Mercredi 20 novembre 2013
- Présidence de M. Michel Savin, président -Audition de M. Sébastien Sémeril, adjoint au maire de Rennes, délégué au sport, et vice-président de Rennes-Métropole, représentant l'Assemblée des communautés de France (AdCF)
M. Michel Savin, président. - Nous allons procéder à l'audition de M. Sébastien Sémeril, représentant de l'Association des communautés de France (AdCF).
Je lui cède la parole pour qu'il nous présente la position de l'AdCF par rapport à la problématique que constituent les rapports entre les collectivités territoriales et le monde du sport professionnel...
M. Sébastien Sémeril, représentant de l'Assemblée des communautés de France. - Merci de nous accueillir en ce lieu prestigieux. Je vous prie d'excuser l'absence de notre président, Daniel Delaveau, que j'essaierai de représenter dignement devant vous cet après-midi, autour d'un sujet qui nous intéresse en tant que collectivité locale, mais aussi en tant que communauté d'agglomération, communauté de communes et future métropole. En effet, si vous interrogez l'AdCF, c'est sans doute à l'aune de l'avenir et de ce qui pourrait se présenter à nous.
Le sport est en évolution, c'est une évidence, voire une lapalissade, particulièrement le sport professionnel. On constate depuis quelques années un équilibre, fondement de l'organisation sportive en France, entre le sport amateur et le sport professionnel. Cet équilibre, parfois difficile, est essentiel pour l'harmonie et le développement de nos territoires.
Nous sommes fiers de défendre, sur l'ensemble de nos territoires, métropolitains ou ruraux, la pratique du sport pour tous, et d'honorer ainsi l'image de la France à travers des performances sportives, olympiques ou internationales.
Cet équilibre est cependant de plus en plus précaire, et parfois contradictoire. Il nous amène à opérer des choix de plus en plus difficiles à porter au sein d'une collectivité locale, quelle qu'elle soit, entre le modèle du sport amateur, consubstantiel à la cohésion sociale de nos territoires, et le sport professionnel, qui évolue et nécessite de plus en plus de moyens, engendrant de plus en plus de discussions citoyennes.
Même s'il n'a pas vocation à accompagner l'ensemble des performances sportives, le maire est cependant sollicité au premier chef, en cas de montée sportive, comme en cas d'incident financier. Les élus peuvent également subir des pressions à propos de problématiques ponctuelles.
Si le sport professionnel évolue, c'est sans doute aussi parce qu'il est, à l'image du football, dans un développement pluriel. De plus en plus de sports d'équipe se professionnalisent -rugby, volley-ball, handball- et se féminisent. Il n'y a en effet pas de raison que le sport féminin reste en arrière, alors que l'on peut avoir une ambition sportive pour nos jeunes athlètes féminines. Ces phénomènes peuvent provoquer un goulot d'étranglement difficile à assumer, qui peut rendre certains choix difficiles
Le sport professionnel évolue aussi financièrement : on constate ainsi une course effrénée en matière de rémunération des athlètes, qui se professionnalisent également, et sans doute plus vite que les structures elles-mêmes. Les budgets sont amputés par cette inflation salariale. Il suffit, par exemple, de considérer le volume des transactions dans le football et le coût qu'elles représentent pour constater la dérive de ces dernières années. Certains surcoûts peuvent mettre les budgets communaux, intercommunaux, départementaux ou régionaux en difficulté, ceux-ci devant traiter bien d'autres sujets, comme la situation économique et sociale de notre pays, ou la compétence sociale.
On trouve, à côté de cela, une volonté de remettre l'ouvrage sur le métier, et de penser le sport par rapport aux années futures, dans une recherche d'équilibre entre sport amateur et sport professionnel.
On constate aussi une mutation en matière d'équipements. On peut passer d'un budget de fonctionnement à un budget d'investissement, avec des exigences accrues, qui amènent parfois à une certaine incompréhension s'agissant de normes, malgré quelques encadrements réglementaires, comme à propos des circulaires encadrant les normes visant un simple développement commercial et économique, sans lien avec la pratique de l'activité sportive.
Il n'empêche que certaines évolutions peuvent, aujourd'hui encore, amener de véritables difficultés. Lorsqu'on ajoute aux normes fédérales internationales d'autres normes légales, comme celles de la consommation énergétique, ou de l'accessibilité, les équipements structurants peuvent atteindre des montants extrêmement élevés, et mettre en péril le difficile équilibre qui existe entre le sport amateur et le sport professionnel. Il est toujours délicat de choisir entre la rénovation d'équipements de proximité, au nom du sport pour tous, et la construction d'équipements structurants, comme une Aréna, qui n'a pas simplement vocation à accueillir des activités sportives, mais qui constitue également un outil de spectacles.
Beaucoup de questions se posent aujourd'hui concernant l'encadrement du sport professionnel. Il est vrai que les agglomérations, les communautés de communes, les intercommunalités, et les métropoles peuvent être interrogées, et l'on pourrait se poser légitimement la question de savoir si ces futures métropoles n'ont pas vocation à s'occuper, demain, de sport professionnel.
Il ne faudrait toutefois pas que les communes, par exemple, utilisent l'argument pour se débarrasser des difficultés, et s'en décharger sur les intercommunalités en pensant que le problème est ainsi réglé. Communes et intercommunalités mènent en effet le même combat et ont les mêmes difficultés.
L'échelon intercommunal peut, en revanche, être pertinent en termes d'aménagement du territoire et d'harmonisation des équipements, mais l'intercommunalité peut être interrogée au même niveau que les régions, qui pourraient également jouer un rôle d'aménagement du territoire sportif, notamment dans des logiques de réflexion et de complémentarité des équipements.
Est-il toujours pertinent de voir apparaître deux pistes d'athlétisme couvertes pouvant accueillir des manifestations sportives à moins de 100 kilomètres l'une de l'autre ? Est-il toujours pertinent d'avoir ce type d'approche dans une logique d'intérêt général du territoire national ? Je n'ai pas prétention de pouvoir répondre à ces questions, mais je crois qu'il est utile que nous les partagions, à travers une réflexion globale sur le sport professionnel.
Il est vrai que l'approche de l'AdCF se fait en lien avec l'actualité et avec la dernière réforme législative concernant le concept de métropole. Derrière tout ceci se trouve un enjeu de travail collaboratif entre les collectivités territoriales. C'est une manière de dire qu'il nous faut trouver un compromis entre cette clause de compétences générale, à laquelle les élus sont extrêmement attachés, et la nécessité absolue, au regard des enjeux qui sont devant nous, d'assurer une certaine harmonie, une certaine forme d'arbitrage, afin que les choses soient mieux coordonnées sur un territoire, quel qu'il soit.
C'est aussi une nécessité, car il est utile de partager ce type d'approche de manière globale, à l'échelle d'un territoire métropolitain, avec l'ensemble des communes.
