scolaires.
M. Frédéric Marinacce, directeur des politiques familiales et sociales à la CNAF. - La CNAF soutient depuis toujours les activités périscolaires et extrascolaires ; les activités effectuées le matin, le midi, ou le soir immédiatement après l'école relèvent du périscolaire ; celles qui ont lieu le mercredi après-midi, les week-ends et pendant les vacances, par exemple, relèvent de l'extrascolaire - c'est le cas, en particulier, pour les 24 000 centres de loisirs sans hébergement, les « centres aérés », que nous subventionnons.
Les trois heures rendues libres par la réforme des rythmes scolaires relèvent des activités périscolaires ; la CAF les aide à hauteur de 50 centimes d'euro par heure et par enfant présent, soit 54 euros par an -, représentant une dépense nouvelle de 850 millions d'euros, qui s'ajoute au fonds d'amorçage provisionné à 62 millions d'euros pour l'an prochain. Les règles d'accueil et d'encadrement se fondent sur l'article R 227-1 du code de l'action sociale et de la famille : c'est le droit commun, le « droit jeunesse et sports » ; le décret du 2 août dernier est venu en assouplir le taux d'encadrement, passé à un encadrant pour quatorze enfants : nous avons dû nous y adapter, en mobilisant des moyens supplémentaires ; nous ne réduisons pas notre offre, puisque nous continuons de subventionner l'accueil classique - la « prestation de service ordinaire ( PSO) classique », elle aussi de 50 centimes par heure d'enfant présent, pour un montant total de 153 millions d'euros. Cependant, des communes ont appliqué le taux d'encadrement assoupli à cette PSO classique : dans ce cas, nous n'accompagnons pas tout, mais seulement les trois heures qui relèvent de la réforme des rythmes scolaires.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Comment les maires peuvent-ils justifier cette différenciation ? Ils ont besoin de réponses !
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Des maires nous disent devoir augmenter l'accueil périscolaire, ou en mettre en place là où il n'y en avait pas, mais que la CAF ne suit pas : c'est un malentendu, ou une réalité ?
M. Daniel Lenoir. - Mon collègue vient de vous présenter le droit en vigueur et de rappeler que nous ne diminuons pas notre offre. Le décret du 2 août dernier, cependant, a créé une distorsion qui trouble les esprits et la demande est désormais très forte pour assouplir le taux d'encadrement à l'ensemble des activités périscolaires des PEDT : nous examinons cette hypothèse, avec les contraintes que j'ai dites.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Un cas précis : si je fais entrer mes activités périscolaires dans un PEDT, est-ce que je peux appliquer le taux assoupli à l'ensemble de ces activités ?
M. Daniel Lenoir. - Non, ce n'est pas le droit en vigueur, mais l'hypothèse d'évolution que nous étudions.
Mme Dominique Gillot. - Quel est, alors, l'intérêt du PEDT ?
M. Daniel Lenoir. - C'est pour nous le moyen de vérifier que la baisse du taux d'encadrement ne signifie pas une baisse de la qualité ni de la sécurité du service.
Mme Dominique Gillot. - Je comprends bien et les élus en général comprennent bien cet objectif ; mais à quoi sert-il d'intégrer les activités périscolaires au PEDT, s'il cela n'a aucun effet juridique ?
M. Daniel Lenoir. - L'utilité du PEDT est de permettre une continuité entre les différents types d'activité.
M. Frédéric Marinacce. - Le PEDT n'est pas opposable à la CAF, mais on ne peut déroger sur les taux d'encadrement en dehors de son cadre ; la seule pièce justificative, c'est la « déclaration jeunesse et sports » et le nombre d'heures effectuées : c'est le droit commun.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Quelle incidence sur les effectifs ? Des maires auraient vu leur dossier recalé du fait d'un plus grand nombre d'enfants à accueillir.
M. Frédéric Marinacce. - L'éligibilité n'est pas fonction du nombre d'enfants, mais du taux d'encadrement : nous appliquons le code de l'action sociale et de la famille, pas un droit spécifique « de guichet ». Dans l'action sociale que nous conduisons - avec résolution, car c'est bien notre vocation -, nous veillons cependant aux dérives financières, car les dépenses ne sont que très imparfaitement prévisibles, étant fonction d'un grand nombre de facteurs : encadrement, transports, coût des prestations... Nous nous engageons résolument sur un terrain nouveau et comptons sur l'année 2014 pour expérimenter, en particulier un assouplissement des normes ; nous avançons de manière pragmatique.
