- Mardi 10 juillet 2012
- Adhésion d'Andorre au traité entre la France et l'Espagne de coopération transfrontalière entre collectivités territoriales - Examen du rapport et du texte de la commission
- Accord entre la France et l'Allemagne instituant un régime optionnel de la participation aux acquêts - Examen du rapport et du texte de la commission
- Ratification du traité relatif à l'établissement du bloc d'espace aérien fonctionnel « Europe Central » - Examen du rapport et du texte de la commission
- Accord de coopération policière entre la France et la Serbie - Examen du rapport et du texte de la commission
- Accord entre la France et la Suisse relatif au service militaire des double-nationaux - Examen du rapport et du texte de la commission
- Mercredi 11 juillet 2012
Mardi 10 juillet 2012
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Adhésion d'Andorre au traité entre la France et l'Espagne de coopération transfrontalière entre collectivités territoriales - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de M. Jean-Louis Carrère et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 133 (2011-2012) autorisant l'approbation du protocole d'amendement et d'adhésion de la Principauté d'Andorre au traité entre la République française et le Royaume d'Espagne relatif à la coopération transfrontalière entre collectivités territoriales
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur - Mes chers collègues, la coopération transfrontalière de part et d'autre des Pyrénées, que j'observe avec une particulière attention, a été formalisée, en 1983, par la création de la Communauté de travail des Pyrénées (C.T.P), composée de trois régions françaises, de quatre communautés autonomes espagnoles, et de la Principauté d'Andorre.
J'ai présidé la commission des Transports quand Alain Rousset présidait la CTP. L'importance de cette coopération transpyrénéenne a conduit la France et l'Espagne à conclure, le 10 mars 1995, le traité de Bayonne, visant à la promouvoir et la faciliter. Mais la principauté d'Andorre, partenaire de cette coopération, n'y a pu s'y associer faute d'existence de structures analogues à celles des collectivités territoriales françaises ou espagnoles.
Le présent texte vise à résoudre cette difficulté en permettant à la Principauté d'adhérer au traité de Bayonne grâce à la création d'un organisme de coopération ad hoc.
La communauté de travail des Pyrénées créée en 1983 a fait preuve de son efficacité.
Je vous rappelle brièvement le territoire couvert par la Communauté de travail des Pyrénées : il s'agit des régions Aquitaine, Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées en France, des communautés autonomes d'Aragon, de Catalogne, du Pays Basque et de Navarre en Espagne, et de la Principauté d'Andorre.
Ce territoire s'étend sur plus de 210 000 km2 et englobe environ 8 millions d'habitants. La densité y est très inégale : elle varie de 25 h/km2 en Aragon à 293 h/km2 au Pays Basque.
C'est en 1982, la déclaration finale de la « Conférence sur les régions pyrénéennes », tenue à Jaca, en Aragon, sous les auspices du Conseil de l'Europe, qui a permis de jeter les bases d'un Accord constitutif, signé à Bordeaux le 15 avril 1983.
Le siège de la CTP se situe à Jaca.
Cette CTP s'est transformée en une forme juridique de droit espagnol, le « consorcio », en septembre 2005. Les présidents des trois régions françaises et des quatre communautés autonomes espagnoles ont signé, le 16 septembre 2005, la convention rendant possible la constitution du « consorcio des Pyrénées ».
En effet, le statut associatif ne permettait pas à la CTP d'agir directement ; les projets devaient être donc être validés par plusieurs assemblées délibératives pour chaque collectivité, ce qui alourdissait les décisions.
Le statut de consorcio a donné ainsi plus de visibilité à la CTP et lui permet de gérer directement les projets européens INTERREG, car elle peut être autorité de gestion et gérer elle-même les fonds.
L'efficacité de la CTP a été consacrée par le rôle qui lui a été attribué par le programme opérationnel européen 2007-2013 et destiné à renforcer l'intégration économique et sociale de la zone frontalière franco-espagnole. Il prolonge les initiatives antérieures d'INTERREG. La Principauté d'Andorre fait partie de ce nouveau programme.
Le présent protocole permet de donner à ce groupe transfrontalier un cadre juridique solide en ouvrant à la principauté d'Andorre l'adhésion au traité de Bayonne de 1995.
L'Organisme Andorran de Coopération Transfrontalière (OACT) créé après la ratification, en 2010, du Protocole d'accord, par Andorre, est placé sous l'autorité du ministre des Affaires extérieures et animé par M. Pierre Roquet, secrétaire général de l'organisation.
Cette structure permettra à la Principauté de participer sur un pied d'égalité aux débats et aux travaux communs des collectivités territoriales traitant, notamment, des sujets ou des problèmes de voisinage.
En conclusion, je vous précise que des entretiens bilatéraux, tenus à Paris le 6 mars 2012, entre les ministres des affaires étrangères français et andorran ont été conclus par la signature de deux accords transfrontaliers, portant, l'un, sur la délimitation de la frontière entre les deux pays, l'autre, sur la gestion commune des ressources en eau de l'Ariège. Ces avancées concrètes doivent être accompagnées de la ratification par la France du présent protocole, qui l'a déjà été par la Principauté et par l'Espagne. Cette ratification permettra, en effet, une pleine implication de la Principauté dans la nécessaire coopération transfrontalière.
Je vous propose donc d'adopter ce texte, et de prévoir son examen en séance publique sous forme simplifiée.
La commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
Accord entre la France et l'Allemagne instituant un régime optionnel de la participation aux acquêts - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de Mme Joëlle Garriaud-Maylam et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 372 (2010-2011) autorisant la ratification de l'accord entre la République française et la République fédérale d'Allemagne instituant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts.
M. Jean-Louis Carrère, président - Mes chers collègues, Mme Garriaud-Maylam, empêchée, m'a demandé de la remplacer, ce que je fais bien volontiers.
La rupture d'un mariage est toujours une épreuve difficile, tant sur le plan personnel que matériel. Ces difficultés sont accrues lorsque les époux qui se séparent sont de nationalités différentes. Dans les cas de séparation particulièrement conflictuelle, il n'est pas rare d'assister à une véritable « course au tribunal », chaque époux tentant de porter la procédure de divorce devant le tribunal du pays dont la législation lui sera le plus favorable, tant en termes d'attribution de l'autorité parentale que de répartition du patrimoine.
Avec l'entrée en vigueur, le mois dernier, de l'accord Rome III, signé par 14 pays de l'Union européenne, une première étape à été franchie, puisqu'il permet aux couples de déterminer en amont quel sera le tribunal compétent en cas de divorce.
L'accord franco-allemand du 4 février 2010 sur lequel nous sommes aujourd'hui appelés à nous prononcer s'inscrit dans cette même volonté d'accroître la sécurité juridique des couples mixtes. Il s'agit de prévenir les complications juridiques au moment d'un éventuel divorce, mais aussi d'offrir une meilleure lisibilité, non seulement au sein du couple, mais également vis-à-vis des héritiers et des tiers (par exemple les banques, dans le cas d'un projet commun d'acquisition immobilière à l'étranger).
Cet accord instaure en effet un nouveau régime matrimonial optionnel commun aux législations françaises et allemandes.
Pour situer cet accord dans un contexte plus général, je vous rappelle que la société actuelle est marquée par un accroissement sensible du nombre des mariages entre français et étrangers, ainsi que par un taux global de divorce en augmentation régulière. Ainsi, de 1946 à 2009, dernière année dont les données statistiques sont disponibles, la proportion des mariages unissant un Français et un étranger est passée de 5,9 % à 12,9 % du total des unions. D'autre part, le taux global de divorce, que les époux soient de nationalité française ou constituent un « couple mixte », est passé de 2,85 pour mille en 1960 à 10,57 pour mille en 2009.
A l'échelle de l'Union européenne, ce sont chaque année 350.000 mariages entre conjoints de nationalité différente qui sont célébrés, et 170.000 divorces prononcés.
Pour évaluer l'impact potentiel de ce nouvel accord, il faut garder à l'esprit le fait qu'il ne s'applique pas uniquement aux couples franco-allemands. Le nouveau régime matrimonial optionnel peut être choisi par n'importe quel couple se mariant sous la législation française ou allemande, quelle que soit la nationalité des conjoints et que le mariage soit célébré en France, en Allemagne ou dans un consulat établi dans un pays tiers.
La création d'un régime matrimonial optionnel commun entre la France et l'Allemagne vise à limiter les imbroglios juridiques engendrés par les disparités des régimes matrimoniaux selon les pays d'origine des époux. Ainsi, la France et l'Allemagne ont pour l'instant chacune trois types de régimes matrimoniaux (communauté, participation aux acquêts, séparation des biens) dont le contenu diffère sensiblement. Le régime légal « par défaut », pour les couples ne signant pas de contrat de mariage, est la communauté réduite aux acquêts pour la France, mais la participation aux acquêts pour l'Allemagne.
Les différences importantes entre ces régimes, notamment entre les deux régimes légaux, suscitent de nombreuses difficultés pour les couples franco-allemands. Aussi est-il apparu opportun de créer un régime optionnel supplémentaire, inspiré des régimes de la participation aux acquêts existants dans chacun des deux pays, et qui fonctionne selon des règles simples et modernisées, identiques en France et en Allemagne.
Cet accord institue un nouveau régime matrimonial de la participation aux acquêts, commun aux deux pays partenaires. Son principe est de permettre aux époux de vivre pendant le mariage sous le régime de la séparation de biens, tout en instituant, en cas de dissolution du mariage, un juste partage entre les époux du patrimoine acquis pendant le mariage.
Ce régime matrimonial commun optionnel s'ajoute aux autres régimes matrimoniaux en vigueur dans chacun des États contractants. Il emprunte au régime français de participation aux acquêts, et au régime légal allemand : il n'a donc pas été créé ex nihilo. Chacune de ses étapes : l'élaboration, le fonctionnement et la dissolution, est précisément définie.
Il faut souligner que ce nouveau régime matrimonial étant, comme les régimes déjà existants, optionnel, il devra être contracté chez un notaire - comme pour n'importe quel autre contrat de mariage. Si les époux se marient hors de l'Union européenne, ils pourront conclure ce contrat au consulat.
La disparité des régimes légaux prévalant en France et en Allemagne a requis un travail de concertation préalable entre spécialistes pour parvenir à un texte clair, fonctionnel et pouvant s'insérer dans des traditions juridiques différentes. Le présent texte constitue le fruit de ce travail juridique inédit entre deux pays et il mérite, à ce titre, d'être salué.
Je souhaite toutefois attirer l'attention de la commission sur la nécessité que le règlement d'application de la loi française de ratification de cet accord prévoit de manière précise les modalités d'information des couples. Le nouveau régime matrimonial étant optionnel et engendrant des frais de notaire (hormis pour les mariages célébrés dans des consulats hors UE), très peu de couples y auront recours s'il ne leur est pas apporté une information claire quant à ses avantages.
A cet égard, il me semble indispensable de prévoir que, lors de l'audition des futurs mariés en mairie ou au consulat, une information précise soit délivrée quant aux enjeux juridiques d'un élément international dans la vie du couple (conjoint de nationalité différente, établissement de la résidence du couple à l'étranger, etc.). Un tel entretien existe déjà, il suffirait de former les officiers d'état civil qui le mènent à des rudiments de droit international de la famille.
Il serait également utile de pouvoir remettre aux futurs mariés, en amont de leur mariage, un petit guide reprenant ces principaux éléments de droit international, non seulement en termes de gestion du patrimoine et des conséquences financières d'un éventuel divorce, mais aussi et surtout en termes d'autorité parentale. De très nombreux déplacements illicites d'enfants pourraient en effet être évités avec une meilleure sensibilisation juridique des parents, dès leur mariage.
Au-delà du nombre de couples recourant effectivement à ce régime matrimonial, un des intérêts potentiels de cet accord international pourrait être de pousser l'administration française à améliorer l'information des couples mixtes quant à leur statut juridique, afin de prévenir de futurs imbroglios judiciaires. Bien sûr, nous n'avons aucun moyen de garantir que les autorités allemandes investiront également dans cet effort de pédagogie, mais celui-ci me paraît néanmoins indispensable.
Pour conclure, je voudrais souligner que cet accord a été salué par Mme Viviane Reding, commissaire européenne chargée de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, qui a estimé que « l'adhésion éventuelle d'autres États membres de l'Union européenne à cet accord franco-allemand constituerait un progrès vers la voie d'un éventuel droit optionnel européen en matière de régime matrimonial ».
Dans l'espoir qu'une telle perspective se concrétise à l'avenir, je vous recommande d'adopter cet accord, et de prévoir son examen en séance publique sous forme simplifiée, sachant qu'il a déjà été ratifié par l'Allemagne il y a deux mois.
M. Jean Besson - Bien que cette réflexion ne touche qu'indirectement au texte, je tiens à souligner la réussite de l'Office franco-allemand de la jeunesse.
M. Robert del Picchia - J'ai fait partie du premier groupe de jeunes français allant en Allemagne sous cette égide. Par ailleurs, s'agissant du présent texte, je tiens à préciser que lorsqu'on se marie dans un pays, mais qu'on réside dans un autre, c'est la loi de ce dernier qui prévaut en cas de divorce.
La commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
Ratification du traité relatif à l'établissement du bloc d'espace aérien fonctionnel « Europe Central » - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de M. Daniel Reiner et le texte proposé par la commission pour projet de loi n° 421 (2011-2012) autorisant la ratification du traité relatif à l'établissement du bloc d'espace aérien fonctionnel « Europe Central » entre la République fédérale d'Allemagne, le Royaume de Belgique, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la Confédération suisse.
M. Daniel Reiner, rapporteur - Vous savez que deux règlements du Conseil et du Parlement européens adoptés en 2004, puis 2009, visent à améliorer le trafic aérien s'effectuant au-dessus du continent européen, qui est particulièrement dense.
Ces règlements tendent à instaurer, à terme, un « Ciel unique » européen, c'est-à-dire à créer un espace aérien géré globalement entre pays frontaliers, et non plus par espace national.
C'est le règlement de 2009, dit « Ciel unique II » qui pose l'obligation de mise en oeuvre de blocs d'espace fonctionnels, dits FAB (Functional Airspace Block) avant la fin de l'année 2012.
L'objet du présent traité est de permettre la création du bloc aérien fonctionnel d'Europe Centrale (FABEC), par accord entre les six Etats parties que sont l'Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse, bloc qui représente 55 % du trafic européen.
Le transport aérien implique deux grandes catégories d'acteurs : d'une part les compagnies aériennes qui sont en concurrence sur leurs marchés respectifs, d'autre part les aéroports et fournisseurs de services de navigation aérienne, en situation de monopole géographique. Les compagnies aériennes transportent les voyageurs et le fret ; elles empruntent pour ce faire les routes gérées par les ANSP (Air Navigation Service Providers, ou fournisseurs de services de navigation aérienne) et se font facturer les prestations fournies par ceux-ci. L'harmonisation de la gestion de la navigation aérienne en Europe est assurée par Eurocontrol, organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne, dont le siège est à Bruxelles et qui compte aujourd'hui 38 états membres. Les transports aériens sont désormais vitaux pour l'économie mondiale, car ils sont un facteur important du développement économique.
Ils constituent un élément important dans la création des richesses : on estime qu'ils contribuent pour environ 220 milliards d'euros au PIB européen, tout en employant plus de 3 millions de personnes.
La faiblesse majeure du système européen tient au fait que les coûts des services de navigation sont considérés comme trop élevés, ils sont par exemple 85 % supérieurs à ceux appliqués aux Etats-Unis, où l'Etat fédéral est le seul responsable du contrôle aérien.
Le surcoût du trafic aérien en Europe est avant tout imputable à la fragmentation du ciel européen, qui est organisé pour l'essentiel sur une base nationale. Cette fragmentation conduit à un nombre élevé de centres de contrôle aérien et de secteurs : un avion traversant l'Europe du Nord au Sud en deux ou trois heures peut être pris en charge par parfois 15 contrôleurs aériens différents, pour une durée n'excédant pas une dizaine de minutes. De plus, les différents systèmes de navigation ne sont pas inter opérables, ce qui conduit à une coordination difficile entre secteurs. La gestion du trafic aérien en Europe n'est, aujourd'hui, pas adaptée à une organisation du trafic en temps réel.
De plus, la non coordination des systèmes nationaux de navigation aérienne nuit également au développement technologique du système de contrôle aérien.
Le ciel unique européen est un ensemble de mesures visant à répondre aux besoins futurs en termes de capacité et de sécurité aérienne, portant sur la réglementation, l'économie, la sécurité, l'environnement, la technologie et les institutions. Ainsi, la technologie utilisée pour la gestion du trafic aérien date des années 1970, voire pour certains aspects, des années 1950. Par exemple, le contrôleur aérien au sol donne des instructions aux pilotes par liaison radio en ondes métriques (VHF), un système mis au point dans les années 1960. Le processus décisionnel en matière de gestion du trafic aérien est pour l'essentiel non automatisé, ce qui impose une lourde charge aux contrôleurs aériens qui doivent anticiper tous les schémas de trafic.
C'est pour remédier à cette situation que l'Union européenne a établi un nouveau cadre institutionnel et organisationnel avec les décisions de 2004 et 2009.
La mise en place du bloc d'espace aérien fonctionnel FABEC vise à une approche du trafic aérien transfrontière, avec la mise en place de services de navigation aérienne plus intégrés et donc plus efficaces.
L'accord prévoit, en matière de sécurité, une approche coordonnée entre autorités de surveillance, pour un traitement unique des services transfrontaliers, ainsi que l'échange de données concernant des événements de sécurité.
Les bénéfices attendus en sont des gains en termes de moindres retards liés à la gestion du trafic aérien, de distance parcourue entre deux aéroports, et en conséquence, de carburant, et de réduction des coûts unitaires des services.
L'obligation faite aux Etats membres de l'Union européenne, dans le cadre du deuxième paquet « ciel unique européen », de mettre en oeuvre avant le 4 décembre 2012 des blocs d'espace aérien fonctionnels afin d'atteindre la capacité et l'efficacité nécessaires au réseau de gestion du trafic aérien, conduit à la constitution de neuf blocs couvrant le continent européen. Vous trouverez leur description dans mon rapport écrit, ainsi que les positions des différents acteurs du transport aérien, civils et militaires, sur le FABEC.
Je précise que le traité ne comporte pas de volet industriel, mais des activités de coopération par consensus entre Etats. Les syndicats de contrôleurs aériens sont favorables à cette coopération. C'est le volet « SESAR » (Single European Sky Air Traffic Management) du Ciel unique européen.
Ce volet technologique a pour objectif de développer une nouvelle génération du système de gestion du trafic aérien européen, sûre et performante, moins coûteuse et respectant les conditions d'un développement durable.
Les contrats de partenariat correspondants ont été signés le 12 juin 2009 pour un montant total de 1900 M€ sur 7 ans. La France est un contributeur majeur : la Direction des services de la navigation aérienne réalisera pour 65 M€ de travaux, et les industriels Airbus et Thales dont l'État français est l'un des grands actionnaires, participeront respectivement pour 110 M€ et 240 M€.
En conclusion, je rappelle que l'objectif majeur du traité est une réduction des coûts du transport aérien par la définition de trajectoires plus économes en termes financier et écologique. Il importe que cet objectif ne soit pas atteint au détriment du système français qui assure une sécurité aérienne de grande qualité à des coûts modérés. Les représentants de la France siégeant dans les différents comités prévus par le FABEC devront attentivement y veiller.
Sous ces réserves, je vous recommande d'adopter ce texte, et de prévoir son examen en séance publique sous forme simplifiée.
M. Jacques Berthou - Pourquoi la dénomination « Europe Centrale » ?
M. Daniel Reiner, rapporteur - C'est la zone géographique couverte par cet espace aérien qui a conduit à cette appellation.
La commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
Accord de coopération policière entre la France et la Serbie - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de M. Jacques Berthou et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 497 (2011-2012) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie portant sur la coopération policière.
M. Jacques Berthou, rapporteur - Monsieur le Président, mes chers collègues, dès avant 2006, date de constitution de la Serbie actuelle, qui a succédé à l'État commun de Serbie-et-Monténégro, la France a soutenu les efforts accomplis par Belgrade pour normaliser et stabiliser sa situation intérieure.
Cette action s'est inscrite dans le droit fil des conclusions du sommet européen réuni à Thessalonique en 2003, qui a reconnu la « perspective européenne » des États des Balkans occidentaux.