La facilité serait de considérer que les équipements de proximité, qui ont vocation à répondre aux besoins de la population au quotidien, relèvent du champ communal. Il appartient donc au maire de la commune, en sollicitant des subventions des collectivités locales, d'assumer ce rôle de développement et de promotion du sport pour tous. Pour un champ plus structurant d'équipements ayant vocation à regrouper une aire de vie plus grande que l'échelon communal, l'échelon pertinent peut être l'intercommunalité, qui permet de penser une aire de vie, avec ses besoins structurants, sans retard, l'enjeu étant devant nous, qu'il s'agisse de la problématique des Arénas ou de la rénovation des stades.
C'est là une vraie question. J'espère que nous aurons des réponses...
M. Michel Savin, président. - Je n'ai pas entendu la vôtre !
M. Sébastien Sémeril. - Il s'agit d'une piste de réflexion. Elle est peut-être mal formulée, mais c'est une piste. Il ne s'agit que de bon sens. Une commune, quelle qu'elle soit, même une des dix premières grandes villes de France, est-elle de nos jours en mesure de porter la construction, sur un mandat, d'une Aréna de 10 000 places, d'un stade de 60 000 places, d'un Zénith, etc. ? Je ne le crois pas ! Il est donc absolument nécessaire de penser les équipements structurants à l'échelle supra-communale ! Peut-on l'envisager à l'échelon intercommunal ? Pourquoi pas ? Peut-être convient-il toutefois de faire la différence entre des agglomérations urbaines et des communautés de communes ! L'échelon pourra être plus large que celui d'une intercommunalité, et être envisagé au niveau de la région.
C'est la raison pour laquelle il me semble que le couple région-métropole, ou région-intercommunalité, peut être intéressant. Il apportera une vision d'ensemble coordonnée de l'aide à l'investissement et à l'aménagement sportif du territoire. Il faut que l'on suive l'évolution des moeurs et des activités. Il n'est pas rare de voir des personnes faire 150, 200 ou 300 kilomètres pour assister à un match de gala : cela nécessite une approche spécifique entre des équipements dits de proximité, des équipements intermédiaires, et de gros équipements qui ont vocation à faire rayonner un territoire plus large que celui d'une ville, d'une intercommunalité ou d'un département.
Voici notre réponse. Elle est bien évidemment soumise à discussion, de vraies fausses bonnes idées pouvant toujours exister. A nous de la partager pour ôter l'ivraie du bon grain !
Un autre sujet intéresse en tout état de cause tous les élus que nous sommes, et nous préoccupe : il s'agit de l'évolution des normes. Il existe aujourd'hui un corpus législatif et réglementaire qui encadre leur évolution : je crois qu'il faut le renforcer, surtout en cette période où le cumul des normes vient alourdir les factures de nos investissements et freine, de fait, les investissements.
Les collectivités locales portent principalement les investissements sur nos territoires ; lorsque vous ajoutez la problématique de la consommation énergétique celle de l'accessibilité et de l'évolution des normes, qui peuvent être édictées par les fédérations, voire les ligues professionnelles, la facture est lourde, et c'est souvent l'organisation du mouvement sportif qui est pénalisée !
Le danger réside aussi dans une opposition de plus en plus prégnante entre le sport amateur et professionnel, que nous n'avions pas l'habitude de rencontrer sur nos territoires. L'unité du modèle sportif est même remise en question.
Ne verrons-nous pas demain, dans le cadre des élections municipales, des candidats -quels qu'ils soient- revendiquer un parti pris total pour accompagner le sport amateur, au nom d'une égalité des pratiques et au détriment du sport professionnel ? Le modèle sportif français a toujours défendu ces deux aspects, mais l'évolution du sport professionnel, ces dernières années, nous incite à une très grande prudence ! Le football est une chose, mais si l'on y ajoute le rugby, qui a vocation à se développer sur l'ensemble des territoires, le handball, le volley-ball, la gymnastique, etc., on risque de se retrouver dans un étau !
Il conviendrait en second lieu d'éviter que les élus soient mis dans l'obligation de privilégier telle discipline par rapport à telle autre : sur quelle base, sur quel motif ? Le modèle sportif, à travers l'évolution du sport professionnel est, de fait, interrogé dans sa composante, dans sa genèse, dans ses fondamentaux et dans ses fondements.
Je voudrais conclure à travers un exemple qui me paraît symptomatique de ce que nous traversons dans le milieu sportif. Il s'agit de l'organisation de l'Euro 2016 de football. Notre pays est, après sa qualification pour le Brésil, puissance invitante. Il serait utile de se pencher sur le déroulement du processus de choix des villes hôtes.
Des normes internationales nous sont en effet imposées par la Fédération internationale de football association (FIFA), relayées par l'Union des associations européennes de football (UEFA), et appliquées à la lettre par la Fédération française de football. Le cahier des charges de l'UEFA n'était pas négociable, et on n'a pas voulu ouvrir cette boîte de Pandore. Or, la France s'apprête à accueillir, dans quelques années, une manifestation d'ampleur internationale -troisième discipline pratiquée sur notre territoire- en ayant oublié le Grand Ouest et l'Est, régions qui fournissent pourtant le plus de licenciés...
Mme Michelle Demessine. - C'est parce qu'elles ne l'ont pas voulu !
M. Sébastien Sémeril. - J'entends bien, mais à Rennes, nous avons plutôt été applaudis par la population pour avoir refusé. Je ne suis pas dans le parti pris, mais dans un constat objectif. Nous sommes capables, au nom du respect d'un certain nombre de normes, d'organiser une manifestation internationale d'envergure au détriment du modèle sportif, tel que nous avons pu le connaître ces dernières années ! Si l'on n'y prend garde, cette situation risque de se développer, et l'on arrivera à ne plus accueillir les grandes manifestations sportives que dans les grandes métropoles urbaines qui seront capables de construire des équipements aux normes, au mépris de d'aménagement sportif de nos territoires !
En tant qu'élus locaux, ces évolutions nous inquiètent : si ce parti pris se perpétue, ces manifestations sportives ne pourront plus avoir lieu sur l'ensemble du territoire, et les choses ne seront plus comme avant.
C'est un sujet extrêmement difficile dont vous vous êtes saisis. L'AdCF est très heureuse d'y contribuer modestement, à travers sa réflexion.
M. Michel Savin, président. - La parole est au rapporteur.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Vous représentez les communautés de France, mais vous êtes également élu local de Rennes, où vous êtes à la fois adjoint aux sports et vice-président de la communauté urbaine.
Aujourd'hui, le sport professionnel a des rapports avec les collectivités locales à l'échelon du club professionnel. Est-il facile de définir un sport professionnel, un sportif professionnel, une activité sportive professionnelle ?
Les collectivités interviennent à la fois dans le fonctionnement et dans le financement des infrastructures sportives. A travers l'exemple rennais, ou celui de la communauté urbaine, mais également à travers les expériences de terrain qui remontent de votre association, pouvez-vous nous donner le schéma type du fonctionnement et de l'investissement par rapport à la répartition des compétences entre bloc communal, commune et intercommunalité ?
