- Jeudi 29 novembre 2012
- Économie, finances et fiscalité - Projet de taxe sur les transactions financières (texte E 7838) - Proposition de résolution européenne de Mme Fabienne Keller
- Économie, finances et fiscalité - Chypre et la crise de l'euro - Rapport d'information de M. Jean-François Humbert
- Subsidiarité - Protection des ressources génétiques - Communication et proposition de résolution européenne portant avis motivé de M. Jean Bizet
Jeudi 29 novembre 2012
- Présidence de M. Simon Sutour, président -Économie, finances et fiscalité - Projet de taxe sur les transactions financières (texte E 7838) - Proposition de résolution européenne de Mme Fabienne Keller
M. Simon Sutour, président. - La taxe sur les transactions financières (TTF) est un projet au long cours, sur lequel nous avons entendu plusieurs rapports d'étape depuis un an, et qui n'est pas encore parvenu à son terme.
Mme Fabienne Keller. - Au long cours, mais d'actualité : les rebondissements sont nombreux ! Ce que je vais vous présenter est une conclusion provisoire, mais j'espère que la commission pourra reprendre ce sujet, peut-être sous une forme moins solennelle, en organisant par exemple une table ronde. Le travail est loin d'être achevé.
Le 28 septembre 2011, la Commission européenne a fait une proposition de directive visant à instaurer un système commun de taxe sur les transactions financières dans l'Union. Des divergences insurmontables n'ont pas tardé à apparaître entre les États membres, sur ce projet qui, étant de nature fiscale, implique la règle de l'unanimité. Il fut donc constaté, lors des réunions des 22 juin et 10 juillet derniers, l'impossibilité d'instaurer un tel système dans l'ensemble du territoire de l'Union européenne.
Une solution à cette impasse est apparue dans le recours à la coopération renforcée. Déjà utilisée par deux fois, sur le divorce et sur les brevets, cette procédure semble pouvoir l'être aussi en matière de fiscalité - nous verrons... Onze États membres, la Belgique, l'Allemagne, l'Estonie, la Grèce, l'Espagne, la France, l'Italie, l'Autriche, le Portugal, la Slovénie et la Slovaquie ont donc fait officiellement la demande, le 9 octobre, d'instaurer entre eux une coopération renforcée. Trois autres pays réfléchissent. La Commission devra soumettre au Conseil une nouvelle proposition de taxe. Elle a laissé entendre que le texte ne différerait pas beaucoup de celui qu'elle avait élaboré en 2011.
Nous sommes tous, je crois, favorables à ce projet, même si nous ignorons encore les contours précis de cette future taxe. Nous sommes aujourd'hui consultés sur le texte du Conseil qui autorise la coopération renforcée, et qui fera l'objet au mois de décembre d'un vote à la majorité qualifiée. La décision appartient à l'ensemble des États membres, y compris donc ceux qui ne veulent pas coopérer... Les grandes manoeuvres ont donc commencé. Il faudra rallier nos partenaires non plus au projet lui-même, mais à l'idée de laisser faire ceux qui veulent le mettre en oeuvre.
Si cette coopération renforcée est autorisée, alors commencera la négociation entre les onze États, qui n'ont bien sûr pas la même idée de ce que doit être cette TTF : certains chercheront un compromis a minima pour inciter davantage d'États à rejoindre le mouvement, d'autres viseront un résultat plus ambitieux pour les onze États déjà impliqués. Il m'a donc semblé utile d'adresser au Gouvernement, par une résolution, des pistes indicatives sur les principes généraux qui doivent guider cette négociation si on veut la faire aboutir tout en protégeant les intérêts de notre pays.
Évoquée dès 1936 par Keynes, la taxe sur les transactions financières a été théorisée, au moins pour le marché des changes, en 1972 par Tobin. En tant qu'idée, la TTF a de très nombreux défenseurs. Quand on parle de la mettre en pratique, le nombre des détracteurs grossit et le consensus s'effrite. La crise de 2008 a donné une nouvelle jeunesse à cette idée. Les établissements financiers ont été à l'origine des difficultés. Or les États ont volé au secours du système bancaire. Il semblait donc juste que le secteur financier apporte en retour une contribution équitable et substantielle aux grands équilibres des finances publiques, et la TTF a paru être un instrument adapté à ce dessein. On en escompte également un effet de frottement susceptible de réduire le volume parfois déraisonnable des transactions spéculatives.
D'autres voies étaient possibles pour taxer le secteur financier : c'est un argument mis en avant par le Royaume Uni, qui a exprimé son accord sur le diagnostic, mais pas sur le remède. Mon rapport décrit les autres formes de taxation existantes, autant de prototypes : le droit de timbre suisse, le stamp duty britannique, la TTF française introduite par le précédent gouvernement en février 2012. Moins ambitieux que le projet européen de TTF, ils ont le mérite d'avoir été éprouvés. Sur les raisons de l'échec des négociations en 2011, je vous renvoie à mon rapport écrit.
Pour que la procédure de coopération renforcée se mette en place, il fallait réunir neuf États ; nous sommes onze, et les Pays-Bas et le Luxembourg n'excluent pas de se rallier, mais en posant des conditions très strictes : exonération des fonds de pension, affectation du produit de la taxe aux États, prise en compte de la fiscalité touchant le secteur financier. Ce n'est pas rien !
Si le Conseil se prononce en faveur de cette coopération renforcée, la Commission devra présenter un nouveau texte, simple adaptation je l'ai dit du texte de 2011. Hélas, l'intransigeance annoncée du commissaire européen Semeta risque de décourager les candidats à cette coopération renforcée. Les Britanniques cherchent à bloquer le processus en alléguant qu'on ne connaît pas les contours du projet.