Le présent accord, signé à Paris le 18 novembre 2009, entre les ministres de l'Intérieur serbe et français, répond à une demande de Belgrade. La Serbie est en effet consciente des menaces qui pèsent sur sa sécurité intérieure, et du caractère perfectible de l'organisation de ses forces en ce domaine.
Cet accord s'insère dans un cadre, plus général, d'engagement de notre pays en faveur de la zone des Balkans occidentaux.
La stratégie régionale française de sécurité intérieure pour les Balkans consiste en un effort de mise en cohérence des analyses de la menace et des initiatives prises par les différents ministères compétents (ministères de l'Intérieur, des Affaires étrangères, de la Justice, de l'Economie, des Finances et du Commerce extérieur) réalisé durant la période 2008-2010.
Cette action interministérielle d'analyse et de lutte contre la criminalité organisée en provenance de cette région se structure autour de deux axes principaux :
- le Pôle régional de lutte contre la criminalité organisée originaire d'Europe du sud-est dit Pôle de Zagreb, créé en septembre 2004 ;
- la fonction de coordonateur régional du ministère de l'Intérieur pour la zone des Balkans occidentaux, créée en septembre 2009 pour harmoniser l'action des services de sécurité intérieure (SSI).
Le programme de travail pour 2012 du Pôle comporte une étude régionale sur le trafic d'armes devant aboutir à la tenue d'un séminaire régional de sensibilisation. Deux autres thèmes ont été retenus sur le trafic de faux médicaments et les fraudes à la carte bancaire.
La Serbie est caractérisée par des forces de sécurité perfectibles, faisant face à une criminalité organisée de nature à menacer les équilibres internes du pays.
L'administration serbe, comme la classe politique, est vulnérable à la corruption. S'agissant des fonctionnaires, ce constat renvoie à la question plus générale de leurs conditions statutaires, avec des conditions de recrutement hétérogènes, des traitements modestes et disparates selon les services, qui ne pourra être traitée que par une refonte globale, inscrite dans la durée, de l'administration serbe. Les services répressifs de l'Etat requièrent un effort spécifique de modernisation du système de gestion des ressources humaines.
De plus, la coordination entre services répressifs et autorités judiciaires reste perfectible. Une réforme de l'appareil judiciaire, et la redéfinition des missions du parquet nécessitent une phase d'ajustement, tout comme la définition de nouveaux modes de relation entre magistrats instructeurs et officiers de police judiciaire.
Vous trouverez dans ce rapport écrit une analyse de ces forces, de leurs effectifs et de leur organisation.
Comme dans la plupart des pays des Balkans occidentaux, la principale menace sécuritaire à la stabilité du pays relève de la criminalité organisée, même si cette notion y revêt une signification particulière.
Les « mafias » qui sévissent en Serbie correspondent à des regroupements d'individus sur une base géographique et clanique visant à maintenir et même accroître leur influence sur les structures de l'Etat.
En dehors d'un impact résiduel lié au blanchiment des revenus illicites, cette forme de criminalité organisée constitue une menace réelle et persistante pour la stabilité des institutions serbes, la légitimité de la classe politique et le développement économique du pays.
Les résultats de l'élection présidentielle des 6 et 20 mai ont souligné l'impact de ce thème dans la victoire du parti nationaliste SNS de Tomislav Nikolic, qui a notamment dénoncé la corruption des précédentes autorités politiques.
L'accroissement exponentiel du trafic d'héroïne, en provenance d'Afghanistan et utilisant en particulier la « route des Balkans », l'accroissement du trafic transatlantique de cocaïne, l'indépendance du Monténégro, foyer de diverses activités de contrebande et de contrefaçon ont accru les menaces pesant sur la sécurité interne de la Serbie.
Ces facteurs ont favorisé le développement international des organisations criminelles serbes et leur insertion dans les flux criminels internationaux. L'action déstabilisante de ces groupes pour le pays ne doit pas être méconnue, ne serait-ce que parce qu'ils ont intérêt à entretenir la fragilité institutionnelle du pays.
Il faut, en revanche, souligner que les menaces relevant du terrorisme fondamentaliste restent modestes en Serbie.
La coopération bilatérale de sécurité intérieure avec la Serbie a débuté en 2002, avec l'ouverture au sein de l'ambassade de France à Belgrade d'un service de sécurité intérieure.
Notre coopération est très appréciée de la Serbie.
Les actions bilatérales réalisées peuvent être regroupées selon quatre axes principaux :
- les visites d'étude et missions de formation visant à favoriser les échanges opérationnels, notamment dans le domaine de la lutte contre la criminalité organisée et le grand banditisme, comme la cybercriminalité, la fraude documentaire, le trafic de véhicules et la traite des êtres humains ;
- les actions de formation en matière d'intervention spécialisée, domaine dans lequel la Serbie est particulièrement demandeuse de l'expertise française, comme la gestion de prises d'otages ou les escortes de personnalités.
- les visites d'étude et missions de formation dans le domaine de la protection et de la sécurité civiles répondent à une attente récente mais forte de Belgrade, gestion des risques naturels et technologiques, formations au sauvetage et au déblaiement ;
- les stages linguistiques visant à préserver un vivier francophone dans les rangs du partenaire et la formation des cadres.
Le présent accord reprend l'essentiel des dispositions du texte-cadre établi par le ministère des affaires étrangères en matière de coopération policière.
Les négociations d'accords dans le domaine de la coopération policière et de la sécurité intérieure se sont multipliées à partir du début des années 1990, et un accord-type a été établi par le Ministère des affaires étrangères et européennes en 2007.
Il faut souligner que le présent accord exclut tant la coopération en matière de défense que la coopération judiciaire et l'entraide judiciaire en matière pénale. Pa ailleurs, comme pour les accords avec la Macédoine, la Bosnie et la Croatie, l'échange des informations est très encadré.
En conclusion, je vous engage à ratifier cet accord et vous propose son examen en séance publique sous forme simplifiée.
M. Jean Besson - Il y a un mois, M. Beaumont et moi-même sommes allés à Belgrade. Les entretiens que nous avons eus ont souligné la corruption des policiers, recrutés sur une base clanique.
La commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
Accord entre la France et la Suisse relatif au service militaire des double-nationaux - Examen du rapport et du texte de la commission
La commission examine le rapport de M. Rachel Mazuir et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 611 (2010-2011) autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de notes verbales entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse concernant l'interprétation de la convention relative au service militaire des double-nationaux du 16 novembre 1995 et mettant fin au dispositif mis en place par l'accord sous forme d'échange de notes des 28-29 décembre 1999.
M. Rachel Mazuir, rapporteur - La France et la Suisse sont liées par une convention bilatérale relative au service militaire des double-nationaux depuis 1995. Cette convention évite à un ressortissant de devoir accomplir ses obligations militaires dans les deux pays dont il a la nationalité : il opte pour l'un des deux services et est considéré, dans l'autre, comme ayant rempli ses obligations militaires.
La réforme du service français, intervenue en 1997, a néanmoins créé un déséquilibre dont se sont émues les autorités suisses : d'un côté la journée d'appel à la défense, aujourd'hui remplacée par la journée défense et citoyenneté, et de l'autre le service obligatoire suisse d'une durée de 260 jours.
Pour éviter de créer une inégalité entre les bi-nationaux et les mono-nationaux suisses, un accord par échange de notes verbales concernant l'interprétation de la convention relative au service militaire des double-nationaux a été signé les 28 et 29 décembre 1999.
Les dispositions étaient les suivantes : un franco-suisse qui optait pour le service français devait effectuer, outre sa JAPD ou Journée défense et citoyenneté, soit une préparation militaire (période militaire d'initiation ou de perfectionnement accomplie à la défense nationale - PMIPDN), soit un volontariat civil, soit un volontariat dans les armées, soit souscrire un engagement pour servir dans les armées.
Néanmoins, dans les faits, cet accord s'est révélé peu satisfaisant et difficile à appliquer (je vous renvoie à mon rapport pour plus de précisions). Suite à ce constat, et à la demande de la Suisse, nos autorités respectives ont procédé à un nouvel examen du dispositif lors de divers entretiens tenus à Compiègne le 17 avril 2008. Il a ainsi été décidé d'abroger l'accord par notes verbales de 1999, et de réinterpréter l'article 2, lettre a, de la convention de 1995, en particulier l'expression « obligations militaires ».
Par notes verbales des 15 janvier et 16 février 2010, les autorités suisses ont confirmé que les obligations militaires s'entendaient, pour la France, comme le service national sous toutes ses formes. Ainsi la participation à la journée défense et citoyenneté est reconnue comme forme du service national français et correspond aux obligations militaires exposées dans la convention de 1995.
Un double-national qui opterait pour le service français, et participerait à la journée défense et citoyenneté, serait donc libéré de l'obligation de servir dans l'armée suisse et ne serait pas non plus assujetti au paiement de la taxe d'exemption de l'obligation de servir, auparavant due dans la mesure où il n'effectuait pas la totalité de ses jours de service.
Mes chers collègues, je vous ai fait une présentation très rapide, mais cet accord ne soulève aucun problème juridique, ni modification substantielle de la législation existante. Il vise uniquement à définir l'expression « obligations militaires ».
Concernant sa mise en oeuvre effective, très concrètement, il a été décidé par entente directe d'anticiper les termes de l'accord et de ne plus exiger l'accomplissement d'une préparation ou d'un engagement militaire pour les franco-suisses résidant habituellement sur le territoire suisse au sens de la convention et qui optent pour le service français. Ainsi, les administrés concernés ne seront pas contraints d'accomplir une préparation ou un engagement militaire, ou de s'acquitter de la taxe d'exemption.
La Suisse a d'ores et déjà obtenu l'accord du Conseil fédéral, elle n'a pas besoin de le soumettre à une procédure d'approbation. Du côté français, il a été adopté par nos collègues de l'Assemblée nationale. Dès réception de l'instrument d'approbation français, il entrera en vigueur.
C'est pourquoi je vous recommande d'adopter le présent projet de loi, qui pourrait faire l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique le 18 juillet.
M. Alain Néri - J'ai l'exemple d'une personne qui a la triple nationalité française, suisse et portugaise. Dans ce cas, cette convention s'applique-t-elle ?
M. André Trillard - Je suis toujours étonné que le choix soit laissé aux double-nationaux. C'est la législation du pays dans lequel ils vivent qui devrait s'appliquer, en toute logique !
M. Jean-Louis Carrère, président - Votre observation est pertinente. Concernant les triple-nationaux, et pour votre exemple, la convention s'applique aux franco-suisses, quant au Portugal il n'y a plus de service militaire obligatoire.
La commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
Mercredi 11 juillet 2012
- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -Réforme des bases de défense - Présentation du rapport d'information
La commission examine le rapport d'information de MM. Gilbert Roger et André Dulait sur la mise en place de la réforme des bases défense.
M. Gilbert Roger, co-rapporteur - Monsieur le Président, mes chers collègues, vous nous avez chargés, en tant que rapporteurs du programme budgétaire 178 « Préparation et emploi des forces », de réaliser une évaluation de la mise en place de la réforme des bases de défense.
Cette démarche s'intègre dans notre stratégie de préparation de la révision du Livre blanc : il s'agit de faire le point sur la transformation entamée en 2008, pour voir si elle a produit les effets attendus, pour estimer nos marges de manoeuvre pour l'avenir. Nous connaissons tous, en effet, l'équation financière du livre blanc et de la loi de programmation militaire de 2008 : recentrer les crédits sur l'équipement et sur l'opérationnel, grâce aux économies réalisées dans le soutien.
Parallèlement à la réduction du format, c'est au niveau des 60 bases de défense (51 en métropole, 9 outre-mer) que devaient être, dans ce dispositif, générées la plupart des économies, par une mutualisation des moyens entre les unités ; les bases étaient en quelque sorte à la fois le creuset et le réceptacle des nombreuses rationalisations découlant des 37 projets de réorganisation du ministère.
Conformément à notre mission de contrôle de l'exécutif, mais aussi pour éclairer la réflexion plus prospective des autres groupes de travail de notre commission, nous nous sommes donc rendus sur le terrain, dans les bases, pour voir comment la réforme avait fonctionné et si elle avait bien rempli son principal objectif : faire aussi bien avec moins.
Nous avons constitué un échantillon qui nous permette de voir tous les cas de figure : base à dominante « terre », « air », ou « mer », petite base, moyenne et grosse base, base en expansion ou base en restructuration. La constitution de ce « panel » nous a conduits à Metz, à Tours, à Charleville-Mézières et à Toulon. Nous avons rencontré au total près de 100 personnes, de tous les niveaux et de tous les horizons : civils, militaires, gradés, hommes du rang, terriens, aviateurs, marins, représentants syndicaux, élus locaux...
Et je dois dire que nous avons harmonieusement convergé, André Dulait et moi-même, à la fois sur le constat et sur les propositions que nous vous soumettrons dans quelques instants.
Nous avons souhaité construire notre rapport comme un outil d'aide à la décision pour le nouveau gouvernement, à l'heure des choix budgétaires, voire capacitaires. Après avoir dressé un bilan, nous nous sommes donc concentrés sur les décisions à prendre : nous avons identifié 2 scénarios et 8 enjeux :
- un scénario « à l'anglaise », de remise à plat et de réforme de la réforme, que nous rejetons et qui nous semble irréaliste,
- un scénario de consolidation et d'approfondissement, qui a notre préférence.
Parmi les 8 enjeux, nous disons quelles sont à notre avis les fausses pistes et au contraire, les vrais leviers pour l'action gouvernementale dans les mois à venir.
Mais dressons, tout d'abord, le bilan de cette réforme.
M. André Dulait, co-rapporteur - Encore plus que la fin de la conscription, la constitution des bases de défense a été une véritable révolution, qui a bousculé des principes d'organisation séculaires, en particulier dans l'armée de terre : depuis des siècles, le régiment vivait de façon autarcique et autonome. Il lui faut désormais partager, voire négocier son soutien.
Nous connaissons tous le principe de la base de défense : il s'agit pour les différentes unités, formations, services et régiments, de mettre en commun, dans une circonscription géographique donnée, leurs moyens d'administration générale et de soutien commun, comme les ressources humaines, les achats et les finances, le soutien de l'homme, l'hébergement, le transport, la restauration, l'entretien des bâtiments...
Le but est double : générer des économies par la mutualisation et recentrer les forces sur l'opérationnel en les déchargeant des tâches purement administratives, prises en charge par la base de défense.
Alors que nous avions prévu, dans la loi de programmation militaire, de déployer progressivement 90 bases à raison de 20 par an, c'est finalement 60 bases, 51 en métropole, et 9 outre-mer, qui furent mises en place d'un seul coup, au 1er janvier 2011, après une courte période d'expérimentation dans des bases pilotes.
La constitution des bases s'est traduite par une diminution de 15% des personnels affectés au soutien. Il s'agissait de repenser l'organisation en décloisonnant et en harmonisant les processus entre les trois armées.
Qu'avons-nous constaté sur le terrain ?
Tout d'abord, la réforme a mis en place un univers particulièrement complexe, qui a brouillé tous les repères.
Au-delà des 30 000 personnes qui ont quitté leur armée pour rejoindre la nouvelle organisation interarmées du soutien, c'est à un bouleversement du quotidien de tous les agents du ministère qu'a abouti la réforme.
Très concrètement, pour toutes les activités du quotidien, par exemple quand un régiment doit organiser un entraînement, il doit d'abord faire passer sa demande de transport, de véhicules de sécurité, d'hébergement, etc... par un logiciel, et sa demande est traitée par la base de défense. Auparavant, le régiment disposait de tous ces moyens en propre.
Les commandants de base qui ont été nommés à la tête de ces nouvelles structures de soutien, naviguent dans une organisation matricielle, puisqu'ils n'ont d'autorité ni sur les forces qu'ils soutiennent ni sur les soutiens dits « spécifiques » comme le service de santé, des essences, ou l'informatique, par exemple, qui lui échappent mais qu'ils doivent «intégrer », suivant la terminologie officielle, au profit des soutenus. C'est un vrai choc culturel, dans un univers par essence hiérarchique.
De plus, la réorganisation concomitante et parfois un peu cacophonique des chaînes « métiers » du ministère de la défense (finances, ressources humaines...) a contribué à installer une impression de désorganisation généralisée qui n'est pas seulement imputable, comme cela a été dit à tort, à la mise en place des bases de défense.
Prenons un exemple, celui des achats. Alors que les bases se mettaient en place, leurs interlocuteurs pour les achats et les marchés publics, les nouvelles « plates-formes achats-finances », ont elles-mêmes été concernées par une très vaste réorganisation, puisque le commissariat voit en 5 ans ses effectifs divisés par 2 et le nombre de ses établissements divisés par 3. Au même moment, il fallait absorber l'application financière Chorus et un nouvel outil de paiement, les cartes achats finances... Résultat : personne ne s'y retrouve, la fluidité des circuits d'achat est rompue, les délais de paiement s'allongent, avec un arriéré de 18 000 factures, les PME se plaignent et les bases de défense jonglent entre les procédures et les interlocuteurs...
Sur le sujet de l'accès des PME aux marchés de défense, je constate que le nouveau ministre rejoint notre analyse : il souhaite agir au niveau européen pour améliorer leurs parts de marché, au besoin avec un « small business act ».
Deuxième constat, et c'est la principale réussite de la réforme : la qualité du soutien en opérations ne s'est pas dégradée.
Nous l'avons mesuré aussi bien auprès du 3ème régiment du génie, dont les hommes sont projetés en Afghanistan, qu'à bord du pétrolier ravitailleur « Var » engagé dans Harmattan : alors que 2011 a été un pic historique d'engagements extérieurs puisque jusqu'à 12 000 hommes ont été engagés simultanément, la nouvelle organisation des bases de défense n'a pas perturbé le soutien en opérations. Il faut saluer le « coup de collier » qu'ont donné les personnels du soutien, en plein milieu de la réorganisation, pour maintenir cette qualité.
Troisième constat : les économies de la réforme, pourtant tangibles, sont assez peu lisibles.
Des économies ont indéniablement été réalisées, mais le bilan global de la réforme est peu lisible, pour deux raisons :
- d'abord il s'agit de coûts évités, c'est-à-dire de dépenses non réalisées qu'il faut évaluer a posteriori, avec des méthodologies de reconstruction qui ont pu être discutées ;
- ensuite, le coût des mesures d'accompagnement de la réforme en atténue largement les effets positifs.
C'est illustré par le fameux « paradoxe de la masse salariale » : les effectifs du ministère fondent, de 8 400 postes par an en moyenne, mais la masse salariale stagne, un peu en dessous de 12 milliards d'euros, à cause des mesures de revalorisation indiciaires, du coût du plan d'accompagnement social et du repyramidage des effectifs.
Au total, le bilan économique prévisionnel de la réforme est le suivant, sur la période 2008-2014 :
. 6,6 milliards net auront été « économisés » qui se décomposent en :
- des économies : de masse salariale (6,5 milliards) et de frais de fonctionnement évités (1,7 milliards) ;
- des coûts : celui de l'accompagnement social (1,1 milliards), celui des 600 opérations immobilières liées aux restructurations (1,4 milliards) et celui des crédits de redynamisation territoriale (320 millions) ;
- des « recettes » : les produits de cession (évalués au total à 1,2 milliards sur les 6 ans), même si, au-delà même de leur chiffrage, on peut contester le fait de les prendre en compte, puisqu'il s'agit en fait d'une sortie définitive du bilan de l'État.
L'embasement du soutien aura, à lui seul, représenté une déflation de 10 000 postes, soit près d'un cinquième de l'effort total du ministère, et une économie annuelle de 40 millions d'euros.
La réforme aura donc bel et bien généré des économies nettes.
Je dois dire quand même que ces chiffres ont mis du temps à émerger, qu'ils ont pu fluctuer par le passé et, surtout, que le ministère de la défense n'isole pas vraiment, dans l'ensemble des économies, le bénéfice tiré exclusivement des bases de défense : c'est un tort, car comme cette réforme est mal comprise, il faudrait mieux communiquer sur ses résultats, ne serait-ce qu'auprès des personnels concernés.
M. Gilbert Roger, co-rapporteur - Une dernière conséquence de la réforme, à laquelle nous avons été très attentifs, c'est celle de l'instauration d'un nouveau rapport, parfois douloureux, au territoire.