M. Sébastien Sémeril. - C'est une question qui nous taraude, surtout à la veille d'échéances électorales, certains ayant bien compris que c'est le moment de rencontrer le président de l'agglomération ou le maire de la commune. C'est un sujet complexe.
Je ne reviens pas sur l'investissement. Il me semble qu'il serait pertinent de distinguer les équipements de proximité, à l'échelon communal, voire intercommunal. Qui, mieux qu'un élu local ou communal, peut identifier les besoins de la population, et le bon emplacement de l'équipement ?
En revanche, en matière d'équipements structurants, voire intermédiaires -terrains-gymnases de handball, avec une tribune de 1 500 places- il est de plus en plus difficile, à l'échelle d'une commune, de répondre aux coûts et aux surcoûts que cela engendre.
La séparation entre l'équipement de proximité et l'équipement structurant me semble donc intéressante, si l'on veut bénéficier d'un développement harmonieux et de compétences bien organisées.
On vit, à travers l'évolution du monde sportif professionnel, une réflexion globale sur les relations juridiques entre communes, départements, régions ou intercommunalités et clubs professionnels. Certes, la subvention est une base, et a été encadrée par la loi Buffet, mais la question est de savoir si ce modèle est le bon par rapport à l'approche économique.
Une subvention n'est pas une prestation. La ville de Rennes a, avec le stade rennais, une relation totalement transparente. Certes, le club est porté par un actionnaire principal majeur, en la personne de M. Pinault, ce qui facilite les relations contractuelles, mais permet également de constater l'échange entre le club professionnel et la collectivité. La convention d'occupation du terrain d'entraînement et du stade équivaut à un prix ; nous prévoyons en face le même montant de prestations -achats de places, enseignes, communication, loges, etc.
Le package est donc globalisé, et permet de montrer à la population que le stade rennais ne lui coûte pas ou, en tout cas, qu'il existe des compensations matérielles. Nous ne sommes pas dans un modèle de subventions. Lorsque nous avions été auditionnés par la commission Séguin, nous avions d'ailleurs été cités en exemple.
Au-delà du cas rennais, il est intéressant de se poser la question, avec les juristes, de la pertinence du modèle de subventions et de prestations. Selon moi, une prestation, sous forme d'appels d'offres ou de marchés publics permet de clarifier les choses. La collectivité, lorsqu'elle donne des moyens financiers, dispose en effet, en contrepartie, des éléments matériels pour justifier le coût de la prestation, alors que le risque d'une subvention est de voir celle-ci partir chaque année, sans évaluation, ni suivi.
Ce sont des questions légitimes. Lorsque l'adjoint au maire de Paris propose au conseil municipal une subvention de 1,5 million d'euros pour le PSG, il est légitime qu'un certain nombre d'élus et la population se posent des questions, compte tenu de l'arrivée de l'actionnaire il y a trois ans...
Le modèle juridique de la subvention peut interpeller de par sa nature. La réponse est sans doute une plus grande transparence, avec un rapport synthétique de clôture de l'exercice permettant de vérifier le niveau des subventions publiques et leur utilisation, et de vérifier qu'elles correspondent bien aux objectifs initiaux. Entrer dans le champ de la prestation permettrait de confirmer que les clubs professionnels sont, comme ils le revendiquent, des entreprises de spectacle sportif, que l'on peut considérer comme telles.
Cette piste de travail permettrait de clarifier les choses, dans une logique de bon équilibre entre sport amateur et sport professionnel. On entend en effet encore dire, dans le sport amateur, que le maire continue à payer les salaires des joueurs du stade rennais ! Il y a donc là un vrai sujet...
M. Christophe Bernard, secrétaire général de l'AdCF. - 63 % des communautés de communes exercent une compétence sur les équipements sportifs, et 65 % sur les groupements urbains. Il n'y a donc pas un énorme décalage entre les deux. Quand on entre dans le détail, les réalités locales sont toutefois plus nuancées.
L'idée d'aller vers une relation de haut niveau avec les métropoles laisse cependant quelque peu pantois. Laisser sa chance à l'exploit sportif hors de chemins nationalement balisés est quelque peu délicat. C'est ce qui explique, je pense, pourquoi les parlementaires ont cherché à éviter de renvoyer la compétence du sport à telle ou telle collectivité.
Cela étant, ne pas choisir de chef de file permet d'autres choix. C'est en ce sens que l'idée des conférences territoriales de l'action publique (CTAP) est intéressante. Evoquer, au plan régional, le positionnement d'un équipement dans sa dimension d'aménagement du territoire, est important ; ne pas fermer toutes les portes à des initiatives hors du champ de la métropole l'est également. Les choses étant très différentes d'une région à une autre, opérer la régulation dans une enceinte comme une CTAP, avec des lignes de partage sur lesquelles les différentes collectivités se sont entendues régionalement, nous paraît une bonne voie pour se garder d'une loi trop normée au plan national, qui pourrait passer à côté de réalités territoriales extrêmement variées.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Les entreprises de spectacle que vous avez évoquées posent deux problèmes...
Est-il logique que celles-ci, qui veulent développer un modèle économique, ne soient pas propriétaires des infrastructures ?
Par ailleurs, ne faut-il pas faire une distinction entre certaines disciplines, entre le sport masculin et le sport féminin ?
N'est-il pas de la responsabilité des pouvoirs publics d'être présents là où les disciplines en ont besoin, et un peu moins là où elles peuvent, à terme, au travers de certaines infrastructures sportives, développer une économie propre ?
M. Sébastien Sémeril. - Ce sont là des questions compliquées.
La notion de propriété d'infrastructure perturbe beaucoup nos discussions. Les clubs professionnels, notamment de football, sans doute les plus avancés dans leur modèle économique, nous le disent. La difficulté, dans une logique de pérennité de l'entreprise, réside dans l'immobilisation, qui fait défaut au plan comptable. La seule valorisation par le biais des joueurs pose vraiment question.
On peut invoquer aussi l'histoire du modèle sportif, et la place des collectivités locales. Nous sommes, la plupart du temps, propriétaires de nos infrastructures, et l'attachement de la population à celles-ci est puissant. Je ne suis pas sûr que le vélodrome de Marseille soit vendable, mais c'est une question qu'il est sans doute utile de poser, avec toutes les difficultés que cela comporte en termes patrimoniaux et en termes d'attachement au territoire, à travers un stade où l'on est allé enfant.
Il faut pouvoir dépassionner le débat. Le même débat a eu lieu lorsqu'on a abordé la question de l'appellation. On a vu les mêmes problématiques : les professionnels étaient dans une logique pragmatique, considérant qu'il s'agissait d'un mode de ressources intéressant pour le club ; ceux qui étaient attachés à l'histoire du site et de la ville y étaient radicalement opposés. Je ne suis toutefois pas sûr que ces derniers soient favorables à une augmentation de deux points de l'impôt local afin de financer la modernisation du stade. C'est là l'ambivalence française !
