Mardi 26 juin 2012
- Présidence de M. Philippe Dallier, vice-président. -Examen du rapport
M. Philippe Dallier, président. - Notre présidente, Anne-Marie Escoffier a été appelée à d'autres fonctions, où elle traitera de sujets très proches de celui qui nous occupe aujourd'hui. Il me revient de la remplacer ici et de me faire son interprète.
Nous arrivons aujourd'hui, avait-elle prévu de dire, à l'issue de nos travaux avec cette réunion d'examen du rapport de notre mission, dans sa version complète et détaillée. Notre mission a connu des débuts un peu mouvementés : un renouvellement partiel du Sénat, un changement de majorité, un changement de Présidence, compensés toutefois par le maintien de son rapporteur - elle n'avait pas imaginé le dernier rebondissement.
Notre mission a réussi malgré tout à mener à bien ses travaux avec un esprit d'ouverture et d'écoute, apprécié à la fois par ses membres et par nos interlocuteurs, lors de nos auditions et de nos déplacements.
Nous avons - elle pense surtout aux non spécialistes - beaucoup appris au cours de ces mois, sur un sujet fiscal difficile, technique mais qui touche très concrètement nos entreprises et les collectivités territoriales que le Sénat doit représenter.
La technicité de la matière traitée et ses enjeux- nous parlons de l'impôt économique local, première recette fiscale des collectivités (pas de toutes) - nous obligeaient à mesurer tout particulièrement les conséquences de nos réflexions et de nos propositions.
En plein accord avec mes préoccupations, poursuit-elle, notre rapporteur a réussi à faire émerger une série de propositions qui sauront répondre aux principales critiques que nous avons entendues, sans remettre en cause les éléments positifs de cette réforme.
Encore une fois, notre mission n'a jamais eu pour ambition de refondre la fiscalité des entreprises ou les finances locales dans leur intégralité. Elle a simplement répondu à l'objet qui lui était fixé : analyser avec objectivité les impacts du remplacement de la taxe professionnelle par la contribution économique territoriale et proposer les mesures qui rendront cette transition moins difficile, plus juste et plus efficace. Mme Escoffier remercie chacun, et plus particulièrement, notre rapporteur, d'y avoir contribué.
Le contenu du rapport est naturellement très proche de la note d'étape que nous avions discutée en mars, avant la suspension électorale. C'est donc une présentation à trois voix, celle des entreprises, celle de l'Etat et celle des collectivités qu'il va nous faire. Si ce rapport est adopté, il sera très rapidement publié et mis en ligne sur Internet ainsi que le traditionnel résumé en « quatre pages couleur ». Nous pourrions aussi, si vous en étiez d'accord, demander l'inscription prochaine à l'ordre du jour de la séance publique d'un débat sur les conclusions.
M. Charles Guené, rapporteur. - Je m'associe aux compliments de notre présidente et remercie chacun d'entre vous pour son implication et sa participation à nos travaux.
Malgré la jeunesse de la réforme, notre mission a dégagé un certain nombre de conclusions, qui mettent en évidence points positifs et faiblesses, lesquelles font l'objet de vingt-cinq propositions.
Quelles conséquences la réforme a-t-elle eues sur les entreprises, principal acteur concerné par l'entrée en vigueur de la nouvelle contribution économique territoriale (CET) ? Elle a d'abord eu pour effet un allègement des charges de leur fiscalité globale évalué entre 7,5 milliards, selon le ministère de l'économie, et 8,2 milliards, selon le ministère de l'industrie. Cette économie représente la différence entre la charge que les entreprises auraient dû supporter avec la TP et la CET effectivement acquittée. Environ 60 % des entreprises, soit quelque 2 millions d'entre elles, sont gagnantes. En revanche, environ 20 %, soit 845 000 entreprises, sont perdantes, tandis que la contribution des 20 % restantes demeure stable.
Comme cela était attendu, le secteur industriel est le principal bénéficiaire de la réforme, avec un allègement fiscal de 2,2 milliards par an. En revanche, les entreprises de prestation de services ont, dans leur grande majorité, vu leur contribution économique augmenter, dans des proportions parfois importantes. La hausse moyenne de la charge fiscale est évaluée à 20 % pour les banques et à 10 % pour les sociétés d'assurance. Toutefois, certains secteurs ont vu leur contribution économique exploser - plus 700 % pour l'intérim. En dépit des difficultés rencontrées par certains secteurs, la mise en place de dispositifs spécifiques, comme l'allongement de la mise en oeuvre de la réforme, ne me semble pas devoir être privilégiée, sauf à retomber dans les travers de la TP, rendue illisible et complexe par la multiplication de dispositifs dérogatoires.
En outre, pour apprécier l'importance de la variation de la charge fiscale, il importe de disposer de données sur les taux d'imposition moyens de la valeur ajoutée par secteur d'activités, que l'administration fiscale ne nous a pas transmises, malgré nos demandes répétées.
Cette appréciation optimiste mérite toutefois d'être tempérée, car la diminution de la fiscalité économique des entreprises a été contrebalancée par une hausse simultanée d'autres fiscalités pesant sur elles. Nous avons relevé quatre facteurs concourant à la hausse de la fiscalité des entreprises en dehors de la réforme : la création, il est vrai attendue, des IFER (impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux), tout d'abord - c'est d'ailleurs pourquoi je ne suis pas favorable à la création de nouvelles IFER sauf si l'on constatait dans quelques années un effet d'aubaine élevé dans certains secteurs économiques ; la hausse des impôts sur le revenu et des sociétés, ensuite, en raison de la différence entre l'assiette de la CET et celle de la TP - notons, à cet égard, que ne plus l'intégrer dans les frais généraux des entreprises amoindrirait les effets de la réforme ; la création, enfin, de nouvelles taxes ou redevances qui ont pesé sur certains secteurs économiques, tels que l'industrie pharmaceutique, ou pour les entreprises d'Île-de-France dans le cadre du Grand Paris.
