- Mardi 19 février 2013
- Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de M. Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF)
- Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de M. Jérôme Guedj, représentant de l'Assemblée des départements de France (ADF)
- Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, et Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille
- Mercredi 20 février 2013
- Audition de Mme Nicole Belloubet, candidate proposée par M. le Président du Sénat à la nomination au Conseil constitutionnel
- Audition de Mme Nicole Maestracci, candidate proposée par M. le Président de la République à la nomination au Conseil constitutionnel
- Avis sur des nomination au Conseil constitutionnel - Votes et résultats des scrutins
- Création d'une commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage - Nomination d'un rapporteur et examen du rapport pour avis
- Nomination au Conseil constitutionnel - Résultats du vote organisé au sein des deux assemblées
- Article 11 de la Constitution - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
- Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de représentants de l'Agence française de l'adoption
- Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de M. Dominique Baudis, Défenseur des droits
- Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de Mme Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme
- Jeudi 21 février 2013
- Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de représentants du Conseil supérieur du notariat
- Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de représentants du Conseil national des barreaux
- Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de M. André Nutte, président et M. Raymond Chabrol, secrétaire général du Conseil national d'accès aux origines personnelles
- Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de Mme Marie-Pierre Hourcade, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, Mme Anne Bérard, présidente de chambre au TGI de Paris et M. Daniel Pical, magistrat honoraire
Mardi 19 février 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de M. Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF)
La commission poursuit ses auditions publiques sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Elle entend tout d'abord M. Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF).
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous entamons cette troisième semaine d'auditions sur le texte sur le mariage pour tous, preuve que le Sénat se donne le temps d'examiner les sujets de haute importance. Cela a d'ailleurs été remarqué.
Pour commencer, je suis très heureux d'accueillir M. Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF). Bien que député - ne prenez pas négativement cette proposition circonstancielle de concession -, il n'ignore pas que la Haute Assemblée représente les collectivités territoriales de la République. Si nous n'avons jamais eu une vision restrictive de cela, le président d'une association qui réunit 36 700 maires de France est ici chez lui.
Par parenthèse, on évoque parfois des textes rejetés par le Sénat, faute de majorité. On oublie trop souvent de dire qu'il a voté à l'unanimité la proposition de loi que Mme Gourault et moi-même avons déposée sur les conditions d'exercice des mandats locaux, ou celle portant création d'une Haute autorité chargée du contrôle et de la régulation des normes applicables aux collectivités locales. Puissent ces textes prospérer à l'Assemblée nationale.
M. Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF). - Merci pour votre accueil. Nous travaillons en commun sur des textes. Nous avons accolé nos noms à une loi sur les Commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI), votée quand la majorité de nos deux assemblées ne coïncidait pas. Je m'efforcerai de favoriser le cheminement des deux propositions que vous avez citées.
L'Association des maires de France (AMF) que je préside représente tous les maires de France avec leurs sensibilités. Je l'ai dit à François Hollande lors de notre congrès en novembre 2012, nous n'avons pas vocation à prendre une position sur le fond du texte. Les maires marient au nom de la loi - « au nom de la loi je vous déclare unis par le mariage »... Ils respecteront la loi. Je l'ai également dit à Mme Taubira, le rôle de l'AMF est de faire respecter la loi, mais aussi de tenir compte de la conscience des maires. D'où les trois amendements que nous avons déposés à l'Assemblée nationale. Le seul adopté, d'ailleurs à l'unanimité, concerne le lieu du mariage : il élargit la faculté de choisir la commune du mariage au lieu où l'un des parents d'un membre du couple réside. Il met ainsi fin à une hypocrisie. Je souhaite que le Sénat le maintienne, avec la précision ajoutée par le rapporteur : le choix de la commune intervient « à la demande des époux ».
Le deuxième concernait la clause de conscience - un terme que je n'ai jamais utilisé. Le président de la République, lui, l'a fait, avant de se rétracter. Pour respecter la conscience des maires, il faut assouplir les règles des délégations octroyées par le maire à un conseiller municipal pour la célébration d'un mariage. A l'heure actuelle, cette délégation n'est possible qu'en cas d'absence ou d'empêchement du maire et des adjoints. On assiste à des situations un peu hypocrites : quand je délègue ma compétence à un conseiller municipal pour qu'il marie son enfant, je ne peux être présent, même quand il s'agit d'amis ; de même, il y a des délégations permanentes dans les grandes villes avec un tour de rôle des conseillers municipaux, alors que cette délégation ne peut qu'être spécifique. Donc, il convient de dire la vérité et d'évacuer la condition de maladie ou d'empêchement, car à quoi bon mentir ? Il faudrait écrire : « le maire peut déléguer à un conseiller municipal le soin de procéder à la célébration de mariages », point à la ligne.
Troisième amendement, que faire si tous les délégués municipaux et le maire refusent de procéder au mariage ? Une telle hypothèse ne peut être exclue, puisque 29 % des maires se déclarent très défavorables au mariage pour tous et que 23% y sont défavorables. Or, force doit rester à la loi. Nous devons prévoir un taquet : l'on sollicitera le procureur de la République. Celui-ci donnera instruction aux maires de procéder à la cérémonie. Le procureur de la République intervient déjà aujourd'hui quand le maire se trouve confronté au mariage d'un étranger en situation irrégulière ou lorsqu'il soupçonne un mariage arrangé, par exemple.
Les maires sont respectueux de la loi, il importe que celle-ci autorise le respect de leur conscience.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Votre deuxième amendement vise simplement à faire correspondre la loi à la réalité, il est tout à fait acceptable.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Votre premier amendement sera maintenu.
Quant à vos deux autres amendements, il y a une clause de conscience pour les médecins sur l'avortement, mais ceux-ci sont des professionnels libéraux. Tel n'est pas le cas des officiers d'état civil que sont les maires. La saisine du procureur de la République est déjà possible lorsque se présentent des difficultés. Sous réserve d'un examen plus approfondi, vos amendements ne me posent pas de problème. Sur un plan politique, rassurer des collègues maires, si nous pouvons le faire, ira dans le bon sens.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - Je vous donnerai un témoignage : en tant qu'adjointe au maire à Nantes pendant vingt-deux ans, j'ai été appelée à assurer des permanences lorsque quinze ou vingt mariages étaient programmés le même samedi...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Procéder à un mariage est un moment privilégié dans la vie des élus : les gens arrivent contents à la mairie et en ressortent heureux. Ce n'est pas toujours aussi gratifiant !
M. Jacques Pélissard. - Le rapporteur est en phase avec mes amendements et son analyse correspond à la mienne. J'ai effectivement entendu parler des permanences à Nantes. Ce n'est pas très légal.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - C'est la pratique ; de nombreux collègues, je n'en doute pas, soutiendront un amendement de bon sens.
Mme Cécile Cukierman. - Effectivement, il est important que les maires, adjoints et conseillers municipaux se retrouvent dans cette loi qui, je l'espère, sera votée. En revanche, je m'interroge sur le troisième amendement : s'il n'y a pas de suspicion sur la légitimité du mariage, le maire devra y procéder. Etre maire, c'est aussi assumer ses responsabilités, être tenu à des obligations. On n'a pas pris autant de précautions lorsqu'il s'est agi de demander aux maires d'appliquer le service minimum dans l'éducation nationale. Le débat peut-être tumultueux, mais une fois la bataille politique passée, la loi doit être appliquée Nous en reparlerons d'ici avril, mais j'ai quelques doutes concernant de votre troisième proposition.
M. Jean-Pierre Leleux. - Je partage totalement les deux premiers amendements ; Quant au troisième, la comparaison avec le service minimum ou avec les futurs rythmes scolaires ne tient pas, à mon sens. Une divergence politique ne relève pas de la conscience. Le mariage pour tous touche-t-il, quant à lui, à la liberté de conscience, ce projet est-il du ressort de la conscience ? Oui. Le président de la République ne pense pas autrement. Il a cité ce terme par deux fois lors du congrès des maires, ce qui lui a valu des applaudissements. Il a également évoqué des délégations extensibles - ce n'est pas anodin. Votre proposition marque un pas dans la reconnaissance de la liberté de conscience que je souhaite voir inscrite dans la loi. Depuis la Révolution, le maire, quand il marie, recueille les naissances et enregistre les décès, est un agent de l'Etat, un officier d'état civil. A l'étranger, c'est l'ambassadeur qui joue ce rôle de délégué de l'Etat.
Dans mon département, des conseils municipaux unanimes ont demandé la clause de conscience. Pour ces cas-là, pourquoi ne pas rendre cette mission à l'Etat ? Le préfet ou le sous-préfet organiserait alors le mariage.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je donnerai des précisions au sénateur-maire de Grasse : donner au préfet ou au sous-préfet le soin de marier dévaloriserait la fonction du maire. Un mot de droit comparé : la clause de conscience pour les maires n'est pas admise, même en Espagne, où le tribunal suprême a invoqué un devoir inconditionnel d'obéissance au droit de la part des maires. Elle ne l'est pas non plus en Belgique. Une possibilité de délégation est prévue dans les pays européens protestants, mais pour les pasteurs ! Et dans ce cas, les futurs époux sont orientés vers un autre pasteur qui accepte de les marier. La question a donc été résolue par la négative pour le mariage civil, et de manière oblique lorsque le mariage religieux peut en tenir lieu. Le troisième amendement de M. Pélissard dessine une voie médiane. Nous allons donc l'étudier de plus près.
Mme Cécile Cukierman. - J'entends que de telles unions peuvent heurter la conscience de certains, mais il en va de même dans bien d'autres situations. J'ai évoqué tout à l'heure l'atteinte au droit de grève, qui heurte tout autant la conscience de certains. Surtout, lorsque le maire officie, il n'est plus question de la personne, mais de la fonction que l'on exerce. De deux choses l'une, soit on entre en résistance pour aller au bout de sa logique, soit on applique le droit. Il me paraît paradoxal d'entreprendre de faire évoluer la règle de droit tout en prévoyant les exceptions qu'elle pourrait souffrir, même si souvent, en France, les exceptions confirment la règle...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La loi est notre charte commune, elle fonde le vivre ensemble dans notre République. Aussi devons-nous distinguer ce qui relève de nos convictions politiques et ce qui ressortit à la loi : je présenterai demain un rapport sur le projet de loi organique relatif à l'article 11 de la Constitution, un article contre lequel j'ai pourtant voté.
Le respect de la loi scelle notre pacte républicain. J'étais présent lorsque le président de la République a répondu à M. Pélissard et j'ai entendu ce qu'il a dit ensuite. Les amendements de M. Pélissard sont tout à fait acceptables en ce qu'en dernière instance, le procureur de la République veillera à l'application de la loi.
M. Jacques Pélissard. - M. le président de la commission des lois a tout dit : il convient de conjuguer les délégations ouvertes avec in fine la réalisation du mariage par un élu qui aura reçu instruction du procureur de la République, déjà en charge d'assurer le respect de la loi.
Madame Cukierman, après le vote un peu précipité de la loi sur le service minimum, on a assisté à une vague de déférés préfectoraux devant les tribunaux administratifs. Ensuite, la jurisprudence a distingué entre volonté de ne pas appliquer la loi et impossibilité de la mettre en oeuvre. Après quoi tout est rentré dans l'ordre.
Je remercie également le Sénat d'avoir entrepris de toiletter, dans le texte en navette sur les normes applicables aux collectivités territoriales, l'article 75 du code civil, en supprimant des articles lus aux futurs mariés par l'officier d'état civil, l'article 220 sur la solidarité des dettes entre époux. Autant il est normal de porter les emprunts à la connaissance des époux, autant il était maladroit de le dire dans un moment festif.
J'attire votre attention sur un point : la loi implique l'adoption d'un nouveau logiciel. Il faudra donc prévoir un délai d'un mois entre sa promulgation et son entrée en vigueur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Il revient au procureur de la République de contrôler l'état civil et de donner éventuellement des instructions. En revanche, je verrais d'un mauvais oeil que le préfet intervienne dans les affaires des mairies.
Mme Nathalie Goulet. - Les maires s'inquiètent. Cela dit, a-t-on une idée du nombre de demandes de mariages de personnes de même sexe ? Je n'ai pas le sentiment que le Perche ornais sera submergé de demandes.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous ne disposons pas de statistiques précises. Il y a tout lieu de croire que les demandes, comme pour le Pacs, seront plus nombreuses la première année et déclineront ensuite.
Les gens ne rechercheront pas une confrontation : ils se renseigneront avant, pour savoir où aller se marier, y compris dans les communes de résidence de leurs parents... J'aborderai ces sujets en séance de façon minimale pour ne pas déchaîner les passions de part et d'autre.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Les amendements de M. Pélissard sont raisonnables et, malgré les réserves de Mme Cukierman, il y a un assez large assentiment sur le troisième.
M. Jacques Pélissard. - Raisonnables et responsables. Ils concourront au respect de la loi et des consciences.
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de M. Jérôme Guedj, représentant de l'Assemblée des départements de France (ADF)
La commission entend ensuite M. Jérôme Guedj, député, président du conseil général de l'Essonne, représentant de l'Assemblée des départements de France.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous accueillons à présent M. Jérôme Guedj, président du conseil général de l'Essonne et qui a été mandaté par l'Assemblée des départements de France. La pratique antique du cumul des mandats...
Mme Nathalie Goulet. - Féodale !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - ... ayant toujours cours, il est aussi député. Il a fait le sacrifice des questions d'actualité pour venir devant nous.
M. Yann Gaillard. - Quel sacrifice !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le Sénat représente les collectivités territoriales de la République, ce qui ne signifie pas que l'Assemblée nationale ne joue pas aussi un rôle éminent en ce domaine. Nous entamerons le dialogue après votre exposé liminaire.
M. Jérôme Guedj, député, président du conseil général de l'Essonne, représentant de l'Assemblée des départements de France . - J'ai grand plaisir à être ici, au Sénat, où j'ai été, jadis, l'assistant parlementaire d'un sénateur devenu illustre. Je suis ici en qualité de vice-président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée des départements de France et à la demande de Claudy Lebreton. Par honnêteté, disons d'emblée que celle-ci n'a pas pris position sur le projet de loi ; cela découle de son fonctionnement consensuel. Quel est l'impact de ce texte sur les conseils généraux ? Il concerne principalement le volet « adoption », celui du mariage relevant plutôt des maires.
Les conseils généraux sont chargés de la délivrance de l'agrément, en vue d'une adoption, suivant un processus que nous connaissons. Avec la future loi, les personnes de même sexe pourront formuler une demande dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. Pas de dispositif spécifique donc, puisque le fil rouge de ce texte est l'égalité. Les critères de droit commun fixés par le code de l'action sociale et des familles s'appliqueront. Une seule question : les conditions d'accueil, familiales, éducatives, psychologiques, correspondent-elles aux besoins et à l'intérêt de l'enfant ? C'est sur ces seuls critères que pourra se faire l'appréciation.
L'enjeu n'est pas nouveau puisque la réforme de 1966 a ouvert la faculté d'adopter aux personnes seules. Des personnes homosexuelles en usent, sans mettre en avant le fait qu'elles vivent en couple, même si les services le devinent parfois.
Dans un arrêt du 22 janvier 2008, qui mettait en cause le conseil général du Jura, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé au nom du principe de non-discrimination, qu'il ne pouvait y avoir refus d'agrément en raison de l'orientation sexuelle du couple. Depuis, beaucoup de conseils généraux se sont emparés du sujet pour s'assurer qu'il n'y a pas discrimination, franche ou insidieuse, arguant de l'« environnement familial ».
Il faut néanmoins sortir de cette situation hypocrite et bancale, où les demandeurs homosexuels sont incités, dans un grand moment de vérité, au déni de leur vie de couple. J'ai voulu, comme président du conseil général, inverser résolument la tendance, pour que l'évaluation de la capacité des requérants ne soit pas déconnectée de leur environnement. Je l'ai clairement revendiqué en juillet 2011 dans un dossier où la requérante avait fait état de sa vie en couple homosexuel, avec une femme qui avait elle-même un enfant. En reconnaissant le mariage de ces couples, on met fin à l'hypocrisie.
Après être intervenu dans le débat de manière tonitruante, j'ai proposé à l'ADF une charte de l'adoption sans discrimination, qui a débouché à Evry, en avril 2012 sur un colloque « Adoption et homoparentalité », dont les actes sont accessibles sur Internet. Nombre des intervenants sont ceux que vous allez entendre sur ce texte.
Le cumul, temporaire dans mon cas, puisque je siège à l'Assemblée nationale comme suppléant, m'a donné l'occasion d'assister à 109 heures de débat. Toutes ces questions n'y ont que peu été abordées, si ce n'est pour s'interroger sur une éventuelle augmentation des demandes d'agrément. Il faut ici raison garder. La loi, qui va légaliser des situations de fait, se traduira surtout par des adoptions intrafamiliales. Quant aux adoptions internationales, les couples de même sexe sont lucides sur les risques de se voir opposer une fin de non recevoir par bien des pays comme l'Ukraine, la Russie, la Chine ou Haïti. Il n'y aura pas d'appel d'air : ce n'est pas cela qui menacera l'équilibre financier de nos conseils généraux.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La question est loin d'être marginale. Merci de ces éclairages.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - J'ai, huit années durant, été vice-présidente du conseil général de Loire-Atlantique ; en charge de la protection de l'enfance, je présidais le conseil de famille et signais les agréments. Il y avait pas mal d'hypocrisie : quand nous donnions un agrément à un célibataire, nous pressentions des souffrances et devinions qu'un aspect de la personne était masqué. Reste que l'agrément ne donne pas un enfant. Or on constate déjà en Russie une certaine suspicion sur les demandes de célibataires ou de couples homosexuels. Ce texte présente surtout un intérêt parce qu'il autorise l'adoption de l'enfant du conjoint.
Il importe d'avoir un débat sain et complet sur la question, tant on entend d'approximations voire de contrevérités, notamment sur l'adoption plénière. Quand une femme accouche sous secret en France, elle peut donner son identité sous un pli fermé, que l'enfant pourra ouvrir à sa majorité ou avant, s'il est accompagné de ses parents. L'adoption plénière ne fait pas obstacle à l'accès aux origines.
Mme Esther Benbassa. - Durant cet exposé très complet, vous avez évoqué l'adoption internationale, sur laquelle nous n'avons pas prise. Puisque très peu d'enfants français sont adoptables, l'agrément n'a plus de signification. Ne pourrait-on y remédier en passant des avenants à nos accords internationaux ?
M. Jean-René Lecerf. - Ouvrir l'adoption aux couples homosexuels ne doit pas entraîner des conséquences dommageables sur les projets des personnes célibataires. Il arrive qu'après qu'un couple s'est effiloché, l'un des deux conserve un projet d'adoption. Des célibataires souhaitent adopter. Pourquoi le nombre d'adoptions par des hommes célibataires est-il encore plus dérisoire que par des femmes célibataires ?
Mme Nathalie Goulet. - Lorsque vous présumez que l'adoption est demandée par un couple homosexuel, le portez-vous au dossier ? Je m'inquiète toujours des fichiers.
M. Jérôme Guedj. - Cette loi a une vertu messianique : elle nous invite à nous interroger tant sur l'adoption dans notre pays que sur la procréation médicalement assistée (PMA), le statut des tiers....
Le dispositif actuel de l'adoption n'est pas satisfaisant. Je souhaite que la loi à venir sur la famille soit l'occasion d'y revenir. Pour l'adoption internationale, on est à moins de 1 500 à 1 700 enfants adoptés, contre 4 000 il y a quelques années : c'est extrêmement préoccupant. Peut-on passer des conventions avec des Etats ?
Des inquiétudes se sont manifestées dans le débat à l'Assemblée nationale : ne va-t-on pas assécher le vivier de l'adoption pour les autres couples ? On a tout entendu, d'aucuns sont allés jusqu'à demander que des parents mourants puissent interdire explicitement l'adoption de leurs enfants par des homosexuels. Je ne crois pas à la concurrence : pour l'essentiel, l'adoption sera celle du conjoint ; ce sera, en quelque sorte, une adoption intrafamiliale de régularisation.
En France, nous avons un problème avec l'adoption plénière : moins de 2 500 enfants ont le statut de pupilles de l'Etat, et très peu sont proposés à l'adoption. La tradition du maintien du lien avec le parent biologique reste très forte. Le délaissement parental n'est pas pris en compte comme dans le droit anglo-saxon.
L'adoption passe par un processus itératif : un colloque singulier, de confiance, s'établit entre le demandeur et les services du conseil général. C'est pourquoi, en juillet 2011, j'ai tenu à faire figurer dans la motivation de l'agrément délivré dans l'Essonne, l'existence d'un vrai lien d'amour entre deux personnes de même sexe. Tout en ayant franchi une étape importante, elles savaient qu'avoir affiché leur sincérité, compliquerait leur parcours du combattant. Pour les personnes seules, il n'y a pas de mention, sauf à leur demande expresse. Il faut presque faire abstraction de l'orientation sexuelle de la personne seule ; en même temps, l'on doit éviter une discrimination positive.
Les chiffres ? Quelque 10 % de demandes sont formulées par des personnes seules, très peu d'hommes, et moins de 1 % par des personnes homosexuelles.
Il y a des pays, madame Benbassa, qui ne posent pas de veto à l'adoption par des couples homosexuels. C'est le cas de l'Afrique du Sud.
Mme Cécile Cukierman. - Il faudra nous interroger collectivement, après le vote de ce texte. Quand l'Espagne a autorisé le mariage pour les couples de même sexe, l'adoption internationale dans un certain nombre de pays est devenue plus compliquée pour tous les couples. Sur la question de l'agrément, vous avez dit que l'absence de femme pouvait compliquer les choses. L'on sait trop combien la procédure d'agrément est humainement difficile. Comment rendre les enquêtes plus objectives ? Avez-vous pensé à des actions de nature à éviter que les espoirs suscités par la loi s'effacent devant de telles réalités ?
Mme Virginie Klès. - Certains parents ne donnent signe de vie à leurs enfants placés qu'en envoyant une carte postale par an : est-ce véritablement suffisant pour considérer qu'un lien est maintenu et qu'il empêche l'adoption ?
M. Alain Gournac. - J'ai été vice-président en charge des affaires sociales de mon département des Yvelines, et j'ai été frappé par la façon dont sont instruits les dossiers : il faudra vraiment la faire évoluer pour que les gens n'en sortent pas blessés.
Mme Nathalie Goulet. - C'et vrai.
M. Alain Gournac. - J'ai dû porter à bout de bras un couple cassé par la procédure.
M. Jérôme Guedj. - On compte 25 000 personnes détentrices d'un agrément et un flux de 6 000 demandes nouvelles par an. Comment agissent les équipes des conseils généraux ? Tout est question de bonnes pratiques. Il y a des traditions propres à certains endroits. Le conseil général des Yvelines est bien connu : s'agit-il d'une directive politique ou d'une pratique professionnelle ? On y privilégie, semble-t-il, les personnes mariées. L'enjeu peut être d'éviter de trop grandes disparités. Il est vrai que des personnes sortent cassées de l'épreuve tant on les interroge, tant on fouille leur vie. Pour diffuser les bonnes pratiques, j'ai dit quelle a été ma démarche. Depuis le colloque, nous nous efforçons de construire un réseau afin de pouvoir échanger. Pourquoi se cramponner sur le lien biologique ? N'oublions pas l'adoption simple, qui autorise un enfant à avoir jusqu'à quatre parents. Sachons aussi faire évoluer l'adoption plénière en constatant le délaissement parental plus rapidement.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Plus le politique s'en mêlera, mieux cela vaudra. Non pas que je ne fasse pas confiance aux équipes, mais la question n'est pas technique, et cela rassurera.
M. Jérôme Guedj. - Le rôle des équipes des conseils généraux est très important et celui de l'aide sociale à l'enfance est fondamental. On est toujours sur la crête, on frôle l'intime. Les professionnels ont besoin d'un cadre clair. Les schémas départementaux de l'enfance intègrent de plus en plus ces interrogations sur l'adoption - nous avions assimilé dès 2009 la non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle. En tout état de cause, une politique se définit avec les services, avec leurs équipes stables. Surtout quand des familles suivent des stratégies de localisation en fonction de ce qu'elles savent des pratiques des uns et des autres, l'on a besoin que les dépositaires du suffrage universel définissent des règles transparentes sur lesquelles se fonde le professionnel qui prend la décision.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie de cet éclairage sur la position de l'ADF.
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, et Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille
Puis la commission entend Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, et Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Mes chers collègues, je vous remercie d'être venus si nombreux de toutes les commissions à cette audition. C'est le signe de votre intérêt pour le texte relatif au mariage pour tous, mais aussi pour les deux ministres ici présentes, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, et Mme Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille, à qui je souhaite la bienvenue en votre nom à tous.
Avec le rapporteur de la commission des lois, Jean-Pierre Michel, et la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, Michelle Meunier, nous avons d'ores et déjà mené une trentaine d'heures d'auditions, et notre programme n'est pas fini. C'est le signe que le Sénat tient à se donner le temps nécessaire pour mener à bien ses travaux. Dans cette perspective, l'examen du texte en séance publique a été reporté.
J'ajoute que nous avons mesuré l'engagement que vous avez toutes deux exprimé lors des débats à l'Assemblée nationale.
Sans plus tarder, je donne la parole à Mme la garde des sceaux, pour un exposé liminaire d'une dizaine de minutes.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. - Monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à vous remercier de votre présence et de l'intérêt que vous portez au projet de loi. Au demeurant, cet intérêt n'est pas récent puisque je sais que de nombreux membres de la Haute Assemblée ont déjà travaillé sur le sujet ou sur des questions voisines.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je présume, connaissant les habitudes du Sénat, que vous avez suivi les travaux de l'Assemblée nationale et pris connaissance de la version du texte adoptée par les députés.
Je rappelle que le projet de loi est marqué du sceau de l'égalité, comme l'ont très clairement souligné le président de la République et le Premier ministre. Les dispositions qu'il renferme ne suppriment rien de l'institution du mariage telle qu'elle existe dans notre pays, et qui a été récemment modifiée par plusieurs textes de loi, améliorant l'égalité au sein du mariage et l'égalité de traitement des enfants. Au contraire, certaines dispositions introduites dans ce texte bénéficieront aux couples hétérosexuels.
Les travaux de l'Assemblée nationale ont débuté par les interventions en discussion générale, qui ont permis aux uns et aux autres d'exprimer leur appréciation globale concernant le projet de loi. Par la suite, la discussion des articles s'est poursuivie durant presque deux semaines, avec l'examen de 4 999 amendements. Seuls 17 d'entre eux ont été adoptés. En effet, la plupart des amendements n'étaient que de simples supports à la discussion, dans la mesure où ils ne tendaient qu'à supprimer tout ou partie d'un article ou d'une application de dispositions interprétatives sur des articles du code civil.
J'apporte cette précision non pour dévaloriser les amendements déposés, mais simplement pour expliquer le ratio entre le nombre des amendements défendus et celui des amendements adoptés : plus de 90 % des amendements n'avaient pas vocation à être adoptés, pas même pour leurs propres auteurs.
Les dispositions retenues au titre de ce texte s'inscrivent dans le périmètre que le projet de loi gouvernemental avait déjà déterminé, à savoir l'ouverture du mariage et de l'adoption à droit constant aux couples de même sexe, c'est-à-dire dans les mêmes conditions de consentement et d'âge, et avec les mêmes prohibitions.
Ces interdictions concernaient l'inceste et les mariages consanguins. Elles ont été étendues aux couples de même sexe. Ainsi, la prohibition du mariage entre oncle et nièce se double désormais d'une interdiction du mariage entre oncle et neveu.
Les conditions de sécurité juridique et de protection sont les mêmes pour les conjoints, particulièrement pour le conjoint ou la conjointe le ou la plus vulnérable, ainsi que pour les enfants.
La disposition essentielle, l'épine dorsale de ce texte, c'est l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe. La commission des lois de l'Assemblée nationale a apporté des modifications, et je vais indiquer en substance lesquelles.
Le texte prévoit une disposition de droit international privé qui permet de déroger à la loi personnelle. Le projet de loi précisait « sous réserve des engagements internationaux de la France », mais la commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité supprimer ce membre de phrase. Cela ne change rien dans la mesure où, de toute façon, les conventions internationales s'imposent à nous et sont supérieures, dans la hiérarchie des normes, à notre droit interne. Il revient donc absolument au même de les mentionner ou pas.
La dérogation à la loi personnelle permet que le mariage entre un Français et un étranger ou une Française et une étrangère puisse être célébré même si le pays d'origine de l'étranger ou de l'étrangère ne prévoit pas la possibilité du mariage pour des couples de même sexe.
En ce qui concerne le nom patronymique, le projet de loi initial ne visait que les couples homosexuels, mais la commission des lois de l'Assemblée nationale a préféré instaurer une disposition à caractère général. Vous le savez, ce sujet a été discuté en séance publique, et il est probable que le Sénat souhaitera approfondir cette discussion lorsqu'il abordera les conditions d'attribution du nom patronymique en cas d'absence de déclaration par les parents.
Par ailleurs, quelques dispositions symboliques mais fortes ont été introduites. L'une rappelle le rôle de contrôle, et de surveillance en général, du procureur de la République ; une autre rappelle que l'institution du mariage est une cérémonie républicaine et que c'est en cette qualité que les officiers d'état civil la célèbrent en mairie.
Des dispositions ont également été introduites concernant l'autorité parentale et l'adoption.
Le texte vise à protéger les enfants qui vivent déjà au sein de familles homoparentales, à leur apporter une véritable sécurité juridique. Il permet, par l'adoption, l'exercice conjoint de l'autorité parentale. Jusqu'à présent, seule était possible la délégation de l'autorité parentale, dite délégation partage. En cas de décès, le conjoint survivant pourra donc continuer à exercer l'autorité parentale. Jusqu'alors, cette possibilité dépendait d'une décision du conseil de famille et le conjoint survivant pouvait éventuellement être désigné en qualité de tuteur. Le texte permet également à l'enfant, ou aux enfants, d'hériter des deux parents. Enfin, il permet au juge d'intervenir en cas de divorce et de prendre des décisions qui protègent l'intérêt des enfants.
La petite loi introduit également la possibilité pour le juge de décider du maintien des liens d'un enfant, ou des enfants, avec des parents, en cas de séparation intervenue avant l'entrée en vigueur de la loi. Alertés, notamment par des parlementaires, nous avons souhaité couvrir la situation d'une séparation ayant déjà eu lieu. Compte tenu du fait que la sécurité juridique que je viens d'évoquer n'était pas assurée à ces couples, le juge pourra décider le maintien des relations, s'il l'estime nécessaire à l'intérêt de l'enfant ou des enfants.
Des dispositions concernant la reconnaissance d'un mariage célébré dans un pays qui reconnaît déjà le mariage pour les couples de même sexe ont également été introduites. Les effets de ce mariage sont reconnus d'emblée à partir de la promulgation de la loi, si le Parlement l'adopte. Les effets vis-à-vis des époux, des enfants et des tiers ne seront reconnus qu'après transcription de ce mariage dans le registre d'état civil français. Il est entendu qu'aussi bien la validation du mariage - les conditions d'âge, de consentement, de prohibition - que sa transcription sont soumises aux dispositions du code civil.
Par ailleurs, les dispositions du texte sont étendues aux collectivités d'outre-mer. Celles qui relèvent de l'identité législative savent que la loi s'appliquera directement ; pour les collectivités qui relèvent de la spécialité législative, il était nécessaire de préciser que la loi sera également applicable.
D'une façon générale, ce qui a le plus longuement fait débat, vous le savez, c'est la disposition interprétative que la commission des lois a introduite dans le texte et qui inscrit au début du livre Ier que, lorsqu'il s'agit de couples de même sexe, toutes les occurrences des mots père et mère, grand-père et grand-mère doivent être interprétées comme époux, conjoint ou parents.
Le Gouvernement avait fait un autre choix d'écriture, celui de relever de façon exhaustive les modifications nécessaires au sein du code civil et les dispositions de coordination indispensables dans les autres codes, lois et ordonnances. Cela avait abouti à introduire des modifications dans le titre IX, qui contenait déjà d'ailleurs la notion de parents et les notions d'époux et de conjoints, par les dispositions de coordination que le Gouvernement avait décidé de recenser. Le titre VII, qui concerne la filiation légalement établie, celle des familles hétéroparentales, restait donc inchangé.
Ces modifications ont été envisagées dans un souci d'efficacité : il faut que toutes les mesures relatives au mariage et à l'adoption puissent être appliquées à partir du moment où cette institution sera ouverte aux couples de même sexe. Le Gouvernement a eu le souci de recenser de façon exhaustive les modifications nécessaires pour que la loi soit applicable et ne devienne pas une source de complication pour les citoyens.
La commission des lois de l'Assemblée nationale a choisi une autre forme d'écriture, qui a été assez longuement discutée par les députés. Il vous reviendra de livrer votre appréciation.
Voilà, en substance, ce que contient la petite loi : le périmètre du projet de loi du Gouvernement a été maintenu et des dispositions ont été introduites pour enrichir le texte et régler un certain nombre d'inconvénients. Certaines dispositions auraient pu attendre le projet de loi sur la famille, mais, comme elles ne posaient pas de problème particulier, elles ont reçu l'approbation du Gouvernement, c'est-à-dire de nos deux ministères.
Cela étant, un certain nombre de sujets restent sur la table. Il appartiendra à la ministre déléguée chargée de la famille d'introduire dans le texte qu'elle vous soumettra en fin d'année - elle vous en précisera le calendrier - les dispositions nécessitant davantage d'approfondissement et éventuellement de discussions. Ces points ont d'ailleurs été évoqués pendant près des deux tiers du débat, alors qu'ils n'étaient pas dans le périmètre du présent projet de loi. Je ne pense pas que nous serons confrontés à cela ici, non seulement parce que les sénatrices et les sénateurs sont généralement plus patients et attendront plus volontiers l'examen du texte sur la famille, mais aussi - j'ai suffisamment l'habitude de cette assemblée pour le savoir - parce que le Sénat se préoccupe davantage des questions juridiques que des présupposés autour d'intentions putatives d'un Gouvernement qui ignorerait lui-même ses arrière-pensées.
Voilà l'essentiel en ce qui concerne ce texte. Nous nous tenons évidemment à votre complète disposition pour répondre à vos questions.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je salue Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, qui nous a rejoints.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après l'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale - Christiane Taubira le soulignait en conclusion de son intervention -, nombre de questions allant au-delà même du contenu du texte qui vous est soumis ont été évoquées.
Je prends cette interpellation comme le signe du très vif intérêt que les parlementaires portent à l'évolution des familles dans la société française. En effet, il s'est opéré, depuis les années soixante-dix, une révolution silencieuse qui fait que, aujourd'hui, il n'y a plus un modèle familial unique mais des modèles familiaux que les statistiques, dans leur brutalité, révèlent : un enfant sur deux naît hors mariage ; un enfant sur quatre ne vit plus avec ses deux parents ; un enfant sur cinq vit dans une famille monoparentale et un enfant sur neuf vit dans une famille recomposée.
Si je vous dis cela, c'est parce que le projet de loi, contrairement à ce qu'il a pu être dit, est aussi l'expression d'une revendication de la capacité à fonder une famille quelle que soit sa sexualité. A ce titre, comme le disait Mme la garde des sceaux, il est marqué par le sceau de l'égalité. En ce sens, il suppose non seulement une égalité des droits, mais aussi des devoirs. Cette aspiration à entrer dans une norme, en l'occurrence une norme juridique, a conduit cette revendication à se traduire aujourd'hui dans le cadre du projet de loi.
Je tiens aussi à dire que le projet de loi s'inscrit à la fois dans la lignée des réformes qui ont marqué le droit de la famille et dans la lignée des réformes qui ont concerné l'homosexualité. De la suppression d'un délit en 1981, on est passé à la création du PACS. D'ailleurs, n'oublions jamais que 96 % des PACS sont aujourd'hui conclus par des couples hétérosexuels. On voit donc bien que toute loi d'égalité est une avancée pour l'ensemble de la société.
Un autre point que je voudrais aborder, et qui l'a également été par Christiane Taubira, c'est le fait que le projet de loi est un texte de sécurisation juridique et de protection. Ce qui est réclamé, c'est aussi la volonté d'être protégé.
Nous n'avons aucun jugement de valeur à porter : le fait est qu'il y a, peu importent les chiffres, entre 40 000 et 300 000 enfants qui vivent dans des familles homoparentales dont on sait, en fait, qu'un seul des deux parents est aujourd'hui reconnu. On place donc ces enfants dans une situation d'insécurité et de précarisation en cas d'accident ou de décès de son parent biologique.
Il s'agit donc d'une loi d'égalité et de protection juridique. Le projet de loi ne crée pas de situation nouvelle ; il ne fait, au fond, que conforter et entériner des situations déjà existantes. Il est certes ouvert aux couples de même sexe, mais, d'une façon générale, il fait avancer l'ensemble de la société.
Les questions liées à la filiation qu'a soulevé le débat - qu'il s'agisse de la filiation biologique ou de la filiation sociale - ou celles liées au statut de parent social témoignent qu'il existe une véritable appétence pour que soit prise en compte, avec lucidité, l'évolution de nos familles dans leur très grande diversité.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le Sénat aborde l'examen de ce texte avec sagesse et avec l'objectif de le travailler. C'est la raison pour laquelle nous avons commencé voilà trois semaines environ les auditions publiques, qui ont été suivies par un grand nombre de sénateurs. Chacune et chacun d'entre nous a donc pu se faire une idée des questions qui vont être débattues.
Bien sûr, certaines auditions n'ont pas suscité de surprise, la position de la personne ou de l'association entendue ayant déjà été largement exposée ailleurs. Cependant, concernant trois points au moins, nous avons entendu des idées nouvelles très intéressantes, dont certaines entrent dans le cadre du projet de loi, tandis que d'autres ont trait au projet de loi que Mme la ministre chargée de la famille est en train d'élaborer.
Nous examinerons, avec Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis, le texte tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée nationale. Nous ne voulons pas alourdir ce projet de loi en prenant en compte d'autres considérations, qui ont été largement évoquées à l'Assemblée nationale et ailleurs. Elles ne figurent pas dans le texte qui nous est soumis et n'y seront pas davantage à l'issue des travaux du Sénat.