Un texte de loi peut-il trancher ces questions ? Je ne suis pas sûr que l'on puisse uniformiser un mode de gestion unique à l'échelle nationale. On peut peut-être imaginer une approche différente entre les équipements existants et les équipements à venir. C'est une manière de répondre à la question. On peut aussi s'interroger sur le modèle économique que constituent les partenariats public-privé (PPP), outil juridique très utilisé pour construire de grands équipements sportifs comme les Arénas, face à un risque qui ne porte que sur la collectivité, et non pour moitié sur l'opérateur privé. On voit comment la collectivité du Mans se retrouve aujourd'hui en difficulté avec son stade...
Vous posez par ailleurs la question du caractère pluriel du sport professionnel. Les budgets sont fonction de l'attrait médiatique des disciplines. Si les clubs professionnels sont aujourd'hui principalement accompagnés par les collectivités locales, le sport féminin l'est encore plus, et nous ne voyons pas, sur nos territoires, quels qu'ils soient, d'évolution en ce domaine.
En revanche, les réflexions portées par quelques fédérations sur l'obligation faite à certains clubs d'avoir une équipe féminine me semblent intéressantes à creuser. Ne pas dissocier le sport féminin du sport masculin est donc essentiel.
Mme Michelle Demessine. - Les débats qui tournent autour du sport généreront toujours des réactions démesurées. Je pense qu'il nous appartient de nourrir le débat, afin de montrer la réalité des choses, et leur donner du sens.
Vous avez affirmé que certaines régions avaient été exclues de l'Euro 2016 : c'est une volonté politique de leur part, les plus riches étant bien sûr mieux à même de répondre que d'autres, j'en conviens ! Une candidature est celle d'un pays, non d'une ville ou d'une région. C'est au moment où cette candidature est posée qu'il faudrait que les choses soient plus formalisées. Or, lorsqu'un pays est candidat, il est prêt à lâcher sur certains points. C'est ce qui est arrivé pour l'Euro 2016, avec un contrat national où tout n'était pas précisé.
Il est cependant possible de résister de l'intérieur. Je fais partie du Comité des villes : on peut discuter avec l'UEFA, qui se rend bien compte que les conditions sont aujourd'hui plus difficiles, et qui réfléchit, face aux difficultés, à des matchs qui se dérouleraient dans plusieurs pays. Ils commencent à intégrer le fait qu'ils ont été très exigeants par rapport aux possibilités des collectivités. Ils l'ont d'ailleurs bien compris avec l'Ukraine et la Pologne.
Il est difficile d'être normatif. Combien de grands équipements posent problème en France, et pourquoi ? Nous sommes en effet quelque peu sous-équipés. Comment faire pour répondre à ces deux questions ? Vouloir définir des normes risque d'entraver certaines dynamiques locales. Or, on ne peut exiger la même référence de tout le monde.
La meilleure des digues, c'est celle que constituent des élus responsables et raisonnables. Il faut aussi un véritable projet. Pendant longtemps, on rêvait d'un équipement sportif avant de réfléchir à un projet.
Par ailleurs, il ne faut pas nous laisser entraîner par les architectes. Il existe des équipements sportifs peu chers, et très convenables.
Vous avez raison sur le fait que les agglomérations et les régions sont les deux partenaires principaux, ainsi que les grandes villes d'ailleurs -mais celles-ci se tournent de plus en plus vers leur agglomération. Le mouvement est en train de se faire.
Pour avoir une politique sportive professionnelle et viser de grands équipements, il faut être doté, à l'intérieur de la collectivité, de services d'ingénierie sportive adaptés. Souvent, il n'y en a pas assez dans nos structures. C'est un des moyens qui permet d'éviter de se tromper !
M. Michel Savin, président. - Si j'ai bien compris, le coût de l'équipement mis à la disposition du club de Rennes correspondrait au montant que reversent la ou les collectivités au club. Ceci ne concerne-t-il que la structure professionnelle ?
Disposez-vous en second lieu d'autres exemples que le football -sport de salle, handball, basket-ball, volley-ball, hockey ?
M. Sébastien Sémeril. - Nous sommes en effet dans des logiques de prestations et non de subventions. Cela s'explique aussi par les compétences attribuées aux communautés d'agglomération.
Vous le savez, la gestion des équipements sportifs ne permet guère aux intercommunalités d'exprimer une politique sportive, contrairement à la compétence générale que peuvent avoir les communes. Les prestations des services de communication permettent donc de répondre à des besoins, mais aussi de rendre les choses lisibles, transparentes et opposables.
Le stade rennais, comme l'ensemble des collectivités concernées par un club professionnel, perçoit une redevance d'occupation. On vit là un grand paradoxe, le juge administratif n'ayant de cesse de rappeler aux collectivités locales que les redevances d'occupation du domaine public -petit manège sur la place principale de la ville, etc.- doivent se faire en fonction de la loi du marché, ce qui vaut aux territoires d'être très souvent retoqués.
A côté de cela, les redevances de certains clubs professionnels sont fonction des territoires. Cela peut aller d'une somme raisonnable et adaptée à l'exonération totale. Ceci explique pourquoi un certain nombre d'élus se sont élevés contre la fin de l'exonération totale de la taxe sur les spectacles, craignant en retour des difficultés en matière de dotation.
Il y a là un souci. Je suis d'accord sur le fait qu'on ne doive pas systématiquement rechercher l'uniformité, mais il existe un principe d'égalité et d'équité de traitement. Une fois cette redevance arrêtée, il est normal que la collectivité propriétaire puisse en tirer un loyer.
La particularité de notre territoire fait que ce montant nous permet d'établir une base de travail et de discussions, dans une logique de prestations avec le club. La convention d'occupation de la route de Lorient et du Centre d'entraînement représente un million d'euros par an ; en contrepartie, nous achetons pour un million d'euros de prestations.
C'est une écriture comptable qui permet de rendre les choses transparentes et de ne pas être dépendants. Il s'agit d'une relation intelligente : on peut se dire les choses et les rendre surtout opposables. Chaque Rennais peut observer ce qui se passe ; on n'est plus dans l'abstraction, et cela permet de connaître le niveau des relations financières entre la collectivité et le club professionnel.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Le stade peut organiser des spectacles...
M. Sébastien Sémeril. - Oui, mais les contraintes du championnat sont telles que la chose est difficile. En revanche, le stade a une activité accessoire d'accueil de congrès, qui peut lui assure 10 % de recettes supplémentaires chaque année.
Quant aux autres clubs, nous appliquons la même modalité juridique -prestations de communication, achat de places, etc. Ceci permet à la population de découvrir différentes disciplines. Nous n'accordons pas de subventions, considérant que celles-ci sont réservées au sport amateur. On est alors dans une logique de conventions d'objectifs, en lien avec le domaine socio-sportif. On demande aux associations de promouvoir certaines disciplines féminines dans des quartiers populaires, dans le cadre du vivre ensemble. Ceci permet une plus grande lisibilité, et évite que l'on nous reproche une éventuelle opacité dans ces relations.