Les restructurations de la carte militaire, destinées à mieux répondre aux besoins opérationnels des armées et à faciliter les économies en densifiant les implantations, ont touché de plein fouet des dizaines de collectivités territoriales, avec la fermeture de 82 unités et 262 sites. En zones de fragilité économique ou dans les petites villes, le choc est rude ; il est particulièrement brutal dans le quart Nord Est. Notre collègue Michèle DEMESSINE avait attiré notre attention en novembre dernier sur la situation du Cambrésis. Nous avons rencontré le maire de Barcelonnette, qui a perdu 10 % de sa population, qui a vu le nombre des naissances divisé par deux et celui des demandeurs d'emplois doubler. A Metz, c'est une perte de 5 000 emplois au total, et 400 hectares de base aérienne à reconvertir, qui, estimée au départ à 20 millions d'euros, sera cédée à l'euro symbolique... A Charleville Mézières, le régiment, qui a finalement été maintenu, avec au passage 2 millions d'euros de travaux déboursés par le Conseil Général, est le deuxième employeur après Peugeot, dans un bassin économique déjà fragile....
Au total, l'État prévoit 320 millions d'euros d'aides à la revitalisation économique, dont peu sont déjà dépensés, même si beaucoup sont contractualisés, car les projets sont longs à émerger. Un premier bilan fait état de 2 000 emplois créés par 200 entreprises aidées. Il faudra voir dans la durée si les activités de substitution sont pérennes. A Metz, nous avons pu constater que les crédits de la défense serviront à financer le tramway, pour 10 millions d'euros, après avoir financé le centre Georges Pompidou... Les collectivités, quant à elles, auront déboursé au total trois fois plus de crédits que l'État ...
De véritables déserts militaires apparaissent, dans le Nord, le Centre et l'Ouest, et on peut s'interroger sur le maintien du lien armée-Nation dans des endroits où on ne croise jamais un militaire.
Après le bilan de la réforme, venons-en maintenant à nos préconisations. Il nous semble que la réforme n'a pas encore dégagé tous les bénéfices possibles, car il subsiste un certain nombre de freins à lever.
M. André Dulait, co-rapporteur - Huit questions sont aujourd'hui sur la table du nouveau ministre, dont 3 nous semblent être de fausses pistes.
1. Tout d'abord, faut-il diminuer le nombre de bases de défense ?
La Cour des Comptes a jeté l'année dernière un « pavé dans la mare » qui résonne encore à l'oreille du ministère de la défense, en jugeant qu'on aurait dû faire 20 grosses bases de défense, soit trois fois moins !
Il est vrai qu'aujourd'hui, les bases de défense ne constituent pas de grosses bases très denses « à l'américaine », regroupant de nombreuses unités. Ce sont plutôt des circonscriptions territoriales de soutien, organisées en antennes (parfois jusqu'à 7 antennes) sur les principaux sites de leur périmètre. D'ailleurs, la moyenne de 4 200 soutenus cache en fait de grandes disparités : une dizaine de bases n'atteint pas 1 800 personnes ; plus de 30 bases sont en dessous du seuil, jugé « critique » pour permettre les mutualisations, des 5 000.
Le format actuel résulte d'un compromis entre efficience et soutenabilité de la réforme. Il faut bien reconnaître qu'il ne permet sans doute pas de tirer tous les bénéfices possibles du concept d'embasement. Nous avons vu à Toulon une efficacité et un professionnalisme dans le soutien que seule permet l'assiette de la base (23 000 personnes). Le ratio gérant-géré y est de 7,5 %, contre 8 à 9 % sur les autres bases.
Toutefois, nous jugeons que le format proposé par la Cour des comptes est irréaliste en l'état, et que le bilan coût-avantage d'une nouvelle réduction du nombre de bases de défense, serait, à ce stade, défavorable. De deux choses l'une :
- soit on maintien le plan de stationnement des forces sur le territoire, et dans ce cas, la « réduction » du nombre de bases se traduira par la transformation de bases en antennes, qui ne produira que très peu d'économies (quelques postes tout au plus) ;
- soit on envisage une nouvelle vague de restructurations d'unités, mais ce serait créer un nouveau traumatisme territorial, avec un coût collectif pour les collectivités territoriales, pour l'État et pour le budget de la défense.
Surtout, cette réflexion doit être menée dans le cadre des nouveaux contrats opérationnels, qui seront fixés par le futur livre blanc, et qui définiront le format global des forces armées. En l'état, une décision cantonnée aux seules bases de défense nous semble totalement prématurée.
2. Deuxième faux débat : Faut-il étendre l'autorité des commandants de base de défense ?
Le commandant de base de défense, qui ne commande qu'une partie des soutiens, n'est que « l'intégrateur » de l'autre partie et se trouve placé dans une position assez complexe, tout en bas d'un organigramme très touffu qui ressemble à des tuyaux d'orgue.
Constatant la confusion actuelle, certains préconisent donc d'étendre son autorité à l'ensemble des soutiens.
Nous ne souscrivons pas à cette analyse. D'abord, aucun commandant de base rencontré ne nous a dit que ce serait la solution de tous ses problèmes que de devenir le chef de l'informatique, des infrastructures, des essences ou du service médical....
Ensuite, cela remettrait en cause la réorganisation verticale, par métiers, de chaque chaine du ministère, qui a sa logique et qui produit ses effets.
En revanche, nous préconisons l'élargissement du périmètre budgétaire confié au commandant de base aux crédits de l'ensemble des soutiens sur sa base, car il est aujourd'hui dans un carcan financier tellement rigide qu'il est condamné à gérer les inéluctables. Un élargissement du périmètre de ses crédits lui permettrait d'optimiser l'emploi des fonds en fonction de priorités locales : peut être que sur certaines bases il vaut mieux renouveler les ordinateurs, sur d'autres repeindre un bâtiment... à chacun de voir.
3. Troisième fausse piste : faut-il externaliser le soutien ?
L'étendue limitée des externalisations, 3 % du budget de la défense, contraste avec leur fort enjeu « émotionnel » : elles sont devenues un vrai « chiffon rouge » social. Or on n'a jamais fait aussi peu d'externalisations que depuis qu'on en parle tant, c'est-à-dire depuis 2008 !
Après une approche assez volontariste, la méthodologie du ministère de la défense s'est peu à peu affinée, autour de 4 critères : la préservation des compétences du coeur de métier, l'intérêt des personnels, la préservation du tissu de PME et l'intérêt économique. Le processus est désormais totalement maîtrisé de bout en bout par le ministre. La démarche s'accompagne systématiquement d'une étude très approfondie sur « la rationalisation de la régie », c'est-à-dire sur les facultés à obtenir les mêmes résultats économiques en réformant une activité qu'on garderait au sein du ministère.
Notre conviction est qu'il ne faudra pas attendre de miracles de l'externalisation en matière de soutien.
Refusant tout dogmatisme, nous préconisons une approche résolument pragmatique : nous osons dire que parfois elle est utile, parfois non, cela dépend des cas :
- l'expérimentation d'un contrat « multi-service » pour le soutien, sur la base de Creil semble, après 6 mois, de gestion assez lourde ; elle ne devra sans doute pas être généralisée ;
- dans certains cas l'externalisation a pu s'avérer positive (exemple : les véhicules de la gamme commerciale, avec une baisse des coûts de 20%, un rajeunissement du parc et une baisse du bilan carbone) ;
- dans d'autres cas elle ne l'est pas (exemple : la bureautique où le projet a été abandonné) ;
- dans d'autres cas enfin, son intérêt n'est qu'indirect : la perspective d'externalisation a pour effet d'inciter à la modernisation de la régie.
Trois décisions sont attendues d'ici l'automne, en matière d'habillement, de restauration, et d'infrastructures. Nous estimons qu'elles devront être prises sans dogme ni tabou, en fonction des effets produits au regard des 4 critères actuels. Notre intuition est qu'il n'est pas exclu que les études et les expérimentations sur la rationalisation de la régie, qui sont très sérieusement menées, ne démontrent des effets économiques équivalents à ceux de l'externalisation.
M. Gilbert Roger, co-rapporteur - Nous avons identifié les 5 leviers qui doivent, d'après nous, permettre de consolider et d'approfondir la réforme.
1. Faut-il supprimer les 7 états-majors de soutien défense ?
Nous répondons : oui, sans doute.
Le maintien d'échelons intermédiaires du soutien apparait paradoxal, dans un contexte d'amaigrissement systématique de tous les niveaux régionaux du ministère de la défense.
Nous pensons que cette création découle des désordres de la phase de transition, dont le calendrier a été précipité, et de la difficulté pour l'échelon central de l'état-major, le CPCS, lui-même en phase de montée en puissance, à y faire face. Leur nécessité devra être remise en question fin 2012. C'était d'ailleurs le schéma initialement prévu, avant qu'ils ne soient finalement pérennisés : nous souhaitons maintenir la pression et faire une réévaluation fin 2012.
Ne jouant pas de rôle « hiérarchique » sur les bases, dans une organisation dite en « dérivation », les états-majors de soutien ont trois attributions, dont deux pourraient être transférées à l'État-major (la synthèse et les expertises rares, comme la législation sur les installations classées et l'environnement). Leur troisième attribution, la coordination zonale, à l'origine de toute l'ambigüité de leur positionnement, comporte un risque réel de sur-administration.
2. Deuxième vraie question : Faut-il redéfinir le « socle » budgétaire des bases de défense ?
Indéniablement oui !
Dans toutes les bases de défense visitées, nous avons observé l'étranglement financier des commandants de base, sous l'effet de trois contraintes : une enveloppe sous dotée (d'environ 25 %), des dépenses incompressibles (chauffage, carburant...), une exécution 2012 obérée par les reports de dépenses de 2011, c'est-à-dire un phénomène de « cavalerie » budgétaire...
Naturellement, alors que nous sommes les rapporteurs du programme 178, ce problème n'avait pas été porté à notre connaissance lors des auditions budgétaires de fin d'année....
Au total, nous chiffrons à 130 millions d'euros, soit environ un quart de l'enveloppe annuelle, l'« impasse » budgétaire pour les bases de défense en 2012. Ce chiffre impose d'agir d'urgence. Concrètement, d'ici septembre, il n'y a plus de crédits pour le soutien en bases de défense. La saison de chauffage n'est pas assurée. Les « économies forcées » que cette situation génère ne sont pas toujours rationnelles et inutile de dire que cela désespère les personnels. Nous poserons la question tout à l'heure au ministre.
3. Troisième vrai levier, il faut simplifier les procédures.
C'est un immense chantier qui est encore très inabouti.
Dans le rapport nous donnons trois exemples précis, dont celui des ressources humaines, pour lesquelles la mutualisation des processus de gestion administrative est très peu avancée. 66 « macro-processus » communs ont été identifiés, mais on en est encore au tout début pour leur harmonisation !
Je citerai ici brièvement la question des zonages d'intervention. Les situations rocambolesques abondent : un personnel en poste à Carcassonne relèvera de la plate-forme achats finances de Toulon, de Bordeaux pour sa reconversion mais aura son action sociale gérée à Lyon.... En cause la réorganisation « en silos » des différents niveaux intermédiaires du ministère, chacun suivant sa logique propre, sans harmonisation des mailles géographiques, et sans considération des besoins de leurs « clients » que sont les bases. Cela impose aux bases de défense une véritable cacophonie d'intervenants. Cette complexité inutile est démotivante pour les personnels et coûteuse pour l'administration. Les zonages doivent être rapidement harmonisés.
4. Quatrième priorité : il faut faire sauter le « verrou » des systèmes d'information.
Sans harmonisation préalable des procédures et sans systèmes d'informations adaptés, la réforme ne peut produire son plein effet mutualisateur. Or, à de rares exceptions près, les outils manquent. L'hétérogénéité et le cloisonnement des applications sont le véritable talon d'Achille de la réforme. Dans les ressources humaines, il y a 5 systèmes distincts, dont certains refaits en 2008, qui ne se parlent pas... il faut 45 jours pour compter les effectifs du ministère, là où il faudrait 45 secondes avec un système unifié... en matière financière ou de logistique, c'est un véritable « zoo » d'applications, qui bloque toute avancée. La rationalisation avance trop lentement, il faudrait « changer de braquet », car dans l'intervalle ce sont les personnels qui jonglent avec le cloisonnement des systèmes et les rationalisations qui ne peuvent pas se faire.
5. Dernier levier, celui de l'augmentation de la proportion de civils dans le soutien.
Nous sommes d'avis que la « civilianisation » du soutien, proposée par le livre blanc de 2008, devra être poursuivie. Pour les seuls métiers du soutien, nous sommes aujourd'hui à 42 % de personnels civils, on devrait aller jusqu'à 46 % d'ici 2 ans, sachant qu'on ne pourra pas non plus aller trop loin, en raison des nécessités opérationnelles, car seuls les militaires sont projetables.
Toutefois, dans notre rapport, nous rejetons les approches un peu trop rigides, qui calculent des quotas par établissement ou remplacent mécaniquement tous les militaires par des civils. Il faut tenir compte de l'histoire, des situations locales et faire attention aux arguments qui auraient pour effet d'opposer les catégories les unes aux autres.
Il nous parait indispensable de concilier les impératifs de gestion de carrière de tous les personnels, civils comme militaires : tracer des progressions de carrières et « flécher » des postes à responsabilité sur des civils, oui, mais aussi, respecter les besoins de souplesse, de projection et de « respiration » en deuxième partie de carrière, qui conduisent à militariser certains postes.
M. André Dulait, co-rapporteur - En conclusion, je voulais souligner que si cette réforme complexe n'a peut être pas produit aujourd'hui de résultats spectaculaires, elle a un bilan honorable : 6,6 milliards sur 6 ans.
Elle est aujourd'hui contestée, parce que peu lisible, et il nous faudra sans doute, dans les mois à venir, résister à la « tentation du grand bouleversement », qui remettrait en cause le modèle d'organisation lui même. C'est aujourd'hui la principale crainte du personnel et cela ne manquerait pas d'avoir un très fort impact en termes de moral et d'adhésion à la transformation. Ce qui est redouté c'est un scénario « à l'anglaise » où les réformes s'empilent avant qu'on n'ait pu les mener à terme. Je pense que nous devons plaider pour un travail, sans doute plus fastidieux, mais indispensable, de poursuite déterminée des rationalisations engagées.
Je vous remercie de votre attention.
M. Gilbert Roger, co-rapporteur - Avec la concentration des achats et la procédure des marchés publics, les PME et PMI finissent par être exclues des appels d'offres de défense. Nous souhaitons poursuivre notre réflexion sur un dispositif permettant, sur le modèle du chèque emploi-service, de réduire les formalités de candidatures aux marchés.
M. Jean-Louis Carrère, président - Je salue la qualité de votre rapport et de vos propositions. 6,6 milliards d'économies en 6 ans, cela montre bien l'effort qui a déjà été réalisé par la défense pour le redressement des comptes publics.
M. André Vallini - Vous insistez sur les difficultés rencontrées par les villes où des unités ferment. Certaines communes rencontrent le problème inverse : ainsi à Vars, en Isère, il faut adapter les infrastructures et les équipements scolaires pour accueillir 1.300 familles supplémentaires.
M. Jeanny Lorgeoux - Il me semble utile de rétablir un minimum de capacités d'engagements financiers de la part des commandants de bases de défense, ce qui contribuerait à une meilleure animation du tissu économique local.
M. Daniel Reiner - Votre rapport me semble raisonnable : la situation n'est pas totalement satisfaisante, mais le retour en arrière est impossible. Dans cette transition inachevée, il faut avancer « au pas de l'homme ». La création des bases de défense n'a pas posé de difficultés à l'armée de l'air non plus qu'à la marine. Elle a été plus mal vécue par l'armée de terre, dont les chefs de corps ont été dépossédés d'une partie de leurs pouvoirs de « pères du régiment » disposant de la plénitude des moyens, notamment en matière de soutien, déterminant en cas de projection. C'est dans ce contexte qu'a été maintenu un échelon intermédiaire, les États-majors de soutien défense, que l'armée de terre avait suggéré pour éviter que les commandants de bases ne soient trop éloignés de l'État-major. Je pense donc qu'il nous faut tenir des propos mesurés et prudents sur leur éventuelle suppression. Nous devons accompagner psychologiquement cette réforme qui a été très profonde.
M. Jean-Louis Carrère, président - Sans vouloir préempter les débats que nous aurons cet après-midi avec le ministre de la défense, je crois que nous pourrons dire à cette heure notre commune détermination à ce que le budget de la défense ne soit pas la variable d'ajustement des comptes publics. Le ministère de la défense, votre rapport le montre amplement, a déjà largement contribué. Il faut désormais protéger l'outil de défense et nos capacités industrielles.
M. Robert del Picchia - Le bilan économique de cette réforme s'élève à 6,6 milliards d'euros en 6 ans. C'est un résultat important. Il ne faudrait pas qu'on en tire motif pour demander encore plus à la défense.
M. Gilbert Roger, co-rapporteur - Je partage votre point de vue. Nous soulevons également la question dans le rapport de la cession d'emprises à l'euro symbolique dans certaines communes. Nous avons constaté dans les bases de défense une impasse budgétaire de 130 millions d'euros qui manquent pour boucler l'année 2012.
Le chiffre de 20 bases avancé par la Cour des Comptes a eu un effet dévastateur, alors qu'il faudrait au contraire conforter la réforme. Autre question importante : nous avons vu exploser le célibat géographique qui se développe en partie sous l'effet du travail des conjoints qui ne peuvent abandonner leur emploi.
Dans les bases en expansion comme à Tours, les communes sont en effet confrontées à des problèmes d'aménagement.
Pour les États-majors de soutien défense, notre propos est très nuancé. Il s'agit d'évaluer fin 2012 la meilleure solution entre leur suppression au bénéfice du renforcement de l'État-major, ou leur maintien, sur les missions expertes qui sont actuellement les leurs.
M. André Dulait, co-rapporteur - Nous estimons en effet que l'autonomie financière des commandants de bases doit être renforcée. Pour les achats de petits montants, la « carte d'achat » en cours de déploiement doit leur permettre d'irriguer le tissu économique local. Son mécanisme est développé dans le rapport écrit. Il mériterait d'être généralisé.
M. Alain Gournac - Il faut être très attentif aux enjeux humains dans la mise en oeuvre de cette réforme. J'ai pu le constater sur la base de Saint-Germain en Laye l'importance du facteur humain, notamment entre les personnels civils et militaires.
M. Gilbert Roger, co-rapporteur - Les personnels civils sont gérés par le centre ministériel de gestion qui est parfois très éloigné. Ils ont pu avoir un sentiment d'isolement à cause de cette réforme. Nous avons constaté sur la base de Tours qu'un civil prenait la responsabilité du groupement de soutien de la base. A l'inverse, à Toulon, le ministère de la défense rencontre des difficultés à obtenir des candidatures de personnels civils pour des postes à responsabilité.
S'agissant de l'externalisation, nous avons constaté qu'elle enlevait parfois de la souplesse. Ainsi quand les pilotes rentrent en pleine nuit de la mission Harmattan, leur repas sera facturé au prix fort par le prestataire parce que « hors marché ». Une restauration en régie offre à cet égard plus de souplesse.
Le rapport d'information est adopté à l'unanimité.
Avenir des forces nucléaires - Présentation du rapport d'information
La commission examine le rapport d'information de MM. Didier Boulaud et Xavier Pintat sur l'avenir des forces nucléaires.
M. Jean-Louis Carrère, président - Nous examinons aujourd'hui le rapport du deuxième groupe de travail dont nous avons décidé la constitution afin de nous préparer aux travaux de la Commission du Livre blanc. Ce groupe de travail était coprésidé par nos collègues Didier Boulaud et Xavier Pintat et composé de Jean-Pierre Chevènement, Michelle Demessine, Josette Durrieu, Jacques Gautier, Alain Gournac, Gérard Larcher et Bernard Piras. Je sais qu'ils ont eu accès à tous les documents qu'ils souhaitaient, qu'ils ont eu toutes les informations dont ils avaient besoin. Je sais également qu'ils ont pu visiter toutes les installations les plus classifiées qui interviennent dans la conception de l'arme - tel que le site du CEA-DAM à Bruyères-le-Châtel ou aux Muraux, voir le laboratoire de bataille « Poséidon » et le laboratoire de bataille « Égide » - dans la fabrication de l'arme - ils sont allés à Valduc, là où on fabrique les coeurs nucléaires. Nos collègues enfin ont pu assister à un ravitaillement en vol à partir de C-135 de l'escadron Bretagne, des appareils de la flotte de combat française, pour l'entraînement d'un raid nucléaire. Ils ont pu également visiter ce que l'on appelait il n'y a pas si longtemps, un dépôt d'armes à munitions spéciales - un DAMS, sur la base aérienne d'Istres. Comme ils ont tous, me semble-t-il, visité l'Ile longue et donc ont pu avoir un aperçu des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, ils ont un niveau d'information que peu d'hommes politiques en France ont. Nous attendons donc les conclusions de leur travail avec impatience, et je passe tout de suite la parole à Xavier Pintat, co-président.
