- Jeudi 31 octobre 2013
- Audition de MM. Michel-Pierre Prat,
conseiller-maître
à la Cour des comptes et Alain Serre, conseiller à la Chambre régionale
des comptes de Languedoc-Roussillon - Audition de Mme Claudie Sagnac, adjointe au
directeur des sports
du ministère de la jeunesse et des sports - Audition de M. Stanislas Bourron,
sous-directeur des compétences
et des institutions locales à la Direction générale des collectivités locales
du ministère de l'intérieur
- Audition de MM. Michel-Pierre Prat,
conseiller-maître
Jeudi 31 octobre 2013
- Présidence de M. Michel Savin, président -Audition de MM. Michel-Pierre Prat,
conseiller-maître
à la Cour des comptes et Alain Serre,
conseiller à la Chambre régionale
des comptes de
Languedoc-Roussillon
M. Michel Savin, président. - Nous accueillons MM. Michel-Pierre Prat, conseiller-maître à la Cour des comptes et Alain Serre, conseiller à la Chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon, auteurs du rapport public thématique sur les collectivités territoriales et les clubs sportifs professionnels, en lien avec l'objet de notre mission commune d'information. Quels ont été le résultat de votre rapport et ses suites éventuelles ?
M. Michel-Pierre Prat, conseiller-maître à la Cour des comptes. - Notre rapport de 2009 concernait d'abord le suivi financier du soutien des collectivités territoriales aux clubs professionnels. Les montants et les modalités dépendent de la taille de la collectivité, de l'importance des clubs, de la discipline sportive, le football bénéficiant généralement de bien plus de moyens que le volley-ball ou le handball. Le rapport de forces est défavorable aux collectivités, qui doivent faire face à des demandes d'aide urgente ou de mise aux normes des installations. Nous avons recommandé de mettre en place des outils de chiffrage.
Nous nous sommes intéressés aux relations partenariales entre les collectivités et les clubs ; nous avons recommandé de conditionner l'aide à des contreparties en termes de missions d'intérêt général : formation, lutte contre la violence dans les stades ou initiatives d'intégration. Nous avons constaté une grande confusion entre les clubs professionnels - régis par les ligues - et les associations sportives supports, qui dépendent des fédérations, lesquelles sont titulaires d'une délégation de service public. Il est important de bien distinguer ces deux correspondants des collectivités. Nous ne sommes pas partisans d'une forte modification des plafonds, bien identifiés comme celui de 2,3 millions d'euros pour les concours financier.
Nous n'avons pas procédé à un suivi systématique depuis la publication du rapport en 2009, mais le Sénat a toute faculté de demander au Gouvernement de s'y consacrer. Les contrôles courants fournissent cependant quelques illustrations des conséquences graves qui se manifestent lorsque les relations entre collectivités, clubs et associations sportives ne sont pas équilibrées.
Nous avons recommandé à l'État d'établir un bilan des relations entre associations et collectivités, ce qui à notre connaissance n'a pas été fait par les services du ministère. Nous avons abordé la question de la mise à disposition, par les collectivités, des équipements sportifs. Dans notre enquête, nous avons noté une grande différence entre la France et les autres pays européens, où les clubs sont propriétaires de leur stade, ou les États-Unis, où ils sont franchisés pour quatre ou cinq ans, ce qui évite l'aléa sportif : pas de yo-yo d'une division à l'autre. Les systèmes français, où les collectivités sont propriétaires, comporte beaucoup d'anomalies - mises à disposition à titre gratuit ou presque, absence de convention - qui sont autant de sources de conflits et de contentieux. La collectivité est souvent prise au piège des exigences du club résident.
Nous nous sommes enfin penchés sur le remplacement ou la rénovation d'équipements réalisés dans les années soixante à quatre-vingt et devenus obsolètes, ou ne répondant plus aux normes. Dans la dernière période, la production de nouvelles normes s'était ralentie. D'autres ont pris le relais pour imposer de nouvelles contraintes : je songe aux exigences formulées par l'Union des associations européennes de football (UEFA) pour l'organisation de l'Euro 2016. Même lorsqu'un club assure la construction de se équipements, les infrastructures d'accès restent à la charge de la collectivité : à Lyon, elles ont coûté presque aussi cher que le stade lui-même. Nous ne sommes pas favorables à un bouleversement des textes actuels, mais plutôt à un bilan assorti de contrôles. Nous avions également recommandé à l'État de fixer des principes concernant la redevance pour mise à disposition des installations ; d'imposer le respect de règles prudentielles dans le cas où l'État est sollicité directement ; et même de prévoir dans certains cas des autorisations par le préfet, après audit de la situation financière et juridique.
Nous préconisions seulement deux mesures nouvelles. D'abord, le respect de la règle des quatre C : signer une convention systématiquement, exiger une présentation correcte des comptes, communiquer dans une véritable transparence et contrôler par soi-même l'utilisation des aides consenties, sans attendre l'intervention ultérieure de de la chambre régionale des comptes. Cette règle doit être combinée avec celle des cinq E : efficacité, efficience, économie, expérimentation - signer d'abord une convention renouvelable d'un an, ensuite seulement une convention pluriannuelle - et évaluation. Il serait enfin souhaitable que toute initiative importante soit précédée d'une délibération de la collectivité sur l'ensemble des enjeux, afin que les citoyens soient correctement informés, ce qui aurait aussi pour vertu d'éviter bien des recours et des retards.
M. Alain Serre, conseiller à la Chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon. - Le suivi du rapport n'a pas pu être fait systématiquement, car nous avions contrôlé plus de cent clubs professionnels ; mais les contrôles effectués par les chambres régionales des comptes depuis lors ont confirmé nos analyses.
Les conventions de subventions d'intérêt général sont trop souvent laconiques. Rien n'est prévu, en général, pour vérifier que les missions d'intérêt général sont correctement assurées. L'Union sportives de arlequins perpignanais (USAP), club de rugby de Perpignan, se bornait, pour retracer l'action de formation, à inclure sans sa brochure une photo d'enfants à l'entraînement - la même photo tous les ans ! À Montpellier, la subvention au titre de la formation reçue par le club de rugby a décuplé l'année où celui-ci a connu des difficultés financières. À Montpellier toujours, mais dans le handball, lorsqu'un grand joueur international est revenu dans son club d'origine, ce retour a été financé par la collectivité.
En Provence-Alpes-Côte d'Azur, la chambre régionale des comptes a recommandé l'augmentation de la redevance d'occupation du stade vélodrome : les travaux de couverture pour l'Euro 2016 ayant occasionné le gel d'un quart des places, la subvention a été divisée par dix. Les travaux dans les onze stades de l'Euro 2016 ont été effectués, pour la plupart, dans le cadre de partenariats public-privé (PPP). C'est un choix dangereux. Au Mans, le club, jadis en ligue 1, est maintenant en CFA 2 et n'utilise plus le stade, pour lequel la collectivité continue de payer... L'aléa sportif prive les collectivités de réelles garanties.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Vous avez parlé de rapport de forces pour décrire la relation tripartite entre collectivité, association sportive et club. Pouvez-vous en dire plus ?
M. Alain Serre. - Le club tire sa puissance de l'opinion publique. La collectivité n'a d'autre choix que de le soutenir, sous l'oeil des médias, et pour des raisons de notoriété. Elle est en situation de faiblesse et ne sait même pas précisément quelle utilisation est faite de ses concours financiers, subventions d'intérêt général ou prestations de services : reprise du logo de la collectivité, achat de places, location de loges. Le bloc communal est le premier contributeur, à 80 % ou plus, mais région et département sont également concernés. Les collectivités ignorent si elles dépassent les plafonds, 2,3 millions d'euros pour les subventions et 1,6 million pour les prestations de services - dont le texte ne précise d'ailleurs même pas s'ils sont à comprendre en hors taxe ou toutes taxes comprises. Notre recommandation était donc que les conventions conditionnent le versement des subventions à la réalisation, effective, vérifiable, d'objectifs d'intérêt général.
M. Michel-Pierre Prat. - Certaines collectivités ont commencé à le faire. S'il y a une modification législative à opérer, c'est bien celle-là. Elle faciliterait les contrôles de la chambre régionale des comptes et rétablirait un réel partenariat.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Ces plafonds doivent-ils être les mêmes pour tous les sports ? Certaines disciplines bénéficient de droits de retransmission audiovisuelle confortables, contrairement à d'autres.
