- Mercredi 25 juillet 2012
- Jeudi 26 juillet 2012
- Bilan de l'activité de la commission
- Institutions européennes - Situation en Roumanie et en Bulgarie - Rapport d'information de MM. Simon Sutour, Michel Billout, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-François Humbert et Mme Catherine Morin-Desailly
- Agriculture et pêche - Rôle des organisations de producteurs dans la négociation du prix du lait - Proposition de résolution européenne de M. Jean Bizet
- Travail - Reconnaissance des qualifications professionnelles - Proposition de résolution européenne de M. Jean Bizet
Mercredi 25 juillet 2012
- Présidence de M. Simon Sutour, président -Recherche et propriété intellectuelle - Programme-cadre européen de recherche et d'innovation - Rapport de M. André Gattolin
M. Simon Sutour. - Nous avons deux sujets fort importants à notre ordre du jour : l'avenir de la recherche et de l'innovation en Europe, et la taxe sur les transactions financières. Nous allons commencer par le programme de recherche européen « Horizon 2020 » qui constitue le volet « recherche » du projet de cadre financier européen. Je donne la parole à André Gattolin.
M. André Gattolin. - Merci monsieur le Président !
Vaste sujet que la recherche et l'innovation ! Dans le cadre des perspectives 2014-2020 actuellement en discussion à Bruxelles, la Commission européenne a présenté son huitième programme-cadre pour la recherche. Et après s'être prononcée sur la politique agricole commune et la politique de cohésion, il était important que notre commission s'y intéresse. Et ce d'autant que notre dernier travail sur ce sujet remonte au 5è programme-cadre !
Qu'est-ce que ce programme ?
Le 30 novembre dernier, la Commission européenne a dévoilé un paquet législatif de sept textes consacrés au programme-cadre pour la recherche et l'innovation baptisé « Horizon 2020 » (ou Horizon « vingt-vingt »). Vous le savez, depuis 1984, la Communauté puis l'Union européenne ont apporté un soutien financier toujours plus important à la recherche et au développement technologique à travers des programmes pluriannuels. Nous sommes actuellement dans l'exécution du septième programme-cadre qui couvre les années 2007 à 2013 et, comme pour les autres politiques européennes, des discussions ont commencé au Conseil et au Parlement européen pour la période 2014-2020.
Or, ce programme présente deux nouveautés majeures.
Tout d'abord, je dirais qu'Horizon 2020 est un peu plus que le huitième-programme cadre pour la recherche. Pourquoi ? Dans sa stratégie Europe 2020 pour la relance de l'économie, le Conseil européen a fixé comme objectif d'atteindre un niveau de 3 % du produit intérieur brut pour les investissements en recherche et développement. L'idée est qu'en investissant dans le renforcement du savoir, dans le partage des connaissances et dans l'innovation technologique, on créera les produits, les entreprises et les emplois de demain. Or, cet objectif de 3 % figurait déjà dans la stratégie de Lisbonne mais il n'a jamais été atteint.
Que s'est-il passé ?
Premièrement, si les investissements de l'Union européenne en recherche et innovation ont augmenté sur la période, ils sont restés bien en-dessous de ceux de ses concurrents mondiaux : jusqu'à 2 % en 2009 en Europe contre 2,9 % aux États-Unis et 3,36 % au Japon ! Deuxièmement, l'investissement privé a fait défaut. En France, il ne représente que 51 % de l'effort de recherche contre 78 % au Japon. L'objectif ayant été réaffirmé, cette situation ne pouvait plus durer. L'Europe dispose d'un niveau de recherche qui figure parmi les meilleurs du monde, mais ce niveau d'excellence ne se traduit pas dans la production de brevets et de produits nouveaux. Autrement dit, l'Europe cherche beaucoup, trouve souvent, mais elle peine à innover au profit de sa compétitivité, de son économie et de la société tout entière.
C'est la raison pour laquelle la Commission européenne propose désormais d'associer au sein d'un même programme-cadre la recherche et l'innovation pour les faire travailler ensemble sur des sujets déterminés. Par innovation on entend transformation technologique et mise en oeuvre industrielle.
Cette évolution me paraît bienvenue. Pour retrouver de la compétitivité, nous ne devons pas seulement nous lancer dans une course à la baisse des coûts de production dans laquelle nous perdrons toujours face à des pays où la main-d'oeuvre est beaucoup moins chère. Mais nous devons nous appuyer sur notre intelligence, sur notre créativité et sur une production de qualité !
Le programme-cadre est assez complexe et manque parfois de lisibilité. Il comporte de nombreux programmes et domaines d'action pour lesquels je n'entrerai pas dans le détail, Je me contenterai de vous en présenter les trois grandes priorités.
En premier lieu, la Commission propose de renforcer l'excellence scientifique européenne. Elle est essentielle et elle doit le rester ! Vouloir intégrer davantage le secteur marchand aux programmes de recherche et d'innovation est nécessaire, mais cela ne doit pas se faire au détriment du soutien à la recherche et aux chercheurs. En outre, l'excellence doit rester le maître mot pour la recherche en Europe. La Commission semble l'avoir bien compris puisqu'elle propose de renforcer les outils dédiés uniquement à la recherche en les dotant d'un budget de plus de 27 milliards d'euros sur sept ans.
Ces fonds seront affectés, d'une part, à des outils anciens et connus des chercheurs comme les actions Marie Curie pour leur formation et leur mobilité et, d'autre part, au financement d'infrastructures d'envergure mondiale et à la promotion de technologies radicalement nouvelles. Surtout, il est prévu de doubler le budget du Conseil européen de la recherche qui définit la stratégie scientifique générale de l'Union européenne et attribue des bourses à des scientifiques sélectionnés uniquement sur le critère de l'excellence. Indépendamment des sujets de recherche et des cadres nationaux, ces bourses viennent aider le travail des chercheurs dans les laboratoires.
Deuxième priorité : assurer la primauté industrielle de l'Union européenne dans le monde. Ce programme vise à intégrer dans le programme-cadre les politiques dites d'innovation et de leur attribuer une enveloppe de 20 milliards d'euros sur la période. Cela passe par trois formes distinctes de soutien. Tout d'abord, il s'agira de soutenir l'innovation dans le domaine des technologies génériques industrielles comme les technologies de l'information et la communication. Ce sont des technologies qui ont la capacité d'être utilisées dans toute une série de domaines. Ensuite, cela passera par un renforcement de l'accès au financement à risque avec la mise en place d'un mécanisme d'emprunt à l'échelle de l'Union et l'instauration d'un mécanisme de fonds propres pour remédier aux carences du marché européen du capital-risque. Enfin, et c'est un point très important, la Commission propose de centrer son action sur les petites et moyennes entreprises innovantes. C'est en elles que réside le plus grand potentiel d'innovation et de créativité. Aussi, elles bénéficieraient d'un outil de financement qui interviendrait en complément du programme COSME (Competitiveness of enterprises and small and medium enterprises), le nouveau programme pour la compétitivité des entreprises. Surtout, l'Union prévoit que 20 % des financements totaux doivent leur être destinés. Un gros effort serait ainsi fait, puisqu'on estime qu'actuellement se pourcentage se situe autour de 12 à 15 %.
Troisième priorité et deuxième grande nouveauté d'Horizon 2020, une approche radicalement nouvelle est proposée pour l'orientation des subventions. Elle consiste à non plus orienter les financements vers des secteurs de recherche déterminés, mais en ciblant les grands défis de société auxquels l'Europe est confrontée et dont l'ampleur est telle qu'aucun État membre ne peut y répondre seul. L'idée est d'améliorer l'impact des politiques européennes de recherche et d'innovation dans le cadre de politiques générales. Différents programmes de recherche et d'innovation associant universités, laboratoires, grandes et petites entreprises permettraient de trouver des solutions à ces problèmes sociétaux.
Sans les détailler - vous les trouverez dans le rapport -, sept défis ont été identifiés. Ils couvrent l'ensemble des politiques européennes. Un gros effort budgétaire serait fait, puisque près de 36 milliards d'euros seraient affectés à cette orientation nouvelle, soit 45 % du budget.
Je m'arrête là pour la présentation du programme et aborde des aspects plus politiques.
Cet ensemble de propositions a été bien accueilli en Europe. Il est frappant de constater que tant du côté du Conseil que du côté du Parlement européen, il n'y a pas d'opposition majeure aux nouvelles orientations proposées par la Commission. Les chercheurs que j'ai pu rencontrer, des représentants du CNRS ou de la Conférence des présidents d'université, se sont montrés eux aussi favorables au projet. Un grand groupe comme GDF-Suez le soutient, lui aussi.
Enfin, l'effort de simplification a été salué et est soutenu par beaucoup. Les procédures d'appel d'offres, les règles de participation et d'éligibilité rendent difficiles d'accès les financements européens, notamment pour les acteurs les plus petits : PME-PMI, mais également les petits laboratoires. Et il existe une vraie demande de simplifier l'ensemble de ces procédures. Des discussions sont encore en cours à ce sujet qui reste... complexe !
Bien entendu, un programme aussi important comporte beaucoup de détails qui feront l'objet de longues négociations, mais la nouvelle orientation et la nouvelle architecture semblent satisfaire l'ensemble des acteurs politiques. Certes, la volonté de la Commission européenne, et surtout de son Président, de vouloir faire de l'Institut européen d'innovation un « M.I.T. » à l'européenne suscite quelques réserves au Conseil et au Parlement européen, mais il n'y a pas d'opposition majeure. Il faut dire que le consensus obtenu tient beaucoup à la méthode de travail choisie par la Présidence danoise. Elle avait proposé que les délégations du Conseil se mettent d'accord sur le fond du programme sans évoquer le budget qui serait négocié dans le cadre plus large du cadre financier pluriannuel pour 2014-2020.
Aussi, la véritable interrogation qui demeure concerne le budget d'Horizon 2020. Le Parlement européen avait demandé 100 milliards d'euros. Nous n'en sommes pas là, mais la proposition de la Commission européenne est ambitieuse : plus de 80 milliards d'euros. Cela en fait le troisième poste de dépense en Europe derrière la politique agricole commune et la politique de cohésion. Mais loin derrière ! Dans le projet initial de la Commission, la PAC se verrait dotée de 387 milliards d'euros et la politique de cohésion près de 376 ! Nous ne sommes pas dans la même catégorie et pourtant les dépenses en recherche et développement figurent au second rang des objectifs de la stratégie Europe 2020...
Ce budget est en augmentation, certes, mais celle-ci est relative. Le précédent budget comportait une forte progressivité. Tant et si bien que pour le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, le budget proposé dans Horizon 2020 pour 2014 permettrait tout juste un maintien des subventions pour la recherche au niveau de celles de 2013. Car il faut tenir compte du fait que, désormais, un certain nombre de subventions viseront des activités proches du marché et non plus seulement la recherche. C'est pourquoi, il me paraît important de soutenir le budget proposé.