M. Michel Savin, président. - Parlez-vous des villes ou des agglomérations ?
M. Sébastien Sémeril. - Des deux.
M. Michel Savin, président. - N'existe-t-il pas des doublons ?
M. Sébastien Sémeril. - Aujourd'hui, les relations avec le stade rennais relèvent de la puissance communale. L'agglomération est avec les clubs professionnels qui émergent, et a pris le relais de la ville de Rennes.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - La ville d'Arras, dont je suis conseiller municipal, ne connaît pas le problème du football professionnel. Nous avons néanmoins un club féminin de football de haut niveau, et un club de basket-ball féminin professionnel. Ville comme agglomération interviennent en prêtant l'équipement, sans demander de redevance. Nous apportons des prestations, ainsi que des subventions, une association étant adossée à la société anonyme à objet sportif (SAOS). Nous imposons nos exigences en matière de formation des jeunes, etc.
L'AdCF a-t-elle réalisé une analyse des pratiques dans ce domaine ? Il existe en effet une disparité assez importante en la matière, et l'on est parfois rattrapé pas des contrôles de légalité, alors que ce n'est pas le cas de tout le monde ! Il serait important d'avoir une vision qui nous permette d'avancer en toute sécurité.
M. Michel Savin, président. - Certaines collectivités peuvent aller très loin, et inciter des clubs à faire pression sur les élus locaux.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - C'est ce qui s'est passé dans le basket-ball féminin !
M. Alain Dufaut. - Nous sommes aujourd'hui au coeur des réflexions qui doivent alimenter notre mission commune d'information. Il nous appartiendra, dans nos conclusions, d'indiquer quelques pistes afin d'améliorer les choses.
J'ai été adjoint au sport d'une ville de 90 000 habitants ; je connais donc bien la problématique. Il est évident qu'il faut désormais se diriger vers des solutions où le sport amateur relève de la commune -je parle des investissements. Pour tout ce qui est professionnel et qui sert un grand bassin de vie, il faut impérativement que ce soient les agglomérations.
Vous avez annoncé 63 % d'agglomérations : il en reste environ 40 % à convaincre ! Il existe des blocages : les communes périphériques continuent à bénéficier des avantages sportifs de la ville centre, mais les maires ne veulent surtout pas mettre le doigt dans cet engrenage. Etant élu d'Avignon, j'ai la double problématique de la culture et du sport.
Toute la difficulté est de se rapprocher de l'agglomération. Le système que vous nous avez exposé est idyllique, mais il n'est pas toujours réalisable. On est en permanence confronté à des demandes de subventions d'équilibre et au yo-yo sportif des clubs. Il faut donc réajuster les crédits. Ce n'est pas évident, mais nous sommes ici pour proposer des solutions !
M. Sébastien Sémeril. - Je suis bien conscient des difficultés. C'est un modèle qui n'est pas transposable, dont la genèse remonte à un accord entre M. Edmond Hervé, à l'époque sénateur-maire de Rennes, et M. François Pinault. Quinze ans après, cet accord demeure.
Du fait de la diversité des modèles, nous souffrons aujourd'hui de l'absence de visibilité globale. La première subvention des collectivités locales est en effet la mise à disposition d'équipements sportifs aux normes, mais on oublie trop vite la mise à disposition de personnel, la gestion des équipements, la gratuité de la redevance, l'exonération totale ou partielle de la taxe sur les spectacles, etc.
Je pense qu'il nous manque un encadrement juridique permettant de dresser un tableau complet, transparent et global de l'accompagnement sportif de chaque club, afin de pouvoir véritablement les comparer. En effet, les écarts peuvent très bien s'expliquer, la subvention pouvant varier d'un à deux, surtout lorsque l'entraîneur est salarié de l'intercommunalité, que trois joueurs sont fonctionnaires de telle ou telle commune, etc. La valorisation fait donc défaut.
Je ne dis pas qu'il faut supprimer le modèle de subventions, et se diriger vers un schéma de prestations. Je suis plutôt favorable au modèle de subventions -qui, je le pense, demeurera pour le sport féminin. En revanche, je pense qu'il faut appliquer la même transparence aux subventions et aux prestations.
Je voudrais enfin répondre à Mme Demessine à propos de la question de l'Euro 2016. C'est un débat qu'il faut dépassionner. Je suis d'accord avec vous pour reconnaître que c'est négociable, mais après que le choix ait été fait. Or, compte tenu de l'application à la lettre de ces normes, on a fait le choix, dans une fédération qui a une délégation de service public (DSP), de rayer certains territoires.
Vous l'avez dit, l'UEFA se rend compte de la difficulté -je passe les détails des mouvements sociaux qu'on a pu constater au Brésil il y a deux mois. Elle estime que la solution consiste à travailler avec plusieurs pays. Je vous alerte sur cette situation : seules trois ou quatre grandes métropoles pourront recevoir de grandes manifestations sportives, et le reste deviendra un désert national. C'est la conséquence de ce choix, alors qu'on aurait pu adapter les normes, grâce à des critères objectifs de strates de populations ! Comment expliquer qu'on a le même niveau d'exigence à Paris et à Morlaix ? Comment expliquer que nous ne tenions pas compte de l'aire de vie, de la strate démographique des villes hôtes, pour classifier et catégoriser l'exigence du cahier des charges ?
Une ville qui veut accueillir une finale de l'Euro doit répondre à certaines nécessités, mais l'on devrait, dans une logique d'animation du territoire, adopter une vision politique, et non une vision qui empêche une large frange de la population, dont nos jeunes, passionnés par leur discipline, d'assister à des matchs internationaux dans leur stade de prédilection. Je le regrette en tant qu'élu !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Cela dépend du sport. Vous faites uniquement référence au football. Notre collègue Dominique Bailly a accueilli, à Orchies, petite ville du Nord, la finale de l'Euro de basket-ball !
M. Christophe Bernard. - On n'a pas de remontées d'analyses pour toutes les communautés d'agglomération, notamment les 65 % qui sont engagées en matière d'équipements sportifs. Le fondement même de l'intercommunalité est souvent une intercommunalité équipementière. A 80 %, les communautés ont été fondées sur les déchets et les piscines.
Il nous faudrait mener, en commun avec l'ANDES, un travail sur ce sujet. Nous serions bien entendu heureux que votre mission commune d'information s'en charge, mais si, d'aventure, ce n'était pas le cas, ce serait pour l'AdCF et l'ANDES un sujet intéressant.
Enfin, certains équipements sportifs lourds, en limite du champ sportif professionnel, commencent effectivement à poser quelques problèmes à certaines fédérations : dojos, salles de hockey sur glace, patinoires, ou piscines, partagées entre une pratique de loisirs et une pratique sportive.
Nombre de centres aqua-récréatifs ne correspondent pas vraiment à la mise en valeur de bassins olympiques et suscitent des interrogations de la part des fédérations. Il faut en discuter, car il en va du positionnement de fédérations sportives qui, comme dans le domaine de la natation, ont fait oeuvre de résultats intéressant ces derniers temps. Il faut donc les encourager. D'autres disciplines méritent également d'être approchées. Il ne faut pas les occulter au prétexte que d'autres champs subissent des pressions médiatiques parfois opportunes.