Quatre points seront en débat : l'assiette de la taxe, son champ territorial d'application, son taux et enfin le partage de son produit - budgets nationaux, budget européen, aide au développement ? L'unanimité des onze États est requise. La procédure est donc longue et incertaine. La TTF française créée en 2012 pourra certainement servir de modèle car il s'agit d'un compromis réaliste.
M. Simon Sutour, président. - Je vous propose de débattre sur le rapport avant d'examiner la proposition de résolution. J'ai suggéré une résolution plutôt qu'un avis politique adressé à la Commission européenne, pour tenir compte du stade où nous en sommes.
Mme Fabienne Keller. - Une proposition de résolution n'a pas la force d'un avis politique...
M. Richard Yung. - L'idée d'exprimer notre sentiment au Gouvernement, qui va négocier avec la Commission et avec ses dix partenaires sur ce dossier, me paraît meilleure que celle d'adresser un avis politique directement à la Commission.
Nous sommes tous, je crois, très favorables à un tel projet, dont on débat en effet depuis des décennies, et qui a fini par faire son chemin ! Il faudra réfléchir à l'articulation de la taxe européenne avec la TTF française, et avec les autres taxes qui existent déjà. Je pense que l'assiette doit être aussi large que possible, et surtout inclure les produits dérivés, dont le volume d'opérations est énorme. Le problème des exonérations est difficile... Le champ territorial d'application est délicat à définir. Il faudra éviter qu'on aboutisse à des délocalisations, et qu'une entreprise allemande, par exemple, émette des obligations depuis Singapour. Le taux devra être très bas, contrepartie d'une assiette large : par exemple 0,01 % pour les produits dérivés, et 0,1 % pour les actions et obligations.
Quant au partage du produit, il est l'acte politique important de ce projet : il faut une affectation intégrale au budget de l'Union européenne, quitte à recommander que cette ressource propre soit employée à la relance économique, au soutien à l'emploi, à la défense de l'environnement, au développement... Je ne suis pas favorable à ce que le produit de la taxe soit déduit des contributions nationales.
M. Jean Bizet. - Mes trois remarques vont dans le même sens. Je suis très partisan des coopérations renforcées. Certes, ce n'est que la troisième fois qu'on fait appel à ce mécanisme, mais pour faire avancer l'Europe - surtout à vingt-sept - il ne faut pas avoir peur de bousculer les choses. Sur le brevet européen, c'est ainsi que nous aurons finalement gain de cause. La TTF est une question encore plus délicate. Mais plus l'assiette sera large et le taux, bas, plus la taxe rapportera et sera indolore. Je souhaite moi aussi que son produit soit une ressource propre de l'Union, ce sera un symbole politique fort. Un partage entre les États n'aurait pas de sens !
On ne sait pas comment les Anglais se comporteront, mais j'espère qu'ils resteront dans l'Union - ou ce qu'il en reste - même s'ils ne sont pas des partenaires faciles. Soyons très précis sur le champ territorial d'application de la taxe, car toutes les transactions transitent par la City : elles devront néanmoins pouvoir être taxées.
M. Richard Yung. - Sinon, la taxe sera vidée de sa substance !
M. Jean Bizet. - Il faudra trouver le mécanisme approprié et être très rigoureux.
M. André Gattolin. - Une ressource pleine pour le budget européen, bien sûr ! C'est la seule voie pour sortir des travers actuels : ristournes, rabais et compensations. Mais rien n'empêche de mieux définir les utilisations budgétaires européennes. Je serais partisan d'un amendement indiquant que la moitié du produit doit être affectée au développement : c'est peut-être une position excessive, mais qui aurait le mérite de la clarté. Ne transigeons pas sur le caractère de ressource propre, car c'est l'absence de telles recettes qui freine la construction européenne.
M. Pierre Bernard-Reymond. - L'Europe ne peut pas se contenter d'être un conglomérat de coopérations renforcées, qui sont un pis-aller, ne l'oublions pas. Une Europe à géométrie variable serait encore plus difficile à gérer.
Je souhaite que la part des ressources propres progresse dans le budget européen. Dans les années soixante-dix, celui-ci n'était alimenté que par des droits de douane, prélèvements agricoles, taxes sur le sucre et sur l'isoglucose... La libéralisation les a fait disparaître, ce qui a imposé de les remplacer par les cotisations, lesquelles empêchent aujourd'hui toute croissance du budget européen. Or, s'il est normal de mener au niveau national une politique de lutte contre l'endettement public, au niveau européen une politique de relance est indispensable. Il y faut des moyens, donc des ressources propres.
Un fléchage ? Si l'on veut que le budget comprenne à terme - en 2020, par exemple - au moins 60 % de ressources propres, mieux vaut éviter de compliquer le problème en accumulant les conditions préalables.
Je suis persuadé que pour avancer, sans rejeter les Britanniques, nous devons réfléchir à nouveau à une Europe constituée de cercles concentriques : un noyau dur franco-allemand, qui restera le moteur de toute action importante en Europe, une communauté de nations à visée fédérale, et un troisième cercle, plus souple, celui du libre-échange, de l'intergouvernemental, où les nouveaux entrants devraient faire un stage. C'est la seule façon de conserver la Grande-Bretagne dans l'Union européenne sans en rester à une Europe-espace, qui est le contraire d'une Europe-puissance. Peut-être, par les exigences qu'elle présentera, la Grande-Bretagne nous obligera-t-elle à réfléchir ainsi.
Pouvons-nous faire, sur un même sujet, à la fois un avis politique et une proposition de résolution ? Il est important que notre gouvernement soit saisi, mais aussi la Commission européenne.
M. Simon Sutour, président. - Oui, on peut faire les deux. L'avis politique est transmis directement à la Commission européenne, la proposition de résolution est destinée au Gouvernement, en passant par la commission des finances - qui souvent la modifie. Avant chaque Conseil européen, nous rencontrons le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), et il a paru plus opportun, dans la phase actuelle, de choisir la résolution.