M. Daniel Lenoir. - C'est la raison pour laquelle, dès mon arrivée à la direction de la CNAF, j'ai demandé une enquête sur les activités périscolaires concernées, pour voir très précisément comment les choses se passent ; nous voulons tenir la qualité et la sécurité de l'offre, tout en évitant une dérive financière par rapport à l'enveloppe de notre convention d'objectifs et de gestion. Il semble que le taux de recours par les parents soit plus fort que prévu : nous devons nous ajuster aux réalités. Le mouvement s'apprend en marchant.
M. Pierre Martin. - J'ai mis en place dès 1995 l'aménagement des rythmes scolaires, mais avec la réforme récente, je peux témoigner de ce que les maires ont été proprement abandonnés : la CAF nous a renvoyés vers la CNAF, où nous n'avons jamais obtenu de réponse ! La dérogation au taux d'encadrement a créé un véritable imbroglio, il faut en sortir le plus vite possible...
Mme Marie-Annick Duchêne. - Les trois heures libérées par la réforme doivent-elles relever nécessairement des normes propres au ministère de la jeunesse et des sports ?
M. Alain Fauconnier. - La CNAF a dû demander à être associée à la réforme pour obtenir un début de concertation avec l'Education nationale : ce simple fait illustre qu'il y a encore bien des progrès à faire ! Pourquoi ne pas associer l'ensemble des acteurs en charge de la jeunesse, Education nationale, Jeunesse et Sports, CAF, en un système cohérent ? Que pensez-vous, par exemple, d'un PEDT commun, et non plus à l'initiative de l'Education nationale ? Ne serait-ce pas plus cohérent, plus clair et plus simple ?
M. Michel Le Scouarnec. - La CNAF va engager des moyens importants pour accompagner la réforme des rythmes scolaires, est-ce que ce sera au détriment de ses autres interventions ? Comment serait-ce possible, alors qu'il en manque déjà tant pour les crèches, par exemple ?
M. Daniel Lenoir. - Sur la durée du COG, le FNAS est abondé de deux milliards d'euros supplémentaires, son montant étant porté à 6,6 milliards d'euros, principalement pour développer l'accueil de la petite enfance, rééquilibrer l'offre entre les territoires, renforcer la médiation et la parentalité : il ne s'agit donc pas de faire moins sur les autres volets de notre intervention. Quant à l'idée d'un seul dispositif, nous sommes tout à fait disposés à l'expérimenter dès le début de l'année prochaine, pour une généralisation éventuelle à la rentrée 2014-2015.
Les contraintes que vous décrivez, liées à l'évolution du droit, pèsent aussi sur la CNAF et sur les CAF ; c'est bien pourquoi nous nous mobilisons pour améliorer le système, en gardant à l'esprit qu'il ne concerne pour le moment qu'un établissement sur cinq à l'échelle nationale.
Nos critères, enfin, sont publics, ils sont consultables sur notre site - et nous sommes tout à fait convaincus que la transparence est nécessaire à toute administration moderne. Nous avons publié un document sur l'application de la réforme des rythmes scolaires, lui aussi public, et nous allons continuer à travailler pour améliorer la situation à la rentrée prochaine.
Mme Catherine Troendlé, présidente. - Nous devrons faire le point à l'issue des travaux du groupe de travail, mais je peux d'ores et déjà vous dire que ces documents sont méconnus, nous l'avons encore constaté lors du congrès des maires de France... Je vous remercie.
Audition de Mme Françoise Moulin-Civil, présidente du comité de suivi de la réforme des rythmes scolaires
Mme Françoise Moulin-Civil, présidente du comité de suivi de la réforme des rythmes scolaires. - Je vous remercie de me donner l'opportunité d'évoquer les grandes lignes du rapport du comité de suivi de la réforme des rythmes scolaires. Ses membres en ont débattu hier et il doit être présenté au ministre de l'Education nationale dans quelques jours.
Installé en avril dernier pour deux ans, bien en amont de la mise en oeuvre effective de la réforme des rythmes scolaires, le comité de suivi s'est penché sur les avant-projets, voire les projets éducatifs de territoires (PEDT). Il comprend vingt membres qui représentent l'ensemble des acteurs du monde éducatif partenaires de cette réforme. Il rassemble ainsi, outre des cadres de l'Education nationale, des enseignants, des membres des deux grandes fédérations de parents d'élèves, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), des représentants des collectivités locales, du ministère de la jeunesse et des sports, un animateur, ainsi que deux experts : le pédopsychiatre Marcel Rufo et le chronobiologiste François Testu.