Audition de M. Jacques Thouroude, président de l'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES)
M. Michel Savin, président. - Nous recevons M. Jacques Thouroude, président de l'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES).
Monsieur Thouroude, pouvez-vous nous présenter les actions de l'ANDES, et nous faire part de vos remarques à propos de notre mission commune d'information, dont le but est de réfléchir aux relations entre le monde du sport professionnel et les collectivités locales ?
M. Jacques Thouroude, président de l'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES). - L'ANDES est une association d'élus en charge des sports. On y retrouve des maires, des sénateurs, des députés, des conseillers régionaux, et des conseillers généraux. Cet ensemble d'élus a une problématique à gérer, celle des sports. C'est avant tout un échange d'expériences et de bonnes pratiques. C'est ce qui nous relie les uns et les autres, au-delà de nos convictions personnelles. Notre but est de servir le sport sur nos territoires.
Cette association est née en 1994. J'en suis le président fondateur. Elle regroupe aujourd'hui plus de 3 500 villes, et est assez réactive, notamment grâce à Internet. C'est une structure qui compte sept collaborateurs, très proche de l'Association des maires de France (AMF). Nous travaillons également avec l'Association des départements de France (ADF) et l'Association des régions de France (ARF), voire avec les communautés.
Le sport évolue. Cette association a vu le jour en même temps que le rugby professionnel. Je suis issu de la terre d'ovalie -Castres, champion de France, territoire qui, comme Biarritz, Bayonne, Albi ou d'autres régions du Sud-Ouest de la France, ne sont pas de grandes métropoles. On a néanmoins des équipes professionnelles. Allait-on se faire manger comme au football ? Si les budgets avaient été du même ordre que ceux du ballon rond, nos collectivités n'auraient pu suivre...
Nous avons très vite constitué une commission sur le sport, la ruralité, et les zones de montagne -la commission des grandes villes et du sport professionnel- et avons produit un rapport permettant de fournir des pistes au ministère et au Conseil national du sport (CNDS), dans lequel nous siégions également. Ceci nous a permis d'avoir une vision générale de ce qui se faisait en termes de pratiques sportives.
Les ligues et les collectivités se sont très vite retrouvées en opposition, certains élus ne voulant pas toujours payer. Je me souviens des réunions que nous avons eues lorsque la ligue professionnelle de football a dit, au mois de mai-juin, qu'il fallait passer de la ligue 2 à la ligue 1, et ajouter 12 000 places supplémentaires à notre stade : il fallait faire les appels d'offres en trois mois, ce qui était impossible !
Frédéric Thiriez a finalement ramené le nombre de places supplémentaires à 7 000, mais nous voulions que l'on puisse prendre en compte la notion de bassin de vie et de bassin d'emploi. Il existe, au football, une jurisprudence qui porte le nom d'Istres. Pendant un an, Istres, qui n'avait pas de stade, a joué à Nîmes, à Montpellier, en attendant que son stade soit terminé, malgré la pression du préfet, qui essayait d'en retarder la création sur le plan administratif, considérant qu'Istres ne pouvait se maintenir. Ce nouveau stade a finalement été réalisé. C'est aujourd'hui un perchoir à mouettes ! C'est dramatique, s'agissant d'argent public !
Nous avons donc estimé qu'il ne fallait plus recommencer. Il faut aussi que les ligues aient la notion de l'argent public et étudient l'évolution des clubs sur trois ans, s'agissant de ligues ouvertes.
Nous sommes par ailleurs dans une privatisation des recettes et une socialisation des dépenses. Lorsqu'on est en déficit, il n'existe qu'un interlocuteur, le maire ! Bien évidemment, la presse et les medias exercent une pression considérable sur les élus, ce qui est inacceptable.
Mme Michelle Demessine. - Surtout dans le football !
M. Jacques Thouroude. - C'est pareil au rugby ! Il faut faire une différence entre les sports en salle et les sports de stade. Il ne faut pas mettre tous les oeufs dans le même panier.
Dans les sports en salle, c'est le maire qui devrait être président de la structure, compte tenu de l'apport financier qu'il amène. Au volley-ball ou au handball, on va de 70 à 80 % de participation des collectivités territoriales. On est donc majoritaire, rien que sur le plan financier.
Dans les sports de stade, c'est la télévision qui gouverne et fixe les horaires de retransmission, de matchs, non les ligues, qui sont issues d'une évolution de la délégation de service public (DSP) entre l'État et les fédérations. Or, on a laissé faire. Les ligues se sont créées un statut et ont créé une jurisprudence. Les élus n'ont jamais légiféré, mis à part avec la loi Voynet ou la loi Pasqua, qui a limité le montant des prestations et des subventions. On ne leur a donc pas demandé de nous rendre compte. On ne connaît pas la teneur des financements croisés. Dans leurs délibérations, les conseils municipaux doivent obligatoirement fournir les financements en annexe. Aucun ne le fait, sauf un ou deux. Il faut reconnaître que nous sommes submergés d'autres démarches administratives.
L'autre élément à prendre en compte est la culture du territoire et son histoire. On ne peut y échapper. Ce concept doit selon nous être basé sur la concertation, l'équité, et la transparence. Ces trois principes sont fondamentaux. La concertation doit se faire partout, mais il faut aussi une certaine équité. Nous sommes d'accord avec Sébastien Sémeril, avec qui nous avons beaucoup de réunions, pour considérer qu'on est là sur des territoires plus larges que ceux de la commune, s'agissant du sport professionnel. Je ne parlerai pas de métropole, car il n'y en a pas partout, mais d'intercommunalité, de bassin de de vie, de bassin d'emploi. On agrandit aussi l'assiette en termes de participation et de solidarité.
Nous considérons que la solidarité nationale doit s'exercer vis-à-vis des grandes infrastructures, et qu'il doit exister un aménagement du territoire équilibré.
Ceci suppose que les fédérations ne décident pas seules, comme on l'a vu pour l'Euro 2016, sans consulter les communes, ni avoir préalablement fait le point sur la notion de cahier des charges. Ce travail doit être réalisé en amont. Quand une fédération veut organiser de grandes manifestations sur nos territoires, la concertation doit s'établir entre l'État et la fédération, au titre de la DSP.
M. Michel Savin, président. - La parole est au rapporteur.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Le sport professionnel dépasse aujourd'hui le cadre de la commune et de la ville.
Vous avez utilisé l'exemple du rugby. On peut se poser la question de savoir s'il ne faudra pas, demain, passer à une assiette territoriale plus large, comme chez les Anglo-saxons pour les clubs de province. On s'est parfois demandé si un club professionnel ne pourrait, demain, porter non plus le nom d'une ville, mais celui d'un département ou d'une région, voire d'une intercommunalité ou d'une communauté urbaine, qui en supportent l'infrastructure professionnelle. Les départements et les régions peuvent participer à ce débat.