M. Pierre Bernard-Reymond. - C'est typique d'une technocratie : ils veulent tout contrôler, y compris l'avis des parlementaires !
M. Simon Sutour, président. - C'est nous qui décidons : la commission est souveraine. Mais nous avons intérêt à travailler de manière collective avec le SGAE... qui ne contrôle pas le contenu de nos résolutions et avis !
M. André Gattolin. - La résolution est une bonne idée, mais pour l'avis politique, il vaudrait peut-être mieux attendre d'avoir le texte de la Commission européenne ?
M. Simon Sutour, président. - Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet. Nous faisons une résolution pour marquer d'ores et déjà le débat.
M. Jean Bizet. - L'affaire est loin d'être terminée.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Mais ne peut-on envoyer qu'un seul avis ?
M. Simon Sutour, président. - Nous pourrions en envoyer un tous les jours... Mais il est plus efficace de le faire au bon moment, à bon escient, si l'on veut instaurer un dialogue politique de qualité avec la Commission européenne.
M. Pierre Bernard-Reymond. - L'Assemblée nationale a-t-elle pris une initiative comparable à la nôtre ?
M. Simon Sutour, président. - Elle s'intéresse à ce sujet, mais n'a pas adopté de résolution à ce stade.
M. Richard Yung. - En fait, on attend la proposition de la Commission européenne ?
M. Simon Sutour, président. - Oui, on est toujours dans une phase d'élaboration.
Mme Fabienne Keller. - La résolution s'appuie sur le texte relatif à la coopération renforcée qui sera soumis le 15 décembre. Lorsqu'il y aura un texte sur la TTF, nous pourrons émettre un avis politique. Nous intervenons très en amont, ce qui est intéressant, car nous pouvons ainsi travailler sur les principes, être plus prospectifs dans nos exigences, sans nous embarrasser des contraintes techniques que l'on ne manquera pas de nous opposer. Si nous réclamons une assiette large, « pas possible ! » s'écrient les traders. Sauf que le European market infrastructure regulation (Emir) imposera bientôt une déclaration de toutes les transactions et le recours à la compensation. Notre position trouvera alors meilleure prise.
La chambre des lords anglaise a produit l'an dernier, de manière unanime, un rapport qui tire à boulets rouges sur la TTF.
M. Jean Bizet. - Surprenant !
Mme Fabienne Keller. - Travaillistes et conservateurs, main dans la main, admettent fort bien les problèmes du système financier mais écrivent que la TTF est une mauvaise réponse. Leur lobbying est très performant : peut-être devrions-nous en organiser un en sens contraire !
Nous sommes tous d'accord pour que l'assiette soit large, le taux bas, et pour que le produit de la taxe soit une ressource propre du budget européen. Mais il y aura seize États membres qui ne contribueront pas...
M. Jean Bizet. - C'est exact. Mais comme nous sommes très en amont, il me semble que la position de la France doit être très affirmée sur ce point.
M. André Gattolin. - J'espère que le produit de cette taxe ne financera pas le rabais britannique !
Mme Fabienne Keller. - Si l'on veut que la taxe soit bien collectée, il vaut mieux que le cercle des bénéficiaires soit le plus large possible - et, moralement, cela ne choque pas.
M. Simon Sutour, président. - Mais une TTF collectée dans onze États, et affectée au budget de l'Union, n'incitera guère d'autres États à rejoindre le dispositif.
Je vous propose d'examiner ensemble le texte de la proposition de résolution. Les points 1 à 7 n'appellent guère de commentaires.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Nous pourrions ajouter, au huitième point, « à défaut d'unanimité ».
M. Simon Sutour, président. - Oui !
M. Richard Yung. - L'objectif ne me semble pas seulement être de « freiner » les transactions spéculatives et à haute fréquence, comme il est écrit au neuvième point, mais aussi de faire contribuer le secteur financier à la prise en charge des conséquences de la crise et à la relance de l'économie. Nous pourrions mentionner cela.
M. Joël Guerriau. - Je ne vois pas, à vrai dire, comment cette taxe pourra freiner les transactions spéculatives, cette affirmation me paraît gratuite.
Mme Fabienne Keller. - Les transactions intraday seront tout de même frappées par la taxe à de multiples reprises, ce qui finira par les rendre onéreuses.
M. Joël Guerriau. - Je ne crois pas à l'efficacité de ce dispositif.
Mme Fabienne Keller. - Il est certain que la taxe - sous sa forme française - n'a pas atteint cet objectif, mais je suis partisane de le mentionner tout de même dans notre résolution.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Le terme « freiner » me gêne, car il laisse entendre qu'on accepte de telles transactions. Pourquoi ne pas écrire plutôt « dissuader » ?
M. Simon Sutour, président. - Bien.
Mme Fabienne Keller. - Un mot sur le point 10 : il y a beaucoup d'aspects à étudier, de conséquences à prévoir. Que devient la libre circulation des capitaux, par exemple...
M. Joël Guerriau. - Qu'entendez-vous, au point 16, par les termes « partie à la transaction » ?
Mme Fabienne Keller. - Il suffit que l'une des deux parties soit implantée sur le territoire de l'Union européenne pour que la taxe soit due.
M. Richard Yung. - Les points 18 et 19 mentionnent deux types d'exonération : sur les produits d'épargne longue et sur les émissions des entreprises et des États sur le marché primaire. Ces exonérations ne vident-elles pas la taxe de sa substance ?
Mme Fabienne Keller. - C'est en effet l'un des principaux reproches. Mais le système de retraite des Pays-Bas, par exemple, est entièrement fondé sur les fonds de pension. L'idée d'une exonération est destinée à protéger le consensus.