Des difficultés techniques ont accompagné la réforme et alourdi les charges des entreprises. Il en est ainsi de la déclaration des effectifs sur laquelle repose la répartition du produit de la CVAE entre les collectivités. Pourquoi l'administration fiscale ne retient-elle pas le système des DADS (déclarations annuelles des données sociales) ? Nous proposerons d'en revenir à cette source.
Notre mission s'est également interrogée sur les questions liées au ciblage de la CET sur les seules entreprises délocalisables. Selon les données qui nous ont été fournies, elles en ont bénéficié... ainsi que certains secteurs non délocalisables, tels que le BTP. La réflexion en ce domaine mérite d'être poursuivie.
L'un des objectifs de la réforme, enfin, était de prendre en compte la taille des entreprises. Les principales bénéficiaires sont les PME et les TPE, en raison notamment de la progressivité du taux effectif de CVAE et de l'abattement de cotisation due à hauteur de 1 000 euros pour les entreprises réalisant moins de 2 millions de chiffre d'affaires. Je suis très attaché à ces mesures qui ne doivent pas être remises en cause par souci de rendement.
En revanche, notre mission se doit d'alerter le Gouvernement sur les conséquences des règles relatives à la cotisation minimale de CFE, mal comprises des collectivités territoriales. Certaines en ont fait application sans être en mesure d'en évaluer les conséquences, on l'a vu notamment à Toulouse. L'Etat devrait expliciter les différentes options par voie de circulaire, fournir les éléments statistiques nécessaires à l'évaluation des conséquences de leurs décisions et aller vers plus de souplesse.
Enfin, sur la question des auto-entrepreneurs, une sortie en sifflet du dispositif dérogatoire pour entrer dans le droit commun me paraît indispensable.
On manque de moyens de suivi de cette réforme encore jeune. Son impact économique sur les entreprises reste donc difficile à évaluer. Si la fiscalité économique est souvent réputée peser sur l'attractivité de notre pays, nous avons constaté, au cours de nos déplacements, notamment à Dunkerque, que la réforme de la TP ne constituait pas une préoccupation centrale des entreprises et que d'autres enjeux plus importants influent sur leur dynamisme, leur compétitivité ou leurs décisions d'investissement.
La forte contrainte qui pèse sur les finances publiques nous a naturellement conduits à nous interroger sur le coût de la réforme pour l'Etat, et la manière dont il a été évalué en amont. En rythme de croisière, il est aujourd'hui estimé à 4,5 milliards. Il est globalement conforme aux prévisions initiales, une fois mis à part l'impact de la décision du Conseil constitutionnel intervenue au lendemain de son adoption. La censure du régime de taxation spécifique des titulaires de bénéfices non commerciaux de moins de cinq salariés a entraîné une perte de recettes supplémentaire pour l'Etat aujourd'hui estimée entre 830 et 840 millions. A l'époque, le Gouvernement avait pris acte de cette décision, sans proposer de mesure alternative. Cette position ne me paraît pas pertinente : dans le cadre budgétaire qui est le nôtre, et dès lors que les capacités contributives de ces contribuables sont différentes, nous ne pouvons faire l'impasse sur une telle rentrée de recettes. A notre sens, les possibilités de taxation différenciée des titulaires de bénéfices non commerciaux doivent être réexaminées, dans le respect de la décision du Conseil constitutionnel.
Le coût de la réforme pour l'année 2010 a, en revanche, été revu à la baisse de manière significative, passant de 11,7 milliards en prévision initiale, à 7,8 milliards selon les dernières estimations. Ce décalage a fait l'objet d'une attention particulière de la Cour des comptes. Or, malgré une enquête approfondie menée à ce sujet en 2011 et au début de l'année 2012, la Cour n'a pas su apporter d'explication satisfaisante, du fait du manque de lisibilité du compte d'avances aux collectivités territoriales. Il convient donc d'appuyer sa demande d'une meilleure traçabilité des opérations de ce compte.
De manière générale, les analyses réalisées par la Cour des comptes, de même que les contacts que nous avons pu avoir avec les différents ministères, laissent à penser que le suivi de la réforme par les administrations concernées est perfectible. Or, il conditionne l'évaluation d'une réforme dont le coût n'est pas anecdotique. Pourtant, grandes furent nos difficultés à obtenir des données chiffrées cohérentes, permettant d'en mesurer précisément les impacts. Situation regrettable. J'estime donc nécessaire de formaliser l'obligation pour l'administration de fournir au Parlement une évaluation claire et validée par la Cour des comptes du coût de la réforme, ainsi qu'une série d'indicateurs précis pour en évaluer les effets, que ce soit au niveau des entreprises, de l'Etat ou des collectivités.
Pour important qu'il soit, il me semble toutefois indispensable de mettre en perspective le coût de la réforme. Il est de fait comparable à celui de réformes fiscales visant le même objectif, telle que la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle, estimée entre 3 et 4 milliards par an.
Ensuite, la réforme ne se résume pas, pour l'Etat, à un impact budgétaire : elle a été l'occasion d'une clarification de ses relations financières avec les collectivités, qui a considérablement renforcé la lisibilité de l'imposition économique locale. Elle s'est en effet traduite par une réduction significative de la part des remboursements et dégrèvements pris en charge par l'Etat au titre de l'impôt économique local : de 2009 à 2012, celle-ci devrait passer de 13,5 à 5,6 milliards, soit une diminution de près de 60 %. Les recettes que perçoit l'Etat au titre de l'impôt économique local ont également été réduites : la cotisation nationale de péréquation et la cotisation minimale de taxe professionnelle, accusées de perturber le lien fiscal entre les collectivités et les entreprises, ont été supprimées. En outre, les frais de gestion perçus par l'Etat au titre du recouvrement des impôts locaux ont été ramenés de 8 % à 3 %. Il me semble primordial, et c'est le sens de deux des vingt-cinq propositions, que cette clarification des relations financières entre l'Etat, les collectivités et les contribuables, se poursuive, notamment par une réévaluation régulière et complète des frais de gestion perçus par l'Etat au titre des impositions directes locales.