Nous ne voulons pas non plus couper ce texte, ni amoindrir sa portée. Nous le prenons tel qu'il est, mais examinerons très attentivement, dans le cadre de la discussion des articles adoptés, les points qui peuvent appeler quelques corrections techniques et juridiques, et nous engagerons une réflexion plus approfondie sur certains points que celle qui a eu lieu à l'Assemblée nationale, les débats ayant été, il faut bien le dire, agités - j'en ai connu d'autres à une certaine époque.
Certains des amendements du Gouvernement et des députés méritent donc peut-être d'être quelque peu ajustés. Nous nous y employons en collaboration avec le rapporteur de l'Assemblée nationale. Même si le Sénat amende ce texte, il suivra plus ou moins, me semble-t-il, les lignes directrices qui ont été retenues par l'Assemblée nationale.
Vous les avez vous-même évoqués, madame la garde des sceaux, trois points nécessiteront une réflexion plus approfondie et exigeront que nous y apportions des corrections : la filiation adoptive et le maintien des liens avec l'enfant - je n'entrerai pas dans le détail, mais vous comprenez à quoi je fais allusion -, les dispositions relatives au nom et, enfin, les dispositions de coordination, à propos desquelles nous essayons de trouver la meilleure des solutions possibles.
J'ai tendance à penser que l'article-balai sur le code civil est juridiquement assez fort ; par contre, l'autre me paraît plus faible. En tout cas, je le dis en tant qu'ancien magistrat, il laisse une liberté d'appréciation au juge que, personnellement, je ne peux pas admettre. Les juges ne doivent pas avoir une liberté d'appréciation totale. Or, au vu des dispositions adoptées, ce serait souvent le cas. Aussi, nous pensons peut-être introduire un système à l'espagnole, sous réserve que le Conseil constitutionnel ne vienne pas bousculer notre architecture.
M. Jean-Pierre Sueur président. - Peut-être pourriez-vous préciser, monsieur le rapporteur, ce qu'est un système à l'espagnole ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Il s'agit d'un système proche de celui appliqué en Espagne, qui ferait « masse » des deux articles de coordination et les érigerait en un principe général du droit inscrit en tête du code civil. Cela éviterait les discriminations dans la mesure où il faudrait se référer à cet article pour appliquer les textes, mais je n'en dirai pas plus aujourd'hui.
Je veux dire à Mme Bertinotti, ainsi qu'à Mme Taubira, que nous avons eu trois séries d'interventions intéressantes. Les premières, qui se poursuivront demain, concernent l'adoption.
Aujourd'hui, le statut de l'adoption n'est pas satisfaisant. Aussi doit-il être totalement revu pour tous les couples, quels qu'ils soient. Cela vaut tant en matière législative que, en pratique, pour ce qui concerne les décrets d'application. Lors de l'audition précédente a été évoquée la façon dont les agréments sont délivrés, celle dont les données sont prises en compte, etc. Cette question, qui a été longuement développée, devra, à mon avis, faire l'objet d'un débat. Les dispositions qui figurent dans le projet de loi seront maintenues, sous réserve de quelques modifications, mais l'ensemble devra être revu dans une réforme future. Tel est, en tout cas, le souhait de toutes les associations de parents adoptifs et de parents adoptants que nous avons auditionnées.
Par ailleurs, des auditions de professeurs de droit m'ont paru très intéressantes. Je ne parle pas de ceux qui sont favorables au texte ; je parle de ceux qui sont arrivés de façon neutre. A cet égard, je citerai Jean Hauser, professeur émérite de droit privé à l'université Montesquieu Bordeaux IV, et Florence Millet, maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise, qui sont des civilistes.
Selon eux, le Gouvernement a fait le choix du mariage. Certes, il aurait pu en faire un autre, mais c'est celui qu'il a fait. Personnellement, je suis d'accord avec le choix opéré par le président de la République lorsqu'il était candidat. Dès lors, il faut, nous ont-ils dit, que nous ayons le courage d'aller jusqu'au bout et que nous admettions dans le futur texte sur la filiation, qui intégrera, je pense, le projet de loi sur la famille et peut-être les modifications des lois de bioéthique, qu'il existe deux lignes de filiation pour tous les couples et même pour les familles monoparentales : une filiation naturelle, biologique, et une filiation volontaire.
Il faudra mettre toutes ces questions à plat, y compris celle des filiations issues de la procréation médicalement assistée, car nous sommes dans un monde où le sexe - mais pas seulement ! - et la procréation sont mondialisés : on le sait bien, il est possible d'aller à l'étranger pour bénéficier d'une procréation médicalement assistée - on choisit le pays en fonction de la somme d'argent dont on dispose - et on peut même choisir sur internet les méthodes de procréation médicalement assistée. Dès lors, veut-on laisser aller ce libéralisme mondialisé jusqu'au bout ? En d'autres termes, veut-on que les abus se poursuivent ? Veut-on que la loi ne puisse pas s'appliquer en France ?
Plus grave, même si certains parents y sont hostiles, au motif que ces familles savent qu'elles enfreignent la loi et qu'elles ne peuvent, à ce titre, bénéficier d'aucune rémission, que fait-on des enfants ?
Les enfants qui naissent de cette façon à l'étranger, « illégalement », n'y peuvent rien et sont aujourd'hui des victimes : ils n'ont pas d'état civil complet et n'avaient pas non plus de nationalité jusqu'à la parution de votre circulaire, madame la garde des sceaux. C'est pourquoi il faut encadrer ces pratiques. Pour ma part, c'est ce que j'ai toujours pensé - mais peu importe mon opinion personnelle -, mais c'est, en tout cas, ce que nous ont dit ces professeurs de droit. D'ailleurs, mes chers collègues, un certain nombre d'entre vous étaient présents à ces auditions très intéressantes.
Bien sûr, des débats devront avoir lieu. Je pense notamment au Comité consultatif national d'éthique. Chacun pourra s'exprimer et, ensuite, le Gouvernement et le Parlement prendront leurs responsabilités, comme ce fut le cas - je fais toujours ce parallèle, qui est un peu osé - lors de la légalisation de l'avortement. Même si les débats ont été très vifs sur ce sujet, on a finalement légalisé une pratique qui existait auparavant. Si tel n'avait pas été le cas, un nombre considérable de femmes auraient continué de mourir.
Enfin, l'Association des maires de France a proposé tout à l'heure un certain nombre d'amendements - j'en ai parlé avec les membres de votre cabinet, madame la garde des sceaux - auxquels je ne suis pas défavorable, sous réserve d'un examen plus approfondi. Nous devrons en discuter, mais l'un d'entre eux a été adopté à l'unanimité, me semble-t-il, par l'Assemblée nationale, tandis que les deux autres ont été rejetés. Ils visent à résoudre, sans le dire vraiment, le nombre infime de cas où il existerait une opposition frontale - ce n'est jamais souhaitable ! - entre les couples qui veulent se marier et l'officier d'état civil. Toutefois, ne pensons pas que, demain, dans tous les villages de France les plus reculés, des couples homosexuels vont se présenter à la mairie pour se marier.
Tels sont les points qui font l'objet de notre réflexion. Ma collègue Michelle Meunier va vous apporter des précisions complémentaires.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. - En trois semaines d'auditions, nous avons entendu beaucoup de choses et, comme vous l'avez dit, madame la garde des sceaux, ce projet de loi ne supprime rien ; il permet de réparer une injustice. Toutefois, il a soulevé, madame la ministre chargée de la famille, bon nombre de questions liées aux situations diverses que vivent aujourd'hui les familles. Aussi convient-il peut-être de faire évoluer le droit en la matière.
Il a été question d'adoption, ainsi que l'a souligné M. le rapporteur. Nous avons parfois entendu des idées reçues ou des propos erronés sur l'adoption plénière et l'adoption simple.
La question de la procréation médicalement
assistée a également été abordée. Certes,
nous n'en sommes pas pour l'instant à ce qui s'est passé à
l'Assemblée nationale
- vous avez dit que les deux tiers des
discussions avaient eu lieu en dehors du cadre du projet de loi ! La
question de la reconnaissance du statut de beaux-parents, de coparent, de l'ami
du conjoint a également été évoquée.
La question de l'adoption a appelé celle de la protection de l'enfance, dont l'adoption est l'une des formes. Nous avons entendu parler de délaissement et de protection, moins d'une manière technique que d'une manière politique au sens noble du mot. Sur ces sujets, je suis d'accord avec Mme la ministre chargée de la famille : un texte de loi est aujourd'hui nécessaire.
Ce projet de loi que vous allez présenter sur les modèles familiaux et sur les autres questions que je viens de soulever, pouvez-vous, madame Bertinotti, nous donner quelques indications à son sujet ?
M. Patrice Gélard. - Madame le garde des sceaux, je n'adhère pas complètement à votre argumentation, même si je vous remercie pour la modération avec laquelle vous l'avez présentée. Au cours des débats en commission et en séance publique, nous aurons donc des positions différentes.
Vous avez salué la mesure et la sagesse du Sénat. Les sénateurs de l'opposition s'efforceront de conserver cette mesure et cette sagesse dans le débat. Vous comprendrez que je ne divulgue pas aujourd'hui les propositions que nous allons formuler ; mais je puis vous dire qu'elles n'ont pas encore été présentées, ni à l'Assemblée nationale ni pendant nos travaux, qu'elles sont nombreuses et qu'elles portent sur différents aspects du projet de loi.
Je suis parfaitement d'accord avec Jean-Pierre Michel pour reconnaître la nécessité absolue de revoir complètement le système de l'adoption, devenu inadéquat. Ce système ne correspond plus du tout à l'intention originelle du législateur, à cause notamment de l'intervention grandissante de Bercy sur le montant des droits de succession en matière d'adoption simple. Mesdames les ministres, ne pourriez-vous pas faire pression sur le ministère de l'économie et des finances pour que l'adoption simple retrouve le caractère qui était le sien, par exemple, dans l'entre-deux-guerres, ce qui n'est pas si loin ?
Cette parenthèse refermée, je souhaite poser à Mmes les ministres deux questions.
Madame le garde des sceaux, madame le ministre chargé de la famille, puisque vous avez soutenu que les couples hétérosexuels allaient retirer un avantage de la loi, pouvez-vous préciser en quoi consistera cette amélioration ?
Quant à ma seconde question, M. le rapporteur y a déjà répondu mais je la pose malgré tout : dans quelle mesure le Gouvernement est-il prêt à accepter un certain nombre d'amendements qui ne vont pas tout à fait dans le sens du texte adopté par l'Assemblée nationale ?
M. Jean-Yves Leconte. - Au cours de la discussion du projet de loi à l'Assemblée nationale, un amendement présenté par Corinne Narassiguin a introduit la possibilité pour de futurs époux vivant à l'étranger de venir se marier en France si le mariage des personnes de même sexe n'est pas autorisé dans le pays où ils résident. Cette disposition soulève le problème de l'obtention de visas pour venir en France ; d'ailleurs, cette question ne se pose pas seulement pour les couples de même sexe, mais, d'une manière générale, pour tous les futurs époux.
Ce droit étant créé, une disposition spécifique sera-t-elle prévue pour améliorer la situation de ce point de vue ? Le « mariage pour tous », ce doit être aussi le mariage pour les Français et les étrangers !
Le certificat de capacité à mariage, qui existe depuis 2006, pose de nombreux problèmes dans un certain nombre de pays, compte tenu de la qualité des états civils. Aujourd'hui, des familles sont séparées, soit que les couples n'aient pas pu se marier faute d'avoir obtenu le certificat, soit qu'après leur mariage la transcription ait pris des années.
Le projet de loi ne serait-il pas l'occasion de supprimer le certificat de capacité à mariage, de manière à permettre aux couples potentiels et aux couples mariés de vraiment vivre ensemble dans tous les cas ?
M. Christian Cointat. - Mesdames les ministres, vous avez reconnu tout à l'heure que les débats de société étaient passionnants, mais délicats. Je puis vous assurer que, dans ce domaine, si je me laisse inspirer par mes convictions personnelles, je ne me laisserai pas guider par elles, dans la mesure où je ne vois pas au nom de quoi le législateur que je suis pourrait imposer ses vues aux autres. C'est donc dans un esprit de tolérance et d'ouverture que j'aborde ce débat.
Comme mon collègue Jean-Yves Leconte, je représente les Français établis hors de France ; ma question, d'ordre technique, fait suite à celle qu'il vient de poser.
Le prétendu mariage dont on parle très souvent à propos de certains Etats est, en réalité, une simple union civile. Comment fera-t-on pour transcrire en droit français un acte établi dans un pays où il n'existe pas un véritable mariage, mais une union civile ?
Le projet de loi prévoit seulement, outre l'union libre et le PACS qui existent déjà, le mariage qui doit être étendu. L'union civile, régime intermédiaire en vigueur dans certains pays, n'existe pas dans le droit français. Dans ces conditions, que se passera-t-il en cas, non pas de conflit, mais d'inadaptation entre la loi française et la loi du pays où le mariage est célébré ?
Mme Cécile Cukierman. - Je vous remercie, mesdames les ministres, des propos que vous avez tenus. Comme nous avons déjà eu l'occasion de l'indiquer, notamment au cours de ces nombreuses auditions, nous sommes heureux que ce projet de loi existe. Il était attendu et il avait été annoncé lors de la campagne électorale du futur président de la République. Sans doute certains auraient-ils préféré qu'il soit présenté plus tôt ; toujours est-il qu'il est aujourd'hui en cours d'examen.
Ce projet de loi a fait naître un véritable débat, à l'Assemblée nationale mais aussi, plus largement, dans le pays. Parfois même, ce débat a quelque peu occulté d'autres faits d'actualité. Aussi est-il temps que nous aboutissions et que le texte soit voté, afin que nous retrouvions de la sérénité et que les homosexuels puissent avoir accès à ce droit qu'est le mariage.
Ce débat a permis de mettre en lumière les réalités vécues aujourd'hui par des femmes et des hommes qui, certes, ne constituent pas la majorité de la population, mais dont le nombre n'est malgré tout pas négligeable. Je pense également aux situations vécues par certaines filles et certains garçons. A ce propos, Jean-Pierre Michel a tenu des propos très justes. Nous devons avoir des principes et garantir des droits, mais il nous faut aussi prendre en compte les réalités qui existent et les encadrer afin de protéger celles et ceux qui doivent l'être. C'est, je crois, l'objectif que nous nous sommes fixé, du moins la plupart d'entre nous.
Ce débat traverse les générations et appelle d'autres discussions. Je souhaite, pour les débats suivants, que l'on prenne le temps nécessaire, mais aussi que l'on aboutisse. Nous avons besoin d'un projet de loi sur la famille qui traite des questions de la filiation, de l'adoption et de la procréation, de manière sereine, mais avec le souci d'aboutir le plus rapidement possible - dans la limite du raisonnable, bien sûr, car précipitation n'est pas raison.
Je ne ferai pas durer le suspense sur le positionnement de notre groupe : les sénateurs du groupe CRC seront nombreux à porter ce débat lors des deux semaines que nous y consacrerons au Sénat. Par leurs amendements, ils soulèveront un certain nombre de questions et feront des actes forts en vue des textes à venir. Solidaires de la logique que Mmes les ministres ont présentée, ils soutiendront le projet de loi.
Je dois dire que j'ai parfois été surprise de la violence de certains propos tenus dans les médias, notamment à la suite de rassemblements publics. En effet, le projet de loi n'impose rien, mais crée des droits nouveaux et de nouvelles protections. Nous le soutiendrons au nom des valeurs progressistes d'égalité que nous défendons pour toutes et pour tous.
M. Philippe Darniche. - Avant de formuler deux remarques à l'intention de Mmes les ministres, je tiens à souligner, pour répondre à Mme Cukierman, que les auditions se sont déroulées dans un climat de respect et qu'aucun propos n'a jamais été empreint d'homophobie. La sérénité n'est peut-être pas toujours la même dans les rassemblements publics, mais, pour ce qui concerne les travaux du Sénat, je suis confiant dans leur caractère sérieux et responsable.
Je suis extrêmement favorable à l'idée d'un nouveau texte sur l'adoption, simple ou plénière, car un véritable problème se pose dans ce domaine ; M. le rapporteur et M. Gélard ont eu raison de rappeler qu'il est essentiel.
Madame la garde des sceaux, le troisième mot que vous avez prononcé est « égalité ». Je me demande si cette notion, à propos de laquelle vous avez exprimé beaucoup de certitudes, n'est pas en réalité un piège. En effet, l'égalité ne consiste-t-elle pas à traiter de façon identique des objets identiques ? Un couple qui peut procréer et un couple qui ne le peut pas, est-ce la même chose ? L'égalité commande-t-elle de traiter également des situations différentes ? Mesdames les ministres, j'aimerais connaître votre sentiment à ce sujet.
Ma seconde observation concerne le problème des origines. Dans nos fonctions locales, nous sommes très fréquemment saisis de cette question essentielle par des personnes qui souffrent toute leur vie de ne pas connaître leurs origines. A cet égard, Mme Elisabeth Roudinesco, même si son audition a été belle sur le plan intellectuel, a formulé des avis que je ne partage pas tous.
Je le répète, le problème de l'égalité d'accès aux origines est fondamental. Le texte proposé par le Gouvernement risque d'augmenter considérablement le nombre de personnes - enfants, adolescents puis adultes - qui devront chercher leurs origines. Aggraver une situation déjà très douloureuse, est-ce bien le rôle de l'Etat ? Mesdames les ministres, quelle est votre position sur cette question ?
Mme Esther Benbassa. - Madame la ministre chargée de la famille, pourriez-vous nous dire quand le Gouvernement compte mettre en place la concertation sur la famille et élaborer la loi qui en découlera ? Il était prévu que ce texte soit prêt au printemps prochain, mais il me semble que tel ne sera pas le cas. Quand pourrons-nous discuter de la PMA et de la GPA ? J'attends des dates.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - A défaut du printemps, sera-ce à l'été, à l'automne, à l'hiver ?...
M. Jean-René Lecerf. - Ma question n'a rien d'original. Elle porte également sur la PMA et la GPA, qui sont un peu ce qu'était l'Alsace-Lorraine entre 1871 et 1914 : « Y penser toujours, n'en parler jamais. »
A l'instar de M. le rapporteur, j'évoquerai les auditions des professeurs de droit que nous avons réalisées. Mes chers collègues, comme nous étions alors bien moins nombreux qu'aujourd'hui, je n'aurai pas trop de scrupules à vous lire une partie du compte rendu de leurs propos, qu'il s'agisse de M. Daniel Borrillo, lequel s'est clairement déclaré favorable à cette réforme, ou de M. Jean Hauser, plus réservé en la matière.
Selon M. Borrillo, « l'égalité suppose l'accès à toutes les formes de filiation pour tous les couples, ce qui comporte l'accès à la PMA ». Et il ajoutait : « Je suis également favorable à l'accès à la GPA pour tous les couples, comme l'avait proposé un rapport du Sénat en 2008 pour les couples hétérosexuels. »
Il poursuivait : « La discrimination actuelle est fondée sur l'argent : les femmes seules ou les couples homosexuels qui ont de l'argent peuvent aller en Belgique ou aux Etats-Unis : en Californie, une GPA revient à 40 000 dollars. Ceux qui ne les ont pas restent dans le cadre strict de la loi française. »
Que dit M. Hauser ? Il constate que « le marché de l'adoption est à peu près asséché » et en conclut que « si ces couples nouveaux qui veulent adopter veulent obtenir des enfants, inévitablement ils vont chercher à les faire eux-mêmes en recourant à la procréation médicalement assistée. Je ne suis pas un fanatique de la modification de la loi sur la PMA, mais elle sera inéluctable [...] ».
« Autre exemple : l'insémination artificielle avec donneur serait autorisée dans les couples de femmes. Soit, mais on sort alors du cadre de la stérilité pathologique. On entre pour ce type de couples dans la PMA de convenance. [...] Comment la refuser aux autres ? Comment expliquer que nous sortons de la PMA pour raison médicale pour les uns et pas pour les autres ? Pourquoi ne pas ouvrir, comme dans certains Etats américains, la PMA de convenance pour tout le monde ? »
S'agissant de la GPA, il nous dit que « l'enfant n'est pas le cheval de Troie des fraudes à la loi. » Il ajoute : « Quant à la gratuité, c'est une plaisanterie. Il y aura bien quelques grands-mères, quelques soeurs, puis, très vite, il y aura une rémunération [...] ».
Pour ma part, je suis de ceux qui n'ont vraiment aucune hostilité, bien au contraire, au mariage entre personnes du même sexe. A mes yeux, c'est une liberté supplémentaire, un droit de plus, que l'on accorde aux uns sans retirer quoi que ce soit aux autres. Cependant, si j'accepte à la fois le mariage pour tous et l'adoption pour tous, je serai inéluctablement amené, selon des autorités juridiques de tendance différente, à accepter la PMA et la GPA par simple convenance, à savoir une certaine forme de marchandisation des corps, ce que je refuse.
Comment peut-on faire, mesdames les ministres, pour éviter un tel engrenage ?
M. Yves Daudigny. - Je vous remercie, mesdames les ministres, de nous avoir présenté ce texte. Je soutiendrai sans réserve le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale.
Ma question est toute simple. Avant la France, d'autres pays ont autorisé le mariage de couples de même sexe. C'est le cas, depuis huit ans, de la Belgique et, depuis six ans, de l'Espagne. Des enseignements peuvent-ils être tirés des pratiques observées dans ces deux pays voisins géographiquement et dont les modes de vie ne sont pas si éloignés des nôtres ?
Mme Catherine Tasca. - Mesdames les ministres, vous avez été très sages de distinguer ce texte de celui qui sera présenté plus tard et dont nous n'avons pour le moment débattu que très partiellement.
En effet, même en l'état, le texte sur lequel nous allons avoir à prendre nos responsabilités ouvre des perspectives qui demandent réflexion. Je pense, notamment, à la question de l'adoption.
A mes yeux, comme à ceux de nombreuses personnes, le mariage d'un couple de même sexe ne pose aucun problème. Il s'agit en effet d'un contrat entre deux adultes. L'autoriser, c'est une question non seulement d'égalité, mais aussi de liberté.
Quant à la question de l'adoption, qui est traitée dès ce projet de loi, elle pose problème. Nous nous devons d'apporter des réponses en la matière. On l'a dit, dans la majorité des cas l'adoption sera intrafamiliale, chacun pouvant adopter l'enfant de son conjoint, ce qui est éminemment souhaitable. Cette disposition apporte à l'enfant élevé dans un tel cadre une sécurité réelle.
En revanche, dans la mesure où le droit de l'adoption n'est pas modifié en profondeur, la distinction entre adoption simple et adoption plénière est conservée, ce qui pose véritablement problème.
En effet, l'adoption plénière s'inscrit dans l'histoire du droit de la propriété. Lorsque l'on a la chance de pouvoir adopter un enfant, celui-ci devient pleine propriété de ses nouveaux parents. Dans notre monde moderne, une telle conception me paraît choquante. Selon moi, il est donc important d'évoquer ce sujet.
Ma seconde observation concerne la nécessaire protection des enfants, une préoccupation qui devrait guider nos travaux sur le second texte en préparation. Depuis le début de la discussion sur le projet de loi visant à autoriser le mariage aux couples de même sexe, on a un peu l'impression d'être au pays des Bisounours !
Les couples homosexuels ne seront ni pires ni meilleurs que les couples hétérosexuels. Ce qui est difficile à vivre, c'est le couple, la famille, quelle que soit l'orientation sexuelle. Quand on commencera à repenser la famille, il faudra peut-être sortir de la vision quelque peu angélique qui, jusqu'ici, a guidé nos débats, pour s'attacher à travailler sur la protection de l'enfant. Aujourd'hui, c'est le désir des adultes qui fait la loi, qui crée le droit. A partir du moment où nous ouvrons des horizons, comme beaucoup semblent le souhaiter, il nous faut traiter très sérieusement cette question.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La parole est à Mme la garde des sceaux, pour répondre à l'ensemble de ces questions.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos exposés. Vos questions ont porté sur le fond non seulement du texte, mais aussi de l'ensemble des sujets abordés.
J'ai surtout pris note des observations et intentions énoncées par M. le rapporteur et des indications complémentaires fournies par Mme la rapporteure pour avis.
Si j'ai bien compris, les amendements ne sont pas encore disponibles. Pourtant, il semble que vous ayez connaissance de ceux qui émanent de l'Association des maires de France...
M. Jean-Pierre Sueur, Président. - M. Pélissard nous a présenté tout à l'heure trois amendements, dont nous avons pu discuter.
Le premier a été adopté à l'Assemblée nationale.
Le deuxième vise à légaliser une pratique : il s'agit de confier à l'avance aux adjoints et conseillers municipaux délégués le soin de procéder au mariage.
Le troisième tend à donner au procureur de la République la possibilité d'enjoindre à un officier de l'état civil de procéder au mariage.
Tous les autres amendements seront examinés par la commission des lois le 20 mars prochain, ce qui signifie qu'ils auront été déposés avant le lundi précédent ; je ne connais pas encore la date à laquelle la commission des affaires sociales se réunira.
Nous disposons donc encore de trois semaines pour déposer des amendements et y réfléchir. Votre audition intervient en amont, madame la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs.
Monsieur Gélard, vous avez éveillé notre curiosité, peut-être même notre gourmandise, en nous promettant que l'UMP ferait des propositions. Nous les attendons bien sûr avec la plus grande impatience.
Vous avez exprimé la conviction selon laquelle il convient de revoir le système de l'adoption. Votre avis est manifestement partagé. Notre droit de l'adoption, il est vrai, a été construit par paliers, en tenant compte de ce que les juristes appellent la vérité sociologique, qui me paraît extrêmement importante. A une certaine époque, par exemple, l'adoption a été ouverte aux personnes célibataires, la réalité sociologique du pays justifiant que l'on permette à des femmes seules, notamment, d'adopter des enfants, en respectant certaines conditions.
La loi relative à l'adoption a été modifiée, enrichie, notamment en 1966, afin de bien définir l'adoption plénière et d'en déduire l'adoption simple. Je partage très volontiers l'idée qu'il faudrait peut-être repenser dans sa cohérence et son intégralité notre droit de l'adoption. C'est un chantier que nous aurons l'audace d'ouvrir prochainement.
Vous avez évoqué, en égratignant le ministère des finances, qui a le malheur d'être toujours à la recherche de recettes supplémentaires, un régime différencié entre les héritiers ayant bénéficié d'une adoption plénière et ceux qui ont fait l'objet d'une adoption simple. Dans le premier cas, l'exonération des droits de succession peut atteindre 650 000 euros, alors que ces droits sont majorés pour l'héritier par adoption simple. Il faut également savoir que la sécurité juridique de l'adoption simple est moindre, puisqu'elle peut notamment être résiliée. Tout cela plaide en faveur de la révision en profondeur du droit de l'adoption.
Reprenant mon propos introductif, vous m'avez également demandé, monsieur Gélard, quelles dispositions de ce texte seraient favorables aux couples hétérosexuels. Je peux vous en citer deux.
Il s'agit, tout d'abord, de la mesure visant à élargir à la résidence des parents des futurs conjoints ou conjointes les lieux de célébration du mariage. C'est une disposition qui, adoptée voilà deux ans dans un texte sur le contentieux, avait été censurée par le Conseil constitutionnel.
Pour dire les choses très clairement, le Gouvernement était réticent à une telle extension, parce qu'il craignait qu'elle ne soit considérée comme un assouplissement permettant aux maires de refuser de célébrer les mariages des couples de même sexe. Le Gouvernement s'étant très clairement engagé à ouvrir l'institution du mariage en tant que telle, avec ses obligations, ses droits, ses sécurités et ses protections, mais aussi avec sa charge symbolique, aux couples de même sexe, il ne voulait pas envoyer un signal contradictoire.
Cette disposition a donné lieu à de longs débats. C'est d'ailleurs un amendement de l'opposition, sous-amendé, qui a été adopté. Il est précisé que seuls les futurs époux peuvent demander à faire célébrer leur mariage dans le lieu de résidence de leurs parents. Le maire ne peut donc refuser de célébrer un mariage en s'appuyant sur cette disposition. Un tel aménagement profitera aux couples hétérosexuels.
Il s'agit, ensuite, d'une disposition relative à l'adoption : nous avons souhaité permettre l'adoption plénière d'un enfant déjà adopté par adoption simple. De même, nous permettons l'adoption simple d'un enfant qui a déjà fait l'objet d'une adoption plénière.
Ces dispositions, que nous avons introduites dans ce texte, serviront aussi aux couples hétéroparentaux qui adoptent des enfants. Ce ne sont là que des exemples, mais, je le répète, nous ne retirons rien aux couples hétérosexuels. Une réflexion est possible sur la disposition générale concernant le nom patronymique, mais ce n'est ni un retrait ni une soustraction. En revanche, incontestablement, ces deux dispositions serviront également aux couples hétérosexuels.
Monsieur Leconte, vous avez fait référence à la dérogation à la loi personnelle. Il ne s'agit pas pour des étrangers de venir se marier en France par convenance, dans la mesure où la condition de résidence est réaffirmée dans le texte de loi. Un étranger pourrait épouser un Français dès lors qu'il aurait sa résidence régulière en France. Lors des débats, des interrogations se sont effectivement fait jour sur les risques de « tourisme nuptial », mais nous ne sommes pas dans ce cas de figure, parce que la condition de résidence est maintenue ; ce texte de loi la réaffirme même.
S'agissant du certificat, j'entends votre interrogation. Sans doute la question se pose-t-elle dans certains cas précis. Je rappelle tout de même que, pour un mariage entre une Française et une étrangère ou un Français et un étranger, comme pour les couples hétérosexuels, le code civil pose un certain nombre de conditions, notamment de consentement et d'âge. Quand ces conditions ne sont pas remplies, même si le constat en est fait après le mariage, il s'agit d'une cause de nullité de celui-ci.
M. Jean-Yves Leconte. - Même dans le cas de mariages parfaitement valables au regard du droit français, un certain nombre de consulats mettent énormément de temps à les transcrire à l'état civil français. J'ai rencontré de nombreux couples qui, un ou deux ans après leur mariage, n'ont toujours pas obtenu sa transcription et qui, de fait, ne peuvent pas vivre en France ou demeurent séparés.
Les délais de délivrance du certificat de mariage ou d'obtention de la transcription sont très problématiques dans un certain nombre de consulats.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Monsieur Leconte, vous avez parfaitement raison de signaler ces situations, mais celles-ci n'appellent pas, me semble-t-il, de dispositions législatives particulières, sauf à ce qu'on me démontre le contraire. Il faut voir ce qu'il en est des procédures et des pratiques suivies et identifier les pays éventuellement concernés.
M. Jean-Yves Leconte. - C'est vrai.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Monsieur Cointat, j'admets qu'il s'agit là d'un débat de société passionnel. Pour tout vous dire, ce débat est non seulement passionnel, mais aussi passionnant. (Sourires.)
M. Christian Cointat. - Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Chacun rentre en lui-même et s'interroge profondément.
J'ai apprécié votre entrée en matière. Vous nous avez en effet indiqué que ce n'était pas sur la base de nos seules convictions personnelles que nous écrivions le droit. C'est effectivement un point essentiel. La grande vertu des législateurs, femmes et hommes, c'est justement de s'élever au-dessus de leurs propres élans et de légiférer selon l'intérêt général, selon l'intérêt commun. C'est ce qui honore le plus le législateur.
S'agissant de la transcription des actes passés dans d'autres pays, notamment des actes d'union civile, le registre d'état civil transcrit les actes de mariage. L'union civile n'étant pas un acte d'état civil, il ne fait l'objet d'aucune transcription. Par conséquent, nous ne serons pas confrontés à ce problème. Même si, dans d'autres pays, un type d'union civile différente de notre pacte civil de solidarité existait, il n'y aurait pas lieu de se préoccuper de sa transcription à l'état civil.
En tout état de cause, je le rappelle, les articles 171-5 à 171-8 du code civil définissent bien les conditions dans lesquelles peut être transcrit un mariage célébré à l'étranger.
En revanche, dans certains pays, notamment dans les pays nordiques, le mariage est religieux.
M. Patrice Gélard. -Voilà !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. - Vous m'attendiez, monsieur Gélard ! (Sourires.)
Dans ces pays, c'est l'Etat qui a délégué à l'autorité religieuse la compétence, l'autorité pour célébrer les mariages, qui produisent des conséquences à caractère civil. C'est déjà le cas pour des mariages hétérosexuels ; ce sera le cas pour les mariages homosexuels.
Comme vous, législateurs sérieux, nous pensons que deux précautions valent mieux qu'une. C'est pourquoi nous avons procédé à des vérifications, dont nous attendons les retours. Les premières vérifications que nous avions faites m'ont permis de tenir les propos que je vous ai adressés à l'instant, mais, avant l'examen du projet de loi en séance publique par le Sénat, nous aurons confirmation ou infirmation de ces éléments. Dans le second cas, nous vous le ferons savoir, parce qu'il est hors de question que nous introduisions dans notre code civil des dispositions qui seraient sujettes à caution et qui ne respecteraient pas strictement le droit en vigueur.
Monsieur Darniche, l'égalité est-elle un piège ? Non, parce que la définition que vous avez donnée tout à l'heure est celle de la discrimination ou de la non-discrimination. L'égalité consiste à considérer que tout citoyen, quels que soient son apparence, ses origines, ses croyances, son sexe - on y pense de moins en moins - et son orientation sexuelle reste un citoyen. C'est cela, l'égalité. Elle consiste à ne pas créer des zones de non-accès à des droits sur la base de l'une de ces particularités, qu'il s'agisse de l'apparence, de la croyance ou, dans le cas présent, de l'orientation sexuelle.
Telle est en tout cas notre conviction. Et c'est sur le fondement de cette idée, selon laquelle l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe est un acte d'égalité, que nous avons rédigé ce projet de loi. Toutefois, j'entends qu'il puisse y avoir d'autres appréciations.
Madame Benbassa, puisque vous vous êtes adressée directement à Mme la ministre déléguée chargée de la famille, c'est elle qui vous répondra.
Monsieur Lecerf, vous avez cité les professeurs Daniel Borrillo et Jean Hauser, en précisant bien que le premier était très clairement favorable à la PMA et à la GPA, dans lesquelles il voit un enchaînement logique, et que le second, s'il y est plus réticent, y voit néanmoins le même enchaînement logique.
Surtout, vous nous demandez quelles dispositions nous pourrions envisager de prendre pour éviter cet engrenage. S'agissant de l'assistance médicale à la procréation, Mme la ministre déléguée chargée de la famille vous répondra sur la façon dont le projet de loi consacré à la famille abordera ce sujet, mais il est indéniable que ce dernier sera traité, parce qu'il est lié effectivement à une forme de filiation sur laquelle on peut s'interroger.
L'assistance médicale à la procréation est aujourd'hui réservée aux couples hétérosexuels stables, mariés ou non, sous deux conditions médicales non cumulatives : l'infertilité médicalement constatée ou le risque de transmission d'une maladie héréditaire grave. Il faut s'interroger effectivement sur l'extension éventuelle de cette assistance médicale à la procréation à des couples homosexuels et, éventuellement, aux femmes célibataires, puisque tous les pays qui ont ouvert l'AMP aux couples de femmes homosexuelles l'ont autorisée également aux femmes célibataires. Ce sujet fera débat et sera traité par le Comité consultatif national d'éthique, qui s'est autosaisi et qui a annoncé son rapport pour le mois d'octobre prochain. Mme la ministre déléguée chargée de la famille en dira plus.
Pour ce qui concerne la gestation pour autrui, vous savez que notre droit pose le principe de l'indisponibilité du corps humain : c'est l'article 16-1 du code civil. C'est un principe d'ordre public, ce qui signifie qu'il est absolu et ne souffre aucune exception.
Pour répondre à votre question sur l'engrenage, l'assistance médicale à la procréation et la gestation pour autrui sont traitées de manière différenciée. A partir du moment où la gestation pour autrui - c'est la position très claire et très ferme du Gouvernement - est soumise à ce principe d'ordre public d'indisponibilité du corps humain, tout engrenage est impossible.
Je me permets simplement de rappeler que, dans cette honorable maison, deux propositions de loi, dont une qui émane du groupe UMP - je pense donc que ses membres ont commencé à débattre du sujet -, ont été déposées en faveur de la gestation pour autrui.
Selon moi, de toute façon, les sujets de société doivent faire l'objet de débats, même s'ils suscitent beaucoup de passions. Nous devons avoir le courage de les affronter. Il n'existe pas de sujets de société qui doivent être considérés comme absolument inaccessibles à notre intelligence collective. Notre droit pose des principes, qui doivent être respectés, mais cela n'interdit pas les discussions.
Pour ce qui concerne la position du Gouvernement sur la GPA, je vous le dis très clairement, l'indisponibilité du corps humain est un principe absolu d'ordre public et le Gouvernement n'envisage pas du tout d'ouvrir l'accès à cette pratique.
Monsieur Daudigny, nous avons effectivement observé ce qui s'est passé en Belgique et en Espagne depuis, respectivement, dix ans et sept ans, me semble-t-il. Les mariages entre personnes de même sexe représentent entre 2 % et 2,5 % de la totalité des mariages. Nos sociétés étant culturellement et sociologiquement proches, nous estimons que nous devrions nous situer dans cette fourchette. Le Gouvernement s'interdit néanmoins toute projection ; c'est juste un repère, un ordre de grandeur.
En Belgique, des couples de même sexe ont pu recourir à des adoptions, y compris à des adoptions internationales, mais leur nombre n'est pas très élevé. Je n'ai pas le chiffre en tête, mais je pourrai vous le communiquer.
Madame Tasca, l'adoption, et cela se conçoit aisément, suscite des interrogations. Toutefois, je rappelle que notre droit civil est conçu de telle façon que le mariage emporte l'adoption.
