Mardi 18 décembre 2012
- Présidence de M. David Assouline, président -Audition de M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Relations avec le Parlement, et de M. Serge Lasvignes, Secrétaire général du Gouvernement
M. David Assouline, président. - Cette réunion devient un rendez-vous régulier, puisque nous en avions tenu une identique l'année dernière avec le Secrétaire général du Gouvernement, pour faire le point sur l'application des lois. L'exécutif s'emploie à cette tâche pour optimiser sa performance dans l'une de ses missions essentielles, tandis que nous y voyons un moyen de mieux contrôler la qualité et l'effectivité des normes que produit le Parlement. De fait, un des points faibles du système français n'est-il pas que nous produisons un nombre important de lois sans être assez attentifs aux conditions de leur application ? Malgré les progrès récents, le contrôle de l'efficience des textes sur le terrain demeure insuffisant. Pour assurer pleinement sa fonction, le Parlement doit faire face à ce chantier. A défaut, nous devrions nous résigner à une indifférence à l'égard du travail parlementaire, qui creuserait bien vite une distance entre les citoyens et leurs représentants, dangereuse pour notre démocratie.
Cette audition intervient cependant dans un contexte nouveau par rapport à l'an dernier. En raison de l'alternance, le contrôle de l'application des lois ne peut s'opérer comme la fois précédente : il ne portera pas sur la même période de référence, la précédente législature ayant pris fin le 30 septembre 2011. Sous la treizième législature, François Fillon avait fixé pour objectif que les décrets d'application d'une loi soient pris dans les six mois suivant son entrée en vigueur. Nous verrons ce qu'il en est. 30 septembre plus six mois, cela nous amène au 30 mars 2013, date à partir de laquelle nous pourrons établir un bilan. Sur cette base, notre rapport annuel de contrôle de l'application des lois devrait pouvoir être examiné par la commission en mai et en séance en juin 2013. Mais entre temps, un certain nombre de lois déjà promulguées pourront avoir été modifiées ou abrogées. Comment évaluer les décrets d'application en ce cas ?
Bien que nombre de nos collègues soient actuellement en séance publique, soyez assurés de la grande importance que les sénateurs attachent à ces questions : la réunion de l'année dernière avait ainsi donné lieu à des interventions nombreuses et utiles.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Relations avec le Parlement. - Le contrôle de l'application des lois est un sujet auquel le Sénat est particulièrement attentif, et la création de votre commission est une innovation que je tiens à saluer.
Dans les régimes parlementaires européens, le contrôle du Gouvernement est, avec l'exercice du pouvoir législatif, l'une des deux fonctions essentielles des assemblées. Le contrôle de l'application des lois y apparaît comme un prolongement naturel de l'activité législative. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013, la commission des finances de l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité un amendement de François Cornut-Gentille et Christian Eckert renforçant le pouvoir du contrôle du Parlement dans le cadre de la modernisation de l'action publique. Au Royaume-Uni, pays pionnier en la matière, le gouvernement a l'obligation de dresser un bilan de l'application effective des lois, sous le contrôle d'une commission mixte et paritaire, généralement présidée par un parlementaire de l'opposition.
A mon arrivée au ministère des Relations avec le Parlement, j'ai souhaité m'emparer de cette question et la traiter politiquement : en accord avec le cabinet du Premier ministre, nous avons constitué un Comité interministériel de l'application des lois (CIAL) que j'ai l'honneur de présider avec Serge Lasvignes. Mon parcours à l'Assemblée nationale m'avait montré l'importance de ce thème dans les relations entre les parlementaires et le Gouvernement ; en outre j'ai, comme la plupart d'entre vous, l'expérience d'un élu de terrain ; enfin, j'ai été convaincu de la pertinence de cette initiative en tant que professionnel du droit : ancien avocat, je connais les contraintes de l'action publique. En maintes occasions, j'ai pu vérifier que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », et quoi de plus inutile qu'une loi inutilisée ? Le Gouvernement en a pleinement conscience. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a regretté ces « lois bâclées qui ne sont jamais appliquées ». Pour autant, l'exigence de changement n'implique pas l'adoption en cascade de textes mal rédigés et mal évalués. On ne combat pas l'inertie par l'agitation, surtout en matière législative.
Quelques précisions sur la prolixité du législateur. Contrairement à une idée reçue, il ne vote pas plus de lois que par le passé : une cinquantaine par an. En revanche, les nouvelles lois sont de plus en plus longues : elles comptaient 20 articles en moyenne dans les années 1990, le double depuis une décennie. Paradoxalement, elles ne sont pas plus précises, et ne limitent pas davantage la marge du Gouvernement dans l'exercice de son pouvoir d'application ou celle du juge dans l'exercice de son pouvoir d'interprétation.