Nous nous sommes particulièrement attachés aux conséquences de la réforme pour les collectivités territoriales. Conçue pour les entreprises, elle n'en a pas moins modifié en profondeur les finances locales, laissant les collectivités dans l'incertitude quant à leurs ressources fiscales et budgétaires.
D'un montant de 30,3 milliards en 2009, la TP, principal impôt direct local, représentait près de 18 % des recettes de fonctionnement des collectivités territoriales. Son remplacement par la CET s'est accompagné de plusieurs autres modifications de la fiscalité locale : une plus grande spécialisation, tout d'abord, la cotisation foncière des entreprises, la taxe d'habitation et la taxe foncière sur les propriétés non bâties étant réservées au bloc communal ; une perte d'autonomie fiscale pour les collectivités territoriales, ensuite, puisque le taux de CVAE est fixé au niveau national ; un renforcement, enfin, des outils de péréquation, avec la création de plusieurs nouveaux instruments, qui constituent à mes yeux le second pilier de la réforme.
Moins d'un an après l'annonce du président de la République, la taxe professionnelle avait disparu, non sans que le Parlement eût réécrit profondément le projet de loi initial. Cette rapidité conjuguée à l'ampleur de la réforme n'ont pas permis à l'Etat de produire des simulations fiables sur les conséquences effectives pour les collectivités, d'autant que les lois de finances suivantes ont continué d'apporter des ajustements. Enfin, nous n'avons pu que constater, au cours de nos auditions, que la mise en oeuvre de la réforme avait révélé de nombreuses conséquences qui n'avaient pu être initialement appréhendées.
Premier sujet d'importance, le mode de compensation des pertes de recettes subies par les collectivités territoriales. Comme l'ont souligné plusieurs de ceux que nous avons entendus, certains mécanismes ont pu conduire les collectivités à subir, malgré le dispositif de compensation à l'euro près, des pertes de recettes entre les exercices 2010 et 2011. La compensation ne prenant en compte que le panier des ressources fiscales modifiées par la réforme de la taxe professionnelle, aucun dispositif n'empêche donc les collectivités de subir les effets de la baisse d'une ressource non comprise dans ce panier. Ensuite, la compensation est fondée sur la comparaison des ressources avant et après réforme, mais celles-ci sont toujours prises en compte au titre de l'année 2010. Par conséquent, le dispositif ne compense par les diminutions des nouvelles impositions entre les années 2010 et 2011.
A plus long terme, le caractère figé des dotations de compensation de la réforme accentuera les inégalités territoriales. En effet, les collectivités qui y ont gagné bénéficieront intégralement de la croissance du produit fiscal sur leur territoire : le montant du FNGIR (Fonds national de garantie individuelle de ressources) qu'elles reversent ne sera pas modifié. A l'inverse, si les collectivités perdantes sont bien compensées en 2011, elles ne profiteront plus de la croissance de leurs ressources que sur la part qui n'est pas constituée par la DCRTP (dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle) et le FNGIR. Ce renforcement des inégalités sera d'autant plus marqué que, d'après nos premières informations, la CVAE est beaucoup plus concentrée sur le territoire national que ne l'était la TP : un tiers de la CVAE nationale se situe en Ile-de-France alors que seuls 13,3 % de la TP s'y trouvaient.
M. Philippe Dallier, président. - Et à l'ouest de l'Île-de-France...
M. Charles Guené, rapporteur. - C'est pour remédier à ce renforcement des inégalités qu'ont été prévus de nouveaux dispositifs de péréquation. Je salue la création du FPIC (Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales), qui est un outil intéressant, même s'il faudra ajuster ses paramètres, M. Dallier ne me contredira pas, au regard des évaluations de son fonctionnement en 2011.
Les fonds de péréquation de la CVAE, régional et départemental, entreront en vigueur en 2013 ; ils me semblent, en l'état des textes, insuffisants : il suffirait que le produit de CVAE croisse uniformément sur l'ensemble du territoire national pour qu'ils ne soient dotés d'aucune ressource. Je vous propose au contraire de renforcer ces dispositifs, en prévoyant un prélèvement sur l'ensemble de la croissance de la CVAE des départements et des régions à compter de l'année 2011. Il faut en outre que les associations d'élus et le Gouvernement s'attachent, en amont de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, à simuler les effets de ces fonds, pour que la discussion puisse se faire dans de bonnes conditions au Parlement. Voeu que nous avions déjà formulé en d'autres temps : puisse-t-il être cette fois entendu.
Quelles ont été les conséquences de la réforme sur l'autonomie et les choix des collectivités territoriales ? Elle n'a pas réduit leur autonomie financière, telle que définie par l'article 72-2 de la Constitution. C'est l'autonomie fiscale, soit la capacité des collectivités à voter des taux de fiscalité qui n'a pas a été préservée. Le constat doit cependant être nuancé : l'autonomie fiscale du bloc communal, qui dispose de l'intégralité de la CFE, de la taxe d'habitation, du foncier non bâti, de la TaSCom, n'a pas souffert de la réforme, ou pas trop. En revanche, celle des départements, et plus encore des régions, a été fortement réduite : les départements ne votent plus que le taux de la taxe sur les propriétés bâties et les régions ne peuvent plus moduler que le tarif des cartes grises et une part de la TIPP.