Le comité se réunit une fois par mois et conduit des visites de terrain depuis septembre dernier. Il analyse également les avant-projets éducatifs des territoires avant leur mise en oeuvre et auditionne des personnalités qualifiées. Il a également connaissance des données hebdomadaires, collectées par la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) depuis les académies qui permettent d'évaluer, en temps réel, la mise en oeuvre de la réforme. À partir de janvier, le comité devrait se saisir, à l'initiative de ses membres, de thématiques transversales, comme les maternelles et l'impact pédagogique de la réforme. La lettre de mission qui nous a été adressée par le ministre nous assigne comme tâches le suivi de la réforme, la prestation de conseils auprès des municipalités et la formulation de préconisations et de recommandations destinées à en améliorer la mise en oeuvre.
Le comité doit remettre un rapport sur une base semestrielle. Le premier rapport du comité, remis en juillet dernier, consistait en un bilan d'étape de la mise en oeuvre de la réforme et contenait la recension des travaux conduits, ainsi que l'analyse des premiers projets éducatifs de territoires. Le second rapport, qui doit être présenté au Ministre le 20 décembre prochain, comprendra, quant à lui, des recommandations précises.
Une réelle évolution a été constatée depuis septembre, début effectif de la mise en oeuvre de la réforme. Un consensus croissant sur l'intérêt de la réforme s'est dégagé, y compris parmi les enseignants qui ont pu initialement s'inquiéter de la méthode suivie. Certes, le comité de suivi a constaté que l'organisation matérielle avait pu rencontrer des difficultés initiales. À cet égard, le rapport devrait distinguer ce qui relève de l'organisation du temps scolaire proprement dite et de ses conséquences sur les enseignements, de ce qui relève des transitions vers les activités périscolaires et de leur organisation matérielle.
Les difficultés éprouvées lors des deux premiers mois de mise en oeuvre de la réforme semblent, d'ailleurs, avoir été aplanies, à en juger par les informations qui sont remontées jusqu'au comité.
J'en viens à présent aux trois grands points que développe le rapport bientôt remis au ministre. Dans la première partie du rapport est examinée la traduction sur le terrain des ambitions éducatrices et pédagogiques de la réforme. Des bonnes pratiques, qui ne sont pas toujours transférables, ont été identifiées et une réflexion est actuellement engagée sur la programmation des apprentissages et les pratiques pédagogiques, ainsi que sur les temps de l'enfant. Les ambitions de la réforme transcendent très largement les murs de l'école pour concerner un grand nombre de projets politiques et pédagogiques. D'ailleurs, certaines municipalités avaient déjà, bien avant la réforme, élaboré des parcours éducatifs cohérents assurant la continuité entre activités scolaires et périscolaires.
Dans cette même partie, le rapport aborde, d'autre part, la question des maternelles, point de crispation majeur pour la réforme, sur laquelle la Dgesco a produit en octobre dernier un texte destiné, via les rectorats, aux enseignants. Le comité de suivi a pu amender ce texte avant sa diffusion.
Trois recommandations principales, qui sont en cours de finalisation, ponctuent la fin de cette partie. La première rappelle la nécessité de mettre en valeur la nouvelle organisation du temps scolaire et de recentrer le débat sur la dimension pédagogique de la réforme et les gains en termes d'apprentissage qu'elle génère. La deuxième invite à réfléchir à l'application, de manière globale, de la réforme en évitant la segmentation des acteurs qui sont mobilisés. La troisième recommandation reprend à son compte les préconisations de la Dgesco sur les classes maternelles que nous venons d'évoquer.
La seconde partie du rapport, qui traite de la coordination entre les dimensions politiques et opérationnelles de la réforme, aborde la question des partenariats. En effet, la mise en oeuvre de la réforme a été grandement facilitée dans les territoires qui connaissaient déjà la conduite de politiques partenariales. Le rapport rappelle ainsi la nécessité de conduire le recensement des acteurs mobilisables pour la réussite de la réforme et il met en exergue des bonnes pratiques, comme l'élaboration de schémas de coordination et l'instauration d'organes de concertation, tout en accordant une place importante à l'évaluation dans la réussite des projets éducatifs de territoire. L'information des familles, quelque peu négligée au début de la réforme, apparaît au comité comme essentielle et il est recommandé aux rectorats d'en améliorer la qualité. Enfin, le comité insiste sur la qualité du recrutement et de la formation des intervenants.