Nous pourrions aussi évoquer la prolixité du législateur européen. Le Gouvernement s'est engagé à poursuivre l'intégration des systèmes normatifs, tout en restant attaché au principe de subsidiarité, et il est toujours bon de s'interroger sur le niveau pertinent d'édiction des normes. Le ministère des Affaires européennes, comme le secrétariat général du Gouvernement, mène avec le secrétariat général des affaires européennes une démarche parallèle à la nôtre, sur la transposition des directives. La France est en effet l'un des pays les plus en retard dans la transposition des textes européens, ce qui nous contraint à des transpositions massives par voie d'ordonnance. Des exercices intéressants ont été menés, lors de l'adoption récente de la loi DADUE (diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière).
La modernisation de l'action publique est essentielle à la construction d'un nouveau modèle français alliant solidarité et compétitivité, dans le respect de nos engagements en matière de finances publiques. Notre ambition est de bâtir l'action publique plus juste, plus efficace et plus simple dont la France a besoin. Ce matin, lors de la première réunion du comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (Cimap), le Premier ministre a arrêté des mesures concrètes de simplification des normes et des démarches administratives. Leur mise en oeuvre sera effective dès le début de l'année 2013. Le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault a initié une nouvelle méthode d'élaboration des politiques publiques et des textes législatifs, qu'ont illustrée par exemple la conférence sociale ou, à propos de la récidive pénale, la conférence de consensus.
Rien ne justifie le retard accumulé dans la mise en application des dispositions votées par le Parlement. Faire en sorte que la loi s'applique rapidement est une exigence démocratique. L'ignorer minerait la fiabilité et l'efficacité du Gouvernement, ainsi que le respect dû à la représentation nationale. Le Président de la République et le Premier ministre l'ont rappelé : le travail gouvernemental doit respecter votre pouvoir de contrôle de l'action du gouvernement. Le souci légitime de sécurité juridique impose que le délai inévitable entre l'adoption d'une loi et sa traduction réglementaire demeure limité. Dans l'intervalle, déterminer le droit applicable est un exercice incertain : il est en effet délicat de distinguer les dispositions suffisamment précises pour être applicables par elles-mêmes, de celles qui nécessitent des mesures réglementaires.
Le CIAL a vocation à réduire cette incertitude. Il est composé de représentants des cabinets ministériels et de l'ensemble des correspondants ministériels chargés de l'application des lois. Une circulaire interministérielle précise que toutes les mesures nécessaires à l'application d'une loi doivent être prises dans les six mois suivant sa publication. L'objectif est maintenu, et il sera respecté. A cette fin, le CIAL se réunit en deux formations. Le comité plénier, d'abord, coprésidé par le ministre et le Secrétaire général du Gouvernement, et composé des membres des cabinets ministériels et de l'ensemble des correspondants ministériels, se réunit trois à quatre fois par an - il a tenu ses premières réunions les 26 juillet et 19 novembre derniers - et fournit à l'ensemble des acteurs le moyen d'échanger sur d'éventuels blocages politiques ou retards avérés. Ensuite le comité opérationnel, sous l'autorité du Secrétaire général du Gouvernement, assure le suivi technique des décisions du comité plénier.
Pour ce qui concerne les statistiques d'application des lois, nous devons d'abord tenir compte des mesures à l'entrée en vigueur différée : 66 mesures entreront en vigueur en 2013, dont 37 au 1er janvier et 28 en septembre. Elles concernent essentiellement le ministère de l'Intérieur et celui de l'Ecologie. Le Sénat a été fortement mobilisé à ce propos, notamment avec l'adoption de la proposition de loi présentée par Jean-Pierre Sueur relative aux juridictions de proximité.
Par ailleurs, le Gouvernement n'entendant pas prendre les décrets d'application de certains dispositifs, une loi d'abrogation des lois, suivant une formule empruntée au droit nord-américain, pourra être envisagée le moment venu. Cette préoccupation fait écho à la décision n° 16 du Cimap, relative à la limitation de l'inflation normative, selon laquelle toute création de normes nouvelles doit s'accompagner de l'abrogation d'un volume de normes équivalent.