Conformément à l'engagement, qu'il a tenu à ne pas réduire, pris par le président de la République, le Gouvernement n'a pas voulu concevoir un régime matrimonial réservé aux couples de même sexe. Il a souhaité ouvrir le mariage avec toutes ses conséquences, dont l'adoption. Cela suscite des interrogations, nous l'entendons bien, mais nous disons simplement qu'il existe déjà des familles homoparentales, parce que l'un des partenaires du couple est le parent biologique d'un enfant ou parce qu'il a adopté un enfant en qualité de célibataire.
Ces enfants existent, ces familles existent, et ce qui nous importe en priorité, c'est de leur apporter la sécurité juridique qui est due à tous les enfants de France. Le mariage apporte cette sécurité juridique, y compris en cas de divorce.
Je partage en effet votre avis : aucun élément statistique, scientifique ou empirique ne nous permet de penser que les couples homosexuels seront plus raisonnables, notamment en cas de séparation et de divorce, que les couples hétérosexuels, qui ont une propension assez forte à se déchirer à ce moment-là. L'intervention du juge protégera les enfants qui sont déjà issus de ces familles, lesquels bénéficieront d'un régime préservant leurs intérêts affectifs et matériels, aussi bien par le maintien éventuel des relations avec le parent qui n'aurait pas la garde que par le partage des responsabilités.
Je rappelle par ailleurs que l'adoption est ouverte aux couples de même sexe dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels. Aussi bien notre droit que nos procédures sont extrêmement rigoureux, voire restrictifs et contraignants - cela vaut d'ailleurs plus encore pour la procédure. Je rappelle que l'article 353 du code civil indique très clairement que l'adoption doit être prononcée selon l'intérêt de l'enfant.
Non seulement les dispositions de la convention internationale des droits de l'enfant s'imposent à nous, mais encore notre droit civil lui-même précise bien que c'est le juge qui prononce l'adoption après avoir vérifié qu'elle a lieu dans l'intérêt de l'enfant - la procédure d'adoption débute par la délivrance d'un agrément par le conseil général, après une enquête que certains considèrent comme étant particulièrement intrusive.
C'est dans ces conditions que des enfants sont adoptés par des couples homosexuels et mariés ; en la matière, il existe des sécurités, même si, bien entendu, cela n'assèche pas complètement les interrogations, qui sont d'un autre ordre.
J'ai entendu les observations qui ont été formulées sur le droit de propriété. Je ne sais pas s'il y a une trace ou une empreinte quelconque du droit de propriété sur l'adoption plénière, mais je considère que cette dernière présente une certaine sécurité. Certes, et c'est un point sur lequel on peut s'interroger, elle efface la filiation d'origine pour la remplacer par la filiation adoptive, mais, dans la mesure où elle est irrévocable, elle protège les enfants.
La démarche de l'adoption, de par sa nature même et compte tenu des difficultés qui lui sont inhérentes, ne relève ni de l'égoïsme ni du caprice : elle est nourrie par un projet parental.
Je ne suis pas en train d'idéaliser la situation, mais je considère que la demande d'adoption relève d'une démarche volontariste, qu'elle émane de couples hétérosexuels - ils constituent la majorité des couples adoptants - ou homosexuels. Pour adopter un enfant, il faut faire preuve de patience, se soumettre à des investigations, accepter toutes les procédures. Dans ces conditions, une telle démarche est l'expression d'un projet parental.
Certes, on ne peut exclure l'égoïsme ou le caprice, mais on ne peut soutenir pour autant que l'adoption réponde, d'une façon générale, à une démarche d'appropriation, de propriété, presque de confiscation, du moins je veux l'espérer. Elever un enfant au quotidien, c'est donner de l'amour, mais aussi affronter les difficultés, se contraindre, réorganiser sa vie. Si l'on tient la distance, c'est qu'il doit y avoir quelques belles raisons, et pas seulement un souhait de propriété. En tout cas, je veux le croire.
Telles sont, monsieur le président, les précisions que je souhaitais apporter, en vous priant de m'excuser d'avoir répondu un peu longuement.
M. Jean-Pierre Sueur, Président. - Pas du tout, madame la garde des sceaux. Je vous remercie de vos réponses.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. - Certaines des questions qui ont été posées ne relèvent pas du présent projet de loi, mais j'y répondrai malgré tout bien volontiers, car elles sont fondamentales.
Comme je l'ai indiqué dans mon propos introductif, ce projet de loi nous offre une formidable occasion, celle de soulever, dans la sérénité, de nombreuses questions fondamentales, qu'il s'agisse de l'adoption, de la filiation, de la PMA ou de la recherche des origines. En qualité de ministre chargée de la famille, je ne peux que m'en féliciter, même si je me dois de vous mettre en garde sur le fait que certaines de ces questions sont indépendantes de l'orientation sexuelle du couple.
Il faut être très clair : on ne peut pas tenir un discours pour les couples homosexuels et un autre pour les couples hétérosexuels. Je souhaitais y insister.
Le projet de loi du Gouvernement vise à ouvrir le droit au mariage et à l'adoption aux couples de même sexe. Certaines questions qui ont été posées ne relèvent donc pas du présent projet de loi, mais elles auront leur place dans le futur projet de loi « famille », comme on le désigne aujourd'hui. Ce texte portera notamment sur les nouvelles filiations, donc sur les nouvelles parentalités.
J'en viens maintenant aux questions que vous avez soulevées, mesdames, messieurs les sénateurs.
En ce qui concerne la filiation, force est de constater que la filiation sociale est déjà une réalité. Comme je l'ai indiqué, un enfant sur neuf vit dans une famille recomposée. Il en résulte que certains enfants, dès leur plus jeune âge, sont élevés par un couple comprenant un seul de ses parents biologiques.
Or, aujourd'hui, l'autre parent n'a aucun statut. On demande que la société ait des repères, mais le droit reconnaît insuffisamment ou très mal ce parent dit « social ». Ce dernier est pourtant confronté à des difficultés de vie quotidienne très ordinaires. Ainsi, un parent social ne peut pas être responsable dans une fédération de parents d'élèves au titre de l'enfant qu'il contribue à élever avec sa compagne ou son compagnon.
Il faudra donc réfléchir à des mesures visant à apporter une sécurisation juridique et une protection tant à l'enfant qu'à l'adulte.
En ce qui concerne l'adoption, on l'envisage - enfin, serais-je tentée de dire - telle qu'elle se pratique aujourd'hui. Nous sommes ainsi amenés à réfléchir sur l'adoption internationale, qui est marquée par une restriction substantielle du nombre des enfants adoptés. Cette restriction est liée à des facteurs inhérents aux pays d'origine des enfants. Ces pays, qui sont aujourd'hui sur la voie du développement, souhaitent garder leurs enfants, y compris ceux qui sont adoptables.
L'adoption pose également la question de la protection de l'enfance, que vous avez aussi abordée. Il y a, en France, de nombreux enfants qui peuvent être adoptés. Pour autant, de par notre tradition de ne pas rompre les liens biologiques, beaucoup d'enfants - je le dis clairement - errent de famille d'accueil en famille d'accueil, ou de famille d'accueil en foyer.
Le système actuel d'adoption simple ou d'adoption plénière n'est peut-être pas la réponse la plus adaptée pour ces enfants. Sans doute faut-il travailler à une réforme de l'adoption, afin de trouver une voie entre notre volonté de maintenir les liens biologiques et le désir de certaines familles d'apporter à des enfants qui sont dans des situations difficiles une véritable relation affective et éducative. Il faut chercher des éléments nouveaux nous permettant d'aider nombre de nos enfants qui se trouvent aujourd'hui dans des situations d'errance éducative et affective, même si la protection de l'enfance essaie de parer au mieux.
J'en viens à la recherche des origines. Cette question, très intéressante, sera traitée dans le projet de loi « famille ». Elle concerne aussi bien les enfants nés sous X que les enfants nés par procréation médicalement assistée.
Le Conseil national d'accès aux origines personnelles travaille sur la recherche ou la potentialité pour les enfants d'accéder à un certain nombre d'informations. Pour l'heure, rien n'existe pour les enfants nés par procréation médicalement assistée. Or, contrairement à la gestation pour autrui, la PMA est autorisée en France, même si c'est pour des raisons médicales, comme le rappelait Christiane Taubira.
Le droit de l'enfant à connaître son histoire originelle est un véritable enjeu et un vrai beau débat. Dans une société qui réclame toujours plus de transparence, et sur tous les sujets, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réflexion sur ce thème.
Jusqu'où faut-il aller ? Pour répondre à cette question, il faudra prendre le temps de la réflexion et procéder à de nombreuses auditions. C'est un travail passionnant, qui mérite que l'on y consacre de longues heures de travail.
Enfin, en ce qui concerne le calendrier, comme nous l'avons indiqué à l'Assemblée nationale, le projet de loi sur la famille sera présenté à la fin de l'année 2013. En tout état de cause, le Gouvernement souhaite attendre que le Comité consultatif national d'éthique rende son avis, en septembre ou en octobre prochain. Nous avons donc le temps de procéder à des consultations et d'organiser des concertations, afin de dessiner avec précision les contours de ce projet de loi.
Le temps que nous avons devant nous est une chance, car nous pourrons, en tenant compte des progrès de la médecine, rechercher les moyens d'apporter, là où c'est nécessaire, une meilleure protection juridique aux enfants, qui doivent être au coeur des débats, mais aussi aux adultes, qui concourent à l'éducation des enfants et dont les droits méritent d'être reconnus, ce qui n'est pas aujourd'hui le cas.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Madame la garde des sceaux, madame la ministre, au nom de tous mes collègues, je vous remercie d'avoir participé à nos travaux. Ici, vous avez pu le constater, les débats sont approfondis, chacun étant attentif et à l'écoute de l'autre. Nous espérons pouvoir apporter une contribution utile.
Mercredi 20 février 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -Audition de Mme Nicole Belloubet, candidate proposée par M. le Président du Sénat à la nomination au Conseil constitutionnel
La commission entend tout d'abord Mme Nicole Belloubet, candidate proposée par M. le président du Sénat à la nomination au Conseil constitutionnel en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ainsi qu'au vote sur cette proposition de nomination.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je souhaite la bienvenue à Mme Belloubet, candidate proposée par M. le Président du Sénat à la nomination au Conseil constitutionnel. Nous auditionnerons ensuite Mme Maestracci, candidate proposée par M. le Président de la République. En application de l'article 13 de la Constitution, de la loi organique du 23 juillet 2010 et de la loi simple du même jour, les commissions compétentes des deux assemblées sont appelées à formuler un avis sur ces nominations. A l'issue de ces auditions, nous nous prononcerons donc par deux votes à bulletins secrets ; aucune délégation de vote n'est possible. En ce qui concerne la candidate proposée par le Président de la République, auditionnée également par la commission des lois de l'Assemblée nationale, le dépouillement aura lieu en même temps. Vous nous présenterez votre parcours, l'idée que vous vous faites de votre mission en tant que membre du Conseil constitutionnel, ainsi que votre vision de l'avenir de cette institution, source de nombreuses réflexions dans notre Assemblée, certains préconisant la reconnaissance des opinions dissidentes, d'autres un changement de sa composition.
Mme Nicole Belloubet. - Je dois au Président du Sénat l'honneur d'être parmi vous. Péguy pensait que « tout est joué avant que nous ayons 12 ans ». Je suis originaire d'une famille d'agriculteurs de l'Aveyron. Mes grands-parents sont montés à Paris pour devenir bougnats puis cafetiers. Je suis née à Paris, mais j'ai souvent séjourné chez mes cousins agriculteurs. Ma famille m'a appris la valeur du travail, valeur cardinale pour moi, y compris avec les défauts qui l'accompagnent. Toutefois, je pense plutôt comme Erasme, qu' « un homme ne naît pas homme mais le devient », phrase détournée par Simone de Beauvoir. Ma personnalité s'est construite progressivement et j'ai connu des expériences diverses. Je suis professeure de droit, et ma nomination au Conseil constitutionnel, institution centrale de notre République, revêt à cet égard un sens particulier. J'ai également été rectrice d'Académie, fonction qui m'a donné l'expérience de la gestion d'un service public. Elue territoriale, je connais la réalité de la relation quotidienne avec les citoyens. Enfin, en tant que femme, j'ai porté le combat pour la parité et ai présidé un comité de suivi pour l'égalité des chances entre les filles et les garçons dans les systèmes éducatifs.
Je suis d'abord universitaire et professeure de droit administratif. Ma thèse, intitulée « Pouvoirs et relations hiérarchiques dans l'administration française », est la quatrième sur ce sujet loin d'être épuisé. Il m'a fallu huit ans pour l'écrire, sans bourse, tout en élevant mes enfants. Je suis devenue ensuite maître de conférences, ai obtenu l'agrégation puis suis devenue professeure à l'université d'Evry-Val d'Essonne. Pendant ce temps j'ai poursuivi mes travaux de recherche, participé à des colloques, écrit des articles et des ouvrages en droit administratif et parfois en droit constitutionnel. Pendant trois ans j'ai été directrice de la recherche à l'Institut international d'administration publique, ancienne Ecole coloniale puis Ecole nationale de la France d'outre-mer, dans les locaux qui accueillent aujourd'hui, à Paris, l'Ena. A ce titre j'ai accompli de nombreuses missions de formation dans les pays francophones d'Afrique et d'Asie. J'ai également dirigé la Revue française d'administration publique et été membre du comité de rédaction de la Revue Pouvoirs, coordonnant plusieurs numéros, où certains enseignants, devenus sénateurs, ont écrit. Même si j'ai été élue depuis, j'ai toujours considéré que les fonctions électives ne sont que temporaires et souhaité continuer à exercer ce métier.
J'ai également été nommée rectrice d'académie en vertu des hasards de la vie et de la volonté du Premier ministre de l'époque de féminiser la haute fonction publique, d'abord à Limoges puis à Toulouse, pendant huit ans. J'ai appris l'art de diriger et de gérer un grand service public, l'académie de Toulouse comptant 50 000 fonctionnaires. Il s'agit d'un service public essentiel pour la République, destiné à former des citoyens non seulement éclairés mais aussi « incommodes » selon le mot de Condorcet. L'école a accompagné la croissance de notre pays pendant les Trente Glorieuses. Aujourd'hui elle est désacralisée et les études révèlent ses contreperformances. Il faut réfléchir à ses missions et les travaux en cours vont dans ce sens. Comme élue locale j'ai aussi constaté que le développement des territoires dépend de l'innovation et donc de la formation. L'éducation n'est pas un coût, mais un investissement d'avenir. Dans un rapport remis à M. Jack Lang en 2001, intitulé 30 propositions pour l'avenir du lycée, j'avais développé ces idées. Enfin, l'éducation suppose une construction partagée des politiques entre l'État et les collectivités territoriales. Cette expérience a fondé mon engagement aux côtés de M. Vincent Peillon, dans le cadre de la refondation de l'école, qui m'a confié la présidence d'un des quatre groupes de travail, celui consacré à la réussite scolaire.
Enfin, je suis élue territoriale. Dès ma rencontre, en première année d'université, avec une professeure d'histoire du droit, j'ai su que je voulais devenir professeure d'université. Surtout ma vocation pour la chose publique était née. Simple militante, j'ai longtemps été élue d'opposition dans un petit village de la banlieue parisienne,. Quand j'ai cessé d'être rectrice, j'ai été élue première adjointe au maire de Toulouse, chargée de la culture, et première vice-présidente de la région Midi-Pyrénées, chargée de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la recherche. J'ai aussi été élue à la Communauté urbaine.
Ces cinq dernières années m'ont permis de porter un autre regard sur les politiques publiques menées par l'Etat. Il faut d'abord conduire des politiques orientées en fonction du choix des électeurs : j'ai le souvenir de notre action pour donner accès à tous les jeunes Toulousains à une pratique culturelle soutenue, conformément à nos choix, anticipant sur la réforme des rythmes scolaires. En outre les politiques doivent s'adapter à la diversité des territoires. Dans une région grande comme la Belgique, il y a une grande métropole de 1,5 millions d'habitants, Toulouse, et de vastes zones rurales.
Il convient aussi d'aborder les problématiques sociales et économiques de façon innovante : j'ai élaboré un schéma régional de l'enseignement supérieur et pour l'action économique. Ce passage du service de l'État à celui des collectivités territoriales a correspondu avec la découverte d'un dialogue concret avec les citoyens.
Ces expériences multiples, comme toutes les personnes que j'ai rencontrées qui ont exercé une influence sur ma personnalité, et que je n'ai pas évoquées, expliquent sans doute le choix du Président du Sénat.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci Madame ... le recteur ?
Mme Nicole Belloubet. - Après avoir longtemps hésité, j'ai choisi « la rectrice ».
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je laisse la parole aux membres de la commission : je ne sais s'ils sont « incommodes »...
M. Gaëtan Gorce. - Je suis heureux que le M. le Président du Sénat ait choisi une femme pour siéger au Conseil constitutionnel. Mais les mérites de votre candidature ne se limitent pas à cette caractéristique...
Au Conseil constitutionnel, vous aurez à exploiter vos compétences juridiques. Plusieurs questions suscitent régulièrement des débats entre le Parlement et cette institution. Ma première interrogation concerne la difficulté à concilier des préoccupations différentes de même niveau constitutionnel. Nous réfléchirons bientôt à la fin de vie. Comment articuler le droit à la vie, qui appartient à notre ordre juridique, et le respect des libertés individuelles, qui donnent à chacun le droit de choisir sa mort ?
La compétence pour légiférer sur le cumul des mandats appartient-elle à chaque assemblée ou ne relève-t-elle, en dernier ressort, que de l'Assemblée nationale ?
Enfin, concernant le Conseil constitutionnel, estimez-vous que les modalités de ses délibérations, de désignation de ses membres, ou d'exercice de ses responsabilités sont satisfaisantes dans une démocratie moderne ?
M. Patrice Gélard. - Quelles disciplines enseigniez-vous à Paris comme à Toulouse ? Votre spécialité paraît plutôt être la science administrative. Quels ont été vos travaux de recherche, même si vos fonctions de rectrice ou de vice-présidente d'une région ont pu ne vous laisser que peu de temps pour vous y consacrer ?
Vous n'avez pas présenté votre vision du Conseil constitutionnel. Votre présentation, magnifique pour un candidat à des élections sénatoriales, convenait moins à une personne proposée à la nomination au Conseil constitutionnel. Certains projets de réforme existent depuis longtemps sur la présence des anciens Présidents de la République ou encore sur l'expression des opinions dissidentes : celles-ci existent dans de nombreuses cours constitutionnelles. Or, la tradition du Conseil est l'unanimisme. L'expression d'opinions dissidentes aboutirait à établir une hiérarchie entre les décisions prises à l'unanimité, susceptibles de créer des précédents, et les autres.
Que pensez-vous également de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), innovation majeure ? Le rôle du Conseil constitutionnel est-il celui d'une cour constitutionnelle ? Que pensez-vous, enfin, du mode de désignation des membres du Conseil ?
M. Pierre-Yves Collombat. - L'action du Conseil constitutionnel doit-elle avoir une dimension politique ? Et, le cas échéant, jusqu'où ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Votre question est un modèle de concision, mais, comme les sujets de dissertation d'une ligne, elle est difficile.
M. Jacques Mézard. - Votre carrière d'élue locale a été fulgurante. Quelle est votre opinion sur les modes de scrutin proportionnel et uninominal, et leur articulation ?
Quel est, par ailleurs, votre sentiment sur la décentralisation et le rôle de l'État dans nos territoires ?
M. Christian Cointat. - Le Conseil a beaucoup évolué depuis sa création, notamment en raison de l'ouverture de la saisine à 60 députés ou sénateurs. Avec la QPC les citoyens ont reçu ce pouvoir et le changement est d'importance. Comment envisagez-vous l'évolution du Conseil constitutionnel pendant les neuf années où vous siégerez ?
Sur le cumul des mandats, le Conseil constitutionnel a d'abord considéré que la loi organique était relative au Sénat et devait être adoptée avec son approbation, puis il a jugé qu'elle ne lui était pas spécifique et concernait tous les parlementaires, et ne relevait donc pas d'une procédure particulière. Qu'en pensez-vous ?
L'expérience de responsabilités politiques est enrichissante, mais un juge constitutionnel doit oublier la subjectivité partisane. Comment ferez-vous pour être un conseiller totalement objectif ?
M. Michel Mercier. - Je ne peux vous interroger sur les textes que vous aurez à connaître, vous ne pourriez répondre. Comment envisagez-vous vos fonctions au sein du Conseil constitutionnel ? Vous êtes juriste, mais le Conseil constitutionnel comportait peu de juristes quand de grandes décisions ont été rendues. Pourriez-vous préciser votre vision de l'organisation politique de notre pays ?
M. Alain Richard. - A l'occasion de cette audition initiatique pour la candidate comme pour notre commission, nous découvrons le champ des questions que nous pouvons poser. La candidate ne peut répondre à des questions sur la jurisprudence et il est évident qu'elle connaît la Constitution. Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il ne détenait pas le pouvoir d'appréciation qui appartient au législateur, évidence politique et juridique. Néanmoins, il est amené à combiner des normes diverses : dans sa décision sur les nationalisations la mention de la « juste et préalable indemnité » prévue dans la Déclaration de 1789 a eu d'importantes répercussions. Quelle ligne guide l'association de plusieurs normes de droit ?
M. Jean-Yves Leconte. - Certaines décisions du Conseil constitutionnel, annulations d'élections ou de mesures délibérées au Parlement, répondant à des engagements pris devant les Français, semblent heurter la souveraineté populaire. Est-ce normal ? Comment l'expliquer à la population ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Au Conseil constitutionnel siègent d'éminents magistrats, tels l'ancien Premier président de la Cour de Cassation et l'ancien Vice-président du Conseil d'État. Il me semble exagéré de considérer le Conseil constitutionnel comme une cour suprême ; la Cour de cassation et le Conseil d'État tendent déjà à se considérer comme telles...
Comment articuler le contrôle de constitutionnalité, avec le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne et les jurisprudences de la Cour de Cassation et du Conseil d'État, car le Conseil constitutionnel refuse tout contrôle de conventionalité ? Ce système a des hiatus. Comment envisagez-vous les risques de contrariété de jurisprudence entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation notamment, apparus lors de refus de transmission de QPC ?
Mme Hélène Lipietz. - Je suis heureuse de vous accueillir dans une assemblée où la parité est imparfaite. Mais vous connaissez la difficulté d'être une femme dans une assemblée masculine...
Comment articuler la Charte de l'environnement et les droits sociaux énumérés dans le Préambule de 1946 ? Le Conseil constitutionnel s'est peu appuyé sur elle jusque-là.
Mme Catherine Tasca. - Quelle appréciation portez-vous sur l'intégration des normes européennes dans notre droit ?
Mme Nicole Belloubet. - Monsieur Gélard, comme tout enseignant de droit public, j'ai dispensé des cours de droit administratif, de droit constitutionnel et de doit communautaire ; actuellement à l'Institut d'études politiques j'enseigne essentiellement le droit européen. Je retrouverai avec bonheur le droit constitutionnel !
Le Conseil constitutionnel a considérablement évolué. Il avait été créé au début de la Ve République pour limiter les pouvoirs du Parlement. Depuis la perspective a changé. Il ne constitue pas une cour suprême mais une cour constitutionnelle : la procédure et la QPC, introduite en 2008, en témoignent. Sa juridictionnalisation était nécessaire. Il devient un juge de protection des droits et libertés fondamentales plus qu'un juge de la procédure, soumis à l'exigence de concilier les droits et les libertés avec l'intérêt général. A cette fin il doit s'appuyer sur les travaux des parlementaires qui éclairent la volonté de la représentation nationale.
Cette évolution vers une cour constitutionnelle protège le rôle du Conseil d'État et de la Cour de cassation. Une spécialisation se dessine entre cours suprêmes, en même temps qu'une association par le biais de la QPC et de la procédure de renvoi. Mais les juges des cours suprêmes sont des juges négatifs de la constitutionnalité, alors que le Conseil constitutionnel affirme son rôle de juge positif. La complémentarité est nette : pour apprécier la constitutionnalité d'un texte transmis dans le cadre d'une QPC, le juge s'appuiera en effet sur la jurisprudence des autres cours.
Madame Tasca, le juge Pescatore disait que le droit européen était un droit de l'intégration. Une des tâches du Conseil constitutionnel sera de progresser en ce sens. Certes la Constitution reste au sommet de l'ordre juridique français. Mais le Conseil constitutionnel contrôle désormais la conformité des lois de transposition de directives à ces directives, sous réserve du respect des traditions constitutionnelles de la France. Il adopte une attitude de plus en plus intégratrice de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice de l'Union européenne. Le dialogue des juges est une réalité.
Monsieur Richard, je crois à la capacité d'interprétation du Conseil constitutionnel. Le droit vaut par l'interprétation des juges. En l'occurrence, elle est fondée sur la conciliation des principes fondamentaux.
Ma vie politique antérieure ? Je serai soumise à une obligation de réserve et d'impartialité, dans le double sens défini par la CEDH d'impartialité subjective, plus délicate, et objective. Je veillerai à respecter ces obligations.
Je n'avais pas songé à l'articulation de la Charte de l'environnement et du Préambule de 1946, sauf à propos de l'éducation : l'alinéa 13 du Préambule pose le principe d'un enseignement public, laïque, gratuit et obligatoire, tandis que la Charte de l'environnement évoque l'éducation à l'environnement. Le Conseil constitutionnel a déjà intégré la Charte dans le bloc de constitutionnalité. Mais il est plus difficile d'en mesurer les applications pratiques.
Monsieur Cointat, dans les années à venir, il me semble que le Conseil constitutionnel devra approfondir la piste du dialogue des juges, en respectant le partage des attributions entre un juge de constitutionnalité et des juges de conventionalité et du fond.
Concernant la présence des anciens Présidents de la République, je ne saurais répondre à la place du constituant. Il s'avère qu'ils siègent peu, pour différentes raisons. La très grande majorité des décisions du Conseil sont rendues en leur absence. La juridictionnalisation de la procédure pourrait conduire le constituant à réfléchir à cette appartenance de droit.
La QPC constitue une innovation majeure et un succès quantitatif : 5000 demandes, 1500 transmises, 250 décisions rendues dont 54% de conformité. C'est aussi un succès qualitatif car le contrôle s'oriente sur les droits fondamentaux.
Quant au mode désignation des membres du Conseil constitutionnel, j'espère que j'en serai satisfaite après le vote...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il me semble que vous n'avez pas répondu à M. Collombat et à M. Gorce.
M. Gaëtan Gorce. - Mes questions portaient, à dessein, sur des sujets qui entreront bientôt dans le champ de la discussion : le respect du droit à la vie et la liberté individuelle, le non-cumul des mandats. Vous ne pouvez pas y répondre. Telle est l'ambiguïté de cette audition. Certes la possibilité de se prononcer sur une proposition de nomination au Conseil constitutionnel représente un progrès pour le Parlement. Mais le vote à la majorité qualifiée négative prive notre vote d'incidences sur la décision, à moins d'un événement inattendu. De plus, les questions d'ordre politique sont interdites car le candidat ne saurait se prononcer à l'avance sur les textes qu'il aura à examiner. Nous constituons pourtant une assemblée politique, non un jury de concours, et il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l'aptitude professionnelle de Mme Belloubet.
De deux choses l'une : ou le Conseil constitutionnel a vocation à fonctionner comme un tribunal indépendant du pouvoir politique, et la question de la manière dont ses membres sont nommés reste posée, ou il assume sa fonction politique et alors nous devons pouvoir tenir un débat sur le fond, sans quoi cette réunion se limite à un entretien convivial validant un processus qui reste sous le contrôle de l'exécutif.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Votre remarque s'adresse autant au constituant qu'à Mme Belloubet.
M. Hugues Portelli. - Les délais dont dispose le Conseil constitutionnel pour prendre ses décisions sont très brefs, par comparaison avec la Cour fédérale allemande par exemple. Qu'en pensez-vous ?
Mme Nicole Belloubet. - M. Mézard m'a posé une question sur la décentralisation et le rôle de l'Etat.
M. Jacques Mézard. - Pour moi, une non réponse est une réponse : je n'en demande pas plus.
Mme Nicole Belloubet. - Telle n'était pas mon intention !
Les modes de scrutin sont choisis par le législateur dans le respect du suffrage universel.
Certes, les délais sont brefs : un mois pour le contrôle a priori et trois mois pour les questions prioritaires de constitutionalité (QPC). Mais c'est ce qui fait que le juge constitutionnel se cantonne dans sa fonction, n'intervient pas en juge de la conventionalité et s'appuie sur les cours suprêmes. Cette étroitesse des délais a aussi un effet sur la rédaction des décisions : elle est synthétique, n'expose pas les opinions dissidentes, ce qui est un atout pour le travail collectif. Le Conseil constitutionnel a-t-il une dimension politique ? Tout dépend du sens qu'on donne à ce mot. Le Conseil constitutionnel utilise davantage la gomme que le crayon, aurait dit l'actuel président du Conseil ; il se tourne assez souvent vers le législateur pour récrire le texte.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci.
Mme Nicole Belloubet. - C'est moi qui vous remercie.
Audition de Mme Nicole Maestracci, candidate proposée par M. le Président de la République à la nomination au Conseil constitutionnel
Puis la commission entend Mme Nicole Maestracci, candidate proposée par M. le président de la République à la nomination au Conseil constitutionnel en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ainsi qu'au vote sur cette proposition de nomination.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous procédons à présent à l'audition de Mme Maestracci, qui a présidé pendant plusieurs mois l'instance préparatoire à la conférence de consensus, dont les travaux nous intéressent beaucoup.
Mme Nicole Maestracci. - Magistrate du siège dans l'ordre judiciaire depuis 1979, j'ai commencé ma carrière comme avocate, collaboratrice d'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de Cassation. J'ai exercé toutes les fonctions du siège à l'exception de celles de juge d'instruction. J'ai été en particulier juge des enfants et juge d'application des peines, à une époque où ces fonctions étaient moins valorisées qu'aujourd'hui. Ce sont des fonctions du temps long : on y suit l'évolution des personnes et l'on comprend les conséquences des décisions que nous rendons. J'ai été conseiller à la Cour d'appel, puis présidente de chambre à la Cour d'appel de Paris, où j'ai traité le contentieux commercial tout en étant chargée de la coordination des juges d'application des peines. J'ai été présidente du tribunal de Melun pendant plusieurs années, et suis actuellement présidente de la Cour d'appel de Rouen. Dans ces fonctions de chef de juridiction, il faut veiller à ce que la justice soit correctement rendue sur le territoire, mais on dirige des juges indépendants, ce qui rend l'exercice complexe, surtout dans une période de contrainte budgétaire.
J'ai exercé des fonctions administratives : j'ai été responsable du bureau de la direction de l'administration pénitentiaire qui a mis en oeuvre le travail d'intérêt général, qui venait d'être voté à l'unanimité par le Parlement, et qui s'est efforcé d'ouvrir l'administration pénitentiaire aux associations et services publics susceptibles de faciliter la réinsertion des détenus. J'ai été brièvement conseiller technique à la délégation interministérielle à la sécurité routière, où il fallait gérer des logiques contradictoires (prévention, santé publique, logiques industrielles, opinion publique...), ce qui m'a appris combien les politiques publiques étaient nécessaires à l'application effective de la loi. De 1988 à 1990 j'ai suivi les questions de protection judiciaire de la jeunesse, les questions relatives aux étrangers et à la politique de la ville au cabinet du ministre. De 1998 à 2002 j'ai présidé la mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie, où j'ai essayé de mettre à disposition de tous les éléments du débat, et en particulier des données scientifiques validées, y compris sur les substances licites comme l'alcool et le tabac. Je me suis aussi intéressé à la recherche : la mission sur la recherche au ministère de la justice dont j'ai été chargée en 1991 a abouti à la création du groupement d'intérêt public « droit et justice ». J'ai présidé pendant plusieurs années la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale. J'y ai appris combien il est difficile pour certaines personnes d'accéder au droit : c'est la problématique du non recours.
Je ne suis pas une spécialiste du droit constitutionnel, mais si je suis nommée membre du Conseil je ferai tout pour acquérir les compétences nécessaires. La réforme de 2008 m'a toutefois conduite à intégrer le droit constitutionnel dans mes pratiques, puisque j'ai transmis plusieurs QPC à la Cour de Cassation. Je me suis réjouie du contrôle a posteriori de la loi ainsi instauré, qui nous fait prendre conscience de la manière dont une loi s'applique. Et je me réjouis de l'opportunité de rejoindre cette cour, non pas suprême mais constitutionnelle.
M. Jean-Pierre Michel. - Pourquoi y a-t-il deux procédures de contrôle différentes, l'une a priori et l'autre a posteriori ? Et pourquoi, lorsque le Conseil constitutionnel contrôle a priori, peut-il s'affranchir de la saisine, en décidant par exemple qu'un article, voté à l'unanimité par le Parlement, est un cavalier ? C'est totalement inadmissible !
M. Patrice Gélard. - Je salue la Cour d'appel de Rouen, dont un ancien membre est Premier Président de la Cour de Cassation, et que vous vous apprêtez à illustrer en intégrant le Conseil constitutionnel... Je m'inquiète toutefois que les magistrats, qu'ils proviennent de la Cour de Cassation, du Conseil d'État ou de la Cour des comptes, deviennent majoritaires au sein de ce Conseil, au détriment notamment des professeurs de droit. Qu'en pensez-vous ?
M. Gaëtan Gorce. - Je salue la qualité des candidats qui nous sont présentés. Nous n'allons pas commenter leurs parcours, et ne pouvons pas les interroger sur des sujets de fond. Nous cherchons donc des questions courtoises pour occuper cette séance... Je comprends qu'on ait voulu par cette procédure remédier à des abus commis dans les années 1960, 1970 ou 1980. Mais pourquoi ne pas aller au bout de la logique ? Pour ma part je ne trouve pas satisfaisant d'avoir à donner notre aval à une décision prise ailleurs, aussi satisfaisante soit-elle.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Comme tout à l'heure, votre remarque s'adresse autant à des autorités absentes qu'à Mme Maestracci.
M. Christophe Béchu. - Je trouve aussi ce système imparfait, mais il est tout de même satisfaisant de disposer d'une procédure, même complexe, pour empêcher un éventuel choix peu éclairé. Mais le parcours et l'expérience de Mme Maestracci ne peuvent que susciter notre unanimité. Que pensez-vous de la tentation actuelle de rouvrir des tribunaux ? De celle de dépénaliser, ou de la contraventionnaliser, les drogues ? Vous avez évoqué les droits non revendiqués : pensez-vous que le Conseil constitutionnel peut se soucier de l'effectivité de l'application des lois, au travers de la QPC notamment ?
M. Christian Cointat. - On dit qu'en droit la faute n'existe que quand elle est constatée. Jusqu'en 2008, les citoyens avaient des droits garantis mais ne pouvaient pas se plaindre si on les violait. Ils le peuvent désormais, mais les juridictions ont tendance à filtrer à l'excès leurs requêtes : cela vicie le dispositif. Qu'en pensez-vous ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Vous connaissez bien le monde d'en bas, et c'est de bon augure puisque vous allez siéger dans celui d'en haut. Le Conseil constitutionnel a été amené à prendre des décisions politiques. Est-ce son rôle ? Est-ce inéluctable ? Vous avez évoqué le droit au logement opposable (DALO) et son application. La loi n'est-elle pas venue suppléer les insuffisances de la politique de création de logements ?
M. Jean-René Lecerf. - Je suis moins pessimiste que mes collègues sur l'utilité de cette procédure. Elle a un effet en amont : l'autorité de nomination s'organise pour que le passage devant les commissions compétentes ne pose pas de problème. Il est même arrivé que l'on change de candidat à cause de cette perspective. Le Conseil constitutionnel est le censeur des lois : sa relation avec le législateur est donc complexe. Pour ne rien arranger, les QPC l'amènent à lui donner des injonctions. Ne pensez-vous qu'il devrait, au moins dans son contrôle a priori, auditionner les rapporteurs des deux assemblées ? Ils pourraient expliciter l'intention du législateur, et cela éviterait sans doute des censures. Le Conseil constitutionnel a été créé dans une perspective de rationalisation du parlementarisme : le Conseil d'État, censeur des décrets, protégeait le domaine de la loi, le Conseil constitutionnel censurait les lois et protégeait le domaine du règlement. Cette compétence ancienne n'est-elle pas obsolète ?
M. Jean-Yves Leconte. - Le Conseil constitutionnel est le juge de certaines élections. Certains de ses membres ont témoigné des débats qui s'y sont tenus sur l'élection de 1995. Peut-on invalider une élection présidentielle ?
M. Alain Richard. - Mes commentaires seront un peu moins mélancoliques. Le Parlement tarde à prendre conscience qu'il n'est pas seul responsable de l'État de droit. Depuis 67 ans, il existe une autre institution qui le garantit, le cas échéant contre des décisions du pouvoir législatif. Nous savons que le Conseil constitutionnel suit de très près le travail parlementaire : c'est d'ailleurs ainsi qu'il parvient à rendre ses décisions dans les délais. Nous sommes co-auteurs de la décision de nomination. Cet équilibre des pouvoirs n'a rien pour nous frustrer. Je suis heureux qu'une autre spécialiste de droit privé entre au Conseil constitutionnel, car le droit est pluriel. Tous les spécialistes de droit public n'ont pas la connaissance intime du droit pénal et civil qui est parfois nécessaire.
Le Conseil constitutionnel a évoqué l'idée qu'une loi avait une vie dans sa décision récente sur la garde à vue, en affirmant que ce qu'il avait déclaré conforme il y a dix ans ne l'était plus. La loi sur le DALO a rendu essentiellement procédurale l'application d'un droit social, entraînant des changements de comportement, notamment de la part de l'État, soucieux d'éviter les astreintes. Je considère que cela dénature les conditions antérieures du droit au logement en modifiant de manière incontrôlée les règles de priorités qui existaient auparavant. Serait-il judicieux que ces mesures soient étendues, ce qui développerait un pouvoir de mise en cause procédurale de l'État ?