M. Richard Yung. - Je ne suis pas opposé à l'idée de ces exonérations. Mais faut-il l'écrire maintenant ?
Mme Fabienne Keller. - Cela montre que nous avons travaillé sur la question. C'est aussi un moyen de fixer les limites des exonérations.
M. Simon Sutour, président. - Ce point aurait plus sa place dans l'avis politique.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Ne tendons pas des verges pour nous faire fouetter. En revanche, nous pouvons alerter le Gouvernement oralement.
Mme Fabienne Keller. - Nos interlocuteurs français souhaitent appliquer notre système national au niveau européen, ce qui revient à ne taxer que les transactions enregistrées, compensées. On ne sait pas aujourd'hui faire autrement ? Que cela ne nous prive pas de fixer un objectif pour l'avenir !
Les exonérations sont limitées à l'épargne longue et aux émissions sur les marchés primaires... à l'exclusion de toute autre. Dire où nous fixons le curseur, voilà ce qui importe.
M. Simon Sutour, président. - La problématique est différente selon qu'on s'adresse à la Commission européenne ou au Gouvernement.
Mme Fabienne Keller. - Il s'agit d'envoyer un signal. C'est une recommandation.
M. Simon Sutour, président. - Je pense moi aussi qu'il vaut mieux supprimer les paragraphes 18 et 19. Gardons-les pour plus tard, pour l'avis politique.
M. Richard Yung. - Nous n'avons pas de fonds de pension. Pourquoi s'occuper des Anglais ?
M. Simon Sutour, président. - Des Hollandais !
Mme Fabienne Keller. - Les points 18 et 19 sont importants, nous posons des jalons. En Angleterre, c'est en mettant en avant les fonds de pension que les lobbyistes ont obtenu un consensus national contre la taxe.
M. Simon Sutour, président. - Vous aurez un droit de suite. Nous réservons ces deux paragraphes, nous ne les supprimons que provisoirement.
Mme Fabienne Keller. - Conservons au moins le point 19. Le premier demandeur d'une telle exonération est l'Etat.
M. Jean Bizet. - Oui.
M. Richard Yung. - Soit, dans un souci de consensus.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Supprimons le paragraphe 21. Il est contraire à notre position. Nous ne voulons pas de partage de la taxe entre les Etats !
Mme Fabienne Keller. - Il y a tout de même l'aide au développement.
Mme Bernadette Bourzai. - C'est vrai.
M. Richard Yung. -Mieux vaudrait préciser que le produit de la taxe est une ressource propre de l'Union européenne.
Mme Bernadette Bourzai. - Rien ne nous empêche de demander que le produit de la TTF soit affecté en partie au Fonds européen de développement.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Je propose la rédaction suivante au point 21 : « le produit attendu de la TTF doit constituer une nouvelle ressource propre du budget de l'Union européenne ».
M. Simon Sutour, président. - Tout le monde est d'accord sur cette version ? Elle sera sûrement modifiée par la commission des finances...
M. Jean Bizet. - Nous envoyons un signal politique fort sur les ressources propres. Il n'y a plus qu'à attendre la réaction des Anglais.
Mme Fabienne Keller. - Ils nous ont accueillis très chaleureusement l'an dernier, ils aiment le débat. Et ils y étaient cette fois-là particulièrement bien préparés ! Ils ont une réponse à tout, un argumentaire impeccable. C'est épuisant de discuter avec eux. J'y insiste, il faudrait organiser un vrai lobby.
M. Simon Sutour, président. - Nous sommes une assemblée parlementaire ! Élue ! Cela aussi a son poids.
Mme Fabienne Keller. - Le meilleur lobby en Angleterre est cette petite commune qu'est la City. Elle est très bien organisée et tout le pays soutient son action, considérant que l'emploi financier est essentiel au plan national.
A l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante :
Économie, finances et fiscalité - Chypre et la crise de l'euro - Rapport d'information de M. Jean-François Humbert
M. Jean-François Humbert. - Dans le cadre du travail qui m'a été confié par la commission voici deux ans sur le suivi de la crise de la zone euro, j'ai effectué les 16 et 17 octobre derniers un déplacement à Chypre.
Confronté à d'importantes difficultés financières, Chypre devrait donc être le cinquième État membre de la zone euro à bénéficier dans les prochaines semaines d'un programme d'assistance financière. Sollicitée en juin dernier, l'aide européenne ne devrait cependant pas être versée avant le début de l'année prochaine. L'accord trouvé avec l'Eurogroupe en marge du sommet européen de la semaine passée n'est pas encore totalement finalisé et ne saurait l'être avant la parution des résultats d'un audit de la situation des établissements bancaires de l'île.
La crise chypriote est en effet, en premier lieu, une crise bancaire, à l'image de celles qu'ont connues récemment l'Irlande et l'Espagne. Comme dans ces deux pays, la croissance économique a favorisé l'émergence d'une bulle immobilière, qui a explosé avec le retournement de conjoncture en 2009. Mais là n'est pas le seul problème de Chypre avec ses banques. Le développement des activités financières a constitué, avec le tourisme, le fondement de la renaissance économique du pays après la partition de l'île en 1974. Au risque, il faut bien le reconnaître, d'aboutir à un surdimensionnement du secteur bancaire par rapport au potentiel économique du pays. Les actifs détenus par les banques locales représentent ainsi 750 % du PIB chypriote. L'endettement est devenu au cours des années 2000 la base de la croissance du pays : l'endettement privé représentait ainsi 291 % du PIB en 2011.