Cette réduction de l'autonomie fiscale trouve son origine dans le taux unique de la CVAE. La fixation au niveau national, si elle présente l'avantage de préserver les territoires contre une concurrence fiscale parfois néfaste, tant pour elles que pour les entreprises, posera, même si cela doit être confirmé dans le temps, un autre problème, lié à une plus grande volatilité de son produit en fonction des fluctuations économiques que celui de l'ancienne TP.
Dernier problème, et non des moindres, la réforme a un impact majeur sur les notions de potentiel fiscal et financier, en particulier pour les départements et les régions. Le classement des départements au regard de leur potentiel par habitant, notamment, a été bouleversé. Il est pourtant important de conserver des notions qui reflètent au mieux les ressources réelles des départements : ce sont des outils de mesure essentiels. En revanche, il ne faut pas en faire le fondement exclusif de nos instruments de péréquation car, à ressources identiques, les départements peuvent être confrontés à des charges inégales. C'est pourquoi nous souhaitons que les critères des charges soient davantage pris en compte dans les dispositifs de péréquation départementale. Le dispositif prévu pour les régions et négocié entre elles me semble, en revanche, pouvoir être conservé en l'état.
Des problèmes importants quoique ponctuels, ont émergé durant la mise en oeuvre de la réforme. Lors des auditions, nous avons constaté que la descente du taux départemental de taxe d'habitation au niveau communal ne s'était pas faite sans heurts. Malgré un dispositif législatif extrêmement complexe, certaines collectivités ont vu le produit de la taxe, et la charge fiscale induite pour les contribuables, évoluer indépendamment de leurs choix. Or ce transfert de fiscalité était censé s'effectuer à droit constant. Je propose que la mission demande à l'administration de remédier pour l'ensemble des communes et des EPCI aux effets pervers de ce transfert.
Deuxième sujet qui me tient à coeur, la forte concentration territoriale de la CVAE. Actuellement, la CVAE d'une société mère appartenant à un groupe est intégralement reversée aux collectivités d'implantation de cette société-mère. Sans qu'il ait été possible d'analyser très précisément les conséquences de cette règle, il me semble qu'elle conduit à répartir la CVAE en fonction des décisions d'organisation juridique des groupes et à privilégier certains territoires. C'est également l'analyse de plusieurs associations d'élus. Je souhaite donc que les modalités de répartition de la CVAE soient adaptées aux caractéristiques des groupes, dans le sens d'une plus juste répartition territoriale.
Les régions ont souhaité se voir attribuer le produit d'un versement transport. Il me semble aujourd'hui plus prudent de prendre d'abord le temps d'évaluer la contrainte budgétaire effective dans laquelle ces collectivités se trouvent. Le moment est-il opportun ? Il faudra y regarder de plus près, car la question ne saurait être ignorée. Ma préférence irait plutôt à l'indexation des tarifs de l'ensemble des IFER sur l'inflation, ce qui bénéficierait notamment aux régions. Les tarifs figés qui prévalent aujourd'hui n'ont pas de sens économique et leur maintien obligerait le Parlement à s'en saisir chaque année.
Préserver les collectivités territoriales des effets de la réforme passe aussi par deux impératifs. Le premier est de modifier la règle de répartition de la CVAE pour favoriser les implantations nouvelles d'établissements classés Seveso. Je dis bien les implantations nouvelles, car revenir sur la réforme aurait un impact sur l'ensemble du dispositif. Comme nous avons pu le constater lors de nos rencontres avec les représentants des collectivités fortement industrielles, la situation actuelle risque de les dissuader d'accueillir ces nouvelles entreprises, eu égard à la faiblesse de la ressource fiscale produite à l'aune des risques encourus.
Second impératif, maintenir, malgré le contexte très contraint des finances publiques, le niveau des dotations de compensation de la réforme. Chaque année, certaines dotations diminuent pour assurer la stabilité des concours financiers de l'Etat aux collectivités. La DCRTP et le FNGIR ne doivent pas faire partie de ces dotations.
Enfin, je souhaite insister sur la nécessité de poursuivre le processus de révision des valeurs locatives. Avec la disparition de la TP, les principaux impôts locaux sont désormais assis sur ces valeurs, pourtant obsolètes. Il en est de même pour le calcul des potentiels fiscal et financier, qui servent de base à la péréquation. Mener à terme cette révision est donc la condition sine qua non de la justice du nouveau système fiscal. Autant dire qu'une réforme globale du système s'annonce, qui appellera une réforme de sa gouvernance.
M. Philippe Dallier, président. - Voilà de larges perspectives, presque le grand soir. Merci de cette présentation très complète.
M. Charles Guené, rapporteur. - Un mot, pour finir, en hommage à Mme Escoffier, qui a su présider cette mission avec une fermeté courtoise, dans une démarche intellectuelle respectueuse de la pluralité que j'ai beaucoup appréciée.
M. Michel Delebarre. - Je me joins à l'hommage rendu à la présidente Escoffier, qui a fort bien su conduire nos travaux pendant des mois sur un sujet éminemment complexe et sur lequel elle était, avec notre rapporteur, particulièrement attendue. Les analyses qui ressortent de nos travaux apporteront une plus value réelle à la réflexion. Le rapporteur l'a rappelé, il a été amené à retenir un périmètre plus large : c'est tout l'intérêt de la démarche. Autant de sujets de satisfaction. Je m'en tiendrai à quelques observations, positives, pour tenter d'avancer. L'absence de réponse des services de l'Etat sur certaines questions m'a, je dois le dire, laissé perplexe. Le sujet ne concerne pourtant rien moins que la vie des entreprises, les ressources de l'Etat et des collectivités ! A plusieurs reprises, notre rapporteur a souligné qu'il attendait encore des précisions chiffrées. Il conviendra sans nul doute d'assurer un suivi à nos travaux. N'est-il pas préoccupant de constater qu'une réforme touchant de si près à la vie de nos collectivités a pu se mettre en place avec tant de zones d'ombre ?