M. Hugues Portelli. - Pour ma part, je me réjouis de la présence au sein du Conseil constitutionnel de nombreux magistrats, notamment de l'ordre judiciaire. Il n'est arrivé qu'une fois qu'un magistrat de l'ordre judiciaire soit secrétaire général du Conseil constitutionnel - peut-être cela pourra-t-il se reproduire bientôt... Depuis l'origine il y a un lien étroit entre le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel, et un lien plus ténu entre celui-ci et la Cour de cassation, qui a pu être mis à l'épreuve par la procédure de la QPC. La théorie du droit vivant s'applique-t-elle aussi à la jurisprudence de la Cour de cassation ? La défense des droits fondamentaux consiste de plus en plus en la défense des droits procéduraux, je m'en réjouis. Il n'y a pas que la QPC, la saisine parlementaire est aussi concernée, et depuis deux ans le Conseil constitutionnel est beaucoup plus exigeant sur la motivation des saisines, qu'il trouve parfois quelque peu désinvolte. Êtes-vous favorable à cette évolution ?
M. Patrice Gélard. - Je n'ai pas condamné la présence de magistrats au Conseil constitutionnel, j'ai simplement constaté qu'elle était plus importante.
M. Alain Richard. - Ce qui avait un effet d'éviction sur les professeurs d'université...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Beaucoup d'autres professions n'y sont pas représentées...
M. Michel Mercier. - Vous nous avez dit n'être pas constitutionnaliste et vouloir acquérir les compétences nécessaires. Ne pensez-vous pas qu'au cours des dernières années le Conseil constitutionnel a aidé ou provoqué les évolutions majeures du droit pénal et civil ? Le droit pénal est redevenu ce qu'il est vraiment : une branche du droit public. La réforme de la garde à vue a donné lieu à une sorte de course entre les juridictions : la cour de Strasbourg, la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel, le Parlement même... Le résultat n'est pas parfait. Qu'en pensez-vous ?
Mme Nicole Maestracci. - Je ne pourrai peut-être pas répondre à tous, car certaines questions sont susceptibles d'être examinées par le Conseil constitutionnel, et d'autres sont très techniques. C'est vrai que le contrôle a priori est plus étendu que le contrôle a posteriori, dans lequel le Conseil se borne à répondre à la question posée. Le Conseil y examine l'ensemble du texte afin de prévenir autant que possible les questions ultérieures. Il me semble toutefois qu'il fait un usage prudent et respectueux de cette faculté : il a rappelé à maintes reprises que ce contrôle différait en nature du travail parlementaire, et qu'il ne prétendait pas vérifier si les moyens mis en oeuvre par le Parlement étaient adaptés à l'objectif visé.
Notre constitution ne prévoit aucune condition pour être membre du Conseil constitutionnel. La QPC donne au Conseil constitutionnel un rôle de juridiction : est-il anormal qu'une juridiction soit composée de magistrats ? Leur présence est bienvenue étant donné l'évolution du rôle du Conseil. Les méthodes de travail y sont proches de celles du Conseil d'État, mais le juge judiciaire peut y apporter son expérience et son sens du pragmatisme. Il ne m'appartient certes pas d'apprécier les modalités de nomination des membres du Conseil constitutionnel prévues par la Constitution, mais il ne me semble pas anormal qu'à mesure que l'institution évolue vers une cour constitutionnelle, elle comporte des magistrats ayant exercé des fonctions de juge. Même si le législateur a multiplié les juridictions à juge unique, les juges judiciaires ont l'expérience du délibéré.
L'organisation de la carte judiciaire peut faire l'objet de prises de positions du Conseil constitutionnel. Comment concilier proximité judiciaire et sécurité juridique ? Nous n'avons pas encore trouvé la meilleure réponse. Je ne puis me prononcer sur la question de la dépénalisation. Les juridictions ne peuvent pas tout faire : tout n'entre pas dans le périmètre de la justice pénale, il y a d'autres modes de régulation sociale. Lorsque le chèque sans provision a été dépénalisé, l'interdiction qui le frappait n'a pas été affaiblie.
L'application de la loi est aussi importante que la loi elle-même. La loi doit être lisible, et ses conditions d'applications doivent être réunies grâce à des politiques publiques adéquates. Le juge constitutionnel a insisté plusieurs fois sur l'exigence de clarté et d'accessibilité de la loi, et nos concitoyens s'en soucient également davantage. La responsabilité est partagée entre le Parlement, les magistrats - et le Conseil constitutionnel.
Sur les quelque 1 500 QPC transmises au Conseil d'État et à la Cour de Cassation, trois cent environ ont été renvoyées au Conseil constitutionnel. La régulation par la Cour de Cassation semble avoir été plus ferme que celle du Conseil d'État : elle a voulu mettre cette procédure en concurrence avec le contrôle de conventionalité, et elle a contesté la possibilité pour le Conseil constitutionnel de contrôler son interprétation de la loi. Ces difficultés semblent dépassées. On a beaucoup parlé de dialogue des juges, il semble avoir eu lieu : la régulation fonctionne bien.
Les priorités sont fixées par le Gouvernement et le législateur, le rôle du Conseil constitutionnel est de contrôler la constitutionalité de la loi. Évidemment, il s'agit d'une interprétation, qui doit tenir compte du contexte.
Faut-il prévoir d'auditionner les rapporteurs ? Question intéressante, à laquelle je ne peux répondre ici. Le Conseil constitutionnel a souvent entendu d'autres acteurs : il n'est pas dans une tour d'ivoire. Est-il un outil de rationalisation du travail parlementaire, comme la Constitution le prévoit ? En censurant les cavaliers, il exerce un contrôle déterminant mais prudent.
Un texte comme la loi DALO entraîne en effet des changements de comportement des acteurs. Je me souviens des débats : c'était la première fois qu'une loi était dite opposable, ce qui semblait alors un pléonasme. Elle a obligé les acteurs locaux à avoir un dialogue sur l'attribution des logements, sur l'accessibilité... C'est un effet positif. Mais une loi ne pallie pas un manque de logement, comme il y en a en région parisienne, où son application a été limitée.
La concurrence qui s'est installée entre les juridictions a abouti rapidement à une situation inconfortable. C'est ce qui conduit certains spécialistes à souhaiter que le Conseil constitutionnel aille plus loin dans le contrôle de conventionalité des textes. Sur ce point, je me garderai de me prononcer !
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci de vos réponses.
Avis sur des nomination au Conseil constitutionnel - Votes et résultats des scrutins
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous allons procéder au vote sur les nominations au Conseil constitutionnel proposées par le Président de la République et le Président du Sénat. J'appelle les deux plus jeunes secrétaires de la commission présents, M. Jean-Yves Leconte et Mme Virginie Klès, pour assurer les fonctions de scrutateurs.
Nous allons procéder à deux votes successivement par un scrutin secret.
Je vais d'abord consulter la commission sur la candidature de Mme Nicole Belloubet.
Je vous rappelle que vous avez à votre disposition sur la table des bulletins blancs pour voter. Je vous demande d'exprimer votre vote par les mentions « pour » ou « contre ».
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin est clos.
Je demande aux scrutateurs de procéder au dépouillement.
Voici les résultats du scrutin :
- votants : 25
- pour : 13
- contre : 11
- bulletin blanc : 1
La nomination de Mme Nicole Belloubet est donc validée par ce vote puisque l'addition des votes négatifs ne représente pas au moins 3/5èmes des suffrages exprimés au sein de notre commission des lois, seule appelée à se prononcer sur cette désignation.
Je vais maintenant consulter la commission sur la candidature de Mme Nicole Maestracci.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin est clos.
Je vous précise qu'il s'agit de la nomination par le Président de la République. En conséquence, cette candidature ne doit pas rencontrer l'opposition des 3/5èmes au moins des suffrages exprimés au sein des deux commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Nous pouvons maintenant procéder au dépouillement puisque la commission des lois de l'Assemblée nationale y est également prête.
Voici les résultats du scrutin :
- votants : 25
- pour : 17
- contre : 6
- bulletins blancs : 2
Je vous communiquerai les résultats du scrutin à l'Assemblée nationale dès qu'ils m'auront été transmis.
Création d'une commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage - Nomination d'un rapporteur et examen du rapport pour avis
- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président -
M. Jean-Pierre Michel, président. - Nous devons procéder à la nomination d'un rapporteur pour avis sur la proposition de résolution n° 344 (2012-2013), présentée par M. Jean-Jacques Lozach et les membres du groupe socialiste et apparentés, tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage.
J'ai reçu la candidature de M. Jean-Pierre Sueur. Y a-t-il d'autres candidatures ?
Aucune autre candidature n'est déposée.
Y a-t-il des oppositions ?
Aucune opposition.
En conséquence, M. Jean-Pierre Sueur est nommé rapporteur de la proposition de résolution.
M. Jean-Pierre Michel, président. - Nous allons procéder à l'examen du rapport pour avis de M. Jean-Pierre Sueur sur cette proposition de résolution.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Mes chers collègues, le 8 février 2013, notre collègue Jean-Jacques Lozach et les membres du groupe socialiste et apparentés ont déposé une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage. Cette proposition a été envoyée au fond à la commission de la culture et, pour avis, à notre commission.
Le groupe socialiste a fait connaître qu'il demandait la création de cette commission d'enquête au titre du « droit de tirage ». Il en a saisi la conférence des présidents, qui doit se réunir ce soir à 19 heures.
Conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 25 juin 2009 et à notre règlement, il nous appartient au préalable, y compris dans le cadre du « droit de tirage », de nous prononcer sur la recevabilité de cette proposition au regard de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui traite des commissions d'enquête.
Dans la mesure où il s'agit d'enquêter sur la gestion de services publics, en l'occurrence les organismes intervenant dans le domaine de la lutte contre le dopage, et non sur des faits déterminés, il n'y a pas lieu d'interroger le garde des sceaux, par le truchement du président du Sénat, sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires en cours. Les autres conditions de recevabilité sont remplies.
Ceci signifie, mes chers collègues, que si nous sommes saisis d'une demande de commission d'enquête portant sur des faits déterminés dans le cadre du « droit de tirage », il faudra saisir le garde des sceaux.
En conséquence, je vous propose de considérer que la proposition de résolution est recevable.
M. Jean-Pierre Michel, président. - Je consulte la commission sur les conclusions de ce rapport.
Elles sont adoptées à l'unanimité.
Nomination au Conseil constitutionnel - Résultats du vote organisé au sein des deux assemblées
M. Jean-Pierre Michel, président. - Voici les résultats du scrutin organisé à la commission des lois de l'Assemblée nationale sur la candidature proposée par le Président de la République au Conseil constitutionnel de Mme Nicole Maestracci :
- votants : 48
- pour : 32
- contre : 16
Le scrutin consolidé par l'addition des résultats de chacun des scrutins organisés dans les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat donne les résultats suivants :
- votants : 73
- pour : 49
- contre : 22
- bulletins blancs : 2
La nomination de Mme Nicole Maestracci est donc confirmée.
Article 11 de la Constitution - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
Puis la commission examine le rapport et le texte qu'elle propose pour le projet de loi organique n° 242 (2011-2012) et le projet de loi n° 243 (2011-2012), adoptés par l'Assemblée nationale, portant application de l'article 11 de la Constitution.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Comme vous le savez, le groupe UMP a choisi d'inscrire dans son temps réservé les deux projets de loi déposés par le précédent gouvernement et adoptés par l'Assemblée nationale, portant application de l'article 11 de la Constitution.
Je vais faire un rapport oral relativement succinct pour consacrer plus de temps à l'examen des amendements déposés sur ces deux textes.
La modification de l'article 11 par la révision du 23 juillet 2008, est l'aboutissement d'une longue réflexion visant à associer plus étroitement le citoyen à l'élaboration de la loi. Les comités respectivement présidés par le doyen Georges Vedel en 1993 et M. Edouard Balladur en 2007 ont conclu à l'introduction dans la Constitution d'un dispositif référendaire qui fasse plus de part aux électeurs.
Donnant corps à cette réflexion, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a fixé les règles de cette nouvelle initiative référendaire.
Tout d'abord, le référendum ne peut porter que sur les matières définies par l'article 11 de la Constitution, c'est-à-dire « l'organisation des pouvoirs publics, des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou l'autorisation de ratifier un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions », ce qui exclut les réformes à caractère sociétal.
Le référendum doit être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement sous la forme d'une proposition de loi. Elle est contrôlée par le Conseil constitutionnel et si elle est validée, l'initiative est ensuite soumise à une sorte de droit de pétition : un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales doivent soutenir la proposition de loi déposée par un cinquième des parlementaires.
Le juge constitutionnel vérifie que les deux conditions sont réunies. La proposition de loi peut alors être examinée par chacune des deux chambres du Parlement. Si elle ne l'est pas dans un délai déterminé par la loi organique, le Président de la République doit la soumettre au référendum.
Le seul délai inscrit dans la Constitution est celui fixé pour la promulgation de la loi en cas d'adoption référendaire : les quinze jours suivant la proclamation des résultats de la consultation.
Lors de la discussion de la révision constitutionnelle en 2008, le débat a eu lieu sur l'opportunité d'introduire un tel mécanisme : certains de nos collègues, dans les différents groupes politiques, étaient partisans de cette formule ; d'autres s'y opposaient. Finalement, la réalité de ce qui a été adopté s'apparente plus à un droit de pétition qu'à un référendum.
Aujourd'hui, tout groupe parlementaire a le droit de demander l'inscription d'un texte à l'ordre du jour de son assemblée. Il pourra demander l'inscription d'une proposition de loi référendaire et, quels que soient les résultats de l'examen de cette proposition, le Président de la République ne pourra plus la soumettre à référendum même si elle a été rejetée car elle aura été examinée.
Ce dispositif n'a donc que l'apparence d'un référendum d'initiative populaire.
Je vous renvoie aux propos de notre ancien collègue Robert Badinter : « Je me suis interrogé : qu'est-ce, au regard des droits du Parlement, que ce mélange bizarre qui nous est présenté ? Giraudoux avait raison : l'imagination est la première forme du talent juridique. Ici, elle a simplement pris le tour que Clemenceau se plaisait à dénoncer sarcastiquement : « Vous savez ce que c'est qu'un chameau ? C'est un cheval dessiné par une commission parlementaire. » Aujourd'hui, nous avons affaire à un chameau comme, depuis plus de douze ans que je suis sénateur, je crois n'en avoir jamais rencontré. ».
Je vous proposerai des amendements sur six points, complétés par une interrogation.
La Constitution parle d'une initiative qui « prend la forme d'une proposition de loi ».
Je vous propose de ne pas partager le point de vue de l'Assemblée nationale et donc de créer une proposition de loi spécifique, appelée « proposition de loi référendaire », susceptible d'être signée par des députés et des sénateurs. Les signataires devront préciser auprès de quelle assemblée la proposition sera déposée.
Nous sommes dans un exercice républicain et je vous présente cet amendement pour être aussi respectueux que possible de la lettre de la Constitution.
Si on veut recueillir 4,5 millions de signatures, le délai de trois mois prévu par le projet de loi organique est trop court ; je vous proposerai donc de le porter à six mois.
A l'inverse, je propose de réduire la durée du délai d'examen par le Parlement de 12 à 9 mois. Dans ce cas là, on ne perd pas de temps par rapport à ce qu'ont décidé les députés au final ; la durée globale de la procédure prendra place dans les mêmes délais que ceux fixés par l'Assemblée nationale.
Au terme de ce délai et en l'absence d'examen par le Parlement, le projet de loi organique prévoit que le Président de la République dispose de quatre mois pour soumettre la proposition de loi au référendum : cette condition ne figure pas dans la Constitution. Je vous propose donc de supprimer tout délai et si l'examen par le Parlement n'avait pas eu lieu dans le délai fixé, le Président de la République pourrait immédiatement procéder au référendum.
S'agissant du recueil des soutiens, l'Assemblée nationale a prévu qu'il s'effectuera seulement par Internet. Pour moi, ce dispositif restrictif pose beaucoup de problèmes.
Les députés ont prévu l'installation d'une borne électronique dans chaque chef-lieu de canton, ce qui risque de donner lieu à un certain nombre de débats à la suite des modifications proposées par le projet de loi en cours d'examen réformant le scrutin départemental. C'est un système coûteux et il est choquant de recourir à la seule voie électronique. Je vous propose d'autoriser aussi le recueil des signatures par papier, en renvoyant la fixation des modalités au décret.
Concernant la commission de contrôle, le texte constitutionnel est d'une clarté totale : le contrôle de la validité des signatures relève de la compétence du Conseil constitutionnel et de lui seul. L'Assemblée nationale a maintenu une commission qui, pour moi, n'a pas de légitimité. Un parallèle est fait avec la commission de contrôle de l'élection présidentielle mais ni son origine, ni ses missions, ni ses pouvoirs ne sont réellement comparables. Je vous propose donc que le contrôle soit entièrement confié au Conseil constitutionnel conformément à la lettre de la Constitution. Le Conseil peut faire appel à des rapporteurs, à des rapporteurs adjoints, il peut recruter du personnel pour assurer cette tâche.
Je propose de clarifier les sanctions pénales applicables en cas de fraude et de les codifier.
- Présidence de M. Patrice Gélard, vice-président -
Il s'agit enfin de prendre en compte la décision du 28 septembre 2000 du Conseil constitutionnel qui a estimé nécessaire d'inscrire dans la loi les règles permanentes régissant l'organisation des référendums, au lieu de les définir par décret à chaque nouveau référendum.
Je souhaite maintenant connaître votre sentiment en ce qui concerne le financement des opérations liées au recueil des signatures. Dans le projet de loi adopté par les députés, seuls les partis et groupements politiques peuvent participer à ce financement. Je vais vous proposer d'introduire un plafonnement pour les dons des personnes physiques.
Mais s'agissant de référendums pouvant concerner des sujets économiques et sociaux, ne serait-il pas opportun de permettre aux partenaires sociaux, organisations syndicales salariales ou patronales et aux associations reconnues d'utilité publique de pouvoir financer des opérations de recueil de signatures ? Des organisations syndicales, des associations pourraient être intéressées par de telles actions, ce n'est peut-être pas une bonne chose d'avoir un monopole des partis politiques et des personnes privées, réserve faite d'éventuelles dérives.
Je n'ai cependant pas déposé d'amendement ; je souhaite consulter la commission à ce sujet.
M. Patrice Gélard, président. - Le débat est ouvert.
M. Pierre-Yves Collombat. - Les amendements proposés par le rapporteur sont de bon sens et me conviennent parfaitement. Pour la question du financement, la simplicité voudrait qu'on reprenne les règles applicables aux campagnes politiques ordinaires. Si le texte était finalement soumis au référendum, les règles habituelles s'appliqueraient, alors pourquoi instituer des règles différentes lors de la phase préalable de recueil des signatures ?
M. Hugues Portelli. - J'ai toujours pensé que les dispositions nouvelles introduites à l'article 11 de la Constitution étaient un trompe-l'oeil et, comme le rapporteur l'a expliqué, il n'y a aucune chance d'obtenir un référendum, mais on ne sait jamais. Personnellement, j'approuve le texte comme les amendements proposés, qui permettront de donner une pleine efficacité au dispositif. Mais je suis opposé à l'ouverture du financement à d'autres qu'aux citoyens ou aux partis politiques. Je suis contre l'intervention des groupes de pression dans la vie publique. Avec cette ouverture du financement, ce serait faire entrer le loup dans la bergerie. De plus, des groupes de pression seraient tentés de se lancer dans l'aventure, quel que soit le résultat final, dans le seul but de lancer une campagne d'opinion : recueillir 4,5 millions de signatures n'est jamais anodin. Je pense donc que ce serait extrêmement dangereux.
M. Jean-Yves Leconte. - Je partage l'avis du rapporteur et celui de mon collègue Hugues Portelli sur la question du financement. Il n'y a pas de campagne sans une action politique et c'est le rôle des partis politiques de la mener. Or, il existe des dispositions encadrant le financement des partis politiques : ce serait un recul de s'en affranchir. Les citoyens peuvent créer un parti politique, pour la défense d'une cause particulière. Dès lors, on ne limite pas l'expression citoyenne en limitant la possibilité de financer aux partis politiques. Pour les mêmes raisons que mon collègue Hugues Portelli, je propose de nous en tenir à la rédaction actuelle de l'article 6.
M. Gaëtan Gorce. - Je comprends bien les réticences exprimées. Mais on reproche déjà au dispositif d'être circonscrit ; avec ce monopole réservé aux citoyens et aux partis pour financer les opérations de recueil des signatures, on achève de le verrouiller. Cela mérite une réflexion approfondie, pour permettre notamment aux associations de la loi de 1901 de s'approprier ce dispositif, tout en en écartant les groupes de pression. Je trouve que c'est un peu dommage d'exclure tous les groupements, car le mécanisme en question a justement pour but de permettre de s'exprimer en dehors du seul cadre des partis politiques.
M. Pierre-Yves Collombat. - Il ne s'agit ici que du financement des opérations de recueil des signatures. Cela n'empêche pas les associations de s'exprimer. Elles peuvent se mobiliser et collecter les signatures : ce n'est pas une action très onéreuse.
M. Jean-Yves Leconte. - Un parti politique ad hoc peut être créé pour contribuer au financement de cette campagne ! Ce qui est important, c'est que l'origine des fonds soit identifiable : c'est pour cela que c'est un parti politique qui doit soutenir d'éventuelles actions. On ne peut pas accepter qu'une part de l'action politique s'affranchisse des règles relatives à la traçabilité des fonds des partis politiques.
M. Patrice Gélard, président. - Si le texte transmis par l'Assemblée nationale est perfectible, il n'est cependant pas sûr qu'on ait réglé tous les problèmes dans le texte amendé. Mais nous sommes dans le cadre d'une navette et cette question du financement sera à nouveau évoquée lors de la deuxième lecture. Personnellement, je souhaite que le texte proposé par le Président Jean-Pierre Sueur soit adopté en l'état, avec les amendements qu'il propose.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - S'agissant du financement des actions de recueil des signatures, je retiens la proposition de mes collègues Gaëtan Gorce et Patrice Gélard de dialoguer avec l'Assemblée nationale. Quant à moi, au vu de la position majoritaire qui se dégage des débats en commission, je ne présenterai pas d'amendement sur ce sujet. Il me paraît plus sage de maintenir le dispositif actuel relatif au financement.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Projet de loi organique
Article additionnel avant le chapitre Ier
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, cet amendement n°4 vise à créer un nouveau type de proposition de loi, qui pourrait être signée à la fois par des députés et par des sénateurs et qui, sitôt enregistrée, serait transmise au Conseil constitutionnel par le président de l'assemblée sur le bureau de laquelle elle a été déposée. Cet amendement tire ainsi les conséquences de la rédaction de l'article 11 de la Constitution qui prévoit que l'initiative « prend la forme d'une proposition de loi ».
L'amendement n°4 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°5 est la conséquence du précédent. Il précise en outre que, lorsqu'il a été saisi d'une proposition de loi par le président d'une des assemblées, le Conseil constitutionnel procède au contrôle de cette proposition de loi car il serait absurde de faire signer 4,5 millions d'électeurs pour ensuite constater que la proposition est, par exemple, contraire au premier alinéa de l'article 11.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°35 procède aux coordinations rendues nécessaires par l'amendement que nous venons d'adopter.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°6 vise à préciser que le nombre des parlementaires signataires de la proposition de loi déposée en application du troisième alinéa de l'article 11 de la Constitution doit s'apprécier au regard du nombre de sièges effectivement pourvus.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°7 prévoit que les décisions rendues par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la procédure de l'article 11 devront être motivées.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je me suis déjà expliqué sur l'amendement n°8. Celui-ci vise à supprimer l'intervention de la commission de contrôle initialement prévue par le projet de loi organique, tel qu'il a été voté par nos collègues députés. Il lui substitue un contrôle exercé directement par le Conseil constitutionnel.
M. François Pillet et Mme Jacqueline Gourault. - Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°9 est un amendement de précision.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Les amendements n°s 10 et 11 tirent les conséquences de ce que nous venons d'adopter.
Les amendements n°s 10 et 11 sont adoptés.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°12 tire les conséquences de la suppression de la commission de contrôle prévue par le projet de loi organique tel qu'adopté par les députés.
L'amendement n°12 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°13 vise à porter de trois à six mois la durée de la période de recueil - par voie électronique ou par écrit - des soutiens des électeurs. Cela me paraît justifié par le nombre élevé de soutiens -plus de quatre millions-à recueillir.
Mme Hélène Lipietz. - L'expérience suisse nous montre qu'il peut falloir trois mois pour recueillir 100 000 signatures !
L'amendement n° 13 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°14 vise à prévoir que les soutiens peuvent être recueillis non seulement par voie électronique, comme le prévoit le projet de loi organique, mais également sous format papier.
M. Christian Cointat. - Je suis totalement d'accord avec cet amendement. Ne pourrait-on pas toutefois inverser les termes proposés par l'amendement, et écrire « ce soutien est recueilli par voie électronique ou sur papier », plutôt que l'inverse ? Cela me paraît plus moderne. N'oublions pas non plus que les Français de l'étranger peuvent voter par voie électronique !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je ne vois aucun inconvénient à cette modification.
Mme Esther Benbassa. - Cela me paraît d'ailleurs conforme à l'objet de l'amendement.
Mme Hélène Lipietz. - Les opérations de vérification des signatures électroniques coûtent extrêmement cher. Ne pourrait-on pas prévoir que les soutiens sont recueillis sous forme papier exclusivement, comme le prévoit mon amendement n° 1 ?
M. François Pillet. - Ce serait dangereux pour nos forêts !
M. Christian Cointat. - Exclure la voie électronique reviendrait à exclure les Français de l'étranger du dispositif : je ne puis donc m'associer à cette proposition. Et puis, il faut vivre avec son temps ! Sans compter qu'il me semble que la vérification des signatures papier soulève des difficultés comparables... Gardons le papier pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de participer à l'initiative référendaire, mais la voie électronique devrait à mon sens être privilégiée.
M. Patrice Gélard, président. - Je vous confirme que de telles opérations sont souvent loin d'être simples...
L'amendement n°14, ainsi rectifié, est adopté.
Par conséquent, l'amendement n°1 tombe.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°15 propose de supprimer l'article 5, qui prévoyait la mise à disposition d'une borne Internet dans toutes les communes ayant la qualité de chef-lieu de canton. Dès lors que nous prévoyons la possibilité d'une alternative papier pour le recueil des soutiens, cet article n'est plus nécessaire. Les finances publiques ne s'en porteront que mieux...
M. Christian Cointat. - D'autant que, si on avait conservé le seul recueil des signatures par voie électronique, il aurait également fallu prévoir la mise à disposition d'un accès dans tous les consulats pour permettre aux Français de l'étranger de participer au soutien.
Mme Hélène Lipietz. - Mon amendement n°3 propose également la suppression de cet article.
Les amendements identiques n°s 15 et 3 sont adoptés.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je vous propose de transférer les dispositions relatives à l'encadrement du financement d'actions de recueil de soutiens dans le projet de loi ordinaire, car cela ne me paraît pas relever de la loi organique. D'où cet amendement de suppression n°16.
L'amendement n°16 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°17 propose une clarification du dispositif, en accord avec la CNIL. Il vise à affirmer deux principes : la publicité de la liste des soutiens, d'une part, la destruction des données collectées deux mois après la décision finale du Conseil constitutionnel, d'autre part.
M. Jean-Yves Leconte. - En pratique, est-il possible de concilier publicité de la liste et destruction ultérieure des données collectées ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Oui, la loi interdit de détourner les finalités d'un fichier et elle prévoit des sanctions pénales, notamment dans le cas où des copies seraient réalisées dans un but lucratif.
L'amendement n°17 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement n°18 a pour but de regrouper à l'article 8 les dispositions relatives aux mesures d'application.
Mme Hélène Lipietz. - L'amendement n°2 introduit une précision supplémentaire, car il me semble qu'il faut être particulièrement vigilant concernant les modalités de recueil des soutiens par voie électronique.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous avons déjà prévu que les décrets seraient pris après avis motivé et publié de la CNIL. Cette dernière - nous pouvons lui faire confiance - apportera une attention particulière aux modalités techniques mises en oeuvre pour le recueil des soutiens par voie électronique et veillera particulièrement à l'application des normes en matière de sécurité. A mon sens, l'obligation générale de consultation de la CNIL devrait répondre aux craintes exprimées par notre collègue.
Mme Hélène Lipietz. - Mes craintes ne sont pas totalement dissipées, mais je retire mon amendement.
L'amendement n°2 est retiré.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - A la suite de mon amendement visant à doubler le délai de recueil des signatures, cet amendement propose de réduire de trois mois le délai accordé au Parlement pour examiner une proposition de loi avant qu'elle ne soit soumise, le cas échéant, à référendum. En neuf mois, les deux assemblées disposeront du temps nécessaire pour examiner une telle proposition de loi.
L'amendement n° 19 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Il s'agit d'un amendement qui supprime le délai de quatre mois, adopté par les députés et non prévu par la Constitution, entre l'examen de la proposition de loi par les deux assemblées et la décision du président de la République de mettre en oeuvre la procédure référendaire.
M. Christian Cointat. - Une telle disposition serait en effet censurée par le Conseil constitutionnel.
Mme Hélène Lipietz. - Si on ne prévoit pas de délai, rien ne garantit que le projet de loi sera soumis à référendum. L'absence de délai est moins contraignante pour le président de la République.
M. Jean-René Lecerf. - Ma réflexion est identique. On aura dérangé des millions d'électeurs, les deux assemblées peuvent passer outre et, de surcroît, le président de la République pourra ne pas soumettre à référendum une proposition de loi référendaire. Ceci équivaut à un mépris des électeurs.
M. Patrice Gélard, président. - Si nous n'adoptons pas l'amendement proposé par notre rapporteur, nous serons en contradiction avec la Constitution. En matière de référendum, le président de la République n'est soumis à aucun délai.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'article 89 de la Constitution relatif à la convocation du Congrès par le président de la République ne prévoit pas de délai non plus. Il en est de même pour les autres formes de référendums prévues à l'article 11.
La Constitution dispose que si la proposition de loi n'est pas examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, il revient au président de la République de la soumettre au référendum. S'il ne la soumet pas, il commet en quelque sorte une forfaiture. Il violerait la Constitution de façon notoire.
M. Jean-René Lecerf. - Pourquoi alors ne pas préciser, au sein de la loi organique, que le Président de la République « doit la soumettre » au référendum, au lieu de « la soumet » ? Je sais que l'indicatif vaut impératif. Pourtant, malgré l'indicatif, le président de la République peut ne pas signer les ordonnances.
M. Patrice Gélard, président. - L'indicatif « soumet » a valeur d'impératif.
M. Jean-René Lecerf. - Cela n'a pas empêché un président de la République de ne pas signer des ordonnances...
M. Patrice Gélard, président. - Le président de la République est juge de l'opportunité de la date des ordonnances.
M. Jean-René Lecerf. - Il ne s'agissait pas en l'espèce de l'opportunité de la date mais de celle de les signer ou pas.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - La loi organique prévoit une injonction à travers l'indicatif. Dès lors que la Constitution utilise le présent de l'indicatif, c'est une injonction.
M. Jean-René Lecerf. - Je ne dis pas que le Président François Mitterrand a commis une forfaiture en ne signant pas des ordonnances. Mais la Constitution dispose que le président de la République signe les ordonnances, ce qui signifie bien qu'il doit les signer. Or, il ne l'a pas fait.
M. Patrice Gélard, président. - Le législateur organique ne peut pas innover par rapport à ce qu'a prévu le constituant. On ne peut donc pas ajouter de délais si la Constitution ne le prévoit pas.
M. Christian Cointat. - Je m'étonne de cette discussion. Le Conseil constitutionnel sera obligatoirement saisi de ce projet de loi organique et censurera la disposition si elle n'est pas conforme à la Constitution. C'est pourquoi nous devons suivre l'avis du rapporteur, sinon le Conseil constitutionnel s'en chargera lui-même.
M. Hugues Portelli. - Cela pourrait l'obliger à prendre position...
L'amendement n° 20 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cet amendement supprime les dispositions introduites par l'Assemblée nationale relatives à l'examen de la proposition de loi car elles relèvent du règlement des Assemblées. Chacune d'entre elles devra tirer les conséquences de la loi organique en réformant son propre règlement.
L'amendement n° 21 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Le présent amendement et les suivants visent à supprimer les dispositions relatives à la commission de contrôle proposée par le projet de loi organique.
L'amendement n° 22 est adopté.
Articles 10 à 19
En conséquence, les amendements de suppression nos 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33 et 34 sont adoptés.
M. François Pillet. - A la demande de Jacqueline Gourault, je me fais exceptionnellement le porte-parole du groupe centriste qui soutient totalement la position de notre rapporteur sur ces deux projets.
Le projet de loi organique est adopté à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Projet de loi ordinaire
Article additionnel avant l'article 1er
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cet amendement transfère dans le projet de loi ordinaire une disposition qui figurait dans le projet de loi organique, relative à l'encadrement du financement d'actions de recueil de soutiens. Il plafonne les dons consentis par des personnes physiques, il applique les dispositions communes pour le financement des partis politiques et interdit le financement par des Etats étrangers ou personnes morales de droit étranger. Je ne propose pas de modifier ce dispositif au regard de nos débats.
Mme Hélène Lipietz. - Cet amendement vise à insérer un livre spécifique au sein du code électoral pour les lois référendaires.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cet amendement est satisfait par l'amendement n° 7.
L'amendement n° 6 est satisfait.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cet amendement regroupe en un seul article les dispositions pénales prévues aux articles 1er et 2 du projet de loi afin de les codifier au sein du code électoral.
Il précise également, au nouvel article L. 558-39 du code électoral, que la manipulation des données collectées par voie électronique n'est punissable que si elle résulte d'une manoeuvre frauduleuse. Cette précision vise à exempter de sanction les personnes habilitées à procéder à de telles manipulations dans le cadre de la mise en oeuvre du dispositif de recueil des soutiens. Il paraît sage de prévoir l'intention frauduleuse.
Mme Hélène Lipietz. - Cet amendement étend aux personnes qui ne participent pas au recueil des signatures le délit d'usurper l'identité d'un électeur pour éviter toute manoeuvre destinée à fausser la sincérité du recueil des signatures. L'usurpation d'identité peut résulter d'une manoeuvre de personnes participant au recueil des signatures mais également de tout citoyen qui peut signer sous plusieurs identités.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - La juste préoccupation de cet amendement est déjà prise en compte par le code électoral, notamment l'article L. 558-38 du code électoral, reprenant le paragraphe 1 de l'article 1er du présent projet de loi, ainsi que par à l'article L. 226-4-1 du code pénal qui punit l'usurpation d'identité. Cet amendement me paraît donc être satisfait.
Mme Hélène Lipietz. - Il faut distinguer trois niveaux : celui d'usurpation d'identité générale, celui d'usurpation en matière de vote qui, lui-même, se subdivise en deux autres niveaux : l'usurpation par ceux chargés d'organiser le recueil des signatures et celle des citoyens que prévoit mon amendement.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Il n'existe pas à proprement parler de catégorie de personnes qui seraient les organisateurs du recueil des signatures. Tout le monde peut assumer cette mission. Il en est de même pour la propagande.
Mme Hélène Lipietz. - Si on parle de recueil des signatures, il existe alors une distinction entre les deux catégories de personnes.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Dans ce cas, je préfère m'en remettre à la sagesse de la commission. Je ne verrai pas d'inconvénients à adopter cet amendement car il est peut-être plus protecteur.
M. Jean-Yves Leconte. - Une personne signataire participe également à la procédure de recueil des signatures d'une certaine manière. A ce titre, il faut prévoir les mêmes conséquences en matière pénale.
M. Patrice Gélard, président. - Cette question pourrait être laissée à l'appréciation de la navette parlementaire ou cet amendement pourrait être redéposé en séance publique.
Selon moi, cette question est déjà traitée par d'autres dispositions. Le débat en séance publique permettra d'y voir un peu plus clair.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Dans ce cas, je maintiens mon avis défavorable. Je propose toutefois à Mme Lipietz de redéposer son amendement pour la séance publique. Nous continuerons d'ici là de travailler sur cette question pour savoir si elle est déjà ou non satisfaite par le droit en vigueur.
Mme Hélène Lipietz. - Cet amendement complète les dispositions de l'article L. 107 du code électoral en insérant la notion de « soutien à une initiative référendaire ».
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'amendement que j'ai proposé sur l'article L. 558-40 du code électoral répond à votre préoccupation. C'est pourquoi je demande le retrait de cet amendement.
Mme Hélène Lipietz. - Cet amendement et le suivant s'inscrivent dans la même philosophie que les précédents. Ils visent à mettre à jour le code électoral par rapport à la procédure particulière que représente l'initiative référendaire.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Ces amendements sont également satisfait par les nouveaux articles L. 558-40 et L. 558-41 du code électoral.
Les amendements n°s 1 et 4 sont retirés.
Mme Hélène Lipietz. - Cet amendement propose de déterminer une échelle des peines différenciée et proportionnelle à la gravité des faits relatif à l'incrimination pénale, car il est moins grave pour un citoyen de commettre une usurpation d'identité que pour toute personne en charge du recueil des signatures.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je propose que ces faits délictueux soient sanctionnés de la même manière.
M. François Pillet. - Ceci permettrait de simplifier la lecture et l'interprétation de la loi pénale !
L'amendement n° 2 est rejeté.
Article 2
L'amendement n° 9 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cet amendement supprime une disposition interprétative qui visait à qualifier les données collectées comme faisant apparaître les opinions politiques des personnes concernées, ce qui avait pour effet, au regard de l'article 26 de la loi du 7 juillet 1978, de soumettre leur traitement à une procédure d'autorisation par décret en Conseil d'Etat après avis motivé et publié de la CNIL.
Par souci de clarté, il prévoit explicitement la procédure nécessaire aux traitements des données collectées en reprenant la procédure prévue par la disposition législative précitée pour les données sensibles collectées pour le compte de l'Etat.
En outre, par cohérence avec l'interdiction faite à un électeur de retirer un soutien, une fois donné, lors de leur collecte, cet amendement prévoit que le droit d'opposition pour motif légitime à un traitement de données est écarté dans ce cas.
Il est impossible de prévoir un droit de retrait car ce serait ingérable. Quand un citoyen a signé une proposition de loi référendaire, cette signature est définitive.