Les principales banques chypriotes se sont en majorité tournées vers le voisin grec lorsqu'il a fallu investir, avec les risques que l'on connaît aujourd'hui. L'exposition à la dette publique grecque représentait ainsi 27 milliards d'euros avant la décote opérée en début d'année, soit 140 % du PIB chypriote. La restructuration de la dette a ainsi induit une perte de 4,2 milliards d'euros. Les créances privées grecques sont, quant à elles, estimées à 22 milliards d'euros, soit 120 % du PIB. 10 à 14 % de celles-ci sont considérées comme non performantes.
Cette surexposition, pour partie logique en raison de la proximité entre les deux pays, reste difficile à expliquer ces dernières années : 5 milliards d'euros de titres grecs ont ainsi été achetés en 2009 et 2010, alors que la crise grecque venait de démarrer. Une telle pratique révèle l'insuffisance de la surveillance mise en place par la Banque centrale de Chypre. Ces lacunes se retrouvent aujourd'hui dans l'estimation des besoins de recapitalisation des établissements financiers locaux, induits par la crise grecque mais aussi l'effondrement du marché immobilier. Il est très difficile de chiffrer ceux-ci, d'autant que la situation des 97 sociétés coopératives, ces caisses d'épargne locales, reste délicate à évaluer en raison de l'opacité qui les entoure.
Cette crise financière a débouché sur une crise économique de première importance, le PIB devrait ainsi se contracter de 2,3 % du PIB cette année puis 3,5 % l'an prochain. Une telle situation conduit le gouvernement à une impasse budgétaire, alors qu'il ne peut plus accéder aux marchés financiers depuis 2011. Son laxisme budgétaire a été souligné à deux reprises par la Commission, en 2010 puis 2011, sans qu'aucune réforme d'envergure ne soit réellement mise en pratique. La dépense publique équivaut aujourd'hui à 48 % du PIB contre 33 % en 1995. Transferts sociaux et salaires publics représentent les deux tiers du budget de l'État. La Commission européenne a par ailleurs relevé la faiblesse de la compétitivité de l'économie locale, où les salaires sont notamment indexés sur l'inflation.
Ces réserves de Bruxelles sur le modèle économique ont conduit le gouvernement chypriote à hésiter à recourir à une assistance financière, par crainte de conditions trop contraignantes. En 2011, il avait ainsi préféré demander un prêt à la Russie, très implantée économiquement sur l'île. La fiscalité avantageuse attire les capitaux russes et ukrainiens depuis de nombreuses années, la communauté russophone représentant 4 % de la population totale. Le prêt de Moscou, octroyé en octobre 2011 et destiné notamment à sécuriser ses investissements, s'est élevé à 2,5 milliards d'euros. Un an plus tard Chypre a toujours besoin d'un financement extérieur. De nouveau sollicitée, la Russie a néanmoins jugé que si elle venait à prodiguer une nouvelle aide financière, celle-ci serait aux conditions formulées par l'Union européenne et le Fonds monétaire international.
D'autant que l'aide demandée est plus conséquente que celle formulée un an plus tôt. La troïka l'a d'ailleurs évalué à 17,5 milliards d'euros. 10 sont destinés à recapitaliser le système bancaire, 6 à permettre le refinancement de la dette chypriote et le milliard et demi servant au règlement des dépenses courantes. En échange, Nicosie devrait accepter un programme réduisant de 15 % les salaires publics, de 10 % les prestations sociales et relevant l'âge de la retraite. La TVA serait elle aussi augmentée et l'indexation des salaires sur l'inflation serait suspendue. Le contexte politique marqué par les élections présidentielles prévues en février prochain a longtemps pesé sur ces négociations. Le gouvernement jugeait en outre qu'il s'agissait d'une crise induite par la décote de la dette grecque et donc pas forcément imputable à la politique économique locale. Il n'en reste pas moins qu'il n'existait pas réellement d'alternative à une aide européenne.
La situation de Chypre pourrait évoluer dans les années à venir avec l'émergence d'un nouveau modèle économique fondé sur les ressources gazières récemment découvertes au large de ses côtes. Celui-ci pourrait fournir la moitié des importations annuelles de l'Union européenne. L'exploitation pourrait démarrer en 2019. Elle suscite déjà l'intérêt de la Russie.
Venons-en maintenant à la situation de la zone euro. Les réserves chypriotes sur les conditions d'une aide financière européenne s'inscrivaient aussi dans un contexte marqué par le doute sur l'efficacité des plans d'ajustement adoptés en Grèce, en Irlande ou au Portugal. Des trois pays, l'Irlande semble celui qui s'en sort le mieux, le pays étant même de retour sur les marchés financiers depuis juillet dernier. Le gouvernement respecte la trajectoire budgétaire inscrite dans le mémorandum d'accord, ce qui contribue à rassurer les marchés et lui permet d'obtenir des taux acceptables pour sa dette à court et moyen terme. La reprise économique demeure cependant relativement modeste : 0,5 % de croissance cette année et 1 % attendu l'année prochaine. Les exportations constituent le principal moteur de l'activité, alors que l'absence de crédits aux ménages et aux entreprises comme le chômage élevé pèsent sur la demande interne.
Également considéré comme un « bon élève » par la troïka, le Portugal se trouve pourtant dans une situation plus délicate. Si 110 des 120 mesures du programme d'ajustement ont été mises en oeuvre par le gouvernement, l'effort de consolidation budgétaire accompli ces deux dernières années, qui représente tout de même 7,5 % du PIB portugais, est apparu insuffisant pour permettre au déficit budgétaire d'être inférieur à 3 % dès 2013. Cet objectif a donc été reporté d'un an par la Commission européenne. La révision à la baisse des prévisions de croissance opérée ces derniers jours par la Banque centrale incite encore un peu plus à relativiser le satisfecit de la troïka. Il n'existe pas de relance de l'activité au Portugal, confronté à une augmentation des cas de pauvreté, une majorité de foyers vit avec moins de 900 € mensuels, ce qui pousse les plus jeunes à l'émigration. Seul le retour progressif sur les marchés financiers peut, de fait, être considéré comme une bonne nouvelle.
