Mardi 8 octobre 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -Adoption du rapport
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Ce rapport a pour ambition de présenter une vision stratégique et prospective de nos territoires à l'horizon 2025. Son axe principal est de plaider pour une confiance accrue envers l'action de ces territoires, dont la République a besoin pour fonctionner efficacement. Lors de nos auditions, nous avons entendu des observateurs, et non des acteurs directs de la décentralisation, dans le but d'élargir notre vision. En revanche, lors de nos trois déplacements en province, nous avons rencontré des élus de terrain, et recueilli leurs sentiments. Notre objectif, au rapporteur et à moi-même, est de proposer un regard non partisan sur l'évolution optimale de nos territoires, évolution qui conditionne largement l'avenir de notre pays.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - En préambule, le rapport confirme l'émergence de fortes inégalités territoriales, décrit les destins divers des collectivités face aux contraintes économiques et démographiques, et recherche les moyens les plus efficaces pour établir, non une stricte égalité, mais une équité en fonction de ces contraintes. L'arrivée massive des nouvelles capacités numériques, avec le développement de la très haute définition, permet d'envisager une nouvelle organisation des services publics grâce à une « porte d'entrée » virtuelle. Il s'agit là d'un élément clé pour répondre à l'exigence d'équité. Le rapport souligne combien la principale réforme de la fiscalité locale intervenue ces dernières années, la suppression de la taxe professionnelle au profit de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, a accru les difficultés des territoires fortement industrialisés, déjà touchés par la crise économique.
Pour que l'action publique soit efficace, elle doit être réalisée par des personnes aisément identifiables par nos concitoyens. Le dispositif territorial doit donc privilégier un circuit de décision garantissant responsabilité, efficacité et réactivité. Dans cette perspective, il convient prioritairement de définir les missions qui incombent à chaque niveau de collectivités, et qui conditionnent les compétences qu'elles exercent respectivement. Pour chacun des trois niveaux, la clarification doit s'effectuer conformément au principe de subsidiarité, pour aboutir à satisfaire au plus près les besoins des citoyens.
La République doit concilier unité et diversité : à l'État de garantir l'unité, mais aussi de reconnaître l'existence de spécificités locales, sans qu'elles conduisent à des statuts « ad hominem » pour chaque territoire. Ces spécificités requièrent la possibilité, encadrée, d'adapter la loi aux réalités des territoires. Je pense ainsi que les dispositions de la loi de 2005 sur l'accessibilité des transports publics aux handicapés n'auraient pas rencontré les difficultés d'application que nous connaissons s'il avait été possible d'en moduler la mise en oeuvre, qui ne peut être identique en zone dense et en zone rurale.
Ces réflexions conduisent à préconiser dix axes pour une réforme : tout d'abord, pour assurer une présence optimisée et renouvelée de l'État dans les territoires, faire évoluer ses rapports avec les citoyens, notamment grâce au numérique. La création de nouveaux guichets numériques de l'État suppose la définition préalable d'un schéma d'accessibilité des territoires.
Le deuxième grand axe de notre rapport concerne les régions, que nous souhaitons plus fortes et plus étendues qu'aujourd'hui. Si certaines régions disposent d'une légitimité historique certaine, on constate trop souvent un manque de cohérence globale.
Le niveau régional actuel présente deux défauts majeurs. D'abord, la dimension des régions n'est pas adaptée aux grands choix stratégiques. Comment concevoir par exemple de grands projets d'infrastructures portuaires quand près de la moitié des régions métropolitaines ont accès au littoral ? Les régions souffrent également d'une trop faible visibilité. Moins nombreuses, elles pourraient s'affirmer comme de véritables interlocuteurs pour l'État ou les instances de l'Union européenne.
Aujourd'hui, les régions ont tendance à assurer des compétences de proximité qui devraient relever d'autres niveaux de collectivités, comme les communes ou les intercommunalités. Il faut qu'elles s'en dégagent pour mieux asseoir leurs missions stratégiques de long terme. Cela suppose de donner plus de cohérence et de force à leur rôle en matière économique, de formation professionnelle, de recherche...
