Mercredi 6 février 2013
- Présidence de M. Simon Sutour, président -Elargissement - Audition de M. Oleksandr Kupchyshyn, ambassadeur d'Ukraine en France
M. Simon Sutour, président. - Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui. Votre audition intervient tandis que le ministre des Affaires étrangères ukrainien, M. Leonid Kojara dont j'avais apprécié la rencontre, s'est rendu la semaine dernière à Bruxelles pour préparer le sommet entre l'Union Européenne et l'Ukraine qui se tiendra le 25 février prochain.
Ce sommet portera principalement sur l'accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine, qui a été préparé depuis longtemps, mais qui n'a pas encore été signé. Vous nous éclairerez, Monsieur l'Ambassadeur, sur l'état d'avancement dans votre pays des réformes attendues par l'Union européenne et, de manière parallèle, sur les attentes de l'Ukraine vis-à-vis d'un rapprochement avec l'Europe.
Et comment évoquer cette question sans parler de la relation de l'Ukraine avec la Russie ? En effet, je crois savoir que ce pays a créé avec la Biélorussie et le Kazakhstan une union douanière qu'elle aimerait bien vous voir rejoindre, option incompatible avec l'accord de partenariat avec l'Union européenne et avec les règles de l'OMC. De plus, un nouveau différend concernant l'approvisionnement en gaz oppose l'Ukraine et la Russie. Pouvez-vous nous garantir que ce désaccord ne débouchera pas sur une crise comme en 2009, lorsque l'Ukraine avait coupé l'approvisionnement de l'Union européenne en gaz russe ?
Sur le plan intérieur, des élections législatives se sont tenues le 28 octobre dernier, qui ont conforté la majorité en place du Président Ianoukovitch. Néanmoins, le Conseil européen dresse un bilan mitigé du déroulement du scrutin, voyant même, je cite les conclusions du Conseil du 10 décembre, « un recul par rapport aux normes atteintes précédemment ». Il appelle à des améliorations sur ce point, vous nous direz ce que le nouveau gouvernement envisage de faire.
Enfin, il est un sujet que nous devons aborder, Monsieur l'Ambassadeur, c'est le traitement de l'opposition politique, en général, et plus précisément ce qu'on appelle la justice sélective et le cas de l'ancien premier ministre, Ioulia Timochenko. Il y a quelques années, à l'initiative du président Poncelet, le Sénat avait reçu Madame Timochenko et j'avais pu assister à cet entretien. Par ailleurs, une nouvelle accusation pèse sur elle -on la soupçonne d'avoir commandité l'assassinat d'un député en 1996- et on s'inquiète, en Europe, de ce traitement. Cette affaire s'ajoute à celle pour laquelle elle a été définitivement condamnée et pour laquelle elle a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme.
Sur toutes ces questions, Monsieur l'Ambassadeur, nous vous entendrons avec intérêt. J'ajoute qu'à titre personnel, j'avais été chargé par cette commission du suivi de votre pays et j'avais présenté un rapport en 2011 qui s'intitulait « Vers une nouvelle étape dans les relations entre l'Union européenne et l'Ukraine ». Cette nouvelle étape, je la souhaite et je vous donne la parole, Monsieur l'Ambassadeur !
M. Oleksandr Kupchyshyn, ambassadeur d'Ukraine. - Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour votre accueil et pour avoir organisé cette rencontre. Merci également à Monsieur le Président du groupe d'amitié France-Ukraine d'être présent.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, permettez-moi tout d'abord de présenter mes collaborateurs :
- Monsieur Yurii Pyvovarov, ministre-conseiller chargé des questions économiques;
- Monsieur Oleg Kobzystyi, conseiller pour les questions politiques ;
- Monsieur Oleksandr Shuiskyi, Premier Secrétaire en charge de la coopération interparlementaire.
Je voudrais vous exposer plusieurs points qui me paraissent importants : les grands objectifs de politique extérieure de l'Ukraine pour cette année, la situation politique interne à la suite des élections législatives du 28 octobre 2012, les relations bilatérales entre la France et l'Ukraine et enfin, la question sensible des relations entre l'Ukraine et la Russie.
Le projet stratégique principal de l'Ukraine est le rapprochement, puis l'intégration dans l'Union européenne. Et pour cette année, notre objectif est la signature de l'accord d'association avec l'Union européenne. Pour y parvenir, beaucoup a été fait : réforme de la fiscalité, réforme des systèmes de retraite, réduction de 50 % des démarches administratives, adoption d'un nouveau code pénal et d'un nouveau code du travail. Notre pays a commencé à exploiter son propre gaz. Nous avons modernisé les infrastructures de transport et hôtelières que les supporters de l'euro 2012 de football ont pu apprécier. C'est dire que tout a été mis en oeuvre pour que nous puissions signer l'accord de partenariat au sommet des 28-29 novembre à Vilnius. Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire, mais toute la machine d'État est désormais engagée vers cet objectif ! Aujourd'hui, je vous demande de nous soutenir. Je ne vous demande pas de soutenir notre choix- c'est nous, les Ukrainiens, qui avons fait le choix de l'Europe- mais je vous demande de nous aider à réaliser ce choix.
Notre deuxième enjeu de politique extérieure est la présidence de l'OSCE que nous assumons depuis le 1er janvier. Cela passe par la résolution du conflit dormant en Transnistrie où réside près de 300 000 ressortissants ukrainiens. Notre ministre des affaires étrangères, M. Kojara, s'est rendu en Moldavie et Transnistrie, mais la situation est difficile.
Concernant la situation énergétique en Europe, nous ferons tout pour éviter que ne se renouvelle la situation de 2009. Mais comme on dit, « quand on danse le tango, il y a deux partenaires » ! Mais je reviendrai à ce sujet en évoquant la relation avec la Russie.
Pour ce qui est des élections législatives, pendant la campagne les passions étaient fortes. Mais les élections se sont tenues conformément à la loi : sans chaos, sans préférences artificielles en faveur du pouvoir et, bien sûr, sans violence. Au niveau de l'organisation, les élections se sont tenues presque sans défaut. C'est ce qu'ont pu constater non seulement les observateurs internationaux, mais aussi chaque internaute grâce aux webcaméras dans des bureaux de vote.
Là où j'accepte les critiques, c'est que le décompte des voix a été retardé de façon inadmissible dans certains bureaux de vote soi-disant problématiques. Malheureusement, c'est cette image qui a été diffusée par des chaînes européennes et mondiales, en déformant le bilan globalement positif des élections ukrainiennes. Le parlement ukrainien se compose de 450 députés. 225 députés sont élus d'après les listes proportionnelles de différents partis. Les autres 225 députés sont élus dans des circonscriptions uninominales. Dans 214 circonscriptions sur 225 les gagnants ont été définis sans scandale et rapidement. Dans les autres 11 circonscriptions, malheureusement, des scandales ont eu lieu. Dans les 5 circonscriptions les plus problématiques de nouvelles élections doivent être organisées.