La troisième partie du rapport porte sur le passage du temps scolaire au temps périscolaire dans le cadre de la réforme qui laisse une grande liberté pour l'organiser. Un premier état des lieux de l'organisation du périscolaire en fonction des réalités locales est ainsi dressé. Là encore, une grande diversité de situation a été constatée par le comité, que ce soit en matière de variation des aménagements horaires, de diversification et de rationalisation de l'offre des activités selon les communes ou de l'investissement dans la pause méridienne. Certaines communes rurales ont d'ailleurs fait preuve d'innovation, en mutualisant notamment leurs moyens, pour répondre aux objectifs de la réforme.
Le comité s'est également penché sur les transitions entre temps scolaire et périscolaire qui ne doivent pas automatiquement se succéder, mais qui peuvent donner lieu à une sorte de « temps de transition » éventuellement susceptible de faire l'objet de protocoles écrits où sont clairement identifiées les responsabilités des acteurs scolaires et périscolaires. Les enseignants, notamment les directeurs d'école, les collectivités locales et les intervenants, qu'ils soient eux-mêmes des enseignants, des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) ou des personnels extérieurs, doivent être à cet égard mobilisés. La question des locaux peut s'avérer difficile dans certaines communes rurales isolées où les activités périscolaires sont conduites, faute de place, dans la salle de classe qui devient un local commun, ce qui implique d'instaurer un dialogue entre l'ensemble des personnes qui y interviennent.
Les recommandations de cette troisième partie, qui viennent d'être validées par le comité de suivi, portent sur ces transitions et le soutien qui doit être apporté aux territoires qui connaissent des difficultés dans la mise en oeuvre de la réforme.
Mme Catherine Troendle, présidente. - Madame le Recteur, nous vous remercions de la confiance que vous nous avez témoignée en nous présentant les différentes parties de votre rapport.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Parmi les axes de la réforme que vous avez évoqués, l'ambition éducatrice et pédagogique n'a pas été assez mise en avant, ce qui n'a pas manqué de troubler les parents. Promouvoir une telle vision implique de s'interroger sur les relais, à l'échelle territoriale, pour l'expliquer aux parents. L'accompagnement des enseignants dans la mise en oeuvre de cette révolution pédagogique est également lacunaire et inégal selon les situations. À cet égard, les inspecteurs pourraient accompagner et favoriser cette nouvelle organisation de l'enseignement. S'agissant des maternelles, dont le fonctionnement est moins scolaire que les classes primaires, la réforme ne semble pas viser directement l'amélioration des conditions d'apprentissage qu'il faut cependant renforcer. Mais comment s'y prendre ?
En outre, certaines collectivités, qui ont déjà innové en matière d'organisation du temps scolaire, s'interrogent sur les modalités de leur adaptation aux règles posées par la réforme. La souplesse qu'elle préconise peut-elle aller jusqu'à reconnaître comme valables les aménagements déjà opérés ?
Mme Françoise Moulin-Civil. - La réforme a toujours été présentée comme celle des rythmes scolaires et le comité a eu raison de consacrer la première partie de son rapport à cette question. Il faut que le travail d'information, notamment auprès des parents d'élèves, soit structuré et densifié au niveau de chaque académie. Les responsables académiques, y compris les inspecteurs de circonscription qui sont en contact permanent avec les élus, doivent être mobilisés. Les résultats désastreux de l'étude Pisa devraient nous conduire à considérer comme prioritaire la pédagogie. La mobilisation des enseignants pour cette tâche de diffusion des principes de la réforme auprès du public concerné est essentielle.
Je me félicite qu'une partie du rapport soit consacrée à la formation des enseignants qui connaît une mutation sans précédent et dont les effets requièrent de la durée pour être évalués. De la même manière, parvenir à plus d'équité scolaire et atteindre de meilleurs résultats en termes d'apprentissage des fondamentaux est une entreprise de longue haleine.
La recension par les médias des difficultés engendrées par la mise en oeuvre de la réforme, que retrace d'ailleurs le rapport du comité, a occulté son fondement pédagogique, qui est de renforcer les apprentissages en prenant en compte les capacités de concentration des élèves.