M. Michel-Pierre Prat. - Il est tentant de dire que les grands clubs n'ont pas besoin d'aide. Mais une intervention du législateur dans ce domaine empiéterait sur la libre administration des collectivités territoriales. Les situations sont diverses ; pourquoi interdire la contractualisation avec un grand club, si celui-ci rend un vrai service en retour ? C'est le rôle des élus d'être attentifs. Faisons-leur confiance ! Il semble difficile de faire un tri entre les sports.
M. Michel Savin, président. - Le plafond de 2,3 millions d'euros s'applique-t-il aux seuls clubs ou aussi aux associations ?
M. Alain Serre. - Pour revenir un peu en arrière, le régime des aides devait s'interrompre en 1999. Avant cela, il existait une différence entre le football de ligue 1, de ligue 2, et les clubs de sports de salle. M. Prat et moi divergeons sur ce point : cette proportionnalité me semblait bonne. Les subventions ne représentent que 2 à 4 % du chiffre d'affaires des clubs de ligue 1, contre 70 à 80 % pour les clubs de volley-ball ou de handball.
Le plafond de 2,3 millions ne s'applique qu'aux clubs professionnels, les associations sportives étant soumises au régime général des subventions aux associations, qui ne sont pas soumises à limitation pourvu qu'il y ait un intérêt local. Mais il existe souvent une certaine porosité. À Montpellier, l'association sportive, largement subventionnée, achetait massivement des places au club de rugby. Si le club dépasse certains montants de masse salariale et de recettes payantes, il doit automatiquement devenir une société anonyme sportive professionnelle (SASP). Les relations qu'il entretient avec l'association doivent être régies par une convention, mais celle-ci est parfois mal rédigée.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Ces critères sont-ils pertinents ? Sont-ils toujours bien lisibles sur le terrain ?
M. Alain Serre. - Cette question est derrière nous puisque tous les clubs professionnels se sont transformés en SASP. La distinction entre professionnels et amateurs est désormais claire.
M. Ambroise Dupont. - Les chambres régionales des comptes suivent souvent un thème général pour la France entière lorsqu'elles vérifient les comptes des collectivités : cela a-t-il été le cas pour ce rapport ?
M. Michel-Pierre Prat. - Oui, nous avions retenu un thème général, tout en tenant compte des différences, tailles des communes, disciplines sportives,... Nos recommandations s'appuient sur des études pratiques. Le suivi a été fait par des études ponctuelles, car une étude plus large aurait demandé un engagement fort de toutes les chambres ; mais rien n'empêche le Sénat de demander un nouveau rapport à la Cour. Les contrôles récents montrent que là où nos recommandations ont été appliquées, les relations ont été assainies. Une sécurisation des conventions éviterait bien des catastrophes, y compris sur les garanties - indolores au départ - données par les collectivités. Les contribuables du Mans auront à payer pendant des années encore un stade qui ne sert plus. Je pourrais également citer Beauvais, ou Istres dont le stade est désormais surdimensionné pour un club rétrogradé.
On peut s'interroger sur le projet de la Fédération française de rugby de construire un stade de 80 000 places en Ile-de-France, où existent déjà le stade de France, un stade Jean-Bouin rénové, Charléty, et bientôt Nanterre. La fédération cite en exemple les Anglais, propriétaires de Twickenham, alors que ces derniers le sont depuis le début du XXe siècle et que le modèle économique est très différent du nôtre. Un nouveau stade, pour quelques matchs, avec des coûts d'entretien incompressibles, est-il raisonnable ? Je rappelle que la fédération de rugby est titulaire d'une délégation de service public émanant de l'État.
M. Alain Dufaut. - Vous évoquez le manque de suivi financier. Ancien adjoint au sport dans une ville qui abrite un club de rugby de première division, j'ai vu comment les choses se passent concrètement. Les élus sont conviés une fois par an à l'assemblée générale. Si le club est en déficit, les collectivités sont automatiquement amenées à verser une subvention exceptionnelle. Il faut changer ce système qui engendre la dépendance ; mais ne pas le remplacer par un dispositif de contrôle trop lourd, car les collectivités n'auraient pas le temps matériel de l'appliquer. En outre, les élus ne souhaitent pas donner l'impression qu'ils s'immiscent dans la vie interne du club, au risque de braquer contre eux certains bénévoles.
Autre point : vous n'avez pas évoqué le sujet délicat de la mise à disposition de personnel par des collectivités, qui peinent parfois à vérifier la réalité des temps de travail.
M. Alain Serre. - Une difficulté est aussi que les budgets des collectivités sont présentés en année civile et ceux des clubs en saison sportive. Les délibérations doivent en principe déterminer la saison sportive pour laquelle la subvention est versée, mais ce n'est pas toujours le cas.
Les mises à disposition de personnel sont des subventions en nature, et doivent donc être comptabilisées dans les concours financiers. Vous avez raison de signaler le manque de transparence des clubs à l'égard des collectivités : les rapports des commissaires aux comptes sont souvent peu diserts et si l'on n'a pas accès au rapport spécial, on n'apprend pas grand-chose. Jusqu'au jour où l'on est informé que les fonds propres sont insuffisants et qu'une procédure d'alerte va être déclenchée. Quelle autre solution, alors, que de verser des subventions d'équilibre, qui n'ont pas de réalité juridique ?
M. Michel-Pierre Prat. - Il suffirait de mesures simples, une convention, une obligation de délibération de la collectivité, pour améliorer la situation.
M. Alain Serre. - Actuellement, les problèmes de redevance se règlent devant les juridictions administratives ; la Cour administrative d'appel de Lyon a rendu une série d'arrêts à la suite de recours de contribuables. La jurisprudence nous dit comment procéder pour déterminer le niveau pertinent de redevance : à une part fixe, correspondant à l'amortissement du stade et aux frais d'entretien calculés au prorata de l'occupation par le club résident, doit s'ajouter une part variable fonction des recettes de billetterie. Peut-être la loi pourrait-elle fixer ce mode de calcul ?
M. Michel-Pierre Prat. - Cela fait partie des cinq recommandations que nous avions faites à l'État, plutôt que de toucher aux plafonds. Mais cela demande au ministère des sports un suivi qui n'est pas toujours une priorité pour lui. Or il est important pour les collectivités et les contribuables, car les engagements financiers sont lourds.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Le décret de 2006 sur les normes sportives interdit aux fédérations d'imposer des normes à portée commerciale. Qu'en pensez-vous ?
M. Alain Serre. - Les fédérations ne peuvent imposer des normes commerciales, mais les collectivités, dans les faits, sont incitées à construire des stades qui donnent satisfaction aux fédérations, sous peine d'une répartition des droits télévisés défavorable au club résident. L'UEFA, enfin, a imposé des normes étonnantes pour l'Euro 2016 telles que l'épaisseur des sièges d'invités ou la taille des espaces pour le public et les invités.
M. Michel-Pierre Prat. - Nous avons noté un grand progrès dans la connaissance des normes par les collectivités. C'est pourquoi nous n'avons pas fait de recommandation dans ce domaine. Ce n'est pas l'urgence.
M. Michel Savin, président. - Je reviens à votre quatrième C : la communication, la transparence. Comment concrètement empêcher un dérapage comme celui du Mans ?
M. Michel-Pierre Prat. - Une délibération, pour les collectivités, serait l'occasion de communiquer sur les enjeux. Les choses se passent souvent en petit comité et au dernier moment. Une saison se termine, le président du club vient voir le maire : « je ne pourrai reprendre la saison prochaine que si vous m'aidez... ». Je crois au bon sens des citoyens et des élus. Au moins décideront-ils en connaissance de cause.
M. Alain Serre. - Les clubs sont des sociétés privées, avec lesquels les collectivités ont des relations ambiguës. C'est la raison pour laquelle ils veulent devenir propriétaires des stades : c'est un actif dans leur bilan, et un centre de profit, car les équipements comptent maintenant des restaurants, des cinémas, des garderies ou des piscines... Leur situation est étrange : des sociétés privées, dont les moyens de production appartiennent à une collectivité mais sont mis à leur disposition quasi exclusive. Les relations étaient plus claires quand il s'agissait d'acteurs associatifs.
M. Michel-Pierre Prat. - On peut aussi le présenter autrement : ce sont des entreprises privées, dont les contraintes justifient une aide de la puissance publique, laquelle peut avoir certaines exigences en retour.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - C'est aussi un secteur économique de poids, avec des sociétés qui s'apparentent de plus en plus à des fournisseurs de spectacle. Dans leurs relations avec les collectivités, la source de difficulté ne serait-elle pas l'aléa sportif ?