Chaque fois que l'on diminue l'autonomie fiscale d'une collectivité, on entrave la pratique démocratique du pays. Que signifie désormais l'autonomie fiscale des régions, qui perdent du même coup une part de leur identité comme collectivités ? Cela mériterait réflexion de la part de notre nouvelle ministre : quel est le contenu de la décentralisation sans autonomie fiscale ? La présidence de notre mission lui aura sans nul doute donné quelques éléments de référence...
Notre rapporteur s'est obligé à cibler en vingt-cinq propositions certains points sur lesquels des évolutions sont souhaitables. Saluant ce bel effort de synthèse, je tenterai ici de m'en inspirer en me contentant d'observer que je partage les préoccupations qui l'ont conduit à formuler nombre de ses propositions - je partage les n°15 (ajustement du FPIC), 19 (transfert de la part départementale de la taxe d'habitation), 22 (évolution des IFER), et 24 (périmètre de l'enveloppe normée).
Je n'exercerai mon esprit critique que sur deux points, sur lesquels je ne parviens pas à être tout à fait en désaccord. D'évidence, la proposition n° 20, qui préconise d' « adapter les modalités de répartition de la CVAE aux caractéristiques des groupes », mériterait d'être plus tranchée, tant ce problème patent appelle une rectification rapide. Concentrer la recette sur le territoire où le groupe a son siège conduit à des inégalités et à de graves perversions. La simulation qu'il nous donne page 110 fait ressortir les conséquences très dommageables de la réforme pour les territoires concernés. Il conviendrait donc de revoir ce dispositif au plus vite, en fondant la répartition, par exemple, sur le volume de personnel concerné par territoire d'implantation ou tout autre critère territorialisé ; j'accentuerai donc cette proposition.
Ma deuxième observation porte sur sa proposition n° 23, c'est-à-dire sur le choix de ne proposer une modification des règles de répartition que pour les nouvelles implantations d'établissements classés Seveso. Ne rien faire pour les autres obligerait à revoir tout le discours sur la politique industrielle française, car pénaliser ainsi les implantations d'entreprises concernées par la directive Seveso reviendrait à se tirer glorieusement une balle dans le pied. Refuser a priori l'examen de la situation des implantations existantes suscitera des inégalités et mettra en difficulté les territoires concernés, qui doivent faire face ici et maintenant. Les services de la DRIRE nous envoient des périmètres de danger, qui obligent nos assemblées à prendre des dispositions pour racheter des maisons présentes dans le périmètre : voilà qui pèse dès à présent sur nos budgets communaux ; voilà pourquoi l'on ne saurait écarter un réexamen.
Enfin, la taxe professionnelle permettait d'anticiper l'évolution de son produit. Or, et c'est là l'un des grands reproches adressés à la réforme, tel n'est plus le cas, et les collectivités naviguent dans le brouillard. Conduire des politiques d'aménagement ou d'investissement, à ce compte, relève de la gageure, y compris pour les départements et les régions.
M. Charles Guené, rapporteur. - Je vous remercie de votre intérêt pour ce rapport, et du caractère mesuré de vos critiques. Je partage nombre de vos observations. A la décharge des services de l'Etat, je dois cependant rappeler que la philosophie première de sa réforme a été profondément modifiée par le Parlement, notamment quant à l'évolution du FNGIR.
M. Michel Delebarre. - Vous voulez dire que l'on a évité le pire ?
M. Charles Guené, rapporteur. - Je veux dire que l'on ne peut pas, de ce fait, reprocher à l'Etat de n'avoir pas entièrement anticipé ce qu'allait produire la réforme, dont je rappelle qu'elle a été, de surcroît, conçue avant la crise. Oui, elle mérite un suivi. L'intitulé du rapport est parlant : « Vingt-cinq propositions pour une transition ».
Nous n'avons pas voulu formuler nos conclusions avant les élections, pour en préserver l'objectivité. Plus l'on prendra de recul, et plus le jugement sera sain. Voyez la taxe professionnelle : personne n'était en mesure d'en parler simplement, même après quarante ans. Cette réforme est, à certains égards, beaucoup plus simple en termes de physionomie fiscale.
La perte d'autonomie fiscale ? Je pourrais me réfugier derrière l'article 72-2 de la Constitution et vous répondre que je ne la connais pas. Mais nous n'avons pas, avec Mme Escoffier, voulu éluder la question. Car alternance ou pas, nous entrons peut-être dans une nouvelle époque de gouvernance qui nous amènera tous à modifier nos approches, pour entrer dans une autre logique que celle qui a prévalu lorsqu'ont été adoptées les dispositions constitutionnelles.
La proposition n° 11 (« fournir au Parlement une évaluation claire et validée par la Cour des comptes du coût de la réforme ») - le rappelle : nous avons besoin de plus de clarté dans les données. Voulez-vous renforcer la formulation ? Nul doute que sur ce point tous les membres de la mission soient prêts à vous suivre ; nous ferons le nécessaire. Sur la proposition n° 20, relative aux groupes, je suis totalement d'accord avec vous. J'ai été parmi les premiers à interpeller sur ce point le Gouvernement, qui a répondu à l'Assemblée nationale, puis ici, au Sénat. J'ai même établi un calcul, proposé des amendements. On ne peut plus m'opposer aujourd'hui qu'il faut attendre les chiffres : on les a. La proposition que je formule ici est précisément faite pour susciter des amendements. Les associations d'élus sont derrière nous, l'AMF comme l'AdCF, et je suppose que celles des départements et des régions aussi. Vos propos nous renforcent dans notre détermination.