M. Xavier Pintat, co-président - Les forces nucléaires françaises ont subi, depuis 2008, de profondes transformations. Cela s'est traduit par l'entrée en service d'armes améliorées et le renoncement à un escadron de la composante aérienne. Aujourd'hui ces forces sont modernisées et l'essentiel des investissements a été effectué, pour une période assez longue. Pourtant, un débat a lieu tendant à remettre en cause l'utilité de ces armes et surtout leur coût. Ce débat a lieu parmi les responsables politiques. Mais il a lieu également au sein des armées. Outil stratégique imposé par le pouvoir politique, les armes nucléaires n'ont jamais été très populaires dans de nombreux secteurs.
Les interrogations se multiplient en période de restrictions budgétaires puisque chaque composante, en particulier l'armée de terre, craint de voir ses crédits réduits en raison de la « sanctuarisation » de la dissuasion. Tout le monde sait intuitivement que moins de crédits pour les armées signifie moins d'équipements conventionnels pour les soldats, équipements dont ils ont besoin en mission et dont leur vie parfois dépend. Si bien que certains anciens militaires appellent publiquement à la réduction des moyens de la dissuasion, voire à la suppression d'une composante. Est-il nécessaire d'organiser une permanence à la mer ? Ne peut-on se contenter d'un seul escadron d'avions porteurs de l'arme ?
La contestation de l'utilité pour notre pays de disposer d'armes nucléaires prend d'autant plus de force que des incertitudes grandissent sur le maintien des armes nucléaires tactiques de l'OTAN et que le déploiement de la défense antimissile balistique soulèvent des questions difficiles. Si la Grande Bretagne, qui prendra sa décision en 2016, décide de renoncer aux armes nucléaires, la France risque de se retrouver seule puissance nucléaire en Europe.
Dans le cadre de la préparation du futur Livre blanc, nous n'avons pas attendu les déclarations des uns et des autres pour ouvrir le dossier de l'avenir des forces nucléaires françaises. Nous l'avons fait depuis six mois en menant un cycle complet d'auditions et en allant visiter les principales installations dont nous n'avions pas encore connaissance. Nous estimons donc prêts à participer à ce débat : la dissuasion nucléaire est elle vraiment indispensable à la sécurité de la France ? L'Allemagne, l'Afrique du sud ou le Brésil qui n'en sont pas dotés sont-ils plus en danger que la France ? La dissuasion est-elle indissociable de son statut de membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies ? Quel est son coût ? Ne peut-on le réduire ?
Contrairement à ce qui est écrit ici ou là, un tel débat sur la dissuasion nucléaire en France n'est pas impossible, ni réservé à un cercle fermé de décideurs politiques. Au demeurant, les crédits de la dissuasion nucléaire sont détaillés chaque année dans les rapports budgétaires des deux assemblées et font l'objet d'un examen critique. En ma qualité de co-rapporteur du P146, avec mes collègues et amis Jacques Gautier et Daniel Reiner, spécialisé sur les questions nucléaires, je suis bien placé pour le savoir.
Le débat doit donc être mené sans tabou et doit permettre de confronter les points de vue. Si consensus il y a dans notre pays autour des forces nucléaires, il doit reposer sur des arguments solides.
L'arme nucléaire n'est pas une arme du champ de bataille, mais elle est utilisée tous les jours et des générations de marins, d'aviateurs, d'officiers supérieurs, d'ingénieurs et de personnels hautement qualifiés ont contribué et continuent de contribuer à en assurer la parfaite maîtrise. Les armes nucléaires sont des armes complexes qui supposent un minimum de connaissances militaires, mais aussi mathématiques et physiques, d'autant plus difficiles à mesurer qu'elles sont entourées, légitimement, d'un grand secret. Elles s'inscrivent dans une stratégie - la dissuasion, dont la caractéristique principale est de se dérouler dans la tête de l'ennemi.
C'est dans le quinquennat qui s'ouvre que les décisions de lancer les programmes d'études pour la prochaine génération d'armes devront être prises, ou non. Le moment ne pouvait donc être mieux choisi pour ouvrir ce débat et, peut être, de faire évoluer notre propre regard sur la dissuasion, de questionner le discours habituel, de le faire évoluer pour le rendre plus accessible.
En accord avec mon collègue, Didier Boulaud, je présenterai les trois premières séries de réflexions qui ont trait : à la singularité des forces nucléaires françaises, à la contestation dont elles font l'objet, aux nouvelles interrogations qui se sont fait jour et finalement aux décisions qui nous attendent.
I.- S'agissant tout d'abord de la singularité des forces nucléaires françaises j'irai très vite car vous connaissez tout cela fort bien et nous l'avons repris dans notre rapport écrit. Les forces françaises ont une triple singularité. D'abord leur nombre et leur qualité repose sur le principe de stricte suffisance, c'est-à-dire le minimum opérationnel - trois cent têtes - que nous estimons nécessaire pour assurer la crédibilité de nos deux composantes. Ensuite, la recherche de l'autonomie stratégique : les forces françaises sont à la fois autonomes - puisque nous contrôlons la totalité de la chaîne de production des armes et de leurs vecteurs - et indépendantes dans leur emploi. Enfin, la dissuasion nucléaire française repose sur une gouvernance exemplaire.
Pour ce qui est des programmes en cours, il y a bien évidemment, le programme de simulation lancé en 1995 pour suppléer les enseignements des essais nucléaires, est constitué d'un ensemble cohérent d'investissements reposant sur l'augmentation des moyens de calcul dans le cadre du projet Tera ; la machine radiographique Airix et le laser mégajoule (LMJ).
Le programme de modernisation des têtes nucléaires a quant à lui été mené à bien par le CEA-DAM. Pour ce qui concerne les têtes aéroportées, les missiles ASMP/A sont équipés de la nouvelle tête nucléaire aéroportée (TNA), conçue à partir du concept de charge « robuste » et garantie par la simulation. L'intégralité des vecteurs ASMP/A a été livrée entre 2009 et 2011. Pour ce qui concerne la composante océanique, la direction des applications militaires du CEA réalisera la nouvelle tête nucléaire océanique - TNO - destinée à équiper, à compter de 2015, le missile M 51.2. Vos rapporteurs ont eu accès à la totalité des informations qu'ils ont souhaité obtenir concernant la fabrication, la puissance et les développements de ces têtes nucléaires. Ils ne peuvent en faire état compte tenu des règles de protection de l'information qui entourent ces données.
S'agissant de la force océanique stratégique (FOST), signalons qu'elle a achevé en 2010 sa transition vers une flotte homogène constituée des quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins du type « Le Triomphant ». Le « Terrible » a été admis au service actif fin septembre 2010. La mise en service opérationnelle du missile M 51.1 a été prononcée simultanément sur le « Terrible ». Son développement a pu être conduit avec seulement cinq lancements ce qui est une prouesse d'ingénieurs. Deux grands chantiers restent ouverts pour la composante océanique dans la prochaine décennie : d'une part, les trois premiers SNLE feront l'objet de travaux d'adaptation pour recevoir le M 51.1 à Brest. Ces travaux dureront jusqu'en 2018. D'autre part, le développement de la deuxième version du missile M 51, le M 51.2 a été lancée en juillet 2010, en vue d'une mise en service en 2015 sur le SNLE « Le Triomphant » à l'issue de ses travaux d'adaptation. Ce missile sera équipé de la nouvelle tête nucléaire océanique (TNO) en cours de développement et de fabrication.
La composante aéroportée a franchi un jalon majeur en octobre 2009 avec la mise en service du nouveau missile ASMP/A sous Mirage 2000 N K3 sur la base aérienne d'Istres. Ce nouveau missile est équipé de la nouvelle tête nucléaire aéroportée (TNA) première tête nucléaire conçue sans aucun essai nucléaire et entièrement garantie par la simulation. La transition entre les deux générations de systèmes d'armes s'est poursuivie en 2010 avec la mise en service de l'ASMP/A sous le Rafale au sein des forces aériennes stratégiques de l'armée de l'air sur la base aérienne de Saint-Dizier en juillet 2010 et sur les Rafale Marine embarqués sur le porte-avions Charles de Gaulle, lorsque ceux-ci sont en configuration nucléaire. Les avions ravitailleurs Boeing C 135 et KC 135 ont atteint leur limite d'âge. Les premiers avions C 135 sont entrés en service en 1964. Ils sont maintenus avec difficulté, en attendant l'arrivée des MRTT qui doivent les remplacer à l'horizon 2017. Pour des raisons budgétaires, le programme MRTT n'a pas encore été lancé. Néanmoins, les études de levée de risques concernant la résistance à l'IEMN (impulsion électromagnétique nucléaire) et la sécurité des systèmes d'information ont été lancées fin 2011.
Enfin, concernant les transmissions nucléaires, le programme HERMES a également franchi récemment des étapes importantes avec notamment la revue de conception système du programme de transmission des sous-marins (TRANSOUM) et la préparation de la revue de conception détaillée du programme RAMSES IV. Ces systèmes d'amélioration des réseaux de transmission nucléaire seront déployés à partir de 2014 pour RAMSES IV et 2017 pour TRANSOUM. Le système de transmission de dernier secours SYDEREC est opérationnel.
Au total, il est possible de dire que le programme de renouvellement des deux composantes de la dissuasion a franchi avec succès les échéances de transition. Il ne reste maintenant qu'à réaliser les adaptations M51 des trois premiers SNLE, acquérir les dotations complémentaires de missiles et les nouvelles têtes nucléaires. Toutefois, la modernisation de la flotte de ravitailleurs en vol a pris du retard pour des raisons budgétaires. Si bien que la première décision à prendre, pour la dissuasion nucléaire est celle du lancement de la réalisation du programme MRTT en 2013.
Les programmes ont été menés en respectant les calendriers, ce qui est primordial pour la continuité de la dissuasion, et en maîtrisant les coûts, tout en s'adaptant aux nouvelles orientations définies en 2008.
L'effort d'investissement sur cette génération est derrière nous pour l'essentiel.
II.- Venons en maintenant à la contestation dont font l'objet les armes nucléaires.
La première que vous connaissez bien, tient à toutes les initiatives en faveur du désarmement depuis 2008. Je ne passerai pas ces initiatives en revue - Global Zero - discours de Prague - traité New Start entre les Etats-Unis et la Russie - etc. Je dirais simplement que le mouvement semble s'épuiser. En premier lieu, parce que la Russie fait part de son hostilité croissante à l'égard des systèmes de défense antimissiles balistiques américains devant être déployés en Europe. En second lieu parce que l'entrée en vigueur du traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) est toujours suspendue à sa ratification par un certain nombre d'Etats, dont le premier est les Etats-Unis, en raison de l'hostilité du Congrès. Enfin, le lancement d'une négociation sur le traité sur l'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires (traité dit « cut off ») est suspendu au blocage persistant de la conférence du désarmement par les Pakistanais, sans qu'aucune perspective d'avancée ne soit aujourd'hui clairement perceptible. Au total, les différentes initiatives promouvant le désarmement nucléaire ont perdu de l'audience et au-delà des intentions affichées par certains pays, soutenant ouvertement le désarmement nucléaire, aucun de ceux qui disposent de cet armement ne se désengage réellement du processus visant à pérenniser, voire moderniser ses capacités de dissuasion nucléaire. Les Russes mettent en service cette année le nouveau missile intercontinental Boulava et se sont lancés dans une modernisation complète de leur outil militaire. La Chine vient de tester avec succès, après quatre années d'efforts, un nouveau missile lancé à partir d'un SNLE. Elle conduit un programme pour se doter d'une force océanique stratégique. L'Inde vient de réussir le tir d'un missile à courte portée, lancé à plusieurs mètres d'immersion et à rejoint le mois dernier, le club très fermé des Etats disposant de missiles à capacité intercontinentales en réussissant le tir d'un missile Agni V d'une portée de 5 000 km. Bref, la critique selon laquelle les armes nucléaires françaises feraient obstacle au désarmement est tout sauf fondée. La réalité est que personne ne désarme vraiment - si ce n'est pour mettre au rebut des armes dont la durée de vie est dépassée - et que les pays émergents s'arment.
La critique de l'utilité militaire de l'arme nucléaire me semble autrement plus intéressante. Elle a été formulée pour la première fois en France dans une tribune signée par MM. Alain Juppé, Bernard Norlain, Alain Richard et Michel Rocard, le quatorze octobre 2010, restée célèbre et reprise tout récemment dans un ouvrage de l'ancien ministre de la défense, ancien président de la commission de défense de l'Assemblée nationale : Paul Quilès. C'est, pour faire court, l'idée que l'arme nucléaire est une arme de guerre froide, conçue par des États pour dissuader d'autres États. Aujourd'hui le contexte stratégique a complètement changé : le monde est devenu multipolaire, les blocs ont disparu et l'Europe n'est plus au centre du jeu. Les acteurs non-étatiques entretiennent une conflictualité latente et asymétrique, sur laquelle la dissuasion n'a pas de prise. La probabilité d'une résurgence de puissance se traduisant par l'affrontement entre grands pays est devenue très faible. Dans ce contexte, l'arme nucléaire serait devenue non seulement inutile, mais aussi dangereuse et coûteuse. Nous allons considérer ce point de façon plus approfondie dans la partie que présentera mon collègue Didier Boulaud.
Enfin, la dernière critique est celle du coût. Tous programmes confondus, les dotations consacrées à la dissuasion dans le projet de loi de finances pour 2012 s'élèvent à 3,4 milliards d'euros de crédits de paiement et à 4 milliards d'euros d'autorisations d'engagement. Mais cette critique ne prend de sens que si on rapporte le coût de la dissuasion à son utilité. Ce qui là aussi sera examiné par Didier Boulaud.
III.- J'aborderai maintenant très rapidement les nouvelles interrogations qui se sont fait jour depuis quelques années.
La première tient au futur incertain des armes tactiques de l'OTAN en Europe et à l'absence de décision du Royaume-Uni de renouveler les armes de sa dissuasion.
Les armes nucléaires tactiques de l'OTAN en Europe sont très anciennes, nous le savons tous, puisqu'il s'agit pour l'essentiel de bombes à gravité. Et plus encore que les armes, il y a les porteurs d'armes, c'est-à-dire les vieux Tornado hors d'âge allemands, et les F 16 néerlandais, belges, et Italiens et Turcs. D'après ce que l'on sait de la position de nos amis allemands, il semble peu probable qu'un gouvernement allemand, quel qu'il soit demande à son Parlement, et que celui-ci lui accorde, les crédits nécessaires pour acheter de nouveaux chasseurs bombardiers - je rappelle que l'Allemagne n'a pas prévu d'acquérir des JSF - ni même de transformer des Eurofighter pour qu'ils puissent accomplir la mission nucléaire. Or la sortie prévisible de l'Allemagne du nucléaire militaire, à travers ce qu'il est coutume d'appeler le système de la double clef au sein de l'OTAN, entrainerait ipso facto le retrait des Pays-Bas et de la Belgique. C'est-à-dire que le caractère nucléaire de l'Alliance, pour les pays européens, ne reposerait plus que sur l'Italie et la Turquie. Que feraient ces deux pays ? Difficile à dire.
Quant à la décision du Royaume-Uni, à la suite de la constitution du gouvernement de coalition conservateur-libéraux, il a été décidé qu'elle serait repoussée à 2016. Si le Royaume-Uni décidait de sortir du nucléaire, ce qui n'est pas l'hypothèse la plus probable aujourd'hui, mais néanmoins, alors la France se retrouverait quasiment seule puissance nucléaire en Europe. Serait ce positif ou négatif, je ne sais pas.
Deuxième série d'interrogations : les interactions complexes de la dissuasion nucléaire avec la DAMB. Nous avons déjà beaucoup travaillé sur ce sujet et je ne souhaite pas rouvrir ce débat déjà largement exploré par notre commission. J'observerai très synthétiquement que la DAMB soulève au moins deux séries de questions :
- la première est celle de la crédibilité de nos forces à percer un bouclier antimissile. Si nos militaires, nos scientifiques et nos ingénieurs restent à l'écart de la course technologique en cours, ils ne seront plus capables d'apprécier la véracité des progrès réalisés par les industriels américains et c'est embêtant ;
- la seconde est la perte de souveraineté sur l'espace extra-atmosphérique européen, en raison de l'absence de capacité DAMB du système de commandement et de contrôle des opérations aériennes (SCCOA) français et d'une chaine DAMB opérée entièrement par des militaires américains.
M. Didier Boulaud, co-président - Il m'appartient donc de vous présenter les deux derniers points de notre réflexion. Le premier est celui de savoir quelles décisions nous devons prendre, dans quel calendrier, et pour quel coût. Le second est de savoir dans quel sens faut-il trancher compte tenu de tout ce que nous venons d'entendre.
IV.- Les décisions à prendre concernent en premier lieu les SNLE. La date de retrait du service actif du SNLE « Le Triomphant » est prévue au début des années 2030. Le bâtiment aura alors environ trente cinq ans, puisqu'il a été admis au service actif en 1997. Pour remplacer ce bâtiment, il est nécessaire de démarrer la construction du premier SNLE de troisième génération vers 2020. Les études préalables nécessaires à la conception d'un tel sous-marin, sont d'ores et déjà lancées. Elles visent à identifier les technologies et les architectures et permettront vers 2014-2015 de définir les choix architecturaux qui répondront aux menaces sur la période 2030-2070 si la décision est confirmée de poursuivre.
Il est important de souligner que ces études permettent de maintenir la BITD nécessaire à la conception des SNLE de troisième génération, alors que les études de conception des SNA Barracuda sont pratiquement achevées.
S'agissant des réacteurs de propulsion navale, le réacteur de propulsion nucléaire des SNLE de troisième génération sera dérivé des réacteurs des SNLE de deuxième génération et des SNA Barracuda. Un certain nombre d'études et d'essais sont néanmoins nécessaires pour adapter le réacteur aux SNLE de troisième génération qui pourrait présenter des différences en matière de réfrigération et d'échanges thermiques. Dans ce domaine les études de R&D sont indispensables pour maintenir les compétences d'AREVA TA, concepteur des chaufferies nucléaires de propulsion. Rappelons que la coopération franco-britannique dans le domaine des SNLE, était l'un des deux thèmes relatifs à la dissuasion identifiés dans le traité franco-britannique de novembre 2010. Les calendriers relativement similaires des programmes de renouvellement des SNLE en service invitaient à étudier les économies possibles en rapprochant les spécifications et en mutualisant les achats et les développements, au moins au niveau des équipements. Il n'a malheureusement pas été possible d'identifier des thèmes majeurs de coopération susceptibles de générer des économies substantielles sur ces deux programmes.
Concernant les missiles balistiques, le missile balistique M 51.1, aujourd'hui équipé de têtes nucléaires 75 (TN75) puis bientôt de têtes nucléaires océaniques (TNO), devra être rénové à mi-vie (RMV) au début des années 2020. Cette rénovation portera sur le troisième étage de façon à lui permettre d'emporter plus de masse et lui donner plus de souplesse d'emploi. Ces travaux sont indispensables pour ne pas risquer d'hypothéquer à terme les capacités de la France face à l'évolution des défenses adverses et des menaces. Dans ce domaine, l'enjeu du maintien des compétences des sociétés ASTRIUM et SAFRAN (propulsion et centrales inertielles) est majeur.
Pour ce qui est des têtes nucléaires je rappelle que la garantie de la définition de la TNA a été apportée en 2001 et la garantie de son fonctionnement en 2005. Pour ce qui est de la TNO, la garantie de sa définition a été apportée en 2005 et celle de son fonctionnement en 2010. Les enjeux de la stratégie technique pour demain sont donc l'exploitation de la première phase d'Epure et la construction de la deuxième phase à l'horizon 2022 ; l'exploitation du Laser Mégajoule, dont les premières expériences auront lieu en 2014 et la capacité d'assurer des expériences en « fusion stabilisée » après 2017. Enfin, il sera nécessaire d'élaborer un nouveau standard d'ordinateurs et de logiciels de simulation à l'horizon 2020.