M. Alain Serre. - Le système français, qui veut que le club change de division selon ses résultats de l'année, diffère du système anglo-saxon, où la sélection est fixée pour quatre ou cinq ans. Les franchises comportent toutefois des règles : les salaires sont bloqués par le salary cap, la répartition des droits télévisuels est égalitaire et la draft permet aux clubs les moins bien classés de choisir en priorité leurs joueurs.
Cela ne correspond pas à notre tradition, mais l'aléa sportif est en effet porteur de risque pour le club, et indirectement, pour la collectivité.
Mme Françoise Cartron. - La démarche rationnelle, raisonnable, rigoureuse que vous recommandez et que les élus aimeraient avoir est malheureusement difficile à maintenir dans un domaine où dominent l'émotion, le passionnel, la médiatisation à outrance. C'est du vécu, car je suis élue de l'agglomération bordelaise : si nous n'avions pas décidé de construire un nouveau stade, Bordeaux aurait été exclue de l'Euro 2016, et cela était inconcevable ! Bègles est dans le top 14 : pour rester dans la course, il lui faut répondre aux contraintes des télévisions et faire des travaux urgents. Je me sens écartelée.
M. Michel-Pierre Prat. - C'est pourquoi nous sommes modestes dans nos recommandations. Avec une présence un peu plus forte de l'État et quelques outils qui pourraient être proposés par la loi, il ne resterait plus que l'aléa sportif. L'argument de la notoriété n'est pas forcément valable. Auxerre justifiait ses investissements en indiquant que le nom de la ville était connu jusqu'en Afrique. Je ne suis pas certain que les ventes de vin sur place en aient été modifiées.
Quelques outils simples, en revanche, pourraient aider les collectivités - et aussi les clubs, qui parfois se bercent d'illusions en oubliant que la notoriété se perd aussi rapidement qu'elle se gagne.
M. Michel Savin, président. - Je vous remercie.
Audition de Mme Claudie Sagnac, adjointe au
directeur des sports
du ministère de la jeunesse et des
sports
M. Michel Savin, président. - Nous aimerions que vous dressiez pour nous l'état des lieux des relations entre les collectivités territoriales et le milieu du sport professionnel.
Mme Claudie Sagnac, adjointe au directeur des sports du ministère de la jeunesse et des sports. - Je suis accompagnée de deux de mes collaborateurs, n'ayant pas en charge le sport professionnel dans mes attributions. Ils pourront répondre aux questions pour lesquelles je n'ai pas de réponse.
La politique publique de soutien au sport professionnel a fait l'objet d'une évaluation dans le cadre de la modernisation de l'action publique, tel qu'il l'a été défini par le Comité interministériel de modernisation de l'action publique le 18 décembre 2012. Le comité de pilotage mis en place pour suivre cette évaluation comprenait d'ailleurs des parlementaires. Le rapport définitif est sorti en septembre-octobre 2013.
Le 11 février 2013, le Premier ministre a demandé à la ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative une évaluation entre le sport et le sport amateur.
Afin de réaliser cette mission conjointe avec le ministère de l'intérieur et le ministère délégué au budget, les trois ministres ont demandé à leurs inspections générales de désigner des inspecteurs ayant en charge, sous la coordination du directeur des sports, les modalités de financement du sport professionnel, la solidarité entre sport professionnel et sport amateur, à travers les différents transferts financiers opérés.
Le diagnostic s'est établi autour de quatre axes de travail. On a vu qu'il était difficile de définir le périmètre de l'évaluation.
La mission s'est attachée à décrire le panorama des acteurs du sport professionnel dans le football, le rugby, le basketball, la natation et le cyclisme.
La mission s'est également penchée sur l'examen des politiques menées en faveur du sport professionnel, afin de déterminer leurs objectifs, leurs leviers d'action et d'examiner les indicateurs et les résultats obtenus.
Enfin, ils se sont livrés à un examen critique de l'impact de l'action publique et de la mesure de son efficience, notamment concernant la gestion des équipements sportifs.
À l'issue du Comité de pilotage du 28 mai 2013 au cours duquel a été présenté le diagnostic, la ministre a demandé aux inspecteurs généraux, par courrier en date du 14 juin 2013, d'approfondir leurs propositions selon trois orientations :
- la gouvernance et régulation du sport professionnel ;
- la solidarité avec le sport amateur et protection de la formation ;
- l'intervention des collectivités, avec la question essentielle du développement et de la modernisation des équipements sportifs.
La mission a présenté 28 propositions. Celles-ci ne conduisent pas à changer radicalement les conditions dans lesquelles sont exercées les activités sportives professionnelles, mais constituent surtout des propositions d'adaptation du cadre réglementaire et financier, avec l'objectif d'assurer la pérennité de l'activité des clubs et l'équité des compétitions, ainsi que le renforcement des instruments de solidarité avec le sport amateur, conformément aux orientations fixées.
Ces propositions pourraient être reprises dans le projet de loi de modernisation du sport que la ministre compte déposer au premier trimestre 2014.
Cinq défis ont été identifiés par la ministre à l'occasion du comité de pilotage :
- le premier concerne la sécurisation du déroulement des compétitions sportives ;
- le deuxième a trait au renforcement de la transparence et du contrôle de l'activité économique des clubs professionnels ;
- le troisième est celui des acteurs évoluant autour des joueurs et des clubs, dont certains participent d'une dérégulation dangereuse ;
- le quatrième consiste à faire des enceintes sportives un outil de développement pour les clubs professionnels ;
- le cinquième est de clarifier et de renforcer les relations, notamment financières, entre les parties prenantes du sport professionnel.
Enfin, l'intervention du ministère revêt essentiellement deux formes. En premier lieu, l'État a d'abord un rôle de contrôle juridique. Le ministère constate par arrêté la conformité des statuts de la ligue avec les dispositions prévues aux articles du code du sport et approuve également la convention liant la fédération à la ligue qu'elle a créée, dont le contenu doit comprendre les dispositions prévues dans le code du sport.
Plus que par la fixation de normes juridiques qui incombent à toutes les administrations centrales, c'est par la régulation que l'État intervient dans le domaine du sport professionnel, sous l'angle d'une régulation juridique par l'encadrement des structures qui régissent le sport professionnel tant au niveau local, les clubs sportifs devant se constituer en sociétés sportives et se soumettre au contrôle d'un organe de contrôle des comptes, qu'au niveau fédéral, avec la gestion du secteur professionnel sous forme d'une ligue et l'adaptation des législations fiscale et sociale, du travail liées à la professionnalisation.
L'État intervient également dans le domaine de la prévention de la violence lors des manifestations sportives et dans d'autres aspects, en particulier la lutte contre le dopage et la lutte contre les fraudes liées aux paris sportifs, en coordination avec les autorités indépendantes mises en place dans ces deux secteurs - Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) ou Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL).
La régulation économique conduit à l'encadrement du droit à l'information sportive, à l'encadrement du régime des subventions publiques, à l'agrément des centres de formation des clubs professionnels à qui sont destinées ces subventions, dans le respect de la protection des clubs formateurs et des jeunes stagiaires qui y évoluent, à la fixation des conditions de retransmission et de commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions sportives, à la réglementation de l'exercice de la profession d'agent sportif, et à la mise en place de directions nationales de contrôle et de gestion des comptes des clubs.
La question de la régulation du football professionnel est au coeur des analyses menées par plusieurs rapports : rapport d'information sur le fair-play financier, rapport de la mission d'évaluation de la politique de soutien au sport professionnel et des solidarités avec le sport amateur, rapport du groupe de travail pour un football durable ; que la ministre a demandé à M. Glavany de bien vouloir présider. Les conclusions sont attendues d'ici fin janvier. Les propositions de régulation du sport professionnel issues de ces rapports sont étudiées par le ministère et pourraient trouver leur place dans le projet de loi de modernisation du sport.
De manière concrète, la direction des sports s'assure au plan juridique du respect des dispositions qu'elle a édictées ; nous délivrons l'agrément des centres de formations des clubs professionnels avec l'appui de nos services déconcentrés régionaux, les directions régionales de la jeunesse, des sports, et de la cohésion sociale (DRJSCS) et les directeurs techniques nationaux (DTN) qui les contrôlent.