Ce ne sera pas simple. Nous savons tous d'expérience que les discussions qui vont s'engager à l'automne sur le cadre financier pluriannuel, le CFP, seront très difficiles. Aujourd'hui, la plupart des délégations au Conseil sont favorables à un budget fort pour la recherche, même les États les moins sujets à la dépense européenne. Le 6 juillet, une première étape est intervenue en ce sens avec la réintégration d'ITER et GMES dans le CFP, avec une ligne propre à chacun et distincte du budget global de la recherche. Cependant, la situation économique et financière de l'Europe pourrait freiner un certain nombre de pays lorsqu'il faudra s'engager dans des investissements d'avenir.
Lors de son audition la semaine dernière au Sénat, Bernard Cazeneuve nous a affirmé que le Gouvernement français avait indiqué à la présidence chypriote qu'il souhaitait que le budget d'Horizon 2020 soit préservé. Ces dépenses sont nécessaires non seulement pour relancer l'économie et créer les emplois de demain, mais aussi pour conserver une recherche d'excellence. Préservons-les !
Sur le fond, vous l'aurez compris, ce programme est un bon programme, qui est bien accueilli. C'est pourquoi j'ai préféré soumettre à l'approbation de notre commission la publication d'un rapport d'information. Néanmoins, la question de l'enveloppe budgétaire d'Horizon 2020 reste pour moi préoccupante et je regarderai avec attention les propositions qui seront faites en octobre. Le cas échéant, je me permettrai de revenir vers vous si une prise de position plus forte de notre commission et de notre assemblée est nécessaire.
M. Jean Bizet. - Je voudrais remercier le rapporteur pour la clarté et la précision de son rapport, qui nous permet de bien situer la part de ce programme dans les grands équilibres budgétaires. Je souhaite également faire quelques remarques.
Concernant les fonds de cohésion, je suis en charge d'un groupement d'action locale dans le cadre d'un « pays ». Je constate avec satisfaction qu'en ce qui concerne la dévolution, la maîtrise et l'utilisation des fonds de cohésion, tout est fait au plus proche du territoire. J'y attache beaucoup d'importance, car c'est comme cela qu'on utilisera le plus intelligemment et le plus pertinemment ces fonds. J'ai vu deux périodes se succéder et je trouve qu'il y a une amélioration, par le canal des régions, de leur emploi.
Au sujet de la recherche et l'innovation, le budget est élevé, certes, mais j'espère qu'il pourra être maintenu, même dans cette période de restriction budgétaire. L'objectif de 3 % de dépenses me paraît justifié, tout comme le fait de renforcer notre compétitivité sur la base de l'intelligence et de l'innovation. Cependant, comme notre rapporteur, je regrette la faiblesse de l'investissement privé en la matière. Il serait intéressant de comprendre d'où provient cette carence, car il n'est pas dans notre culture, en Europe et particulièrement en France, de jouer la carte de la recherche et de l'innovation et du dépôt de brevets. Je me réjouis de la focalisation des investissements vers les PME-PMI qui me paraissent stratégiques et quant à la simplification, elle me paraît toujours souhaitable.
A la marge de notre sujet, je voudrais évoquer la question du brevet. Si cela est possible, Monsieur le Président, j'aimerais bien qu'à la rentrée notre collègue Richard Yung, qui suit ces questions, nous explique les dernières évolutions de ce dossier. L'adoption du brevet européen a encore été repoussée, alors que nous étions dans la dernière ligne droite et qu'un point d'équilibre avait été trouvé. Les députés européens ont rejeté ce compromis et j'aimerais en connaître les raisons.
Enfin, une question me tient à coeur, c'est celle d'un titre de propriété intellectuelle un peu particulier, le certificat d'obtention végétale. Ce brevet a été pensé en France mais ne trouve pas assez d'écho en Europe. Il existe en ce domaine une grande rivalité avec les États-Unis qui ne voient qu'à travers le brevet. Or, le certificat d'obtention végétale est beaucoup plus pertinent en matière de recherche : plutôt que de la capter, il permet la progression de la recherche. Quand vous déposez un brevet, vous sanctuarisez le domaine breveté, tandis qu'un certificat d'obtention végétal peut être utilisé par un chercheur pour le faire évoluer. Nous sommes en train de perdre une bataille avec les États-Unis et c'est dommage.
Mme Bernadette Bourzai. - Ce sujet est ardu et les programmes sont souvent complexes. Le rapport de notre collègue me semble en un éclairage tout à fait utile et je l'en remercie. Je souhaite que nous ayons un budget pour la recherche et l'innovation conséquent, parce qu'on ne peut pas toujours en faire une priorité et ne pas s'en donner les moyens.
Sur la simplification, je me permettrai d'émettre un petit doute, car toutes les fois où on a voulu simplifier les choses à Bruxelles, on les a compliquées ! Je me souviens que lors des négociations sur le précédent PCRDT, les députés européens dénonçaient déjà la complexité des programmes et les difficultés pour accéder aux financements. Je crois également qu'il y a beaucoup de difficultés dans l'exécution du programme. Il faudra gagner en efficacité sur ce point dans le huitième programme.
Par ailleurs, je me réjouis de la réintégration d'ITER et GMES dans le cadre financier pluriannuel. Cela permettra de les pérenniser. Ce sont des programmes très lourds et les laisser en-dehors de ce cadre financier les aurait menacés.
Enfin, je partage l'avis de Jean Bizet sur l'importance de la question des brevets et je crois qu'il serait utile de faire un point sur ce sujet.
M. André Gattolin. - La question des brevets nécessiterait une approche plus globale. J'ai découvert comme vous les informations concernant l'ajournement des décisions. J'ai le sentiment qu'il y a une polémique autour des trois centres et que sur les critères, l'idée est d'arriver à un brevet véritablement européen et de sortir d'une compétition interne à l'Europe qui est dommageable. Je crois aussi que cette décision du Parlement européen s'inscrit dans les relations conflictuelles qu'il entretient avec le Conseil ces derniers temps. En tous cas, je le regrette, car un brevet européen est très important pour la recherche. Je rappelle que le premier producteur de brevets en France c'est le CNRS !
Sur la faiblesse de l'investissement privé dans la recherche en France et dans l'Union, je crois que cela tient au fait qu'il n'y a pas assez de recherche « bottom-up » ou ascendante. Contrairement à la recherche «top-down » où une décision politique oriente les recherches, on peine a faire remonter des projets innovants. Lors de son audition, le ministre Bernard Cazeneuve a envisagé de faire du « bottom-up » dans le cadre du pacte de croissance et d'emploi. Cela consistera à identifier des projets au niveau des villes et des régions et de les faire remonter vers l'Union européenne. Cela me semble judicieux.
Concernant le pacte de croissance, ce qui d'une certaine façon me préoccupe, c'est qu'il comporte de fortes orientations vers l'innovation et la recherche. Je crains que lorsque les négociations sur le CFP se durciront, les partisans de la PAC, d'une part, et les partisans de la cohésion, d'autre part, ne disent : « la recherche et l'innovation ont déjà été bien aidées par le pacte de croissance, il n'est pas nécessaire d'affecter un budget si important au programme-cadre Horizon 2020 ».
Sur les PME, un aspect important concerne leur taille qui est très différente en France et en Allemagne, par exemple. Il existe même des conglomérats de PME, soutenus par les Länder allemands pour l'exportation et la demande de subventions européennes. C'est un exemple dont on pourrait s'inspirer.
Cela nous permettrait d'améliorer la part des soutiens européens à la recherche française. La France finance près de 17 % du budget européen et ne reçoit que 11 % des fonds alloués à la recherche. Pour améliorer ce résultat, il faudra mettre fin en France à la concurrence entre les appels d'offres nationaux et les appels d'offres européens. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso nous a redit combien les chercheurs s'étaient détournés des fonds européens quand le plan de relance français a été adopté en 2009. Or, il existe des initiatives intéressantes ailleurs en Europe : le Royaume-Uni a prévu que les projets de qualité étaient d'abord soumis à l'Union européenne pour une demande de subvention et, s'ils n'obtenaient pas cette dernière, ils étaient réintégrés dans le programme national. C'est tout à fait pertinent. Et, de plus, cela évite aux chercheurs de devoir monter des dossiers sur des critères différents et allège ainsi leurs charges administratives, dont tous ceux auditionnés ont souligné la lourdeur.
Concernant ITER et GMES, je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit. Des programmes aussi importants ont besoin de visibilité sur leurs financements à moyen terme.
Sur la simplification, il ne faut pas qu'elle soit une simplification pour la Commission qui gère les financements mais bien pour les acteurs qui les demandent ! Cela reste un sujet complexe...
À l'issue du débat, la commission a autorisé la publication du rapport.
Economie, finances et fiscalité - Taxe sur les transactions financières - Communication de Mme Fabienne Keller
Mme Fabienne Keller. - C'est un sujet d'étude au long cours qui alimente le débat international et national puisque nous allons en reparler à propos du projet de loi de finances rectificative !
Après des déplacements à Londres, à Bruxelles, au Luxembourg et à Zürich, je reviens donc devant vous pour vous exposer l'évolution de ce projet et pour commencer, permettez-moi de rappeler rapidement les principes qui sont à l'origine du projet de la directive créant la taxe sur les transactions financières :
- s'assurer que le secteur financier contribue de manière satisfaisante aux charges publiques, c'est-à-dire en clair qu'il soit taxé à hauteur de sa capacité de contribution ;
- limiter l'activité financière indésirable (entendez le trading trop fréquent) et stabiliser les marchés ;
- augmenter les recettes publiques ;
- améliorer le fonctionnement du marché unique en éliminant les doubles taxations et les distorsions de concurrence.
Ce sont des principes fondamentaux généraux, mais ce sont surtout des objectifs très ambitieux assignés à la TTF qui elle-même, en tant que mécanisme fiscal, se présente comme suit :
- une base très large, car la taxe concerne l'ensemble du marché secondaire des actions et des obligations, mais aussi l'ensemble des dérivés ;
- un taux minimal de 0,1 % sur les actions et les obligations et de 0,01 % sur l'ensemble des autres transactions financières ;
- l'application du principe de résidence, c'est-à-dire que la taxe est perçue dans l'Etat membre où réside au moins une des parties à la transaction, quel que soit le lieu où a lieu cette transaction.
C'est l'aspect peut-être trop global (l'ensemble des transactions) et le choix du principe de résidence (qui astreint au paiement de la taxe des parties non résidentes) qui a détourné de ce projet la plupart des Etats membres. Outre cela, beaucoup craignent que les places financières européennes (Londres et Luxembourg en particulier) perdent des pans entiers du marché au profit de New York, Singapour et Hong Kong, et demain Rabat et Ryad qui se préparent.