Le taux d'application des lois de la treizième législature, avoisine les 89 %. J'ai pris connaissance avec satisfaction des éléments d'appréciation de votre rapport sur la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle. Il est encore trop tôt pour évaluer l'application des lois sous la présente législature. Les premières lois, comme celle relative aux emplois d'avenir par exemple, trouveront toutefois une application rapide. Plus du tiers de ses décrets d'application est déjà entré en vigueur. Nous visons l'objectif de 100 % ; nous serons comptables des efforts effectués pour l'atteindre, et en tiendrons le Parlement régulièrement informé. La quatorzième législature enregistre pour l'heure un taux de 38 % d'application des lois, un chiffre purement indicatif puisque le délai de référence des six mois est à peine entamé.
Le CIAL a dégagé, en même temps que des pistes de réflexion, des éléments d'échange et de débat avec le Parlement. Tout d'abord, la gestion des procédures de rédaction puis de parution des décrets et des circulaires n'est pas le point fort des ministères, malgré l'action déterminante du secrétariat général du Gouvernement : l'aiguillon politique manque souvent. Pour les responsables politiques, l'adoption d'un texte compte davantage que son application pleine et entière. Les consultations posent en outre de nombreux problèmes : elles sont multiples, et leur intérêt n'est pas toujours clair. Un grand travail d'identification a été conduit, et des décisions prises, sur la base desquelles nous pourrons débattre, car il ne s'agit pas seulement d'assurer le service après vote. A titre prospectif, je trouverais utile, par exemple, d'engager une réflexion sur la formation des fonctionnaires d'État qui participent à la rédaction des textes d'application : tout autant que l'accélération des procédures de contreseing, j'y vois une piste d'amélioration de la qualité et de la célérité des entrées en vigueur.
Nous sommes les interlocuteurs naturels de votre commission et nous prendrons connaissance avec intérêt de votre prochain rapport annuel sur l'application des lois. La séance plénière du CIAL du mois de mai fournira l'occasion de dresser un premier bilan de la première année de la législature. Je souhaite que notre collaboration soit la plus fructueuse possible, au service de l'efficacité de la loi et de l'intérêt de nos concitoyens.
M. David Assouline, président. - Merci pour les pistes que vous tracez.
Monsieur le Secrétaire général du Gouvernement, vous aviez appris beaucoup de choses l'année dernière aux membres de cette commission, y compris aux parlementaires les plus chevronnés. L'an passé, Patrick Ollier m'avait communiqué une fiche quasi confidentielle retraçant les treize phases de l'élaboration et de la validation d'un décret. Comment simplifier ce parcours presque kafkaïen ?
M. Serge Lasvignes, Secrétaire général du Gouvernement. - Mon approche de ces questions est technique et pratique. Je remercie M. le ministre d'y ajouter l'influx politique, indispensable à ce type d'exercice.
Lors de notre échange du 10 janvier dernier, vous m'aviez reproché, monsieur le président, avec le sénateur Kaltenbach, de n'avoir abordé le contrôle de l'application des lois que sous l'angle quantitatif. Nous avons donc réfléchi à une approche davantage qualitative. Nous souhaitons d'abord perfectionner les indicateurs qui figurent dans le rapport annuel de performance annexé au projet de loi de finances, pour y ajouter un indice de célérité, distinguant les décrets pris dans le délai normal de six mois, dans le délai -encore acceptable- de six à douze mois ou, ce qui paraît plus critiquable, dans un délai supérieur. Un tel outil reste toutefois à mi-chemin entre le qualitatif et le quantitatif. Pour aller plus loin, vous suggériez de distinguer les décrets importants des décrets accessoires. Nous pourrions à tout le moins utiliser les rendez-vous prévus par la loi de 2004 pour examiner le rapport que doit produire chaque ministère sur le bilan de l'application des lois six mois après leur adoption, outil que ne connaissent pas toujours les parlementaires...
M. David Assouline, président. - Vous voulez dire jamais !
M. Serge Lasvignes. - Un tel travail reste à mener ! Il ferait apparaître si l'essentiel de l'application d'une loi a été réalisé, et mettrait en lumière les points de résistance.
Le comité de ce matin a pris des décisions qui auront des implications pratiques immédiates. J'en retiens quatre grandes orientations.
Sur les conditions d'élaboration des décrets d'abord : le Président de la République et le Premier ministre souhaitent mieux évaluer l'impact des textes réglementaires adoptés, notamment sur les collectivités territoriales, les PME et les entreprises de taille intermédiaire. Dans ce but, nous relancerons et réexaminerons les techniques de consultation. Une centaine de commissions consultatives désuètes ou insuffisamment vivaces sont en voie de suppression, sur les 700 commissions existantes. Un nouveau rendez-vous sera pris avec les ministères pour cartographier les instances existantes et en fusionner ou en supprimer davantage. Nous avons été surpris de constater que chaque direction, chaque bureau créait une commission sans que les responsables du ministère en soient nécessairement informés, au point qu'on en découvrait parfois l'existence lors de nos réunions de travail...