Nous n'avons pas souhaité dessiner de nouvelle carte des régions, même si nous avons des idées ! On pourrait sans doute discuter des frontières, mais ce qui compte, c'est d'atteindre un objectif de huit à dix régions.
Le troisième axe du rapport vise à donner un nouvel avenir aux départements. Nous pensons vraiment qu'il faut réaffirmer la pertinence de ce niveau de collectivité, gage de solidarité sociale et territoriale. Dans des domaines comme la protection de l'enfance ou la politique en matière de handicap, les départements constituent le bon niveau d'intervention. Dans les zones rurales, notamment, ils restent irremplaçables. Il est toujours possible d'inventer autre chose, mais on risquerait fort de perdre du temps sans trouver de meilleure solution...
Nous avons donc préféré raisonner à partir de l'existant. Il faut garantir au département un rôle de coordonnateur des intercommunalités rurales. Il doit pouvoir remplir une mission de fédérateur des initiatives quitte, dans certains cas, à s'associer à d'autres départements. Je n'ai rien contre des coopérations intelligentes, voire même des fusions délibérées, mais il importe de conserver la légitimité démocratique des assemblées départementales, dont les citoyens connaissent les élus. Le nouveau mode de scrutin binominal restera local !
Je défends aussi la création de conférences départementales des exécutifs, dont j'ai pu mesurer tout l'intérêt en Haute-Saône. Il est nécessaire de réunir plusieurs fois par an les présidents des intercommunalités et les élus départementaux pour qu'ils travaillent ensemble. Si c'est utile, le préfet peut être associé à ces conférences.
Si les départements doivent donc continuer à jouer tout leur rôle dans les zones rurales, à l'inverse, leur action dans les zones métropolitaines denses peut être débattue.
Notre quatrième axe est celui d'une intercommunalité de nature coopérative. La loi du 16 décembre 2010 a achevé l'intercommunalité, dont plus personne ne conteste vraiment les fondements. Elle permet aux communes de réaliser les projets qu'elles ne pourraient pas mener à bien seules. À moins qu'on ne décide de changer de logiciel et de supprimer les communes, les intercommunalités doivent toutefois rester des coopératives. Je connais un Hollandais qui me dit souvent que son pays compte 400 communes quand le seul département de la Haute-Saône en a 545 ! Mais, en France, nous sommes attachés à nos communes et à cet héritage, que nous voulons préserver. Si l'intercommunalité continue de reposer sur une logique de coopérative, elle devrait continuer à s'enrichir.
En revanche, toute contrainte risque d'être contreproductive et d'entraîner des reculs. Par exemple, rendre obligatoire le PLUi par une loi, alors que dans de nombreux cas, le transfert est en train de s'effectuer de lui-même sous l'impulsion de certaines collectivités, est contraire au principe qui a toujours guidé la mise en place de l'intercommunalité. La coercition ne fonctionne pas en ce domaine.
S'agissant de Paris, nous entérinons la proposition de Philippe Dallier et René Vandierendonck de différencier la zone urbaine dense du reste du territoire francilien. Nous reconnaissons également la difficulté, à terme, du maintien du département dans les zones denses. Nous sommes donc favorables à la création d'une nouvelle collectivité du Grand Paris, en remplacement des quatre départements actuels de Paris et de la petite couronne, à l'horizon 2020.
La question de la place des parlementaires dans la décentralisation est apparue en cours de mission, nous n'y avions pas songé à l'origine. Je suis, personnellement, opposé au non-cumul. Mais nous nous sommes demandé quel rôle joueront les parlementaires dans ce nouveau cadre. Ils risquent de multiplier les contrôles du Gouvernement, et celui-ci voudra alors trouver un moyen de les occuper autrement ! C'est pourquoi nous avons fait quelques suggestions, parfois sous forme de clins d'oeil, qui ont surtout pour objet de mettre en évidence le problème qui risque de se poser. Il faudra réunir les parlementaires dans les territoires, pour leur exposer les questions qui s'y posent, sinon ils seront aveugles...