Ainsi le projet de directive dans sa rédaction actuelle n'a pas pu obtenir l'appui des 27 Etats membres et nous nous orientons désormais vers une coopération renforcée dont les contours se dessinent lentement.
Le projet de la Commission a affiché des ambitions démesurées qui ont fait obstacle au consensus.
D'abord, le principe de résidence est ainsi formulé dans l'article du projet de directive qui délimite son champ d'application : « La présente directive s'applique à toute transaction financière dès lors qu'au moins une des parties à la transaction est établie dans un Etat membre et qu'un établissement financier établi sur le territoire d'un Etat membre est partie à la transaction, pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers, ou agit au nom d'une partie à la transaction. »
Ce principe de résidence a pour conséquence qu'une institution financière est considérée comme établie dans un Etat membre et donc redevable de la taxe dès lors que (article 3 du projet) :
- elle a été autorisée à agir comme institution financière par l'Etat membre où elle se trouve ;
- elle a son siège social dans l'Etat membre concerné ;
- elle a son domicile ou sa résidence usuelle dans l'Etat membre ;
- elle dispose d'une succursale dans cet Etat membre ;
- elle est partie à une transaction avec une institution financière ou une autre partie résidant dans un Etat membre.
Ce principe a été conçu pour être particulièrement extensif et sa première conséquence est que si une transaction met en rapport deux parties ayant leur résidence dans l'Union européenne, la taxe est due deux fois, une fois par chacune des parties, quel que soit le lieu où la transaction est conclue.
A contrario, une transaction entre deux parties non résidentes mais prenant place dans l'Union européenne ne donne pas lieu au paiement de la taxe.
De même, il convient de remarquer qu'en application de la cinquième condition, une transaction entre une partie résidente et une partie non résidente donne aussi lieu au paiement de la taxe à deux reprises : la partie résidente parce qu'elle est résidente et la partie non résidente parce qu'elle traite avec une partie résidente.
Dans ces conditions, les adversaires de la taxe ont eu beau jeu de conclure que le principe de résidence portait mal son nom puisqu'il introduisait au contraire l'extraterritorialité de la taxe ; en effet, des parties étrangères à l 'Union seraient amenées à payer la taxe et des établissements financiers étrangers seraient requis pour encaisser la taxe et la verser à des fiscs étrangers. Le principe tel qu'il figure dans le projet de la Commission leur paraît donc assez difficile à appliquer. Pourtant, il s'agit d'une « mondialisation de la fiscalité de fait ».
Toutefois, la Commission a maintenu sa position en affirmant que le principe de résidence était le meilleur moyen d'éviter qu'on puisse échapper à la taxe ou délocaliser la transaction. Le principe de résidence, dans l'esprit de la Commission, implique que ce qui importe, ce n'est pas le lieu de la transaction, mais l'existence ou non d'un lien économique avec l'Union européenne. On peut donc considérer qu'il s'agit d'un principe particulièrement astucieux, répondant bien au risque éventuel de délocalisation des transactions.
Cependant, à défaut de délocaliser les transactions, les institutions financières pourront toujours se délocaliser elles-mêmes ou passer par leurs filiales.
La Commission propose une base très large et un taux très bas mais en théorie seulement. L'article 2 du projet de directive entend par « transaction financière » l'achat ou la vente d'un instrument financier avant compensation et règlement et englobe les contrats de prêt et d'emprunt de titres, le transfert du droit de disposer d'un instrument financier ainsi que les contrats dérivés. La Commission veut toucher tous les acteurs, tous les marchés et tous les produits du secteur financier. Cette ambition a soulevé des craintes chez certains membres.
En théorie, les taux minimaux proposés sont de 0,1 % pour les actions et les obligations et de 0,01 % pour les produits dérivés. Ces taux sont loin d'être des taux dérisoires bien qu'ils soient présentés comme faibles.
Pourtant, à ce stade, la base en termes d'instruments financiers n'est large qu'en apparence dans la mesure où nous n'avons pas encore les moyens de connaître le volume des transactions sur les dérivés qui fonctionnent en dehors des marchés réglementés. Je plaide pour ma part depuis le début pour une obligation de déclaration de toutes les transactions, qu'elles aient lieu ou non sur un marché réglementé.
Nous serons aidés par EMIR et MIFID. EMIR vise à introduire une plus grande transparence et une meilleure gestion des risques sur le marché des dérivés de gré à gré (obligation de compensation, règles communes pour les contreparties centrales, obligation de reporting, etc). MIFID améliore la protection des clients mais garantit et accroît aussi la transparence des marchés financiers ; ce règlement concerne l'ensemble des sociétés d'investissement. Il est prévu que les dérivés soient négociés sur des marchés réglementés. MIFID nous aidera donc à connaître les flux.
Quant aux taux proposés, ce sont des minima selon la Commission qui laisse aux Etats membres le soin de les augmenter, en tant que de besoin, tout en signalant que des taux trop élevés seraient susceptibles d'encourager les délocalisations. On rappellera que le taux s'applique au prix effectif de la transaction.
Nos interlocuteurs du secteur financier nous ont fait remarquer que les taux n'étaient faibles qu'en apparence puisque l'effet de cascade propre aux transactions n'avait pas été pris en compte par la Commission. Ainsi un simple achat d'action à la Bourse entraîne des achats et des ventes entre plusieurs parties prenantes comprenant les courtiers, les chambres de compensation, et la centrale de compensation. A ce stade du projet, seule la centrale de compensation est exemptée du paiement de la taxe, si bien qu'il faut ajouter aux taxes payées par l'acheteur et le vendeur celles qui seraient payées par les deux courtiers et les deux chambres de compensation, chaque fois à l'achat et à la vente, ce qui conduit dans le meilleur des cas à un taux de 2,2 % pour une simple transaction. Cet effet de cascade sera peut-être corrigé dans le projet de coopération renforcée, mais dès le départ, il a naturellement joué contre le projet de directive. Pourtant, il n'entrait sans doute pas dans l'intention de la Commission pour qui la transaction n'est qu'un achat et une vente.
Mais il y a d'autres obstacles au consensus.
Ainsi les Etats membres qui s'opposent à la taxe ont rappelé que le coût de la taxe finirait par peser sur les clients du secteur bancaire et non sur les établissements financiers eux-mêmes.
Ces clients comprennent de simples particuliers, mais aussi des institutions qui interviennent constamment sur les marchés et tout particulièrement les fonds de pension. La taxe a été présentée alors comme une attaque directe contre le pouvoir d'achat des retraités. De même, les fonds d'investissement verraient leurs coûts de gestion alourdis alors que la mutualisation des dépôts avait pour mérite de diminuer les coûts de gestion pour les petits investisseurs.
Enfin, l'instauration de la TTF aurait, pour la Commission, un effet négatif sur la croissance. C'est ce qu'elle indique dans sa première étude d'impact du projet de directive. Cependant, à la demande réitérée du Parlement européen, la Commission a présenté une nouvelle étude d'impact moins négative, semant le doute dans les esprits.
En outre, il y a d'autres modèles de taxation du secteur financier qui vont influencer la coopération renforcée. En s'engageant dans la coopération renforcée, quelques Etats membres songent déjà plus à un droit de timbre qu'à une taxe Tobin européenne, et ils n'excluent pas de s'inspirer du droit de timbre à l'anglaise ou à la suisse, de l'impôt de bourse réintroduit par la France, voire d'une imposition nouvelle de l'activité financière (comme le « Financial Activities Tax »).
· Le « Stamp Duty » anglais et la « Bank Levy ».
Le « Stamp Duty » est un impôt dû au titre des transactions portant sur les actions de sociétés britanniques et sur les actions de sociétés étrangères enregistrées au Royaume-Uni, mais aussi sur les options d'achat et sur les droits provenant d'actions déjà détenues,
Le taux de cette taxe est de 0,5 % (1,5 % en cas de transfert à l'étranger). La recette annuelle varie entre 2,5 et 3,5 milliards de Livres.
A côté du « Stamp Duty » existe, depuis 2011, la « Bank Levy » sur le passif des banques établies au Royaume-Uni dès que la somme de leurs dettes dépasse 20 milliards de Livres.
Le taux de la taxe est actuellement de 0,04 % et les recettes d'environ 2 milliards de Livres.
Ce sont deux pistes qui peuvent entrer en concurrence avec la TTF.
· La « Financial Activities Tax » dite « taxe sur les bonus »
La F.A.T. est un concept soutenu par le FMI. Il s'agit d'une taxe sur la rémunération des banquiers et sur le résultat net des banques. Le FMI a présenté son projet devant les pays du G20. La Commission a soutenu quelque temps ce projet avant de se rallier à la TTF et de rédiger l'actuel projet de directive.
Cette taxe est injustement appelée « taxe sur les bonus », car elle se propose de taxer, au-delà des bonus, l'ensemble des rémunérations et des profits ; mais elle ne vise que le secteur bancaire.
· Le Droit de timbre suisse
C'est un impôt qui a fait ses preuves depuis 1918 parce qu'il a été régulièrement adapté. Il frappe le transfert de propriété lorsque la possession des titres passe d'un détenteur à un autre. Les titres concernés sont les actions, les obligations, les parts de fonds et certains produits dérivés. La mutation doit s'opérer à titre onéreux. La taxe est de 1,5 %o pour les titres suisses et de 3 %o pour les titres étrangers pour chaque transaction (chaque partie en paie la moitié). Banques et agents de change étrangers sont exonérés ainsi que les instruments collectifs suisses ou étrangers. C'est un impôt simple et efficace.
· La TTF à la française : un simple droit de timbre
La loi de finances rectificative du 14 mars 2012 crée une taxe sur les achats d'actions françaises. Le champ d'application est réduit par rapport au projet de directive sur la TTF et même par rapport à l'ancien impôt de bourse français supprimé en 2007, mais cette assiette réduite devait éviter de créer un désavantage compétitif pour les marchés financiers français.
Il s'agit d'imposer le transfert d'actions françaises, sur un marché réglementé français, mais seulement d'actions d'entreprises dont la capitalisation boursière dépasse le milliard d'euros. Le taux était de 0,1 %. Le dispositif était considéré comme une amorce en attendant l'adoption d'une TTF.
Le projet de la nouvelle loi de finances rectificative pour 2012 veut multiplier le taux par 2.
J'en viens maintenant aux contours prospectifs de la coopération renforcée.
Mais tout d'abord un mot sur les pistes du Parlement européen qui oscillent entre réalisme et idéologie. Car, naturellement, le Parlement européen s'est prononcé sur le projet de directive de la Commission. Nous avons d'ailleurs rencontré l'auteur du rapport, Mme Annie Podimata, très optimiste sur l'issue de la coopération renforcée et considérant la TTF comme « un instrument de sortie de crise ». Les taux ont été jugés adaptés, mais il a été suggéré, avec beaucoup de réalisme, de dispenser de la taxe les fonds de pension.