Nous souhaitons en outre développer la consultation publique. Je suggère -mais l'idée n'a pas encore été soumise au Premier ministre- de rénover le Journal Officiel pour y présenter non seulement les nouveaux textes mais aussi, comme au Canada, les textes en projet, et en faire ainsi un instrument permettant de recueillir l'avis du public sur la réglementation en projet. Les procédures de consultation diligentées par les ministères sont aujourd'hui trop dispersées sur leurs sites Internet respectifs. Enrichir la consultation publique nécessite également de mettre en ligne le plus grand nombre possible d'études d'impact sur les projets de décrets importants. Au-delà, des tests pourraient être menés sur les entreprises concernées par un changement de réglementation nationale ou européenne, en liaison avec le futur Commissariat à la stratégie et à la prospective, sorte d'émanation du Commissariat au Plan dont le Premier ministre a annoncé la création. Un haut-fonctionnaire certificateur, placé auprès du Secrétaire général du Gouvernement, vérifierait non seulement que la procédure a été respectée, mais aussi -et surtout- que le texte ne sur-règlemente ou ne sur-transpose pas la norme d'origine. Tout cela sans ralentir les délais globaux de parution des mesures d'application des lois, objectif ambitieux qui suppose de rompre avec l'approche séquentielle qui prévaut dans les ministères pour tuiler les procédures.
Deuxième piste tracée par le Cimap : les principaux textes seront évalués au bout de quatre ans de mise en oeuvre. Cela suppose une certaine organisation, à laquelle pourrait veiller le Commissariat à la stratégie et à la prospective.
Troisième piste : la simplification administrative. Des plans de simplification seront élaborés au niveau interministériel sur les dossiers sensibles ou générateurs de lourdeurs administratives. Le Premier ministre confiera en outre une mission spéciale à des parlementaires sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.
Nous nous attaquerons au problème des circulaires. Un préfet reçoit actuellement en moyenne 80 000 pages de circulaires par an, si bien qu'en pratique, il n'en lit aucune ! Un premier pas a consisté à tracer la circulation des circulaires ; nous devons aujourd'hui travailler sur la régulation de leur volume. Nous nous inspirerons à ce propos de cette tradition anglo-saxonne qui consiste à supprimer une norme lorsque l'on en crée une nouvelle, tout en veillant à harmoniser l'application des lois.
Enfin, dernier axe de modernisation dégagé par le Cimap : améliorer l'accès au droit. Les efforts de codification seront poursuivis. Certains codes doivent être rénovés, comme le code électoral - il y a un projet, il faut le finaliser, bien que la période ne soit jamais la bonne - ou le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, sans parler du code général des impôts, qui n'est pas un code législatif proprement dit mais un code réglementaire... Nous ambitionnons de créer un code des relations entre l'administration et les usagers -hors procédures contentieuses- dans lequel les citoyens trouveraient rassemblées toutes les procédures à suivre pour adresser une demande ou pour obtenir une décision motivée, les délais d'une décision explicite ou implicite, les modalités de consultation des documents administratifs, etc... Je crois important de souligner que ce code ne serait pas réalisé à droit constant, mais qu'il aurait vocation à rassembler des lois pour le moment éparses tout en simplifiant les aspects les plus délicats de cette matière.
L'ensemble de ces chantiers serait coordonné par un Commissaire général à la simplification - la dénomination importe peu -, haut fonctionnaire auprès du secrétaire général du gouvernement.
M. David Assouline, président. - Attention à ne pas confondre les missions : si l'exécutif a besoin de contrôler l'application des lois pour dynamiser la mise en oeuvre des décisions, le Parlement, lui, contrôle l'action du Gouvernement. Le Gouvernement dispose de moyens gigantesques -j'en veux pour preuve qu'il est en mesure d'élaborer 80 000 pages de circulaires par an- tandis que notre commission doit se contenter de moyens incomparablement plus modestes, ne serait-ce que si on regarde ceux dont disposent les membres du Congrès américain. C'est pourquoi nous n'avons d'autre choix que de nous en remettre aux vôtres... Les pistes que vous annoncez peuvent améliorer les choses, mais prenons garde à ne pas mélanger les rôles : vous vous intéressez avant tout à la manière dont l'administration écrit les règlements, mais nous, nous avons besoin de savoir si c'est bien la volonté de législateur qui s'applique à travers ces textes, et de veiller à ce que le Gouvernement ne la déforme pas.