Je veux souligner que le problème ne consistait pas, par exemple, dans les tentatives des autorités d'influencer les résultats du scrutin ou le refus de reconnaître leur défaite. Dans une des circonscriptions stratégiques un candidat de l'opposition a gagné face à un candidat loyal envers le pouvoir avec un écart infime de 191 voix. Il n'y a eu aucune contestation. Le problème réside dans le refus de certains candidats de reconnaître la volonté du peuple comme l'autorité supérieure de la démocratie. Certains croient qu'un siège au parlement peut être acheté ou pris de force. En démontrant sa disponibilité à organiser les réélections dans ces circonscriptions problématiques, les autorités ukrainiennes se sont distanciées de ces hommes politiques.
En général, c'étaient des élections vraiment démocratiques, et nous en sommes satisfaits. Nous avons pris note de tous les défauts, qui sont, d'ailleurs, propres à d'autres pays aussi, et nous allons travailler afin de les éliminer. La législation sera améliorée et les conclusions seront tirées. Mais l'essentiel, à mon avis, est que 99% des députés de la Verkhovna Rada ont été élus d'une manière honnête, transparente et sans scandale. Aucune irrégularité systémique n'a eu lieu. Cela suffit pour constater que les élections ont été démocratiques. Il y a désormais un paysage politique très hétérogène au Parlement, peut-être trop...
Pour ce qui est des relations de l'Ukraine avec la France, elles sont bonnes. Le Président de notre Parlement a été invité par M. Fabius et une visite en France de notre ministre des affaires étrangères est également prévue en avril ou en mai. Elle coïncidera avec l'adoption d'une nouvelle feuille de route pour la relation entre la France et l'Ukraine. Pour ma part, j'ai rencontré le ministre français de l'agriculture, Monsieur Stéphane Le Foll et l'ai invité, au nom de mon gouvernement, à se rendre en Ukraine à l'automne. J'ai également pu échanger avec Madame Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, coprésidente de la commission mixte économique France-Ukraine et qui devrait se rendre à Kiev en novembre.
J'en arrive maintenant à la relation compliquée de l'Ukraine avec la Russie. Pourquoi compliquée ? Parce que d'un côté, c'est notre grand voisin, notre partenaire stratégique principal et il y a beaucoup de liens entre nos peuples : personnels, familiaux, religieux (en majorité, nous sommes des chrétiens orthodoxes). D'un autre côté, si on peut choisir ses amis ou sa femme, on ne choisit pas son voisin. Et s'il faut vivre en bonne intelligence avec lui, il y a deux problèmes principaux qui empêchent un dialogue fructueux entre nos deux pays.
Tout d'abord, il y a le choix géostratégique de l'Ukraine d'aller vers l'Europe. Formellement, la Russie n'est pas contre cette position. Mais chacun comprend que si elle est un pays puissant, sans l'Ukraine auprès d'elle, la Russie ne sera jamais une superpuissance. Et n'oublions pas que la Russie est un pays euro-asiatique, alors que l'Ukraine est un pays européen.
Deuxièmement, il y a le problème du prix du gaz naturel. Je vous le dis franchement, l'Ukraine ne peut pas vivre avec le prix du gaz naturel facturé par la Russie. Nous le payons plus cher que l'Allemagne qui est plus éloignée. C'est pourquoi, aussi paradoxal que cela paraisse, nous avons acheté du gaz russe à l'Allemagne ! Nous essayons de renforcer notre indépendance énergétique : en Crimée, nous avons construit la plus grande centrale solaire au monde, afin d'être moins dépendants du gaz russe. Mais ce problème économique est aussi un problème politique : le jour après que nous avons signé avec Shell un accord pour l'exploitation de gaz de schiste en Ukraine, Gazprom a demandé le règlement d'une facture de sept milliards de dollars ! C'est le résultat de l'accord qu'a signé Ioulia Timochenko lorsqu'elle était premier ministre, qui fait que nous devons payer du gaz que nous ne consommons pas. Et cet accord nous engage jusqu'en 2019...
Concernant la dernière accusation de Madame Timochenko, notre procureur général ne m'a pas donné d'information précise à vous transmettre. Je reste prudent car, sur le plan juridique, officiellement, je ne peux m'avancer plus. Tout ce que je peux dire, c'est que notre Président, Viktor Ianoukovitch, est en visite officielle en Lituanie. Lors d'une conférence de presse, il a déclaré avec le Président lituanien que ce problème était aussi politique et qu'il fallait y trouver une solution.
M. Simon Sutour, président. - Merci, Monsieur l'Ambassadeur. En vous recevant, je crois que nous montrons tout l'intérêt que nous portons à l'Ukraine et les relations amicales que nous souhaitons avoir avec votre pays. Et je pense qu'entre amis, on se doit la vérité. Lorsque j'avais présenté mon rapport, il y a bientôt deux ans, je pensais que l'accord d'association serait signé rapidement. Les aspects techniques étaient sur le point d'être résolus, mais des problèmes politiques sont venus se greffer. L'Ukraine va présider l'OSCE, mais cette organisation a critiqué l'organisation des élections législatives, ainsi que le mode de scrutin qui a empêché Madame Timochenko et son ancien ministre de l'Intérieur de se présenter. Vous évoquez une solution politique à ce problème, je la souhaite et l'appelle ouvertement.
M. Hervé Maurey, président du groupe d'amitié France-Ukraine. - Merci pour votre invitation, Monsieur le Président.
Monsieur l'Ambassadeur, vous avez fait un plaidoyer très sincère sur votre attachement à l'Europe et pour la signature de l'accord de partenariat. Je crois que sur ce point, il n'y a pas d'ambiguïté. Ce qui reste compliqué pour nous, c'est la situation de Madame Timochenko. Est-il envisageable qu'en 2013, votre Gouvernement fasse un geste fort, que nous attendons tous, pour sortir de cette situation ? Par ailleurs, pouvez-vous nous dire un mot sur un sujet qui fait débat en France, celle du gaz de schiste et du choix de l'Ukraine ?
M. Aymeri de Montesquiou. - - Depuis qu'un roi de France s'est épris d'une princesse de Kiev il y a près de 900 ans, les liens entre la France et votre pays sont aussi anciens qu'affectueux. Concernant les élections, en Occident nous regardons trop souvent les choses avec un prisme sans considérer que les standards ne sont pas toujours les mêmes ailleurs. Je considère que le multipartisme est un bon signe pour la démocratie. La question du gaz de schiste est importante pour vous, car c'est un moyen d'indépendance vis-à-vis de la Russie.