Cependant, en contrepartie de cette option réaliste, le Parlement étend le champ d'application de la TTF en ajoutant un « principe de lieu d'émission » et en le combinant avec le principe de résidence. Ainsi les institutions financières situées en dehors de l'Union seraient également obligées de payer la TTF quand elles négocient des titres émis à l'origine dans l'Union européenne.
Le Parlement envisage de lourdes sanctions en cas de fraudes et souhaite que, tant que la taxe n'est pas payée, la mutation soit considérée comme nulle.
Le Parlement n'exige pas que le produit de la TTF soit transféré au budget de l'Union, laissant pour l'instant cette importante question pendante.
Pour ma part, je regrette de devoir signaler que le débat sur le partage du produit d'une éventuelle TTF s'est arrêté.
Quoi qu'il en soit, nous nous engageons dans une coopération renforcée et plusieurs étapes nous attendent. Au terme d'un débat d'orientation des ministres des finances des 27 Etats membres, le 22 juin, à Luxembourg, la présidence danoise de l'Union européenne a constaté qu'aucun accord ne pouvait être trouvé à l'unanimité sur la directive instaurant la TTF, mais qu'un nombre significatif de pays étaient prêts à former une avant-garde (ils seraient entre 9 et 12), à savoir l'Autriche, l'Allemagne, la France, la Belgique, le Portugal, la Slovénie, la Grèce, l'Espagne et sans doute l'Italie, la Pologne, la Slovaquie et l'Estonie. Ces Etats doivent maintenant amorcer la deuxième étape : l'envoi à la Commission d'une lettre détaillant leur projet, ce qui est nettement plus difficile, car ils se divisent déjà en deux écoles (ceux qui veulent créer la TTF en amendant le texte du projet de directive et en avançant par petits pas, et ceux qui veulent une taxation du secteur financier adaptée et efficace tout de suite et pas forcément une TTF).
La troisième étape consistera pour la Commission à vérifier que toutes les conditions de la coopération renforcée fixées par le traité sont respectées et, entre autres, l'absence de risque de créer des distorsions au sein du marché intérieur. Si les conditions sont respectées, la Commission proposera au Conseil d'autoriser formellement la coopération renforcée. Le Conseil devra se prononcer à la majorité qualifiée quand le projet aura aussi reçu le consentement du Parlement, ce qui constitue la quatrième étape.
Enfin, la Commission fera une nouvelle proposition législative en bonne et due forme qui devra être adoptée selon la procédure de codécision.
Au cours de ces étapes, les pays opposés à la TTF auront tout le loisir de vérifier que le projet de coopération renforcée ne lèse pas leurs intérêts. C'est là que sont les difficultés.
Quant aux contours de la coopération renforcée, ils ne sont pas encore très précis d'autant plus que la France et l'Espagne ont demandé que l'on adopte une approche graduelle qui exclurait, dans un premier temps, les produits dérivés et les fonds de pension et peut-être même les fonds d'investissement.
Ailleurs, on étudie déjà des variantes à la TTF afin d'élargir, sinon d'affermir, le consensus. Une piste existerait du côté de la TVA selon l'Autriche. Une autre consisterait à généraliser le droit de timbre.
Le commissaire européen, M. Algirdas Semeta, s'est engagé à réaliser une nouvelle étude approfondie sur l'impact économique de la TTF.
De source officieuse, on s'orienterait peut-être vers une première étape minimaliste (champ d'application étroit) ; puis on procèderait par étapes. Toutefois, il faudrait d'abord convaincre du bien-fondé de la TTF ceux qui entrent dans la coopération renforcée avec l'idée que la TTF est dépassée et qu'il faut envisager un autre type de taxation du secteur financier.
Quoi qu'il en soit, un débat d'orientation sur le sujet aura lieu lors de l'ECOFIN du 9 octobre prochain.
Ce qui est curieux avec la TTF, c'est qu'il existe presque partout un consensus enthousiaste sur le principe et sa justesse et que très vite on se heurte aux difficultés dès qu'on aborde sa mise en oeuvre.
En conclusion, je dirai qu'une fois de plus, l'Europe avance lentement mais elle avance...
Si l'on regarde les choses avec objectivité et pragmatisme, rien n'est encore gagné pour la TTF, mais ce qui est acté et gagné à l'heure où je vous parle, c'est l'idée qu'il faut mettre sur pied une taxation européenne du secteur financier, en gardant à l'esprit qu'il faut le faire sans perdre de parts de marché dans ce secteur où l'Europe n'est déjà plus en position dominante.
M. Simon Sutour, président. - Je remercie Mme Fabienne Keller pour la clarté de son exposé et je rappelle que je soutiens le principe de la TTF depuis plus de quinze ans.
M. Jean Bizet. - J'avoue mon scepticisme et, selon moi, en matière de TTF, c'est « tout le monde ou personne » qui est le principe qui doit prévaloir. Sur le principe, je suis un adepte des coopérations renforcées. Après les contentieux matrimoniaux et le brevet, ce serait la troisième, mais le contexte est très différent. Il y aurait un risque sérieux de marginalisation des participants à cette coopération renforcée. Le Président d'Euronext nous a dit récemment que l'Europe n'était plus en position dominante sur les marchés financiers et que la City était la tête de pont des Etats-Unis. L'instauration de la TTF achèverait de faire décrocher l'Europe continentale.
M. André Gattolin. - Je remarque, si je comprends bien, que quelle que soit la solution choisie (directive européenne, proposition du Parlement européen, coopération renforcée selon la première école), la TTF implique des parties extérieures à l'Union européenne ou des pays qui n'entreraient pas dans la coopération renforcée. Cela complique la situation puisque ces pays seraient contraints de payer la TTF sans l'avoir voulu.
Quant au risque d'affaiblir les marchés européens, je n'y crois pas, car il y a une telle activité que quelques pourcents ne changeront rien.
Mme Fabienne Keller. - C'est une idée qui fait son chemin. Pour la taxe française, il serait bon de savoir si son produit tombe dans le budget général ou pas... Je signale que le principe de résidence rend difficile la délocalisation des transactions. Je confirme que la TTF aurait bien des conséquences (fiscales ou simplement administratives) même sur les pays qui ne l'adopteraient pas, mais je ne peux pas me prononcer sur ce que sera le texte de la coopération renforcée. Il faudra être vigilant.
M. Simon Sutour, président. - C'est une cause juste et pour savoir si sa mise en oeuvre est possible, il faut se lancer dans cette mise en oeuvre.
Jeudi 26 juillet 2012
- Présidence de M. Simon Sutour, président -Bilan de l'activité de la commission
M. Simon Sutour, président. - Cette réunion étant la dernière avant la suspension des travaux, je tenais à vous fournir quelques chiffres pour tirer le bilan des activités de notre commission. Depuis le mois d'octobre 2011, notre commission a tenu 36 réunions. Dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, nous avons adopté vingt-et-une propositions de résolutions européennes, presque toujours à l'unanimité. Je les ai transmises au ministre des affaires européennes, M. Cazeneuve, afin d'en assurer le suivi au niveau du gouvernement. Toujours dans le cadre de l'article 88-4, nous avons examiné 835 textes, dont 401 en procédure écrite, 347 en procédure simplifiée, 21 en procédure d'urgence et 66 en réunion normale.
Dans le cadre de l'article 88-6, nous avons adopté 8 avis motivés, dont le fameux « carton jaune » sur la proposition Monti II. Nous avons examiné 175 textes, essentiellement dans le cadre de notre groupe de travail. Enfin, dans le cadre de l'initiative Barroso, nous avons adopté 5 avis politiques. La commission a publié 5 rapports d'information, et participé à 7 débats en séance publique et 36 réunions de commission.
Le groupe « subsidiarité » vient de se réunir et a estimé que le texte COM (2012) 369 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain méritait un examen plus approfondi.
M Jean-Louis Lorrain est désigné rapporteur de ce texte.
Institutions européennes - Situation en Roumanie et en Bulgarie - Rapport d'information de MM. Simon Sutour, Michel Billout, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-François Humbert et Mme Catherine Morin-Desailly
M. Simon Sutour, président. - Une délégation de notre commission s'est rendue au mois de mai en Roumanie et en Bulgarie pour se rendre compte sur place des progrès réalisés par ces deux pays pour répondre aux standards européens. Nous voulions également nous rendre dans un poste frontière pour y voir comment sont mises en place les procédures Schengen. Ce déplacement, auquel ont participé Mme Morin-Desailly, Mme Bourzai, M. Billout, M. Humbert et moi-même, a été riche d'enseignements.
Le traité d'adhésion à l'Union européenne de la Roumanie et de la Bulgarie a été signé à Luxembourg le 25 avril 2005. C'étaient alors les deux derniers pays de l'Est à retourner dans le sein de l'Europe libre. On savait qu'ils étaient moins avancés sur le plan économique et juridique que d'autres pays de l'Est, mais on espérait qu'ils allaient rattraper le temps perdu et répondre aux critères économiques et démocratiques exigeants de l'Union.
C'est ce qui fut fait, à un rythme soutenu tant était grand alors le désir de rejoindre le club des démocraties relativement riches et stables. Toutefois, il est vite apparu que la préparation de la Roumanie et de la Bulgarie ne serait pas parfaite à la date définitive de leur entrée. Nous savions notamment que la construction de l'Etat de droit n'était pas achevée. Les ambassadeurs de France dans ces deux pays, que nous avions entendus il y a quelques années, nous l'avaient confirmé.
En 2006, la Commission européenne signalait dans son rapport que la Bulgarie devait faire des efforts supplémentaires en matière de justice et de lutte contre la corruption ; elle demandait également une intensification de la lutte contre la corruption en Roumanie et relevait que la protection des minorités n'y avait pas enregistré de progrès tangibles.
A la veille d'un élargissement historique, il fallait rester lucide et mettre toutes les chances du côté des deux nouveaux entrants en balisant le chemin de leur progression. On créa donc le Mécanisme de coopération et de vérification (MCV), garant des conditions requises pour fonder un véritable État de droit. Depuis 2007, la Bulgarie et la Roumanie ont donc l'obligation de rapporter à la Commission sur les progrès réalisés en vue d'atteindre les objectifs de référence, la Commission faisant un bilan tous les six mois.
En 2010, les rapports étaient encore préoccupants. L'Union décida donc le 13 septembre 2010 de prolonger le contrôle de la Bulgarie et de la Roumanie pour un an ; puis à nouveau le 20 juillet 2011. Le 18 juillet dernier, la Commission a annoncé que le MCV était maintenu pour ces deux pays, et que leur entrée dans Schengen était compromise.