Je réitère une question que j'évoquais déjà l'an dernier : le rapporteur d'un texte de loi ne devrait-il pas être associé à la phase d'écriture de ses mesures d'application ? Le rapporteur est le véritable porteur de l'intention du législateur. Çà n'est bien sûr pas à lui d'écrire les décrets, mais il devrait être là pour éclairer les rédacteurs sur l'intention du législateur lorsqu'il a adopté tel ou tel article. Or, d'après tous les rapporteurs que j'ai consultés, ce n'est jamais le cas : une fois le texte voté, ils ne sont plus informés.
Par ailleurs, comme vous l'avez signalé, la loi prévoit que le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport relatif à l'application d'une loi six mois après son entrée en vigueur. Sauf erreur de ma part, à ma connaissance, nous ne voyons jamais passer ce genre de rapport...
M. Serge Lasvignes. - Ces rapports existent pourtant, même s'il est vrai qu'il manque 43 rapports sur 172, et qu'ils sont de qualité inégale...
M. David Assouline, président. - Donc les deux tiers des rapports existent, mais le Parlement n'en a pas toujours connaissance et je dois dire que la commission sénatoriale de contrôle de l'application n'en a jamais vraiment entendu parler, alors que c'est son coeur de métier ! Je crois qu'il y a là une lacune à laquelle il serait facile de remédier rapidement...
Le Sénat, qui représente en particulier les collectivités territoriales, se réjouit que le Président de la République et vous-mêmes soyez engagés dans la simplification des normes. Depuis que le Sénat a instauré un mécanisme spécifique de contrôle de l'application des lois en 1972, nous avons constaté qu'il y a des lois obsolètes. Ne serait-il pas souhaitable de les recenser et de les abroger. Que le législateur fasse ainsi le ménage donnerait un signe positif à l'opinion publique.
M. Jean-Pierre Michel. - Je remercie le Secrétaire général du Gouvernement pour sa présence : en vingt ans de mandat de député, je n'avais jamais vu de Secrétaire général du Gouvernement venir expliquer aux parlementaires comment se déroule l'écriture des décrets d'application. C'est un point à mettre au crédit de notre commission.
Pour autant, je reste dubitatif sur la proposition que vient d'émettre notre président en ce qui concerne le rôle des rapporteurs après le vote d'une loi. Je suis attaché à la séparation des pouvoirs. Le pouvoir réglementaire appartient au Gouvernement. Je suis donc hostile à ce que nous participions, aussi bien en amont à des entretiens préparatoires à la confection de la loi, qu'en aval à la rédaction des décrets : il est de la seule responsabilité du Gouvernement de les prendre, à charge pour le pouvoir judiciaire d'examiner les recours qu'ils peuvent susciter -et il y en a. En revanche, les commissions ont en effet vocation à être informées régulièrement de la parution des textes, ce qui est loin d'être le cas.
Une loi qui abrogerait toutes les lois obsolètes, pourquoi pas ? J'en serais volontiers rapporteur ! Surtout, pourrait-on mieux informer notre commission du travail de la commission de codification ? Codifier à droit constant, ou le cas échéant en modifiant et supprimant les dispositions dépassées, est une tâche capitale.
M. Jean-Claude Lenoir. - Je rejoins Jean-Pierre Michel sur la nécessité de respecter la séparation des pouvoirs, mais nous devons pourtant contrôler ce qui sort en aval de l'adoption de la loi. Les rapporteurs devraient jouer un rôle, car ce sont ceux qui connaissent le mieux les textes. Ce serait à eux de vérifier, pour le compte de leur commission et de leur assemblée, l'état de la mise en oeuvre d'un texte, de ses décrets d'application, sans oublier ses circulaires. Tout le monde sait que certaines circulaires -certes, quelques-unes seulement parmi les 80 000 pages qui sortent chaque année- ont parfois procédé à des interprétations en contradiction tant avec la lettre qu'avec l'esprit de la loi.
Vous avez raison : il serait bon de supprimer des lois obsolètes. C'était d'ailleurs l'objet du travail de Jean-Luc Warsmann lorsqu'il présidait la commission des lois de l'Assemblée nationale sous la précédente législature : il faisait supprimer chaque année 250 ou 280 dispositions devenues sans objet, Alain Vidalies s'en souvient forcément. Or, depuis le changement de majorité en octobre dernier au Sénat, la nouvelle majorité a renvoyé son travail aux oubliettes, en considérant que la méthode ne convenait pas, et que le Président Warsmann aurait profité de l'occasion pour faire adopter des dispositions nouvelles, ce qui était du reste faux. Je me réjouis que vous vous ralliiez enfin à ses propositions, monsieur le Président...