Nous avons délégué au directeur régional l'approbation des conventions signées entre les associations et les sociétés. Ces dernières peuvent être également sollicitées par le préfet dans le cadre du contrôle de la légalité des concours financiers des collectivités territoriales aux clubs professionnels. C'est la circulaire de 2002 qui régit l'ensemble de ces dispositions, tant pour les subventions, avec un seuil maximum, que pour les prestations de services ou concernant l'interdiction d'emprunt.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Pouvez-vous nous dresser le bilan de la place du sport professionnel dans la société française : poids économique, disciplines concernées, situation du sport féminin ?
Mme Claudie Sagnac. - La direction des sports s'est récemment réorganisée et a créé un bureau spécifique de l'économie du sport et du sport professionnel, une connaissance plus importante de ce sujet était nécessaire.
Les ressources du sport professionnel sont estimées à un peu moins de deux milliards d'euros pour la saison 2011-2012. Plus de 70 % provient du football.
Les ressources du sport professionnel sont essentiellement constituées des recettes de billetterie, de la valorisation des droits de télévision, du sponsoring et du mécénat. Elles ne constituent qu'une dimension de l'impact économique de l'ensemble du secteur et de l'activité économique et sociale. Le secteur continue à afficher une croissance dynamique et le seul secteur du football bénéficie d'un chiffre d'affaires d'environ 5 milliards d'euros pour la saison 2011-2012, soit environ 25 000 emplois.
Très peu de disciplines possèdent un secteur professionnel féminin. Parmi les sports collectifs, on trouve uniquement la « Pro A » féminine de volley-ball. Quatorze clubs, comptant 133 joueuses, font partie de la ligue nationale de volley-ball, constituée en personne morale distincte, qui gère également la « Pro A » et la « Pro B » masculine.
La « Pro A » féminine de basketball compte 14 clubs et 214 joueuses ; elle est gérée par une ligue interne, la ligue féminine de basketball. Au handball, il existe une compétition appelée ligue féminine, avec dix clubs et 103 joueuses. Aucun de ces clubs n'est constitué sous forme d'une société sportive, ne dépassant pas les seuils prévus à l'article R. 122-1 du code du sport. Les recettes s'élèvent à 1,2 million d'euros, pour 800 000 euros de masse salariale. Au basketball et au handball, toutes les joueuses ne bénéficient pas d'un contrat de travail à temps plein.
Il n'existe pas, dans le football ni le rugby, de championnat féminin professionnel, bien que l'Olympique Lyonnais (OL) ait constitué une équipe féminine professionnelle championne d'Europe à plusieurs reprises.
Pour favoriser le développement du secteur professionnel, le ministère est pleinement engagé dans des actions du programme gouvernemental qui visent à l'égalité entre les femmes et les hommes. Lors du dernier Comité interministériel du 27 novembre 2012, une série de mesures ont été prises, visant à la féminisation des instances dirigeantes des fédérations sportives, au développement des pratiques afin de corriger les inégalités d'accès, à la féminisation de l'encadrement technique, à la réussite des sportives de haut niveau, et la lutte contre les discriminations et les violences faites aux femmes dans le champ du sport.
Le ministère accompagne financièrement cette opération et met des moyens humains à la disposition des fédérations et des associations, des cadres techniques s'occupant de ces thématiques.
Nous portons une attention particulière au plan de féminisation de l'encadrement, des pratiquants, des juges et arbitres, des sportifs de haut niveau et des dirigeants.
En 2014, nous avons commencé les nouvelles négociations avec les fédérations sportives, 2013 ayant été une année de transition. Nous allons conclure des conventions pluriannuelles sur la période 2014-2017. Ce sera un moment propice pour déterminer les stratégies et les démarches à mettre en place visant au développement de la pratique féminine.
Pour 2013, 5,93 millions d'euros sont fléchés sur la thématique du sport féminin, contre 6 à 7 millions d'euros en 2012, les chiffres n'étant pas encore arrêtés.
Nous espérons que les plans de féminisation demandés aux fédérations et la féminisation de l'encadrement conduiront à un renforcement du sport féminin et, par voie de conséquence, à un développement plus important du secteur professionnel féminin.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Comment le ministère définit-il le sport professionnel ? On sait qu'il existe des critères à partir desquels on doit passer de la forme associative à la société commerciale. Il n'empêche que nous connaissons tous, sur nos territoires, des associations qui conservent cette forme juridique, faute de pouvoir répondre aux critères. Or, ces clubs associatifs fonctionnent comme de véritables clubs professionnels.
Mme Claudie Sagnac. - La difficulté est en effet de cerner le périmètre du sport professionnel.
M. Dimitri Grygowski, chef du bureau du sport professionnel et de l'économie du sport. - Il existe des difficultés de repérage en matière d'appréciation du secteur économique professionnel. Les chiffres dont nous disposons permettent d'évaluer à 2 milliards d'euros les ressources propres et les droits télévisuels.
Ces ressources ont un impact démultiplié dans l'économie française ; c'est une particularité de ce secteur. Quant au sport dans l'économie française, il existe une mission statistique partagée entre les services jeunesse et sport. Il est évalué à environ 36 milliards d'euros pour 2010-2011, soit un peu moins de 1,8 % du produit intérieure brut (PIB) français.
C'est une définition assez large du poids économique du sport professionnel. Si on raisonne en termes de chaîne de valeur - comme le fait l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) - on est dans une situation intermédiaire, au sein de l'Union européenne. L'intensité économique du sport, en France, serait donc moins élevée que celle de l'Allemagne ou de la Grande-Bretagne. Il y a encore un potentiel important de développement du poids économique du sport en France - et surtout du sport professionnel. C'est à la fois un point positif et un point négatif de ce secteur, qui génère de la valeur ajoutée et des emplois qualifiés.
Mme Claudie Sagnac. - Le ministère a une double approche pour définir le périmètre du sport professionnel. En premier lieu, le sport professionnel est une branche du sport fédéral. Lorsque l'activité fédérale englobe un secteur de pratiques professionnelles, la fédération en fixe généralement les contours, en précisant les compétitions ouvertes aux professionnels. Les sportifs professionnels sont ceux qui participent à ces compétitions.
Ce sont majoritairement des salariés. C'est le modèle dominant que l'on retrouve surtout dans les sports collectifs - basketball, cyclisme, football, handball, hockey, rugby, volley-ball.
La seconde approche consiste à identifier les sportifs, en tant que personnes, qui évoluent au plus haut niveau de leur discipline et qui vivent des revenus de leur pratique, souvent en tant que travailleur indépendant. Ils sont rémunérés pour leur participation aux compétitions, et bénéficient de contrats de sponsoring ou de partenariat, mais sans appartenir aux secteurs professionnels du cadre fédéral que j'ai cités. Il s'agit plutôt de disciplines comme le golf, la natation, le tennis, le tennis de table.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Peut-on identifier la part des aides publiques parmi les ressources allouées au secteur professionnel ?
M. Dimitri Grygowski. - Le chiffre de 36 milliards d'euros que j'ai cité correspond à la dépense sportive française. La moitié est le fait des dépenses des ménages - textile, habillement. Le reste concerne les dépenses publiques, avec une très forte prépondérance des dépenses des collectivités territoriales, pour environ 10 milliards d'euros.
M. Michel Savin, président. - Pouvez-vous cibler ces dépenses ? Cela me paraît une somme très importante !
M. Dimitri Grygowski. - Le partage entre les dépenses d'équipement et les dépenses de fonctionnement est très équitable. Les collectivités territoriales françaises consacrent 5 milliards d'euros par an aux équipements. À titre de comparaison, les dépenses culturelles des collectivités territoriales sont inférieures de 25 % aux dépenses sportives.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Le ministère mène-t-il avec les fédérations et les ligues une réflexion sur l'aléa sportif ?
Mme Claudie Sagnac. - Une réflexion est menée dans le football, précurseur en la matière, et dans le cadre du groupe Glavany. La façon d'assurer la pérennité des clubs constitue pour nous un souci majeur. On connaît les difficultés qui ont eu lieu au Mans ou ailleurs.
À l'étranger, les clubs sont propriétaires de leurs investissements. Il nous faut trouver un modèle économique différent de celui qui existe actuellement. Le groupe Glavany a tenu une ou deux réunions à ce sujet.
M. Dimitri Grygowski. - Nous avons, dans le cadre de la commission sur le football durable, essayé d'ébaucher un modèle permettant au football français de s'autofinancer et de maximiser l'impact de cet autofinancement sur les territoires. Disposer de recettes annexes permettant aux clubs de limiter la dépendance vis-à-vis des droits télévisuels est un facteur de succès. Il existe toutefois une certaine incompatibilité entre la nécessité de financer les équipements et l'aléa sportif.