Lors du dernier élargissement de l'Union européenne en 2004, je ne suis pas certain que l'idée européenne se soit renforcée. Beaucoup de pays du bloc de l'Est nous ont rejoints surtout pour fuir la Russie. Cela pose problème, par exemple, pour construire une défense européenne car ils préfèrent l'OTAN. Et je me demande si votre entrée dans l'Union européenne la renforcerait ? Vous avez une agriculture puissante, un savoir faire dans la sidérurgie, mais votre pays est bicéphale, où l'on parle deux langues : si l'ouest est tourné vers l'Europe, l'est est tourné vers la Russie. Celle-ci acceptera-t-elle que Sébastopol et le détroit de Kertch ne soit plus contrôlée par elle ? Je pense qu'elle préfèrerait fortement vous voir intégrer la zone de libre échange qu'elle a créée avec le Kazakhstan, et la Biélorussie. Je comprends que l'Union européenne soit plus attractive pour l'Ukraine qu'un rapprochement avec la Russie, mais je crains que nous n'importions énormément de problèmes en vous intégrant.
Mme Bernadette Bourzai. - Mon propos va porter sur les problèmes électoraux, car je suis membre de la délégation du Sénat auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, l'APCE. J'étais intervenu l'an dernier dans cette institution sur le fonctionnement démocratique en Ukraine en vue des élections législatives. J'avais attiré l'attention sur le cas de Mme Timochenko, la nécessité d'un code électoral et d'une réforme de la constitution. Or, je voudrais vous citer le rapport critique d'Andréas Gross, chef de la délégation de l'APCE pour l'observation de ces élections : « les Ukrainiens étaient en droit d'attendre davantage de ces élections. Du fait de « l'oligarchisation » de l'ensemble du processus, les citoyens ont perdu la maîtrise du scrutin et la confiance dans ce dernier. Malheureusement, le potentiel démocratique de la société ukrainienne n'a pas trouvé à s'exprimer lors du scrutin d'hier. »
Je souscris à ce que dit M. de Montesquiou sur le regard que nous portons sur les élections dans d'autres pays. Et je rappelle qu'il a fallu des siècles pour que la démocratie s'installe dans notre pays. Mais j'aimerais savoir si pour les prochaines élections, le gouvernement ukrainien prendra les mesures nécessaires à un scrutin démocratique et transparent ? Par ailleurs, nous avons débattu dans cette commission d'un mécanisme d'information européen sur les relations commerciales avec la Russie, qui visait l'approvisionnement en gaz. Ce mécanisme fonctionne-t-il ou avons-nous travaillé pour rien ?
M. Oleksandr Kupchyshyn. - Madame Timochenko a été condamnée selon notre code pénal. Pour 70 % de la population, elle est coupable.
Monsieur de Montesquiou, je peux vous dire que nous ne voyons pas le rapprochement avec l'Union européenne comme un cadeau ! C'est une voie qui va dans les deux sens, un renforcement mutuel. Peut-être y aura-t-il des problèmes pour l'Union européenne, mais il y aura aussi beaucoup d'avantages. L'Ukraine est un immense marché, elle présente des possibilités d'investir, elle a des terres parmi les plus riches du monde. Durant la deuxième guerre mondiale, ce sont 4 000 wagons de terre qui ont été envoyés en Allemagne. L'Ukraine, c'est aussi une grande industrie. Alors, je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites que nous représentons un problème pour l'Union européenne. L'Union européenne connait aujourd'hui des difficultés et cela pourrait être un problème pour l'Ukraine, mais elle reste attractive à nos yeux. Vous avez raison de dire que l'Ukraine est un pays divisé, géographiquement, psychologiquement, et au niveau de sa langue, mais il y un sujet qui fait consensus, c'est l'Union européenne.
Madame Bourzai, le problème électoral existe, mais comme je l'ai dit, il y a un travail énorme en cours pour adopter un code électoral. Un code pénal et un code de procédure pénale ont été adoptés. Concernant Ioulia Timochenko, un des problèmes vient du fait qu'elle a été jugée selon les anciennes règles de procédure pénale.
Sur le gaz, je vais laisser la parole à M. Yurii Pyvovarov, Ministre-conseiller chargé des questions économiques.
M. Yurii Pyvovarov. - L'Ukraine veut réduire sa facture énergétique vis-à-vis de la Russie. C'est le point le plus douloureux de notre relation avec ce pays. Nous n'avons pas de relation purement commerciale avec la Russie. Il y a toujours une dimension politique dans nos relations. L'amende de sept milliards de dollars exigée par Gazprom en est le dernier exemple. Le gaz est un moyen de pression sur nous.
C'est pourquoi l'Ukraine a choisi de passer un accord avec Shell pour l'exploitation de gaz de schiste, dont l'Ukraine pourrait posséder de grandes quantités. Cela ne veut pas dire que nous allons exploiter tout de suite cette ressource. Nous savons les problèmes qui se posent. Nous écoutons les débats qui ont lieu en Europe à ce sujet et particulièrement ici, en France. Nous serons prudents, des études environnementales seront faites, mais nous avons choisi d'avoir notre propre gaz.
M. Simon Sutour, président. - Ce que je retiens de votre problème gazier, c'est qu'il est avant tout un problème politique, plus que financier.
Pour ce qui est de Sébastopol, je peux dire que lors de ma mission il y a deux ans, j'ai appris qu'il y avait eu un accord concernant la présence russe dans ce port de Crimée. En échange du maintien de la flotte russe à Sébastopol pour plusieurs années, il y a eu une diminution du prix du gaz.
M. Joël Guerriau. - J'ai trois questions. Quelles sont vos perspectives de croissance pour 2013 ? Vous avez évoqué votre agriculture, 22 % des terres agricoles européennes. Il s'agit d'une forte concurrence pour nous français, notamment sur le blé. Pouvez-vous préciser en quoi consiste la coopération fructueuse de l'Ukraine et de la France en ce domaine ? Enfin, quelle est votre position sur l'intervention française au Mali ?
M. Jean-Paul Emorine. - Je suis un européen convaincu et je me réjouis que l'Ukraine regarde vers l'Europe plutôt que vers la Russie. Comment voyez-vous l'évolution technique de votre agriculture et de votre filière agro-alimentaire, puisque vos exportations alimentaires représentent 20 % de vos exportations ?
M. Oleksandr Kupchyshyn. - Je voudrais faire une déclaration politique concernant l'intervention au Mali. C'est la première fois que je le fais publiquement. L'Ukraine soutient pleinement l'intervention de la France au Mali et sa recherche d'une solution aux graves problèmes qui se posent dans ce pays. Elle se félicite des évolutions positives des opérations de contre-terrorisme. S'il y a des besoins d'assistance ou d'aide technique, matérielle, notre gouvernement est en contact avec le gouvernement français pour les apporter.