M. Yves Rome. - ... et sourds !
M. Yves Krattinger, rapporteur. - C'est pourquoi nous proposons d'instaurer des collèges départementaux et régionaux des parlementaires qui pourraient être associés aux politiques et décisions relevant de l'action territoriale de l'État, et même des collectivités. Car je plains les parlementaires qui ne seront pas en mesure de répondre aux questions qui leur seront adressées ! Et le jour où les jeunes énarques seront divisés en deux cohortes, l'une rue de Lille, l'autre rue de Solférino, et siègeront au Parlement sans être passés par le « purgatoire territorial », alors l'Assemblée nationale et le Sénat auront grandement besoin de se doter de moyens d'expertise propres !
Concernant les finances locales, le système est devenu inégalitaire et de moins en moins lisible. J'ai voté une multitude de budgets dans diverses collectivités, et cet exercice s'avère de plus en plus difficile. De plus, à force de complexifier, il n'y a plus beaucoup d'experts dans cette matière - à part notre collègue Charles Guené !
Une véritable solidarité doit être mise en place pour répondre aux inégalités territoriales qui sont flagrantes et accrues dans le contexte de la mondialisation. Quant à l'autonomie fiscale, elle doit être traitée avec prudence car il pourrait en résulter un accroissement des recettes pour les plus riches, alors que dans les territoires pauvres, les taux devront être très élevés pour générer quelques recettes - à moins que ces territoires ne renoncent à tous services !
S'agissant du système juridico-financier des intercommunalités, j'avais déjà écrit qu'il fallait le simplifier, mais pas aussi bien que l'expert que nous avons rencontré à Rennes. Nous disposons, en France, de dix formules de coopération intercommunale, qu'il est de plus en plus compliqué de comparer entre elles. Nous avons besoin à la fois de moyens d'expertise et d'un système redevenu lisible, afin que les contribuables puissent comparer les feuilles d'imposition entre elles, surtout s'ils sont toujours plus mobiles. Est-ce que les différences de dotation d'intercommunalité par habitant sont normales ? Il faut que l'État aide plus ceux qui ont le moins de services, et non l'inverse !
Nous formulons un objectif : ramener de dix à une les formules fiscales l'intercommunalité avant 2020 en commençant par les communautés de communes.
Le cap du pouvoir réglementaire local devra être franchi d'ici à 2025 si on veut que les lois soient mieux appliquées et efficaces. Il faut reconnaître un pouvoir d'adaptation aux particularités locales.
Ce pouvoir réglementaire adapté nécessitera un cadre juridique nouveau sous la forme de loi-cadre territoriale fixant les objectifs fondamentaux. C'est le Parlement qui déterminera la marge du pouvoir réglementaire local. Tous les domaines ne le justifieront pas. En aucun cas, cela ne doit aboutir à une adaptation locale des normes pour des motifs de capacités financières. La République doit donner aux territoires pauvres les moyens d'appliquer la loi dans son intégralité.
L'instruction unique : on en avait beaucoup parlé en 2009 lors des travaux de la mission sénatoriale présidée par notre collègue Claude Belot. Elle est à la base d'une action publique locale efficace et moderne alors qu'aujourd'hui, on constate partout des redondances coûteuses.
Je vous propose donc d'adopter le principe de l'instauration d'un dossier d'instruction unique qui implique la mise en place de guichets « inter-collectivités territoriales ». Il faut faire en sorte que nos interlocuteurs soient des gens heureux !
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Le rapport s'articule entre une introduction stratégique et dix propositions.
Je peux les regrouper en trois thèmes. Premier thème : « stop aux doublons » ; la cohésion au département ; faisons en sorte que la région ait suffisamment de puissance pour s'occuper d'un certain nombre de sujets, que le département ait assez de proximité pour assumer les autres, qu'on évite la cantonalisation de la région. Deuxièmement, l'intercommunalité, le collège plutôt que la hiérarchie. Troisièmement, la simplification sous différentes formes avec le guichet unique notamment.
Voilà quelques idées clés appuyées sur le pragmatisme. Voilà ce qui fait que je partage les conclusions de ce rapport.