L'aléa sportif constitue une des spécificités de l'organisation du sport français au sein de l'Union européenne. La réflexion que nous menons porte sur une modulation théorique de l'aléa sportif dans l'organisation des compétitions, ainsi que sur les conséquences économiques d'une rétrogradation ou d'une moindre performance sportive.
Mme Françoise Cartron. - Vous êtes-vous penchés sur les différences de rémunération des sportives ? J'ai été frappée entre les sommes que peuvent percevoir un basketteur professionnel et une basketteuse professionnelle : c'est une véritable injustice.
Mme Claudie Sagnac. - Nous sommes bien conscients du phénomène.
Il est souvent plus difficile d'obtenir des droits télévisuels pour retransmettre des compétitions féminines que pour diffuser des rencontres masculines. Nous travaillons sur ce sujet avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), de même que sur la retransmission des compétitions où interviennent des personnes en situation de handicap - encore que les Jeux de Londres aient permis un grand pas dans ce domaine.
Les salaires des femmes et des hommes ne sont en effet pas les mêmes. Nous avons imposé des quotas concernant les dirigeants, l'accès à des postes de responsabilité et les entraîneurs. En matière de salaires, nous ne disposons pas d'instrument pour faire en sorte que la basketteuse professionnelle soit rémunérée au même niveau que le basketteur. Il faut donc travailler sur ce sujet et étudier ce qui peut être fait.
M. Ambroise Dupont. - Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la répartition des 36 milliards d'euros que vous avez évoqués. A-t-on une idée de la part d'argent privé et d'argent public ?
M. Dimitri Grygowski. - La part de la puissance publique s'élève à un peu plus de 40 %. La plus grande partie des dépenses publiques relève des collectivités territoriales, avec une segmentation 50-50 entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'équipement.
La part du financement privé, au-delà des dépenses des ménages, représente moins de 10 % de la dépense sportive globale, soit environ 3,5 milliards d'euros. On retrouve là les recettes de sponsoring, le mécénat, les accords de partenariat.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Quelle est l'approche de votre ministère concernant les infrastructures sportives : grands stades, ou autre ?
S'agissant du sport en salle, quelle est la politique du Gouvernement en matière d'organisation de grandes compétitions internationales ? Quelles orientations souhaiterait-il que les collectivités prennent concernant le mode de réalisation de ces infrastructures ?
Mme Claudie Sagnac. - Le recensement des équipements sportifs permet au ministère de connaître la situation actuelle. S'agissant des stades, on pense que la France sera à niveau pour l'Euro 2016.
Pour ce qui est des salles, le rapport Constantini est toujours d'actualité. La France manquerait de quelques salles pour organiser des événements de niveau mondial. On peut aussi se demander s'il faut que l'équipement ne soit dédié qu'à la compétition mondiale. À Londres, lors des Jeux olympiques, la piscine a été démontée et est partie remontée à l'étranger.
Cela étant dit, les championnats mondiaux de handball se préparent pour 2017 ; on pense qu'ils auront le même effet que l'Euro 2016 sur les stades...
Au-delà du recensement, on connaît les petits projets qui sont en préparation, dès lors qu'ils ont demandés une subvention au CNDS ; on tient par ailleurs à jour un tableau des grands équipements identifiés pour la préparation, tant au niveau des stades qu'au niveau des salles. Peut-être existe-t-il un manque en natation pour accueillir une grande compétition ou, en sport de glace, un anneau de vitesse. Faut-il que ce soit une infrastructure pérenne, ou peut-on parler d'infrastructures éphémères ? Le modèle doit être étudié au cas par cas...
Pour l'instant, ce sont les collectivités locales qui ont des projets qui s'engagent dans ce type d'investissement. Il faut non seulement assurer celui-ci, mais également le fonctionnement. L'infrastructure ne doit donc pas être surdimensionnée. Le ministère n'a pour le moment pas d'avis prescriptif, les collectivités étant seules maîtres d'ouvrage.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Réalisez-vous une analyse des partenariats public-privé (PPP) en matière d'équipements sportifs ?
Mme Claudie Sagnac. - Nous pensons que le PPP n'est pas la meilleure des solutions.
Sur les onze stades retenus pour l'organisation de l'Euro, quatre font l'objet d'un PPP : Bordeaux, Lille, Marseille et Nice.
La formule de PPP revêt deux défauts majeurs. Le premier est de présenter des charges financières de long terme qui rigidifient les budgets des commanditaires. On peut parfois affecter à un club un risque trop important, l'aléa sportif pouvant l'amener à ne pas être en mesure de supporter sa part. De fait, c'est la collectivité territoriale ou l'État qui devront alors se substituer à lui.
On paie donc très cher, durant de longues années, sans savoir comment le club va évoluer sur une trentaine d'années.
M. Dimitri Grygowski. - Quel que soit le mode de financement, l'intérêt des clubs sportifs est de saisir cette opportunité pour générer une véritable profitabilité. Ceci suppose un effort de formation du mouvement sportif pour valoriser ses équipements.
M. Michel Savin, président. - C'est un autre métier.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire un mot de la situation du Mans ?
Mme Claudie Sagnac. - Le Mans a été réalisé sous forme de concession, comme le stade de France. La ville a déjà dû indemniser le concessionnaire, en raison de la descente du club de plusieurs niveaux. Ceci résulte d'un aléa sportif très important et de la précarité du montage financier mis en oeuvre pour la construction de l'équipement. L'analyse du risque n'a peut-être pas été suffisamment approfondie et rigoureuse. Ni la collectivité, ni le club n'auraient pu imaginer que l'on puisse en arriver à un tel résultat.
Il faut donc dé-corréler l'aléa sportif du dimensionnement de l'équipement, et réfléchir à d'autres outils et à d'autres contrats juridiques susceptibles de mieux protéger les collectivités territoriales en cas de rétrogradation. Certains mécanismes pourraient permettre d'amortir cet aléa.
M. Michel Savin, président. - Grenoble est un exemple comparable, à la différence que l'aléa sportif s'est conjugué à l'aléa économique, les partenaires du club ayant quitté celui-ci. C'est aujourd'hui la collectivité qui assume la redevance, soit plus de 1,5 million par an. Comment alerter les collectivités sur de tels risques ?
M. Dimitri Grygowski. - On est là dans le cadre d'investissements consentis par les collectivités territoriales, et à la limite de l'exercice prescriptif. Le parc français ayant été considérablement renouvelé, on a aujourd'hui une idée des bonnes pratiques de financement. À Grenoble, une partie de l'emprunt était indexée sur le franc suisse...
M. Denis Roux, chef du bureau des équipements. - Il est bon de se pencher sur les mauvaises expériences pour en tirer les leçons, mais il en existe aussi de bonnes, comme Le Havre, où le stade a été pensé en amont avec le club. Votre mission pourrait peut-être s'intéresser à cette expérience heureuse.
M. Michel Savin, président. - Pouvez-vous développer ?
M. Denis Roux. - Je ne connais pas le détail du dossier, mais le club du Havre a été associé à la gestion et à la conception même du projet.
S'il y a un conseil à donner aux collectivités, c'est de travailler main dans la main avec les clubs. La collectivité n'est pas uniquement là pour l'infrastructure, le club étant dissocié de l'intendance. Ce doit être, dès le départ, un partenariat solide.
Mme Françoise Cartron. - Les grandes salles peuvent-elles être polyvalentes ?
Mme Claudie Sagnac. - S'agit-il d'une polyvalence dans le domaine du sport professionnel ou de la pratique sportive ?
Mme Françoise Cartron. - Je pense aux grands événements sportifs internationaux, mais aussi culturels, qui ne sont pas légion...
Mme Claudie Sagnac. - Les grandes salles peuvent être polyvalentes, comme le Palais Omnisports de Paris Bercy (POPB), ou Montpellier.
S'il y en a trop, et qu'elles ne sont pas assez distantes, il sera difficile d'avoir un programme suffisant pour les remplir. Celles-ci coûteront donc cher en fonctionnement, et il sera difficile de les amortir. Il faut considérer les choses du point de vue de l'aménagement du territoire.
Pour ce qui est de la polyvalence des équipements et des disciplines, je n'y vois aucun problème.