Concernant la croissance, nous avons une prévision optimiste de 2 %, même si nous serons certainement plus près de 1,5 %. La crise a frappé notre pays comme les autres et nous commençons à nous remettre.
Les échanges dans le domaine agricole avec la France sont nombreux. Et si nous sommes concurrents, il existe des collaborations, par exemple, dans le domaine de l'élevage où nous avons fait des progrès au niveau de la génétique et en matière vétérinaire.
M. Simon Sutour, président. - Merci, Monsieur l'ambassadeur d'être venu aujourd'hui. Je partage votre point de vue : nous nous enrichissons mutuellement. Je souhaite que le prochain sommet UE-Ukraine ait des résultats fructueux. Concernant le traitement de l'opposition, vous sentez que nous espérons un geste fort de votre gouvernement. Enfin, j'ajoute que nous serions ravis d'accueillir au Sénat le Président de la Rada. Je vais en parler au Président du Sénat, Jean-Pierre Bel.
Jeudi 7 février 2013
- Présidence de M. Simon Sutour, président -Institutions européennes - Audition de M. Paul Kavanagh, ambassadeur d'Irlande en France
M. Simon Sutour, président. - Monsieur l'Ambassadeur, merci d'avoir répondu à notre invitation. Comme c'est la tradition de notre commission, nous vous recevons quelques semaines après que votre pays a pris la présidence de l'Union européenne.
L'Irlande a, pour redresser sa situation économique et budgétaire, accompli de gros efforts, dont les premiers résultats se font sentir. Nous souhaitons plein succès à votre présidence, qui devra traiter des dossiers importants. Trouver un accord sur le prochain cadre financier pluriannuel, d'abord : un compromis au Conseil européen est-il possible ? Au Sénat, nous sommes particulièrement attentifs au devenir de la PAC et de la politique de cohésion. Consolider la stabilisation de la zone euro, ensuite, dans un contexte qui pèse sur l'activité économique : il faut assurer les grands équilibres budgétaires et remédier aux dysfonctionnements du système financier qui ont fait tant de mal à nos économies. Définir les contours futurs de l'Union économique et monétaire, enfin : le Conseil européen de décembre a tracé des pistes, il convient de les concrétiser.
Ces efforts doivent être accompagnés d'une politique active en faveur de la croissance et de l'emploi : comme le dit notre ministre des affaires européennes, l'Europe ne doit pas être une maison de redressement. Un meilleur équilibre dans le commerce international est aussi nécessaire : l'Europe ne peut ouvrir toujours plus ses marchés si, dans le même temps, ses partenaires multiplient les barrières. Nous avons demandé une réciprocité dans les marchés publics.
Je vous prie d'excuser l'absence de Mme Laborde et de Mme Gourault, et je salue M. Garrec, qui représente ici le groupe d'amitié France-Irlande.
M. Paul Kavanagh, ambassadeur d'Irlande en France. - Merci pour votre invitation, et pour l'accueil que vous nous réservez toujours : le président du Parlement d'Irlande est venu l'an dernier, et plus récemment c'était la directrice générale aux affaires étrangères chargée de l'élargissement. Nous vous comptons, monsieur le Président, parmi nos amis depuis votre mythique voyage de jeunesse en Irlande, et davantage encore depuis votre récent déplacement à Dublin, où votre allocution devant l'Institut des affaires européennes et internationales a été très bien accueillie.
Cette semaine - cette journée - est chargée : Conseil européen, réunion de la Banque centrale européenne (BCE), réunion informelle des ministres des affaires sociales à Dublin... Nous attendons aussi le résultat de nos négociations avec la BCE sur la dette bancaire.
Notre présidence est un défi, si nous voulons égaler nos prédécesseurs chypriotes. Elle coïncide avec le quarantième anniversaire de notre adhésion à ce qui était alors la Communauté économique européenne, que nous avons rejointe en même temps que le Danemark et la Grande-Bretagne lors de la première vague d'élargissement. C'est la septième que nous exerçons ; nous le ferons dans l'objectivité, la transparence et la neutralité, dans un esprit de rassemblement et de compromis. Nous n'essayerons jamais d'imposer nos priorités nationales.
Nous sommes réalistes mais optimistes. Le grand défi est de ramener l'économie européenne à la croissance et à la création d'emplois, surtout pour les jeunes, dont un quart - voire un sur deux en Espagne - est au chômage. Cela implique d'améliorer notre compétitivité, tout en assurant la stabilité de la zone euro. Tel sera notre leitmotiv dans notre présidence des conseils sectoriels.
Stabilité, emploi, croissance : les chefs d'État et de gouvernement ont décidé en juin dernier de briser le lien entre dette souveraine et dette bancaire, et ils ont fait un grand pas dans cette direction par leur accord de décembre, qui prévoit la mise en place du mécanisme unique de supervision bancaire. Nous le mettrons en oeuvre dans les délais convenus, ce qui aboutira à la recapitalisation directe des banques à travers le mécanisme européen de stabilité (MES), au cadre de résolution bancaire puis à la garantie des dépôts : la crédibilité de l'Union en sera renforcée.
Nous veillerons à la coordination des politiques économiques des pays membres. Un accord sur le cadre pluriannuel budgétaire est demandé le plus tôt possible. Mettant en sourdine nos exigences nationales, nous soutenons les efforts du président du Conseil européen M. Van Rompuy. Bien sûr, l'Europe peut fonctionner en l'absence d'accord, toutefois sa crédibilité en souffrirait. Une fois l'accord conclu, un deuxième chantier s'ouvrira, propre à la présidence : élaborer avec le Parlement un accord cadre interinstitutionnel et mettre en place, en codécision avec lui, 67 dispositifs législatifs. Nous demandons à nos partenaires de veiller à ce que cet accord, loin de se borner à un take it or leave it, nous laisse une marge de manoeuvre. Le président Hollande y a insisté à Strasbourg cette semaine, et nous lui en sommes reconnaissants.
Nous préparons un ensemble de mesures constitutives d'un grand effort en faveur de l'emploi des jeunes. Les ministres des affaires sociales, réunis de manière informelle à Dublin, y travaillent, et nous donnerons suite aux propositions de la Commission de garantir aux jeunes un emploi, une formation ou un apprentissage qui les libère de ce fardeau personnel, familial, sociétal qu'est le chômage. M. Van Rompuy présentera un programme de soutien à l'emploi des jeunes dans le même sens.
Nous miserons, pour promouvoir la croissance, sur les initiatives susceptibles d'avoir un impact réel - y compris en revoyant dans le sens d'une plus grande réciprocité les accords commerciaux avec nos principaux partenaires, dont les Etats-Unis et le Japon. Le renforcement du marché unique, le soutien aux PME, les avancées vers le numérique compteront également. Notre pays est aussi favorable à l'élargissement de l'Union, ce qui n'est guère surprenant.