M. Éric Doligé. - Je présente mes félicitations au président et au rapporteur. Ce rapport me fait extrêmement plaisir ; j'ai l'impression qu'on s'est échappé de la pression extérieure et de l'hémicycle. On peut parvenir à un consensus. Il s'agit de propositions claires, assorties d'une certaine souplesse autour des directions données. C'est un système qui doit permettre à l'action locale de fonctionner et d'être compréhensible par les citoyens.
Dans le texte du rapport, j'ai retrouvé beaucoup d'idées que nous avons exprimées, les uns et les autres, à un moment donné. Ici, elles sont bien articulées les unes par rapport aux autres. Maintenant j'espère qu'on pourra les mettre en pratique ; il faudrait presque qu'on puisse en faire une loi immédiatement. Cela éviterait les difficultés qu'on rencontre dans l'organisation de nos collectivités.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Il était important de redéfinir une pensée qui est devenue confuse sur le sujet. Si on parvient à un consensus autour de quelques idées, notre pari sera réussi.
M. René Vandierendonck. - Tout d'abord, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire un texte aussi limpide.
Ensuite, il est rare dans l'histoire parlementaire d'avoir un projet de loi portant sur les régions et un autre relatif aux départements. Cette conjonction rendait nécessaire la réflexion que nous avons engagée.
Enfin, le débat d'hier sur les normes a clarifié la question du pouvoir réglementaire, en soulignant la nécessité de reconnaître un tel pouvoir aux collectivités territoriales. Je note que le Conseil d'État, par une pure coïncidence, vient de publier son rapport thématique annuel consacré au droit souple dans lequel il considère que le droit, tel qu'il est conçu aujourd'hui, doit évoluer. Ainsi, pour certaines prestations, le département devrait bénéficier d'un pouvoir réglementaire d'adaptation pour leur attribution. Il en sera de même pour les régions, en raison de leur logique d'animation stratégique d'un territoire.
Le poids des normes est patent, en particulier en matière d'urbanisme lié aux deux Grenelle. C'est pourquoi on pourrait définir des objectifs à atteindre, par exemple dans le foncier agricole ou en matière de performances énergétiques. On peut y arriver. Une partie du problème est en nous. Ne nous autocensurons pas. Osons innover.
S'agissant des départements, je partage l'analyse du rapporteur. Le département conserve toute son utilité. Toutefois, le débat que nous venons d'avoir sur le projet de loi Métropoles montre que la notion de chef de file mérite d'être précisée. Il faut absolument approfondir cette question-là.
M. Yves Rome. - Je félicite le tandem composé par notre rapporteur et notre président, qui nous a livré ses conclusions avec clairvoyance et passion. Plus qu'une révolution à laquelle certains nous avaient invités - l'avenir des territoires ne se traite pas dans les cabinets -, le rapport nous propose une adaptation de la décentralisation gagée sur l'efficacité.
Nous sommes au service de nos concitoyens, au travers des réseaux qui vont bouleverser nos organisations. Je me félicite que cette idée moderne que j'avais formulée aux débuts de nos travaux ait été reprise par notre rapporteur.
Les départements sont confrontés à l'utilité de leur existence alors que beaucoup avaient annoncé leur mort prochaine. Sur la question du chef de filat, je préfère une définition des objectifs reposant sur les compétences exercées. Sur l'aménagement numérique, le chef de filat n'aurait pas permis d'atteindre l'objectif souhaité. Il faut redonner aux territoires la possibilité d'écrire leur avenir.
Mon département appartient à la région Picardie. Sa dimension amène son président à faire de la « cantonalisation », ce qui représente une perte d'énergie et un gâchis.
M. Charles Guené. - Je formulerai deux remarques : d'une part, je souhaiterais que soit plus fortement soulignée la fonction de gestion des intercommunalités, au-delà de la réalisation de projets. Je m'appuie sur l'exemple d'une l'intercommunalité regroupant 54 communes de mon département, qui a un coefficient d'intégration fiscale de 0,78 %, ce qui lui donne une grande latitude de gestion. Il me semblerait également judicieux de mentionner que l'efficacité de la nouvelle péréquation horizontale entre les collectivités doit être mesurée, non seulement à l'aune de la réduction des inégalités mais également en fonction de ma manière dont sont assumées les charges des territoires.