M. Michel Delebarre. - Ces dernières années ont vu se multiplier les consultations juridiques dans les groupes pour savoir quelle structuration permettait d'éviter certaines impositions locales...
M. Charles Guené, rapporteur. - Aujourd'hui, on peut mesurer les effets géographiques de la chose, on sait à qui profite le crime.
M. Philippe Dallier, président. - Ne conviendrait-il pas de durcir la proposition ?
M. Michel Delebarre. - Les termes du rapporteur dans sa présentation, spécifiant que les adaptations devraient aller « dans le sens d'une plus juste répartition territoriale », me conviennent.
M. Charles Guené, rapporteur. - Le rapport précise que dès que nous aurons obtenu l'ensemble des informations...
M. Michel Delebarre. - Cela peut durer dix ans !
M. Charles Guené, rapporteur. - On peut améliorer la rédaction.
M. Philippe Dallier, président. - Rendez-vous à l'automne !
M. Charles Guené, rapporteur. - Je suis sensible, enfin, à votre argument sur la règle Seveso, mais le fait est qu'à l'instant t, Seveso est compensé.
M. Michel Delebarre. - Par quoi ?
M. Charles Guené, rapporteur. - Par le FNGIR. Le seul problème que pourrait susciter ma proposition tiendrait au moment de la bascule. Quid des établissements qui s'implanteraient entretemps ?
M. Michel Delebarre. - Pour certaines installations fortement concernées, la DRIRE n'est pas en état de dire exactement quels périmètres d'immeubles sont en cause. Preuve qu'il n'y a pas compensation, l'on n'a pas même une réelle connaissance de ce que seront les perturbations. Je crains que la référence à la taxe professionnelle des années précédentes ne serve pour solde de tout compte.
M. Charles Guené, rapporteur. -Vous avez les mêmes ressources que s'il n'y avait pas eu de modification.
M. Michel Delebarre. - Il s'agissait de ressources en croissance, contrairement aux dotations de compensation.
M. Charles Guené, rapporteur. - C'est pourquoi il faut, avec les nouvelles recettes, procéder autrement.
M. Michel Delebarre. - Il fallait faire autrement déjà avant. Voilà ce qui me préoccupe...
M. Charles Guené, rapporteur. - Vous revenez alors sur l'ensemble du dispositif.
M. Michel Delebarre. - Votre rapport est d'une grande qualité, pourquoi ne pas l'améliorer encore ?
M. Charles Guené, rapporteur. - Il a déjà été modifié et l'incertitude a régné pendant plusieurs années : n'allons pas tout bousculer, sur le FNGIR ou sur la DCRTP.
Du fait de la réforme, le facteur économique joue moins dans la richesse des collectivités territoriales - en tendance, car à l'instant t, la compensation est entière. Seuls les autres éléments continueront à évoluer. Nous proposons d'augmenter le facteur richesse économique, sinon les territoires deviendront moins accueillants. Aller plus loin ne serait pas réaliste.
M. Michel Delebarre. - Votre rapport n'est pas irréaliste et ne le deviendrait pas s'il incluait mon observation. Mon agglomération compte 16 sites Seveso et non des moindres. A Saint-Pol-sur-Mer, la discussion sur le périmètre de risque porte sur un tiers de la surface communale. Quels immeubles entrent dans le périmètre de risque ? Je vous rappelle que les coûts induits sont pris en charge à égalité par l'entreprise, l'Etat et les collectivités. Dans mon bloc Seveso, les nouvelles entreprises Seveso seront marginales pendant longtemps.
M. Charles Guené, rapporteur. - La CVAE est actuellement peu dynamique, en raison de la conjoncture : il est dès lors difficile de porter un jugement global sur la réforme. Mais, monsieur Delebarre, si une partie des recettes est dynamique, dans un secteur comme le vôtre, cela fait encore une belle progression par rapport à d'autres territoires.
M. Michel Delebarre. - Je suis prêt à donner des sites Seveso.
M. Charles Guené, rapporteur. - Je suis prêt à vous en prendre.
M. Michel Delebarre. - Acceptez d'analyser la question que je vous soumets.
M. Charles Guené, rapporteur. - Je vous fais une proposition. Nous ne sommes pas favorables à la création d'autres IFER ; cependant, si dans certains secteurs les disparités sont trop fortes, peut-être pourra-t-on envisager un autre système de prélèvement. Mais ne prenons pas le risque de faire exploser le système.
M. Michel Delebarre. - C'est un vrai risque Seveso !
M. Charles Guené, rapporteur. - Vous pouvez adjoindre au rapport une contribution. Pour ma part, je dois me préoccuper de la cohérence globale du rapport.
M. Michel Delebarre. - Le résumé des 25 propositions mentionne les difficultés « ressenties » par les collectivités territoriales. Ce terme affectif est-il approprié ?
M. Charles Guené, rapporteur. - Nous pourrions parler des difficultés éprouvées par les collectivités territoriales. Toutefois, il y a beaucoup de ressenti dans cette affaire.
M. Michel Delebarre. - Les élus locaux ont surtout le sentiment qu'elle n'aura pas une issue très favorable. Parlons des difficultés auxquelles sont « confrontées » les collectivités.
M. Charles Guené, rapporteur. - Le texte du rapport va plus loin que le résumé, soyez rassuré. Nous parlerons des « difficultés des collectivités territoriales ».
M. Jean-Claude Frécon. - J'approuve la philosophie de ce rapport, qui me semble équilibré - je n'ai pu en prendre connaissance avant aujourd'hui. Je voudrais cependant rappeler que dans nos déplacements comme lors des auditions, nos interlocuteurs ont souvent signalé la grande rapidité de mise en oeuvre de la réforme.