Nous soutiendrons l'action de Mme Ashton. Nous avons déclaré notre soutien à l'intervention française au Mali. Nous sommes conscients de la nécessité de faire progresser les discussions sur la politique commune de sécurité et de défense dans la perspective de la réunion décisive, en fin d'année, du Conseil européen, et suite aux conclusions de celui de décembre. Nous respectons pleinement les prérogatives du Parlement et de la Commission. J'ai plaisir à souligner que nous avons bénéficié du soutien du Président Hollande, et que nous lui en savons gré. Nos liens bilatéraux se sont renforcés : notre Premier Ministre est venu en octobre, notre Président sera à Paris dans dix jours, plusieurs de vos ministres nous ont rendu visite, M. Ayraut et notre vice-Premier Ministre se sont entretenus au Chili...
Après une rude épreuve, qui a duré plusieurs années, l'Irlande a renoué avec la croissance en 2011, car elle a retrouvé de la compétitivité : la Commission évalue à 22% l'amélioration de la compétitivité du coût de travail. Nos exportations sont fortement reparties, notre balance des paiements est excédentaire depuis deux ans. Les finances de l'État sont maîtrisées et se rapprochent de l'équilibre : avec la recapitalisation des banques, en 2010, le déficit de 2010 était de 32% du PIB ; il a été de 7,8% l'an dernier, où l'objectif était de 8,6% ; nous espérons dépasser l'objectif 2013 de 7,5%, et atteindre les 3% du PIB en 2015. Cela correspond au programme que nous avions négocié avec la troïka. L'ajustement budgétaire qu'il comporte s'élève à 20% du PIB sur la période 2008-2015, nous en avons déjà réalisé 85% : ce sont 16% de notre PIB qui ont été extraits de notre économie. Pénible pour les familles, ce sacrifice considérable ne nous a pas empêchés de retrouver la croissance. Les marchés ont repris confiance, les rendements sur nos obligations tombant de 15% à 4,1% ; à la fin du programme, dès la fin de l'année, nous retrouverons les conditions ordinaires.
Sans esquiver les difficultés, nous avons assumé nos responsabilités, nos propres erreurs, celles des autres également, qui avaient alimenté la folie immobilière. Le contribuable irlandais a payé, et la note était salée.
A 14,6%, le chômage reste élevé, même si les investissements et les exportations battent des records, il n'est pas facile de le faire baisser. Notre expérience prouve que si le sérieux budgétaire est nécessaire, il ne suffit pas. La réorientation de la politique européenne, à laquelle nous avons poussé aux côtés de la France, nous paraît donc bienvenue : les sacrifices ne suffisent pas à atteindre l'objectif. Notre problème a été l'éclatement de la bulle immobilière. Celle-ci s'était développée car notre système bancaire n'était pas assez strict, et l'État avait fait des transactions immobilières une source importante de revenus, dont il a été brutalement privé. Bien que la solidarité européenne ait joué en notre faveur, ce sont nos contribuables qui ont assumé le coût final. Notre dette reste importante : l'an prochain, notre endettement culminera à 121% du PIB. Heureusement nous avions profité des années fastes pour réduire notre ratio d'endettement à 25% du PIB, grâce à quoi nous avons abordé la crise avec une situation saine. Le gros de la dette provient du coût de la recapitalisation des banques : 64 milliards d'euros, soit 40% du PIB. C'est pourquoi l'Irlande est bien consciente, comme la France et comme l'Europe, de la nécessité de briser le lien entre la dette souveraine et la dette bancaire. Nous avons tous intérêt à mettre en oeuvre les décisions de la fin de l'année dernière.
M. Simon Sutour, président. - Je vous remercie de ce très riche exposé.
M. Aymeri de Montesquiou. - Vous avez suggéré que la crise qui a frappé l'Irlande était due à une bulle immobilière alimentée par l'étranger. Ne croyez-vous pas que la fiscalité irlandaise, que certains assimilent à un dumping fiscal, puisse en être la cause ? A l'heure où la nécessité d'une gouvernance européenne, c'est-à-dire d'un alignement des politiques économiques et fiscales, a été reconnue par les chefs d'État et de gouvernement, seriez-vous favorable à un relèvement de vos taux d'imposition ?
M. Jean Bizet. - Quelles sont les priorités de l'Irlande sur la PAC ? En matière de régulation, considérez-vous que le cadre budgétaire de la PAC suffit à gérer des crises ? Êtes-vous favorable à un verdissement supplémentaire ? Je constate que 30% des aides du premier pilier sont soumises à l'éco-conditionnalité, et qu'on cherche à faire en sorte que des aides du premier pilier glissent vers le second pilier, au moment où les Etats-Unis remettent trois millions d'hectare en production.
La dernière proposition de M. Van Rompuy sur le cadre financier pluriannuel s'élève à 371 milliards d'euros. L'Allemagne souhaite arriver à 360 milliards. La France semble mise à l'écart : il n'y a plus de couple franco-allemand, mais une alliance entre Allemagne et Grande-Bretagne pour aller vers plus de libéralisme - ce qui ne gêne pas le libéral que je suis. Quelle est votre analyse, et quel pronostic faites-vous ? Seriez-vous choqué de l'absence de compromis ? Le message serait sans doute désagréable, serait-il dramatique ? La position du président Lamassoure est que cela pourrait aboutir à un budget plus axé sur la compétitivité.
Mme Colette Mélot. - Vous avez énoncé les priorités de votre présidence, la croissance et l'emploi ; vous avez également annoncé des mesures pour l'emploi des jeunes. Programme de financement en matière de jeunesse et de sport, « Erasmus pour tous » a fait l'objet d'une proposition de résolution de notre commission. Il est très utile, et, avec un excellent retour sur investissement, contribue à forger la conscience européenne. Quelle est la position de l'Irlande sur ce sujet ?
M. André Gattolin. - L'analyse économique qui consiste à faire porter la responsabilité de la crise sur l'extérieur me paraît un peu rapide. Les conséquences en ont été majeures dans toute l'Union européenne, et le Gouvernement irlandais porte une part de responsabilité.
La France est en délicatesse avec les géants d'internet, qui réalisent une partie importante de leur chiffre d'affaire européen sur son territoire, et paient leurs impôts en Irlande, où les taux sont plus bas. En particulier, Apple perçoit sur ses ventes le montant d'une taxe sur la copie privée destinée à être reversée aux auteurs, et ne le restitue pas à l'État ! Je m'étonne également que l'ancien responsable des investigations de la CNIL irlandaise ait été embauché par Apple comme responsable des données personnelles. Le droit irlandais ne prévient-il pas les conflits d'intérêts ? Cela concerne non seulement la gouvernance irlandaise, mais aussi son rapport à la gouvernance européenne. Ces questions délicates doivent être abordées franchement, car l'Europe a beaucoup contribué au renflouement des banques irlandaises. La compétitivité ne doit pas se gagner contre les autres pays européens...