Pour la composante aéroportée, il y a essentiellement la question de l'ASMP/A et du missile aéroporté futur. Mis en service en 2010 pour une durée de vingt-cinq ans, l'ASMP/A devra faire l'objet d'une rénovation à mi-vie (RMV) au début des années 2020. Par ailleurs, les études nécessaires à cette rénovation de missiles à statoréacteurs sont actuellement conduites par l'ONERA. Les premières réflexions pour le remplacement de l'L'ASMP/A sont d'ores et déjà lancées. Les premiers résultats sont attendus vers 2015 et permettront de sélectionner le concept qui devra être développé pour entrer en service vers 2035.
Pour ce qui est des porteurs, l'ASMP/A est aujourd'hui porté par les Mirage 2000 N et les Rafale F3. Pour la génération suivante, des premières réflexions sont en cours pour étudier les avantages/inconvénients des couples concept missile/avion porteur (avion d'armes/ravitailleurs). En effet, le type de missile (dimensions, poids) peut avoir une influence majeure sur le choix du porteur.
Enfin, concernant les transmissions nucléaires, le système de transmission de derniers recours SYDEREC devra être remplacé dans les années 2020. Les premières études de concept d'un système de remplacement de SYDEREC ont été lancées.
Les études amont du domaine nucléaire concernent les thèmes suivants :
- l'amélioration des performances opérationnelles face à l'évolution de la menace, en matière notamment de capacité de pénétration, de propulsion, de précision, de navigation, d'identification et de transmissions ;
- la réduction du coût global de possession des systèmes d'armes participant à la dissuasion, par l'amélioration de leur souplesse et de leur évolutivité, ainsi que par des actions sur les architectures des propulseurs, leur durée de vie, leur recyclage et la recherche de matériaux plus adaptés ,
- la sûreté nucléaire, avec notamment la connaissance des réponses des propulseurs à poudre aux diverses agressions et l'amélioration des méthodologies d'acquisition de la sûreté.
Hormis pour le lanceur balistique, pour lequel il existe une synergie avec les applications civiles (CNES), toutes les autres études sont spécifiques au domaine de la dissuasion. La crédibilité de l'outil de dissuasion nécessite d'entretenir en France une compétence technique élevée. Il s'agit d'être en mesure de pallier toute difficulté technique que rencontreraient les systèmes en service, de les améliorer.
S'agissant du coût des décisions, l'entrée en service récente de nouveaux équipements (SNLE de deuxième génération, Rafale, M 51, ASMP/A) pérennise pour au moins une voire deux décennies les moyens de la dissuasion. Mais les armes nucléaires, qu'elles soient aéroportées ou océaniques ont une durée de vie limitée du fait de la péremption de certains matériaux et composants. On estime cette longévité de l'ordre d'une vingtaine d'années.
Plus de trois milliards sont aujourd'hui consacrés annuellement à la dissuasion française dans son ensemble. Les besoins seront croissants dans les années à venir pour le développement de la troisième génération de SNLE et de ses missiles.
Dans le cadre de l'application du concept de stricte suffisance, les études de R&T « dissuasion » ont pour objectif d'analyser l'évolution de la menace, d'identifier les technologies émergentes et les architectures associées qui permettront de disposer d'une dissuasion au meilleur niveau.
Les études amont « dissuasion » représentent environ cent trente millions d'euros en 2012 et les besoins vont en augmentant. Les études prospectives et stratégiques pour la connaissance de la menace sont de l'ordre de trois millions d'euros par an. Les armes de la dissuasion reposent sur des compétences industrielles et étatiques spécifiques. L'enjeu de la décennie en cours est de les préserver pour être en mesure de réaliser les rénovations du début des années 2020 (L'ASMP/A et M51) et les renouvellements à l'horizon 2030.
Les études prospectives et stratégiques et les programmes de R&T sont engagés et vont monter en puissance jusqu'à 2020. Les budgets de R&T affectés à l'agrégat dissuasion sont prévus de doubler d'ici 2016 et décroître ensuite alors que les budgets de développement vont augmenter.
En synthèse, les échéances des grandes décisions sont :
- vers 2014-2015 pour le programme de SNLE de troisième génération et les missiles balistiques associés (architecture) ;
- en 2016 pour l'architecture du successeur de l'ASMP/A et les transmissions nucléaires.
V.- Voilà donc le chemin de décisions qui nous attend. Que devons nous faire ? Devons nous abandonner totalement les forces nucléaires ?
De toutes les critiques, la plus importante est sans aucun doute celle de l'utilité militaire. Nous savons que l'arme nucléaire dissuade efficacement les menaces directes d'autres États mais qu'elle ne dissuade pas les autres types de menaces, en particulier les menaces émanant de groupes non étatiques. La question est donc simple : quelle est la probabilité d'une menace émanant d'un État ?
L'honnêteté intellectuelle commande de reconnaître, qu'aujourd'hui, la probabilité d'une attaque directe d'un État par voie militaire conventionnelle contre la France est très faible. Est-ce à dire que l'arme nucléaire ne sert plus à rien ?
Bien que faible, la probabilité de ce type de menace n'est pas nulle. Trois cas de figures peuvent être considérés, dans lesquels la possession de forces nucléaires pourrait devenir critique. Comme nos amis britanniques il nous faut considérer :
- la réémergence d'une menace émanant d'un Etat doté ;
- une menace d'un Etat nucléaire émergent ;
- une menace de groupes terroristes soutenus par un Etat doté.
Pour l'instant, la France n'a pas d'ennemis potentiels ayant, à la fois, la capacité et l'intention de la frapper au moyen d'armes nucléaires ou de s'en prendre à ses intérêts vitaux, par quel que moyen que ce soit. Néanmoins, les arsenaux nucléaires restent à des niveaux très élevés. La prolifération d'armes nucléaires ne peut être écartée, de même que l'hypothèse de menaces émanant de groupes non-étatiques.
S'il nous fallait dessiner aujourd'hui un format d'armées en partant de zéro, il est probable, que la nécessité d'acquérir une force de frappe nucléaire, avec de surcroît deux composantes, ne ferait pas partie de nos ambitions de défense. Nous concentrerions vraisemblablement nos efforts pour contrer des cyber-attaques, la grande criminalité ou les groupes terroristes agissant sur notre territoire. Au demeurant, ce qui vaut pour la dissuasion vaut aussi pour les autres composantes de nos forces armées et l'on peut se poser la question de l'adéquation des chars Leclerc, du porte-avions nucléaire et des avions de combat aux menaces contemporaines les plus probables.
Mais le fait est que nous ne partons pas de zéro. L'outil de la dissuasion existe. Il a fallu à notre pays une volonté sans faille et une détermination extraordinaire pour le construire et le rendre parfaitement efficace. Est-ce une raison suffisante pour continuer à poursuivre les efforts ? Peut-être pas. Mais c'est une raison suffisante pour ne pas abandonner la dissuasion à la légère.
D'autant que, compte tenu du très haut niveau d'efforts scientifiques et technologiques nécessaires au déploiement de forces nucléaires, tout abandon, tout relâchement, même provisoire de cet effort, rendrait un retour extrêmement difficile par la suite. C'est ce que montre l'exemple russe.
La force de dissuasion structure la quasi-totalité de l'outil de défense français. Aujourd'hui, sans les forces stratégiques, nos armées seraient incapables de repousser ou de dissuader une agression majeure d'origine étatique.
Il est nécessaire de mesurer le rapport coût/avantage des forces de dissuasion. Le coût, on l'a vu, est de l'ordre de trois milliards et demi d'euros par an. Ce coût représente exactement 11 % du budget de défense annuel et 1,2 % du total des dépenses du budget de l'État pour 2012. L'avantage principal des forces de dissuasion, mais pas le seul, est de nous garantir depuis soixante contre toute attaque d'un autre État. Est-ce que cet avantage vaut-il bien un effort budgétaire de 1 % ?
La conviction des membres de votre groupe de travail, est que compte tenu de ces éléments, il ne serait pas raisonnable de renoncer aux forces nucléaires.
Un abandon partiel des forces nucléaires ?
Là encore, le réexamen des composantes doit être fait en fonction d'un bilan coût-avantage. S'agissant des coûts tout d'abord, d'après les estimations rassemblées par vos rapporteurs, le coût de la modernisation des FOST sur les dix prochaines années serait de l'ordre de 29 milliards d'euros, tandis que celui des FAS serait de l'ordre de 2,6 milliards.
Concernant l'utilité des composantes, la permanence à la mer offerte par les FOST présente l'énorme avantage de dispenser les autorités politiques de prendre une décision en cas de crise, comme celle d'envoyer un bateau à la mer, décision forcément visible, et donc, le cas échéant, d'alimenter la tension.
Mais le principal avantage des FOST est d'assurer au pouvoir politique la certitude absolue d'une possibilité de frappe en second.
L'existence de la composante aérienne permet au contraire de un signe visible de notre détermination politique, si nécessaire en organisant des manoeuvres démonstratives, en appui de la manoeuvre diplomatique lors d'une crise. La composante aérienne dispose de moyens polyvalents et complémentaires de la première composante.
Cette composante autorise également des frappes de précision sur des objectifs qui pourraient être militaires, et donner ainsi un « ultime avertissement ». L'utilisation de cette composante peut servir utilement à dissuader des États belliqueux, non dotés d'armes nucléaires.
Réversible, flexible, très peu coûteuse, la composante aérienne présente également un atout majeur qu'il ne convient de prendre en compte : elle met en oeuvre un missile de croisière super véloce, qui restera totalement invulnérable à la défense anti-missile balistique, qui comme son nom l'indique n'intercepte que des missiles « balistiques ».
Peut-on envisager des réductions supplémentaires ?
S'agissant de la FOST, compte tenu de la fréquence et de la durée des cycles de maintenance, ainsi que de la nécessité de permettre la transition de mise à la mer et de prendre en compte de possibles fortunes de mer, le chiffre de quatre SNLE semble un minimum pour être certain d'avoir en permanence au moins un navire à la mer.
Passer de quatre à trois SNLE supposerait donc de renoncer à une permanence à la mer et de faire reposer toute la dissuasion océanique sur un seul sous-marin. Cela ne serait pas raisonnable.
On pourrait peut-être envisager d'utiliser les SNLE de façon duale, à l'instar des escadrons des FAS, avec des lots mixtes de missiles balistiques et de missiles de croisière navals. Mais cette piste n'a pas été explorée plus avant par vos rapporteurs tant elle semble difficile à mettre en oeuvre compte tenu de la spécificité de la mission nucléaire. Il est vrai que les forces américaines navales ont bien reconverti certains de leurs anciens SNLE en plateformes pour missiles de croisière navals, mais ils distinguent précisément les missions et spécialisent leurs propres sous-marins.
S'agissant des deux escadrons de la composante aérienne pourraient être dédiés exclusivement à des missions conventionnelles, est-il envisageable d'en réduire le nombre à un seul ?
Cette hypothèse doit être envisagée à l'aune des besoins opérationnels et du bilan coût/avantage. S'agissant des besoins opérationnels, la dissuasion repose sur un principe de stricte suffisance défini sur des critères politiques et opérationnels. La réduction du format de la composante aérienne ne permettrait plus de couvrir les besoins opérationnels, et donc de répondre aux exigences politiques. S'agissant du bilan financier, diminuer le format de la composante aérienne reviendrait à diminuer le flux de crédits nécessaires au maintien en condition opérationnelle des avions et des armes, représentant un gain de quelques dizaines de millions d'euros par an pour un escadron, d'une centaine de millions si on supprimait la totalité de la composante aérienne. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
En outre, les moyens utilisés sont polyvalents et participent à des missions conventionnelles telles que la protection de l'espace aérien ou l'intervention sur des théâtres extérieurs. A cet égard, l'entraînement extrêmement exigeant des pilotes français pour être capable de mener des raids nucléaires a montré son utilité lors de l'opération Harmattan en permettant à nos forces aériennes de rentrer en premier sans difficulté et de mener des missions de frappes de précision dans la profondeur d'un territoire hostile.
En conclusion, vos rapporteurs considèrent que la réduction supplémentaire du format des forces nucléaires n'est pas souhaitable. Les deux composantes, reposant sur des techniques très différentes, se complètent dans leurs effets et rendent impossible toute surprise stratégique en cas de rupture technologique.
J'en viens maintenant à la question de l'utilité politique.
Les hommes politiques de gauche comme de droite semblent presque unanimes sur ce point. Le 28 juin 2012 Jean-Yves Le Drian - ministre de la défense déclarait : « la dissuasion nucléaire donne aussi à la France, le poids politique nécessaire pour parler comme la France doit parler. » Quant à Christian Jacob - président du groupe parlementaire de l'UMP à l'Assemblée nationale il affirmait le même jour : « ce qui fait que la France pèse sur la scène internationale, c'est qu'elle a la force de dissuasion. »
L'utilité politique de la dissuasion nucléaire tient à la place qu'elle confère - ou conférerait - à notre pays sur la scène internationale.
La France fait en effet partie du club - le « P5 » des cinq puissances nucléaires reconnues par le traité de non prolifération : les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Royaume-Uni. Aucun de ces pays n'a annoncé renoncer à son arsenal nucléaire.
Est-ce que la France serait encore légitime à faire partie du Conseil de sécurité des Nations unies si elle renonçait à sa force de dissuasion ? La réponse est difficile à donner. Mais une chose est sûre, la répartition des sièges au conseil de sécurité de l'ONU ne repose plus aujourd'hui, soixante dix après la déclaration des Nations unies, que sur ce seul argument. S'il fallait considérer d'autres critères, tels que la puissance économique, le poids démographique, la répartition du nombre de sièges par continent, alors la place permanente de notre pays à ce conseil serait assurément questionnée.
Si renoncer à la force de frappe, c'est prendre le risque d'un déclassement à terme de notre pays dans le concert des nations, dont beaucoup pratiquent une puissance et de rapports de force, quelle serait donc la faisabilité politique d'une telle proposition, sans aucune contrepartie pour notre pays ?
Enfin, je ne vais pas détailler l'importance industrielle et technologique car nous y consacrons de longs développements écrits dans notre rapport. Très simplement je voudrais vous dire ceci pour vous aider à prendre conscience des enjeux ; c'est très simple : il n'y aurait pas eu d'Airbus sans les Mirage IV de la force de dissuasion et il n'y aurait pas eu d'Ariane sans les missiles balistiques du plateau d'Albion et peut être même qu'ITER - le démonstrateur technologique qui nous ouvrira demain la porte de l'énergie des étoiles, la fusion thermonucléaire - n'aurait pas été installé à Cadarache si la France n'avait pas été une puissance nucléaire. On peut toujours parler du futur des supercalculateurs, des missiles hyper véloces, et de toutes les autres technologies, mais le fait est que la dissuasion nucléaire commande des connaissances scientifiques de rupture et que notre pays en a déjà abondamment tiré parti.
En cinquante ans, et ce sera ma conclusion, la France a acquis en matière de dissuasion nucléaire une compétence qui n'est devancée que par celle des Américains et encore que dans quelques domaines et qui en termes de « qualité-prix » ou « best value for money » est sans doute la première au monde. C'est un domaine d'excellence de l'ingénierie française.
Aujourd'hui, le mur de Berlin est tombé et il nous faire des choix, nous livrer à des bilans cout-avantage. Nous sommes un peu dans la situation de responsables d'un village surendetté qui se demandent s'il ne faudrait pas supprimer la brigade de sapeurs pompiers parce qu'il n'y a plus d'incendies.
La probabilité d'une attaque conventionnelle ou nucléaire émanant d'un État, ou soutenu par un État, contre notre pays est faible, mais non nulle. Ses conséquences seraient dévastatrices. Devrait-on cesser de s'en prémunir alors que le coût annuel de cette garantie est encore supportable ?
L'analyse stratégique, doit être menée avec lucidité et sans passion. Elle doit dresser l'atlas des menaces et le confronter sans fard à nos ambitions de défense, à nos moyens, à l'outil de défense dont nous disposons et à celui que nous souhaiterions avoir.
La force de dissuasion existe. La supprimer ne rapporterait pas grand-chose. La reconstruire serait très difficile, très long et très coûteux. La moderniser permet de maintenir sa crédibilité opérationnelle et nos scientifiques au meilleur niveau. Cette force nucléaire est étroitement imbriquée au reste de nos forces conventionnelles et forme un tout avec elles. Le fait de disposer de deux composantes donne à nos décideurs une large palette d'options militaires et met nos armées à l'abri des surprises stratégiques.
D'autant que la France dispose, à travers l'arme nucléaire, de bien plus qu'une arme. Elle dispose d'une stratégie de dissuasion, c'est-à-dire d'un outil politique d'une grande valeur opérationnelle adossé à une doctrine d'emploi claire et toute entière centrée autour de la défense de ses intérêts vitaux.
Au demeurant, les armes nucléaires britanniques et françaises assurent qu'on le veuille ou non, de facto, la protection de l'ensemble des Européens alors même que nous en payons seuls le prix. Elles permettent aux Européens d'être considérés collectivement, quelle que soit la disparité et la faiblesse de leurs forces conventionnelles, comme un allié qui compte au sein de l'Alliance atlantique.
Les forces de dissuasion fondent à l'échelle mondiale un équilibre des pouvoirs entre grandes puissances. Or, malgré tous les discours, on ne voit pas ni les Russes, ni les Américains, ni les Chinois abandonner demain les armes nucléaires pour en laisser le monopole à l'Inde, au Pakistan, à Israël et peut être à l'Iran. Dans ces conditions, pourquoi les Européens, pourquoi le Royaume-Uni et la France devraient-ils renoncer unilatéralement ? Ce serait installer un déséquilibre des puissances et ouvrir la boîte de Pandore.
Pour toutes ces raisons les membres de votre groupe de travail dressent, ici et maintenant, un bilan coût-avantage des forces nucléaires positif et recommandent non seulement de conserver l'intégralité des forces de dissuasion mais aussi de consentir les investissements nécessaires dans la durée pour les maintenir au meilleur niveau.
M. Robert del Picchia - Je partage totalement la conclusion du rapport. Je voudrais toutefois poser une question : s'agissant de la TNA, quelle garantie avons-nous que l'arme est capable de délivrer la puissance que l'on pense qu'elle a, au seul vu de la simulation, puisque nous ne faisons plus d'essais ?
M. Alain Gournac - Je soutiens complètement ce rapport et notamment les considérations sur la composante aéroportée qui est d'une grande flexibilité. Si la France aujourd'hui est encore une grande puissance c'est aussi parce que nous avons l'arme nucléaire. Ne reculons pas.
M. Jacques Gautier - Je voudrais saluer l'initiative du Président de la commission qui en créant ces groupes de travail nous a permis de prendre un temps d'avance dans la préparation des travaux de la commission du Livre blanc et de progresser collectivement dans la connaissance que nous pouvons avoir de la matière. Sur la composante aérienne, je suis entièrement d'accord avec les conclusions du rapport. C'est celle qui pouvait être sacrifiée sur l'autel des restrictions budgétaires, or les pilotes de chasse des deux escadrons font les mêmes missions que les autres et cela a été extrêmement précieux lors de l'opération Harmattan. Pour ce qui est des ravitailleurs MRTT, nous en avons besoin pour le raid nucléaire, c'est vrai, mais je dirais que nous en avons besoin tout court.
M. Xavier Pintat - En réponse à Robert del Picchia je voudrais dire qu'en cette matière où nous sommes face à des projets de très long terme, il faut être capable de suivre en permanence les évolutions. On ne peut pas dire « j'arrête de fabriquer la TNA » et puis si besoin, dans quatre ans on rouvre les plans et on se met en fabriquer. Cela ne marche pas comme ça. Sur la garantie de la fiabilité et de la sûreté de l'arme, c'est-à-dire donner la garantie au Chef des armées que l'arme fonctionnera si on a besoin qu'elle fonctionne et qu'elle ne fonctionnera pas si on ne veut pas qu'elle fonctionne, cela repose sur la simulation, mais la simulation repose elle-même sur toute une batterie de tests qui ont spécialement conçus dans cette perspective. C'est un trésor. Les Américains n'ont pas l'équivalent, même s'ils ont procédé par le passé à un nombre colossal d'essais nucléaires. Et c'est pour cette raison qu'ils ne veulent pas signer le TICE.