Quel est votre avis sur ce point ?
M. Jacques Thouroude. - Concernant l'intercommunalité, la notion d'assise dépasse selon moi largement les limites de la commune. Pour un maire, il est gratifiant d'avoir un club champion de France qui réside dans sa commune. Un club professionnel constitue une animation dans nos territoires. Nous en avons besoin ! Or, ce besoin engendre une pression considérable.
Un maire de ma connaissance, également président de l'agglomération, a accepté, après cinq ans, d'agrandir son stade, et d'y installer des loges. La commune n'ayant plus les moyens d'emprunter, il a considéré que c'était à l'intercommunalité d'agir. Il faut toutefois que les choses se fassent dans la concertation. Selon moi, l'intercommunalité est le territoire qui me paraît le plus approprié pour cela.
Le président de mon club, ancien président de la ligue professionnelle de rugby, qui siégeait avec moi à la collectivité, était favorable à la création de provinces au sein du rugby professionnel. Il s'est toutefois heurté à l'association des présidents de clubs professionnels, qui constituent la ligue.
On est face à des personnes qui sont d'accord pour prendre un certain nombre de décisions et envoyer la facture à la commune ! Frédéric Thiriez avait obligé les clubs de football à se doter de bâches pour protéger les terrains, afin que les matchs télévisés puissent se dérouler à l'heure dite, sous peine de pénalités financières. Les clubs se sont alors tournés vers les maires pour qu'ils procèdent à cet achat. J'ai fait remarquer à Frédéric Thiriez qu'il avait redistribué 630 millions de droits télévisés aux clubs, qui s'en étaient servis pour acheter des joueurs et qu'il aurait pu utiliser cet argent pour acheter des bâches ! Ce n'est pas convenable. En outre, ce sont les employés municipaux qui lest installent !
Nous étions quant à nous favorables au fait que les droits télévisés puissent être utilisés dans le cadre de l'amélioration des installations. Or, en dehors du bail emphytéotique administratif (BEA), rien ne le permet.
En second lieu, il faudrait établir un partenariat privé-public et non un partenariat public-privé (PPP), de manière à inverser les responsabilités. Notre pays est très peu investi dans le sport. Il existe quelques mécènes, mais il nous faut une autre harmonisation et trouver les moyens juridiques pour sécuriser l'investissement privé. Je rappelle que les dotations aux collectivités vont se réduire. Il est normal que nous participions tous à l'effort de redressement collectif, mais pensez-vous que les clubs professionnels soient concernés ? Je parle ici des stades, les sports en salle n'ayant pas atteint la même maturité, faute de droits télévisés. Nous devons donc les accompagner.
Nous avons également réfléchi à une grille tarifaire permettant à chaque collectivité d'indiquer ses niveaux des prestations, de manière à pouvoir la calibrer de la même façon pour tout le monde.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Les rapports entre les instances sportives et les collectivités sont en notre défaveur. Ceci pose le problème de la représentation des élus dans les instances qui organisent le sport professionnel en France.
L'ANDES mène-t-elle une réflexion à ce sujet ? Quels moyens préconisez-vous pour remédier au déséquilibre entre les deux partenaires ?
M. Jacques Thouroude. - Nous siégeons à la Commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (CERFRES). Nous sommes très attentifs à ce que nous proposent les fédérations, tout autant que la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), présidée par MM. Lambert et Boulard.
Aucun contrôle n'existe pour les ligues professionnelles. Elles peuvent édicter un certain nombre de règlements. On dit qu'elles dépendent des fédérations, mais il n'y a aucun équilibre. Il serait important de soumettre les ligues à un contrôle. Il faut que chacun garde son indépendance. Si l'on travaille avec eux, on risque d'avoir le même discours. À chacun son métier et ses responsabilités.
Nous échangeons avec les fédérations lorsqu'elles proposent leur règlement. Cela a été le cas pour les patinoires. Nous avons eu une discussion ferme et avons retoqué leur présentation. Ils ont revu leur dossier.
La fédération de badminton nous avait présenté une chaise d'arbitre, alors qu'il existait déjà une chaise pour le tennis et pour le volley-ball. Nous leur avons demandé s'ils s'étaient concertés pour trouver une chaise modulable. Tel n'était pas le cas... Une telle décision n'est pas souhaitable !
Il faut que le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) travaille pour les fédérations et que l'Association nationale des ligues du sport professionnel (ANLSP) puisse être un élément modérateur. On ne doit pas nous demander toujours plus, mais nous demander mieux !
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Les collectivités perdent parfois et se font imposer de nouveaux règlements, de nouveaux tracés, etc. par les ligues, puis par les fédérations.
Que peut-on préconiser en la matière pour éviter d'aller au-delà de ce que l'on peut faire ?
M. Jacques Thouroude. - Quand les communes se regroupent, elles peuvent faire entendre leur voix. L'ANDES peut plus facilement intervenir auprès de telle ou telle fédération ou ligue professionnelle. J'ai rappelé ce matin à la fédération française de football (FFF) et aux ligues que nous risquions de saisir la justice pour nous départager. Or, le verdict peut déplaire aux uns comme aux autres.
Les ligues professionnelles doivent comprendre qu'il leur faut travailler avec les collectivités. On doit les encadrer juridiquement, au même titre que les fédérations, au travers de la CERFRES ou d'un autre filtre.
M. Alain Néri. - L'action que vous menez est intéressante. En effet, si les collectivités sont en ordre dispersé face à des ligues omniprésentes, celles-ci n'y arriveront pas, d'autant que les ligues disposent de moyens de communication puissants à travers les medias. Il faudra bien, un jour ou l'autre, clarifier les relations. Ce sont de plus en plus les ligues qui commandent, alors que ce sont les fédérations qui ont des DSP. Or, ce sont ces dernières qui sont chargées de l'organisation du sport en France, en liaison avec le ministère ! Certains peuvent le regretter, mais c'est ainsi.
On ne peut pas être constamment pris en otage par les ligues, en particulier à propos des normes. Certaines communes, qui ont réhabilité leur salle de basket-ball, sont dans l'obligation d'enlever le tapis deux ans après ! Ce n'est pas très sérieux. Il n'est qu'à considérer, pour s'en convaincre, la situation terrible que connaissent aujourd'hui les collectivités du Mans ou de Strasbourg.
Il ne faut pas non plus tomber dans le piège des ligues ouvertes, ni dans ce que connaissent les États-Unis avec l'Association nationale de basket-ball américaine (NBA), ou le hockey, où l'on joue ensemble à condition d'avoir l'argent suffisant pour cela. C'est là un vrai sujet de réflexion. Les équipements sportifs ne doivent pas devenir un prétexte au chantage ! Nous sommes attachés à une certaine éthique du sport ; pour cela il faut que nous soyons rassemblés et unis.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - C'est la même chose dans les sports féminins de haut niveau : on demande de changer le parquet, de mettre les salles aux normes européennes...