M. Jean-Léonce Dupont. - Je souhaiterais que soit soulignée l'importance du principe de subsidiarité, qui consiste à régler les problèmes au niveau de décision le plus proche possible de ceux-ci. L'intercommunalité doit, en effet, être plus collégiale que hiérarchique. Diminuer le nombre de régions permettra de résoudre les éventuelles redondances entre les niveaux régional et départemental. Cette perspective devrait s'accompagner de la localisation de la capitale régionale sur le modèle californien, qui a choisi Sacramento plutôt que Los Angeles. Ceci permettrait de surmonter les rivalités potentielles, comme celles que je redoute, entre les trois villes principales de Normandie. Par ailleurs, dans la perspective de l'émergence de parlementaires « hors-sol », qui découlera des mandats, je crains que le talent le plus développé réside alors, non dans la capacité d'agir, mais dans celle de communiquer. C'est pourquoi je crains que votre proposition d'associer les parlementaires aux décisions locales ne rende celles-ci encore plus difficiles à prendre.
Par ailleurs, l'autonomie fiscale des collectivités est aujourd'hui tellement réduite qu'on peut considérer qu'elle a disparu. Il conviendrait de l'évoquer, pour souligner la nécessité d'une réflexion spécifique sur ce point.
Enfin, le processus en cours à Lyon est certes le fruit d'un consensus pour modifier une situation antérieure peu satisfaisante, mais je ne peux manquer de m'interroger sur sa finalité ultime. Nous savons tous que la France devrait avoir deux à trois territoires d'influence internationale, mais cette perspective doit nous faire prendre en considération le risque de rivalités entre métropoles et régions, qu'elle ne manquera pas de susciter. Si on ne met pas rapidement en oeuvre la proposition du rapport de diminuer le nombre de régions, je pense qu'il y aura un choc, une opposition, entre les régions d'un côté et les métropoles de l'autre.
Je m'interroge également quant à la vision de la ruralité et à la place du département. Si le rôle du département se limite à la gestion et à la coordination des espaces ruraux, de quelles ressources disposera-t-il ? Car c'est la péréquation entre les zones urbaines et rurales qui procure des recettes aux départements. Si le département n'a d'autre rôle qu'une gestion stricte de l'inter-ruralité, nous ferons face à de grosses difficultés financières mais aussi à de profondes injustices.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Vous avez raison, cette question mériterait d'être approfondie.
M. Jean-Léonce Dupont. - Enfin, j'aurais préféré qu'en plus de la solidarité territoriale, soit affirmé le rôle que le département doit jouer en matière d'aménagement territorial.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je pense qu'il faut que nous posions la question fondamentale de la place du parlementaire : le préfet peut-il distribuer les crédits du budget de l'État, je pense par exemple à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), sans consulter les parlementaires, qui votent ce budget ! Je crois qu'il faut réfléchir au fait que les personnes qui vont organiser la décentralisation en seront exclues.
M. Jean-Léonce Dupont. - Je ne sais pas s'il s'agit d'une information vérifiée, mais 50 % des nouveaux députés seraient issus de la région parisienne !
Mme Catherine Troendle. - Je vous félicite de cet inventaire apaisé et très structuré des dysfonctionnements que connaît notre pays. Je suis d'accord pour adapter les normes sur les territoires, mais il ne faut pas que cela aboutisse à proposer des services « au rabais » en fonction des capacités financières des collectivités. Cette idée, François Hollande en avait parlé, notre collègue Éric Doligé l'a reprise dans sa proposition de loi. Mais ce principe, pourtant universellement proclamé, n'a pas été adopté en séance pour des raisons politiques. J'espère que nous parviendrons à dépasser nos clivages et à adopter de telles dispositions.
J'adhère au principe des compétences optionnelles des intercommunalités, je pense qu'il s'agit d'un principe incontournable de l'intercommunalité et gage d'efficacité.