M. Denis Roux. - Il existe selon moi trois catégories d'équipements sportifs : ceux qui s'adressent au grand public, ceux qui sont destinés aux sports professionnels et ceux qui comportent des équipements de spectacles - concerts, spectacles sportifs. On peut y faire de tout. Les championnats de natation qui se sont tenus à Barcelone ont eu lieu dans une piscine spécialement construite pour l'événement. On était là dans le spectacle, et non dans le sport professionnel.
M. Alain Dufaut. - À Avignon, tous les gymnases sont utilisés en juillet par le festival. Désormais, lorsqu'on fait des réfections ou que l'on crée de nouvelles enceintes sportives, on y intègre les fonctionnalités spécifiques aux activités théâtrales, les vestiaires sportifs pouvant faire office de loges de théâtre.
Mme Claudie Sagnac. -Toutes les villes n'ont pas la chance d'accueillir chaque année un événement tel que le festival d'Avignon.
M. Alain Dufaut. - En effet, mais il faut y réfléchir. L'argent public est ainsi bien mieux utilisé.
M. Ambroise Dupont. - De la même manière, les jeux équestres mondiaux vont se tenir au stade Michel d'Ornano.
Audition de M. Stanislas Bourron,
sous-directeur des compétences
et des institutions locales à
la Direction générale des collectivités locales
du
ministère de l'intérieur
M. Michel Savin, président. - Monsieur Bourron, pouvez-vous nous dresser l'état des lieux des relations entre les collectivités territoriales et le milieu sportif professionnel ?
M. Stanislas Bourron. - La Direction générale des collectivités locales (DGCL) s'intéresse à la compétence sportive des collectivités, le code des sports prévoyant leur capacité à intervenir sur ces questions. À ce titre, elle suit également ces sujets sous l'angle de des règles d'intervention financière des collectivités locales vis-à-vis du monde sportif professionnel. Un certain nombre de dispositions très spécifiques concernent les sociétés sportives. Aujourd'hui, la question est de savoir qui peut intervenir et aider le monde sportif dans cet univers.
Le sujet a été notamment abordé lors des débats à propos de la loi du 16 décembre 2010, qui envisageait de déterminer des compétences exclusives ou partagées, selon les cas. Le sport avait, à cette occasion, fait l'objet de grandes discussions pour savoir si les collectivités devaient toutes, comme aujourd'hui, pouvoir continuer à intervenir - régions, départements, blocs communaux, intercommunalités et communes.
Le gouvernement de l'époque avait dans l'idée de restreindre les possibilités d'intervention à l'un ou l'autre des niveaux de collectivité. Les interventions du monde sportif, amateurs mais surtout professionnel, et les échanges avec les élus ont rapidement démontré que cette piste ne rencontrait pas d'adhésion.
Le choix a été fait de maintenir la possibilité pour les trois niveaux de collectivités locales d'aider le monde sportif sous toutes ses formes, du sport amateur jusqu'au sport professionnel, selon des règles très particulières.
Cette situation peut soulever quelques difficultés. On peut en effet parvenir à des financements croisés, et éprouver des difficultés pour identifier le partenaire privilégié de la structure sportive professionnelle, qui peut aussi jouer sur le fait qu'il existe plusieurs co-financeurs, comme prévu dans les textes.
Le droit, depuis 1999, a strictement encadré les possibilités d'intervention des collectivités en matière de sport professionnel. On peut appliquer un certain nombre de dérogations aux règles d'intervention économique classiques applicables à des entreprises ou à des associations, tant sur le montant des subventions qui peuvent être accordées que sur leurs critères. Elles doivent notamment répondre à un certain nombre de motifs d'intérêt général, qui doivent avoir été déterminés par le règlement. Certains critères sont plus contraignants, comme ceux portant sur les conditions de garantie ou d'aides directes aux activités économiques.
Tout ceci répond à une logique toujours d'actualité : éviter un engagement trop massif des collectivités à l'égard du sport professionnel, assez demandeur d'un engagement financier public important, qu'il s'agisse des équipements ou du soutien aux clubs, qui peuvent représenter des sommes assez importantes.
Est-ce satisfaisant ? Si vous nous auditionnez aujourd'hui, c'est peut-être que vous avez une vision plus modérée de la qualité de notre régime juridique actuel.
Par ailleurs, une mission d'évaluation, dont le rapport a été publié cette année, s'est intéressée à la question de la politique sportive et, notamment, aux relations entre les collectivités et les financements publics du sport professionnel.
L'arrivée de l'Euro 2016 nécessite également une modernisation des équipements sportifs de grande ampleur, qui a fait apparaître les difficultés que l'on rencontre, tant dans les montages que dans le fonctionnement quotidien de ces structures et des sociétés sportives qui les occupent.
Un autre élément d'actualité, très prégnant pour la DGCL, réside dans la question des normes, sujet récurrent mais qui, dans l'univers sportif, a pris une forte ampleur ces dernières années. Cette question concerne l'ensemble du champ, à travers des règlements fédéraux et internationaux - qualité, types d'équipements, conditions dans lesquelles ceux-ci ont été construits ou aménagés. Ces sujets retombent sur les collectivités, qui restent pour l'essentiel propriétaires des équipements publics dans lesquels évoluent les différentes équipes sportives. Ces décisions, prises en dehors des collectivités, vont de fait s'imposer à elles. Si elles ne les appliquent pas, ces dernières peuvent perdre la possibilité de voir leur équipe accéder à un certain nombre de niveaux sportifs, ou limiter leur évolution.
Ceci a fait l'objet d'un travail avec le ministère des sports. Le Conseil national des sports, où siège la DGCL, a souhaité inscrire cette question à son ordre du jour, afin d'avoir une approche plus rigoureuse des règlements fédéraux.
D'autre part, la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) demeure attentive à ces problématiques, qui représentent des montants d'investissements importants pour les collectivités.
La DGCL et les deux ministères dont elle dépend suivent ces questions avec attention. Il n'en reste pas moins que nous ne sommes pas dans une politique dédiée, le ministère des sports devant jouer tout son rôle dans l'animation et la vie du mouvement sportif national.
Nous veillons à préserver les marges de manoeuvre et les garanties nécessaires pour que les collectivités ne soient pas placées dans une situation d'asymétrie avec le monde sportif, ce qui serait malvenu.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Pouvez-vous nous éclairer sur le montant des sommes allouées par les collectivités au sport professionnel, qu'il s'agisse des subventions d'équipements ou des subventions versées au titre des contrats de partenariat entre les collectivités et les clubs ?
M. Stanislas Bourron. - Je ne connais pas la réponse. Nous ne disposons pas de chiffrage des subventions de fonctionnement. Nous avons bien évidemment connaissance, concernant les dossiers complexes et lourds qui remontent jusqu'à Paris, des subventions d'investissement qui peuvent être versées, mais nous n'assurons pas le suivi statistique de l'ensemble des subventions versées par les communes ou les intercommunalités en matière d'équipements sportifs ou de subventions de fonctionnement. C'est un travail qui est techniquement possible, mais qui exigerait la remontée automatique des informations de l'ensemble des budgets des collectivités, dont nous ne disposons pas aujourd'hui.
Néanmoins, d'après les différents travaux qui ont pu être menés, les taux de subvention d'un certain nombre d'équipes va de 60 à 100 % de la masse salariale. Ces taux, qui ont été indiqués dans le rapport de la Cour des comptes de 2009, font apparaître que le montant d'interventions publiques peut être très important, selon les types d'activité, mais aussi selon la taille et le type d'équipes dont on parle - sociétés sportives importantes ou associations d'ampleur plus limitée...
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Aujourd'hui, les aides versées par les collectivités sont plafonnées, que ce soit au titre de l'achat des prestations ou au titre des missions d'intérêt général qui peuvent être rendues par les clubs sportifs. Ces plafonds vous paraissent ils pertinents ? Doivent-ils, selon vous, être les même dans toutes les disciplines ?
M. Stanislas Bourron. - Le plafond de 2,3 millions d'euros, pour les missions d'intérêt général, est très encadré. Le fait qu'un secteur d'activité ait déterminé un plafond maximum d'intervention est assez original. Cela me semble assez inédit. Cela signifie que le législateur a souhaité demeurer attentif. Ces sommes, selon le code du sport, ne concernent que des missions d'intérêt général, elles-mêmes listées.
Le droit, à mon sens est assez satisfaisant. Nous n'avons pas de remontées spécifiques demandant une évolution, à la hausse ou à la baisse. Nous avons cependant parfois quelques interrogations sur les conditions concrètes d'application de ce droit.