Que dire enfin de la Grèce si ce n'est que le deuxième plan d'aide, qui prévoyait la restructuration de la dette détenue par les créanciers privés, s'est avéré obsolète en moins de six mois. En dépit de réels progrès, les objectifs fixés par ce plan ont du être in fine reportés de deux ans et un troisième plan qui ne dit pas son nom a été adopté dans la nuit de lundi à mardi. Il prévoit un allègement de la dette publique grecque de 40 milliards d'euros par le biais d'une restructuration des titres détenus par les créanciers publics cette fois-ci. La maturité des prêts octroyés depuis 2010 est ainsi allongée, leurs taux d'intérêts baissés d'un point. La Banque centrale européenne et les banques centrales nationales reverseront dans le même temps les intérêts perçus sur les titres grecs qu'elles détiennent. Enfin, la Grèce pourra racheter des titres avec une décote de 60 %.
Au delà de l'accord trouvé avec l'Eurogroupe, il convient de s'attarder sur les hypothèses retenues par le gouvernement grec pour préparer un énième plan d'austérité. Il table en effet sur une récession de 4,5 % du PIB en 2013 et une dette publique atteignant 189,1 % du PIB. De telles perspectives font s'interroger sur la possibilité pour la Grèce d'arriver à atteindre ses objectifs, fût-ce en 2016. Elles n'écartent pas l'hypothèse d'un défaut puisque le déficit budgétaire est dorénavant imputable à la charge de la dette. Rappelons néanmoins qu'un défaut impliquerait des pertes de l'ordre de 82 milliards d'euros pour l'Allemagne et de 62 milliards d'euros pour la France.
Un dernier mot sur l'Espagne qui me semble être aujourd'hui entre deux aides. La première concernant les banques est formalisée. Elle s'élève à 100 milliards d'euros. Ce montant a été surévalué au regard des besoins réels du secteur. Une première tranche devrait être versée d'ici à la fin de l'année. Reste l'impasse budgétaire dans laquelle se trouve l'Espagne. Une succession de plans d'austérité n'a pu juguler une dérive des finances publiques, en large partie imputable à l'absence de discipline budgétaire de la part des régions. Un conflit se fait d'ailleurs jour entre certaines d'entre elles et l'État central. L'absence de croissance dans un pays où le chômage frappe 25 % de la population rend également difficile la maîtrise des dépenses. L'Espagne a déjà anticipé un futur plan d'ajustement de la troïka dans le cadre d'une assistance financière. Les mesures décidées par le gouvernement sont celles qu'aurait demandées la troïka. Ayant ainsi sauvé la face, il ne serait donc pas étonnant que l'Espagne formule bientôt une demande d'ouverture d'une ligne de crédit auprès du Mécanisme européen de stabilité.
La question des moyens du MES sera dès lors posée tant le montant de l'aide accordée à l'Espagne devrait affecter fortement ses capacités financières, estimées aujourd'hui à environ 700 milliards d'euros. La question de la démultiplication de ses moyens via un effet de levier n'a pas encore été complètement éclaircie. L'hypothèse d'un adossement à la Banque centrale européenne, jusque-là taboue, n'apparaît plus aujourd'hui aussi saugrenue. La BCE a, de son côté, activé deux programmes destinés à garantir le financement des banques, via le programme Long term refinancing operation (LTRO), et surtout des États, par l'intermédiaire du programme Outright monetary transactions (OMT), qui prévoit le rachat, sous conditions, de titres sur les marchés. Les conditions concernent l'application par le pays concerné de mesures d'ajustement. Il conviendra, enfin, d'être attentif à l'évolution du débat sur l'Union budgétaire : le rapport intérimaire présenté en octobre propose la création d'obligations européennes au montant limité et la création d'un fonds de rédemption d'une partie de la dette des États. Ces idées ne suscitent pas, néanmoins, l'unanimité au sein du Conseil.
Pour conclure mon propos, je serais tenté de dire que compte tenu des incertitudes entourant encore certains États membres, je pense à l'Espagne mais aussi au Portugal, il serait illusoire de penser que la crise de la zone euro est derrière nous.
M. Simon Sutour, président. - Nous ne pouvons, hélas, que partager ces conclusions.
M. Jean Bizet. - Ce n'est pas ce que nous entendons dire au plus haut sommet de l'État ! Mais c'est M. Humbert qui a raison.
M. Simon Sutour, président. - Ce point sur la situation de Chypre est très instructif, de même que le panorama des aides aux Etats dans la zone euro.
Je rappelle qu'au niveau géopolitique, Chypre est un membre de l'Union européenne, occupé par un candidat à l'Union européenne !
M. Jean-François Humbert. - Ce travail, qui m'a passionné, méritera une actualisation dans quelques mois.
M. Simon Sutour, président. - Vous avez bien évidemment un droit de suite.
Je crois tout de même que, dans cette crise de la zone euro, les grands soubresauts sont derrière nous.
Mme Bernadette Bourzai. - Grâce aux outils mis en place...
M. Simon Sutour, président. - Certes. Nous verrons comment ils fonctionnent.
M. Jean Bizet. - La situation de la Grèce a eu des répercussions sur Chypre... L'occupation d'une partie de l'île par la Turquie n'est pas acceptable. Nous devons le signifier à nos amis turcs dans les négociations menées par l'Union européenne.
Enfin, si l'Irlande s'en sort mieux, le Portugal et l'Espagne ont engagé de lourdes réformes structurelles : c'est pourquoi ils ont plus de chances de s'en sortir qu'on ne veut bien le croire. Vous comprenez mon message...
M. Simon Sutour, président. - Nous aussi avons engagé des réformes au plan national...Nous n'avons pas parlé de l'Italie, dont la situation s'améliore.