Dès qu'on discute un match d'Eurocoupe, on change de dimensions. On vous impose les panneaux d'affichage, les panneaux de basket-ball, sans parler du parquet, où il faut pouvoir faire jouer d'autres compétitions. Tout cela est une exigence européenne. Avez-vous des collaborations ou des correspondances à cette échelle ?
J'ai parfois le sentiment que les équipementiers ne sont pas toujours désintéressés, qu'il s'agisse d'affichage ou de paniers de basket-ball ! Il faudrait peut-être les faire « cracher au bassinet ». Il est vrai que c'est difficile, car ceux-ci deviennent également sponsors du club et de la Fédération !
M. Jacques Thouroude. - L'ensemble des partenaires financiers figurent sur le papier à en-tête de certaines fédérations dans la colonne de gauche !
Il y a vingt ans, un président de club de gymnastique m'a demandé de changer toutes les tables de saut, les anciennes n'étant plus homologuées. Le coût de chaque table s'élevait à 2 500 euros, multiplié par l'ensemble des communes J'ai compris lorsque je me suis aperçu que le fabricant était partenaire de la fédération !
Il y a un an, notre association a rencontré Pedro Velazquez, chef adjoint de l'Unité sports de la Commission européenne, qui est en charge, depuis le traité de Lisbonne, du sport pour tous. Il a été très intéressé par notre façon de travailler, et a voulu savoir si ce phénomène existait dans toute l'Europe. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Nous sommes en train de travailler sur les pays frontaliers -Belgique, Allemagne, Italie Espagne, Portugal. J'ai dit depuis longtemps aux différents ministres que j'ai pu rencontrer qu'il nous fallait une Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) européenne. La France est le seul pays à en avoir une. Nous nous contrôlons nous-même, mais les autres font ce qu'ils veulent, avec des déficits d'organismes sociaux abyssal, comme en Italie, par exemple. Ce n'est pas convenable.
Je parlais d'équité. Il faut que les organes européens prennent en compte cette notion. On ne peut continuer à pratiquer le sport de haut niveau dans ces conditions, qu'il soit professionnel ou amateur.
M. Michel Savin, président. - Lors de nos précédentes auditions, il a été évoqué la possibilité de rattacher des centres de formation aux régions. Quel est votre avis sur ce point ?
En second lieu, faut-il à vos yeux instituer une sorte de déclaration annuelle permettant de retracer tous les financements publics dont bénéficient les clubs professionnels.
M. Jacques Thouroude. - Oui. Nous souhaitons une refonte de la circulaire de 2002 sur la notion de redevance, de manière à avoir une grille identique pour tout le monde.
Quant aux centres de formation, ce sont les régions qui les financent. Je ne trouve donc pas choquant qu'ils relèvent de leurs compétences. Il faut que l'on aille vers une clarification. On ne peut continuer ainsi. Les moyens dont nous disposons nous amènent à faire un certain nombre de choix. Il faut se poser la question de savoir si ces centres ne doivent pas être pris en charge par les régions...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Il y a centre de formation et centre de formation. Il y a ceux qui sont attachés aux clubs et ceux qui dépendent des fédérations, parmi lesquels les pôles espoirs. C'est différent...
M. Jacques Thouroude. - Je parle des clubs... Les régions interviennent déjà et les collectivités les aident aussi. Cela fait partie du cahier des charges qu'établissent les ligues.
Dans les stades, on voit bien que le classement touche plus l'infrastructure, dont le club n'est pas propriétaire, que le sport ! Il faut rappeler ici l'avis du Conseil d'État de novembre 2003, qui précise trois principes fondamentaux : la sécurité relève du domaine régalien de l'État, la règle du jeu des fédérations, la capacité d'accueil du stade des collectivités, aucune recommandation d'ordre commercial ou télévisuel n'entrant dans les obligations.
M. Michel Savin, président. - Avez-vous des recommandations ou des propositions à émettre auprès de notre mission commune d'information ?
M. Jacques Thouroude. - J'ai déjà évoqué la circulaire de 2002 sur les redevances, ainsi qu'une autorité indépendante de régulation qui s'adresse aux ligues et aux fédérations. Il ne faut pas qu'il s'agisse d'une composante issue de leurs structures.
Je crois aussi qu'il faut que les ligues soient soumises au même contrôle et à l'autorité du ministère, tout comme les fédérations. Les ligues ne peuvent échapper à l'autorité de l'État. Elles respectent les contraintes de sécurité qu'on leur impose, mais il faut que l'État puisse avoir son mot à dire sur telle ou telle pratique. Ce serait novateur, dans la mesure où cela viendrait compléter le tableau entre les fédérations et les ligues.
Mme Michelle Demessine. - Cela nous ramène à l'Europe !
M. Jacques Thouroude. - Bien évidemment. On a un important travail à faire sur le plan européen. Je ne sais toutefois pas si on le verra, tellement les choses sont longues à se mettre en oeuvre !
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - L'infrastructure doit-elle, selon l'ANDES, être la propriété des clubs pour certaines disciplines, en fonction du niveau de professionnalisme ?
Enfin, l'ANDES préconise-t-elle un mode de mise en oeuvre des infrastructures ?
M. Jacques Thouroude. - Il convient de rappeler que les collectivités s'administrent librement. Nous n'avons pas de leçons à donner. Aujourd'hui, les clubs sont désireux d'être propriétaires de leurs propres installations.
D'autres expériences utilisent les BEA, comme à Biarritz, Oyonnax ou Grenoble. Les choses commencent à prendre corps, pour faire en sorte que le privé puisse s'investir au sein de cette réalisation, dans le cadre d'une convention avec la collectivité. Nous préconisons cependant le BEA pour que les clubs puissent utiliser une partie des droits de télévision, afin de réinvestir dans des domaines autres que la masse salariale ou les frais de déplacement.
Il faut peut-être faire travailler les juristes pour faire entrer le privé plus facilement et, dans le cadre du partenariat privé-public, faire en sorte que la collectivité puisse travailler sur les infrastructures extérieures à l'équipement en tant que modèle économique, analysé à partir d'un business plan.
Vous m'avez posé la question de savoir s'il ne fallait recueillir un avis de la direction des collectivités locales, dans le cadre d'un débat sur la création d'un équipement. Il existe dans le cadre des budgets primitifs, mais il faut apporter aux collectivités une analyse extérieure, sans qu'il s'agisse de celle de la Cour des comptes ou des chambres régionales.
On a besoin d'être soudés. Je suis conseiller régional, et j'en mesure toute la difficulté. Je rappelle que des programmes de campagne vont bientôt sortir. Si, demain un club professionnel réclame tel ou tel équipement, tout le budget prévu dans le plan d'investissement à cinq ans peut y passer, empêchant, dès lors, de remplir les engagements pris vis-à-vis de la population.
Si, au contraire, on fait corps, le rapport de force sera différent, et on amorcera la discussion, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. J'ai parlé de concertation, d'équité et de transparence !