M. Philippe Dallier, président. - Cela est souligné dans le rapport.
M. Jean-Claude Frécon. - Il serait bon que le résumé le mentionne mieux.
Vous dites que le Sénat a beaucoup modifié le texte, encore faut-il préciser pourquoi. C'est la faute du Gouvernement, qui a travaillé sans simulations - nous en avons obtenu trois jours avant la décision définitive. Nous avons naturellement réagi au silence du Gouvernement.
M. Guené parle de réforme mûrie depuis longtemps. La crise financière a débuté à l'automne 2008 et le 6 février 2009, le président de la République annonçait la suppression de la taxe professionnelle. Au Comité des finances locales, nous avons beaucoup interrogé les ministres : Mme Lagarde ne savait nous dire quelle serait exactement la charge pour l'Etat. Entre 5 et 11 milliards d'euros, la fourchette était large. Il est donc normal que le résultat, 8 milliards, s'inscrive bien dedans. Les deux ministères en charge de la question ont encore dans leurs calculs quelques centaines de millions d'euros d'écart... Comble de l'imprécision, Mme Lagarde nous affirmait que 99 % des entreprises seraient gagnantes. Votre rapport indique que 20 % y ont perdu. Précipitation et absence de simulation, j'aimerais que ces points soient mentionnés dans le résumé comme dans le rapport.
Je suis d'accord avec M. Delebarre, il faut une politique industrielle globale. C'est important pour les implantations de sites Seveso.
Enfin, le FNGIR vise à opérer un rééquilibrage entre ceux qui ont trop gagné et ceux qui ont trop perdu. Mais là encore, aucune simulation. Dans mon département, deux communautés de communes, qui ne sont pas parmi les plus grosses, ont vu leurs recettes augmenter. Une communauté de 15 000 habitants y perd 20 % de ses nouvelles recettes, 700 000 euros confisqués par le FNGIR.
M. Philippe Dallier, président. - On ne peut pas dire cela.
M. Jean-Claude Frécon. - Cela se passe pourtant ainsi.
M. Philippe Dallier, président. - L'idée était que la réforme soit neutre...
M. Jean-Claude Frécon. - Dans le même temps, la plus grosse communauté de communes, disposant d'une richesse fiscale quinze fois supérieure, a perdu des recettes ; par conséquent, le FNGIR lui a versé 3 millions d'euros. Comment les élus et la population ne diraient-ils pas qu'on leur a pris ce qui, dans la réforme, pouvait les avantager, pour le donner aux très riches. C'est incompréhensible !
M. Charles Guené, rapporteur. - Plus on m'en prend, plus je suis content.
M. Jean-Claude Frécon. - Si les simulations avaient été disponibles, on aurait pu ajuster la réforme.
La France a signé une charte européenne de l'autonomie locale en 2005 : chaque collectivité territoriale doit avoir prise sur au moins une part de ressources. La région a été amputée de tout ou presque son pouvoir de décision en matière fiscale ; la situation affecte aussi, bien que moins fortement, les autres collectivités. Avec cette loi, nous n'avons pas conservé l'autonomie des collectivités territoriales, de sorte que nous sommes à présent en contradiction avec la charte acceptée en 2005.
M. Charles Guené, rapporteur. - Nous avons signalé dans le rapport la rapidité de mise en oeuvre de la réforme. Les témoignages sur ce point ont été éloquents et nombreux. Quant aux imprécisions qui en ont résulté, longuement décrites dans notre travail, j'apporterai tout de même un bémol. Les calculs existaient pour les dispositions initiales. Mais nous avons considérablement modifié le texte du Gouvernement. Je puis donc comprendre qu'il n'ait pas été très efficace pour nous communiquer les renseignements que nous demandions, cela ne lui était pas si facile.
Au Comité des finances locales, M. Gilles Carrez, qui disposait de simulations, hésitait à les communiquer : valait-il mieux raisonner sur les principes ou sur des simulations ? Dans notre rapport, nous demandons à l'Etat informations et indicateurs.
L'écrêtement par le FNGIR peut paraître spoliant, mais l'écrêtement est préférable à la compensation...
M. Jean-Claude Frécon. - Il faut considérer les recettes par habitant.
M. Charles Guené, rapporteur. - Non, car il y a la compensation derrière.
M. Philippe Dallier, président. - Il y a tous les cas de figure.
M. Charles Guené, rapporteur. - Oui, certaines communes sont écrêtées bien que pauvres, d'autres compensées bien que riches. C'est bien pourquoi une voiture-balai est utile, pour corriger cela. La péréquation n'en est qu'à ses balbutiements, et je compte sur vous pour qu'elle ne reste pas lettre morte. Les collectivités territoriales n'ont plus de vision, ai-je entendu : les entreprises et la nation non plus !
M. Michel Delebarre. - Ce n'est pas parce que vous rencontrez quatre aveugles que vous devez crever les yeux à la cinquième personne que vous rencontrez.
M. Charles Guené, rapporteur. - La Constitution exige l'autonomie non pas fiscale, mais financière. Nous avons cependant consacré un large développement à la perte de l'autonomie fiscale, cela ne nous paraît pas hors sujet. Nous avons dit ce que nous pensons de la situation, celle du bloc communal comme du département et de la région.
M. Jacques Mézard. - J'avais demandé la création de cette mission parce que j'estimais qu'il fallait faire le bilan des conséquences d'une décision extrêmement importante pour les entreprises et pour les collectivités. Je ne doute pas que ce rapport nourrira le travail de la nouvelle ministre Mme Escoffier.
La décision de supprimer la taxe professionnelle a été sinon brutale, du moins rapide. L'absence de préparation était également manifeste, sinon le Parlement n'aurait pas eu à réécrire toute la copie. Aucune simulation n'était réalisée ou communiquée. Tout cela a provoqué bien des difficultés.