M. Simon Sutour, président. - Vous voyez, monsieur l'Ambassadeur, que nous ne pratiquons pas la langue de bois.
M. Paul Kavanagh. - Nous autres Irlandais, n'avons pas la réputation de parler la langue de bois. Toutefois, je suis ici comme ambassadeur du pays exerçant la présidence de l'Union européenne, non comme ambassadeur d'Irlande - nous pourrons avoir cet échange une autre fois.
Je vous présente mes excuses si j'ai pu donner l'impression que l'Irlande considère que la crise était due aux autres pays. Il y a eu des erreurs, et même des fautes, de la part des Irlandais, ainsi que d'acteurs internationaux. Nous avons assumé la responsabilité de ces erreurs : la note est salée.
Le traité soumet les questions fiscales au consensus : il faut l'unanimité pour adopter des décisions sur ce sujet. La Commission a proposé d'instaurer la célèbre ACCIS (assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés). Nous avons inscrit cette proposition au programme d'un groupe de travail dès le mois de janvier, malgré les réserves qu'elle nous inspire ; nous porterons le dossier au niveau politique pour chercher un accord le plus tôt possible.
Nous faciliterons autant que faire se peut la coopération renforcée sur le projet de taxe sur les transactions financières dont vous avez eu l'initiative - mais plusieurs points restent en débat. Nous sommes favorables au renforcement de la coordination des politiques économiques, c'est la leçon que nous tirons de la crise. Nous accompagnerons le processus dit du six-pack avec enthousiasme.
Nous partageons depuis longtemps les vues de la France au sujet de la PAC, dont nous devons mener à bien la réforme d'ici le mois de juin, ainsi que celle de la pêche. Le cadre budgétaire est à cet égard une décision majeure, car les réformes en dépendront. Les mener à bien serait plus difficile en cas de report de cette décision.
Notre objectif est d'obtenir une première lecture du règlement européen relatif à Erasmus devant le Parlement européen. Nous sommes très enthousiastes au sujet d'« Erasmus pour tous ». L'Irlande qui était, selon le mot de Michelet, une île derrière une île, a retrouvé la famille européenne en 1973 ; depuis lors, elle évolue sur la scène internationale sur un pied d'égalité avec ses partenaires. Au-delà des aspects économiques et financiers, l'Europe a contribué à l'évolution des mentalités, et autorisé des avancées inimaginables une ou deux générations plus tôt. Ainsi, en 1998, l'électorat irlandais a accepté, à 94 %, un accord qui supprimait de notre constitution la revendication territoriale sur l'Irlande du nord. Ce contexte éclaire le prix que nous attachons à des programmes comme « Erasmus pour tous ».
Nous attendons que le G8 et le G20 prennent des initiatives concernant Google et Facebook. La Commission fera aussi sans doute des propositions, et nous participerons aux discussions. Il y a une grande diversité d'opinions au sujet de la fiscalité ; rien n'est complètement noir ni totalement blanc. Si des propositions voient le jour pendant notre présidence, vous pouvez compter sur nous pour les pousser aussi loin que le consensus l'autorisera : nous n'avons aucune raison de ralentir quoi que ce soit. Vous pouvez compter sur une présidence facilitatrice.
M. Simon Sutour, président. - Je participais il y a deux semaines à une réunion des présidents des commissions des affaires européennes des 27 pays à Dublin ; à cette occasion le responsable de Google en Irlande m'a expliqué qu'il emploie 200 Français...
M. René Garrec. - Il est faux de prétendre que l'Irlande fait du dumping avec un taux d'impôt sur les entreprises bas. Si j'étais Irlandais, je ferais la même chose - je l'ai d'ailleurs fait quand je présidais la région Basse-Normandie, une région agricole, avec un niveau de vie inférieure à la moyenne nationale, assez comparable à celui de l'Irlande.
Les comparaisons fiscales sont toujours biaisées. L'Irlande crée de nouveaux impôts : nous sous-estimons l'effort demandé à sa population. Si j'étais fonctionnaire irlandais, j'aurais perdu 15 % de mon traitement, et un peu plus de ma retraite. Nul n'a souffert cela en France. Conduite avec élégance et courage, cette expérience, que nous n'avons pas, est une richesse pour l'Europe. Notre système social, prétendument le meilleur du monde, fonctionne à crédit depuis de nombreuses années. Je ne suis pas sûr que nous soyons les mieux placés pour critiquer le système irlandais...
Un exemple. L'Irlande a créé un impôt sur les maisons. Des pénalités mensuelles de 10 % par mois en cas de retard. On pourrait s'étonner de l'absence de notification et s'indigner d'un taux contraire au droit européen en ce qu'il est proche du taux de l'usure. Toutefois, notre fiscalité frappe le fraudeur d'une pénalité de 300%, ce qui est bien supérieur à ce qui est réclamé en Irlande. En outre, la notification est une procédure française. La vraie différence est que l'Irlande n'a pas de cadastre, d'où l'application stricte d'un taux uniforme. On ne peut pas juger la fiscalité d'un pays au regard d'une autre.
De Gaulle avait raison de dire que l'Angleterre n'aurait jamais dû participer au marché commun : elle voulait une zone de libre-échange, et nous voulions le système le plus européanisé possible.
Quand trois industriels m'ont consulté sur la fiscalité, j'ai mesuré combien les comparaisons faites par la presse sont inexactes : ils auraient tous trois payé plus d'impôts en Irlande qu'en France. Aussi, sur la fiscalité, serai-je d'une prudence de serpent.
L'Irlande a une population bien formée, d'excellents médecins, des ingénieurs, et elle exporte beaucoup. Les Irlandais voyagent énormément. Il y a 4 millions d'Irlandais en Irlande, et probablement le double dans le reste du monde. Nous avons plus à apprendre d'eux qu'à leur expliquer.
M. Aymeri de Montesquiou. - Il est normal que pour s'industrialiser, l'Irlande ait eu recours il y a vingt ans à une fiscalité attractive. Cependant, le lissage européen devient de plus en plus nécessaire. Ce qui est vrai, c'est que les taux affichés ne sont pas forcément ceux qui sont pratiqués.
M. Paul Kavanagh. - J'ai pris bonne note des réflexions de M. Garrec. Le lourd fardeau économique de l'Irlande est sa dette bancaire. Le gouvernement négocie actuellement avec la BCE non pour restructurer, mais pour jouer sur la maturité. Cela rassurera les marchés, effrayés par la perspective d'un remboursement intégral d'ici dix ans.