L'amendement n° 10 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Il s'agit d'un amendement de conséquence visant à supprimer la disposition selon laquelle une proposition de loi ne peut être soumise à l'avis du Conseil d'Etat en application du dernier alinéa de l'article 39 de la Constitution à compter de sa transmission au Conseil constitutionnel.
En vertu de l'article 39, les présidents des deux assemblées disposent de la faculté de consulter le Conseil d'Etat sur une proposition de loi déposée sur le bureau de leur assemblée. Mais dès lors qu'une proposition de loi référendaire signée par un cinquième des députés et des sénateurs est transmise au Conseil constitutionnel, sitôt qu'elle est déposée, cette faculté ne trouve plus à s'appliquer. La proposition de loi présentée en application de l'article 11 de la Constitution étant soumise à un autre régime que celui de l'article 39, elle ne peut de fait faire l'objet d'une consultation du Conseil d'Etat.
L'amendement de suppression n° 11 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cet amendement vise à supprimer un cavalier législatif introduit par nos collègues députés bretons pour créer un dispositif permettant de modifier des limites régionales pour y inclure un département à la demande du seul département sur proposition d'un cinquième des membres de son assemblée délibérante soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales dans le département. Je n'ai rien contre cette disposition mais elle n'a rien à voir avec l'objet du texte.
L'amendement n° 12 est adopté.
Article additionnel après l'article 3 ter
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cet amendement va donner satisfaction au Conseil constitutionnel. Il vise à introduire dans le code électoral des dispositions relatives à l'organisation des opérations référendaires.
L'organisation des référendums résulte actuellement de décrets pris par le Président de la République après consultation du Conseil constitutionnel à l'occasion de chaque référendum. Dans ses observations à la suite du référendum de 2000 sur le quinquennat, le Conseil constitutionnel appelait de ses voeux une pérennisation des règles de portée générale et invitait le législateur à recouvrer sa compétence en la matière.
C'est pourquoi je vous propose un article additionnel qui regroupe l'ensemble des dispositions relatives aux référendums.
Mme Hélène Lipietz. - Nous avons discuté récemment du vote blanc. Il me semble qu'il faudrait rajouter, au nouvel article L. 558-45 du code électoral, un troisième bulletin à côté du « oui » et du « non », le bulletin blanc.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Le bulletin blanc doit certes être pris en compte séparément du vote nul. Cependant, la commission s'est récemment opposée à sa reconnaissance comme un suffrage exprimé. Je ne suis donc pas partisan de rajouter un troisième bulletin comme le préconise Mme Lipietz.
M. René Vandierendonck. - Je suis tout à fait d'accord avec le rapporteur. Pour prolonger le débat, une proposition de loi a été récemment déposée par notre collègue député M. Thierry Lazaro sur le vote obligatoire et sur la prise en compte du vote blanc.
Mme Hélène Lipietz. - Nos discussions sur le vote blanc portaient surtout sur le financement de ces bulletins. Aujourd'hui, la question porte sur les référendums. La question du vote blanc se pose différemment pour un référendum et pour une élection nominale.
M. Patrice Gélard, président. - La vraie réforme est qu'on devrait fixer un seuil à partir duquel un référendum n'est pas valide. Par exemple, si 50 % d'électeurs ne prenaient pas part aux votes, le référendum ne serait pas valide.
M. Jean-Yves Leconte. - S'agissant d'un référendum, il n'y a, en réalité, une alternative qu'entre deux positions ; voter blanc ou contre, c'est identique.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Dès lors que nous n'avons pas statué pour imposer le dépôt ou l'envoi des bulletins blancs, il convient de ne pas outrepasser la position de notre commission. C'est pourquoi je propose de ne pas sous-amender mon amendement.
L'amendement n° 13 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cet amendement assure l'applicabilité des dispositions du projet de loi dans les collectivités régies par le principe de spécialité législative.
L'amendement n° 14 est adopté.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans les tableaux suivants :
Projet de loi organique
Projet de loi
- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président -
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de représentants de l'Agence française de l'adoption
Au cours d'une seconde séance qui s'est tenue dans l'après-midi, la commission poursuit ses auditions publiques sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Elle entend tout d'abord des représentants de l'Agence française de l'adoption (AFA).
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - M. Sueur, président de la commission, nous rejoindra plus tard, je vous prie d'excuser son absence. L'audition des représentants de l'Agence française de l'adoption (AFA), un organisme public créé en 2005, prolongera l'intéressante audition des associations de parents d'enfants adoptés.
Mme Isabelle Vasseur, présidente de l'Agence française de l'adoption. -J'espère que cette audition vous apportera des éléments nouveaux. L'AFA, créée par la loi du 4 juillet 2005, a commencé à aider les parents candidats à l'adoption internationale en 2006, dans 35 pays signataires de la convention de La Haye. Depuis sa création, elle a accompagné 6 000 familles pour 3 000 adoptions. Contrairement aux organismes agréés pour l'adoption (OAA), organismes privés, elle a l'obligation de traiter toutes les candidatures.
L'adoption internationale, qui avait pris un rapide essor dans les années 1980, diminue depuis 2005, avec une baisse de 35 % dans les cinq premiers pays d'accueil. Pourquoi cette diminution ? D'abord, et c'est une cause heureuse, les pays d'origine, souvent émergents, se sont développés. Moins d'enfants sont donc abandonnés pour des raisons économiques et, logiquement, les pays appliquent un critère de préférence nationale. Ensuite, les pays d'origine multiplient les critères, ajoutant aux exigences en termes de niveau d'éducation, de revenu ou de santé, des critères culturels, sociaux et religieux. Tout cela modifie la donne de l'adoption internationale.
Pour l'heure, l'Agence ne peut satisfaire à la demande d'adoption par des couples homosexuels puisque celle-ci est interdite. Quelles seront les conséquences de cette loi sur l'adoption internationale ? La situation évolue au fil de la discussion du projet. A notre connaissance, soixante pays refusent l'adoption internationale par des couples homosexuels. Distinguons bien l'adoption homoparentale de l'adoption monoparentale. Il n'y a pas de discrimination sur la sexualité pour une adoption monoparentale, potentiellement homosexuelle. Seule l'adoption homoparentale, en couple, est impossible. Certains pays, qui sanctionnent lourdement l'homosexualité par l'emprisonnement, voire la peine de mort, renforcent déjà leurs critères de refus.
La situation est donc complexe : d'un côté, l'AFA, financée à 100 % par des fonds publics, ne peut pas refuser de demandes ; de l'autre, les pays, qui ont signé la convention de La Haye, sont souverains dans la fixation de leurs critères. En Russie, la Douma a d'ores et déjà prévenu qu'elle ne souhaitait pas que les enfants russes puissent être adoptés par des couples homosexuels. D'autres pourront suivre. Il faudra l'expliquer aux candidats à l'adoption.
Pour finir, parmi les enfants à adopter, on trouve de moins en moins d'enfants en bas âge. Ce sont plus souvent des enfants de six ou sept ans, des fratries, des enfants à besoins spécifiques, atteints de maladies parfois bénignes, qui peuvent être soignées en France, par exemple l'opération d'un bec de lièvre de forme palatine, ou d'affections parfois plus lourdes comme certaines cardiopathies. Comme nous l'avons vu au Vietnam et au Cambodge, l'on adopte désormais des enfants porteurs du VIH.
M. Arnaud Del Moral, chef du service international, chargé de la stratégie et des procédures d'adoption de l'Agence française de l'adoption. - La France n'est pas le premier pays à ouvrir sur l'adoption aux couples homosexuels : dix-sept pays l'acceptent déjà. Ce sont les Etats les plus avancés économiquement, ceux où l'on propose peu d'enfants à l'adoption. Quatre pays pourraient cependant être ciblés : les Etats-Unis, où plusieurs Etats se sont dotés d'une législation favorable, le Brésil pour deux Etats, l'Afrique du Sud, où la loi est nationale, et, éventuellement, l'Etat de Mexico, au Mexique. Cela dit, on y préfèrera une adoption par des nationaux. Aucune adoption internationale par un couple homosexuel n'a eu lieu en Belgique depuis que ce pays s'est ouvert à l'adoption homoparentale en 2006.
Mme Béatrice Biondi, directrice générale de l'Agence française de l'adoption. - Les candidatures risquent de se concentrer sur les pays ouverts à l'adoption homoparentale. Ceux-ci pourraient être conduits à adopter des politiques restrictives, des quotas. En pratique, le nombre d'enfants adoptables sera très limité. En conséquence, l'Agence pourrait être contrainte de procéder à des appels à dossier dans lesquels les candidatures homosexuelles seraient peu représentées, sauf à adopter une discrimination positive.
Face à cela, les candidats pourront être tentés d'adopter une stratégie dans laquelle à l'adoption par un célibataire succéderait une adoption par le conjoint homosexuel dans le pays d'accueil. Il faudra prendre garde aux conséquences de telles pratiques, car les pays d'origine sont extrêmement attentifs aux rapports de suivi.
L'AFA, parce qu'elle ne peut opérer de discrimination entre les familles, contrairement aux organismes privés, sera sollicitée par les couples homosexuels. Il pourrait en résulter une dégradation de son image à l'étranger, d'autant que les opérateurs privés refuseront vraisemblablement les homosexuels. Je l'ai constaté lors de ma dernière mission en Colombie. Bien que les discours ne soient pas directs, les questions-réflexions montrent bien que les autorités ne souhaitent pas que les enfants soient préparés à une adoption par un couple homosexuel. Autre exemple, la Chine et le Vietnam ont demandé aux parents de joindre à leur dossier une attestation de non-homosexualité. Autrement dit, cette loi suscitera, pour nous, des difficultés supplémentaires.
L'AFA est en lien avec 6 000 familles. Je ne suis pas sûre que le nombre de candidatures de couples homosexuels sera extrêmement important. Il n'en appartiendra pas moins à l'Agence de les accueillir comme nous le faisons pour les autres, les familles hétérosexuelles et les célibataires. En tout état de cause, le danger est qu'une levée de boucliers dans les pays d'origine conduise à une interdiction de l'adoption internationale aux célibataires également. En effet, j'ai déjà été interrogée sur les moyens d'identifier leur orientation sexuelle ; comme nous ne saurions le faire, le défaut de réponse sur ce point nous confrontera à un risque dans les mois qui viennent.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le problème sera européen. Même si le mariage n'est pas ouvert aux homosexuels partout en Europe, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu un arrêt contre l'Autriche, celle de Karlsruhe a constaté qu'on ne peut interdire à un parent d'adopter l'enfant de l'autre. Un barrage justifierait que les autorités européennes entreprennent de renégocier la convention de La Haye
Une question : existe-t-il beaucoup de candidatures émanant de vrais célibataires ? S'agit-il surtout de femmes ?
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - Membre de l'Agence au titre de mon département, je connais bien ses activités. Quelle est la part des demandes d'adoptions de célibataires et qu'en est-t-il de l'adoption internationale en Belgique et en Espagne où le mariage est ouvert aux homosexuels ? Avez-vous des remontées des parents depuis les débats sur cette loi ? Pour finir, je veux redire ma conviction que la capacité éducative des personnes doit l'emporter sur l'orientation sexuelle.
Mme Isabelle Vasseur. - Depuis qu'elle a légiféré en 2006, la Belgique n'a réalisé aucune adoption internationale pour des couples homosexuels. Mais il ne semble pas que l'ouverture de l'adoption aux homosexuels ait eu une incidence sur les autres demandes.
Quant au nombre de demandes émanant de célibataires, nous n'avons pas de chiffre précis : nous n'allons pas vérifier chez les gens comment ils vivent. L'AFA a été récemment confrontée à une difficulté vis-à-vis d'un pays d'origine : un homme, une fois l'adoption accomplie, a révélé son homosexualité. Le risque est grand de voir des pays renforcer leurs critères pour se prémunir contre de telles éventualités. Ainsi, la Colombie nous a demandé davantage de rapports de suivi à la fin de l'année dernière.
Mme Béatrice Biondi. - Sur l'ensemble des dossiers, 16 % proviennent de femmes célibataires, 1 % d'hommes seuls.
L'AFA, organisme public, tenu d'accueillir toutes les demandes, constitue une curiosité au niveau international. Il existe une seule petite agence publique, en Italie, pour le Piémont. Les organismes privés sont la règle, et ils sont très attentifs à ne présenter que des candidats répondant aux critères posés par les pays d'origine.
M. Philippe Darniche. - Qui vérifie l'attestation de non-homosexualité ? C'est l'adoptant qui s'engage.
Mme Béatrice Biondi. - Le parent candidat signe une attestation sur l'honneur.
M. Philippe Darniche. - Vous avez évoqué la Chine et le Vietnam. Y a-t-il d'autres pays en Asie qui proposent des enfants à l'adoption, mais où l'on ne montre pas de défiance envers l'adoption homoparentale ?
Mme Catherine Tasca. - Avez-vous une évaluation et un suivi dans le temps de la relation familiale créée par l'adoption ? Si vous en avez les moyens, quelles sont vos appréciations ?
Mme Isabelle Vasseur. - L'attestation consiste en une déclaration sur l'honneur. Elle est invérifiable, même si elle engage le candidat. La Colombie demande un suivi durant dix-huit mois après l'adoption, une obligation parfois vécue difficilement par des familles qui ont attendu sept ans avant d'accueillir un enfant. Ce suivi implique un surcroît de travail pour l'AFA. Il nous incombera, tout en restant neutres et en accompagnant toutes les familles, de faire face à un renforcement des critères de la part des pays d'origine et à des demandes de suivi.
Mme Béatrice Biondi. - Une évaluation menée par le ministère en charge de la famille et portant sur les années 2005 à 2010, sera bientôt disponible. L'AFA travaille également avec un chercheur du CNRS sur une évaluation de la réussite de l'adoption d'enfants à problèmes spécifiques, en particulier des enfants venant de Lettonie et souffrant du syndrome de l'alcoolisation foetale.
Mme Catherine Tasca. - J'évoquais bien les études dans la durée. Qu'il y en ait une en cours est une bonne chose
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Contrairement à ce qu'ont dit certains, l'adoption, qui se substituait totalement à la filiation biologique, a changé de visage depuis la guerre : on adopte des enfants plus âgés, des enfants malades que l'on soignera en France. Se posera le problème de leurs origines : comment leur donner accès à leur histoire ?
M. Arnaud Del Moral. - Peu de pays asiatiques sont ouverts à l'adoption par des célibataires. C'était le cas de la Chine jusqu'en 2008. L'Afrique est désormais le premier continent d'où viennent les enfants adoptables. Nous sommes ainsi confrontés à d'autres conceptions de la filiation. Les pays musulmans, qui privilégient la filiation biologique, refusent, par exemple, l'adoption plénière au profit de la Kafala. Quant à l'Espagne, l'adoption étant gérée par les communautés autonomes, nous ne disposons pas de données centralisées.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Les restrictions de certains pays pour présenter des enfants à l'adoption ne tiennent-elles pas aussi à un réflexe nationaliste ?
Mme Isabelle Vasseur. - Le vivier se réduit surtout en raison de l'élévation du niveau de vie, et c'est heureux. Quant à la préférence nationale, nous l'appliquons aussi. Parmi les pays ouverts à l'adoption homoparentale, nous ne travaillons pas avec le Brésil, qui ne traite qu'avec les organismes privés. Nous avons réalisé quatre ou cinq adoptions en Afrique du Sud. Quant aux États-Unis, certains Etats, notamment démocrates, pratiquent une forme ouverte d'adoption, avec maintien d'un lien avec la mère biologique. Cela implique des échanges de courrier, des rencontres, il faut en tenir compte. Ces dernières années, l'adoption internationale a beaucoup évolué, à nous de nous adapter à cet état de fait.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - L'adoption est de plus en plus difficile pour les futurs parents. Ils doivent suivre de multiples formations... Qu'en pensez-vous ?
Mme Isabelle Vasseur. - Plus globalement, je m'interroge sur les missions de l'AFA depuis mon arrivée il y a un an. Ses missions évolueront forcément. Par exemple, les enfants à adopter sont de plus en plus des enfants à besoins spécifiques. Nous devons faire évoluer les choses, avec nos autorités de tutelle.
Mme Béatrice Biondi. - J'ai été contrainte d'organiser les services de manière à prendre en charge les préparations des familles que nous imposent la Russie, la Chine, le Burkina Faso et la Thaïlande. Nous assistons à un phénomène de contagion, la Russie imposant même 80 heures de préparation. Heureusement, cette formation est dispensée en lien avec les conseils généraux. Il nous revient ensuite de comptabiliser et d'attester le nombre d'heures effectuées par les parents, que ce soit par notre intermédiaire ou celui des départements. Si tous les pays d'origine adoptent cette exigence, l'AFA avec ses 29 salariés, dont 6 personnes affectés à des tâches administratives, ne pourra pas faire face. Nous devrons renforcer notre coopération avec les départements et les organismes privés, les OAA.
A nous de réfléchir aux évolutions à prévoir, y compris en tenant compte des pays qui n'ont pas signé la convention de la Haye. Des familles qui partent dans ces pays lointains ont besoin d'être préparées.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Je rappelle que ces auditions sont publiques, donnent lieu à compte rendu et sont retransmises sur le site du Sénat - elles sont d'ailleurs très regardées.
Présidence M. Jean-Pierre Sueur, président
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de M. Dominique Baudis, Défenseur des droits
Puis elle entend M. Dominique Baudis, Défenseur des droits.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Monsieur le Défenseur des droits, voilà la quatrième ou la cinquième fois que notre commission vous reçoit, et elle le fait toujours avec plaisir. L'institution du Défenseur des droits a donné lieu à bien des débats, n'est-ce pas M. Hyest ?, mais depuis que vous avez pris vos fonctions, vous les assurez avec détermination et attention. Il nous paraissait essentiel de vous entendre. Nous sommes déterminés, dans les auditions que nous conduisons, non à prendre notre temps mais à prendre tout le temps nécessaire pour traiter au fond d'un sujet important.
M. Dominique Baudis, Défenseur des droits. - Merci à vous de m'avoir convié. Je me suis exprimé en novembre devant la commission des lois de l'Assemblée nationale. Je vais présenter les interrogations et l'analyse de l'institution du Défenseur des droits. Celle-ci, qui est inscrite dans la Constitution, a quatre missions : les relations entre citoyens et services publics, la défense des enfants, la déontologie de la sécurité et la lutte contre les discriminations. C'est cette dernière et l'intérêt supérieur de l'enfant, qui nous occupent dans l'examen du projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels. J'ai consulté, comme l'exigent nos statuts, les quatorze personnalités qualifiées qui siègent dans le collège chargé de la lutte contre les discriminations et dans celui chargé de la promotion et de la défense des droits de l'enfants, ainsi que différentes institutions ou associations concernées .
Le Défenseur des droits, comme la Halde auparavant, a constaté que l'impossibilité pour les couples de même sexe de se marier créait des inégalités. Pour autant, les plus hautes juridictions, le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme, n'avaient pas jugé que cette impossibilité constituait une discrimination. Dans l'affaire dite du mariage de Bègles, la Cour de cassation a jugé en 2007 que « La situation présente ne constitue pas une discrimination ». Le Conseil constitutionnel ajoutait : « seule l'adoption d'une loi nouvelle pourrait faire changer l'état du droit en vigueur. » La Cour européenne des droits de l'homme, considérant que la convention européenne ne fait pas obligation d'autoriser le mariage homosexuel, renvoie toute décision au législateur national. Enfin, la charte des droits fondamentaux, entrée en vigueur en 2009, dispose : « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice » : ce texte renvoie également la décision au législateur.
Si cette interdiction n'a pas été jugée discriminatoire, la Halde, puis le Défenseur des droits, ont considéré qu'elle créait des discriminations indirectes, puisque les couples de même sexe n'ont d'autre choix pour organiser leur vie commune que le Pacs. Or celui-ci n'ouvre pas, par exemple, droit à pension de réversion. Pour mettre fin à une discrimination en raison de l'orientation sexuelle des personnes, j'ai proposé, en octobre 2011, une réforme pour y remédier. Le Gouvernement d'alors ne l'avait pas retenue, en raison de considérations budgétaires. L'étude d'impact n'a pas examiné son incidence financière.
Autre problème, la solidarité du bail ou le maintien dans les lieux : en cas de séparation, le partenaire non signataire du bail, s'il reste solidaire des dépenses, ne dispose d'aucun droit. Nous avions proposé la co-titularité du bail. Le projet de loi met fin à cette inégalité.
Troisième problème : l'octroi de congés pour événements familiaux liés à la parentalité, non accessibles aux partenaires d'un Pacs. Un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a accordé onze jours de congés parentaux pour les personnes vivant maritalement avec la mère. Sur ce point, l'alignement des droits est désormais acquis.
Sur toutes ces questions dont nous sommes fréquemment saisis, le texte, en ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, met fin à des discriminations. C'est aussi le choix qu'ont fait sept pays de l'Union européenne sur vingt-sept.
L'article 4 de la loi organique charge le Défenseur des droits de défendre l'intérêt supérieur de l'enfant tel que consacré par la loi et nos engagements internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés. La France est signataire de la convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée en 1990. Le comité des droits de l'enfant de l'ONU nous demande de veiller à ce que l'intérêt supérieur de l'enfant soit soigneusement pris en considération dans l'élaboration comme dans la mise en oeuvre des lois. Ce n'est pas une clause de style. L'intérêt supérieur de l'enfant constitue une notion juridique précise, elle doit être une considération primordiale dans toute décision qui concerne les enfants.
Alors que la question du mariage relève de la seule décision nationale, tel n'est pas le cas de l'intérêt supérieur de l'enfant. Or, sérieuse lacune, pas un seul paragraphe de l'étude d'impact n'y fait référence. J'ai écrit le 14 novembre à Mme la garde des sceaux pour attirer son attention sur ce point, et recommander une étude d'impact complémentaire.
Une telle réserve ne suggère nullement une incompatibilité avec la convention. Au demeurant, des Etats signataires ont ouvert le mariage aux personnes de même sexe. Mon observation est de méthode. Dès lors que l'intérêt et les droits de l'enfant sont en cause, il faut partir de l'analyse de ces droits. Or, on procède ici à l'inverse, l'adoption n'étant conçue que « par voie de conséquence », ainsi que le dit clairement l'exposé des motifs.
Entre 14 000 et 40 000 enfants selon l'INED, de 200 000 à 300 000 selon les associations, seraient accueillis par un couple homoparental. Des dizaines de milliers d'enfants grandissent aujourd'hui dans une situation familiale juridiquement précaire : autoriser le mariage du couple qui les élève est conforme à leur intérêt car cela leur assure une plus grande sécurité juridique.
Le 23 octobre dernier, le Conseil supérieur de l'adoption a « fait état de son inquiétude devant la difficulté de concilier un objectif d'égalité des droits au bénéfice de personnes du même sexe et le caractère prioritaire de l'intérêt de l'enfant dans le cas d'adoption ». Le président du conseil général, chargé de délivrer l'agrément, doit, pour vérifier les conditions d'accueil, procéder à des investigations, sociales et psychologiques, souvent décrites comme intrusives par les adoptants. Sur quelle base les services d'aide sociale à l'enfance, le juge, vont-ils fonder leur appréciation ? Car les pratiques des conseils de famille des conseils généraux sont extrêmement disparates. Peut-être serait-il utile que votre commission entende Mme Chapdelaine : le Conseil supérieur de l'adoption a rendu le 9 janvier dernier un deuxième avis.
Le droit à l'adoption, enfin, pourrait rester virtuel, compte tenu du petit nombre d'enfants adoptables.
Quid, enfin, de la filiation ? La présomption de paternité ne pouvant s'appliquer aux couples de même sexe, quelle place faut-il réserver aux parents biologiques, qu'est-il prévu en matière d'état civil, les documents seront-ils identiques ? Quelle incidence, en cas d'adoption plénière, pour les enfants désireux plus tard d'accéder à leurs origines ? Qu'en sera-t-il des enfants issus de la procréation médicalement assistée (PMA) et de la gestation pour autrui (GPA) - aujourd'hui interdites en France ? Il s'agit de situations réelles et qui vont se multiplier. La rareté des enfants adoptables incitera les couples à recourir à ces méthodes de procréation, voire à la voie de l'accouchement sous X, lequel pourrait donner lieu à une GPA qui ne dirait pas son nom.
Quels seront les droits des enfants, comment les déclarations de naissance seront-elles traitées ? Les questions d'état civil pour ces enfants ne sont pas résolues par la circulaire du 25 janvier, puisqu'elle ne porte que sur la nationalité.
L'Assemblée nationale a apporté des clarifications, et d'abord en maintenant les termes de père et de mère au titre VII du code civil. Devant les députés, j'avais souligné que plus d'une centaine d'articles de douze codes différents substitueraient le mot parents à ceux de père et de mère, d'où des incertitudes en matière successorale et sur l'obligation alimentaire. La réécriture de l'article 4 du texte y a remédié.
Autre clarification, en cas d'adoption simple de l'enfant du conjoint, le texte facilite le partage de l'autorité parentale. Enfin un amendement autorise le juge, si tel est l'intérêt supérieur de l'enfant, à prendre des mesures garantissant le maintien de relations avec le tiers ayant résidé de manière stable avec lui, et qui a noué avec lui des liens affectifs durables - nous sommes saisis de nombreuses réclamations sur ces situations qui concernent tous les couples.
Peut-être faut-il aller plus loin dans les mesures susceptibles d'être prises par le juge aux affaires familiales, le tiers se voyant reconnaître des droits (de visite) et des devoirs (pension alimentaire) équilibrés avec ceux de l'ancien conjoint. L'actualité récente nous a montré les difficultés qui subsistent dans le cadre d'un divorce. Et les situations sont plus dramatiques encore quand la relation s'est nouée hors du cadre légal. Le juge devrait être doté d'une grande latitude d'action.
Puisse le Sénat oeuvrer utilement pour que la future loi ait toute la clarté nécessaire dans l'intérêt des familles, des enfants.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci pour votre précieux exposé. Sachez que nous avons le souci d'améliorer le texte.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le mariage, avez-vous dit, met fin à des discriminations indirectes. La question est réglée. Restent celles de l'adoption et de la filiation, sur quoi nous travaillons déjà principalement, en relation avec le rapporteur de l'Assemblée nationale. Car bien des interrogations demeurent, auxquelles il convient de répondre dans le sens de l'intérêt supérieur de l'enfant, de tous les enfants.
Nous attendons que la Chancellerie nous communique les projets de documents d'état civil. Nous nous assurerons qu'ils ne soient pas discriminatoires. Il nous reste un mois entier. Sur ces documents réglementaires, je suis certain que le Défenseur des droits sera consulté.
Nous n'avons pas entendu, pour l'instant, Mme Chapdelaine, mais nous avons eu les deux avis du Conseil supérieur de l'adoption, dont Mme Meunier est membre.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - J'ai mal compris votre rapprochement entre accouchement sous secret et GPA. Quand une femme accouche sous secret, l'enfant n'est jamais confié directement à une famille.
Lorsque vous avez évoqué la question du maintien du lien affectif, formiez-vous un souhait ? Les services sociaux à l'enfance y sont attentifs - on le leur reproche parfois. Comment traitez-vous les nombreuses récriminations dont vous parlez ? Vos délégués territoriaux constatent-ils une augmentation des doléances ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - C'est volontairement que je n'ai pas abordé les questions qui ne sont pas traitées dans la loi et qui ne seront pas ajoutées par le Sénat. Mais il est des enfants qui naissent, et qui ne sont pas responsables de la façon dont ils ont été conçus, fût-elle illégale. Sans ouvrir le débat là-dessus, je suis heureux que vous ayez évoqué l'intérêt supérieur de l'enfant.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - En stylistique, on connaît bien cette figure où l'on parle toujours d'un sujet dont on ne parle jamais... Sauf à fermer le Parlement, il ne suffit pas qu'une loi existe dans un autre pays pour que nous l'adoptions. Autre chose est le fait que les êtres humains ont des droits, vous me permettrez d'y insister après M. le rapporteur.
Mme Catherine Tasca. - Merci de votre exposé, très rassurant sur l'institution que vous incarnez, si nous en avions besoin. Vous le savez, nous n'étions pas tous favorables à la disparition du Défenseur des enfants. L'intérêt supérieur de l'enfant, qui reste au coeur de vos préoccupations, appelle une définition plus précise. Vous avez évoqué le maintien des liens affectifs en cas de séparation. On ne saurait s'en tenir à cette situation. Quelle est votre réflexion sur l'enfant au sein de la famille ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Quelles propositions voudriez-vous voir prises en compte pour ce qui concerne les droits et les devoirs des tiers qui élèvent l'enfant ? Y aurait-il pension alimentaire du père biologique et du père adoptif ?
M. Jean-René Lecerf. - Beaucoup de questions restent dans l'ombre, avez-vous dit, et l'étude d'impact ignore la convention sur les droits de l'enfant. Même si vous ne nous avez pas dit qu'une précipitation avait présidé à son élaboration, nous avons compris que toutes ses virtualités n'avaient pas été suffisamment explorées. Il nous a été conseillé de différer l'application de la loi, à un ou deux ans. Qu'en pensez-vous ?
Le droit à l'adoption risque de rester un leurre, avez-vous rappelé, si bien que ces couples vont être amenés à se tourner vers les techniques d'aide à la procréation. Imaginez-vous possible de laisser coexister une double législation en matière de PMA, l'une pour les couples hétérosexuels, l'autre pour les femmes homosexuelles, ou serons-nous obligés de reconnaître une PMA par convenance ?
M. Philippe Darniche. - Les conseils généraux, sont en première ligne pour l'adoption. Mais qui fixe les critères qu'ils appliquent en la matière ? Sans critères précis, nous ne pourrons pas considérer que les enfants sont traités de manière égale d'un département à l'autre. Merci d'avoir rappelé que l'intérêt supérieur de l'enfant devrait être notre guide.
Pourquoi, enfin, monsieur le rapporteur, ne pas entendre Mme Chapdelaine, comme le suggère M. Baudis ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous sommes limités pour nos temps d'audition car l'usage est de ne pas conduire d'auditions lorsque notre commission a un texte en séance. Nous envisageons cependant d'autres auditions publiques après la reprise des travaux.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je salue l'intervention du Défenseur des droits, qui a éclairé nos débats. Son analyse confirme le besoin de lever des discriminations existantes : cette loi est nécessaire. En revanche, il émet des réserves sur l'intérêt supérieur de l'enfant. Là encore, elles témoignent, à mes yeux, de la nécessité de légiférer. La lecture devant l'Assemblée nationale en a déjà levé plusieurs, a-t-il dit. Le Sénat entend en lever d'autres.
M. Dominique Baudis. - Il est vrai, monsieur le rapporteur, que certaines des interrogations que j'ai formulées relèvent du domaine réglementaire. Cela n'empêche pas le Parlement d'interroger le Gouvernement sur ses intentions, car ses éclaircissements peuvent contribuer à apaiser le débat.
Les délégués départementaux, Madame Meunier, font remonter les dossiers sur ce type de difficultés pour donner des réponses équanimes. Nous sommes une instance d'appel d'accès au droit.
La procédure d'accouchement sous X, si elle brise définitivement toute relation entre la mère et l'enfant, n'interdit pas la reconnaissance en paternité d'un homme. Il faut rester vigilant, car cela peut ouvrir la voie à des GPA qui ne disent pas leur nom.
Nous sommes confrontés à des situations douloureuses. Ce sont souvent des femmes qui nous saisissent. Le jour où survient une rupture conflictuelle, le parent social n'a strictement aucun droit, même s'il a accompagné et éduqué l'enfant pendant dix ans. Avec l'amendement introduit par l'Assemblée nationale, qui mériterait d'être précisé, le juge aux affaires familiales pourra tenir compte de ce lien affectif. Il y va aussi de l'intérêt supérieur de l'enfant, pris en otage quand la séparation se passe mal.
Pour les enfants qui grandissent aujourd'hui élevés par des parents de même sexe, ce texte marque un vrai progrès. Finalement, nous évoquons là des situations qui n'avaient pas pu être prises en compte par le passé. J'ajoute que la disposition a le grand mérite de viser toutes les familles : le juge pourra organiser le maintien du lien affectif.
M. Jean-Jacques Hyest. - Le code civil autorise déjà le juge aux affaires familiales à apprécier le lien affectif. C'est ainsi, entre autres, qu'est réglée la situation des grands-parents.
Mme Catherine Génisson. - Cela ne règle pas grand chose.
M. Dominique Baudis. - La disposition ouvre ce droit aux personnes homosexuelles.
M. Jean-Jacques Hyest. - Elle est redondante. Pourquoi inventer ce qui existe déjà ? Nous avons le tort de ne pas lire le code civil...
M. Dominique Baudis. - Il est bon que le juge voie que le législateur a pris la question en compte. Quant au calendrier, il ne me revient pas d'apprécier si la mise en oeuvre de cette loi doit être différée.
Si le texte ne prend pas en compte les exigences de la convention internationale sur les droits de l'enfant dans l'étude d'impact, ce n'est pas par manque de temps, mais parce que l'adoption a été considérée comme une simple conséquence du droit au mariage. Or la convention internationale oblige à soumettre prioritairement toute élaboration de loi à cette grille.
Le droit à l'adoption est-il un leurre ? Certes, ouvrir le droit à l'adoption aux couples homosexuels est une affaire d'équité. Reste que le nombre d'enfants à adopter se réduit. Si ce droit reste virtuel, la question de la GPA et de la PMA se posera inévitablement... Un couple hétérosexuel pacsé n'a pas accès à la PMA, non plus qu'une femme célibataire, qui a pourtant le droit d'adopter. Ces sujets ne sont pas abordés dans le texte, mieux vaut ne pas s'avancer. En toute hypothèse, sur ces questions, il faudra conduire une étude d'impact au regard de la convention internationale des droits de l'enfant et consulter le Comité national consultatif d'éthique.
Le Conseil supérieur de l'adoption a rendu un deuxième avis le 9 janvier dernier, qui n'est pas publié. C'est pourquoi je vous suggérais d'entendre sa présidente.
Pour finir, je suis très sensible à la question des enfants à Mayotte. J'assisterai d'ailleurs à votre débat en séance publique tout à l'heure.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il me reste à remercier M. Dominique Baudis. Ses avis et réflexions nous seront très précieux.
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de Mme Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme
Enfin, elle entend Mme Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous avons l'honneur d'entendre Mme Christine Lazerges, ancienne députée, ancienne vice-présidente de l'Assemblée nationale, et désormais présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Parce qu'elle est une éminente juriste, nous faisons toujours le plus grand cas de ses avis.
Mme Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. - Je vous remercie d'entendre notre Commission. Je me félicite que les sénateurs soient à son écoute.
J'ai rendu un avis très argumenté le 24 janvier dernier sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels, que j'ai communiqué au président de la commission des lois ainsi qu'au président du Sénat. Nous avons regretté de ne pas être saisis directement par le Gouvernement sur ce texte, qui touche à de nombreux droits fondamentaux : non-discrimination, égalité, droit de l'enfant, droit à une vie privée et familiale.
Il n'est pas intellectuellement honnête d'aller chercher une réponse claire et précise sur le mariage homosexuel dans la jurisprudence internationale ou européenne. La charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en son article 9, renvoie au législateur national. Dans cette situation, la France peut offrir de nouveaux droits.
Le texte marque clairement une avancée tant sur le mariage que sur la filiation adoptive. Voilà la conclusion de notre avis qui, je dois le dire par honnêteté, est assortie d'une opinion séparée de dix de nos membres.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - C'est très bien.
Mme Christine Lazerges. - Le mariage garantit la stabilité et la sécurité du couple, partant c'est bien une question d'égalité pour les couples homosexuels. Le Pacs, qui n'a été qu'une étape, ne garantit pas les mêmes droits, ainsi que l'a souligné le Défenseur des droits. Le texte met donc fin à des discriminations indirectes en matière de succession ou encore de devoir entre les époux. Une union civile, telle que certains ont pu l'imaginer n'aurait été qu'un mariage bis pour une catégorie de citoyens, reportant la question de l'égalité.
Le mariage est plus qu'un contrat, il institue une union dont il est le symbole, un symbole fort. Pour la première fois, ce n'est plus la procréation qui est mise en avant, mais bien l'union de deux personnes, en une institution plus forte qu'un simple contrat. Désormais détaché de la procréation, dont les religions faisaient le coeur, le mariage restera une institution publique, quand bien même il sera ouvert aux personnes de même sexe. Et ce d'autant plus qu'une loi de 2005 a aboli l'expression de « filiation naturelle » par opposition à la filiation légitime.
Il n'en demeure pas moins que ce texte impose une redéfinition du mariage. Nous avons tout à gagner à cette avancée des droits de l'homme. Nous garantissons plus de protection aux couples, aux familles et aux enfants. Ne les oublions pas.
Ce texte ouvre l'adoption simple et l'adoption plénière aux couples homosexuels. La première ne pose aucune difficulté, contrairement à la seconde. Cela dit, ces problèmes sont tout à fait surmontables. La question essentielle est celle de la remontée généalogique : peut-on prétendre que l'enfant est issu de deux parents du même sexe ? D'après nous, ce texte est l'occasion de revenir sur le mensonge légal institué, en 1966, par l'adoption plénière : faire des parents adoptifs les parents biologiques en droit. Les temps ont changé : adoptés et adoptants demandent la vérité biologique, ce qui n'enlève rien aux parents sociaux. Au vrai, une filiation sociale irait de pair avec l'accès à certains éléments des origines, déjà un peu ouvert par la loi de 2002 pour les enfants nés sous X. Il y a toute raison de revenir sur ce mensonge institutionnalisé lié à un modèle pseudo-procréatif du mariage qui ne peut plus continuer très longtemps. C'est une chance que le projet de mariage pour tous nous invite à revisiter les règles de l'adoption plénière. En résumé, la CNCDH recommande de ne pas occulter le fait biologique de l'engendrement.