M. Jean-Pierre Chevènement - Les armes nucléaires resteront présentes à l'horizon de l'histoire pendant encore une longue période. On prend pour argent comptant le discours d'Obama à Prague, mais après ce discours il y a eu la Nuclear Posture Review qui prévoit la modernisation des armes nucléaires américaines. Les Chinois s'arment. Les Indiens aussi. Les Russes se réarment et les arsenaux nucléaires ne diminuent pas. Enfin, j'ajouterai que nous ne sommes pas à l'abri de surprises stratégiques. Que sortira-t-il des printemps arabes ? Que se passera-t-il au Moyen-Orient ? Par ailleurs, je trouve que dans la formulation du plan, le rapport fait la part trop belle aux contestataires. J'ajouterais que s'agissant du MRTT il y a urgence.
M. Daniel Reiner - Le groupe socialiste soutient les termes de ce rapport et ses conclusions. La crédibilité de la stratégie de dissuasion repose sur l'arme nucléaire. Si on ne la modernise pas, si on ne la maintient pas, on ne pourra pas donner la garantie nécessaire de fiabilité et de sécurité dans le long terme. Il faut donc évidemment engager les études et prendre les décisions utiles que vous avez indiquées.
M. Gérard Larcher - Je trouve personnellement que c'est bien de prendre l'avis des contestataires, tel que le Général Norlain. S'agissant de la permanence à la mer, elle est d'autant plus nécessaire qu'on ne sait pas encore ce que feront les Britanniques en 2016. Ne sacrifions donc pas une arme qui est employée tous les jours. Enfin, je voudrais dire que le rapport est limpide.
M. Michel Billout - Vous imaginez bien que je ne partage pas tout à fait les conclusions du rapport. Néanmoins j'aurais trois questions : je voudrais savoir quelle est la position des rapporteurs par rapport au désarmement ; quelles ont été les mesures prises pour la sécurité des têtes nucléaires après l'accident de Fukushima ; enfin, puisque vous ne voulez pas que les crédits de la dissuasion diminuent, mais que les crédits de la défense diminuent, comment vous allez résoudre l'équation budgétaire ? Dans quelles dépenses de défense, autres que la dissuasion allez-vous tailler ? Dans les forces conventionnelles ?
M. Didier Boulaud - Pour ce qui est de la sécurité des têtes, c'est assez simple, d'après les informations dont nous disposons, cela a coûté ou coûtera 130 millions d'euros pour porter les installations du CEA aux standards post-Fukushima. Pour ce qui est du désarmement notre position est claire : nous sommes pour. Mais que les autres commencent à désarmer. La France n'a que trois cent têtes, sur plus de vingt mille dans le monde, dont l'essentiel réparti entre les Russes et les Américains. Par ailleurs, si la France n'a plus rien à désarmer, comment peut-elle peser dans le débat sur le désarmement ?
M. Xavier Pintat - La gouvernance de la dissuasion nucléaire française garantit la sécurité et la sureté des armes, c'est-à-dire, le stockage, l'emploi et le démontage. Nous sommes exemplaires de ce point de vue.
M. Jean-Pierre Chevènement - La commission Evans-Kawagushi avait proposé qu'à l'horizon 2025, il n'y ait plus que mille têtes nucléaires réparties à égalité entre les Russes et les Américains et mille têtes réparties entre les autres Etats dotés. On ne peut que souscrire à cela. S'agissant du plan du rapport, je suggère qu'on intitule cette partie du rapport : « les arguments avancés par les contestataires de la dissuasion ».
M. Joël Guerriau - Ce rapport dans le bon sens et je l'approuve également. L'une des questions préoccupantes pour l'avenir sera de savoir de quels moyens nous disposons pour éviter la fabrication d'armes nucléaires bas de gamme dans le monde.
M. Jeanny Lorgeoux - Je soutiens les conclusions de ce rapport qui est favorable à la dissuasion nucléaire, socle de notre souveraineté et donc de notre liberté.
M. Jean-Louis Carrère, président - Si vous me permettez je vais répondre moi-même à la question de notre collègue Michel Billout, sur l'équation budgétaire : la réponse est simple : nous ne souhaitons pas réduire les dépenses de défense du tout ; nous souhaitons que le périmètre soit intouché, parce que la défense a déjà beaucoup donné. Ou alors nous renonçons à notre capacité de défense.
Le rapport est ensuite mis aux voix : il est adopté à l'unanimité moins une voix, M. Michel Billout s'abstenant, et autorisation est donnée de le publier.
Audition de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères
M. Jean-Louis Carrère, président - Permettez-moi tout d'abord, Monsieur le Ministre, de vous souhaiter une très chaleureuse bienvenue pour cette première audition devant notre commission.
Les sujets que nous avons à aborder avec vous sont nombreux mais nous souhaitons au préalable que vous puissiez nos indiquer les lignes directrices de la politique étrangère que le gouvernement va mettre en oeuvre sous votre autorité.
Au-delà de ces lignes forces de notre diplomatie, nous pourrons aborder le traitement des crises internationales qui jalonnent malheureusement l'actualité.
La première de celles-ci est la suite des « printemps » ou des révolutions arabes. La situation au Sahel, et singulièrement au Mali, est particulièrement inquiétante. Nous regardons se constituer un nouveau sanctuaire terroriste aux portes de l'Europe. La solution de cette crise passe certes par les organisations régionales. De ce point de vue la résolution 2056 adoptée il y a quelques jours par le Conseil de sécurité des Nations unies, ouvre la voie à une intervention sous l'égide de la CEDEAO et de l'Union africaine. Notre appréciation du degré de préparation des forces africaines en attente nous fait nous interroger sur la crédibilité opérationnelle d'une telle intervention. Les forces du Nigéria dans les opérations de maintien de la paix n'ont pas été toujours probantes. La prudence de la rédaction du Conseil de sécurité semble aller dans le même sens que mon analyse. Or il y a urgence et nous assistons chaque jour à la consolidation de la rébellion et à la déliquescence du pouvoir au Mali. Je suis sûr que notre collègue M. Didier Boulaud, qui attire notre attention depuis de nombreuses années sur la question touareg, ne manquera pas de vous interroger.
Plus globalement, au-delà du cas Malien, vous pourrez nous indiquer comment vous voyez l'évolution des nouveaux régimes dans les pays du Maghreb - avec notamment le bras de fer en cours en Egypte, et les résultats électoraux en Libye - et au Proche et Moyen Orient.
La Syrie en second lieu. Le fait de recevoir des délégations de la rébellion syrienne à Moscou peut il être interprété comme le signe d'une évolution de la diplomatie russe sur ce dossier. Nous souhaitons tous un changement de régime mais les perspectives de transition sont extrêmement floues en l'absence d'une opposition structurée. Une conférence importante, réunissant près de cent pays, vient de se tenir à Paris. Comment voyez-vous l'évolution de la situation dans ce pays ? Au-delà du drame humanitaire et du scandale insupportable de cette répression comment reconstruire un pays dont notre compatriote, responsable des opérations de maintien de la paix de l'ONU, disait qu'il était en guerre civile ? Comment éviter la déstabilisation du Liban où nos forces sont présentes au sein de la FINUL ? Comment éviter une déstabilisation complète de la région ? De ce point de vue quelle action entendez-vous mener pour contribuer à la résolution du conflit israélo-palestinien qui paraît plus que jamais dans l'impasse. Où en est la question de la reconnaissance d'un Etat palestinien à l'ONU ?
J'aurais sans doute encore beaucoup d'autres points à soulever, dont bien évidemment l'Afghanistan - vous revenez de la conférence de Tokyo - mais je vais m'arrêter là et laisser nos collègues vous interroger. Je souhaite néanmoins, au-delà du débat que nous allons avoir sur le traité franco-afghan, que nous puissions avoir un débat sur le bilan de notre engagement en Afghanistan, les conditions de notre retrait et les perspectives de notre action à venir dans ce pays.
Monsieur le ministre, je vous passe la parole
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères - Je suis naturellement très ouvert à l'idée de revenir devant le Sénat pour un débat sur l'Afghanistan avec le ministre de la défense. Avant d'évoquer les grands sujets d'actualité, je voudrais commencer cette première audition devant votre commission par quelques mots sur notre vision, celle du Président de la République et du gouvernement, de la politique étrangère de notre pays.
Une politique étrangère, c'est, certes, une action concrète face aux différentes crises, mais une action qui doit s'inscrire un dessein plus large.
Le Président de la République a donné comme cap à son action le redressement du économique et productif du pays. Cela passe par un plan d'ensemble, qui inclut évidemment une dimension internationale. La politique étrangère de ce gouvernement s'inscrira dans cet objectif. Pour notre diplomatie, cette exigence implique une stratégie globale.
En matière de politique étrangère, on oppose souvent la puissance, ou « hard power », et l'influence, ou « soft power ».
A mon sens, la France doit s'affirmer comme une « puissance d'influence ». J'ai proposé cette expression qui signifie une puissance fondée sur nos atouts. Elle prend en compte la dimension singulière mais aussi universelle de notre message. La France est une puissance utile qui contribue au règlement des crises internationales. Nous cultiverons ce rôle, comme nous le faisons en nous mobilisant pour le règlement des crises syrienne, sahélo-saharienne, iranienne...
La France est aussi un pays qui rayonne et attire par sa langue, sa culture, sa recherche, son système universitaire, son excellence dans de nombreux domaines - je pense à la santé, aux énergies, aux transports. J'ai donné à notre diplomatie la mission d'y contribuer encore plus fortement. Il existe, en effet, une forte attente de France hors de nos frontières.
Cette « puissance de l'influence » repose sur un ensemble de facteurs :
- notre siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies ;
- la possession de l'arme nucléaire ;
- notre puissance économique, même si celle-ci est confrontée à la crise économique et financière et à l'influence croissante des puissances émergentes, comme on a pu le constater lors des dernières réunions du G8 et du G20 ;
- notre puissance financière ;
- notre langue, parlée par plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde - Songez qu'il y aura 700 millions de francophones sur le continent africain vers 2050 ! ;
- notre attachement aux valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité, à la démocratie et aux principes de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
« La France n'est elle-même que dans la grandeur » disait le général de Gaulle et André Malraux parlait d'une « communauté de rêves ».
Pour accomplir cette mission, je me suis fixé un principe cardinal, la « cohérence ».
Cohérence à court et moyen terme. Mais aussi cohérence à long terme avec ce qui fait la force de la France. L'engagement de la France doit être constant et ne pas souffrir d'éclipses ou d'exceptions s'agissant de la promotion des droits de l'homme, de l'appui à la démocratie, de l'accompagnement des aspirations à la dignité (notamment sur le pourtour méditerranéen), du soutien au développement durable.
Une diplomatie doit aussi s'inscrire dans le long terme. Rien n'est pire en matière de politique étrangère que des changements de caps, des décisions improvisées.
Une politique étrangère doit reposer aussi sur des principes qui doivent guider l'action de la France. Quels sont-ils ?
Ce sont d'abord les principes de liberté, d'égalité et de fraternité, ainsi que l'égalité entre les hommes et les femmes, le respect des droits de l'homme et singulièrement des droits de la femme.
Ce sont aussi le respect de la légalité internationale et du rôle des Nations unies, la sauvegarde de la paix et de la sécurité internationale, ce qui ne signifie pas le pacifisme.
Parmi ces principes figurent aussi une attention particulière à certains pays ou continents, comme l'Afrique ou les pays en voie de développement, notre engagement en faveur des plus pauvres et une forme de singularité, par exemple dans le cadre de l'Alliance atlantique ou dans d'autres organisations internationales.
La cohérence exige de fixer des priorités et de s'y tenir. C'est d'autant plus important que le Ministère des Affaires étrangères prendra sa part aux efforts budgétaires nécessaires à l'assainissement de nos finances publiques. Il ne s'agit pas de réduire le périmètre de notre action mais de mieux la cibler pour gagner en impact et en efficacité, malgré des moyens en baisse.
Cela nécessite que des priorités géographiques, qui tiennent compte des nouvelles réalités mondiales, soient fixées. Le monde se caractérise par la montée en puissance de nouveaux émergents - Afrique du Sud, Mexique, Indonésie, Vietnam, Turquie, etc. - aux côtés de la première vague des pays déjà « émergés » comme la Chine, l'Inde ou le Brésil. Nous investirons particulièrement dans la relation avec ces pays. Nous devons également porter plus d'attention à des pays qui ont été quelque peu négligés. Je pense, par exemple, au Japon, qui est la troisième puissance économique, une démocratie et un acteur important sur la scène internationale, notamment en matière d'aide au développement, et auquel nous n'avons peut être pas accordé l'attention qu'il mérite. Naturellement, nous développerons nos relations avec la Chine, avec les Etats-Unis et avec la Russie. Concernant les Etats-Unis, notre position n'a pas varié : nous sommes de solides alliés sans pour autant être alignés sur les positions américaines. Nous serons également présents partout où se manifestent des aspirations démocratiques, notamment dans le monde arabe. Le lancement de l'Union pour la méditerranée a sans doute souffert d'imperfections, qui se sont révélées avec le « printemps arabe » en Tunisie et en Egypte, mais l'idée de construire une relation particulière entre l'Europe et la rive Sud de la Méditerranée, notamment à travers des projets concrets, est bonne. La vision de la France est celle d'un grand ensemble euro-méditerranéen, auquel nous souhaitons contribuer par le développement de coopérations concrètes.
L'Europe est le cadre général dans lequel nous souhaitons agir, en renforçant notamment, quand c'est possible et utile, la politique extérieure commune. L'élargissement, mais aussi les conséquences de la crise économique et financière, sont en train d'en changer la nature.
La première priorité concernera l'économie. Nous avons besoin d'une diplomatie économique forte, renouvelée, active et réactive, efficace, à l'écoute de tous les acteurs économiques de « l'équipe de France ». Nous avons des atouts pour cela - notre réseau consulaire, en particulier. Dès juin, j'ai demandé à nos principaux postes à l'étranger d'établir, des objectifs précis à court, moyen et long terme en matière économique. Après concertation et en plein accord avec le Premier ministre, le ministre de l'Economie et des Finances, le ministre du Redressement Productif et la ministre déléguée au Commerce extérieur, je présenterai notre stratégie d'ensemble ainsi qu'un plan d'action détaillé lors de la prochaine conférence des ambassadeurs, fin août, qui sera largement consacrée à la diplomatie économique. Les défis de la croissance et de l'emploi se jouent, pour une part importante, à l'international. En continuant de servir les intérêts de la France, le ministère des affaires étrangères doit devenir, aussi, le ministère des entreprises. Songez que notre déficit commercial avec la Chine a été de 27 milliards d'euros en 2011 ! L'Allemagne connaît un déficit bien moindre. Dans certains secteurs, comme l'agro alimentaire, qui est pourtant l'un de nos principaux postes d'exportation, nous n'exportons quasiment pas vers la Chine, en dehors du vin.
Cette stratégie économique s'appuiera, autre priorité, sur une politique renforcée au service du rayonnement de la France dans tous ses domaines. Nous souhaitons valoriser la coopération culturelle, audiovisuelle, universitaire, scientifique et de recherche pour rehausser l'image de notre pays et contribuer à son rayonnement. C'est un enjeu diplomatique - affirmer notre présence -, démocratique - contribuer à l'émancipation des sociétés par la culture -, mais aussi économique, car notre attractivité économique se nourrit du rayonnement culturel de notre pays.
Nous veillerons à conforter notre dispositif. Notre réseau diplomatique est l'un des plus importants au monde. Notre réseau culturel est exceptionnel - une centaine d'instituts français et près de 400 alliances françaises soutenues par le ministère des affaires étrangères. Il peut davantage renforcer son impact, notamment en faisant appel au cofinancement de partenaires extérieurs. Il me semble aussi qu'une réflexion sur le rôle des opérateurs, qui se sont multipliés ces dernières années, serait utile afin de trouver un équilibre entre la souplesse qu'offrent les opérateurs, et la nécessaire cohérence et coordination du ministère.
Notre réseau éducatif, universitaire et de recherche, avec 490 écoles et lycées français dans 130 pays, 175 espaces Campus France, 27 instituts de recherche, le million de professeurs de français, sont des atouts à maintenir. Et nous veillerons à donner à l'audiovisuel extérieur - la chaîne francophone TV5Monde, France 24 et RFI, qui diffusent leurs programmes à 220 millions de foyers - la sérénité et la solidité nécessaires pour qu'il puisse tenir son rôle essentiel pour notre présence, notamment dans le monde francophone.
Enfin, j'ai l'intention de m'appuyer sur nos diplomates et les personnels du ministère des affaires étrangères. Notre pays a la chance de disposer de diplomates de très grande qualité, qui ont parfois été injustement maltraités ces dernières années. Les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères sont des agents très compétents ayant choisi de travailler au sein de ce corps au service de notre pays. Ce serait une faute de ne pas s'appuyer sur eux.
Voilà pour les réorientations majeures que je souhaite impulser à notre diplomatie, sans oublier bien sur les questions essentielles du développement, la lutte contre le changement climatique, la promotion de notre langue, l'attention qui doit être portée à nos compatriotes établis hors de France...
Sur tous ces sujets, le maitre mot sera « cohérence », une cohérence qui permet de développer une vision de long terme au milieu des urgences sur lesquelles je souhaite revenir maintenant.
Cinq graves crises nous mobilisent actuellement.
La première est la crise syrienne, dossier sur lequel la France est très présente. Malgré la mission des Nations unies, les massacres de civils se poursuivent et on dénombre environ une centaine de morts chaque jour.
La deuxième crise, très préoccupante également, est la situation au Sahel, et singulièrement au Mali. Ce qui est en jeu n'est pas seulement l'intégrité territoriale du Mali mais aussi la lutte contre le terrorisme, puisque le principal ennemi d'AQMI est notre pays. Je rappelle que six de nos compatriotes sont retenus en otages dans cette région. Avec le Président de la République et le Premier ministre, nous suivons attentivement l'évolution de la situation de nos otages.
Troisième difficulté, l'Afghanistan, dossier sur lequel nous aurons l'occasion de revenir lors du débat en séance publique au Sénat.
Quatrième crise, l'Iran, la question nucléaire iranienne.
Enfin, dernière crise, celle de l'avenir de l'Europe et de la zone euro.
M. Christian Cambon - Avec le Président M. Jean-Louis Carrère, je voudrais, au nom de l'opposition, m'associer aux propos de nos collègues de la majorité et vous féliciter pour votre nomination et vous souhaiter beaucoup de réussite dans vos nouvelles fonctions.
En tant que co-rapporteur chargé de l'aide au développement, avec notre collègue M. Jean-Claude Peyronnet, nous avons rencontré votre ministre délégué chargé - non pas de la coopération - mais du développement, M. Pascal Canfin, un homme d'une très grande qualité, et nous avons bien remarqué que les relations politiques avec l'Afrique relèvent désormais du ministre des affaires étrangères.
Je souhaiterais vous interroger sur la situation au Sahel et en particulier au Mali, qui nous préoccupe beaucoup. Nous avions d'ailleurs effectué il y a un an et demi une mission dans ce pays, avec notre collègue M. Jean-Claude Peyronnet. Aujourd'hui, plus de la moitié du territoire du Mali échappe au contrôle du gouvernement et est aux mains de milices islamistes, d'AnsarDine ou d'AQMI. Celles-ci s'attaquent aux populations civiles, qui sont prises en otages, comme à Gao mais aussi aux tombeaux des saints, qui font partie du patrimoine mondial de l'humanité. De plus, ces milices auraient tissé des liens avec d'autres groupes au-delà des frontières, comme par exemple le Front Polisario. Comment passer de l'incantation à l'action, au risque, si rien n'est fait, de la dissémination ?
Face à cette situation préoccupante, quelle peut être l'action de la France ? Quelle pourrait être la traduction concrète de cette « puissance de l'influence » ? Plusieurs pays souhaiteraient en effet que notre pays s'implique plus activement dans la région et leur apporte un soutien. Certains sont partisans d'une solution militaire. D'autres privilégient la négociation. A cet égard, l'Algérie pourrait peut-être avoir un rôle clé à jouer.