M. Joël Guerriau. - Le lien économique entre Chypre et la Grèce ne facilite ni la reprise ni le redressement de l'économie chypriote : un quart des activités économiques de l'île se fait avec des clients ou des fournisseurs grecs. Et l'austérité ne crée pas forcément les conditions du cercle vertueux de la reprise.
Enfin, la monnaie unique prive ces pays de la souplesse dont ils auraient besoin, elle est un vrai handicap.
Mme Bernadette Bourzai. - Chypre fait bien entendu partie des griefs contre la Turquie, les autorités européennes ne manquent pas de le lui rappeler.
Je me suis rendue à Nicosie pour la commission des affaires économiques - il s'agissait d'une réunion de parlementaires sur la PAC - et j'ai pu constater cette coupure physique dans la ville : elle est impressionnante. Soit dit en passant, j'ai vérifié en cette occasion la pugnacité britannique dont parlait Mme Keller, en discutant avec une baronne anglaise fort hostile à la PAC.
Je remercie M. Humbert de son rapport qui a actualisé ses travaux sur le sujet.
Certains pays, la Grèce et Chypre sans aucun doute, le Portugal et l'Espagne vraisemblablement, sont arrivés au bout de la logique d'austérité. La situation n'est plus supportable pour les peuples et je redoute de violentes explosions sociales. L'Europe doit trouver un nouveau cap.
M. André Gattolin. - La présence russe n'est pas la moindre des questions. Si des États membres sont très critiques à l'égard du renflouement de Chypre, c'est à cause de l'intrication de son système bancaire avec celui de la Russie. Les flux d'argent, douteux, sont pour partie liés au commerce d'armes. L'île est le poste avancé des trafics d'armes à destination de la Syrie. Soyons vigilants, ayons à l'esprit la Serbie dont le gouvernement a été pris en main par des conseillers chinois et russes, financiers comme militaires... Essayez, là-bas, de dire quoi que ce soit sur la Chine ou la Russie ! Je suis un européen convaincu, favorable à l'élargissement, mais pas dans n'importe quelles conditions.
C'est vrai, les peuples souffrent. Mais en Grèce, des structures politiques et économiques n'avaient jamais été réformées ! Acceptons-nous des oligarchies en Europe ? Des États membres dont l'Eglise ou les armateurs richissimes ne payent pas d'impôt ? En 2000, la session parlementaire grecque était encore ouverte par des représentants de l'Eglise orthodoxe... Et pour hériter d'un bien, il fallait se convertir. Je crois que la mention de la religion figure encore sur la carte d'identité. Avons-nous fait respecter les objectifs et les valeurs de l'Union européenne ? Cela n'empêche pas la solidarité, du reste.
M. Jean Bizet. - Cela méritait d'être dit. Bravo.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je trouve inquiétant le déficit d'image qu'a l'Europe dans les opinions publiques. La dégradation se poursuit. Dans ces conditions, comment construire l'avenir de l'Europe ? La situation de certains pays, malgré les réformes qu'ils mènent, reste périlleuse. Il faut y réfléchir.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Chypre est un pays qui flotte un peu, en matière géopolitique... Rappelons qu'avant son adhésion, il hésitait entre l'Europe et une alliance forte avec la Libye !
Je partage totalement l'inquiétude de Mme Morin-Desailly : il faut engager une réflexion sur le positionnement de l'Union européenne vis-à-vis de l'opinion publique. Bruxelles n'a aucune politique de communication. Les deux sujets européens connus de tout le monde sont la baisse des crédits d'Erasmus et la diminution envisagée de l'aide alimentaire, au moment même où le froid s'empare de nos contrées : rien de positif...
M. Jean-François Humbert. - La présence des Turcs à Chypre est évoquée dans mon rapport. Je suis fondamentalement européen et je me désole de constater que l'opinion publique se détache peu à peu de l'Europe, alors que nous avons besoin de plus d'Europe. Le sentiment anti-européen se répand.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Que les pro-européens sortent de leurs cénacles !
M. Simon Sutour, président. - J'ai reçu récemment le ministre des affaires européennes turc et je lui ai tenu ce discours. L'entretien s'est bien passé. Merci à M. Humbert : je vous propose d'autoriser la publication du rapport.
A l'issue du débat, la commission a autorisé la publication du rapport.
Présidence de Mme Bernadette Bourzai, vice-présidente
Subsidiarité - Protection des ressources génétiques - Communication et proposition de résolution européenne portant avis motivé de M. Jean Bizet
M. Jean Bizet. - La protection des ressources génétiques est un enjeu important dans l'industrie pharmaceutique. J'ai abordé le sujet pour la première fois à Seattle, lors d'un cycle de négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans une communication à l'Union interparlementaire, j'indiquais qu'on ne peut piller impunément les ressources végétales, animales, minérales de certains pays.
La proposition de règlement traite de l'accès aux ressources génétiques. Le point de départ est le protocole international de Nagoya, signé en novembre 2010, qui fut en quelque sorte la compensation de l'échec du sommet de Copenhague sur le réchauffement climatique. Ce protocole additionnel à la convention sur la diversité biologique signée en 1992 visait à garantir l'accès aux ressources et le partage des avantages (APA) liés à l'usage de ressources génétiques, tout en favorisant un partage des bénéfices avec les pays dont ces ressources sont issues.
On entend par ressources génétiques les ressources d'origine végétale, animale ou microbienne contenant des gènes ayant une valeur effective ou potentielle pour la société, en particulier pour la recherche ou certaines industries telles que l'industrie pharmaceutique. La menace de pillage des ressources naturelles, en particulier génétiques, est réelle et les premiers contentieux sont apparus en Amérique du Sud, où quelques sociétés exploitent de telles ressources sans avoir songé à demander une autorisation aux États, qui sont eux-mêmes défaillants, bien peu conscients des richesses ainsi détournées.