Le plafond peut toutefois être ponctuellement dépassé, du fait des subventions croisées, ce qui n'est pas normal. Ceci peut toutefois se régler grâce à quelques améliorations organisationnelles, notamment en obligeant les sociétés sportives à présenter l'état réel des dossiers déposés et des subventions obtenues, afin que chaque collectivité puisse se prononcer en toute connaissance de cause, sur la base d'éléments précis.
On sait aussi que toutes ces subventions n'ont pas pour destination finale les missions d'intérêt général prévues par les textes. Il s'agit parfois de subventions de fonctionnement plus globales, qui ne sont pas toujours dédiées à une opération spécifique.
Il n'est par ailleurs pas simple d'effectuer un contrôle sur la subvention en tant que telle. Je pense en particulier au contrôle de légalité, qui exigerait de vérifier, pour chaque subvention, le dossier de demande, afin de s'assurer qu'il répond bien aux critères du règlement. L'exercice est complexe. La question porte plus, à notre sens, sur les conditions dans lesquelles on peut arriver à faire respecter ces dispositions que sur une évolution à propos de laquelle nous n'avons, à ce jour, pas eu de demandes majeure.
On peut, il est vrai, envisager de faire varier ces montants selon les types de sport. On peut aussi prendre en compte l'importance de la commune ou de l'équipe au niveau national, les capacités d'animation d'une grande équipe de football n'étant pas de même nature que celle d'une équipe professionnelle de plus petite ampleur, et pouvant amener des soutiens plus importants.
Le risque, en faisant sauter le plafond, est que les subventions ne soient plus utilisées aux fins prévues par les textes.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - On sait que la mise à disposition d'infrastructures sportives à des clubs résidents doit se faire moyennant redevances. Celles-ci, souvent minorées ont bien des fois données lieu à litige. Est-il opportun de définir des critères pour fixer ces redevances ? Si oui, lesquels ?
M. Stanislas Bourron. - Il me semble qu'il s'agit d'un problème qui ne concerne pas que le monde sportif. Cette question se rencontre dans la plupart des sujets liés à l'occupation du domaine public, voire à propos des délégations de services publics (DSP).
On sait qu'il existe un enjeu de valorisation du domaine public pour les collectivités, pour qui il s'agit de ne pas « plomber » une activité économique par une redevance insupportable. Ceci peut donc expliquer les raisons pour lesquelles le contrôle des redevances est généralement assez faible.
S'agissant de l'univers sportif, je n'ai pas évoqué la circulaire de 2002, rédigée en collaboration avec le ministère des sports, concernant les concours financiers des collectivités locales au monde sportif, qui était peut-être insuffisante sur ce point. Depuis lors, le code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) est venu rappeler les conditions dans lesquelles les redevances pour occupation du domaine public doivent être établies.
La difficulté réside dans les conditions dans lesquelles ces dispositions sont mises en oeuvre. Le CGPPP n'est pas très ancien ; néanmoins, il a déjà pris en compte ce que les jurisprudences ont pu dire sur la question des redevances. On n'assiste donc pas à une défaillance des bases juridiques : on se trouve face à un équilibre économique précaire, la redevance entrant dans des échanges plus larges, destinés à la déterminer. Je ne prétends pas que ce soit satisfaisant, je constate ce qui se passe.
Il conviendrait que les dispositions liées à la redevance soient appliquées de façon plus stricte. On sait que l'équilibre entre sociétés sportives et collectivités est souvent complexe. Il n'est pas toujours simple d'arriver à identifier précisément quels avantages retirés par la société sportive permettraient de faire varier la redevance.
On constate aussi que le contrôle du juge est assez faible. Il existe une grande marge de manoeuvres, sauf à constater une redevance quasi nulle pour un équipement très important ou surdimensionné. C'est plus rare en ce sens, il est vrai.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Beaucoup de collectivités locales ou de clubs veulent s'équiper de grandes salles destinées à la pratique du sport, dans la perspective de l'Euro 2016. Quel regard portez-vous sur ces infrastructures sportives - Plan Grand Stade, Arena - et sur les différents montages juridiques et financiers opérés aujourd'hui ? Quelle est votre vision de la situation à travers l'expérience du Mans ou de Grenoble ?
M. Stanislas Bourron. - Nous sommes très attentifs à tous ces dossiers, la loi de 2011 ayant ouvert un certain nombre de possibilités pour les stades dédiés à l'Euro 2016. C'est ce type d'équipement extrêmement coûteux qui a déclenché le plus d'innovations juridiques de la part des collectivités.
Notre souci est de veiller attentivement au respect des règles de commande publique. L'exercice ne se passe pas si mal, mais les contraintes qui pèsent sur les finances publiques des collectivités ont pu amener à rechercher des contrats de partenariat ou des DSP externalisant une partie du coût. Ces montages ont été créés à cette fin, et sont tout à fait légitimes.
La maîtrise d'ouvrage publique de ces gros équipements prenant en charge la totalité de l'investissement est beaucoup plus rare et a tendance à se raréfier. Les montages privé-public sont nécessairement plus complexes et peuvent se révéler plus coûteux s'ils ont été mal préparés. Notre souci est donc de rappeler les règles et les grands principes liés à ce type de contrats. Les DSP doivent ainsi comporter un risque d'exploitation, sous peine d'être considérées comme des marchés. On ne peut donc avoir une DSP dans laquelle l'opérateur ne craint rien quoi qu'il arrive, où la collective locale prend tout en charge. Ceci ne peut fonctionner.
Certains contrats de partenariat peuvent également avoir des coûts qui s'accroissent et qui sont, en volumétrie globale, très importants pour la collectivité. Notre souci est donc de réaliser un travail d'analyse préalable, avec les collectivités qui le sollicitent, concernant les conditions du montage, puis, au moment du contrôle de légalité, si besoin est, de faire valoir les règles applicables, en traiter au mieux les opérations de mise en oeuvre. Beaucoup de contentieux ont été déclenchés localement à propos du stade de Lyon, après l'intervention de la puissance publique. Le soutien de l'État et des collectivités est donc indispensable à la bonne mise en oeuvre des opérations.
Ces outils sont aujourd'hui indispensables, étant donné les volumes financiers à mobiliser sur des opérations de cette nature. On imagine mal qu'une opération puisse se faire en maîtrise d'ouvrage directe, simplement financées par un tour de table de collectivités publiques. La difficulté est d'éviter de tomber dans des montages qui mettent la collectivité locale en situation de difficulté, voire de fragilité juridique, en exposant potentiellement les élus à un risque pénal, si le montage juridique n'est pas conforme.
La pression des grands opérateurs sportifs qui veulent bénéficier de ces équipements est importante. Il faut donc parvenir à trouver le juste équilibre entre le besoin de faire évoluer ces équipements et le respect des règles aujourd'hui applicables.
Les difficultés qu'on a pu rencontrer sont sans doute le fruit d'un déséquilibre dans le choix qui a été fait, ou d'une mauvaise appréciation de la situation. Ces contrats comportent un engagement dans le temps et des clauses de résiliation extrêmement chères. Dès qu'on entre dans un partenariat public-privé (PPP), la collectivité prend donc un risque et doit vraiment réaliser un travail en amont pour éviter de s'engager à long terme dans des choix qui pourraient se retourner contre elle.
M. Michel Savin, président. - Existe-t-il d'autres systèmes que l'on pourrait préconiser aux collectivités ? Celles-ci prennent en effet parfois seules les risques, et se retrouvent confrontées à des aléas sportifs ou économiques, et doivent gérer un équipement sans club résident, ce qui coûte très cher.
M. Stanislas Bourron. - Nous n'avons franchement pas, aujourd'hui, de feuille de route précise à ce sujet. J'ai évoqué le fait qu'une mission a été lancée pour évaluer la politique sportive et l'intervention des collectivités publiques en la matière. Votre propre mission va contribuer à apporter des éléments à ce sujet, et l'on va sans doute s'acheminer vers des évolutions législatives ou réglementaires.
À ce stade, nous n'avons pas de mandat pour faire évoluer ce point. Mon sentiment est qu'il faut éviter de recourir - ce qui a pu être le cas dans un certain nombre de situations - à des outils juridiques afin de leur faire accomplir des choses pour lesquelles ils ne sont pas faits.
Quelle que soit la situation locale, si les choses ne se sont pas passées comme elles auraient dû, c'est qu'on a voulu aller plus loin avec un outil juridique qui n'était pas adapté. Cela se retourne généralement contre la collectivité, ce qui lui est préjudiciable.