M. Jean-Claude Peyronnet - Vous avez confié récemment à M. André Laignel une mission sur la coopération décentralisée. Pensez vous que la coopération décentralisée peut être l'un des éléments d'une diplomatie au service du redressement économique de notre pays ?
J'ai bien entendu vos propos concernant notre siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais ne pensez vous pas qu'une réforme du Conseil de sécurité est aujourd'hui souhaitable, notamment pour y faire entrer des pays émergents comme l'Inde ou le Brésil et que cela participe d'une meilleure légitimité internationale ?
Enfin, la Turquie est un grand pays, qui occupe une position stratégique notamment du point de vue des approvisionnements énergétiques de l'Europe. Il est donc indispensable de renforcer les relations avec ce pays. Ne pensez vous pas qu'il aurait été préférable de saisir l'opportunité de la décision du Conseil constitutionnel qui a déclaré contraire à la Constitution la loi réprimant la négation des génocides reconnus par la loi, dont le génocide arménien, pour laisser cette question aux historiens.
M. Didier Boulaud - Au nom du groupe socialiste, je m'associe également aux propos de bienvenue du président de la commission M. Jean-Louis Carrère, et à ceux de notre collègue M. Christian Cambon, au nom de l'opposition, et pour vous apporter le plein soutien de notre groupe dans votre action.
J'ai eu l'occasion de conduire récemment une délégation de notre commission en Australie et j'ai été frappé de constater que la France était très attendue dans ce pays, où aucun Président de la République français ne s'est rendu, et dans la région.
Concernant le Mali, j'avais attiré depuis déjà longtemps sur ces bancs l'attention de vos prédécesseurs sur la situation préoccupante de ce pays et sur la place des Touaregs. Notre pays a peut-être eu une attitude trop ambivalente à l'égard de l'ancien président du Mali, M. Amadou Toumani Touré, dit « ATT » et l'affaire libyenne a précipité les évènements. Il n'en demeure pas moins, que sur le terrain, les rebelles touaregs sont aujourd'hui dépassés par les milices islamistes d'AnsarDiner et d'AQMI, mieux équipées et mieux formées. Face au risque de voir une partie de la jeunesse touareg rejoindre ces milices, comment « séparer le bon grain de l'ivraie » ?
M. Robert del Picchia - J'ai été très intéressé par vos propos sur la « puissance de l'influence » et concernant le rôle de notre diplomatie. Je partage également votre sentiment concernant nos diplomates et les personnels de nos représentations diplomatiques à l'étranger. Je voudrais toutefois attirer votre attention sur les Français de l'étranger, qui apportent également une contribution importante au rayonnement et à l'influence de notre pays dans le monde.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères - La situation qui prévaut actuellement au Nord-Mali est d'une particulière gravité : c'est la première fois qu'un mouvement terroriste prend le contrôle d'une population et met en place des responsables locaux. L'intégrité territoriale du pays est en jeu. Nombre de ces terroristes viennent de Libye, sont lourdement armés, et disposent d'importants moyens financiers.
AQMI constitue un danger spécifique pour la France, puisqu'il vise en priorité notre pays, ses ressortissants et ses intérêts.
Au Sud-Mali, la junte militaire n'est qu'en partie écartée, le Président de la République est toujours à Paris à la suite de la violente agression dont il a été victime à Bamako, et le Premier ministre qui entretient des rapports contrastés tant avec le Président qu'avec la CEDEAO - dont le Président en exercice est le Chef d'Etat du Burkina Faso - et l'Union africaine que préside le chef de l'Etat béninois. Ces deux organisations ont, sur la situation malienne, des approches parfois divergentes. Face à cette situation, quelle peut être l'action de notre pays ? C'est d'être un facilitateur. Nous pouvons aider à l'émergence d'une solution politique, d'abord en confortant le pouvoir en place à Bamako et en contribuant à obtenir la légalité institutionnelle nécessaire pour une saisine de l'ONU. C'est dans cette perspective que j'ai désigné un envoyé personnel dans la région, l'ambassadeur Jean Félix-Paganon. Nous pouvons ensuite mobiliser les responsables des pays africains de la région, ainsi que la communauté internationale. Ces responsables se sont récemment réunis au Burkina Faso mais, en l'absence du Premier ministre et du Président maliens, elle n'a pu parvenir à aucune conclusion opérationnelle. Les présidents de certains de ces pays sont favorables à une option militaire, d'autres pas. Au plan international, je rappelle que le Conseil de sécurité a voté à l'unanimité la résolution 2056, sous chapitre VII, laquelle demande aux pays africains d'établir un plan d'action militaire. Les troupes qui composeraient la force d'intervention devraient, bien entendu, être à dominante africaine, mais il est difficile de déterminer les pays qui pourront ou voudront fournir des troupes.
En toute hypothèse, cette force ne pourrait être utilisée que lorsque la légalité sera rétablie au Sud-Mali. Il faut être conscient que les combattants d'AQMI sont bien armés, prêts à mourir, qu'ils sont difficiles à localiser et qu'ils peuvent trouver refuge dans certains pays voisins du Mali, ce qui rendra extrêmement délicate toute intervention militaire.
L'Union européenne peut apporter son concours financier à la région, dont le développement est entravé par la situation sécuritaire, et dont les populations sont menacées de famine. Je rappelle enfin que la France a six des ses ressortissants otages au Mali. Mon prochain voyage en Algérie me fournira l'occasion d'évoquer ces questions ainsi que les sujets bilatéraux.
Monsieur Peyronnet m'a interrogé sur le contenu de la mission confiée à Monsieur André Laignel, Secrétaire général de l'association des maires de France. Il s'agit d'améliorer les rapports entre mon ministère et les collectivités territoriales qui mettent en oeuvre des coopérations décentralisées. Le ministère des affaires étrangères devrait mieux diffuser et clarifier les demandes dont il est saisi par les pays partenaires. De leur côté, les collectivités territoriales devraient introduire plus de cohérence dans les moyens qu'elles consacrent à cette coopération. L'idée est de constituer un centre de ressources qui mette l'offre et la demande en présence et contribue à la cohérence de l'action de l'Etat et des collectivités territoriales. Monsieur Laignel aura donc pour tâche de remédier au manque de transparence et à la dispersion des moyens qui caractérisent la situation actuelle. Pour citer un exemple concret de ce que je souhaite promouvoir, j'ai constaté, lors de mon récent voyage en Chine, que certaines régions françaises ont mis des volontaires en relation avec UbiFrance, ce qui est un bon exemple de mutualisation des moyens.
Le siège français de membre permanent du Conseil de Sécurité n'est pas menacé, ni susceptible de l'être. Mais une réforme de cette instance est souhaitable et nécessaire. Elle se heurte à une difficulté ponctuelle : la sélection par les pays africains de celui ou ceux d'entre eux qui les y représenteront. Elle se heurte surtout à la difficulté inhérente à toute réforme institutionnelle d'ampleur.
La Turquie est un grand pays qui joue un rôle majeur et utile au Moyen-Orient. Les rencontres qu'a eues le président Hollande avec M. Gül ainsi qu'avec le Premier ministre Erdogan au Mexique lors du G20 ont abouti à la levée des sanctions prises par la Turquie contre les entreprises françaises. La décision d'intégrer ce pays au sein de l'Union européenne ne saurait être prise sans une consultation préalable du peuple français. Ce sont les termes de notre Constitution qui le dictent. S'agissant de la pénalisation de la négation du génocide arménien, vous savez que la loi votée en ce sens au début de l'année 2012 a été invalidée par le Conseil Constitutionnel. Le Président Hollande a pris, dans ce domaine, un engagement dont les modalités juridiques de réalisation restent à déterminer. Je relève que les dirigeants turcs sont ouverts à une concertation entre historiens turcs et arméniens, et à une réconciliation avec l'Arménie.
L'Australie, évoquée par Monsieur Boulaud, offre des perspectives de coopération importantes dans les domaines économique, mais également stratégique.
S'agissant des Touaregs, il est regrettable qu'ils doivent subir la force pratiquée par les terroristes au Nord-Mali. Il est très difficile de s'y retrouver entre les différentes factions.
Comme l'a suggéré Monsieur del Picchia, notre diplomatie doit s'appuyer sur les deux millions de Français résidant à l'étranger qui constituent autant de relais. S'agissant de l'action des entreprises françaises à l'étranger, il faut se poser la question des activités de certaines filiales à l'étranger. Ainsi, l'installation d'une filiale d'Airbus en Chine a conduit certains responsables chinois à évoquer, en ma présence, la perspective d'exporter des avions qui y sont fabriqués vers des pays tiers, entrant ainsi directement en concurrence avec nos propres exportations. Je rappelle que les filiales d'entreprises japonaises situées en France y ont créé près de 60 000 emplois, alors que leurs homologues chinoises n'en ont créé que quelques milliers.
Je précise que la diplomatie économique que j'évoquais au début de mon propos devra nous conduire à une politique plus différenciée en matière de délivrance de visas.
M. Jean-Pierre Raffarin - Je suis intéressé par le concept de stratégie d'influence que vous avez développé. J'en viens aux résultats décevants du récent sommet sur l'environnement tenu à Rio : ne pensez-vous pas que les pays émergents ont contribué à ce demi-échec ? Par ailleurs, il me semble nécessaire que le prochain sommet de la Francophonie se tienne comme prévu à Kinshasa, car les trois précédents sommets ont eu lieu dans les pays du Nord, mais le Congo-Kinshasa rencontre manifestement des difficultés pour l'organiser.
M. Jean-Pierre Chevènement - Une intervention militaire au Nord-Mali risquerait de souder contre elle les Touaregs et les terroristes d'AQMI. De plus, les pays frontaliers comme la Mauritanie ou le Niger sont trop pauvres pour y participer de façon décisive. Seule l'Algérie dispose des moyens nécessaires, mais elle y répugne, sans doute du fait de la décennie sanglante qui a marqué sa lutte contre le GIA. L'établissement d'une relation d'égal à égal avec l'Algérie est nécessaire. Il faut créer une relation de confiance et la consulter sur la portée des révolutions arabes. S'agissant de la Syrie, quels moyens peuvent être envisagés, hormis l'option militaire qui est exclue, pour parvenir à un changement de régime ?
M. Gérard Larcher - La résolution de la crise syrienne ne dépend-elle pas à la fois de Moscou et de Téhéran ? Est-il nécessaire de couper tous les canaux avec l'Iran ?
Mme Josette Durrieu - Je rejoins votre appréciation élogieuse sur la qualité des personnels oeuvrant pour notre diplomatie et l'accent mis sur la diplomatie européenne. Quelle place voyez-vous pour la diplomatie parlementaire ? Je m'interroge sur la pérennité du statu quo qui prévaut actuellement au Moyen-Orient, et notamment sur le jugement qu'en a la Turquie.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères - Les pays émergents, dont le pays organisateur du sommet de Rio, ont en effet contribué au mince résultat qui y a été obtenu. S'agissant du sommet de la Francophonie prévu à Kinshasa, il convient de tenir compte de la situation politique précaire dans ce pays. Il est souhaitable que la perspective de la tenue du sommet permette que quelques gestes dans le sens d'une meilleure gouvernance soient effectués avec les autorités congolaises. Le Président Hollande réserve pour l'instant sa décision sur son éventuelle participation.
Monsieur Chevènement a raison de souligner l'importance de nos relations avec l'Algérie, qui est un pays qui joue un rôle stratégique, avec lequel je m'efforcerai d'établir un dialogue confiant.
En Syrie, nous constatons que la guerre prend une tournure confessionnelle, et a des conséquences sur les pays voisins : près de 100.000 réfugiés se trouvent aujourd'hui en Jordanie. La troisième Conférence des amis du peuple syrien qui s'est réunie à Paris le 6 juillet dernier a, pour la première fois, associé toutes les composantes de l'opposition syrienne, y compris de l'intérieur, à ses délibérations. Sur le terrain, la résistance gagne progressivement du terrain. Les différents mouvements qui la composent amorcent un rapprochement, sous l'égide de Monsieur Kofi Annan, envoyé spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe. Le groupe d'action a adopté à Genève des conclusions dont le contenu est clair, en dépit des interprétations qui en ont été faites : Bachar doit partir. En toute hypothèse, une intervention militaire, à l'image de celle en Libye, est exclue.
L'attitude de la Russie à l'égard de Damas est fondée sur une série de considérations que je cite dans le désordre : le précédent libyen a été mal ressenti à Moscou, qui est également attaché à la présence de sa base navale à Tartus. La Russie considère également que son influence en Syrie constitue un élément de sa puissance, et que les combats qui s'y déroulent relèvent des affaires intérieures de ce pays. Les Russes s'opposent fermement à toute ingérence. Ils posent également une vraie question qui touche au risque que des forces terroristes ne succèdent à Damas à Bachar El Assad. D'où l'importance de travailler avec l'opposition à la recherche d'une alternative. Il n'est cependant pas exclu que la position russe évolue sur ce dossier. Le Président Poutine est sensible aux analyses d'Israël, pays qu'il respecte. La Chine est sur la même ligne.
Pour l'Iran, le groupe des négociateurs, composé des cinq pays membres du Conseil de sécurité et de l'Allemagne (5 + 1), affiche une unité sans faille : les sanctions contre Téhéran ont pris effet au 1er juillet dernier. L'Iran a manifesté sa volonté de participer à la récente réunion de la Conférence des amis du peuple syrien, volonté qui s'est heurtée à un refus de la part de la France et des Etats-Unis. Il faut déplorer que la position de Téhéran sur le dossier nucléaire reste intangible. Elle s'inscrit dans le contexte plus général de l'opposition croissante entre les Chiites et les Sunnites.
J'en viens aux relations entre Israël et l'Autorité palestinienne. La France se félicite d'avoir de bonnes relations avec les deux partenaires. Le Président de l'autorité palestinienne, Monsieur Abbas, défend une ligne raisonnable. Le Premier ministre Netanyahu a envoyé plusieurs émissaires à Paris. Cela nous a fourni l'occasion de lui adresser un message clair : il faut se réjouir que jusqu'à présent, les « printemps arabes » n'avaient pas conduit à une mise en cause d'Israël. Mais il est à craindre que, en cas de difficultés surgissant dans le déroulement de ces processus révolutionnaires, cette situation ne s'infléchisse au détriment de Tel Aviv. Nous estimons donc que c'est le bon moment pour Israël, qui est en position de force, pour négocier. Par ailleurs, il n'est pas certain que ce pays ait abandonné le projet d'une intervention militaire en Iran.
M. André Dulait - Certaines entreprises françaises se sont engagées à réaliser, à Djibouti, des infrastructures dont on découvre qu'elles sont financées par l'Iran. L'embargo en vigueur depuis le 1er juillet conduira à une impossibilité de voir leurs factures honorées.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères - Je souhaite que vous me saisissiez de ce point par écrit, mais je ne suis pas persuadé qu'une solution positive pourra être trouvée.
M. Joël Guerriau - Que pouvons-nous faire pour remédier au déficit commercial constaté entre la France et la Chine qui s'élevait en 2011 à 27 milliards d'euros ?
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères - Il s'agit là d'un problème complexe, car le marché chinois est très diversifié. Dans certains secteurs, comme l'aéronautique ou l'électronique, nos entreprises remportent des succès. D'autres secteurs, comme celui de la santé, ne sont pas ouverts à la concurrence internationale. Je suis préoccupé par le fait que les échanges commerciaux français avec la Chine soient cinq fois inférieurs à ceux de l'Allemagne. Vous savez également qu'il est prévu de reconnaître en 2016 à Pékin le statut d'économie de marché, ce qui rendra difficile toute procédure anti-dumping.
Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
La commission procède enfin à l'audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense».
M. Jean-Louis Carrère, président - Monsieur le ministre, permettez moi tout d'abord de vous souhaiter une très chaleureuse bienvenue pour cette première audition devant notre commission.
Les sujets que nous avons à aborder avec vous sont nombreux mais nous souhaitons au préalable que vous puissiez nos indiquer les lignes directrices de la politique de défense que le gouvernement va mettre en oeuvre sous votre autorité.
Certes, nous allons nous engager dans un exercice ambitieux avec la nomination de la commission du Livre blanc qui devra rendre ses conclusions d'ici la fin de l'année et la loi de programmation militaire en 2013. La politique de défense, nos ambitions en la matière et les moyens que nous voudrons - ou que nous pourrons - y consacrer résulteront de ces travaux. Il y a néanmoins un « cadrage » que vous pourrez nous donner.
Comme vous le savez notre commission a beaucoup travaillé pour préparer cet exercice et en être pleinement partie prenante. D'ici le 18 juillet nous aurons publié 6 rapports : maritimisation, capacités industrielles militaires critiques, cyberdéfense, format, avenir des forces nucléaires, bases de défense, qui viendront s'ajouter à la réflexion que nous avions menée en décembre sur l'évolution du contexte stratégique et à notre rapport sur la réforme de la fonction anticipation.
Nous considérons ces travaux comme une contribution qui devrait nous permettre de jouer un rôle actif non seulement au travers des membres de notre commission qui participeront directement aux travaux de la commission du Livre blanc mais aussi au travers d'une association institutionnelle de la commission dans son ensemble. Vous l'avez compris nous ne souhaitons pas être passifs mais acteurs des choix qui vont s'opérer.
Au-delà du lancement de cet exercice nous souhaiterions vous entendre sur les conditions de notre retrait d'Afghanistan ainsi que sur votre analyse des évènements en cours au Mali et dans la bande sahélienne. Nous aurons sans doute encore beaucoup de questions à vous poser mais je vais vous laisser la parole sur ces points avant de laisser nos collègues vous interroger.
Mais avant, je voulais vous proposer, si vous en êtes d'accord, de tenir un débat au Sénat sur l'Afghanistan au mois d'octobre, auquel vous participeriez, ainsi que le ministre des affaires étrangères, afin de nous permettre d'aborder l'ensemble des enjeux de notre engagement et de la situation du pays. Cela nous permettra d'aborder dans de meilleures conditions l'examen du projet de loi de ratification du traité franco-afghan la semaine prochaine.
Enfin je voulais vous dire notre attachement au maintien du périmètre de notre outil de défense. Sachez que vous trouverez dans cette commission un soutien très actif pour la défense des crédits de votre budget.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense - Merci pour votre accueil et pour votre soutien à l'engagement qui sera le mien de garantir un périmètre crédible pour notre outil de défense. Je suis avec beaucoup d'attention les travaux denses de votre commission, qui s'apprête à apporter une contribution indispensable à la bonne préparation du Livre blanc. Je souhaite que le dialogue entre nous soit fructueux et transparent ; je me propose d'ailleurs de revenir devant votre commission le 24 juillet prochain si nous n'avons pas le temps ce soir d'aborder l'ensemble des sujets que vous souhaitez évoquer.
Si le Président de la République a décidé de retirer d'Afghanistan nos forces « au contact » - expression que je préfère à celle de « forces combattantes », mieux comprise de l'opinion publique, mais moins précise car à mon sens toutes les forces sont combattantes - c'est qu'il estimait que notre mission y était achevée. En 2001, nous nous sommes engagés par solidarité envers nos alliés américains après les attentats du 11 septembre, mais aussi pour éradiquer un État terroriste et enfin parce que l'Afghanistan ne disposait pas d'un État structuré ni d'une armée constituée. Nos trois objectifs sont désormais remplis : Al Qaida a été évacué, même s'il existe encore des liens avec les talibans, un gouvernement afghan est en place, avec un président élu puis réélu, une Constitution adoptée, des institutions créées, et enfin, l'armée afghane est passée d'un rassemblement hétéroclite à celui d'une armée de plus en plus structurée. Notre retrait répond aussi à une demande des autorités afghanes de recouvrer leur souveraineté sur leur territoire. La coalition n'a pas vocation à rester éternellement en Afghanistan. La décision française intervient d'ailleurs alors que le Canada et les Pays-Bas ont déjà retiré leurs contingents. Notre démarche est comprise par nos alliés, comme l'ont montré les déclarations de M. Panetta au sommet de Chicago, ou les récentes déclarations du général Allen qui a affirmé que le retrait français ne perturberait pas la sécurité d'ensemble sur le théâtre afghan.