Au-delà, la CNCDH distingue ce qui relève du droit civil et ce qui ressortit à l'éthique. L'élargissement de la PMA à des situations autres que médicales constituerait une aventure dans laquelle on ne saurait se lancer sans consulter le Comité national consultatif d'éthique. L'Assemblée nationale a eu la sagesse de ne pas ouvrir ce débat, non plus que celui de la GPA qui, parce qu'elle instrumentalise le ventre des femmes porte indubitablement atteinte aux droits fondamentaux : il y a des questions sous-jacentes d'esclavage.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je vous remercie de cet avis juridiquement très motivé. Nous travaillons les articles pour mieux préciser la filiation. Oui, l'adoption plénière doit être totalement revue. J'inviterai le gouvernement à s'y atteler indépendamment de la nébuleuse encore incertaine qu'est la loi famille. Il est temps de tenir compte des changements intervenus : les enfants à adopter sont parfois plus âgés, ils ont des frères et des soeurs ; certains ont des maladies remédiables en France - c'est ainsi que la présidente de l'Agence française de l'adoption nous a dit tout à l'heure, ce qui est encourageant, avoir réussi l'adoption d'enfants vietnamiens porteurs du VIH, pour lesquels des traitements adéquats devaient être possibles. Quand le droit ne correspond plus à la réalité, il faut le revoir. De même, le texte ne parlera pas de PMA, quelle qu'elle soit. Pour autant, il y a une réalité et je m'étonne que les adorateurs de la mondialisation, du libéralisme, du marché et de la société de consommation s'émeuvent de leurs conséquences. Bien sûr, il est affreux de choisir un donneur de sperme sur catalogue, affreux d'aller à l'étranger trouver, à coup de dollars, une mère porteuse. Tout cela existe pourtant, maintenant que ce modèle s'est imposé, et les enfants ne sont pas responsables de la façon dont ils ont été conçus. Je milite pour que nous abordions ces questions de manière pragmatique.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Votre avis se fonde sur les valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité. Le texte présente l'intérêt, c'est vrai, d'ouvrir le débat sur l'adoption. Tant de choses fausses circulent. Vous avez parlé de parents sociaux, mais les parents adoptifs se vivent comme des parents, ils établissent des liens pour la vie. Mensonge d'Etat, mensonge légal ? Désormais, les parents, quand 90 % des adoptions sont internationales, ne peuvent plus, ne veulent plus mentir. L'accès aux origines est divers et singulier. Il peut concerner un nom, ou un pays d'origine.
Bien sûr, ce texte évite des discriminations pour les adultes qui se marieront et offre plus de protection aux enfants, étant entendu que, dans la plupart des cas, on en passera par une adoption de l'enfant par le conjoint.
Mme Virginie Klès. - Malgré une couleur de peau différente, le mensonge peut perdurer... Il faut que l'enfant ait atteint une certaine maturité pour comprendre que cette différence interdit une filiation biologique.
M. Charles Revet. - Pour justifier l'ouverture du mariage aux couples homosexuels, vous avez beaucoup parlé d'égalité. Or, deux hommes ensemble ou deux femmes ensemble, ce n'est pas comme un homme et une femme ensemble. On ne peut pas fouler aux pieds la nature au nom de l'égalité : les homosexuels ne peuvent pas procréer. D'ailleurs, vous avez reconnu que ce texte obligeait à une redéfinition du mariage...
Ces auditions sont passionnantes. Des gays et des lesbiennes, que j'ai reçus, m'ont expliqué qu'ils voulaient surtout quelque chose de plus que le Pacs, qui n'était pas allé assez loin. Mme la ministre nous l'a affirmé, seuls 4 % de couples homosexuels ont eu recours au Pacs.
Mme Christine Lazerges. - C'est logique puisqu'il n'y a pas plus de 4 % de couples homosexuels en France.
M. Charles Revet. - Il avait d'abord été conçu pour eux. Pourquoi pas une union civile qui répondrait aux attentes légitimes des personnes concernées au premier chef ? Il y a des mots signifiants, nous a dit un psychanalyste : le mariage en fait partie. Ne pourrait-on éviter de remettre en cause une civilisation ?
M. Jean-René Lecerf. - Ce qui me gêne dans ces débats qui vont ouvrir sur d'autres, c'est le sentiment de l'inéluctable. Il faudrait légiférer pour tenir compte des situations existantes, s'aligner sur la position des autres pays. Parce que le texte rendra la PMA possible pour les couples de femmes, il sera difficile de ne pas légaliser la GPA pour les couples d'hommes. La garde des sceaux nous assurait hier qu'un tel développement serait contraire à l'ordre public français. Pouvez-vous nous rassurer ?
M. Jean-Pierre Leleux. - Pour promouvoir ce projet de loi, on évoque les valeurs de la République, l'égalité, la sécurité, la protection, la lutte contre les discriminations. Or, au nom de ces mêmes valeurs, on peut militer contre ce texte. Un enfant dans une famille homosexuelle ne souffrira-t-il pas de discrimination par rapport aux autres enfants ? Mon collègue Revet l'a rappelé, un enfant naît d'un homme et d'une femme. Cela me gênerait que l'on aille contre la nature. Le mensonge, c'est de tricher contre la filiation en laissant entendre que les parents homosexuels seraient les créateurs de l'enfant. Depuis des millénaires, le mariage se définit comme l'union d'un homme et d'une femme en vue de créer un foyer et d'élever des enfants. Dans le métabolisme intellectuel de nos concitoyens, ce mot a un sens fort qui transcende les générations. Vous avez renoncé à l'union civile parce que vous souhaitez changer le sens du mot.
La filiation est l'essentiel du projet. Que ces couples s'aiment, et parfois plus que des couples hétérosexuels, je le reconnais. Qu'ils puissent élever un enfant avec amour, je le reconnais. S'il y avait un mensonge légal quand on laissait croire à l'enfant qu'il avait été engendré par ses parents adoptifs, du moins avait-il été conçu par un homme et une femme. Lui laisser croire qu'il est le fruit d'un couple homosexuel est plus grave. Mieux aurait valu réformer la filiation avant d'en venir à ce projet de loi. Enfin, j'eusse aimé que vous nous fissiez connaître l'avis divergent des dix membres de votre commission.
Mme Christiane Kammermann. - J'applaudis des deux mains.
- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président -
Mme Christine Lazerges. - J'en conviens volontiers, la couleur de la peau n'est pas une information suffisante sur les origines. Nous pouvions très bien prévoir l'accès à d'autres informations en lien avec les pays d'origine des enfants adoptés.
Le texte ne fait pas tomber le symbole du mariage. Il y a toutes sortes de familles : monoparentales, recomposées, homoparentales... Le modèle unique du mariage a disparu et plus de 50 % des enfants naissent hors mariage, il faut en prendre acte. Il ne se borne plus à autoriser la procréation. Le texte enrichit le mariage en l'offrant à des personnes qui en étaient exclues. Au demeurant, la CNCDH, qui lutte depuis la fin de la deuxième guerre mondiale contre les discriminations, estime que nous devons aux personnes homosexuelles la reconnaissance sociale et la justice. Savez-vous combien il reste difficile de dire à ses parents son homosexualité ? Dans l'Hérault, beaucoup d'enfants sont issus de parents français et maghrébins. Quand ils découvrent leur homosexualité, ils sont souvent jetés à la rue. L'association « Le Refuge » s'efforce de les prendre en charge.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous les entendrons bientôt.
Mme Christine Lazerges. - Il s'agit ici d'égalité recherchée dans la reconnaissance sociale. Le code civil dit que le mariage unit l'homme et la femme, l'on est bien obligé de le redéfinir. Il n'en demeure pas moins l'engagement public dans lequel on se déclare des droits et devoirs réciproques, dans la maison commune, porte ouverte.
Que n'avons-nous pas entendu sur les bancs adverses lorsque le Pacs a été voté! J'étais alors députée. Si le combat d'opposition avait été autre, nous serions allés plus loin, peut-être jusqu'à une union civile. Jamais, monsieur Revet, il n'a été question d'isoler le droit des couples homosexuels. Le Pacs est ouvert à tous. S'il y a 4% de couples homosexuels, cela donne juste une indication sur la proportion de couples homosexuels dans notre pays.
On ne met pas à bas l'institution du mariage, Monsieur Leleux, on ouvre une possibilité nouvelle d'accéder à cette institution de la République. Mme Meunier a raison d'invoquer égalité et fraternité.
Les discriminations dont seraient victimes les enfants de couples homosexuels dans les cours d'école ? Elles ne seront pas différentes de celles que d'autres subissent. Savez-vous qu'un enfant s'est suicidé récemment parce qu'il était roux ? C'est un scandale. Les enfants élevés dans des familles homosexuelles seront moqués, comme l'étaient hier les enfants de divorcés. Tout est question d'éducation. A nous de lutter contre les discriminations.
Mes collègues de l'opinion séparée se sont félicités, tout d'abord, de la tenue des débats à la CNCDH. Regrettant de ne pouvoir adopter le texte final, ils reprochent au projet de bouleverser la nature du mariage et les règles classiques de la filiation. Ils se fondent sur les textes internationaux, qui, sauf la charte européenne des droits fondamentaux, plus récente, et sans doute mieux adaptée aux réalités du présent, parlent encore d'un homme et d'une femme. N'ayant pas les mêmes réserves que la majorité sur ce risque de créer un mariage bis, mes collègues préconisent une union civile pour l'égalité des droits. Ils s'interrogent sur la filiation, rejetant la PMA pour des motifs autres que thérapeutiques - sur laquelle l'avis de la Commission est très prudent - et la GPA. Il y a certes, à côté des 99% de cas de GPA marchande, une GPA d'affection, entre soeurs, mais alors, il doit y avoir adoption simple. Enfin, il y a des exemples de GPA bibliques.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je vous invite à consulter le rapport de notre groupe sénatorial sur la GPA et la PMA. Il concluait à une GPA encadrée. Lors des auditons, tout le monde s'est déclaré opposé à une GPA d'affection parce qu'elle bouscule les lignées.
M. Charles Revet. - L'union civile que nous proposons n'est pas plus discriminatoire que le Pacs, ouvert à tous. Le mariage est autre chose.
M. Jean-René Lecerf. - Le mariage ne deviendra pas un simple contrat, avez-vous dit. Ce n'est pas l'opinion de partisans du texte que nous avons entendus. Enfin, la banalisation de la PMA au nom du principe d'égalité ne peut-elle emporter une libéralisation aussi large de la GPA ?
Mme Christine Lazerges. - Il y a une grande différence entre PMA et GPA, laquelle porte atteinte aux droits fondamentaux.
M. Jean-René Lecerf. - Et le principe d'égalité ?
Mme Christine Lazerges. - Il n'exige pas un traitement absolument identique a expliqué la Cour européenne des droits de l'homme. La CNCDH est pour l'instant réservée sur un élargissement de la PMA. Et pour recourir à une PMA, on n'a pas besoin d'être marié.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le critère est la stabilité de vie commune.
Mme Christine Lazerges. - C'est une faculté ouverte à tous les couples qui ont une vie commune avérée.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Merci d'avoir répondu à nos questions.
Jeudi 21 février 2013
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président, puis de M. Jean-Pierre Michel, vice-président -Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de représentants du Conseil supérieur du notariat
La commission poursuit ses auditions publiques sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Elle entend tout d'abord des représentants du Conseil supérieur du notariat.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Notre matinée sera longue mais passionnante. Nous avons déjà procédé à une quarantaine d'heures d'auditions, je l'ai dit hier en conférence des Présidents, et toujours en prenant le temps, de manière à ce qu'elles fussent instructives et se déroulassent, ce qui est précieux, dans un climat serein.
Nous recevons M. Jean Tarrade, président du Conseil supérieur du notariat, M. Jacques Combret, président de la section famille de l'Institut d'études juridiques, et Mme Christine Mandelli, administrateur, chargée des relations avec les institutions.
M. Jean Tarrade, président du conseil supérieur du notariat. - Merci de votre accueil. Les notaires, étant au service de leurs clients, établissent déjà un certain nombre d'actes pour les couples homosexuels dans le cadre des Pacs ou bien encore d'un mariage contracté dans un pays étranger qui l'autorise.
Cependant, les notaires sont quotidiennement confrontés à des situations que la loi ne règle pas.
L'ouverture du mariage aux personnes de même sexe ne se résume pas à la cérémonie ou au vocabulaire : elle affecte le droit de la filiation et de la famille en général. Il importe d'aborder ces débats sans précipitation et en privilégiant la concertation. La loi sur le Pacs de 1999 avait conservé les stigmates des vifs clivages qui avaient marqué les débats : il a fallu la reprendre en 2006 pour le mettre en cohérence.
Le mariage homosexuel représente 1,9 % des unions au Pays-Bas et 5,1 % en Belgique. La France a dénombré 251 654 mariages et 205 558 Pacs, dont 9 143 conclus par des couples homosexuels, soit 2 % des unions au total. Il convient de prendre en compte ces statistiques, car les modifications que va introduire la loi, concerneront tous les citoyens.
M. Jacques Combret, président de la section famille de l'Institut d'études juridiques. - Le nombre de mariages civils diminue et ceux qui le choisissent ignorent les règles, confondent effets et causes, droits et devoirs. Pourquoi ceux qui ont le droit de se marier sont-ils si peu nombreux à le faire ? Il convient peut-être de mener une réflexion sur la revalorisation du mariage civil.
Quelle différence y a-t-il aujourd'hui entre des couples mariés, pacsés ou des concubins dans la vie courante ? A table, on ne la voit pas. Pour parler de la mère de sa copine, mon fils utilise le terme de belle-mère. Nos concitoyens, qui ne sont pas des juristes avertis, découvrent les effets de ces différentes formes de vie en couple en cas de catastrophe. Ainsi, le partenaire d'un Pacs ne peut bénéficier de droits de succession ou d'une pension de reversion.
En votant le mariage entre personnes de même sexe, il faut anticiper certaines situations. Imaginons le cas d'un homme ayant eu trois enfants avec une femme à laquelle il a été marié quinze ans ; le mariage qu'il contracte ensuite avec un homme dure quinze ans. A qui reviendra la pension de réversion ? Le conjoint qui aura élevé trois enfants aura la même qu'un autre conjoint qui n'en aura pas élevé. Ce texte nous invite donc à une réflexion d'ensemble sur la conjugalité.
M. Jean Tarrade. - Passons à la terminologie.
M. Jacques Combret. - Le texte a beaucoup évolué à cet égard durant son passage à l'Assemblée nationale, et dans le bon sens. La profession notariale est favorable à ce qu'on ne perturbe pas trop l'architecture classique et qu'on conserve les termes de père et mère. Nous aurons 98 % de couples hétérosexuels. En gardant l'architecture actuelle, on concilie la majorité des situations tout en tenant compte des couples homosexuels. Nous avons bien travaillé pour cela avec la commission des lois de l'Assemblée nationale.
L'exclusion du champ d'application de l'article 6-1 des dispositions du titre VII relatives à la filiation nous convient. Toutefois, l'on peut se demander s'il ne vaudrait pas mieux insérer cet article à la fin des articles préliminaires, entre les articles 7 et 15, ou après l'article 15, car son positionnement actuel, après l'article 6 sur l'ordre public et avant l'article 7 sur l'exercice des droits civils est délicat.
L'article 4 bis fait mention de « l'ensemble des dispositions législatives en vigueur » s'appliquant aux conjoints de même sexe. Même si on comprend bien l'exposé des motifs de l'amendement, on pourrait gagner en lisibilité : exclure explicitement la procréation médicalement assistée (PMA) éviterait d'avoir à raisonner a contrario.
M. Jean Tarrade. - Les conséquences sur le droit de l'adoption sont plus importantes.
M. Jacques Combret. - Jusqu'à présent, l'adoption plénière était rendue invisible, cela ne pourra plus être le cas - c'est un constat. Ensuite, appelons un chat un chat : une homosexuelle pourra recourir à la PMA à l'étranger et faire adopter l'enfant par sa conjointe. Nous l'avons bien compris, la réflexion se poursuivra à l'occasion d'un autre texte, mais, qu'on le veuille ou non, nous validerons indirectement une pratique interdite en France.
Il faut absolument réfléchir à une réforme complète de l'adoption. Notre système est incohérent : pourquoi un couple homosexuel pourrait-il adopter mais non recourir à la PMA, laquelle est ouverte à un couple pacsé, privé d'adoption ? L'architecture est complètement déséquilibrée. Nous rappelons en outre des incohérences s'agissant de la fiscalité applicable entre adoptés et adoptants. Par souci d'égalité, il faudra accepter de traiter tout le monde de la même manière et mettre fin aux discriminations fiscales qui existent entre adoption simple et plénière.
Revenir sur l'article 346 du code civil pourrait poser le problème d'adoptions en chaîne. Mme Ducroire adopte plénièrement la petite Maude, puis elle se marie avec M. Léon, lequel adopte simplement Maude. M. Léon et Mme Ducroire, qui exerçaient conjointement l'autorité parentale, divorcent. Maude a 8 ans, l'adoption simple n'est pas révoquée et M. Léon continue à exercer l'autorité parentale. Puis M. Léon se remarie avec Mme Leroux. Avec l'article 360, alinéa 3, modifié, sous réserve du consentement de Mme Ducroire et de M. Léon, Mme Leroux peut à son tour adopter simplement l'enfant. Il faut réfléchir aux conséquences sur le nom, sur l'autorité parentale, sur l'obligation alimentaire, sur les droits successoraux en cas de décès de l'enfant ou de décès des adoptants de l'enfant. Il faut donc s'attacher de près à la coordination entre les alinéas 2 et 3 de cet article.
M. Jean Tarrade. - Venons-en aux conséquences sur le droit au nom.
M. Jacques Combret. - De nouveau, l'on constate que l'on touche à la totalité de la législation sur le nom. Avec l'article 311-21 et le nouvel article 363, alinéa 3, en cas de désaccord, on retiendra les deux noms des parents dans l'ordre alphabétique. Est-ce à dire que dans la majorité des cas, l'enfant portera le nom des deux parents ? Actuellement, depuis 2002, les Français en restent classiquement au nom unique. Cette règle de l'ordre alphabétique, qui figurait dans les travaux préparatoires de la réforme de 2002 et avait été abandonnée, s'appliquera à tout le monde. Est-ce nécessaire ?
M. Jean Tarrade. - L'obligation alimentaire, maintenant.
M. Jacques Combret. - Les dispositions sur l'obligation alimentaire prévues aux articles 204, 205 et 206 sont obsolètes, nous avons déjà eu l'occasion de le dire. Je pense notamment au cas des beaux-parents et des gendres ou belles-filles. N'oublions pas que cette obligation est réciproque. Avec la multiplication des liens, nous pourrions assister à une multiplication des obligations ; il faudra y prendre garde dans une réflexion d'ensemble. Le dossier que nous avons présenté donne des exemples. La situation est parfois compliquée pour les familles, d'autant que sur le terrain, les demandes d'aliments de la part des enfants, vis-à-vis des parents ou grands-parents, sont de plus en plus fréquentes.
M. Jean Tarrade. - Enfin, nous souhaiterions attirer l'attention du Sénat sur les conséquences en droit international privé.
M. Jacques Combret. - Le nouvel article 202-1 serait mieux rédigé si l'on remplaçait « loi personnelle » par « loi nationale ». De plus, le critère du domicile n'emporte aucune condition de durée ou d'habitation effective; l'instruction générale sur l'état civil invite l'officier d'état-civil à adopter une attitude libérale : une résidence secondaire suffira pour la célébration valable du mariage, y compris lorsque la loi du pays d'un des conjoints prohibe une telle union. Si deux Suisses de même sexe se marient en France parce qu'ils y possèdent une résidence secondaire, ils auront deux statuts juridiques : mariés en France, ils verront leur mariage requalifié en partenariat en Suisse. Mieux vaudrait retenir deux critères alternatifs, la nationalité et la « résidence habituelle », notion bien connue dans notre droit (article 311-15 du code civil) et que le règlement européen du 4 juillet 2012 sur les successions définit comme « le lien étroit et stable avec l'Etat concerné ». Au demeurant, en Belgique, un rattachement territorial par la résidence habituelle justifie l'éviction d'une loi personnelle prohibitive au titre de l'ordre public.
Ensuite, le nouvel article 167 écarte l'application d'une éventuelle convention consulaire ou de la loi nationale, ce qui peut être source de danger pour les intéressés. Prenons le cas de la Russie qui réprime l'union homosexuelle. Si celle-ci est enregistrée en France, qu'adviendra-t-il au couple lorsqu'il reviendra en Russie ? Cette disposition s'abstrait du principe de coordination des systèmes juridiques. Peut-être faudra-t-il y revenir pour mieux protéger les couples, de la même manière que l'article 16 bis du projet de loi dispose qu'un salarié peut refuser sa mutation dans un pays qui incrimine l'homosexualité.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie de cet exposé très rigoureux qui pointe très précisément de nombreuses interrogations laissées sans réponse -un éclairage précieux pour les législateurs que nous sommes.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Effectivement, votre éclairage nous avait déjà été précieux durant les débats sur le PACS. L'atmosphère était alors survoltée, car c'était la première fois que le Parlement établissait une union en dehors du mariage. S'y ajoutait une petite difficulté sur le contrat.
Je suis satisfait que les notaires soulignent que son ouverture aux personnes du même sexe revalorise le mariage à un moment où il en a bien besoin. Grâce aux homosexuels, le mariage civile sera revalorisé, c'est excellent, n'est-ce pas, monsieur Revet ?
Oui, nous ferons attention à interdire explicitement la PMA. Quand nous avons reçu les ministres, nous leur avons dit qu'il fallait totalement réformer l'adoption - il aurait été encore mieux de le faire avant l'ouverture du mariage. Cette réforme est en cours, et je rencontrerai Mme Bertinotti très rapidement. L'adoption plénière n'est plus la même ; l'idée, qui est encore dans la tête de certains psychanalystes, qu'il faut faire disparaître totalement l'histoire antérieure, n'est plus de mise. Cela sera l'objet d'un autre texte. En revanche, nous avons préparé un amendement restreignant le nombre des filiations adoptives possibles.
La question du nom est bien compliquée. Si j'avais le temps, je me transporterais dans quelques maternités. D'après ce qu'on me dit, les parents se disputent sur le prénom jusqu'au dernier moment. Dans l'euphorie de la naissance, ils en donnent un à l'infirmière. Puis la maternité se charge des démarches, si bien que la question du nom est laissée à l'officier d'état civil : l'on bricole. Si cela est vrai, c'est inadmissible. Il faudrait distribuer dans toutes les maternités un imprimé pour le prénom et un pour le nom, et informer les gens sur leurs droits. Je sais que mon homologue de l'Assemblée nationale est très attaché à sa solution.
Enfin, si les documents et informations nous y poussent, nous toucherons avec des pincettes aux articles touchant au droit international privé. La consultation que nous avons demandée à des professeurs de droit n'est pas encore arrivée ; la chancellerie m'assure que la question a été longuement étudiée. Je n'en dis pas plus.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis pour la commission des Affaires sociales. - Vous avez une pratique, avez-vous dit. Quelles sont les raisons pour lesquelles les couples homosexuels vous consultent le plus souvent ? Comment les choses se règlent-elles pour les enfants ?
- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président -
M. Charles Revet. - Merci de cette présentation. A chaque fois, vous avez attiré notre attention sur les conséquences pratiques de l'application de la loi. Cela s'applique d'abord au législateur, qui doit voter en conscience. Or je n'apprécie pas tous les effets du projet : un tableau comparatif nous éclairerait.
Quand François Hollande a lancé cette promesse de campagne, je ne suis pas sûr qu'il en ait mesuré tous les effets. D'après vos chiffres, le nombre de Pacs serait équivalent à celui de mariages civils. Pourquoi les gens préfèrent-ils le Pacs ? Un jour, une administrée m'a répondu : « Je suis pacsée, cela n'a rien à voir avec le mariage. Le mariage engage, le Pacs est un formulaire administratif. ». L'on dissocie du mariage tout ce qui pose problème, j'ai même compris que le rapporteur trouve préférable de légiférer d'abord sur l'adoption...
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Il aurait été préférable...
M. Charles Revet. - Peut-être en tirerez-vous les conclusions. Pour répondre vraiment aux attentes légitimes des couples homosexuels, ne faut-il pas renforcer le Pacs ? Qu'en pensez-vous en tant que notaires ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Monsieur Revet, vous trouverez des éléments de comparaison dans le rapport.
M. Charles Revet. - Merci.
Mme Catherine Tasca. - Votre exposé était très objectif, nous ferons le meilleur usage de vos suggestions. Ce texte, vous l'avez bien montré, affectera l'ensemble des couples alors qu'il a été pensé pour réparer une injustice et répondre aux demandes légitimes d'une minorité. On ne peut pas toucher au mariage sans conséquences sur l'ensemble de l'édifice. Il faudra en tenir compte dans nos débats.
Une question sur les pacsés : combien viennent dans vos études notariales pour établir un acte ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - Cette réforme intervient dans une période de désaffection pour le mariage civil. M. Jean-Pierre Michel en conclut, à juste titre, qu'elle revalorisera cette institution. Avez-vous des pistes de réflexion pour aller en ce sens ?
M. Jean Tarrade. - Madame Meunier, pour les actes concernant des couples de même sexe mariés à l'étranger, nous ne rencontrons pas spécialement de problèmes pratiques : nous appliquons le statut personnel. Le droit international privé reconnaissant les situations acquises à l'étranger, nous traitons les couples homosexuels mariés comme les autres en matière de partage des biens et de droits successoraux.
Je ne peux pas promettre que nous avons mesuré toutes les conséquences, c'est bien pourquoi nous souhaitons qu'on prenne tout le temps de la réflexion. Oui, monsieur Revet, nous touchons à un pilier du code civil : le mariage. « Si vous devez en faire une, faites-nous une belle loi », ai-je dit à Mme Taubira. Peut-être nous manque-t-il encore un Portalis. A vos plumes !
Beaucoup de couples ne sont pas suffisamment informés de la loi. C'est ainsi que la loi « Famille » devra traiter du statut du beau-parent dans la famille recomposée, car de plus en plus de personnes vivent avec des personnes qui ne sont pas leurs parents.
M. Jacques Combret. - Le rapporteur l'a rappelé, la rédaction du Pacs par les notaires avait posé problème, non dans la loi, mais dans les textes d'application. Bien que je n'aie pas les statistiques, je constate une montée en puissance. Un Pacs est gratuit si on va au greffe, le notaire demande 190 euros d'honoraires mais, curieusement, perçoit pour l'Etat un droit d'enregistrement, qui majore le coût de plus de 150 euros. Dans beaucoup de greffes, il y a un délai d'attente : ce n'est pas le cas chez nous et nous effectuons les formalités. En outre, nous offrons des conseils. Enfin, le contenu des conventions que l'on peut mettre dans le Pacs est important, et le notaire, quand l'acte est passé chez lui, en assure la garde et peut remettre des copies authentiques.
Les associations familiales ont demandé pourquoi on n'avait pas choisi un partenariat enregistré pour les couples homosexuels. Mais l'on ne pouvait guère revenir en arrière pour établir un Pacs à géométrie variable selon l'orientation sexuelle des contractants ; si le Pacs reçoit les mêmes avantages que le mariage, à quoi bon conserver deux institutions ? Aujourd'hui, un certain nombre de Pacs se convertissent en mariages. C'est l'évolution naturelle. Enfin, il serait compliqué de juxtaposer mariage entre personnes de sexe opposé, contrat pour les personnes de même sexe, Pacs et concubinage.
C'est vous, élus de la Nation, qui avez la responsabilité de la loi : nous exécuterons. En revanche, merci d'avoir compris notre message sur le mariage. En 1999, je m'étonnais devant Mme Guigou qu'il soit plus facile de se marier que d'obtenir le permis de chasse ou le permis de conduire ! Nos concitoyens sont mal informés. A l'époque, nous avions proposé, c'était un peu iconoclaste, de réorienter ou d'élargir la journée qu'on a substitué au service militaire (appelée aujourd'hui « journée de défense et de citoyenneté »). Il serait intéressant que toutes les classes d'âge puissent bénéficier d'une journée d'information sur les conséquences juridiques des modes de conjugalité. Il y a là un effort à fournir tous ensemble pour la revalorisation du mariage.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - ll me reste à vous remercier de votre objectivité et de vos éclairages, qui, sans nous comparer à Portalis, nous aideront à écrire un texte répondant à l'exigence constitutionnelle de lisibilité. J'espère que, grâce à vous, M. Revet sera au moins partiellement satisfait...
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de représentants du Conseil national des barreaux
Puis elle entend des représentants du Conseil national des barreaux.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous poursuivons notre série d'auditions : après les notaires, les avocats. Le conseil national du barreau, auquel nous avons fait appel, réunit l'ensemble des avocats de France, même s'il existe des associations particulières, pour les bâtonniers, par exemple. Me Paule Aboudaram nous prie d'excuser son absence.
Mme Carine Denoit-Benteux, avocate, membre du conseil de l'ordre de Paris. - Ce texte touche à des problématiques essentielles, à analyser avec la plus grande prudence. Les auditions auxquelles j'ai assisté m'ont fait comprendre que vos préoccupations allaient moins au mariage qu'à l'adoption dont les dispositions devront être totalement refondues. La ministre de la famille n'a pas donné de calendrier précis pour la réforme qui est le point le plus important pour nous, praticiens du droit.
Quelles que soient les prises de position individuelles, tous les juristes, lors des auditions auxquelles j'ai assisté, ont insisté sur la nécessité d'une vision d'ensemble et d'une refonte du droit de la filiation. Il y va du statut de l'enfant et de sa place dans la société civile.
L'enfant ne choisit ni sa famille, ni la séparation de ses parents. Dans le divorce, le juge statue sur des éléments matériels. L'absence de lien juridique avec le second parent, dans les couples homosexuels, pose, pour nous, problème : toute mesure visant à garantir ce lien sera bienvenue. Reste qu'il faut songer à toutes les conséquences. C'est l'occasion de s'interroger sur ce que l'on attend de la famille, demain. Le droit de la filiation ne correspond plus aux réalités, on s'en rend compte dans nos cabinets ; mais la réflexion doit être plus vaste et concerner non seulement l'adoption, mais aussi la PMA, la GPA, l'accès aux origines, voire la présomption de paternité.
L'adoption n'est aujourd'hui ouverte qu'aux couples mariés depuis deux ans ou aux célibataires de plus de 28 ans. Maintenir cette restriction a-t-il un sens ? Les homosexuels seront-ils les seuls à devoir se marier pour faire reconnaître le statut de parent adoptif ?
Il convient aussi de s'interroger sur les conditions dans lesquelles se déroule l'adoption. Les auditions des associations de familles adoptives ont montré qu'il n'y a pas de politique commune : chaque conseil général définit ses orientations ; à demi-mots, certaines associations parlent de forum shopping de l'adoption. Comment, dès lors, s'assurer qu'aucune discrimination n'existera à l'encontre des couples homosexuels ? On peut s'interroger sur la création d'un droit qui n'entraîne pas d'effets juridiques uniformes sur l'ensemble du territoire national.
Parlons maintenant des circonstances de la naissance de l'enfant dont on permet l'adoption par le conjoint.
Première hypothèse : il peut s'agir d'un enfant élevé au sein d'un couple homosexuel mais né d'une précédente union hétérosexuelle. Cette situation est tout à fait résiduelle.
Deuxième hypothèse : il s'agit d'un enfant né du rapprochement d'un couple d'hommes et d'un couple de femmes : quatre parents, quatre modes d'éducation, huit grands parents susceptibles d'agir pour obtenir un droit de visite...et un contentieux catastrophique en cas de séparation avec un enfant qui perdra des repères très difficilement construits. Dans cette hypothèse, indiscutablement, permettre l'adoption au sein de couples de même sexe simplifie considérablement les choses.
Troisième hypothèse, très courante: l'enfant né d'une PMA ou d'une GPA. Ces deux points ne sont pas abordés par le projet de loi ; il me paraît difficile de conférer le droit d'adopter l'enfant du conjoint dans un couple de même sexe sans se positionner sur les circonstances de sa naissance. Un sénateur a demandé à la garde des sceaux si autoriser l'adoption n'entraînait pas de facto l'ouverture très rapide à la PMA et à la GPA. Mme Taubira a rappelé que le Gouvernement n'envisageait pas de rendre possible la GPA : c'est en effet difficile, face aux risques d'exploitation et de marchandisation du corps de la gestatrice. Toutefois, en France, de nombreux enfants sont issus de la GPA : la circulaire du 25 janvier donne à ces enfants la possibilité de voir reconnaître leur nationalité française ; c'est une avancée notable.
Actuellement, la PMA est ouverte à tout couple, marié ou non. Ne nous mentons pas : un grand nombre d'adoptions portera sur des enfants issus de la PMA. Ne pas permettre aux femmes de concevoir dans un cadre légal reviendrait à encourager le contournement de la loi française.
Il faut garder à l'esprit que l'adoption, en tant que filiation choisie, est un acte fort : dès lors, maintenir la révocabilité de l'adoption simple fait-il encore sens aujourd'hui ?
J'en termine par la question du droit d'accès aux origines. Différentes conventions précisent que l'enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents. Ce droit disparaît dans certains cas, comme l'accouchement sous X. Le droit est attaché à la vérité biologique, même si quelques évolutions sont perceptibles, comme avec les aménagements apportées à l'accouchement sous le secret ou la création du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP). Mais quid de la revendication des enfants nés dans une famille homoparentale, issus d'une PMA ou d'une GPA, quid de l'anonymat du don des gamètes, quid de la conciliation de cette recherche avec l'adoption ?
Enfin, l'action en recherche de paternité a-t-elle encore sa place dans un monde qui fait primer la filiation affective sur la filiation biologique ? Lors d'une précédente audition, Mme Tasca s'est interrogée sur la recherche de paternité et le droit des femmes. C'est une question très intéressante ; à mon sens, le lien biologique relève davantage du droit des hommes, pas de celui des femmes, car ce sont souvent les hommes qui refusent d'être de simples géniteurs et revendiquent leur autorité parentale. Mais comment engager une recherche en paternité quand l'homme n'a eu aucun rapport de quelque nature que ce soit avec la mère de l'enfant ? Aujourd'hui, le droit des femmes réside plus dans la possibilité de choisir d'être mère.
En conclusion, la plus grande prudence s'impose. Nous ne ferons pas l'économie d'une réforme totale du droit de la filiation à très court terme.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Merci de votre contribution. Si nous nous interrogeons peu sur l'ouverture du mariage, c'est qu'il ne pose pas problème : nous le voterons. Nous proposerons, en revanche, des amendements sur la question du nom, comme sur celle de la filiation. Le Gouvernement renvoie nombre de problèmes à une future loi sur la famille. Pour moi, il faut un texte sur l'adoption sans tarder. Pour le reste, le Gouvernement envisage de modifier l'accès à la PMA, mais se refuse à envisager la GPA.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Vous avez rappelé l'ensemble des problématiques, en présentant des incohérences auxquelles il nous faudra répondre.
Un mot sur la recherche en paternité : aujourd'hui, 8 % des naissances se font sans père déclaré. Chacun, hommes et femmes, doit être responsable ; se pose aussi la question de la prévention, qui relève des politiques publiques.
M. Charles Revet. - La question de l'adoption doit être examinée dans sa globalité. Elle est complexe, comme le sont celles de la PMA et de la GPA.
Nous voterons le mariage, a dit le rapporteur. Pas tous les membres de la commission...
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je parlais en tant que rapporteur.
M. Charles Revet. - Notre précédente audition a souligné la nécessité de mesurer les conséquences liées à la modification du droit du mariage. Il faudrait pouvoir analyser toutes les conséquences de notre vote.
Comme avocate, vous être amenée à plaider pour des divorces ou des ruptures de Pacs. Avez-vous identifié des aspects mal pris en compte dans les Pacs ? J'ai reçu des homosexuels, qui vivent ensemble, avec des enfants, et qui se plaignent d'être traités différemment alors qu'ils mènent une vie normale. Le législateur doit traiter ces situations, en mesurant toutes les conséquences de ses choix.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - M. Revet aura entendu la dernière remarque de maître Combret, qui a souligné que la création d'une union civile compliquerait encore la situation...
Mme Virginie Klès. - Vous avez dit que ne pas légaliser certaines pratiques de PMA reviendrait à encourager le détournement de la loi. Il faut retrouver un équilibre entre les droits : celui des femmes, mais aussi celui des hommes. Il est des hommes qui font des dons de sperme pour aider un couple stérile à avoir des enfants, pas pour permettre des PMA de convenance. La moindre des choses serait d'informer le donneur, car ce sont des dons très particuliers, qui exigent la plus grande transparence.
A l'inverse, des pères ont été spoliés de leur paternité : on a vu des reportages à la télévision récemment sur des femmes allant accoucher seule à la maternité. Le droit des enfants à connaître leurs origines est, en ce sens, important.
En tout cas, dire qu'il y a une nécessité à légaliser la PMA me choque un peu.
Mme Hélène Poivey-Leclercq. - Nous ne devrions pas avoir à légiférer sur la PMA : elle devrait être d'emblée ouverte à tous les couples mariés ; si elle est réservée aux couples hétérosexuels, la CEDH considérera qu'il y a discrimination. Voyez l'arrêt Gas et Dubois du 15 mars 2012. Ouvrir la PMA est une conséquence nécessaire du mariage pour tous, pour prévenir toute discrimination.
Si la PMA ne s'accompagne pas d'une loi sur la GPA, on va assister, comme au Canada, à une féminisation de la filiation, puisqu'aucune filiation ne sera permise aux hommes qui vivent ensemble.
N'oublions pas, surtout, l'intérêt de l'enfant, objet de toutes les convoitises, de tous les désirs, mais dont on se préoccupe peu. La stérilité n'est plus admise, c'est une forme de cécité reproductive. On fait souvent de l'intérêt supérieur de l'enfant un fourre-tout en oubliant sa spécificité. N'oublions pas que le père est père quand la mère le décide : la contraception est, par nature, occulte ; pour l'avortement, nul besoin du père. L'enfant naît du désir unilatéral d'une femme. En recherche de paternité, je me bats depuis trente ans pour la reconnaissance d'un principe de responsabilité quasi délictuelle : depuis longtemps, on ne peut tomber enceinte ni le demeurer malgré soi. Au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, je suis régulièrement déboutée de mes demandes de dommages et intérêts, parce qu'on me dit que l'enfant a besoin d'avoir un père, une filiation.