Enfin, s'agissant des régions, je ne reviens pas sur la fusion avortée des départements de la région Alsace. Je crois que vous en avez tiré les bonnes conclusions : les citoyens et les élus locaux sont très attachés à des structures de proximité et c'est exactement le rôle du département.
Je n'aurais qu'un bémol : n'allons pas trop vite, nous avons manqué de pédagogie envers les citoyens pour expliquer le projet de fusion en Alsace.
Mme Mireille Schurch. - S'agissant du non-cumul des mandats, je pense qu'il est important que ce point figure dans le rapport. Il faut, en effet, que parallèlement à cette question, soit évoqué le rôle que devra jouer le parlementaire dans les territoires. Et je suis d'accord avec Jean-Pierre Raffarin : je suis choquée de voir parfois que le préfet dispose du budget de l'État que nous avons voté. Je crois qu'il faut que nous y réfléchissions.
Je regrette que les travaux aient été aussi rapides, alors que l'enjeu n'est pas anecdotique. Ne faudrait-il pas, sur ce sujet, organiser un grand débat national, comme cela a été fait s'agissant de la transition énergétique ?
Il me semble en outre que nous n'avons pas répondu à la question de l'avenir de nos 36 000 communes. Or, celles-ci ont de moins en moins de compétences car elles les délèguent faute de moyens : prend-on acte du besoin des communes ? Considère-t-on que cette proximité de la commune est une chance ou un handicap ? Pour moi, c'est une chance, et je regrette que la mission n'ait pas dit très clairement que l'on ne laisse pas aux communes seulement quelques résidus de compétences.
Enfin, les grands projets structurants sur le territoire doivent relever de l'État, et c'est pourquoi nous ne sommes pas favorables à la création de grandes régions. Il existe de grandes métropoles européennes : confortons-les ! Mais il ne faut pas forcer les régions à se regrouper ; il existe en effet des territoires, comme par exemple en Auvergne, où les départements ruraux dits fragiles ont encore besoin d'être fédérés par une région qui n'a pas d'ampleur européenne, et qui veille au développement économique sur son territoire. J'entends ceux qui disent qu'il ne faut pas « cantonaliser » les régions, mais, Jean-Pierre Raffarin, vous étiez donc opposé au conseiller territorial, car c'était quand même l'idée qui sous-tendait le projet antérieur ?
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je n'y étais pas farouchement favorable...
Mme Mireille Schurch. - Trois phrases me posent un grave problème.
La première est la suivante : « La région est l'instance des choix stratégiques qui doit préparer le territoire régional dans le contexte de la concurrence entre les territoires. » Nous devons organiser notre pays non pas en concurrence mais en collégialité, en partenariat...
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Le producteur de pneus installé à Clermont-Ferrand est en concurrence avec d'autres productions situées dans le monde.
Mme Mireille Schurch. - Nous ne sommes pas en concurrence les uns avec les autres ; là, c'est peut-être un changement de vocabulaire.
La deuxième phrase : «Les élus rencontrés par la mission sont favorables à un désengagement de l'État d'un certain nombre de missions dont ils estiment qu'elles ne devraient pas relever de sa compétence puisqu'il ne dispose plus des moyens nécessaires pour les assumer. »
Que l'État se donne alors les moyens ! Dans ce rapport, j'ai aperçu un affaiblissement du rôle de l'État dans la mesure où on conforte des grandes régions. Je voudrais qu'on réaffirme le rôle de l'État péréquateur, par exemple pour le haut débit.
La troisième phrase : « Un véritable pouvoir décentralisé d'adaptation de la législation aux particularités territoriales. » Attention ! Si la loi n'est pas la même sur tout le territoire, alors on peut s'interroger sur l'égalité entre les citoyens.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - L'égalité peut se réaliser de différentes façons.