L'Irlande a consenti d'importants sacrifices : les syndicats du service public ont voté il y a deux ans, à la majorité des deux tiers, un accord réduisant les salaires de 14 % en moyenne - de 30% pour les plus élevés à 10% pour les plus faibles. Et cela quand aucune famille n'est épargnée par le chômage. Conjugués avec la solidarité européenne, ces efforts nous permettent de sortir de la crise.
D'un point de vue national, je m'en voudrais de ne pas mentionner nos très bonnes relations commerciales avec la France : elles s'élèvent à plus de 15 milliards d'euros, pour le bénéfice des deux partenaires : 12 000 Irlandais sont employés en Irlande par des sociétés françaises, dont la majeure partie sont des filiales qui y exportent leurs produits ; par une heureuse coïncidence, le nombre d'employés en France par des sociétés irlandaises est sensiblement le même. Grâce aux progrès économiques qu'elle a réalisés, l'Irlande est en mesure d'entretenir avec ses partenaires des relations mutuellement profitables. C'est aussi le cas avec les Etats-Unis, qui ont réalisé d'importants investissements en Irlande. Plus de 100 000 Irlandais travaillent dans des sociétés américaines, et les sociétés irlandaises ont pratiquement le même nombre d'employés aux Etats-Unis. Tout cela aurait été inimaginable il y a quarante ans.
Fabriqué par Alstom et géré par Veolia, le réseau ferroviaire de Dublin est l'un des seuls en Europe à être bénéficiaire. Comme le souligne Mme d'Achon, votre ambassadrice en Irlande, les opportunités du marché irlandais sont nombreuses.
M. Simon Sutour, président. - Nous vous remercions de cet exposé vivant, que
Justice et affaires intérieures - Protection des données personnelles : proposition de résolution de M. Simon Sutour
M. Simon Sutour, président. - Il y a un an, nous avons traité de la proposition de règlement général sur la protection des données, d'application immédiate. En mars 2012, le Sénat a adopté sur mon rapport une résolution sur la proposition de règlement général sur la protection des données. Sur notre initiative, le Sénat a aussi adopté un avis motivé au titre de la subsidiarité. Ce texte est encore loin d'être finalisé : le Parlement européen devrait se prononcer en avril. La présidence irlandaise semble vouloir parvenir à un accord, au moins partiel, d'ici juin.
Voici maintenant la proposition de directive, qui doit faire l'objet d'une transposition. Fixant le cadre de la protection des données dans le domaine de la coopération policière et de la coopération judiciaire en matière pénale, elle se substitue à une décision-cadre de 2008. Si notre commission adopte la proposition de résolution, celle-ci sera renvoyée à la commission des lois.
La décision-cadre de 2008 s'applique au seul traitement des données à caractère personnel transmises ou mises à disposition entre les États membres : le traitement des données par la police et la justice dans le cadre d'affaires pénales au niveau national en étant exclu, elle n'harmonise pas les niveaux de protection sur le territoire européen, qui voit donc coexister des régimes spécifiques différents (système d'information Schengen, Europol, traité de Prüm...)..
Les autorités de protection de données regroupées au sein du groupe de l'article 29, le G29, qui comprend notamment la Cnil, ont également jugé insuffisant l'encadrement des données sensibles et des transferts de données vers des Etats tiers, ainsi que le rôle qui leur est dévolu.
Nous ne sommes pas les moins bien dotés en cette matière. La loi « Informatique et libertés » s'appliquant à tous les traitements de données, quelle que soit leur finalité, nous garantit un niveau de protection adéquat au sens de la décision-cadre, qui n'a donc pas été transposée.
D'après le traité de Lisbonne, toute personne physique a le droit à la protection des données personnelles la concernant. Le traité a en outre créé une base juridique spécifique pour les données personnelles, qui comprend la coopération policière et la coopération judiciaire en matière pénale.
Nous souscrivons au choix de la Commission européenne de traiter ces questions dans un texte spécifique. Les questions pénales, profondément marquées par les traditions nationales, rendent difficile l'adoption d'un règlement.
Si la prise en compte des échanges entre Etats membres et à l'intérieur de chaque pays constitue un progrès, l'exclusion des traitements mis en oeuvre par les organismes européens tels qu'Europol, Eurojust ou Frontex rend les dispositifs peu cohérents et lisibles.
En outre, il pourra être difficile de déterminer, pour certains traitements, s'ils relèvent de la directive ou du règlement général. De nombreux fichiers de police administrative, qui relèveraient, en l'état, de la proposition de règlement, devraient logiquement relever de la proposition de directive, afin de garantir une cohérence des règles applicables à ces fichiers mixtes. Ainsi, le fichier national des interdits de stade (FNIS) est un fichier de police administrative, à finalité de sécurité publique.
Dans plusieurs domaines, le texte risque de diminuer les protections garanties par notre droit national. Nous demandons donc qu'une disposition expresse rappelle que la directive ne fournit qu'un seuil minimal de garanties et que les Etats membres peuvent assurer un niveau supérieur de protection.
M. André Gattolin. - Cela va mieux en le disant.
M. Simon Sutour, président. - Lors de l'examen de la proposition de règlement, nous nous étions opposés aux multiples délégations faites à la Commission européenne sur des sujets essentiels qui devaient relever du législateur européen. Pour les mêmes motifs, nous ne pouvons accepter que la Commission adopte des actes délégués pour préciser les critères et exigences applicables à l'établissement d'une violation des données. Mme Reding nous avait expliqué que ces actes étaient très encadrés, toutefois, de mon point de vue, des actes bien encadrés ne sont pas délégués.
Le texte ne reprend pas le principe établi par la proposition de règlement selon lequel les données ne sont traitées que si, et pour autant que les finalités du traitement ne peuvent pas être atteintes par le traitement d'informations ne contenant pas de données à caractère personnel. De même, aucune disposition expresse ne limite l'accès aux données au personnel dûment autorisé des autorités compétentes qui en a besoin pour l'exécution de ses missions. Les obligations des responsables de traitement devraient en outre être précisées au regard notamment des niveaux de sécurité qu'exigent ces traitements et des conditions fixées pour le transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers à l'Union.
En outre, contrairement à la proposition de règlement, aucune disposition particulière n'est prévue en ce qui concerne le traitement de données relatives aux enfants, pourtant nécessaire en matière pénale.
Enfin, les rédactions retenues fragilisent parfois des garanties nécessaires. Par exemple, les distinctions entre les catégories de personnes concernées (mis en cause, témoin, victime, etc.) doivent être établies seulement « dans la mesure du possible ». Il semble normal d'informer la victime qu'elle figure dans un fichier, à la différence d'un mis en cause ou d'un suspect.