La déception est grande. Depuis un an, la Roumanie et la Bulgarie se battaient pour obtenir la suppression du MCV et l'entrée dans l'espace Schengen, en tentant de distinguer les critères exigés pour Schengen de ceux du MCV.
L'agacement provoqué par le MCV était palpable chez nos interlocuteurs. Mais les ministres des affaires européennes des deux pays préfèrent souligner les progrès accomplis plutôt que de remettre en cause le MCV. Les ministres de l'Intérieur font de même en ce qui concerne les critères Schengen. Le MCV reste toutefois perçu par les politiques comme une atteinte à la souveraineté nationale. Personnellement, j'estime qu'il faut aider les pays à se conformer aux standards européens, mais qu'aucun pays n'est irréprochable. Lors de la réunion des présidents des commissions des affaires européennes, mon homologue du Bundesrat s'était montré très sévère envers la Roumanie, où une procédure de destitution du président de la République est en cours, oubliant que le président allemand a démissionné car sa probité était mise en cause. En France, des douaniers de Roissy sont soupçonnés de corruption. Il faut donc relativiser !
Même si nous avons toujours insisté sur la « coopération » plus que sur la « vérification », nos interlocuteurs officiels dans leur majorité ont récusé le mécanisme, oubliant parfois qu'il ne se perpétue que parce que les avancées sont trop lentes. Pourtant, les progrès existent, même s'ils sont insuffisants. La Commission européenne le reconnaît, mais préfère continuer à exercer une pression.
La Bulgarie et la Roumanie sont sur la défensive et dans l'expectative. Les conclusions de la Commission dans le cadre du MCV sont négatives. On ne sait si la décision sur l'élargissement de Schengen, qui doit être prise à l'automne, pourra être positive.
Pourtant, un nouveau climat s'était établi depuis le changement de majorité en France. J'ai lu que Manuel Valls avait évoqué Schengen lors de son audition au Sénat hier ; peut-être Mme Tasca, qui y assistait, pourra nous en dire davantage.
Les événements politiques en Roumanie, où des élections générales se tiendront à l'automne, ont certes inquiété les chancelleries et la Commission européenne, car les réformes demandées dans le cadre du MCV impliquent un consensus politique et social fort. L'optimisme est aujourd'hui moindre, mais on ne saurait préjuger de la capacité de la Roumanie à rebondir. Plutôt que de tancer ces pays, il faut les aider !
La crise économique pèse sur leur redressement et impose une politique de rigueur aux deux Etats les plus pauvres de l'Union. La richesse produite par habitant reste inférieure à la moitié du niveau européen : 44 % pour la Bulgarie, 46 % pour la Roumanie. Leur population diminue. En Roumanie, la croissance est revenue à 2,5 % en 2011 après avoir connu un pic à 7,5 % en 2007 et des taux négatifs de 2008 à 2010. Le chômage reste élevé, à 12 %. Le salaire mensuel moyen est inférieur à 350 euros. Les salaires du secteur public sont gelés après avoir été dévalués de 25 %. La TVA a été portée à 24 %. 200 000 fonctionnaires ont été licenciés. En outre, la Roumanie subit l'effondrement des investissements étrangers et la fuite des cerveaux : les meilleurs étudiants sont repérés et recrutés par des entreprises étrangères comme Deutsche Bahn. Enfin, le déficit public s'élève à 34,5 % du PIB.
La Bulgarie, pour sa part, a connu une période faste jusqu'en 2007 ; la crise a ensuite empêché toute croissance. Le taux de 2011 - 1,6 % - annonce un léger redémarrage. Le salaire moyen est de l'ordre de 300 euros. Le déficit public tourne autour de 15 % mais le chômage reste élevé : 12,2 % en 2011.
Dans ce contexte, on regrette que les fonds européens ne soient pas mieux utilisés. Ces fonds - de 19,7 milliards d'euros pour la Roumanie de 2007 à 2013 et de 6,9 milliards pour la Bulgarie - ne sont pas suffisamment consommés, faute de capacités administrative et juridique suffisantes. En outre, ces pays n'ont pas de capacités d'autofinancement.
La Roumanie et la Bulgarie reconstruisent l'intégralité de leur système judiciaire, ce qui prend du temps, d'autant qu'une partie de la classe politique et judiciaire ne joue pas le jeu. La Commission européenne s'impatiente : elle demande qu'une Cour constitutionnelle et un Conseil supérieur de la magistrature fonctionnent normalement dans chacun des deux pays, et que les procédures soient accélérées dans les affaires de corruption afin que les délais de prescription ne soient pas systématiquement dépassés. Là encore, relativisons : le fonctionnement d'une Cour constitutionnelle relève de la souveraineté des États, et les problèmes liés aux nominations de magistrats ne sont pas propres à ces deux pays !
Où en sont les préparatifs pour l'entrée dans Schengen ? En Roumanie, nous nous sommes rendus dans un poste frontière. Si ce que l'on nous a montré nous a paru très positif, les policiers français qui nous accompagnaient nous ont donné un éclairage différent... Nous avons visité au ministère de l'Intérieur le système SIS I+ : là encore, nous avons vu des gens jeunes, bien formés, volontaires. Enfin, le plan d'action 2012 de lutte contre l'immigration illégale semble un gage de bonne volonté. La Roumanie a pris conscience des enjeux de Schengen. Le ministre de l'Intérieur se dit prêt. Quant à la Bulgarie, elle tient des statistiques encourageantes sur la police des frontières.
La Roumanie et la Bulgarie sont conscientes que l'entrée dans Schengen introduira des contraintes fortes et coûteuses. La France propose de renforcer la coopération en matière de douane et de créer un corps européen dans le cadre de Schengen. Les progrès sont indéniables. L'idéal, à terme, serait une douane européenne. D'ici-là, les ministres de l'Intérieur disent souhaiter une coopération avec les policiers et douaniers des autres États membres, coopération qui a déjà commencé, notamment sur la frontière serbe. Nous soutenons ces initiatives.
De cette mission ressort l'impression que la Bulgarie et la Roumanie sont encore en phase de transition, et peinent à établir un Etat de droit irréversible. Dans son rapport du 18 juillet, la Commission européenne doute sérieusement de la capacité de Bucarest à maintenir les réformes entreprises grâce au MCV. Les objectifs n'étaient pas atteints ; pour la Commission, ils ne sont peut-être même pas poursuivis sincèrement. C'est pourquoi elle conclut à la poursuite du MCV et exige du gouvernement roumain la révocation des ordonnances d'urgence touchant la Cour constitutionnelle et sa décision relative au mode de participation au référendum du 29 juillet sur la destitution du président de la République. Le Premier ministre M. Victor Ponta s'est engagé par écrit à respecter les exigences de la Commission. Le gouvernement roumain promet de tirer toutes les conclusions qui s'imposent et dénonce les effets dévastateurs d'une « guerre mensongère » orchestrée par ses rivaux politiques, qualifiée de « guerre lancée depuis la Roumanie contre la Roumanie ».
La Bulgarie échappe à une nouvelle évaluation à mi-parcours. La Commission juge qu'elle est en passe de remplir ses objectifs au titre du MCV, mais que celui-ci doit se poursuivre tant que des manquements perdurent.
Selon la Commission, la situation des deux pays au regard du MCV rendra très difficile la négociation de leur entrée dans l'espace Schengen, ce qui signifie que celle-ci sera à nouveau reportée. Peut-être le Conseil européen aura-t-il une position différente de celle de la Commission : les prochaines élections aux Pays-Bas - qui avaient bloqué l'adhésion à Schengen de ces deux pays sous la pression d'un des partis de la coalition au pouvoir - devraient redistribuer les cartes.
Je ne partage pas forcément l'analyse de la Commission européenne. Comme l'ont rappelé mes homologues du Sénat et de l'Assemblée nationale roumains, le peuple souverain s'exprimera, lors du référendum du 29 juillet et surtout lors des élections générales fin novembre.
Nous sommes conscients que la transition est loin d'être terminée en Roumanie et qu'elle progresse lentement en Bulgarie. Nous voulons être lucides, sans pour autant soutenir sans nuance l'attitude très sévère de la Commission. Pour le bien de la Roumanie et de la Bulgarie comme pour celui de l'Europe, il faut être vigilant - et ce dans tous les pays, car le combat n'est jamais totalement gagné !
Nos amis roumains reconnaissent que sans la pression de l'Europe, les réformes ne se seraient pas faites aussi vite. Nous avons constaté la même chose en Croatie : la volonté d'adhérer à l'Union européenne incite à faire des efforts. Plus de vingt ans se sont écoulés depuis le retour à la démocratie : c'est peu. L'Europe peut se féliciter d'avoir contribué à amorcer cette transition et la France d'avoir toujours été aux côtés de la Roumanie et de la Bulgarie. Nous avons une réelle influence dans ces deux pays, qui sont tous les deux membres de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Nous avons été très bien reçus. La jeune présidente de la commission des affaires européennes bulgare, que nous avions reçue ici, est très représentative de la nouvelle génération d'élus de ces nouvelles démocraties.
Mme Catherine Tasca. - Lors de son audition hier devant le Sénat, marquée par un très long exposé du président Sueur et de nombreuses interventions de parlementaires, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls, qui avait un avion à prendre, n'a répondu que très brièvement. Il n'a fait qu'une allusion à Schengen dans son propos liminaire, pour dire que la dernière réunion du Conseil ne posait aucun problème. Je lui ai demandé comment il interprétait l'attitude des autres États membres et dit notre inquiétude face à l'évolution politique de certains États sur les questions d'immigration. Je n'ai pas eu de réponse.
M. Simon Sutour, président. - A en croire la presse de ce matin, le ministre aurait dit que la France n'était pas pour la fermeture temporaire des frontières, contrairement au gouvernement précédent.
Mme Catherine Tasca. - Le ministre a manifestement complété sa communication. Au Sénat, il n'a pas été aussi précis.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je partage l'analyse du président Sutour. Lors de notre déplacement, nous avons essayé de répondre aux questions et aux inquiétudes de nos homologues. J'ai pour ma part été frappée par la pesanteur du passé : on sent que ces démocraties sont très jeunes. J'ai ressenti un fort besoin d'Europe, qui s'exprime de façon peut-être exigeante, mais c'est aussi un élément dynamique. La fuite des cerveaux est une réalité, et nous avons été alertés sur le manque de formations professionnalisantes préparant à l'entreprise. Enfin, le président Sutour a toujours insisté sur les aspects positifs du MCV, et rappelé que nous préférions la coopération à la vérification.