Nous avons 3.400 soldats en Afghanistan ; 2.000 seront rentrés d'ici la fin de l'année, dont 650 d'ici la fin août. Nos forces aériennes sont rentrées hier. Les conditions du retrait logistique - le fret étant dans l'intervalle concentré aux environs de Kaboul - sont en cours de discussion et je suis particulièrement attentif aux conditions de sécurité de ce rapatriement. 6 soldats américains sont encore morts hier. Notre matériel transitera soit par la voie aérienne, jusqu'à Abou Dhabi, puis par bateau, soit par le Nord, par voie ferrée, par l'Ouzbékistan ou le Kazakhstan puis par la Russie, soit enfin par le Sud, par la voie pakistanaise, désormais rouverte mais peu sûre et encombrée, puisque 23.000 soldats américains doivent également l'emprunter dans les mêmes délais. Nous recourrons sans doute à l'ensemble de ces solutions.
Après le retrait logistique, nous resterons présents dans la coalition jusqu'à la fin 2014, et à ce titre 400 à 500 militaires seront affectés à l'hôpital de Kaboul, à la formation des cadres de l'armée et de la gendarmerie afghanes, et, mission moins connue, mais stratégique dans le contexte d'un retrait, à la gestion de la base aérienne de Kaboul, et ce à compter du 1er octobre prochain.
Je voudrais affirmer que nous privilégierons la sécurité sur le calendrier, en particulier pour le retour de Kapisa, particulièrement difficile dans cette région exposée, à 70 km de route de Kaboul.
Le traité d'amitié et de coopération franco-afghan a été adopté par le conseil des ministres ce matin même. Il donnera une nouvelle dimension à nos relations après 2014. Les principes arrêtés par l'ancien président de la République ont été repris par le nouveau. Le traité prévoit des scénarios de développement, par phases de 5 ans, sur une durée totale de 20 ans. La France n'abandonne pas ce territoire qui a beaucoup souffert.
La défense anti-missile balistique a été évoquée au sommet de l'OTAN. Je salue d'ailleurs le rapport particulièrement éclairant du Sénat sur un sujet mal compris par l'opinion publique. Le débat sur le système antimissile a fortement évolué depuis la « guerre des étoiles » du président Reagan en 1983 qui tendait à supplanter la dissuasion nucléaire grâce à la supériorité technologique américaine. Les projets actuels sont nettement plus limités et ne sont pas destinés à contrer la menace des missiles intercontinentaux russes, encore quasiment impossibles à arrêter compte tenu de leurs caractéristiques et de leur nombre. Des réalisations concrètes ont vu le jour : en Israël, pour lutter contre les missiles tactiques puis « de théâtre », au Japon, pour contrer la Corée du Nord, et aux États-Unis. Ce qui domine aujourd'hui et que nous avons voulu faire reconnaître, c'est une complémentarité entre dissuasion nucléaire et défense antimissile, qui ne peuvent se substituer l'une à l'autre. A Chicago, nous avons accepté la mise en place du système intérimaire, première étape d'un système plus ambitieux de défense antimissile des territoires et des populations. Mais la France a tenu à faire figurer dans la déclaration de Chicago quatre conditions très claires :
- la capacité antimissile ne saurait se substituer à la dissuasion qu'elle vient compléter pour traiter certaines menaces limitées ;
- les nations doivent conserver un contrôle politique sur ces capacités : il faudra un protocole sur le cadre dans lequel elles seront employées ;
- la maîtrise des coûts est essentielle, dans un contexte budgétaire contraint ; le financement commun est limité au système de commandement (C2) ;
- enfin, il faut un réel retour pour les industries européennes qui ont de grandes capacités et que nous défendrons.
Pour l'instant, le financement ne porte que sur le centre de commandement et de contrôle (C2) basé à Ramstein, et, dans l'attente de son « otanisation » complète d'ici 2016 ou 2017, il est essentiellement américain. C'était une condition de notre acceptation, qui figure dans la déclaration du sommet de Chicago.
Nous voulons relancer l'Europe de la défense et je tiens à ce que nous prenions des initiatives, à l'heure où les États-Unis se tournent vers l'Asie et où leurs coupes budgétaires dans le domaine militaire vont accroître la concurrence entre les industriels. Il me paraît impératif de prendre des initiatives capacitaires, tout autant que de définir ensemble nos intérêts globaux en matière de défense. Le dernier document stratégique européen date de 2003, il mériterait d'être actualisé.
Je mène actuellement des consultations avec nos partenaires européens, et notamment les Allemands, les Italiens, les Britanniques, les Polonais et les Espagnols, et il n'est pas exclu que nous prenions à l'automne une initiative commune soit dans le domaine capacitaire, soit pour mener une action collective sur certains théâtres. Ainsi par exemple, si la CEDEAO (communauté économique des États d'Afrique de l'ouest) arrive à mobiliser des forces pour stabiliser le Sahel, il y aurait un sens à ce que les Européens puissent apporter un support -en accompagnement exclusivement-, compte tenu du risque terroriste à proximité de l'Europe. Je suis écouté par nos partenaires européens. Je n'ai pas d'interprétation exclusive de l'accord franco-britannique de Lancaster House, et je souhaite pouvoir associer, dans un esprit pragmatique, d'autres partenaires autour d'une feuille de route partagée. Il faut retrouver l'esprit de « Weimar plus » en associant également l'Allemagne, la Pologne, l'Italie et l'Espagne.
J'en viens au Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, que le Président de la République souhaite voir élaborer pour redonner sa cohérence à notre politique de défense dans les années qui viennent. Chaque Livre blanc est intervenu à une « croisée des chemins » : en 1972, autour de la dissuasion nucléaire, en 1994, après la chute du mur de Berlin, en 2008, avec la nouvelle donne géostratégique liée à l'émergence du terrorisme. Or, notre environnement international a considérablement évolué depuis 2008 : il y a eu la crise financière, puis celle des dettes souveraines en Europe, les printemps -puis hivers ? - arabes, l'évolution stratégique américaine vers l'Asie, dont j'ai pu mesurer toute la réalité à la récente conférence de Shangri-La à Singapour, et le constat d'une Europe de la défense stagnante. Il y a également la montée en puissance des enjeux de sécurité maritime, avec la piraterie. Il faut donc réévaluer les menaces. La loi de programmation militaire viendra ensuite inscrire les capacités dans le temps, de 2014 à 2019.
La composition et le mandat de la commission du Livre blanc seront annoncés dans les prochains jours. La commission devra rendre ses conclusions d'ici la fin de l'année : elle travaillera donc intensément. Le Sénat y aura toute sa place, puisque je demanderai à votre commission d'y désigner des représentants. La commission du Livre blanc pourra s'appuyer sur vos travaux. Ses conclusions donneront lieu à des débats au sein des assemblées.
Le Livre blanc devra mettre en corrélation les choix stratégiques et nos possibilités capacitaires réelles. Je souhaite que ce soit le Livre blanc de la vérité, au risque, sinon, d'une incohérence de notre outil de défense. J'estime qu'il devra aussi s'intéresser aux enjeux humains et à la réorganisation du ministère de la défense, en particulier les bases de défense et l'articulation entre le soutien et l'opérationnel.
S'agissant du budget 2013, je me base pour l'instant sur les déclarations que le président de la République avait faites dans son discours du 11 mars dernier sur la défense. Il avait dit avec force son souhait d'un outil de défense crédible. Il avait affirmé que la défense ne participerait « ni plus, ni moins » à l'effort de redressement des comptes publics. La lettre de cadrage que m'a adressée le Premier ministre se situe dans cette perspective, avec une stabilité en valeur de nos crédits et, comme tous les autres ministères, une diminution des crédits de fonctionnement.
Par rapport à la loi de programmation militaire, la dotation pour 2013 sera inférieure de 2 milliards d'euros à la trajectoire initialement envisagée. Je le dirai au Premier ministre et au Président : la défense peut fournir cet effort considérable sans toucher à ses fondamentaux, pour autant qu'il ne lui soit demandé qu'une seule fois. Dans le cas inverse, nous serions dans des coupes sommaires qui dénatureraient la cohérence de l'outil de défense.
Sur les personnels, nous continuerons la trajectoire de déflation, déjà très importante, programmée depuis 2008, d'une réduction d'1/7e des effectifs, soit 54.923 postes. Nous n'irons pas au-delà, la lettre de cadrage le confirme. L'atteinte de cet objectif sera déjà difficile.
Les discussions budgétaires seront sans doute alimentées par le récent rapport de la Cour des Comptes qui chiffre à 4,1 milliards d'euros le manque de crédits pour respecter la trajectoire initiale de la loi de programmation, qui tablait sur une augmentation des crédits de 1 % à compter de 2012. Pour autant, les solutions immédiates proposées par la Cour ne nous paraissent pas toutes pertinentes.
M. Christian Poncelet - Quel a été le coût de l'engagement en Afghanistan ? Comment sera assurée la sécurité des 500 hommes qui resteront sur place ? Comment lutter contre l'infiltration des forces afghanes par les rebelles ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense - La sécurisation de l'aéroport de Kaboul par les forces françaises est à cet égard un gage intéressant. Je voudrais partager avec vous ma préoccupation quant au retour de nos forces, et plus particulièrement la question de « l'atterrissage » de l'armée de terre, dont de très nombreux effectifs ont été engagés ces onze dernières années en Afghanistan, et au sein de laquelle s'est développée une vraie culture de l'Afghanistan. Comment gérer le retour ? Après cette phase de très grande activité et d'entraînement très intense, je suis soucieux de la régénération, mais aussi du maintien du moral. Pour répondre plus précisément à votre question, le coût des opérations extérieures s'est élevé en 2011 à 1,3 milliard d'euros, dont 518 millions pour l'Afghanistan. Pour l'Afghanistan, ce coût devrait être ramené à 500 millions pour 2012. Le montant des frais liés au retrait logistique n'est pas encore fixé. S'agissant de l'aide civile, qui prendra le relais à compter de 2014, le ministre des affaires étrangères a annoncé à Tokyo la semaine dernière un effort français de 300 millions d'euros sur cinq ans.
Sur la situation sécuritaire, certains sont très pessimistes, d'autres, au rang desquels je me range, relativement optimistes. L'armée afghane, qui pourrait jouer un rôle de consolidation politique à l'avenir, commence, avec 230 000 hommes, à avoir une existence structurée, grâce à l'aide internationale reçue ces dernières années, et ce malgré le problème des infiltrations par les rebelles (« green on blue »).
M. Daniel Reiner - Nous souscrivons, puisque nous avons travaillé pendant ces six mois sur la préparation du Livre blanc, à deux propositions que vous avez évoquées assez rapidement, mais qui sont essentielles : la première c'est qu'il ne faudrait surtout pas prendre de décision budgétaire importante avant d'avoir conduit une nouvelle analyse stratégique ; la deuxième c'est cette idée d'avoir une réflexion partagée avec quelques pays européens. C'est tout aussi essentiel. Il ne faudrait pas qu'on se contente du symbole. Il faut qu'on aille au fond des choses. Je ne dis pas qu'il faut travailler sur un Livre blanc européen. Nous n'en sommes pas là. Mais il faut au moins, avec tous ceux qui le souhaitent, engager cette réflexion dès maintenant. Elle est essentielle pour la défense européenne. Vous noterez qu'au Sénat nous ne parlons plus d'Europe de la défense. Nous avons banni ce terme. Nous parlons maintenant de défense européenne.
Je vais maintenant vous poser une question sur le programme 146 sur l'équipement des forces, que vous ne comprendriez pas que je ne vous pose pas, puisque vous avez-vous-même fixé le calendrier : qu'en est-il de votre réflexion engagée sur le drone MALE intérimaire, celui qu'il avait été décidé de faire entre Dassault et IAI en comité ministériel d'investissement il y a moins d'un an. Nous partageons évidemment la même question avec Jacques Gautier.
Par ailleurs, au moment de la préparation budgétaire quand on parle de redressement industriel dans ce pays, n'oublions jamais que l'industrie de défense est une industrie performante, qui embauche, qui donne des résultats économiques, qui contribue à limiter le déficit commercial extérieur et que les investissements que nous consentons dans ce secteur sont immédiatement productifs. C'est un argument tout à fait essentiel. J'imagine que vous l'aviez également à l'esprit. Sachez que nous l'utiliserons à vos côtés.
M. Jacques Gautier - Avec Daniel Reiner nous parlerons de la même voix, car ici au Sénat, nous avons des approches communes, et je voudrais, dans le respect de la tradition républicaine et au nom de mes amis politiques de l'UMP vous souhaiter la bienvenue et vous féliciter pour votre nomination qui a beaucoup rassuré les armées.
Je n'évoquerai pas les questions du programme 146 d'équipement des forces mais il est vrai que nous attendons une annonce pour le drone MALE de votre part dans les jours qui viennent, mais je rêve que vous puissiez faire quelque chose du côté franco-allemand. Nous avons un accord avec les Britanniques et il pourrait du reste y avoir prochainement une décision commune sur les drones tactiques. Peut être sur les MALE y aurait-il quelque chose à faire avec les Allemands ? Ils ont le drone Héron 1, nous avons du Harfang, qui est le même drone francisé, il y aurait peut être là un geste symbolique à faire, qui ne coûterait pas cher et qui serait susceptible de faire avancer les choses ?
Je reprends à mon compte ce que vient de dire Daniel Reiner : ne diminuez pas les crédits des équipements militaires, ne diminuez pas les formats avant d'avoir revu le Livre blanc et avant que nous n'ayons adopté la loi de programmation militaire.
Un mot sur la commission du Livre blanc, vous avez décidé de l'ouvrir aux Britanniques, aux Allemands et aux Italiens. Bravo. Je rentre de Washington où j'ai participé à l'assemblée parlementaire de l'OTAN. Les Américains vont réviser leur analyse stratégique sur l'Asie-Pacifique. On voit bien qu'ils vont abandonner des pans entiers en Europe. Il faut savoir ce que l'on veut faire.
Quoiqu'il en soit, vous avez des membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat qui ont envie de travailler avec vous, dans l'intérêt de nos armées.
M. Didier Boulaud - Je rentre d'une mission que j'ai conduite au nom de la commission en Australie et en Nouvelle Calédonie et je dois vous dire que votre présence à la conférence de Shangri-La a été très appréciée. Les Australiens et les Néo-Zélandais sont très désireux d'une coopération, notamment dans le domaine militaire. Le passé est oublié. Je voudrais simplement appeler votre attention sur l'état de nos armées dans cette région du monde. Si on veut être présents, il faut s'en donner les moyens. Nous avons là-bas des troupes de grande qualité. Il y a un régiment d'infanterie marine tout à fait exceptionnel. Nous avons une frégate, 2 P400 et des hélicoptères en bout de course, tout comme le BATRAL. Il y a un fort risque de trou capacitaire en attendant le B2M et un hypothétique BATSIMAR. Il y a un service militaire adapté qui joue un rôle important. Ne les laissons pas sans moyens.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense - Sur l'initiative européenne, j'ai été très frappé, quand j'ai été voir mon collègue allemand, de sa détermination à relancer notre coopération de défense. Nous avons donc décidé d'agir ensemble. Nous voudrions faire quelque chose d'important à l'automne et encore plus pour la commémoration du traité de l'Élysée. Mon collègue britannique est également très demandeur, sauf qu'il est en faveur d'une coopération à deux, et pas à trois et qu'il a une ligne rouge : pas d'état-major européen. On fait donc les choses de façon pragmatique, ce qui m'amène à la question du drone. Je vous redis ce que j'ai dit publiquement. J'ai lu vos observations avec beaucoup d'intérêt et vos travaux qui sont passionnants. C'est une question majeure. Nous avons du retard, sur un sujet essentiel, d'où la nécessaire remise à plat que j'ai annoncée. Or, je ne considère pas que la solution qui soit aujourd'hui sur la table puisse être considérée comme définitive. J'avais dit que je prendrai une décision vers la mi-juillet. Ce sera au plus tard aux environs du 24 juillet.
M. Jean-Louis Carrère, président - Nous étions unanimes au Sénat à penser que ça ne marcherait pas.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense - La question se pose tout simplement de savoir ce que l'on fait. Nous en sommes là. Le 24 juillet, je pourrai vous dire, sinon la solution, du moins la démarche. Encore une fois, j'ai trouvé vos travaux très intéressants. Il faut évidemment en profiter pour faire de la coopération. Le problème est que nous n'avons pas tous les mêmes compétences en matière de drones avec les pays susceptibles de travailler avec nous. Nous avons un accord avec les Britanniques sur les drones de combat - les UCAV. Ce n'est pas contradictoire, ce n'est pas la même échéance, avec les drones MALE.
Sur le fait de ne pas prendre d'option définitive budgétaire avant la révision du Livre blanc, nous sommes tout à fait d'accord.
Sur l'Australie, merci pour l'information. Il y a du travail à faire entre les Australiens et nous en matière de coopération militaire. Thales est déjà présent. Il y a le NH-90, et une demande pour les sous-marins. La modification de la posture américaine, on la constate. Un certain nombre d'acteurs tels que l'Australie ou la Nouvelle Zélande, mais ils ne sont pas les seuls, ne veulent pas s'enfermer dans une relation exclusive avec les Américains. Ils souhaitent aussi la présence d'autres acteurs et de ce point de vue, la France est la bienvenue. Je me rendrai en Australie. Quant à notre présence en Nouvelle-Calédonie, je suis marin de formation, et je vois bien que les enjeux maritimes redeviennent centraux.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam - Je voulais vous dire combien j'étais moi-même sensible à votre souhait de relancer l'Europe de la défense et à notre coopération avec les Britanniques, en rappelant que c'est le seul pays européen qui consacre 2 % de son PIB à la défense, il ne faut pas l'oublier. Je voudrais vous interroger sur la question des réserves. Nous avions fait un rapport avec mon collègue Michel Boutan, une loi a été adoptée. Je voudrais savoir si vous avez déjà réfléchi sur les suites à donner à cette loi sur les réserves.
M. Gilbert Roger : Les sénateurs sont aussi très sensibles aux territoires et ce matin, lorsque nous avons présenté notre rapport sur les bases de défense avec mon collègue et ami André Dulait, nous savons bien que nous sommes dans une phase qui n'est pas achevée. Mais nous souhaitons que la réforme soit plutôt confortée que de la remettre sur le métier. Il y a un gros effort qui a été fait par les armées, personnels civils et militaires confondus, et il y a besoin de stabilité, d'organiser les cohérences. Vous retrouverez nos analyses dans le rapport que nous avons fait. Je voudrais insister sur deux points.
Le premier est ce que l'on appelle le « soclage ». Il manque environ cent trente millions. Et puis le second est le lien avec les PME.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense - En réponse à Mme Garriaud-Maylam, sur la relation avec les Britanniques, je suis tout à fait d'accord avec vous. Mais... Dans Lancaster House, il y a une chose qui marche : c'est le nucléaire. Pour le reste, je suis un peu dans l'attente. Il y a une feuille de route. Nous allons bien voir. Ca a mal commencé avec les porte-avions. Mais on m'affirme que cela n'empêche pas d'avoir une permanence à la mer en commun ? Il y a eu une nouvelle impulsion hier entre le Premier ministre et le Président de la République. On va bien voir si on peut transformer l'essai.
Sur les réserves, je n'ai pas encore eu le temps en huit semaines de regarder ce sujet, dont je reconnais l'importance.
Sur les bases de défense, je suis perplexe. Non pas sur l'idée de la Cour des Comptes de passer de soixante à vingt. C'est non. Mais il faut bien reconnaître qu'il y a des bases de défense qui marchent et d'autres pas. Il y a du mécontentement aussi bien chez les militaires que les civils. C'est préoccupant. Il ne faudrait pas qu'il y ait un clivage entre ces deux catégories et que les bases de défense deviennent des nids de mécontentement. Je vais me rendre à la rentrée dans plusieurs bases de défense pour voir dans le concret comment ça se passe. Mais il y a eu suffisamment de réformes comme cela. Je ne vais pas remettre la réforme des bases de défense en cause.
M. Jean-Louis Carrère - Nous avons été à l'origine d'une initiative de rapprochement avec nos collègues parlementaires allemands et nous les recevrons en décembre prochain avec la commission de la défense de l'Assemblée nationale. Les Espagnols et les Italiens souhaitent également avancer avec nous. Les Allemands nous demandent de partager nos analyses stratégiques avec eux et, à terme, de contribuer à une évolution des opinions publiques.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense - Ce qu'il faut c'est donner de la matière à notre coopération. Nous sommes obligés de coopérer, par nécessité budgétaire, mais il faut qu'il y ait plus que la simple nécessité. Nous devons procéder à une relance de « Weimar plus ».