M. Alain Vidalies, ministre délégué. - Je m'inscris en faux contre l'idée selon laquelle les propositions de loi de Jean-Luc Warsmann -j'ai été un témoin privilégié de son travail- soient toujours restées cantonnées au champ qui leur était fixé. Par exemple, je doute que remettre en cause l'arrêt de la Cour de cassation selon lequel en cas de licenciement collectif, l'accord individuel des salariés reste indispensable dès lors que l'on touche aux conditions substantielles du contrat de travail, soit une mesure de stricte simplification. Autre exemple : l'une des propositions de loi Warsmann modifiait les conséquences de la découverte de travail illégal dans le cadre de marchés publics, ce qui avait suscité de très longs débats. Le summum a été atteint à la fin de la législature, lorsque nous avons passé deux nuits entières à examiner des amendements de 15 pages, par exemple, sur les mobil homes dans les campings sauvages... Etienne Blanc, le rapporteur, a eu beaucoup de mérite à supporter le retour opportuniste de toutes les propositions rentrées depuis le début de la législature.
Je le dis avec regret, le travail de Jean-Luc Warsmann, qui était pourtant nécessaire, a été perverti. De nombreuses dispositions obsolètes ont été supprimées, mais il en reste encore un certain nombre. Nous ne réfléchissons pas seulement aux dispositions réellement désuètes, comme l'interdiction du port du pantalon pour les femmes : nous pensons également à supprimer purement et simplement des dispositions avec lesquelles nous ne sommes pas d'accord, comme la rétention de sûreté. C'est un dispositif juridique que nous ne souhaitons pas remplacer, mais que nous voulons effacer totalement, ce qui nous conduit à réfléchir au vecteur législatif approprié. De même le Gouvernement n'entend pas prendre de textes d'application sur plusieurs autres lois votées antérieurement. Si le Président de la République et le Premier ministre en sont d'accord, le Gouvernement pourrait vous présenter une loi d'abrogation, et non de simplification.
Le Président Assouline a par ailleurs ouvert un autre débat d'envergure. De fait, dans votre mission de contrôle, vous ne disposez que des moyens que le Gouvernement met à votre disposition, mais les objections juridiques, voire constitutionnelles avancées par Jean-Pierre Michel ne peuvent être ignorées : la séparation des pouvoirs et la hiérarchie des normes doivent être respectées. Cela étant, faites-vous des semaines de contrôle une utilisation optimale ? Pourquoi ne pas consacrer une partie de ces rendez-vous à examiner l'application des lois ?
Je rends un hommage appuyé au travail de la commission supérieure de codification. J'y ai été nommé jeune député, et le Doyen Patrice Gélard m'y a accueilli avec un sourire gourmand : j'ai rapidement compris que sans les fonctionnaires qui nous y aidaient, il serait impossible de mener cette tâche à bien ! Peut-être serait-il plus utile de disposer d'un compte rendu des travaux de cette commission, plutôt que de vouloir en être acteur.
M. François Trucy. - Je remercie le Président d'avoir organisé cette importante audition. L'exécutif prend à coeur l'exécution de la loi et son contrôle, et l'initiative du Sénat n'y est sans doute pas étrangère. J'ai été surpris, admiratif puis atterré en découvrant l'importance des dispositifs mis en oeuvre par le Gouvernement, et que pèse le travail de notre commission face aux moyens et au volontarisme de l'exécutif ? Il y a là, à mon avis, un réel problème d'équilibre. Que notre travail ne vous satisfasse pas serait très démotivant pour nous. Nous n'écrivons pas les décrets, certes, mais nous votons la loi ; qu'advient-il de celle-ci si des années après, un nouveau gouvernement modifie un décret d'application ? En outre, quel compte tiendrez-vous de nos remarques sur les décrets ?
M. Yves Détraigne. - Les pistes ouvertes par M. le Secrétaire général du Gouvernement m'inquiètent : les études d'impact sur les décrets ne risquent-elles pas d'en retarder la publication, alors que le ministre souhaite rester dans le délai de six mois suivant la promulgation de la loi ? Ne risque-t-on pas d'ajouter de la lenteur, de la complication et de la bureaucratie ? Faut-il tout encadrer et tout codifier, y compris les relations de l'administration avec les usagers ? La codification est une propension bien française, mais le remède risque d'être pire que le mal, il faut donc aborder cette question avec prudence.