Mme Bernadette Bourzai. - Je partage moi aussi l'analyse du président Sutour. J'ai pour ma part interrogé nos interlocuteurs sur la PAC et la politique de cohésion. La Roumanie et la Bulgarie attendent une convergence renforcée des aides au plan agricole. Pour ce qui est de la politique de cohésion, la Bulgarie s'en sort un peu mieux que la Roumanie, mais le cofinancement demeure un problème : ces pays ne parviennent pas à mobiliser des fonds pour mener les projets d'infrastructures qui permettraient de consommer les crédits avant la fin 2013. Le risque de dégagement d'office est réel. Plutôt que de les condamner, il faut aider ces pays, leur apporter ingénierie et conseils. La région Limousin, par exemple, est fortement consommatrice de fonds structurels : ne pourrait-on envisager des jumelages, des transferts de savoir-faire pour aider ces pays à progresser ?
M. Michel Billout. - Je suis chargé d'un rapport sur la population Rom dans l'Union européenne, que je rendrai en novembre. L'extrême pauvreté qui sévit en Roumanie et en Bulgarie - qui ne touche pas que cette population - hypothèque leur avenir. Elle se traduit par une très forte émigration économique, de la population Rom mais aussi des plus qualifiés. Beaucoup de médecins roumains quittent leur pays pour la France ! De nombreux étudiants français font leurs études de médecine en Roumanie, mais ne resteront pas une fois diplômés. La situation est inquiétante.
La courbe démographique de la Bulgarie est très négative et les pertes de population importantes, pour un pays qui ne compte que 7 millions d'habitants.
La Roumanie et la Bulgarie ont besoin de l'Union européenne pour atteindre les objectifs qui leur ont été fixés. La politique de sanction n'est pas la plus adaptée. Les institutions restent instables, la vie politique ne s'y appuie pas sur des partis forts, mais se structure autour de personnalités : le parti au pouvoir en Bulgarie est celui du maire de Sofia. Sans stabilité politique, les progrès seront plus difficiles. M. Bernard-Reymond et moi-même avions déjà souligné ces problèmes en 2009 dans une communication sur le MCV. Si la coopération aide à avancer, les rapports annuels entretiennent surtout le jeu politicien...
M. Jean-François Humbert. - Je serai bref, car j'étais le douzième homme de la délégation, et ne suis pas resté sur le terrain pendant toute la durée du match. On a évoqué la fuite des cerveaux : c'était le cas du fiancé de notre guide, aspiré par une grande entreprise allemande. Je partage les analyses de notre président. Ce voyage a été passionnant. J'ai été particulièrement frappé par la pauvreté ambiante en Bulgarie, qui laisse présager des jours difficiles.
M. Nicolas Alfonsi. - J'avais été le seul au Sénat à voter contre l'adhésion de ces deux pays. Ce que je viens d'entendre ne m'aura pas fait changer d'avis !
M. Simon Sutour, président. - Il était utile de nous rendre sur place et de rencontrer nos homologues.
A l'issue du débat, la commission a décidé d'autoriser la publication du rapport.
Agriculture et pêche - Rôle des organisations de producteurs dans la négociation du prix du lait - Proposition de résolution européenne de M. Jean Bizet
M. Jean Bizet. - Les producteurs de lait sont aujourd'hui dans une situation plutôt inconfortable. La politique du lait a longtemps été - et restera longtemps - une politique d'aménagement du territoire rural. Les évolutions du cours des céréales ayant un impact très fort sur les élevages, il est important de se pencher sur l'histoire des organisations de producteurs.
Ce rapport résulte d'un constat : la réforme du secteur laitier, telle qu'elle a été envisagée par le « mini paquet lait » adopté par l'Union européenne en début d'année, s'engage assez mal. Cette réforme fait suite à la crise du secteur laitier en 2009 : les prix avaient baissé de 50 %, voire de 80 % dans certains pays de l'Union. La crise mêlait l'internationalisation du marché du lait et l'inquiétude des éleveurs devant la fin des quotas laitiers, annoncée pour 2015 - et que la France avait été l'une des dernières à accepter.
Avec la loi de modernisation de l'agriculture de 2010, la France avait choisi d'engager le secteur dans la voie - révolutionnaire ! - de la contractualisation. Des contrats passés entre éleveurs et fabricants devaient succéder au cadre sécurisant des quotas. Mais que pèse un éleveur qui a trente ou quarante vaches face à un industriel présent dans trente ou quarante pays ? Pour équilibrer le rapport de forces entre les deux parties, il était prévu que les éleveurs puissent se regrouper en organisations de producteurs, afin de peser dans la négociation des contrats, en particulier dans la négociation des prix. Tel fut l'objet du « mini paquet lait », adopté en mars 2012 à la suite d'une intense pression de la France. M. Bruno Le Maire, alors ministre de l'agriculture, et notre commissaire M. Michel Barnier, ancien ministre de l'agriculture, s'étaient montrés très pugnaces pour convaincre le commissaire à la concurrence, M. Almunia.
Cette disposition est très novatrice. Le droit agricole et le droit de la concurrence ont toujours été dans une complémentarité difficile. Bruxelles fait toujours primer le droit de la concurrence et sanctionne toute entrave à la concurrence. L'article 42 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit toutefois des dérogations pour l'agriculture ; les accords et ententes sont autorisés lorsqu'ils sont nécessaires à la réalisation des objectifs de la PAC, mais ces dérogations sont limitées par les interprétations restrictives des institutions de contrôle. En 2003, la Commission a condamné une entente dans le secteur bovin. La Cour de justice de l'Union européenne fait prévaloir le droit de la concurrence chaque fois que possible. L'Autorité de la concurrence française a quant à elle dénoncé en 2008 les recommandations de prix établies par l'interprofession laitière ; en début d'année, elle a également sanctionné le cartel des endiviers.
En 2008, j'ai eu des rapports difficiles avec le conseiller agriculture du président de la République de l'époque : en condamnant de manière trop autoritaire le rôle des indicateurs de tendance, il avait brutalement amplifié la crise qui se profilait.
Organisations à statut, reconnues par l'Etat et qui visent une mutualisation des moyens de leurs membres, les OP sont mentionnées dans le droit agricole européen. Selon la Commission, « ces OP ont pour but de renforcer la position des producteurs sur le marché ». Ce « mini paquet lait » apporte deux nouveautés. En premier lieu, les OP dans le secteur laitier sont expressément reconnues, comme l'étaient, avant elles, les OP des producteurs de fruits et légumes. Le seuil de constitution est fixé à deux cents adhérents. Avant ce règlement, les éleveurs étaient regroupés soit en coopératives, ce qui implique un transfert de propriété de la marchandise, soit sous différents statuts. Les OP supposent quant à elles une organisation plus formelle et ont des missions plus importantes.
Le droit de la concurrence interdisait aux agriculteurs de se regrouper pour peser face à la grande distribution. Le règlement confie aux OP la capacité de négocier des contrats portant sur les volumes et les prix, à condition de ne pas dépasser 3,5 % de la production totale de l'Union ou 33 % de la production nationale. Cette possibilité n'est plus réservée aux seuls cas où il y a transfert de propriété de la marchandise. Il s'agit, ni plus ni moins, de la reconnaissance explicite d'une entente. Dans un contexte européen très favorable à la concurrence, c'est un saut majeur, et une victoire française.
On constate pourtant beaucoup d'attentisme sur le terrain. Seuls deux projets d'OP sont en cours de validation. Les éleveurs sont réticents. L'OP impose un formalisme lourd et doit obtenir des mandats de vente de ses adhérents, or les agriculteurs sont souvent très individualistes. Beaucoup sont déjà regroupés en différentes formes d'associations et se demandent à quoi servent ces OP sinon à créer une structure supplémentaire.
Mentionnons aussi les difficultés humaines puisque les responsables des groupements actuels appréhendent d'être remis en cause par une nouvelle OP. Certains militent parfois pour la constitution d'OP, mais s'empressent de négocier à l'ancienne avec les industriels.
Le doute s'installe d'autant plus que les contrats ne règleront ni le niveau des prix ni leur volatilité ; les contrats n'empêcheront pas la restructuration. La filière lait prend une large part dans l'aménagement du territoire. Nous sommes dans un marché très internationalisé. La restructuration de la filière sera inévitable. En France, elle a eu lieu en amont (nous avons 400 transformateurs et 4 à 5 grands industriels sur le marché mondial), mais peu en amont. Outre-Rhin, la restructuration s'est faite du côté des producteurs et non des transformateurs.
Les industriels n'ont guère été partisans de la mesure. Leur approche a un impact direct sur l'attitude des éleveurs. Cet attentisme est très embarrassant.
Les groupements actuels n'ont aucune sécurité juridique. Seules les OP sont reconnues par le paquet lait. Toute négociation de contrats par une entité autre que les OP n'est pas prévue.
Il est crucial de redonner confiance et espoir aux éleveurs. Il est fondamental que les éleveurs s'organisent : groupés, ils peuvent être forts et gagner ; isolés, ils sont sûrs de perdre. Mes contacts avec mes collègues des départements laitiers m'inclinent à penser que nous pouvons nous attendre à de nouvelles turbulences à l'automne, à cause de la hausse des prix des céréales...
Mme Bernadette Bourzai. - ...qui aura des conséquences sur les revenus.
M. Jean Bizet. - S'il faut admettre que son influence sur le niveau des prix sera sans doute faible, l'OP trouvera sa place dans la vie du contrat. L'industriel ne pourra plus sélectionner ses partenaires, mais il devra négocier avec l'OP dans son ensemble.
La création des OP et leur mission dans la négociation des prix est une étape dans l'agriculture française. Espérons que ce mode d'organisation soit un modèle pour les autres filières.
Lors de notre premier rapport sur la réforme de la PAC, nous avions imaginé une nouvelle forme de conditionnalité des aides directes du premier pilier. Cette idée n'a pas été retenue.
La deuxième idée consiste à soutenir la création des OP dans le cadre du deuxième pilier. Cela est prévu mais les groupements de producteurs figurent seulement dans une liste d'une vingtaine d'autres mesures en annexe du nouveau règlement OCM unique. Cette possibilité n'est d'ailleurs guère utilisée aujourd'hui.
Le rôle de l'interprofession doit être conforté dans l'ensemble de la filière : producteurs, transformateurs, distributeurs. Le dispositif de recommandation des prix établi par l'interprofession laitière avait été condamné en 2008. Un système plus souple a été formalisé et légalisé en 2009 sous la forme d'indices de tendance prévisionnels. Mais ce dispositif n'est pas assuré. Le paquet lait autorise la publication de données statistiques relatives aux prix, ainsi que la réalisation d'études sur les perspectives du marché, mais ne prévoit pas la publication d'indicateurs, a fortiori d'indicateurs prévisionnels permettant d'estimer une évolution des prix. L'articulation des dispositions nationales et communautaires laisse planer un doute. La suppression de cette fonction d'information affecterait le fonctionnement du centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) et priverait la profession d'un outil de concertation précieux. C'est pour sécuriser cette pratique si utile à tous que je vous propose une proposition de résolution. Après avoir rappelé l'exception agricole dans le jeu de la concurrence, elle appelle le Gouvernement à l'action et ajoute, ce qui est novateur, des propositions de rédaction du règlement communautaire actuellement examiné par le législateur européen. Deux adjonctions sont envisagées : la première soutient la mise en place des groupements de producteurs dans le cadre du deuxième pilier. Comme vous le savez, les agriculteurs aiment bien les carottes, y compris financières. Ce peut être le déclic qui les conduit à s'engager dans la voie des OP. Le second ajout proposé garantit la pérennité du système d'information de l'interprofession laitière représenté par le CNIEL, qui publie régulièrement des indicateurs de tendance.