Le Conseil supérieur des programmes (CSP) va proposer la redéfinition des apprentissages premiers dispensés au sein des maternelles, afin d'assurer leur adéquation avec les capacités d'attention et de concentration des enfants en bas âge qui y sont scolarisés. En outre, la relance de la scolarisation des enfants de moins de trois ans, qui contribue à leur socialisation et à leur épanouissement, constitue un facteur d'équité scolaire.
S'agissant de la souplesse que laisse le décret en matière d'organisation du temps périscolaire, une dérogation peut être accordée si la demande est appuyée sur un projet éducatif de territoire (PEDT) cohérent et soutenu par l'ensemble des acteurs concernés. Une telle démarche ne devrait pas essuyer de refus a priori et le comité de suivi préconise une approche souple par territoire, dans les limites des dispositions de la réforme.
Mme Colette Mélot. - Je souhaite revenir sur l'inégalité des territoires face à la réforme que le ministre souhaite voir appliquée à l'ensemble du pays. Les difficultés auxquelles doivent faire face les collectivités rurales, en matière notamment de recrutement et de locaux, sont sans commune mesure avec celles des zones plus urbaines et ce, au détriment des enfants. A ces difficultés structurelles s'ajoute le coût induit pour les collectivités locales. Afin d'assurer l'égalité des territoires devant la réforme, le ministère de l'Education nationale n'aurait-il pas dû prendre en charge les coûts générés par le périscolaire afin de proposer une offre identique sur l'ensemble du territoire national ?
S'agissant des maternelles, qui organisent déjà un grand nombre d'activités d'éveil, n'aurait-il pas mieux valu alléger la journée scolaire et ne pas imposer d'autres activités qui s'avèrent, finalement, superfétatoires ?
Mme Dominique Gillot. - Je partage l'opinion du comité de suivi sur l'évolution enregistrée depuis l'adoption de la réforme et sa mise en oeuvre progressive par l'ensemble des acteurs de la communauté éducative. La mobilisation des enseignants pour assurer la diffusion des principes de la réforme auprès des parents suscite cependant ma perplexité. Ne pensez-vous pas que les enseignants ont plutôt vécu la réforme avec une certaine appréhension et ont, par conséquent, plutôt alimenté une relative circonspection des familles ? Les enseignants, faute de la préparation et de la formation idoines, n'ont-ils pas vécu l'arrivée d'intervenants extérieurs comme une intrusion dans leur domaine d'activité ?
Par ailleurs, la situation des maternelles a suscité un grand nombre d'opinions, parfois erronées, du fait de l'effervescence médiatique sur des sujets comme la suractivité des enfants. Même si un tel constat peut s'avérer abusif, certains enseignants, de maternelle ou d'école élémentaire, m'ont cependant alertée sur les conséquences des nouvelles activités qui sont, pour les enfants, une source de fatigue. En outre, dans l'attente d'une nouvelle circulaire précisant le contenu des programmes, certains d'entre eux se sentent obligés de respecter les dispositions fixées par le précédent ministre de l'Education nationale qui ne sont plus d'actualité. Pourriez-vous inclure cette remarque parmi les préconisations de votre rapport ? Peut-être pourrait-on profiter de la diffusion attendue en janvier prochain de nouvelles circulaires pour satisfaire les besoins exprimés en matière de clarification de programme et des responsabilités relatives à la transition entre activités scolaires et périscolaires. Une telle démarche contribuerait au dialogue entre les acteurs scolaires et périscolaires voués à collaborer.
M. Alain Fauconnier. - Je souhaiterais revenir sur la vision idéalisée de l'école de demain dans laquelle les activités scolaires et périscolaires s'articuleraient de manière harmonieuse. Une telle image relève, pour le moment, d'une vue de l'esprit et je crains qu'une tendance, qui consiste à scolariser le périscolaire, se dessine peu à peu. Mais si je souhaite que les activités périscolaires entrent pleinement en cohérence avec la formation scolaire, je suis conscient qu'une telle évolution peut s'avérer une épreuve pour les enseignants.
J'aurai deux questions. La première concerne le positionnement des ATSEM qui sont des gens très attachés aux enfants et dont le rôle gagnerait à être clarifié du fait de l'entrée en vigueur de la réforme. Je m'interroge également sur l'évolution de l'absentéisme en classe de maternelle les mercredis matins.