Les circulaires ont une importance déterminante : la vraie norme de référence, pour les préfets et les directeurs départementaux c'est la circulaire ; ils attendent donc sa parution pour répondre aux demandes des élus locaux. Avec 80 000 pages de circulaires, comment voulez-vous que les préfets, les collectivités et leurs services respectifs s'y retrouvent ? Le résultat de ce dévoiement est que faute de tri et d'analyse préalables, les circulaires nous sont communiquées telles quelles, in extenso, et c'est aux élus locaux de se retrouver dans ce maquis. A force de vouloir tout encadrer, la circulaire complique les choses et provoque l'insécurité juridique : l'enfer est pavé de bonnes intentions.
M. Marc Laménie. - A mon tour de saluer la présence du ministre et du Secrétaire général du Gouvernement. Cette réunion est particulièrement instructive.
Nos collègues de la commission des lois sont en première ligne dans cette affaire. Pour ma part, bien qu'élu au Sénat depuis 2007, je ne suis pas sûr de savoir exactement combien nous avons de codes : et pourtant combien d'articles modifient chaque loi que nous votons ? A côté de quelques grands codes bien connus, il existe un grand nombre de codes dont j'ignorais même l'existence.
Avec les nouveaux moyens de communication, nous sommes assaillis de mails, noyés sous le papier, y compris dans les plus petites communes : oui, trop d'informations tue l'information. Malgré leur dévouement, les agents des grandes administrations sont traités à la même enseigne. Ajouté au cloisonnement des services, cela se répercute au quotidien sur les usagers. Sénateur de base, je peux bien dire ce que d'autres n'avoueront pas : il vient un moment où malgré toute notre bonne volonté, nous n'arrivons plus à suivre. M. Warsmann, élu des Ardennes comme moi, s'était attelé à ces questions. Mais comment faire évoluer le système ? Je prendrai simplement l'exemple de nos trois fonctions publiques : quand un agent même à temps partiel change de grade, une malheureuse petite commune comme la mienne est tenue de prendre une délibération visant non seulement la loi du 26 janvier 1984, que chacun connaît bien, mais aussi tous les textes subséquents. Une bien grande complexité pour une petite chose ! Les services des grandes collectivités peuvent sans doute agir dans les règles de l'art, mais ailleurs, il faut bien du mérite, car ce n'est pas simple, même pour les plus avertis.
M. David Assouline, président. - Je vous remercie d'avoir exprimé ce que je serais tenté de qualifier la détresse du sénateur de base.
Pour lever toute ambigüité sur la question de l'intervention du rapporteur, loin de moi l'idée de remettre en cause la séparation des pouvoirs ; l'objet de cette proposition n'est pas qu'ils ne rédigent les décrets, mais qu'au moins ils puissent suivre leurs lois ! Or, les moyens de contrôle du Parlement sont quasiment inexistants et totalement tributaires de la bonne volonté du Gouvernement : curieuse méthode que de demander à celui que l'on contrôle de nous fournir les éléments pour le faire.
M. le ministre nous a fait une suggestion très intéressante : faire en sorte que les semaines de contrôle soient consacrées, en partie, à l'application des lois, non pas pour refaire le débat de fond sur des lois déjà votées mais pour voir comment elles sont appliquées sur le terrain. Si le Gouvernement y est prêt, pourquoi ne pas prévoir de tels débats concrets ? Je le suggèrerai au Président ou à la Conférence des Présidents.
M. Serge Lasvignes. - J'ai cru comprendre que M. Trucy reprochait au Gouvernement d'être trop bon élève en matière de simplification. Nous voulons éviter toute sur-réglementation dans le flux des nouveaux décrets qui sortent, et dans le même temps alléger le poids de la réglementation dans le stock actuel. Les élus locaux nous réclament cet exercice, et la Commission consultative d'évaluation des normes le demande très ardemment.
M. François Trucy. - Çà n'était pas un reproche, mais un soupçon, et je ne vous soupçonnais que d'une chose : de ne pas vous inspirer beaucoup de nos travaux dans votre propre activité normative, et introduire vos propres modifications aux textes anciens.
M. Serge Lasvignes. - Monsieur Détraigne, je déteste les procédures inutiles. Une administration responsable ne saurait être indifférente à l'effet des règles qu'elle édicte. Faire une étude d'impact, c'est simplement se demander quel effet va produire le décret qu'on s'apprête à rédiger. C'est préférable à la rédaction en chaîne de circulaires pour justifier de son existence. Cet exercice n'a rien de formel et nous veillerons à ce qu'il n'allonge pas les délais.