Comment soutenir en droit à la fois, d'une main, la recherche de paternité, de l'autre, l'adoption plénière, mensonge juridique, déni de la filiation biologique et éradication légale de tout accès aux origines ? Maintenant, il va y avoir des mariages homosexuels, avec forcément un mensonge, ou un silence ; dans trente ans, qui peut connaître le trouble de ceux qui seront nés dans ces conditions ? N'allons pas construire un monstre juridique. Nous vivons dans une société de transparence qui ne permet plus le mensonge grâce aux tests génétiques ; dès lors, il faut bouleverser la filiation et faire coexister pacifiquement une filiation biologique, avec ou sans conséquence selon le voeu du géniteur, et une filiation élective, celle de l'adoption simple. J'espère la disparition de l'adoption plénière : dans ma clientèle - je suis avocat depuis 32 ans après avoir été 8 ans clerc de notaire -, j'ai vu des adultes en désespérance faute d'avoir accès à leurs origines. Comme avocat, je ne peux même pas obtenir la copie intégrale de l'acte de naissance d'un enfant adopté, parce qu'il porte leur véritable histoire. Ce mensonge juridique n'est plus possible en 2013. Il faut enfin prendre en considération les besoins des enfants et repenser la filiation.
Je reviens sur le mariage. Je vois, dans ma clientèle, des concubins de vingt ans qui ne comprennent pas, au moment de la séparation, ce qui leur arrive : ils ne s'étaient pas avisés qu'ils n'avaient aucun droit. Mêmes ignorances sur les conséquences du Pacs : ils choisissent ce mode de conjugalité parce qu'il est facile d'en sortir, mais quand il faut supporter les conséquences de la rupture, tout le monde regrette la protection du mariage... En fait, on veut les droits, mais sans obligation. Puisqu'on veut ouvrir le mariage à tous, ouvrons aussi l'information à tous ! Et l'information passe par l'éducation : on ne prépare pas les gens au mariage en leur lisant les articles 212 et 215 du code civil le jour de la célébration ! Les homosexuels doivent mesurer les conséquences du mariage. Un de mes jeunes clients voulait se marier en Espagne avec son compagnon. Lorsque je lui ai expliqué qu'en cas de séparation, il devrait peut-être payer une pension alimentaire, il a pris son chapeau et la fuite.
Mme Virginie Klès. - La loi devra définir très précisément le droit aux origines. Un spermatozoïde ou un ovocyte, ce n'est pas l'histoire d'un enfant ; un revanche, qu'il soit né par PMA, c'est son histoire. Un spermatozoïde ou un ovocyte, ce n'est qu'un bout de matériel génétique. Mais toute personne doit avoir accès aux caractéristiques de ses deux parents, des deux côtés de sa filiation : c'est un droit inaliénable. En tant que scientifique, je veux dénoncer les manipulations de gamètes, en amont de la fécondation in-vitro, qui sont extrêmement dangereuses.
Mme Hélène Poivey-Leclercq. - Le spermatozoïde n'est pas un simple matériel génétique. Si tel était le cas, on ne verrait pas des êtres souffrir autant d'ignorer qui est le donneur du spermatozoïde qui les a engendrés.
Mme Virginie Klès. - Les psychanalystes soulignent que ces demandes, quand elles deviennent pathologiques, sont plus souvent liées à des souffrances présentes.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Quel que soit le mode d'engendrement d'un enfant, cet enfant doit pouvoir connaître son histoire.
M. Charles Revet. - Tout à fait.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous avons entendu des professeurs de droit. Le témoignage du professeur Hauser m'a impressionné : le législateur doit avoir le courage de reconnaître les deux lignes de filiation, une filiation biologique et une filiation volontaire ou sociale,...
Mme Hélène Poivey-Leclercq. - ...élective !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Cela implique des conséquences en chaîne, dont il faudra tenir compte.
Mme Carine Denoit-Benteux. - Nous sommes tous très demandeurs d'une réforme de la filiation. En particulier, la révocabilité de l'adoption simple n'a plus de sens.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'adoption plénière était faite pour les orphelins d'après-guerre. Il faut y revenir aussi. Un enfant qui vient du Vietnam, du Mali ou du Brésil, sait bien qu'il est différent de ses parents adoptifs. Je ne crois pas, comme l'a dit un psychanalyste que nous avons entendu, que l'adoption plénière soit une nouvelle naissance pour l'enfant.
Merci pour vos témoignages concrets
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de M. André Nutte, président et M. Raymond Chabrol, secrétaire général du Conseil national d'accès aux origines personnelles
Puis elle entend des représentants du Conseil national d'accès aux origines personnelles.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant, pour notre troisième série d'auditions depuis ce matin, M. André Nutte, président du Conseil national d'accès aux origines personnelles, et M. Raymond Chabrol, qui en est le secrétaire général.
Nous évoquions, voilà quelques instants encore, le problème des origines, dont il sera encore plus question lors de l'examen du futur projet de loi sur la famille, mais qui est aussi soulevé au travers du projet de loi relatif au mariage des personnes de même sexe, notamment en ce qui concerne les adoptions plénières.
M. André Nutte, président du Conseil national d'accès aux origines personnelles. - Dans un premier temps, je rappellerai brièvement les termes de la loi du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État. Je présenterai ensuite les activités du Conseil national d'accès aux origines personnelles, le CNAOP. Enfin, j'évoquerai un certain nombre de points particuliers.
La loi du 22 janvier 2002 qui a remis en cohérence un certain nombre de dispositifs épars, représente manifestement un progrès. Je rappelle qu'il avait été voté à l'unanimité par les deux chambres et, après dix ans d'application, il commence à se stabiliser. Ce texte doit certainement évoluer, mais, en tout cas, son application commence aujourd'hui à être bien établie, avec des jurisprudences nécessaires, comme il sied d'ailleurs à toute loi.
On rappellera aussi utilement que le Sénat, en 2007, avait introduit une disposition selon laquelle l'accès aux origines était ouvert dès l'instant où l'enfant atteignait l'âge de dix-huit ans, mais qu'il était également possible de descendre en dessous de ce seuil lorsque l'enfant avait le discernement nécessaire. Si cette disposition n'est certes pas encore opérationnelle, elle a tout de même constitué, à mon avis, un signal, que nous retrouverons certainement lors du débat sur la recherche des origines.
Schématiquement, la loi du 22 janvier 2002 se compose de deux parties : la première a trait au droit à accoucher dans le secret, appelé plus communément « accouchement sous X » ; la seconde concerne l'accès à ses origines, c'est-à-dire la possibilité pour les personnes nées sous X de pouvoir, un jour, à partir de dix-huit ans, accéder à leurs origines.
Le CNAOP a notamment pour objet, comme le précise la loi du 22 janvier 2002 par laquelle il a été créé, de faciliter l'accès aux origines personnelles.
Environ 600 enfants naissent chaque année sous le secret, dans notre pays. Ce chiffre est constant. Il a très sensiblement diminué, pour d'évidentes raisons, notamment après le vote de la loi Veil, puisque l'avortement a permis de régler un certain nombre de situations.
Depuis sa création, le CNAOP a été saisi de 7 000 demandes utiles d'accès aux origines, c'est-à-dire relevant expressément de sa compétence.
Je reviens sur le premier volet de la loi du 22 janvier 2002, l'accouchement sous le secret.
C'est d'abord une décision qui appartient à la mère de naissance, qu'elle n'a pas à justifier. La personne se présente à la maternité, elle n'a pas à décliner son identité, elle n'a pas à évoquer les conditions qui l'ont amenée à prendre cette décision, et l'administration n'a pas à mener d'investigations.
On est donc sur un régime déclaratif strict, compréhensible s'agissant d'une situation de secret. Afin que ce secret soit bien gardé, la prise en charge des frais d'accouchement, des frais d'hospitalisation, par exemple, est assurée par l'État. En tout cas, le CNAOP n'a pas eu connaissance de cas de violation de secret.
La loi ne prévoit pas qu'il puisse être demandé à la personne qui vient pour accoucher s'il y a procréation médicalement assistée ou gestation pour autrui.
Il appartient aux personnels hospitaliers, aux personnels des conseils généraux, qui font d'ailleurs un travail remarquable, de rencontrer la personne, de lui expliquer dans quel contexte juridique elle se situe, de bien lui faire comprendre que, si elle persiste dans sa décision, un processus d'adoption s'engagera, avec tout ce que cela comporte, c'est-à-dire que l'adoption, au bout de deux mois, est irréversible.
Ils doivent également expliquer à la femme qui veut accoucher sous X que la loi a prévu des possibilités qui, tout en maintenant le secret, permettront peut-être un jour à l'enfant d'obtenir des informations sur ses origines au moyen du système du pli fermé. Dans ce pli fermé, la femme peut laisser son identité, des renseignements sur sa santé et sur celle du père, sur l'identité de ce dernier et d'autres indications qu'elles souhaitent apporter.
Il s'agit non pas de faire pression sur la personne mais de l'éclairer. Les études dont nous disposons montrent que, d'une manière générale, les femmes qui accouchent sous X sont en difficulté sociale. Selon la répartition géographique ou socioprofessionnelle de ces personnes, il apparaît que, dans leur très grande majorité, elles rencontrent d'importants problèmes ; c'est une donnée qu'il faut prendre en compte.
Pourquoi ces personnes prennent-elles la décision d'accoucher dans le secret ? Que disent-elles ? Quelles sont leurs motivations ? Avoir été victime d'un abus sexuel est l'un des motifs le plus fréquemment invoqué à l'appui de cette décision. Il y a aussi des situations de déni. La personne a nié son état de grossesse et, le temps passant, elle n'a pas d'autre solution dès lors qu'elle ne souhaite pas garder l'enfant. Il y a aussi le cas de femmes abandonnées par leur compagnon qui, ayant appris leur grossesse et voyant que celle-ci se poursuit, décident de le quitter. Il y a aussi des couples qui, de manière très rare, décident que l'accouchement se fera sous X. Mais tout cela relève du déclaratif, et le CNAOP n'a d'ailleurs pas à en savoir davantage.
J'ajouterai que, sur les 600 femmes qui accouchent chaque année dans le secret, un peu moins d'un tiers ont eu l'idée de contacter des associations ou l'assistante sociale de la ville avant l'accouchement. Dans ces cas-là, je n'ose pas dire « un travail préparatoire », mais en tout cas un cheminement social a abouti à cette décision.
De ce qui remonte des conseils généraux nous avons le sentiment que les personnes concernées sont le plus souvent en souffrance. La situation n'est pas simple : elles doivent prendre dans un délai très court une décision difficile, celle de garder ou non l'enfant, donc une décision lourde de conséquences. En effet, il faut bien en avoir conscience, au bout de deux mois, il n'est plus possible de faire marche arrière.
J'en viens au second volet, celui de l'accès aux origines, autrement dit la possibilité pour la personne qui le souhaite de retrouver les coordonnées de sa mère de naissance. Nous employons cette expression de « mère de naissance » pour la distinguer de la mère qui a adopté l'enfant. Pour nous, les deux situations sont très différentes. Le vocabulaire n'est pas neutre.
Je l'ai rappelé, cette faculté est ouverte aux personnes de plus de dix-huit ans et aux enfants de moins de dix-huit ans s'ils ont le discernement nécessaire.
Ne croyez pas pour autant que les personnes concernées se précipitent pour présenter une demande d'accès aux origines dès qu'elles atteignent l'âge de dix-huit ans ; cela ne nous simplifie d'ailleurs pas les choses. Et encore faudrait-il qu'elles sachent qu'elles sont nées sous X. Certaines apprennent qu'elles ont été adoptées beaucoup plus tard.
Un dossier sur deux date de plus de trente ans, ce qui n'est pas simple pour l'administration. À cette époque, l'informatique n'existait pas, les dossiers étaient constitués manuellement, selon des pratiques diverses et variées. L'âge moyen auquel une personne recherche ses origines est largement supérieur à trente ans.
En outre, et en partie pour les mêmes raisons, nous ne retrouvons la mère de naissance que dans un peu plus d'un cas sur deux, ce qui est normal, car, en l'espace de trente ou quarante années, la personne a pu déménager. Cette situation est très frustrante pour la personne qui cherche ses origines. Elle fait un procès d'incompétence à l'administration en général, en l'accusant de ne pas agir avec suffisamment de bonne volonté ; quant aux associations, il arrive qu'elles soient persuadées que, si elles avaient été chargées du dossier, elles auraient retrouvé la mère de naissance.
Moins d'un dossier sur deux trouve donc une issue heureuse. Une fois la mère de naissance retrouvée, nous parvenons à « satisfaire » 30 % des demandes d'accès aux origines. Pour les autres, nous n'y arrivons pas, soit parce que la mère, bien qu'identifiée et contactée, maintient son refus, ce qui est son droit ; soit parce que la personne que nous contactons prétend qu'elle n'a jamais été la mère de naissance de qui que ce soit.
Par ailleurs, les demandes des personnes en recherche de leur mère de naissance ne sont pas uniformes. Certains se contentent d'obtenir le nom de leur mère de naissance et leur lieu de naissance ; d'autres souhaitent aller plus loin, et rencontrer la mère de naissance, sans pour autant envisager de renouer des relations pérennes.
À ce sujet, nous avons été confrontés récemment à une situation assez rude. Le contact avec la mère de naissance s'est mal passé, du fait d'une incompréhension née de la trop grande différence dans les niveaux de vie respectifs de la personne et de sa génitrice...
Nous pensons - et les associations qui composent le Conseil national en sont également convaincues - qu'il serait nécessaire de prévoir un accompagnement très professionnel pour aider le demandeur dans son cheminement personnel.
Je relève que le croisement des fichiers informatiques permet d'augmenter nos performances ; pour autant, nous serons toujours confrontés à certaines limites.
Je souhaiterais maintenant aborder le problème de la reconnaissance de la parentalité par les pères.
Lorsqu'une femme accouche sous X, rien n'interdit à un homme de faire une demande de parentalité ou de se déclarer en parentalité. Une circulaire du 28 octobre 2011 du ministère de la justice traite d'ailleurs expressément des accouchements sous X. Les pères peuvent accéder à la parentalité par une formalité assez simple : une déclaration de parentalité devant le maire et, le cas échéant, devant le procureur.
Il est clair que l'évocation de cette possibilité juridique nous ramène à la gestation pour autrui. Je resterai prudent : en l'état actuel de nos connaissances, nous n'avons pas identifié de situation de ce type. Il y a une demande de reconnaissance de parentalité seulement dans une petite dizaine de cas étalés sur les dernières années.
Certaines situations nous semblent particulièrement nettes et n'ont rien à voir avec la gestation pour autrui. Je prendrai l'exemple, sans porter de jugement, d'un couple marié avec deux enfants dont la femme souhaitait accoucher sous X. Son mari voulait reconnaître sa parentalité par avance et son épouse souhaitait ne pas accoucher dans son département de résidence, qui est de taille modeste. Comprenne qui pourra, mais il me semble que ce cas est très loin de la GPA !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le mari n'est pas clair !
M. André Nutte. - Nous ne sommes pas allés si loin, mais, effectivement, c'est sûrement cela...
Un autre élément nous rassure. Rapporté au nombre de naissances constatées au cours des dernières années, le nombre annuel d'accouchements sous le secret - 600, je le rappelle - est en baisse, certes légère, mais incontestable. On ne peut donc pas parler pour l'instant de déviation de la procédure ; on peut simplement dire que c'est une possibilité juridique qui existe. Il faudra voir comment les choses évoluent et s'il y a une rupture de courbe dans les déclarations d'accouchement sous X après l'adoption de la loi.
Je voulais, pour terminer, évoquer la situation des enfants élevés par des familles du même sexe. Je n'ai pas trouvé de statistiques bien établies sur ce point, l'INED évoque une fourchette comprise entre un maximum de 40 000 enfants et un minimum de 10 000. Certaines associations avancent plutôt les chiffres de 100 000 ou 200 000 enfants. En tout cas, il me semble clair qu'il faut se soucier de leur donner un cadre juridique familial plus établi.
On ne peut pas non plus se désintéresser de l'accès aux origines, qu'ils demanderont certainement un jour. À la différence de ceux qui vivent dans une famille dont le père et la mère sont de sexe différents, ces enfants vont se préoccuper très tôt, dès aujourd'hui, de savoir qui ils sont et d'où ils viennent.
À mes yeux, il s'agit d'un sujet important. Je suis convaincu que l'évolution de notre société est telle que le droit de savoir devient toujours plus important. Aujourd'hui, il est normal de savoir, et ce dans tous les domaines. Nous ne pouvons pas être en décalage avec un phénomène de société aussi fort et il nous faut en tenir compte.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Monsieur Nutte, je vous remercie beaucoup pour ce témoignage plein d'humanité et de pragmatisme.
Pouvez-vous me confirmer qu'une femme qui vient d'accoucher sous X n'est pas obligée de laisser un pli fermé ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Dans ces conditions, toute recherche est pratiquement vouée à l'échec.
Ensuite, comme vous l'avez dit - du reste, cela a été répété tout au long des auditions -, le droit de savoir, la transparence sont autant de questions qui se posent aujourd'hui pour les enfants à la recherche de leur histoire - plus que de leurs origines, d'ailleurs.
Mais le problème se pose avec encore plus d'acuité pour les enfants qui sont d'ores et déjà élevés par des couples homosexuels. Et ce sera encore plus vrai quand ces couples pourront se marier !
Si j'ai bien compris, il existe toute une série de cas, dont ceux-ci, pour lesquels vous n'avez pas compétence. Dans ces conditions, pensez-vous qu'il faille, d'une façon ou d'une autre, augmenter le champ de compétences du CNAOP ?
Si je vous ai bien entendu, le Conseil national n'est aujourd'hui compétent que pour les quelque 600 enfants qui, chaque année, naissent sous X en France ?
M. André Nutte. - Nous le sommes aussi pour ceux qui sont nés sous X par le passé !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Enfin, quid des enfants ayant fait l'objet d'une adoption à l'étranger ? Pratiquement, de tels enfants aussi peuvent ensuite rechercher leurs origines...
La question se pose déjà pour les enfants nés sous X à l'étranger et adoptés de façon plénière par des couples hétérosexuels : ces enfants s'aperçoivent rapidement que leurs parents ne peuvent pas être leurs géniteurs biologiques parce qu'ils n'ont, par exemple, pas la même couleur de peau. Mais je suppose que, pour les enfants adoptés à l'étranger par un couple de même sexe, l'interrogation sera double.
Dans le cadre de nos travaux, ces questions nous ont été très largement posées. Certains - les associations me semble-t-il - ont même évoqué la possibilité que le CNAOP puisse voir ses compétences élargies et répondre à toutes ces interrogations.
M. André Nutte. - À mon avis, tout ce qui concerne la recherche des origines et la conservation des informations permettant d'y accéder ressortit véritablement non pas au domaine « régalien » - le terme est un peu fort -, mais au domaine de l'État. En tout cas, je ne vois pas ces compétences confiées à une association : ce serait trop compliqué.
Cela étant, je ne suis pas « attrape-tout » ! Comme je l'ai dit dans mon propos introductif, le CNAOP a acquis une certaine expérience. De par sa composition, cet organe permet d'organiser des débats ; il permet de rassembler. Dès lors, s'il le faut, pourquoi ne pas étendre ses compétences, à condition toutefois que les moyens suivent !
Bien entendu, nous serions prêts à faire tout ce qui serait jugé nécessaire mais je rappelle, monsieur le rapporteur, que cela relève du domaine de la loi !
M. Raymond Chabrol, secrétaire général du Conseil national d'accès aux origines personnelles. - Monsieur le rapporteur, concernant le pli fermé, il faut savoir qu'un infime pourcentage de femmes qui accouchent dans le secret - 1 % ou 2 %, d'après les chiffres dont nous disposons - repartent très vite de la maternité, parfois deux heures à peine après avoir accouché, en refusant de signer toute décharge de responsabilité. Certaines fuient littéralement la maternité !
Ces femmes, ni les correspondants départementaux ni les professionnels de santé ne peuvent véritablement les rencontrer.
Comme l'a dit André Nutte, dans notre pays, la raison fondamentale de l'accouchement dans le secret n'est pas de permettre à la mère de garder ou non le secret. Sa justification principale, c'est qu'une femme qui accouche et que l'enfant qu'elle met au monde ont le droit de ressortir de la maternité en bonne santé. Il vaut mieux qu'une femme accouche dans une maternité sans dévoiler son identité plutôt que je ne sais où, en prenant le risque de mourir et, éventuellement, de faire subir le même sort à son enfant.
Une fois que la femme a accouché, si elle décide de rester à la maternité au moins quarante-huit ou soixante-douze heures, elle y rencontre un correspondant départemental, qui est un professionnel du conseil général. Si ce dernier ne peut pas être présent, la loi fait obligation au directeur de la maternité de s'organiser pour qu'un professionnel de santé supplée le correspondant départemental.
Bien évidemment, la rencontre se fait sur la base d'un recueil d'informations, dont le contenu est fixé par un arrêté ministériel, lequel détermine les limites de ce que l'on peut demander à la femme. Mais le premier objectif est de faire entrer cette femme dans une démarche de dialogue - si tant est que le dialogue soit vraiment possible -, de lui faire prendre conscience qu'il est important pour l'enfant qu'il ait accès à un certain nombre d'éléments et de l'informer des différentes possibilités qui s'ouvrent à elle.
Première possibilité : la femme a le droit de ne rien dire.
Deuxième possibilité : la mère a le droit de laisser tout élément non identifiant. Elle peut dire que le père est français ou américain, qu'elle a les cheveux blonds, qu'elle a ou non fait des études supérieures...
Si elle veut en dire plus, plusieurs nouvelles possibilités s'offrent à elle. Premièrement, dans le délai de deux mois qui sépare l'accouchement de l'engagement du processus d'adoption, la femme a le droit de reconnaître l'enfant. Deux voies lui sont alors ouvertes. D'une part, elle peut décider de ne pas élever l'enfant et de le confier au conseil général. L'enfant entre alors dans un processus d'adoption. D'autre part, la mère peut en demander la restitution, sous réserve que cela ne pose pas de problèmes majeurs sur le plan de la protection de l'enfance.
Si elle l'a reconnu et l'a confié au conseil général en signant un procès-verbal d'abandon, on l'informe que l'enfant aura évidemment le droit de connaître son identité. C'est parfaitement clair.
Deuxièmement, si la mère ne souhaite pas reconnaître l'enfant, on l'informe qu'elle a le droit de laisser son identité dans le dossier, laquelle sera communiqué à l'enfant si ce dernier demande à y accéder.
Troisièmement, elle peut recourir à la procédure du « pli fermé ». On donne à la mère une enveloppe « officielle ». La mère y laisse ce qu'elle souhaite. Bien évidemment, on lui explique que c'est mieux si elle y laisse son identité. Néanmoins, on ne relit pas ce qu'elle a écrit. D'ailleurs, c'est elle qui ferme l'enveloppe. Le conseil général n'est que le gardien de cette enveloppe ; il ne l'ouvre pas. Ce n'est que si l'enfant demande à accéder à ses origines qu'un membre du CNAOP l'ouvrira. Pour l'instant, nous n'avons pas reçu de demandes de ce type.
On fait savoir à la mère que, si le membre du CNAOP qui ouvre l'enveloppe y trouve une identité, on cherchera à la contacter - si on la retrouve.
À cet égard, la loi nous a donné des moyens d'investigation considérables, notamment auprès des organismes de protection. Monsieur le sénateur, il ne vous a sûrement pas échappé qu'en France peu de citoyens ne sont pas couverts par un régime de protection sociale ! On arrive donc assez facilement à retrouver la mère...
Si on la retrouve, la mère pourra dire que c'est bien elle qui a laissé l'enveloppe mais qu'elle n'est pour le moment pas prête à lever le secret ; en ce cas, la démarche pourra faire l'objet d'une révision ultérieure. La mère peut aussi nous annoncer qu'elle est prête à lever le secret.
Pour ce qui est des enfants nés à l'étranger, monsieur le rapporteur, la compétence du CNAOP est très stricte. En effet, elle ne concerne que des enfants nés dans le secret.
En France, la législation a beaucoup évolué entre 1904 et 1996. À certaines périodes, même si la mère n'avait pas accouché dans le secret, les parents pouvaient confier leur enfant à l'adoption, jusqu'aux sept ans de ce dernier. Puis, ces délais ont diminué. Aujourd'hui, nous sommes toujours sous le régime de la loi de 2002, laquelle a prévu un délai de deux mois.
Cela signifie que nous sommes compétents pour des cas très anciens de femmes n'ayant pas accouché dans le secret mais ayant confié leur enfant à l'adoption, notamment auprès du conseil général, avant qu'il n'ait sept ans.
Nous sommes également compétents si l'enfant est pupille de l'État, qu'il ait été adopté ou non.
Nous sommes confrontés à des situations très complexes parce que nombre de pays étrangers ne protègent pas la femme qui décide d'accoucher dans le secret : il faut savoir que seuls cinq États au monde se sont dotés d'une législation en la matière. On n'a donc strictement aucun moyen de retrouver ne serait-ce que quelques mères ou pères de naissance d'enfants nés à l'étranger.
De nombreux cas sont possibles. Ainsi, au Brésil, ces femmes sont poursuivies, condamnées, jetées en prison. Dans d'autres pays, comme en Corée, les enfants sont déposés quelque part : dans la rue, dans un commissariat... Il n'y a donc pas grand-chose à rechercher concernant les origines de l'enfant.
Sur le plan historique, en France, le sujet est ancien :... tout le monde a en mémoire saint Vincent de Paul ! La Révolution française a ensuite organisé l'accouchement dans le secret, puis différentes législations sont intervenues, notamment en 1904, en 1943, en 1996 et en 2002.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - Étant moi-même membre du Conseil national d'accès aux origines personnelles, j'estime important que vous reveniez sur la réalité des faits.
Non que nous soyons complètement « hors sol » - plusieurs d'entre nous ont la pratique des conseils généraux -, mais la réalité de l'accès aux origines est parfois bien différente de ce qu'elle peut parfois être imaginée, redoutée, voire fantasmée.
Messieurs, vous faites bien de dire que la question des origines est propre à chaque adulte et à chaque enfant. En la matière, chaque histoire est singulière. Cela étant, tous les enfants se posent des questions sur leurs origines - par exemple, sur l'identité de leur père -, surtout lorsqu'ils arrivent à l'âge de sept ou huit ans. Ces questions sont légitimes et, bien sûr, bien plus compliquées quand il y a adoption.
Il faut aussi répéter que les profils des femmes qui accouchent dans le secret sont divers. Si, assurément, certaines sont touchées par une forme de précarité, ce n'est pas le cas de toutes. Ainsi, il en est qui ont nié leur grossesse jusqu'au huitième mois et d'autres qui, pour des raisons diverses, ont dépassé les délais légaux de l'interruption volontaire de grossesse prévus par la loi française.
Les femmes qui accouchent dans le secret ne sont pas forcément des jeunes mineures désoeuvrées et alcoolisées. Parmi elles, il y a aussi des femmes majeures, qui ont déjà des enfants et qui, comme vous l'avez dit, vont parfois chercher le petit dernier à l'école quelques heures seulement après avoir accouché.
Il faut également rappeler l'existence, en France, autour des maternités et du personnel soignant, d'équipes remarquables dans l'accompagnement de ce geste de don d'enfant confié à l'adoption.
L'accouchement dans le secret est donc une réalité. C'est aussi un droit, et c'est tant mieux.
Du point de vue de l'enfant, le droit à connaître ses origines est lui aussi important. Comme nous l'avons entendu dans la bouche d'autres personnes que nous avons auditionnées, notamment de parents ayant adopté, les origines, cela peut être un nom, une situation, une histoire ou encore un pays.
Sur ce point, il faut aussi laisser la possibilité à la personne qui recherche ses origines d'effectuer sa démarche : souvent, le fait de savoir que sa naissance dans le secret a une histoire la rassure et lui permet de passer à autre chose.
M. Charles Revet. - Pour ma part, j'aurais aimé que vous nous en disiez un peu plus sur tout ce que vous voyez dans le texte que nous examinons, et que nous ne voyons pas forcément.
Certains, cela a été dit et répété, peuvent avoir le sentiment que le droit des adultes et leurs désirs prévalent sur le droit de l'enfant, alors qu'il devrait être au coeur de nos préoccupations.
Or le droit de l'enfant, c'est aussi celui de connaître ses origines. Si une personne ne souhaite pas être connue de l'enfant qu'elle met au monde et ne laisse rien qui permette à l'enfant de la retrouver, c'est son droit. Pourtant, d'une manière ou d'une autre, le droit pour l'enfant de connaître ses origines devrait exister, dans le respect du choix de la mère de ne pas le garder.
L'enfant a, lui, le droit de savoir d'où il vient, car l'ignorance sur ses origines peut le perturber toute sa vie. Ainsi, vous paraîtrait-il souhaitable qu'on modifie la loi en vue de faciliter cette recherche des origines ?
Mme Christine Lazerges, présidente de la commission nationale consultative des droits de l'homme, nous a indiqué qu'il était possible qu'une femme accouche sous X et qu'un homme vienne, le lendemain ou le surlendemain, déclarer qu'il est le père de l'enfant.
Or il existe des procédés - je pense au test ADN - qui permettraient de s'assurer de la réalité de cette paternité. Il s'agit d'un problème situé dans le champ de la procréation, voire de la gestation pour autrui, à propos duquel il faudrait se prémunir d'abus éventuels.
Ainsi, j'ai rencontré une personne, adoptée à six ou sept ans par une femme seule, qui estimait avoir été heureuse dans sa famille adoptive mais qui voulait connaître ses origines. Il se trouve que cette personne, ayant eu besoin d'un acte d'état civil, a profité de l'absence de l'employé pour prendre connaissance de sa filiation. C'est ainsi qu'elle a pu retrouver son frère et peut-être d'autres membres de sa famille. C'était anormal et c'était pourtant, selon moi, un droit.
J'ai aussi rencontré une personne issue d'un don de gamètes qui m'a dit qu'elle avait appris à vingt-huit ans qu'elle n'était pas la fille biologique de son père. Elle souhaitait se mettre en ménage et il se trouve que l'homme qu'elle avait rencontré était aussi issu de gamètes. Ainsi, elle ne pouvait s'assurer qu'elle n'allait pas épouser un membre de sa famille, faute d'accès à ses origines.
Avez-vous, sur ces points, des explications à nous donner ? Des ajustements législatifs s'imposent-ils ?
Mme Virginie Klès. - Vous nous avez dit que l'âge moyen de demande des origines était autour de trente ans. Pouvez-vous établir un lien entre le fait de fonder une famille et de s'interroger à ce moment sur ses origines ?
Quels constats, quelles réflexions, quel ressenti sont les vôtres concernant ces enfants issus - de leur point de vue - d'un abandon même si, pour la mère qui accouche sous X, il s'agit d'un don à l'adoption ? Voyez-vous une différence entre ces enfants issus d'un « abandon » et les enfants issus d'une procréation médicalement assistée ou de dons de gamètes ?
Mme Nicole Bonnefoy. - En premier lieu, je voudrais savoir s'il arrive que des femmes accouchant sous X reviennent sur leur décision avant l'expiration du délai de deux mois - voire après -, ce qui est peut-être rare.
En second lieu, je voudrais connaître le délai entre l'adoption effective d'un enfant né sous X et sa mise au monde.
M. André Nutte. - Concernant la dernière question, il est vrai, madame, que certaines femmes reviennent sur leur décision car un certain travail de conseil est effectué tandis que, par ailleurs, on ne peut nier le lien particulier qui peut exister entre la mère et l'enfant - d'autant plus qu'après la naissance, d'une certaine manière, même si je ne suis pas le mieux placé pour le dire, le plus dur est fait !
C'est là qu'il faut bien comprendre : si l'on est capable de dire à ces femmes - le problème se pose pour ce genre de public comme pour d'autres - que l'on va essayer de leur trouver un logement et de régler leur problème de crèche ou d'emploi, si l'on est en mesure de faire ce véritable travail social, alors tout est possible.
Je suis persuadé que de nombreuses femmes accouchent sous X pour la seule raison qu'elles ont peur du lendemain. Aujourd'hui, même avec la prégnance des problèmes d'emploi, cette sécurisation est possible, elle se fait, ce qui est plutôt, à mon sens, une bonne nouvelle.
Concernant les délais entre la naissance et l'adoption, les difficultés concernent les enfants qui présentent des problèmes, des handicaps mais, pour les autres, c'est très rapide, avec un délai qui peut-être de l'ordre de quatre à six mois.
J'en arrive à la seconde question de Mme Klès, celle qui concerne la procréation médicalement assistée. Madame la sénatrice, je ne sais pas comment vous répondre. D'abord, rien ne permet a priori d'identifier les personnes issues d'une PMA ! Mais il est certain que les enfants concernés ne peuvent qu'être conduits à se poser des questions - en premier lieu parce qu'ils peuvent ignorer ce qu'est la PMA. En me fiant à ma seule intuition, je dirais que vous avez raison... C'est une raison supplémentaire de chercher à mieux connaître cette réalité et d'oser y consacrer des études ad hoc.
En réponse à la question sur ce moment particulier qu'est celui où l'on fonde une famille, il est bien clair, madame, que c'est précisément la phase de la vie où l'on veut savoir d'où l'on vient. Une autre étape difficile est celle de la révélation de son origine au futur conjoint. Dans le même ordre d'idées, certaines femmes cachent à leur conjoint qu'elles ont déjà accouché sous X.
Bien entendu, l'âge auquel on se marie interfère largement sur les comportements. Mais c'est un vrai sujet. Lorsque l'on a des enfants, on s'interroge sur les relations qu'on a eues avec sa propre mère et l'on se demande alors ce qui s'est passé...
C'est pourquoi on rencontre des hommes et des femmes en prise à des problèmes difficiles... Ils y pensent, et ont besoin de savoir.
J'en viens, monsieur Revet, à la reconnaissance de parentalité. Sur ce point, en cas de fraude ou de doute, l'officier d'état civil peut, sur signalement de la DASS ou des membres du personnel de l'hôpital, exprimer des réserves quant à une reconnaissance de parentalité. Il appartient alors au procureur de République d'ouvrir une enquête. À notre connaissance, le cas ne s'est pas présenté, mais cela ne veut pas dire que cela ne soit jamais arrivé. Quoi qu'il en soit, une circulaire, dont je vous donnerai la référence, prévoit cette situation.
Quant au droit des enfants de connaître leur origine, je vous dirai qu'à titre personnel, j'estime qu'au moment de l'accouchement sous X, il faut tout de même un minimum d'informations, quitte à ménager parallèlement le secret. À cet égard, le pli fermé est une première réponse. Supposez, par exemple, que la mère biologique décède ; l'enfant ne saura jamais rien !
Mon propos est peut-être progressiste, mais je pense que l'on a besoin de savoir.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - C'est bien ce que nous pensons, mais il faut alors modifier la loi de 2002.
M. André Nutte. - Oui, parce que l'on tient compte de l'évolution de la société.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - On touche alors au droit des femmes : le droit d'accoucher dans le secret n'existera plus...
M. André Nutte. - Cela dépend, il faut en discuter et avancer un peu sur ce sujet.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Ce droit de l'enfant reste la préoccupation la plus communément partagée. Après, il y a le droit des femmes, qui a donné lieu à de nombreux débats à l'occasion de la loi de 2002 pour l'accouchement sous X, et même avant...
M. André Nutte. - On n'est pas né de personne - il y a d'ailleurs une chanson, je crois, là-dessus...
Cela étant, dans l'organisation de ce droit, il faut être prudent. J'ai gardé en mémoire le cas de cette femme qui nous avait saisis en nous disant qu'elle avait accouché sous le secret, que son fils allait avoir dix-huit ans et que si nous luis donnions ses coordonnées, nous menacerions sa vie actuelle. Dans ce cas, que faire ?
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Et quelle histoire doit-on raconter ? Même sous pli non fermé, des femmes écrivent à leur enfant pour leur raconter, parfois sous un prénom d'emprunt, mais toujours avec leurs propres mots, leur histoire, par exemple : « Je suis étudiante, je ne peux pas t'élever, donc je te confie, etc. ».
Lorsqu'ils ne sont pas sous le sceau du secret, ces mots sont lus au conseil de famille. Ce sont toujours des histoires très touchantes, poignantes, auxquelles l'enfant pourra peut-être un jour avoir accès. Et ces histoires que la mère raconte à son nouveau-né sont sans doute plus importantes pour l'enfant que le fait de connaître son identité, son nom, son adresse, sa date de naissance.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Toutes ces questions ne seront pas réglées dans le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Il nous faudra cependant réfléchir à l'évolution de la loi du 22 janvier 2002, à mon avis indispensable, corrélée à une nécessaire réforme de l'adoption.
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe - Audition de Mme Marie-Pierre Hourcade, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, Mme Anne Bérard, présidente de chambre au TGI de Paris et M. Daniel Pical, magistrat honoraire
Puis la commission entend des magistrats de la famille.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Mes chers collègues, nous accueillons à présent des représentants des magistrats spécialisés dans le droit de la famille.
Je vous présente Mme Marie-Pierre Hourcade, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, association qui rassemble des juges des enfants plutôt que des juges aux affaires familiales.
Nous entendrons également Mme Anne Bérard, présidente de chambre au TGI de Paris responsable du service des affaires familiales, ainsi que M. Daniel Pical, magistrat honoraire, qui fut longtemps juge des enfants, aujourd'hui consultant sur cette question notamment auprès des instances européennes.