Mme Bernadette Bourzai. - Votre rapport et votre proposition de résolution sont très utiles au moment où la PAC est réformée. Nous devons faire des propositions pour l'adapter à une situation effectivement difficile. Je reste convaincue que la suppression des quotas laitiers va perturber le marché et l'aménagement du territoire, comme un exemple précis l'a montré dans mon département, j'y reviendrai. Nous savons ce qui nous attend.
Comme vous l'avez rappelé, l'initiative française des OP a été regardée dans les pays de l'Union européenne comme intéressante. Il est important que les producteurs s'organisent pour peser face à un système commercial très lourd qui leur impose ses prix et ses pratiques, dont beaucoup sont inacceptables. La loi de modernisation agricole (LMA) a officialisé les OP. Il est regrettable que le décret sur la contractualisation soit passé avant celui sur les OP, parce que Bruxelles tardait à fournir les éléments nécessaires. Nos producteurs se sont trouvés dans une négociation très difficile avec les collecteurs et les transformateurs, Lactalis par exemple abusait de sa position. Les producteurs ont intérêt à s'engager dans une négociation collective, plutôt que dans des négociations individuelles qui s'apparentent à la lutte du pot de terre contre le pot de fer.
Votre proposition de résolution encourage le ministre. C'est important. Heureusement M. Le Foll a déjà pris certaines mesures. Un bilan de la contractualisation lui a été remis le 13 juillet. Il a déclaré lors de son audition qu'il allait en tenir compte pour l'avenir, en donnant la priorité à la négociation collective. Il a indiqué son intention d'offrir une garantie des prix plus longue aux producteurs, évoquant une durée de six mois. Cette perspective, qui réduira le caractère aléatoire des variations de prix d'un mois sur l'autre, recueille tous nos encouragements. Les relations commerciales ont trop longtemps été défavorables aux producteurs. Le ministre souhaite réactiver l'observatoire des prix et des marges pour développer une logique de contractuelle entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Peut-être pourrons-nous à l'automne entendre le président de cet observatoire.
Vos suggestions sur le soutien du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) sont intéressantes. Je relève les aides aux regroupements de producteurs déjà mentionnées dans l'annexe de la proposition de règlement, mais je pense qu'il est judicieux de les faire remonter dans le texte même de la proposition de règlement pour donner plus de visibilité.
J'approuve la démarche de notre commission sur le droit de plantation de la vigne. Je regrette que nous n'ayons pas eu la même tonicité pour les quotas laitiers. Dans la partie de la Corrèze limitrophe du Cantal, qui fournit du lait à l'AOP Cantal, deux exploitations ne font plus l'objet de collecte au motif de leur éloignement du circuit habituel et celles qui sont collectées subissent une baisse des prix de 15 %, ce qui n'est pas rien ! Une exploitation ayant 300 000 hectolitres de quotas n'aura pas de repreneur et ses quotas iront dans une région où les conditions de production sont moins difficiles. Cela peut entraîner de lourdes conséquences en termes d'aménagement du territoire. Je le regrette. J'ai vécu la crise des quotas laitiers à Bruxelles. Nous n'avons pas été assez incisifs. Nous avons besoin de vrais outils de régulation pour éviter les excès d'une libéralisation généralisée, qui n'est pas adaptée à une politique de maintien de la vie et de l'activité économique des territoires ruraux.
J'approuve pleinement le point 11 de votre proposition, mais je reconnais que les producteurs de lait et de viande ne sont guère enclins au transfert de propriété. Concernant l'interprofession, je propose d'ajouter les mots « et assurer le pluralisme syndical de leur gouvernance ». Pour mobiliser, il faut rassembler tout le monde. Je me réfère au conflit sur la gouvernance du CNIEL, qui n'est pas pluraliste.
M. Jean Bizet. - Merci pour vos analyses que je partage pour la plupart. Oui, nous nous inscrivons dans le calendrier de la réforme de la PAC. Je doute que le cadre financier pluriannuel soit adopté en février 2013 ; il est possible que cette date dérive. Cette résolution vient à point nommé pour le Gouvernement et les éleveurs.
Je déplore que les agriculteurs aient été incités à signer dès le 1er avril 2011, alors que le paquet n'a été finalisé qu'en mars 2012, ce qui est incohérent. La France a exercé une forte pression sur les agriculteurs, ce ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir.
Sur l'élaboration des contrats, la LMA a prévu la nomination d'un contrôleur saisi de la proposition de contrat. Lactalis a été obligé de revoir sa copie.
Je me réjouis de l'état d'esprit de M. Le Foll, qui ne me surprend pas, puisqu'il n'a pas changé depuis qu'il s'intéressait au sujet comme parlementaire européen. Une durée de prix plus longue est souhaitable. Je suis aussi tout à fait d'accord pour donner plus de poids à l'observatoire des prix et des marges. La situation sera de plus en plus de conflictuelle, en raison de la récolte de céréales en cours. Un accord automatique avait été organisé par l'ancien ministre Bruno Le Maire en mai 2011, mais la grande distribution n'est jamais venue. Si cet accord peut être conforté, je suis partant.
Sur deux autres points, je ne partage pas votre analyse. Pour assurer la pérennité des quotas laitiers, il fallait pouvoir nouer des alliances parmi les 27 Etats membres. Or, à la fin, nous nous sommes retrouvés seuls avec un Land allemand. Les quotas ont correspondu à une époque. Chaque époque a sa vérité. Nous connaissons la réactivité du marché depuis qu'ils ont été institués en 1984. Les quotas n'ont pas su répondre à l'effondrement de la demande ni au redémarrage de l'offre. Insuffisamment réactifs, ils ne répondent plus à la situation actuelle. J'ai toujours déploré que la France se situe entre 3 % et 8 % en-dessous de son quota national. Les quotas sont moins pertinents, sur un marché actuellement très ouvert, soumis à une forte concurrence, y compris intra-européenne. Oui, il faudra être inventif et attractif. Les outils d'aménagement du territoire vont être fragilisés. La solution, pour les régions les plus fragiles, est de produire sous le signe de la qualité...
Mme Bernadette Bourzai. - A condition que le lait soit collecté !
M. Jean Bizet. - Il faut que l'Etat, les régions, les transformateurs, voire les consommateurs travaillent ensemble, à réunir les conditions d'un maintien de la présence de tous. Il faut être inventifs. En termes de volume, les transformateurs et les producteurs pourraient se limiter au grand Ouest français...
M. Jean-François Humbert. - Il n'y pas que l'Ouest !
M. Jean Bizet. - ou au grand Est, mais il y a bien d'autres régions qui ont beaucoup à offrir... Songez au fromage corse !
M. Nicolas Alfonsi. - Et au brocciu !
M. Jean Bizet. - Il y a là une grande richesse nationale. C'est peut-être davantage à la commission des affaires économiques qu'il appartient de la défendre. Nous devrons veiller au respect du pluralisme syndical dans la gouvernance des OP ; je suis d'accord avec vous sur le fond. Nous pouvons y consacrer quelques lignes dans le rapport. Mais le pointer dans la résolution risquerait d'entraîner des crispations.
En Basse-Normandie, lorsque je plaide pour la création des OP, je dis aux agriculteurs que s'ils veulent réussir, les organisations doivent avoir une certaine dimension pour pouvoir peser, et surtout qu'ils s'abstiennent de faire de la politique en leur sein, sinon, comme en Suisse, elles se battront entre elles et il n'en sortira rien de bon.
La création des OP sur le fondement de l'article 42 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet aux agriculteurs de déroger au droit de la concurrence. Secouer les grilles des sous-préfectures quand les cours s'effondrent, c'est fini. Les agriculteurs doivent saisir la chance qui s'offre à eux de peser dans la chaîne de la valeur ajoutée. Qu'ils la saisissent, sans faire de politique ! D'accord donc pour l'inclure dans le rapport, mais pas dans la résolution, pour ne pas susciter des réactions qui n'ont pas lieu d'être.
Mme Bernadette Bourzai. - La question sera certainement réglée sans nous...
M. Jean-François Humbert. - Sûrement !
Mme Bernadette Bourzai. - Il s'agit de rassembler : nous aurons besoin de faire appel aux OP dans les années qui viennent, chacun doit s'y reconnaître. J'ai rendu visite à la CNIEL lors du long conflit qu'elle a connu, pour soutenir la confédération paysanne...
M. Jean Bizet. - Je ne savais pas qu'il s'agissait de ce syndicat !
Mme Bernadette Bourzai. - Pour moi, le pluralisme syndical est aussi important que le pluralisme politique. Il faut soutenir les forces vives des territoires ruraux ! Je veux bien retirer cet amendement pour l'instant. Il y a d'autres questions en suspens, comme celle des chambres d'agriculture...
M. Jean Bizet. - J'allais vous le dire. Soyons très attentifs au terrain !
La commission autorise la publication du rapport. La proposition de résolution est adoptée à l'unanimité dans le texte suivant :
Travail - Reconnaissance des qualifications professionnelles - Proposition de résolution européenne de M. Jean Bizet
M. Jean Bizet. - La Commission européenne a présenté le 19 décembre 2011 une proposition de directive modifiant la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Elle fait suite à un livre vert et à une phase de consultation. Sa portée est très large : elle vise la quasi-totalité des professions dites réglementées dans les États membres. Ces professions, dont l'accès est restreint par des conditions de diplômes et de qualifications, seraient au nombre de 800 dans l'Union européenne. La France se situerait dans la moyenne avec environ 120 professions réglementées. Curieusement, la Suède est la moins réglementée avec une vingtaine de professions seulement. Le Royaume-Uni, pays libéral par excellence, compte plus de 200 professions concernées, ce qui peut surprendre...
M. André Gattolin. - C'est l'héritage de la monarchie !
M. Jean Bizet. - Selon la Commission européenne, la directive en vigueur n'a pas atteint tous ses objectifs. La liberté d'établissement et la liberté de prestation de services demeurent entravées, selon elle, par des délais et des obstacles administratifs non justifiés.
Je commencerai par rappeler sommairement le droit en vigueur issu de la directive de 2005.
Dans le cas d'une mobilité temporaire (prestation de services), la directive dispose que le professionnel peut travailler, en principe, sur la base d'une déclaration préalable.