Mme Françoise Moulin-Civil. - S'agissant de l'inégalité des territoires devant la réforme, je dois reconnaître qu'une réforme, pour exister comme telle, se doit d'être appliquée sur l'ensemble du territoire national et qu'une grande latitude est toutefois laissée aux territoires pour répondre à ses objectifs. En revanche, le bénéfice de la réforme, en termes d'apprentissage et de formation, reste le même partout et concerne tous les enfants dès lors qu'est améliorée l'organisation du temps scolaire ! En outre, alors que l'offre périscolaire, qui préexistait à la réforme, n'a jamais été uniforme à l'échelle du pays, la réforme a le mérite d'offrir bel et bien une offre périscolaire à tous les enfants.
Les coûts médians induits par la mise en oeuvre de la réforme ont été estimés par l'Association des maires de France (AMF) à 150 euros par élève. Certaines communes rurales, notamment dans l'Académie de Dijon où 16 communes ont mutualisé leur offre périscolaire, peuvent abaisser le niveau de ces dépenses. Il convient également d'aller au-delà de cette estimation en la rapportant au budget de la commune concernée car, pour certaines communes, placées dans une situation budgétaire délicate, une telle dépense peut s'avérer lourde !
L'allégement de la journée scolaire dans les classes maternelles est bel et bien un objectif de la réforme. S'il faut laisser les enfants se reposer, encore faut-il, dans certains cas, convaincre les parents du bien-fondé d'une telle démarche, car ceux-ci n'hésitent parfois pas à les surcharger d'activités au-delà du temps passé à l'école. La réflexion sur les temps scolaire et périscolaire doit ainsi inclure le temps passé au sein des familles.
Il faut par ailleurs laisser aux enseignants, dont certains peuvent être réticents, le temps de s'approprier le contenu d'une réforme qui bouscule leurs habitudes de travail et modifie l'organisation du temps scolaire. Rappelons cependant que le passage à la semaine de quatre jours, intervenu en 2008, a suscité l'opposition de l'ensemble des enseignants de l'époque. Les formations des enseignants, qui se déroulent généralement les mercredis après-midi, fournissent l'occasion d'un accompagnement dans la mise en oeuvre de la réforme.
Sur la fatigue des élèves, je vous recommande d'auditionner le chronobiologiste François Testu pour lequel « la fatigue n'existe pas chez les enfants » ! Au-delà de cette expression qui peut susciter la polémique, c'est l'ensemble des facteurs qui concourent à fatiguer les enfants qui doit être pris en compte, et pas seulement le temps passé dans les activités scolaires ou périscolaires. D'ailleurs, notre rapport consacre un chapitre aux prochains programmes de maternelle, devançant quelque peu le CSP qui doit rendre ses conclusions au ministre en février prochain. Les programmes de maternelle devraient être allégés et contribuer à l'éveil des enfants et ce, de la petite à la grande section ! Il ne s'agit pas d'apprendre à lire et à écrire à la maternelle même s'il arrive que les familles le demandent !
L'application à la lettre des programmes n'est pas très courante, car l'adaptation aux enfants a toujours été préconisée. La mobilisation des corps d'inspection est également nécessaire sur cette question.
Mme Françoise Cartron, rapporteure. - Je suis heureuse de vous entendre mentionner ce point qui demande également de repenser la formation des inspecteurs, dans la mesure où leur rôle a évolué ces dernières années et relève désormais davantage de l'encadrement d'équipes que de l'évaluation pure et simple !
Mme Françoise Moulin-Civil. - Une réflexion est engagée, depuis un certain temps déjà, sur cette question. Sur ces vingt dernières années, le travail des corps d'inspection territoriaux a connu une réelle mutation qui s'est d'ailleurs soldée par un alourdissement des tâches qu'ils assument!
Toute réforme porte en elle une vision idéale, je vous l'accorde. La crainte d'une scolarisation du périscolaire a été relayée par les enseignants jusqu'au comité de suivi. Ceux-ci craignent que le périscolaire soit investi par une dimension pédagogique croissante et je comprends leur inquiétude.
Le comité a également été saisi de la situation des ATSEM qui sont des adultes référents pour les enfants dans les temps scolaires et périscolaires. Le comité n'a pas encore de réponse sur cette question.
S'agissant de l'absentéisme, l'organisation des classes le mercredi matin suscite des avis divergents. Le comité de suivi vient de demander à la Dgesco d'enquêter sur ce phénomène.
Mme Catherine Troendle, Présidente. - Madame le recteur, il m'incombe, au nom de la mission, de vous remercier à la fois de l'exhaustivité de vos réponses et de la confiance que vous nous avez témoignée en nous exposant, de manière anticipée, les grandes parties du rapport destiné au ministre de l'Education nationale.