Mme Marie-Pierre Hourcade, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. - L'association que je préside représente essentiellement les juges des enfants. Cette association compte, en son sein, des juges des enfants, des avocats, quelques juges aux affaires familiales, des éducateurs et des associations qui interviennent dans le cadre de la protection de l'enfance. Parallèlement, je suis actuellement conseiller à la cour d'appel de Paris à la chambre d'instruction des mineurs. Pendant très longtemps, j'ai été juge des enfants, à Paris et outre-mer notamment, et c'est à ce titre que je me propose de vous faire part de la position des juges des enfants sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas bien la fonction de juge des enfants, je rappelle que ce sont des magistrats spécialisés qui interviennent sur saisine du parquet, lui-même saisi essentiellement par les conseils généraux qui demandent l'intervention judiciaire lorsque des mineurs sont en danger, lorsque les conditions de leur éducation sont gravement compromises, aux termes de l'article 375 du code civil. Nous sommes saisis des situations les plus graves, le conseil général intervenant également dans le cadre administratif pour des familles en difficulté sur le plan éducatif.
Les juges des enfants interviennent en outre en matière pénale, pour tous les mineurs délinquants, mais cet aspect de leurs fonctions est bien connu. Ils ont donc une double casquette puisqu'ils interviennent au pénal et au civil, dans le cas de la protection de l'enfance.
Cette brève présentation vise à vous expliquer dans quel cadre nous intervenons et quelle perception nous pouvons avoir de ce projet de loi. Qu'avons-nous à dire, dans le cadre de nos fonctions, sur des enfants dont l'un des parents serait homosexuel ou aurait refait sa vie avec une personne de même sexe ?
Après avoir consulté mes collègues, je puis vous dire que nous n'avons pas de signalement proprement dit sur des enfants qui seraient en danger en raison de l'homosexualité de l'un de leurs parents. Nous n'avons jamais été saisis de telles situations, car le danger ne résulte pas en soi du choix sexuel d'un parent. Nous n'avons pas non plus connaissance de situations où le fait d'avoir un parent homosexuel serait une cause d'aggravation d'un danger. Autrement dit, nous n'avons aucun signalement portant directement sur l'homosexualité d'un parent et nous ne pouvons pas non plus déduire que le fait d'avoir un parent homosexuel aggrave le danger.
En revanche, nous avons connaissance de situations, limitées en nombre, dans lesquelles un enfant est élevé par des parents séparés dont l'un a refait sa vie avec une personne du même sexe. Cependant, nous sommes saisis pour un autre sujet : soit une difficulté familiale au moment du divorce ou de la séparation des parents, soit des carences éducatives de la part des parents, mais pas plus que de la part de parents qui ne seraient pas homosexuels.
S'il est un type de parentalité plus fragile que d'autres sur lequel il faudrait s'interroger, ce sont les familles monoparentales. Ce n'est pas le sujet qui nous occupe aujourd'hui, mais on peut dire que la monoparentalité est un facteur de fragilité. Nous sommes fréquemment saisis à propos de fratries nombreuses, élevées par une femme très isolée cumulant les difficultés sociales. Nous avons une connaissance assez fine de la fragilité de ces familles.
Cependant, nous ne pouvons pas dire, et c'est pourquoi mon propos va être bref, que le fait d'avoir un parent homosexuel favorise notre saisine.
Comme je le disais à l'instant, nous avons eu connaissance de cas de quelques enfants dont les parents séparés se sont remis en couple avec une personne de même sexe, mais nous n'avons jamais été saisis d'enfants dont la conception - il est difficile de trouver les bons termes - aurait été décidée par deux parents homosexuels. Nous n'avons pas du tout de saisine concernant des enfants que leurs deux parents homosexuels auraient fait le choix d'adopter afin d'avoir un enfant en commun ou qui seraient résultés d'une FIV.
De telles situations ne laissent pas d'interroger sur l'évolution de la famille mais, en tant que juges des enfants, nous n'avons pas grand-chose à en dire, sauf à préciser l'absence de danger particulier.
Nous serions en revanche intéressés par une évolution de la législation sur la situation du compagnon, hétérosexuel ou homosexuel, de l'un des parents. Nous sommes souvent confrontés à ce vide juridique.
On se débrouille, on traficote le code afin de pouvoir confier au compagnon ou à la compagne du père ou de la mère un enfant dont l'intérêt serait d'être élevé par cette personne, avec laquelle, pense-t-on, il serait en sécurité, que ce compagnon ou cette compagne soit homosexuel ou hétérosexuel. Pour nous, la question se pose de la même manière dans les deux cas.
Il arrive souvent que nous soyons saisis lorsque, un parent étant dans l'incapacité d'exercer l'autorité parentale, l'enfant est en situation de danger. Il nous faut alors trouver un support juridique afin de confier la garde de cet enfant au compagnon ou à la compagne du parent, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel. Je le répète : pour nous, c'est la même chose.
La loi nous permet de confier cet enfant à un tiers digne de confiance. Dans ce cas, nous nous interrogeons sur l'intérêt de l'enfant, c'est tout. Notre raisonnement est identique que le compagnon ou la compagne soit hétérosexuel ou homosexuel : est-il en capacité de répondre au quotidien aux besoins de l'enfant ? A-t-il des liens affectifs avec lui ? L'enfant sera-t-il choyé, entouré ? Ses conditions d'éducation seront-elle optimales dans cette nouvelle configuration familiale ? C'est là finalement notre travail ordinaire.
Dans ce cas de figure, les juges des enfants peuvent accompagner la décision de garde d'une mesure éducative afin d'aider le parent ainsi chargé de l'éducation de l'enfant.
Je ne vous cache pas qu'il arrive que des décisions de ce type perturbent, déstabilisent l'autre branche. L'enfant peut alors être l'enjeu d'un conflit familial en résultant. C'est la raison pour laquelle nous prévoyons un accompagnement éducatif pendant un certain temps, afin de nous assurer que la situation évolue de façon satisfaisante.
Voilà ce que nous pouvons vous dire sur ce sujet, dont nous avons à connaître de façon marginale.
Mme Anne Bérard, présidente de chambre au Tribunal de grande instance de Paris, responsable du service « Affaires familiales ». - Permettez-moi tout d'abord de me présenter : je suis juge aux affaires familiales. J'ai exercé cette fonction dans un certain nombre de juridictions.
Depuis 2010, je suis responsable de la chambre de la famille de Paris, qui comprend vingt cabinets de juges aux affaires familiales et traite tout le contentieux de la séparation de la ville de Paris, soit 11 500 affaires nouvelles en moyenne par an. Nous sommes confrontés à des dossiers non seulement juridiques mais aussi humains, voire passionnels, ce qui ne compte pas pour peu dans la difficulté des décisions que nous devons prendre.
La juridiction de Paris présente deux particularités : nous faisons face, d'une part à des situations dont les dimensions patrimoniales sont complexes, d'autre part à de nombreuses situations comportant des éléments d'extranéité, c'est-à-dire de droit international.
Mes collègues et moi sommes sensibilisés aux questions spécifiques aux familles homoparentales puisque nous avons à traiter les demandes de délégations d'autorité parentale. Nous devons également prendre en considération de nouvelles formes de familles où, à côté des parents biologiques, existent des parents sociaux dont l'inexistence juridique ne change rien au fait qu'ils partagent le quotidien d'un enfant, dans l'intérêt duquel il nous est demandé de statuer.
C'est donc en tant que praticien que je vais vous faire part de mon analyse du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, tel qu'il résulte des travaux de l'Assemblée nationale. Je vous proposerai également d'aller plus loin.
Sur le mariage des personnes de même sexe, je serai brève. En fait, nous n'avons pas grand-chose à en dire. En tant que juges aux affaires familiales, nous nous occupons plutôt de la fin des mariages, c'est-à-dire des divorces.
Depuis le 21 juin 2012, date de l'entrée en vigueur du règlement européen dit « Rome III », le juge français a la faculté de prononcer le divorce de personnes de même sexe légalement mariées à l'étranger. Il est en revanche impossible de prononcer le divorce d'un Français marié à l'étranger, car c'est contraire à l'ordre public français. Avec l'entrée en vigueur de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, ce blocage cessera d'être.
Par ailleurs, l'article 22 de ce projet de loi, portant dispositions diverses, transitoires et finales, régularise la situation des Français de même sexe régulièrement mariés à l'étranger avant l'entrée en vigueur de la loi. En tant que juges aux affaires familiales, je le répète, nous n'avons pas grand-chose à dire sur la question du mariage.
En revanche, il faut que vous ayez à l'esprit que les étrangers de même sexe qui viendront se marier en France et dont le pays d'origine n'acceptera pas l'existence du mariage, seront dans une situation assez préoccupante : leur mariage n'existera pas dans leur pays d'origine. En conséquence, ils ne pourront pas non plus y divorcer. S'ils souhaitent divorcer, ils seront obligés de revenir en France ou de se rendre dans un pays reconnaissant le divorce de personnes de même sexe. Dès lors, on peut imaginer que ce type de contentieux se concentrera sur un nombre limité de pays.
Toutefois, nous n'en sommes pas encore à ce type de forum shopping. Depuis le 21 juin, je n'ai pas prononcé un seul divorce de couple homosexuel, alors que c'est désormais juridiquement possible. Pour l'instant, c'est une question de droit, mais pas encore une question de fait.
J'en viens maintenant au point le plus important selon moi, à savoir la façon dont le législateur entend répondre, dans le projet de loi, à la question suivante : qu'est-ce qu'une famille en France en 2013 ?
Le législateur a pensé qu'il pourrait peut-être utiliser l'adoption, qui est un effet de droit du mariage. Pour ma part, au lieu de partir du mariage pour en venir aux questions de filiation, je commencerai par m'interroger sur ce qu'est une famille en 2013.
Ce qui est certain, Mme Hourcade en a parlé, c'est qu'une famille, aujourd'hui, ce n'est plus un père, une mère et un ou plusieurs enfants. En 2013, le schéma n'est plus du tout celui-là.
Le temps des filles-mères est derrière nous et l'existence des familles monoparentales est une réalité qui ne fait plus débat en termes de valeurs.
Je ne m'étendrai pas aujourd'hui sur les questions posées par la constitution de familles comprenant un seul parent biologique, grâce au recours à la procréation médicalement assistée ou à la gestation pour autrui, car ce n'est pas l'objet du projet de loi. La question relève d'un débat plus général que celui qui concerne la famille, car elle soulève des interrogations d'ordre bioéthique.
S'il est possible que la famille monoparentale ne soit pas la panacée, la question du vécu d'un enfant sans père ou sans mère n'est, en tout état de cause, pas spécifique aux homoparents. Un enfant peut aussi avoir aujourd'hui pour famille deux parents de même sexe. C'est un fait. Le degré actuel d'acceptation sociale de ces situations ne change rien au fait qu'elles existent.
Dans les faits, certains enfants ont même trois parents, dont deux de même sexe, voire quatre parents, deux biologiques et deux sociaux, issus d'un projet de coparentalité. Il est en effet essentiel de distinguer ces « parents sociaux » des simples « beaux-parents » qui, s'ils partagent effectivement la vie affective et matérielle d'un enfant, le font de leur place de compagnon ou de conjoint du parent, leur lien avec l'enfant étant un lien transitif passant par le parent biologique, et non un lien affectif direct dans lequel le parent social se reconnaît parent et est reconnu comme tel, tant par l'enfant que par l'environnement de celui-ci.
La parenté sociale n'a donc pas, à la différence de la place du beau-parent, vocation à se dissoudre avec la séparation du couple, car elle est indépendante de lui.
Si l'évolution de la législation sur la PMA ou la GPA peut entraîner le développement de projets individuels ou de couple, il n'empêche que les projets de coparentalité ont été et sont encore - les sites de rencontre de futurs parents sur Internet l'attestent - des modes effectifs de procréation et de constitution de familles multiparentales.
Enfant commun de deux couples, l'enfant n'aura cependant de lien juridique qu'avec un seul des membres de chaque couple, le parent biologique. Ce sont ces situations que connaît le juge aux affaires familiales aujourd'hui.
S'il existe donc aujourd'hui autour de l'enfant, dans des configurations diverses, un ou plusieurs parents, les parents sociaux sont, en l'état, dépourvus de toute reconnaissance juridique.
Le mariage, et la possibilité subséquente de bénéficier d'un droit à l'adoption, répondra aux attentes de ceux qui sont mariés à une personne ayant un enfant, qu'il soit biologique ou même adoptif.
Le projet de loi innove concernant l'adoption de l'enfant du conjoint en élargissant le domaine des adoptions successives.
Il permet au conjoint d'adopter à son tour l'enfant adoptif de son conjoint. Il existe deux possibilités : soit l'adoption simple ou plénière d'un enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière - c'est la refonte de l'article 345-1 prévue dans le projet de loi -, soit l'adoption simple d'un enfant ayant fait l'objet d'une adoption simple - c'est la refonte de l'article 360.
Le projet de loi modifie par ailleurs les effets de l'adoption simple en permettant quelque chose de tout à fait attendu, à savoir l'exercice en commun de plein droit de l'autorité parentale entre le parent biologique et son conjoint parent adoptif de son enfant. C'est l'article 365 du code civil.
L'extension de la possibilité d'adoptions successives a évidemment pour intérêt de permettre à un enfant adopté par un célibataire sous l'empire de l'ancienne loi d'être également adopté par le conjoint de celui-ci sous l'empire de la nouvelle.
Pour autant, l'adoption reste une procédure judiciaire reconnaissant au juge un pouvoir d'appréciation. Le juge ne va-t-il pas être conduit à s'interroger, à l'occasion de la deuxième adoption, sur les contours du consentement initial qui avait été fait à l'adoption initiale, notamment s'agissant des enfants nés à l'étranger ?
Quelle portée devra-t-il donner à ces consentements ? Devra-t-il ou non se demander si ce consentement aurait été donné s'il avait été envisagé, par ceux qui ont consenti à cette époque, que l'enfant puisse être accueilli par deux époux de même sexe ?
Au-delà du fait que le nombre des enfants adoptables est déjà réduit, cette réforme, en pratique, ne va-t-elle pas, à titre préventif, couper l'accès à l'adoption par des célibataires par réaction des pays prohibant l'adoption par deux personnes de même sexe, que celles-ci soient mariées ou non ?
Le projet de loi ne revient pas en revanche sur la prohibition des adoptions multiples.
L'article 346 du code civil, qui prévoit que nul ne peut être adopté par plusieurs personnes, si ce n'est par deux époux, n'a pas été modifié par le projet de loi. La double adoption reste donc prohibée.
La Cour de cassation considère qu'il n'y a aucune contrariété entre l'article 346 du code civil et les articles 8 et 14 de la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales : le droit au respect de la vie privée n'interdit pas de limiter le nombre d'adoptions successives dont une même personne peut faire l'objet ni ne commande de consacrer par une adoption tous les liens d'affection, fussent-ils anciens et bien établis. La première chambre civile a cassé le 12 janvier 2011 un arrêt de cour d'appel ayant accueilli une demande d'adoption simple présentée par la seconde épouse du père d'un enfant ayant déjà fait l'objet d'une adoption simple de la part du second époux de la mère.
L'adoption permet donc de répondre à la situation des couples formés par un parent biologique et un parent social. En revanche, puisqu'elle ne peut être multiple, elle ne peut répondre à la situation de ceux qui ont conçu leur enfant dans le cadre d'un projet parental associant deux couples, l'un de femmes, l'autre d'hommes. Or ce sont des situations que j'ai connues en tant que juge.
Pourtant, chacun de ces couples a la même légitimité à voir reconnaître l'existence du parent non biologique, dit « parent social », de son couple.
Avec la prohibition de la double adoption, comment faire ?
Faudra-t-il que ces quatre parents, s'ils sont mariés, décident de privilégier l'un des parents sociaux de l'un des deux couples pour lui permettre d'accéder à l'adoption simple, pendant que l'autre parent social resterait sans statut à l'égard de l'enfant ? Comment ce parent sera-t-il choisi ?
Imaginons que cette situation soit envisagée et prévue dans le projet parental, quelle valeur juridique le juge accordera-t-il à un tel engagement ? De façon générale, quelle appréciation le juge portera-t-il sur l'intérêt de l'enfant dans un tel contexte ?
Françoise Héritier, anthropologue et professeur au Collège de France, que vous avez auditionnée, a dit, à propos de ce débat, qu'il se heurtait aux « butoirs de la pensée » que chacun a au fond de soi, consciemment ou non. À ces butoirs de la pensée s'ajoutent les butoirs du droit.
Or il faut bien constater que l'accès des couples de même sexe à l'institution du mariage a pour conséquence mécanique de bouleverser tout le droit de la famille, lequel a été conçu et structuré autour de l'idée qu'une famille, c'est un père, une mère et des enfants.
À cet égard, l'entrée du « mariage pour tous » dans notre ordre juridique produit un « effet domino », un domino venant renverser tous les autres.
Jusqu'à présent, l'adoption, même avec les limites de la différence de couleur, reposait sur une plausibilité biologique symbolique : un enfant naît d'un homme ou d'une femme, ou d'un parent et d'un inconnu. Permettre l'adoption par deux personnes de même sexe, c'est poser une improbabilité biologique absolue, c'est franchir un seuil symbolique. Cette situation ne peut que réactiver le débat sur le droit à connaître ses origines, chaque enfant se sachant nécessairement engendré par un homme et une femme.
Le droit à connaître ses origines ouvre à son tour la porte du débat de l'accouchement sous X, lequel débat peut à son tour ouvrir, en ces temps d'égalité des droits, celui du droit pour les hommes à ne pas vouloir être père. Le droit à connaître ses origines conduit à reconsidérer les dispositions du code civil sur la PMA et sur l'impossibilité de rechercher l'auteur du don. Le droit d'identifier l'auteur d'un don de gamètes conduit enfin à reconsidérer le principe de l'anonymat du don d'organes.
On peut évidemment envisager de reconsidérer toutes ces questions dans le cadre d'une réforme d'ensemble. On peut aussi essayer de contourner l'obstacle en ne faisant pas de l'adoption le seul moyen de régler l'accès au droit des familles homoparentales.
Vue sous un angle pragmatique, la question n'est pas d'ouvrir ou non le droit à l'adoption aux couples de même sexe : il s'agit bien plutôt de répondre au besoin de reconnaissance des parents sociaux en leur conférant les mêmes droits qu'aux parents biologiques.
Pourquoi s'imposer de passer par l'adoption, qui, on l'a vu, conduit à ouvrir mécaniquement un grand nombre de débats particulièrement fondamentaux ?
Pour les familles composées d'un seul parent biologique, pourquoi, par exemple, ne pas étendre expressément la possession d'état comme mode d'établissement de la filiation ?
Selon l'article 311-1 du code civil, « la possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir.
« Les principaux de ces faits sont :
« 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents.
« 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation.
« 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille. »
Les deux derniers sont un peu plus délicats :
« 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique.
« 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. »
La réunion de l'ensemble de ces faits n'est nullement nécessaire dès lors qu'il existe une réunion suffisante.
Actuellement, la jurisprudence ne reconnaît pas la possession d'état pour les couples de cette nature, comme le montre un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, de 2002. Cependant, il ne serait pas très compliqué de rendre la possession d'état opérationnelle.
On pourrait peut-être imaginer autre chose. Je pense, notamment, à la création d'un statut de « parent social » qui réponde, sans passer par l'adoption, à la volonté de s'engager de façon irrévocable envers un enfant, d'être son parent pour toujours.
Elle pourrait associer à un ou deux parents biologiques, le concubin ou l'époux de chacun, soit jusqu'à un ou deux parents sociaux.
Cette déclaration de parenté pourrait être recueillie, avant ou pendant la grossesse, par un juge ou un notaire, qui recueillerait le consentement simultané de tous les parents associés au projet de coparentalité, sur un mode comparable aux procès-verbaux de consentement à la procréation médicalement assistée, du type de l'article 311-20 du code civil.
Pour exercer un certain contrôle sur les conditions d'accueil susceptibles d'être offertes à l'enfant à naître, on pourrait même concevoir, comme l'article L. 2141-6 du code de la santé publique le prévoit pour les dons d'embryons, une autorisation délivrée par le juge, après enquête sociale.
Le juge ou le notaire, en recueillant leur consentement, avertirait alors les personnes sur les conséquences juridiques de leur engagement, y compris en cas de séparation. C'est ce que je fais, par exemple, lorsque je recueille le consentement des personnes dans les cas de procréation médicalement assistée ou de dons d'embryons. Je leur explique qu'elles ne pourront pas agir en responsabilité contre l'auteur du don - on n'a actuellement pas le droit d'en rechercher les origines -, ou qu'elles ne pourront pas non plus contester ou mettre à mal l'état qui s'est juridiquement créé. C'est, en réalité, une filiation juridique absolument indestructible.
Je continue mon propos sur le contrôle des conditions d'accueil de l'enfant à naître. Aucun recueil de consentement ne pourrait intervenir après la naissance de l'enfant, dont la parenté serait ainsi scellée une fois pour toutes.
Le parent social - ou les parents sociaux -, à l'instar d'un parent biologique, verrait l'enfant entrer dans sa famille, avec les droits et devoirs que cela implique, y compris alimentaires et successoraux. Il serait titulaire de l'autorité parentale au même titre que le parent biologique pendant la minorité de l'enfant. La déclaration de parenté sociale serait irrévocable. La déclaration de parenté serait transcrite sur l'acte de naissance de l'enfant au moment de sa naissance.
L'intérêt de cette création juridique serait, d'une part, de répondre mieux que l'adoption ne le fait à toutes les formes de nouvelles familles composées, y compris de quatre parents, et, d'autre part, d'éviter qu'il ne soit recouru à l'institution du mariage que pour bénéficier du droit à l'adoption et que l'on se retrouve, après les mariages blancs et les mariages gris, avec des mariages « roses », destinés à n'obtenir que les effets secondaires d'une institution que chacun devrait être libre de choisir pour ce qu'elle est et non pour ce qu'elle procure.
Ne nous cachons pas, cependant, les difficultés innombrables de l'organisation de cette multiparentalité.
Ces difficultés tiennent à l'organisation des modalités d'exercice de l'autorité parentale dans les familles multiparentales. Que faire, à cet égard, des « chartes de coparentalité », que beaucoup de couples d'hommes et de femmes signent ? Faudra-t-il leur donner un cadre juridique ? Faudra-t-il les rendre obligatoires, facultatives ? Faudra-t-il les faire homologuer en justice ? Faudra-t-il, au contraire, les prohiber et inscrire des dispositions nouvelles dans le code civil relatives à l'exercice de l'autorité parentale dans les familles multiparentales ?
S'il n'est pas douteux que nombre de familles composées fonctionnent harmonieusement, celles qui ont eu des difficultés et qui ont été amenées à saisir le juge aux affaires familiales ont donné à voir les limites d'un exercice en commun de l'autorité parentale entre deux personnes - les deux parents biologiques - s'étant rencontrées par l'intermédiaire d'un site pour mener ensemble leur projet d'enfant, mais n'ayant pas nécessairement grand-chose en commun.
Se posera aussi la question de l'engagement des uns par rapport aux autres, notamment quant au lieu de vie présent et à venir. Dès lors qu'il s'agit d'avoir le même enfant sans partager la vie commune, en s'engageant sur un temps partagé, faudra-t-il, sauf cas de force majeure, proscrire tout déménagement d'un parent sans l'accord de l'autre ?
D'autres difficultés vont aussi survenir au moment de l'organisation des conséquences sur les enfants de la séparation de familles multiparentales : résidence, droit de visite et d'hébergement - avec l'organisation d'un éventuel temps partagé entre quatre personnes, à mettre en perspective avec l'équilibre de l'enfant -, fixation de la contribution à l'entretien et l'éducation des enfants en tenant compte des ressources et charges des différents parents.
Il faudra aussi que des dispositions fiscales, ainsi que des dispositions relatives aux prestations sociales adaptées, soient aussi adoptées. Les dispositions relatives à l'administration légale et à la tutelle des mineurs devront aussi être adaptées.
Dès lors que la famille homoparentale est reconnue, il importe qu'elle le soit dans toutes ses réalités, qu'il s'agisse des familles monoparentales, de deux parents, ou plus. La difficulté des sujets à traiter ne doit pas conduire à éviter d'aborder cette question, qui découle de l'acceptation de nouveaux types de famille.
J'en viens maintenant à la place du tiers.
Il s'agit ici de l'ex-compagnon, de l'ex-compagne ou de l'ex-conjoint, ayant partagé un temps la vie de l'enfant et de son parent.
Ce sujet concerne toutes les familles, qu'elles soient ou non de même sexe.
Le débat sur le mariage pour tous, parce qu'il ouvre aussi un débat sur la famille, ne peut faire l'économie d'une réflexion sur la place du « beau-parent ». Puisque, en 2013, un couple sur deux divorce ou se sépare, nombre de beaux-parents contribuent, de fait, à l'entretien et à l'éducation des enfants de leur concubin ou conjoint.
Le projet de loi a abordé la question de la place de ce beau-parent pour l'enfant, en le définissant, ce qui est déjà très bien, comme un « tiers qui a résidé, de manière stable, avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et avec lequel il a noué des liens affectifs durables ». C'est une belle définition.
C'est aussi un premier pas utile, même si l'on peut regretter que ce ne soit qu'à l'occasion de la rupture qu'il apparaisse dans la loi sur le mariage.
Sans doute, un projet de loi sur la famille viendra compléter le dispositif, afin que ce beau-parent, lorsqu'il partage la vie de l'enfant, puisse disposer du droit d'accomplir les actes usuels nécessaires à la vie quotidienne.
En l'état, le projet de loi introduit au profit de l'ex-beau-parent, dans un nouvel alinéa 2 de l'article 373-3 du code civil, la possibilité pour le juge, « si tel est l'intérêt de l'enfant », de « prendre les mesures permettant de garantir le maintien des relations personnelles de l'enfant » avec lui.
On peut, peut-être, regretter qu'il reste nommé « tiers », même si, en ajoutant « qui a résidé, de manière stable, avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et avec lequel il a noué des liens affectifs durables », on voit bien qu'il n'est pas un tiers comme les autres.
On peut aussi s'interroger sur le bénéfice concret procuré par cet ajout, alors même que l'article 371-4 du code civil dispose d'ores et déjà que, « si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non. »
Juridiquement, l'amendement de l'article 373-3 n'apporte aucun droit supplémentaire à son bénéficiaire, par rapport à l'article 371-4 du code civil : aucune indication de la nature et de l'ampleur des droits conférés ; dispositions régies par la même procédure spécifique, celle de l'article 1180 du code de procédure civile, c'est-à-dire compétence donnée au juge aux affaires familiales, mais suivant une procédure contentieuse, comme devant le tribunal de grande instance, jugée après avis du ministère public et avec représentation obligatoire par avocat.
À tout le moins, on pourrait envisager, pour ce tiers tel que défini dans le projet de loi, d'avoir au moins le droit de saisir directement le juge aux affaires familiales, en passant par la procédure de droit commun de l'article 1179 du code de procédure civile.
Il aurait alors, il est vrai, des avantages par rapport aux grands-parents. On ne saurait, cependant, les mettre en comparaison. Ce droit au lien privilégié pourrait être le privilège accordé à celui qui a, peut-être, plusieurs années durant, logé, nourri et contribué au quotidien à élever l'enfant de son concubin ou conjoint. Les grands-parents recourant à la procédure en justice ont rarement les mêmes faits de proximité quotidienne et affective à faire valoir.
Pour autant, l'expérience montre que, si le juge aux affaires familiales est saisi par des grands-parents de demandes de droit de visite, il ne l'est pas, dans les faits, par d'anciens beaux-pères ou belles-mères.
N'osent-ils pas ? Ne le veulent-ils pas ? L'impact de la séparation d'un couple sur le lien envers les enfants est un facteur que l'on ne peut occulter, particulièrement dans le débat que vous allez avoir, mesdames, messieurs les sénateurs.
Enfin, dans le cas où l'un des parents est privé de l'exercice de l'autorité parentale, le projet de loi ouvre plus largement la possibilité, qui existe déjà pour le juge, de décider de confier l'enfant à un tiers, choisi de préférence dans sa parenté, en supprimant l'expression « à titre exceptionnel » de l'article. On peut imaginer que cela facilitera les choses. Tout au moins, le législateur veut montrer symboliquement que les choses seront plus simples.
En guise de conclusion, je dirai qu'un juge aux affaires familiales ne saurait intervenir sans parler de l'intérêt de l'enfant. Le juge aux affaires familiales ne doit pas être dogmatique, il doit être pragmatique.
Ces derniers jours, chacun a lu dans la presse ou entendu dans les médias des propos édifiants sur les conséquences de la féminisation de la magistrature et de la bienveillance naturelle que les juges auraient, en conséquence, envers les femmes. Je ne pouvais tout de même pas m'empêcher de vous en parler, mesdames, messieurs les sénateurs ! (Sourires.)
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Ce n'est pas nous qui allons vous contredire !
Mme Anne Bérard. Outre le fait que nombre de femmes ayant été justiciables expriment tout autant le sentiment inverse - j'en connais, d'ailleurs -, le juge exerce une fonction, et les fonctions n'ont pas de sexe, même si nous n'avons rien contre la parité, tout au contraire. Nous sommes dix-neuf femmes pour un homme dans mon service, et vingt à le regretter. (Nouveaux sourires.)
C'est un fait que le droit de la famille est très féminisé, les avocats étant aussi, en cette matière, majoritairement des femmes. Cela ne les empêche pas de défendre aussi très bien les hommes.
En réalité, si les mères bénéficient de façon très majoritaire de la résidence habituelle des enfants lors des séparations, c'est uniquement parce que, très majoritairement, cette demande résulte d'un accord des parents sur ce point.
Pour le reste, s'il est heureux que la loi de 2002 ait donné au juge la possibilité de fixer en alternance la résidence habituelle des enfants au domicile de chacun de leurs parents, il serait en revanche redoutable que la résidence alternée devienne un dogme, au nom d'un égalitarisme qui reviendrait à réduire l'intérêt de l'enfant à une formule et non à une appréciation concrète.
Chaque situation doit être appréhendée en fonction des circonstances de l'espèce. Statuer en fonction de l'intérêt exclusif d'un enfant, c'est le mettre au coeur de la décision, en faire le sujet et non l'objet.
La question des « enfants sujets » va se poser demain, avec plus d'acuité encore, s'agissant des liens que le législateur acceptera de créer entre les enfants et leurs parents sociaux, quel que soit le choix qu'il fera du mode de filiation.
La conception d'un enfant, c'est un projet d'amour. C'est souvent le désir partagé entre deux êtres qui s'aiment de donner un prolongement à cet amour, en donnant la vie. Lorsque l'amour s'en va, les familles se déchirent. Dans les familles biologiques, le maintien de l'exercice en commun de l'autorité parentale est souvent vécu comme un joug parfois insupportable, mais également comme une donnée de fait.
Dans les familles où un seul des parents est le parent biologique, on peut assister, en revanche, à une forme de déni des droits de l'autre sur l'enfant, au motif, justement, qu'il n'en est pas le géniteur. Qu'adviendra-t-il des enfants lorsque leurs parents biologiques et leurs parents sociaux ne s'aimeront plus ?
L'irrévocabilité de l'engagement pris par ces parents devra être mesurée par eux avec toute la gravité qu'appellent des décisions qui engagent pour la vie.
Il y va de l'intérêt supérieur des enfants.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur - Merci beaucoup, madame Bérard.
La parole est à M. Daniel Pical, magistrat honoraire, membre de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.
M. Daniel Pical, magistrat honoraire, membre de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. - Je vais, tout d'abord, me présenter brièvement. Je suis magistrat honoraire. Auparavant, j'ai été juge des enfants, et, lors de la dernière partie de ma carrière, président de chambre de la famille à la cour d'appel de Versailles.
Je rajouterai seulement quelques compléments à ce qui a déjà été développé par mes collègues.
Il y a, effectivement, plus de problèmes dans une famille monoparentale que dans une famille homoparentale qui, en tant que telle, ne pose pas de difficulté spécifique. Lorsqu'un danger est couru par un enfant, ce n'est pas le fait de l'orientation sexuelle des parents ou des beaux-parents qui l'élèvent.
Je donnerai sur ce sujet quelques éléments ponctuels, en commençant par un éclairage international.
Nous pouvons constater que, en Suède, par exemple, il est possible, depuis quelques années déjà, de reconnaître certains droits aux familles homoparentales. Citons le cas d'un couple de lesbiennes, qui avaient demandé à l'un de leurs amis d'officier pour que l'une d'elles procrée. Trois enfants furent issus des relations avec cet ami, dans un cadre que je qualifierai de « convivial ». Les deux femmes ont élevé les enfants ensemble. Afin de leur offrir une image paternelle, elles firent connaître que cet ami était leur père biologique. Ce dernier a même reconnu les enfants, quelque temps après.
Ces femmes sont aujourd'hui séparées. Le père biologique a été poursuivi au titre d'une obligation alimentaire. L'autre femme, qui avait pourtant eu, avec sa compagne, pour projet commun d'élever les enfants, ne devait s'acquitter d'aucune obligation, pas même alimentaire.
Cela a d'ailleurs suscité un débat en Suède, où il existe désormais une sorte de coresponsabilité pour les couples homosexuels ayant un projet parental commun, par exemple avec un donneur. Si le couple se sépare, le conjoint qui s'en va est soumis à une obligation alimentaire.
On peut également évoquer le cas du Québec, dont la législation reconnaît le statut du beau-parent. Le code civil fait référence au conjoint « tenant lieu de parent » qui, du fait de ses engagements, est soumis à une obligation alimentaire en cas de séparation du couple.
J'aimerais également aborder un sujet qui ne figure pas encore dans le projet de loi, mais qui va surgir dans le débat.
Le droit pour un enfant de connaître ses origines est affirmé par la convention relative aux droits de l'enfant de l'ONU de 1989. Des questions vont alors se poser. En effet, comme l'a souligné Mme Bérard, l'adoption plénière implique une rupture complète avec les origines biologiques de l'enfant. Faut-il conserver cette formule ? Faut-il au contraire la remplacer par l'adoption simple, qui ajoute une nouvelle filiation sans rupture avec la précédente ?
Il faudra aussi débattre de l'accouchement sous X et de l'anonymat du don du sperme ou des gamètes.
Un certain nombre de réflexions éthiques devront donc être menées dans les mois à venir.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Selon vous, l'adoption plénière, qui, je le constate, ne correspond plus à la réalité, doit-elle être conservée dans notre droit ?
Mme Anne Bérard. - C'est une vraie question !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - À mon sens, l'adoption des mesures que vous suggérez dans le cadre d'une loi relative à la famille et le maintien de l'adoption simple permettraient de régler l'ensemble des problématiques, notamment celle des origines. Certains psychanalystes ne pourraient alors plus déplorer la disparition des origines des enfants faisant l'objet d'une adoption plénière.
Mme Anne Bérard. - L'écrasement de l'état civil est effectivement un véritable sujet. Précisément, c'est tout l'intérêt du présent débat que d'interroger un certain nombre de dispositifs qui existent depuis très longtemps. C'est une vraie question de société. On ne peut pas y répondre en un jour.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - Je salue la qualité des différents exposés que nous avons entendus.
La question que vous avez abordée ne concerne pas directement le texte dont nous discutons.
Mme Anne Bérard. - Oui et non ! Les sujets sont corrélés. Pour preuve, les députés n'ont pas pu s'empêcher de s'intéresser au tiers au cours de leurs travaux. Quand vous parlez de mariage, vous parlez de filiation ; quand vous parlez de filiation, vous parlez de famille ; et quand vous parlez de famille, vous ouvrez un tas de boîtes.
M. Charles Revet. - Je ne suis pas juriste, mais j'ai bien compris que le sujet était extrêmement complexe. À cet égard, je crains que nous ne soyons en train de créer une usine à gaz. Le système est déjà compliqué, et il risque de l'être encore plus.
Comme je le soulignais tout à l'heure, en tant que législateur, nous devons essayer d'évaluer les conséquences des décisions que nous prenons. Je ne suis pas certain que nous le fassions souvent. Nous votons des dispositions, pour des raisons diverses et variées. Mais il est important que les professionnels capables d'en mesurer ou d'en analyser les effets puissent nous faire connaître leur sentiment.
Le projet de loi aurait-il pu se limiter à la question de l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, sans aborder l'adoption.
Mme Anne Bérard. - Ce n'était pas possible : l'adoption est une conséquence du mariage.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - En effet. Mais cela ouvre des perspectives sur l'ensemble du droit de la filiation.
D'ailleurs, tous nos interlocuteurs l'ont indiqué, y compris des universitaires qui ne sont pas parmi les plus révolutionnaires, comme M. le professeur Jean Hauser.
Tous ont souligné la nécessité d'un nouveau texte sur la filiation, reconnaissant les filiations biologique et volontaire ou sociale pour tous les couples.
Tous nous ont expliqué qu'il faudrait totalement revoir les conditions de l'adoption et évoquer le statut du « beau-parent » et du « parent social » dans le futur texte sur la famille. Il y a eu quelques incursions, d'ailleurs plutôt heureuses, sur ces sujets à l'Assemblée nationale.
Les députés ont également travaillé sur le droit au nom.
Mme Anne Bérard. - C'était juste l'ordre alphabétique. Le juge n'a rien à en dire !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Tout cela nous ouvre des perspectives. Il faudra apporter des réponses le plus rapidement possible. À défaut, vous risquez de vous retrouver dans des situations très difficiles.
Mme Anne Bérard. - Il faut faire des choix. Le législateur doit décider jusqu'où il veut aller.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le professeur Jean Hauser, que j'ai bien connu auparavant et dont les positions sont extrêmement classiques, nous a dit que nous devions aller jusqu'au bout et prévoir tous les cas possibles de filiation, y compris la gestation pour autrui.
M. Daniel Pical. - Monsieur le rapporteur, vous avez raison de soulever le problème de l'adoption plénière, qui est plutôt une spécificité française. Dans nombre de pays, l'adoption ne rompt pas avec les origines biologiques ; elle ajoute simplement une nouvelle filiation juridique.
Et certains pays refusent l'adoption plénière à la française. Il y en a même, notamment de culture musulmane, qui interdisent purement et simplement l'adoption, autorisant uniquement la kafala, qui est plus une prise en charge, par exemple pour l'éducation, qu'une adoption à proprement parler.
Il faudra sans doute une réflexion très large sur le sujet.
Mme Anne Bérard. - C'est un autre débat.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Mesdames, monsieur, mes chers collègues, je vous remercie.