Dans le cas d'une mobilité permanente (établissement dans un pays de l'Union autre que celui où les qualifications professionnelles ont été obtenues, à titre de salarié ou non), il faut distinguer selon les professions.
Trois systèmes coexistent.
Dans le premier, la reconnaissance est automatique pour les professions dont les conditions minimales de formation ont été harmonisées. Sept professions sont concernées : architecte, dentiste, infirmière, sage-femme, médecin, pharmacien et vétérinaire.
Le professionnel fait sa demande auprès de l'autorité compétente chargée de la profession dans le pays d'accueil et il apporte la preuve de vos qualifications. Cette autorité examine la demande dans un délai de trois mois. Elle est tenue de reconnaître tous les titres de formation, figurant à l'annexe V de la directive, qui satisfont à des exigences minimales de durée de formation initiale ou de pratique.
Le deuxième système concerne l'artisanat, le commerce et l'industrie (par exemple la profession de coiffeur). Ces professions peuvent bénéficier d'une reconnaissance automatique sur la base de l'expérience professionnelle acquise. La durée exigée varie entre trois et six ans.
Le système dit général sert pour toutes les autres professions réglementées ou pour les professionnels qui n'entrent pas dans les critères de la reconnaissance automatique.
Les qualifications professionnelles sont regroupées en cinq niveaux permettant la comparaison des qualifications.
La reconnaissance des qualifications intervient si le migrant a une qualification professionnelle au moins équivalente au niveau immédiatement inférieur à celui exigé dans l'État membre d'accueil. La reconnaissance doit être accordée aussi au migrant dont la profession n'est pas réglementée dans l'État membre d'origine mais qui l'a exercée à temps plein pendant deux ans. Dans certaines conditions limitées, l'État membre d'accueil peut imposer une compensation (stage d'adaptation pendant trois ans maximum ou épreuve d'aptitude).
Voilà pour cette présentation sommaire du système actuel. Quelles modifications ou ajouts la Commission européenne a-t-elle proposé ?
La proposition phare de la Commission est de créer une carte professionnelle européenne, en réalité un certificat électronique. Délivrée par l'État membre d'origine, elle certifierait l'authenticité des diplômes, l'expérience et les qualifications du professionnel. L'État membre d'accueil n'aurait pas à demander et vérifier ces documents, d'où un gain de temps en théorie : il devrait juste valider la carte. L'Etat d'origine créerait et validerait la carte en cas de mobilité temporaire.
Optionnelle, la carte professionnelle ne serait créée que pour les professions qui en feraient la demande. La décision de créer une carte serait prise par la Commission en comitologie. Les conditions de création d'une carte sont floues. Quand faut-il considérer qu'une profession le demande et qu'en est-il des professions pas ou peu organisées ? Lorsqu'une profession n'est pas réglementée dans un pays, peut-on lui imposer la charge administrative, inutile pour lui, de délivrer une carte ?
L'accès partiel à une profession constitue une autre innovation. En vertu de ce principe reconnu par la Cour de justice depuis 2006, un professionnel est autorisé à n'exercer qu'une partie d'une profession. L'exemple souvent cité est celui du moniteur de snowboard par rapport au moniteur de ski. Ce principe qui doit faciliter la mobilité, en particulier quand les professions ne se recoupent pas exactement d'un pays à l'autre, peut aussi être source d'insécurité juridique. Le caractère séparable d'une activité n'est pas toujours évident, d'autant plus que le texte de la Commission tend à apprécier ces situations au cas par cas, et non profession par profession.
D'autres dispositions relèvent les exigences minimales de formation pour les médecins, sages-femmes, infirmiers... Globalement, cela ne pose pas de difficultés majeures aux professionnels français. Nous avons reçu les représentants de leurs Ordres. L'enjeu est plutôt de faire respecter les exigences figurant déjà dans la directive de 2005, par exemple pour les sages-femmes. J'ai été surpris de la différence entre les exigences de formation à cette profession en France, où elle est autorisée à prescrire des médicaments et dans d'autres Etats membres, où seul un cursus de quelques mois est requis.
La proposition de directive demande aux Etats membres d'examiner l'opportunité de maintenir autant de professions réglementées, certains héritages ne se justifiant plus toujours. La France se situe plutôt dans une bonne moyenne. Mais ce screening ne doit pas sacrifier la sécurité des consommateurs et des patients.
La Commission européenne propose d'inclure les notaires dans le champ de la directive, ce qui est assez conflictuel.
D'autres dispositions plus techniques concernent la création de « cadres communs de formation », l'utilisation du système d'information du marché intérieur pour faciliter la coopération des administrations, la création d'un mécanisme d'alerte pour les professionnels de santé frappés d'une interdiction d'exercer.
Quel jugement pouvons-nous porter sur ces propositions ?
Notre Haute assemblée, sur l'initiative de notre commission et de Jean-Louis Lorrain en particulier, a adopté en mars dernier un avis motivé de non-conformité au principe de subsidiarité. Les griefs concernaient particulièrement les règles applicables aux professions de santé, ainsi que le manque d'intelligibilité de plusieurs dispositifs clefs, en particulier la carte professionnelle. Notre collègue Christiane Demontès, rapporteure de l'avis motivé pour la commission des affaires sociales, a confirmé et enrichi notre analyse - nos travaux sont complémentaires.
Ces griefs demeurent pertinents. Notre proposition de résolution les reprend largement, mais sous un autre angle que la subsidiarité.
Mme Bernadette Vergnaud, rapporteur de la commission IMCO du Parlement européen a remis il y a dix jours son projet de rapport qui sera examiné à la fin de l'année. Il est remarquable que le projet de résolution du Parlement européen cite dans ses visas l'avis motivé du Sénat, ce qui illustre le dialogue croissant entre le Parlement européen et les parlements nationaux. La quasi-totalité des réserves que j'exprime figurent d'ailleurs dans le rapport du Parlement européen.
Cette communauté de vue reflète le sentiment des professionnels concernés. J'ai constaté lors de mes auditions leur grande maturité. Les Ordres ont intégré la logique européenne et leurs réseaux se réunissent régulièrement pour adopter des positions communes. Leur démarche n'est absolument pas protectionniste. Les professions de santé de notre pays sont sans doute les plus ouvertes aux ressortissants étrangers.
Notre message doit être double. Tout d'abord, les objectifs de la proposition de directive sont excellents et les dispositions proposées vont plutôt dans le bon sens en simplifiant les procédures. Il n'y a pas de recul sur les exigences minimales de formation. Toutefois, cette méthode a ses limites, car le vrai obstacle à plus de mobilité tient au manque de confiance mutuelle. Les sages-femmes, par exemple, pointent les écarts très importants de formation entre les pays. Le champ de compétences de chaque profession n'est souvent pas le même d'un pays à l'autre. En France, les sages-femmes peuvent prescrire, pas dans les autres pays. Les spécialités médicales ont aussi des contours très différents, et il n'est pas rare que les autorités de certains pays ne contrôlent pas sérieusement les qualifications. De faux diplômes circulent aussi.
Comment construire la confiance ? Simplifier ne suffit pas, il faut créer des standards communs élevés de formation, dont, dans l'idéal, le respect serait certifié par une autorité européenne indépendante. Ces conditions ne sont pas négociables quand la sécurité des patients ou des consommateurs est en jeu.
La crainte principale liée au projet de carte professionnelle européenne est celle d'un dessaisissement des autorités compétentes du pays d'accueil au profit des autorités du pays d'origine. Les autorités du pays d'accueil - en l'occurrence les ordres professionnels - seraient réduites de facto à un rôle d'enregistrement. Des garde-fous sont donc nécessaires.
Si la proposition de modification de la directive va dans le bons sens à propos des exigences minimales de formation, le recours aux actes délégués permettrait à la Commission européenne seule, sous le contrôle du Parlement européen et du Conseil, de modifier et d'actualiser ces exigences. Les actes délégués ont l'avantage de la souplesse et de la rapidité. En revanche, ils ne garantissent pas que les professions concernées soient associées. Or, sans les professions, pas de confiance. Je vous propose une position réservée, mais ouverte sur les actes délégués qui peuvent faciliter une harmonisation par le haut des exigences de formation.
De même, je suis pour les cadres communs de formation. Ce jargon désigne l'extension à toutes les professions du système de la reconnaissance automatique. Ces cadres communs pourront être élaborés par les professionnels représentant un tiers des Etats membres seulement, contre les deux tiers aujourd'hui - on est à la frange des coopérations renforcées.
En revanche, l'inclusion des notaires dans le champ de la directive ne peut recueillir notre accord. J'ai rencontré à deux reprises le Conseil supérieur du notariat pour cerner toutes les difficultés juridiques. La profession de notaire ne peut entrer dans le champ de la directive, car on est nommé notaire par le garde des Sceaux. Être titulaire du diplôme ne suffit pas pour exercer la profession. Être notaire n'est pas une qualification, mais une fonction ...
M. André Gattolin. - Héritage de la monarchie...
M. Jean Bizet. - Ce sont, dit-on, des fonctionnaires privés. Ils détiennent une délégation de l'autorité publique. Ils sont nommés dans une étude déterminée, il n'y a pas de mobilité nationale, ni, a fortiori, européenne. Nous confortons ici notre tradition juridique face au droit anglo-saxon.
Cette opposition ferme à l'inclusion des notaires ne remet nullement en cause la jurisprudence de la Cour de justice de mai 2011 qui a seulement sanctionné la condition de nationalité française. La loi française reconnaît les diplômes de notariat délivrés par d'autres Etats membres. Aujourd'hui, un notaire allemand peut demander à être nommé en France.
Ayant rapporté la directive « services », j'observe les similitudes entre les deux textes. Celui-ci conforte le marché unique dont nous avons besoin, mais l'on ne peut pas faire n'importe quoi quand la sécurité des patients est en jeu. Voilà pourquoi je vous propose d'adopter la proposition de résolution.
M. Simon Sutour, président. - J'approuve l'exception en faveur des notaires.
M. André Gattolin. - Je suis gêné par le point 15 de la proposition de résolution. Faut-il demander que « les autorités compétentes de l'Etat aient le temps et les moyens de vérifier les qualifications », alors que l'administration allonge parfois les délais pour décourager les demandes ?
M. Jean Bizet. - Le délai proposé par la Commission est d'un mois...
M. Michel Billout. - Cela peut aller.
M. Jean Bizet. - ... et l'absence de réponse vaut acceptation.
M. André Gattolin. - Très bien !
La commission des affaires européennes adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution dans le texte suivant :
M. Simon Sutour, président. - Avant de nous séparer pour un repos bien mérité, je vous informe qu'en cas de besoin, la commission se réunirait le 4 septembre prochain à 11h30, dans la foulée du « groupe subsidiarité ». Bonnes vacances à tous.