Reprenons l'exemple de l'accessibilité aux transports pour les personnes handicapées. Les départements vont traiter les points d'arrêt en accessibilité. La Creuse compte 2 000 points d'arrêt et ne dispose pas des moyens nécessaires pour les mettre aux normes, et en plus cela ne servirait presque jamais. Mais les personnes handicapées doivent être transportées. Le département va donc mettre en place un transport à la demande qui ira chercher la personne chez elle. Mais aujourd'hui la loi ne le lui permet pas. C'est donc l'objectif de la loi qui doit être commun à tous, l'important est que les gens accèdent tous aux services. Mais il faut pouvoir adapter les moyens de le réaliser dans la diversité des territoires, pas d'abaisser la norme parce qu'on n'a pas d'argent. Sinon on va créer de fausses illusions et une insécurité majeure. Je ne combats pas du tout la. Il y a d'autres exemples que la loi de 2005, qui est une belle loi sociale, comme l'isolation des bâtiments.
Mme Mireille Schurch. - C'est la loi que nous devons écrire plus correctement.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Soyons clair : il s'agit d'un rapport globalement décentralisateur...
M. Yves Krattinger, rapporteur. - ... et très républicain.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Il faut adapter le chemin à l'objectif.
M. Dominique de Legge. - La mission est parvenue à un rapport équilibré, apaisé et responsable. Dans le contexte actuel, ce n'est pas anodin et cela permet au Sénat de démontrer son utilité.
Je ferai trois observations : sur le rôle des parlementaires, je me suis interrogé dans un premier temps sur la pertinence du maintien de ce chapitre dans le rapport. Après réflexion, il faut le maintenir ; c'est une manière pédagogique de présenter l'inconséquence de la loi.
Deuxièmement, il faut réaffirmer l'idée que la décentralisation se définit comme la volonté de l'État de transférer des compétences aux collectivités territoriales. Dans le même temps, quand l'État transfère, il devrait en parallèle recentrer et renforcer son action dans les politiques qu'il conserve. C'est pourquoi, il faut insister sur cette idée que l'État continue d'exercer certaines compétences qui ne devraient pas relever de son niveau.
Troisièmement, sur la question des normes, il faut passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultats. Il s'agit, il est vrai, d'un exercice difficile.
M. Marc Daunis. - Je suis agréablement surpris de voir le résultat de notre mission. Aux débuts de nos travaux, je ne pensais pas que nous parviendrions à un rapport de cette qualité. Il réaffirme une vision de la décentralisation conforme à notre culture et notre histoire et il propose trois éléments fondamentaux.
Premièrement, je n'ai pas compris la critique de Mme Schurch : la commune est et demeure la base du système coopératif. Il n'est pas inutile de rappeler ce point de départ. Je partage la notion de coopérative de communes. Il ne s'agit pas de mythifier l'autonomie des communes. Organiser la solidarité entre les communes se fait plus efficacement et avec plus de souplesse dans les coopératives. Ce qui représente des sommes importantes pour une commune rurale est moindre ou peu visible pour une communauté d'agglomération.
Deuxièmement, la relation avec le citoyen est omniprésente et structure la réflexion du rapport. Sur certains territoires, le conseil général ou la métropole seront plus légitimes à assumer certaines missions. Je ne pense pas que l'on puisse résumer le conseil général à l'inter-ruralité.
La région : huit ou dix ? Je n'en sais rien. Le mouvement proposé est intéressant. Il ne faut pas se focaliser sur le nombre, mais sur le pouvoir réglementaire adapté pour se rapprocher du terrain et sur la nécessité d'une mission stratégique. La région est un lieu de cohérence.
Troisièmement, le chapitre sur les parlementaires affaiblit le rapport. Il devrait être en annexe. La réflexion est d'une telle force que ce serait dommage de le maintenir en l'état.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Il nous est apparu utile de poser la question du rôle des parlementaires dans la décentralisation de demain.
M. Yves Krattinger, rapporteur. - Peut-être aurait-on dû se contenter de poser la question sans y apporter de réponse.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je voudrais conclure notre réunion en remerciant le rapporteur. Finalement, nos contraintes de délais nous ont permis d'être plus efficaces et de nous concentrer sur les lignes directrices !
La mission commune d'information adopte le rapport et en autorise la publication.