Faut-il aller jusqu'à interdire certains types d'outils aux collectivités pour des opérations d'infrastructure sportive ? Je ne sais pas... Faut-il fixer une participation maximale de fonds publics ? Cela nous semble être une position assez dure, la puissance publique intervenant de façon importante sur ces équipements.
Ne doit-on pas aller, demain, vers un modèle bien plus privatisé, où les équipements publics d'ampleur nationale seront totalement financés par les clubs concernés ? Même si on arrivait à cette solution extrême, qui peut exister dans certains pays étrangers, les collectivités locales seraient nécessairement sollicitées. À Lyon, il a fallu intervenir du fait de l'existence d'un maillage global - aménagement urbain, transports, insertion économique, réflexion globale sur l'aménagement du territoire. Cela ne peut se faire de façon exogène vis-à-vis du fonctionnement des collectivités publiques. Un système totalement privatisé exigerait de toute façon un partenariat étroit entre l'opérateur privé et la collectivité publique, qui lui est nécessairement associée, du fait de ses compétences de base.
Par ailleurs, on voit aussi évoluer les modèles de ces infrastructures. Le temps du simple stade semble, pour l'univers sportif de haut niveau, de plus en plus éloigné. On voit arriver des modèles bien plus complexes, comme les Arena, très développées, à l'étranger. Le sport tient une certaine place dans cette logique, mais cela devient un équipement sportif, culturel, et économique très important. On profite en fait de l'attractivité du site pour installer autour un certain nombre de services annexes, voire des bureaux ou des logements, l'équipement sportif devenant un lieu de développement de la ville et d'aménagement urbain.
Il ne me semble pas envisageable que les collectivités locales, dont c'est une des missions premières, ne soient pas en première ligne dans la définition de tels projets et dans leur accompagnement. L'intervention publique garde là tout son sens, au-delà du problème du strict financement de l'équipement sportif et du montant sur lequel on intervient.
C'est peut-être cette complexité qui a amené à durcir les mécanismes juridiques. Aujourd'hui, les DSP et les contrats de partenariat sont des outils qui permettent, si l'on s'y tient, de répondre aux besoins. On doit éviter trop d'ingéniosité, comme on peut encore parfois en rencontrer.
M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Le ministère des sports prépare une loi pour le début 2014. La DGCL y est-elle associée ? Si c'est le cas, va-t-elle faire en sorte de permettre aux collectivités territoriales de participer au développement du sport professionnel, en protégeant mieux les partenaires ? On nous a parlé de rapports de force au détriment des collectivités.
M. Stanislas Bourron. - Oui, nous sommes associés à la loi que doit présenter le ministère des sports, qui nous a saisis d'orientations. Je ne sais si ce texte sera voté début 2014 ; à ce stade, on en est encore à des orientations sur lesquelles va devoir se développer un travail interministériel. Les réflexions du ministère répondent pour partie aux interrogations que vous pouvez avoir. J'ai relevé parmi elles quelques éléments.
Le premier rejoint la question des risques de concurrence d'équipements sportifs. Il s'agit là d'une logique de schémas. Nous sommes plus dubitatifs pour ce qui est des logiques « régionalisantes », consistant à préconiser l'endroit où tel ou tel équipement serait le mieux situé. Ceci poserait par ailleurs des problèmes constitutionnels de libre administration...
La planification de ces équipements doit se faire dans le cadre d'un échange entre les différents niveaux - sauf à changer complétement les règles du jeu. Dans la mesure où tout le monde est en mesure d'intervenir, ou de subventionner des équipements, il convient de participer et d'échanger. Certains schémas peuvent comporter des politiques de développement sportif, qui constituent des moyens de subventionnement différents.
On n'a guère avancé s'agissant du croisement des subventions, mais cela pose la question de savoir si l'on doit limiter la possibilité de financements croisés de ces projets en identifiant un partenaire privilégié. Pourquoi pas ? On peut envisager une logique de chef de file. Cela soulève également la question des compétences de chacun : tant qu'une collectivité est compétente, elle peut toujours intervenir financièrement. Enfin, on va aussi travailler sur les conditions d'agrément des installations sportives.
Un autre élément peut vous intéresser : il s'agit de la question des centres de ressources, d'expertise et de performances sportives (CREPS). Le ministère des sports souhaiterait voir évoluer ce modèle, avec une forme de décentralisation des équipements et des agents, dans une logique proche de celle des établissements publics locaux d'enseignement (ÉPLE), décentralisant aux régions les 16 CREPS qui subsistent aujourd'hui. Cette réflexion avance. Je ne sais quel sera le support, si support il doit y avoir.
Quant à l'adhésion des collectivités territoriales aux fédérations sportives, cette possibilité, qui a peut-être déjà été écartée, me laisse dubitatif à titre personnel. Comment une collectivité locale, personne morale, pourrait-elle être présente dans une fédération sportive ?
Cela répond à l'idée de mieux faire valoir le point de vue des collectivités locales en amont, dès la fédération, ce qui est intéressant vis-à-vis de la problématique des normes, dont on voit bien qu'elles pèsent beaucoup sur les collectivités.
Ceci ne réglera pas pour autant le problème, car c'est au niveau international que se décide une partie de ces normes, les fédérations françaises n'ayant qu'un rôle de déclinaison. Je ne crois pas que le projet de loi puisse prévoir que les collectivités publiques françaises siègent dans ces fédérations. C'est là une limite.
Il y a parfois aussi un certain mélange des genres. Vous évoquiez la difficulté à se faire entendre de certaines sociétés sportives. Il n'est guère aisé, lorsqu'on est trop impliqué, de se comporter en partenaire à part égale.
Mme Françoise Cartron. - Certaines fédérations imposent aux petites communes des normes ahurissantes et déconnectées des réalités, qu'il faut mettre en oeuvre en trois mois, comme un passage souterrain pour accéder au terrain de jeu, par exemple ! C'est ce qui explique le souhait des élus locaux de faire entendre leur voix.
M. Stanislas Bourron. - C'est pour nous une préoccupation quotidienne, qu'il n'est pas toujours simple de faire entendre - mais j'ai bon espoir. Le ministère des sports réorganise ses mécanismes depuis quelques mois, en laissant aux élus une place plus importante dans le cadre du Conseil national des sports et de la Commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (Cerfres). Cette dernière voit passer tous les règlements sportifs fédéraux. Elle est maintenant présidée par un élu et doit, à notre sens, permettre de stopper les évolutions les plus problématiques.
On dispose depuis quelque temps d'un mécano permettant d'intervenir en amont, ainsi que vous le souhaitiez, sans entrer dans la fédération. Il est en effet désormais possible de faire valoir l'impossibilité de réaliser certains travaux, soit au regard de leur volume, soit au regard des délais demandés. Il faut que les élus désignés pour siéger dans ces instances soient les parfaits représentants des collectivités dont ils émanent, afin d'imposer leurs points de vue.
Il peut parfois exister des conflits entre certaines logiques d'amélioration des équipements sportifs ou des savoir-faire, et les contraintes matérielles qui nous rattrapent tous, particulièrement en ce moment.
Les collectivités locales appelées à siéger dans ces instances doivent être très attentives : elles pourront ainsi limiter - voire supprimer - les dérapages qu'on a pu identifier.
M. Michel Savin, président. - Quels points notre mission pourrait-elle mettre en avant ?
M. Stanislas Bourron. - Votre mission, dans son principe, et dans les thématiques que vous avez souhaité aborder, touche à des thèmes importants. Il serait intéressant qu'elle puisse, sans risque, ni contentieux, parvenir à fournir un cadrage aux collectivités et aux opérateurs sportifs, afin de faire évoluer les infrastructures. Peut-être faut-il aussi établir des recommandations prudentielles ?
La libre administration, constitutionnellement reconnue pour les collectivités, nous amène cependant à être réservés à propos de mesures trop contraignantes - interdiction de subventions, délimitations drastiques... Le droit ne l'interdit pas, mais il faudrait éviter de tomber dans des situations contestables. Les collectivités doivent, si elles sont compétentes, pouvoir intervenir avec une relative marge de manoeuvres, le législateur pouvant les contraindre, mais dans une mesure répondant à l'intérêt général.
Difficile, donc, d'échapper à toute intervention. Cela pourrait régler beaucoup de débats, mais semble compliqué - sauf à considérer que les collectivités n'ont plus à intervenir en matière sportive. Je pense que notre pays aurait quelque difficulté à survivre à une telle évolution.