Le Sénat s'est toujours opposé à l'utilisation des données sensibles, notamment lors de l'examen des projets PNR, et la loi « Informatique et libertés » encadre strictement leur utilisation. Or, ses restrictions ne sont pas reprises dans le texte, qui définit de manière large les exceptions au principe d'interdiction du traitement de ces données : elles pourraient être utilisées lorsque le traitement est autorisé par une législation prévoyant des garanties appropriées - lesquelles ?
Les données biométriques, de plus en plus utilisées dans le cadre répressif, justifient un encadrement particulier, comme dans la proposition de règlement.
La durée de conservation ne doit pas excéder la durée nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont collectées ; aucun examen périodique de la nécessité de les conserver n'est prévu. Ces garanties sont insuffisantes.
Selon la CNIL, il convient que les limitations aux droits des personnes restent des exceptions à un principe général, y compris en matière de fichiers de police. Or, le texte est très évasif sur ce sujet. Les responsables de traitement doivent seulement prendre toutes les mesures raisonnables pour élaborer des règles transparentes et accessibles. L'absence de mention du droit d'opposition des personnes concernées est également problématique. Dans certaines situations, les personnes, les victimes d'infraction en particulier, doivent être en mesure de s'opposer au traitement de leurs données, à l'issue de la procédure judiciaire par exemple.
Enfin, les modalités concrètes d'exercice des droits des personnes concernées paraissent plus compliquées que dans la proposition de règlement, sans que cela soit justifié par les finalités des fichiers de police et de justice. Les transferts des données à des pays tiers constituent l'un des aspects les plus préoccupants du texte, comme du règlement d'ailleurs. Les responsables de traitement évalueront eux-mêmes le niveau de garantie, en dehors de tout cadre juridique et de tout contrôle. En outre, des règles devraient être prévues pour les transferts ultérieurs de données transmises initialement par un Etat membre. Celui-ci devrait pouvoir donner son accord avant que ses données puissent être re-transférées à un autre Etat par le destinataire du premier transfert.
Enfin, le texte prévoit l'obligation pour les Etats membres de renégocier tous leurs accords internationaux dans un délai de cinq ans après l'entrée en vigueur de la directive. Cette obligation apparaît peu réaliste, surtout dans un délai aussi court. Les ministères que nous avons auditionnés sont effrayés par cette perspective ; il n'a pas toujours été facile de parvenir à un accord et plusieurs dizaines de textes sont concernés.
Si le texte était adopté en l'état, le rôle et les pouvoirs des autorités de contrôle seraient en retrait par rapport à la loi française, mais aussi par rapport à la proposition de règlement. Le contrôle a priori de la CNIL serait réduit : la consultation préalable des autorités ne serait requise que dans les cas où le traitement créé contient des données sensibles et lorsqu'il utilise de nouvelles technologies susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux. En outre, cette consultation n'aurait lieu qu'à l'occasion de la création d'un nouveau fichier et non pas pour ses modifications ultérieures, d'où notre demande de conserver notre standard.
Le contrôle a posteriori de la CNIL pourrait également être remis en cause : de nombreux pouvoirs prévus dans le cadre du règlement ne sont même pas mentionnés, alors que la CNIL dispose, sauf exception, de pouvoirs similaires sur tous les traitements de données, quels que soient leur finalité ou le responsable du traitement.
Il faut absolument se prémunir contre un recul par rapport aux dispositions nationales en vigueur. C'est pourquoi je vous soumets cette proposition de résolution, qui sera transmise à la commission des lois, où, en accord avec son président, je présenterai une communication.
M. André Gattolin. - Il n'est pas toujours facile d'articuler règlements et directives. En mars dernier, nous avions dissocié la partie exploitation commerciale des données...
M. Simon Sutour, président. - En résumé, on facilite la vie des entreprises et on complique celle ces citoyens... La directive ne vise que le domaine judicaire et policier.
M. André Gattolin. - La CNIL a publié un communiqué le 16 janvier dernier au sujet du pré-rapport de M. Albrecht, rapporteur de la commission Libertés civiles, justice et affaires intérieures du Parlement européen. Elle l'approuve malgré des points de suspension sur le pré-référencement et la préservation du droit à l'oubli numérique. Comment cela s'articule-t-il avec la directive ?
M. Simon Sutour, président. - Il y a deux textes européens : un projet de règlement et un projet de directive. Chaque institution joue son rôle. Le Parlement européen doit se prononcer en avril prochain. Conformément à l'article 88, alinéa 4 et 6, de la Constitution, nous donnons notre point de vue : après le règlement, c'est le tour de la directive.
M. André Gattolin. - Je m'étonne du communiqué plutôt positif de la CNIL.
M. Simon Sutour, président. - M. Albrecht est rapporteur et le parlement européen devra se prononcer sur son rapport. En outre, même si le point de vue du Parlement est important, il faut aussi être attentif à la négociation qui est difficile au sein du Conseil. Lorsque nous avons reçu Mme Reding, nous pensions en avoir pour deux ans. Un an s'est écoulé et certains Etats, comme l'Allemagne, manifestent leur opposition.
M. André Gattolin. - Votre rapport me paraît excellent.
M. Jean-François Humbert. - En effet.
M. Simon Sutour, président. - Il y a des points communs avec l'examen du projet de règlement. J'ai auditionné le Secrétariat général des affaires européennes et les ministères concernés. Il faut protéger les citoyens sans empêcher la police d'agir. Va-t-on demander aux éventuels délinquants s'ils acceptent de figurer dans un fichier ? Nous avons également longuement entendu la CNIL.
M. Jean Bizet. - Je voterai cette proposition de résolution. Je considère que la position de la France est équilibrée. L'environnement est assez conflictuel, des incivilités se manifestent ça et là. L'utilisation des données pour protéger les biens et les personnes est fondamentale dans une démocratie. Cependant, il faut prévoir des garde-fous.
Le texte n'évoque pas les données à caractère commercial. Notre collègue Morin-Desailly traitera prochainement des cartes bancaires, au moyen desquelles certains organismes mettent la main sur des données à caractère commercial au prix exorbitant.
M. André Gattolin. - Tout à fait.
M. Jean Bizet. - Sachons distinguer entre les deux. Une certaine ouverture est nécessaire pour garantir la protection des biens et des personnes, sans aller trop loin cependant. Je suis surpris par la réaction allemande...
M. Simon Sutour, président. - Elle s'explique par sa structure fédérale. La différence des législations entre les Länder n'est déjà pas simple...
M. Jean Bizet. - Reste que pour lutter contre la délinquance et le terrorisme, nous devons utiliser le partage des données.
A l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution dans la rédaction suivante :