La France est directement concernée, en particulier parce que l'outre-mer français représente un patrimoine d'exception. Certains territoires, en particulier la Guyane et la Nouvelle-Calédonie font partie des hot spots - points chauds - de la biodiversité mondiale. Il y a bien sûr la forêt, mais aussi l'espace marin, avec des milliers de kilomètres carrés de récifs coralliens.
Le protocole visait à donner le libre accès tout en organisant l'exploitation de ces ressources et en partageant les avantages sous forme de redevances ou de transferts de savoirs. Un projet de règlement européen vise à mettre en oeuvre ce texte, à travers des codes de bonne conduite établis par des associations d'utilisateurs et une labellisation par la Commission. Celle-ci serait chargée de collecter les données scientifiques et d'établir un registre des prélèvements.
Ce texte présente néanmoins plusieurs difficultés d'ordre institutionnel. Quelle est la compétence de l'Union dans ce domaine précis des ressources génétiques ? L'environnement est une compétence partagée entre l'Union européenne et les États, encadrée par le principe de subsidiarité fixé aux paragraphes 3 et 4 de l'article 5 du traité sur l'Union européenne. L'Union n'intervient que si les objectifs de l'action envisagée ne peuvent être atteints par l'action des seuls États membres. En l'espèce, en quoi l'action de l'Union serait-elle plus efficace et plus proportionnée que les mesures prises au niveau national ? Le recours trop systématique aux mesures d'exécution, confiées à la Commission, doit aiguiser notre vigilance.
La convention sur la diversité biologique et le protocole de Nagoya rappellent le principe de souveraineté nationale sur les ressources naturelles et les connaissances traditionnelles. Le règlement ne prévoit pas explicitement un transfert de compétences vers l'Union européenne, cela serait manifestement incompatible avec ce principe, mais certaines dispositions affectent directement ou indirectement la compétence nationale. La rédaction est maladroite, le texte mord sur les pouvoirs des États membres, par exemple lorsqu'il affirme que « le règlement établit les règles régissant l'accès aux ressources génétiques ».
La définition de l'accès aux ressources n'est pas de la compétence communautaire ; la définition des connaissances traditionnelles incombe aux communautés autochtones.
Cet examen rapide me conduit à exprimer des réserves sur le respect du principe de subsidiarité : veillons à sa bonne application, afin de protéger les intérêts de nos collectivités d'outre-mer.
Un problème spécifique se pose pour la France : l'État détient la compétence sur la gestion des ressources naturelles dans les départements d'outre-mer ainsi qu'à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Le règlement s'y appliquerait de plein droit. En revanche, d'autres collectivités, la Polynésie, la Nouvelle Calédonie, sont régies par des lois organiques spécifiques. Certaines ont déjà adopté des règles d'accès aux ressources, mais sans couvrir tout le champ du protocole de Nagoya, modalités de contrôle incluses. L'articulation des lois locales et du règlement européen exigera une longue phase d'adaptation.
Tout en acceptant l'esprit du texte, nous devons marquer qu'en l'état, il ne respecte pas le principe de subsidiarité. Depuis Seattle, nous avons parcouru du chemin : tenons notre objectif. L'avenir de l'humanité pourrait bien dépendre un jour de quelques bactéries...
M. Joël Guerriau. - Au troisième paragraphe, il est indiqué que « la France doit aussi veiller au respect... » Bien sûr, mais là n'est pas la question et c'est à l'Europe que nous nous adressons. C'est à elle que nous demandons de respecter ses engagements concernant les spécificités de l'outre-mer. Cette mention est à supprimer.
M. Jean Bizet. - Vous avez raison.
M. André Gattolin. - L'enjeu concerne aussi les semences rares. Une association française qui retrouve et commercialise certaines semences anciennes est attaquée par une société américaine qui en a acheté la propriété aux États-Unis. En Amérique latine, des groupes nord-américains s'emparent pour les faire breveter des espèces exploitées par la population locale, laquelle est ensuite attaquée devant les tribunaux ! Autant de situations aberrantes... Les accords de Nagoya sont nécessaires mais non suffisants. Prenons conscience de la gravité du problème. On a décomposé l'ADN. Demain apparaîtront des médicaments fondés sur telle ou telle de ses séquences. Heureusement que les brevets sont exclus en cette matière, sinon cinq propriétaires tout au plus se partageraient la manne ! Il est important d'être vigilant pour préserver ces éléments du patrimoine commun de toute appropriation privée.
M. Jean Bizet. - Soyons clairs : je dénonce la tentative de certains sociétés de s'approprier et de breveter le vivant. Les espèces végétales et animales ne peuvent être brevetées, conformément à la directive de 2001. Quant au génome humain, les Français du Genopole d'Evry et l'américain Craig Venter, lancés dans une course de vitesse, ont réussi à le décrypter au même moment. Les présidents français et américain de l'époque, Jacques Chirac et Bill Clinton, ont alors pris la bonne décision : ils ont conjointement déclaré que le génome humain appartenait à l'humanité. Et ils se sont empressés de faire connaître via internet au monde entier le détail des séquences. Mais toutes les ambiguïtés ne sont pas levées pour autant. Dans le règne animal et végétal, les choses sont plus claires, on ne peut breveter que le triptyque gène, fonction, application. Reste que certaines officines jouent sur les concepts...
M. André Gattolin. - En particulier sur les semences !
M. Jean Bizet. - Oui. Sur la forme, ne laissons pas passer le non-respect du principe de subsidiarité. Et, sur le fond, surveillons ces développements.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Merci, monsieur Bizet, de ce travail remarquable.
A l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, le projet d'avis motivé dans le texte suivant :