Concernant les relations entre les usagers et l'administration, il ne s'agit pas d'ajouter des règles aux règles, mais de faire en sorte que les usagers n'aient pas besoin d'un avocat pour connaître leurs droits. La codification simplifie le droit en organisant de façon compréhensible diverses lois.
J'ai enfin pris bonne note du sentiment terrifiant de complexité que peut avoir un élu.
M. Alain Vidalies, ministre délégué. - Nous avons 58 codes, 2 000 lois, 26 000 décrets, soit 136 000 articles pour les seuls décrets règlementaires, monsieur Laménie. En outre, le volume des lois a doublé depuis les années 1990. Voilà des chiffres qui peuvent en effet alimenter vos inquiétudes.
Une discussion approfondie sur l'application des lois entre le législatif et l'exécutif serait la bienvenue. Le principe de la séparation des pouvoirs fait que nous enregistrons les initiatives prises par les assemblées, mais leurs pratiques ne sont pas homogènes. Ainsi, certaines commissions permanentes assurent le suivi de leurs lois tandis qu'au Sénat, une commission pour le contrôle de l'application des lois mène ses propres investigations ; ici une commission spécifique, là un comité d'évaluation doublé par une action spécifique des commissions, sans oublier le rapport que vous évoquiez. Quand il présidait la commission des lois de l'Assemblée nationale, sous la précédente législature, M. Warsmann demandait au rapporteur et à l'orateur principal de l'opposition de dresser un bilan de l'application de la loi six mois après sa promulgation. Le président actuel de cette commission, M. Urvoas, semble vouloir poursuivre dans cette direction. C'est une procédure incitative : quand de tels rendez-vous sont fixés, l'exécutif, qui souhaite apparaître sous son meilleur jour, accélère la parution des textes règlementaires. Pour simplifier les choses, peut être faudrait-il que le Sénat et l'Assemblée nationale adoptent le même modèle de contrôle : l'exécutif serait sensible à ce gage de la sincérité de la démarche.
M. David Assouline, président. - Nous aimerions bien que l'Assemblée nationale retienne notre exemple : le Sénat a voulu être précurseur, pas original ! Peut être faudrait-il que nos deux assemblées harmonisent leurs moyens de contrôle. En attendant, chaque commission pourrait produire un rapport d'exécution sur les lois de son ressort. Pour notre part, nous avons travaillé sur sept lois et nous venons de lancer sept nouvelles évaluations. Au-delà du rapport annuel sur l'application des lois, nous travaillons également sur le fond.
Il ne serait pas juste que des propos aussi riches aient peu d'écho aussi veillerai-je à diffuser le compte rendu de cette audition à tous nos collègues. En outre, pourquoi ne pas prévoir, lors de la présentation de notre rapport annuel, une table ronde avec vous, monsieur le Ministre, le cas échéant avec des représentants des collectivités territoriales et des membres du corps préfectoral ?
Questions diverses
M. David Assouline, président. - A la demande du président Raoul, M. Lasserre, président du groupe d'étude sur le tourisme, pourrait travailler avec MM. Carvounas et Nègre sur le rapport « Pertinence du dispositif légal encadrant l'industrie du tourisme en France ». Le rapport sur le Grenelle de l'environnement de Mme Rossignol et de M. Nègre pourrait être présenté le 16 janvier, lors d'une réunion commune avec la commission du développement durable. Pour influer utilement sur les décisions, le rapport « Couverture numérique » de MM. Rome et Hérisson pourrait être présenté fin janvier, avant le séminaire gouvernemental prévu sur le même thème. Le rapport sur l'industrie du tourisme serait présenté en juin, soit deux ans après le rapport de l'Assemblée nationale sur le même sujet, ce qui évite les redites. Enfin, le rapport annuel sur l'application des lois pourrait être examiné par la commission en mai, pour un débat en séance publique en juin.
Pour les autres rapports, il me semble très souhaitable que les rapporteurs échelonnent leurs dates de présentation entre février et juin.
Désignation d'une vice-présidente
M. David Assouline, président. - Il nous faut compléter le bureau de notre commission en raison de la nomination de Mme Escoffier au Gouvernement, et de la cessation du mandat sénatorial de Mme Borvo Cohen-Seat.
Mme Isabelle Pasquet est élue vice-présidente au titre du groupe du CRC, le groupe du RDSE étant invité à désigner son candidat pour la prochaine réunion.