Le gouvernement affichait l'objectif de faciliter la création d'emplois et le développement économique. A quel coût pour l'Etat ? Cet effort a-t-il vraiment profité aux entreprises et atteint son but ? Partiellement, sans doute, mais pas totalement.
Décentralisation et autonomie fiscale, il y a là un sujet à traiter d'urgence, car la situation actuelle est anormale, contraire à l'esprit de la décentralisation. Il y a aussi l'égalité des territoires, dont je ne suis pas convaincu que la réforme la fasse progresser sensiblement - d'où l'exigence de la péréquation. CVAE en Ile-de-France, fonctionnement du FNGIR qui entraîne des distorsions d'une collectivité à l'autre, autant de situations atypiques à regarder de près.
La taxe professionnelle, qui, selon M. Guené, n'était pas plus simple, était plus lisible, notamment pour les intercommunalités. Aujourd'hui, une recette a été remplacée par sept autres... Je ne dresse pas le procès de la démarche du Gouvernement et je doute que l'on revienne un jour à l'ancien impôt. Mais tout de même, on nous avait annoncé que la CVAE augmenterait de 4 % de façon régulière, c'est écrit ! On nous disait à l'époque que le nouvel impôt avait vocation à progresser plus rapidement que la taxe professionnelle : on nous prenait pour des dindons et je n'étais pas dupe de ce qui se passait. Il est nécessaire d'améliorer le système en gardant à l'esprit les problèmes que j'ai cités.
La péréquation horizontale serait une voiture-balai ? Pour l'instant, c'est à peine une petite pelle. Donnons-lui toute sa place.
M. Dominique de Legge. - Avec sa structure pointant les principaux partenaires de la réforme, le rapport a une dimension pédagogique remarquable. Il faut en effet remettre la mesure dans son contexte et se souvenir des objectifs, pour le financement des collectivités territoriales et pour les entreprises.
Je rejoins M. Delebarre sur le FNGIR. Les plus inquiets à l'origine sur celui-ci sont souvent ceux qui ont eu les meilleures surprises avec le FPIC. Chacun souhaite, naturellement, prévoir ses recettes. Faut-il pour autant être choqué d'une certaine corrélation entre réalité économique et évolution des ressources locales ? Du reste, cela n'est pas propre à la CVAE : tout Gouvernement est confronté à cette réalité et le sera, quand il abordera la question des dotations aux collectivités territoriales.
Je ne suis pas certain qu'une troisième vague de décentralisation se traduise par plus d'autonomie fiscale, car pour chaque transfert, nous voudrons tous des dotations de compensation. Plus il y aura de dotations et de péréquation, et moins nous aurons d'autonomie fiscale. Ce qui ne signifie pas moins d'autonomie financière. Dans mon département, où les personnes âgées sont nombreuses, pour financer l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), il nous faudra bien une péréquation, le montant des prélèvements possibles n'y suffira pas.
Sur la répartition de la CVAE (mesure n° 20), je m'interroge, car certaines entreprises, qui ont beaucoup de salariés dans ma collectivité, en déclarent très peu sur ce territoire. Il faudra regarder de plus près les règles d'affectation.
Le rapport présente des pistes pour faire évoluer la réforme. Personne ne songe à revenir à l'ancienne taxe. Les auteurs posent les bonnes questions auxquelles il convient maintenant de répondre.
M. Charles Guené, rapporteur. - Après réflexion, je propose de mentionner dans le résumé « la réforme adoptée dans des conditions d'extrême rapidité ».
La complexité de la réforme, dont M. Mézard a parlé, a été ressentie en particulier dans les services fiscaux territoriaux qui, soit dit en passant, ont accompli un gros travail.
Quant à la lisibilité, n'y a-t-on pas plutôt gagné ? L'imposition économique passait beaucoup plus, naguère, par le filtre de l'Etat, lequel contribuait pour la moitié aux recettes de taxe professionnelle, selon des mécanismes incompréhensibles. En revanche, reconnaissons que les impôts étaient mieux affectés dans le texte initial, dont nous n'avons pas voulu.
Le rapport Durieux se référait à des périodes fastes. Le produit de la taxe professionnelle entre 2002 et 2009 a augmenté en moyenne de 3,3 % par an, contre 4,2 % par an annoncé pour la nouvelle imposition. La CFE restera à 3,9 % comme entre 2002 et 2009 ; il n'est pas certain que ce niveau ne soit pas maintenu, dans une période pourtant très défavorable.
M. Philippe Dallier, président. - Je signe tout de suite.
M. Charles Guené, rapporteur. - On a dit que cet impôt était collé à la réalité économique, or nous ne sommes pas aidés par la conjoncture.
Je suis en phase avec les propos et particulièrement la conclusion de M. de Legge. Nos vingt-cinq propositions balaient le spectre des questions que nous nous posons, le rapport ouvre le débat sur la nouvelle fiscalité et la nouvelle gouvernance des finances publiques.
M. Philippe Dallier, président. - Il nous reste à nous prononcer sur le rapport et sur sa publication.
M. Michel Delebarre. - Notre sentiment est plutôt positif sur le travail accompli, et nous sommes d'accord globalement avec les pistes ouvertes. Je ne vois pas pourquoi nous nous opposerions à l'adoption du rapport.
M. Charles Guené, rapporteur. - Nous sommes en phase, du reste, avec la ministre Mme Escoffier.
M. Jean-Claude Frécon. - Le rapport traduit bien ce que furent nos discussions et nos travaux.
M. Dominique de Legge. - Il suffira d'annexer au rapport le compte rendu afin que l'information soit complète.
La mission commune d'information adopte le rapport à l'unanimité de ses membres présents et en autorise la publication.