Mardi 12 juin 2012
- Présidence commune de M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes, M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, et de M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable -Examen de deux propositions de résolution européenne sur la réforme de la politique commune de la pêche - Rapports de M. Joël Guerriau
La commission, lors d'une réunion conjointe avec la commission des affaires économiques, la commission du développement durable et la délégation sénatoriale à l'Outre-mer examine deux propositions de résolution européennes :
- n° 575 (2011-2012) de MM. Maurice Antiste, Charles Revet et Serge Larcher, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, visant à obtenir la prise en compte par l'Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises (E 6449 et E 6897),
- et n° 580 (2011-2012) de M. Joël Guerriau, Mme Odette Herviaux, MM. Gérard Le Cam, Bruno Retailleau et Charles Revet, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la réforme de la politique commune de la pêche (E 6449, E 6448 et E 6897).
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Cette réunion a une configuration inédite puisqu'elle rassemble les commissions des affaires économiques, du développement durable et des affaires européennes. En outre, la délégation sénatoriale à l'outre-mer a été conviée. Je vous prie d'ailleurs d'excuser nos collègues de l'outre-mer qui n'ont pu nous rejoindre, du fait des élections législatives.
La date retenue n'est pas idéale mais elle a été choisie pour que nous puissions tenir en juillet en séance publique un débat sur la réforme de la PCP, après que la commission des affaires européennes et que la commission des affaires économiques, saisie au fond, auront examiné les propositions de résolution européennes sur ces sujets.
M. Daniel Raoul président de la commission des affaires économiques. - La situation est inédite mais je pense qu'il s'agit de la première d'une série de réunions communes parce que nous aurons encore à connaître ensemble de nombreux sujets, qu'il s'agisse de la PAC, de la politique énergétique ou de la politique industrielle.
La commission des affaires économiques a souhaité constituer, en avril, un groupe de travail en commun avec la commission du développement durable, composé de Bruno Retailleau et Gérard Le Cam pour notre commission et Odette Herviaux et Charles Revet pour la commission du développement durable. Joël Guerriau, en charge du dossier de la pêche à la commission des affaires européennes, s'est associé à ce groupe de travail qui a procédé à de nombreuses auditions pour aboutir au dépôt d'une résolution dont nous débattrons aujourd'hui sur le rapport de Joël Guerriau. A l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes seule se prononcera par un vote.
La commission des affaires économiques, compétente au fond, procédera dans deux semaines à l'examen du texte adopté aujourd'hui, sur le rapport de Bruno Retailleau, pressenti comme rapporteur en avril et que je vous demande de confirmer. Le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé au lundi 25 juin à 15 heures.
La réforme de la politique commune de la pêche présente, outre des spécificités propres à l'outre-mer, des enjeux très importants pour celui-ci, d'où le travail important conduit par la délégation à l'outre-mer ayant abouti au dépôt d'une proposition de résolution, qui nous sera présentée par Charles Revet. Là encore, le débat pourra s'ouvrir sur le rapport de Joël Guerriau au nom de la commission des affaires européennes, laquelle se prononcera ensuite sur son adoption. Puis, toujours selon le même calendrier que pour la première proposition de résolution, mais cette fois-ci sur le rapport de Serge Larcher que je vous propose de confirmer, notre commission se prononcera également le mercredi 27 juin.
Nous pourrons ainsi demander l'inscription à l'ordre du jour de la session extraordinaire d'un débat en séance publique sur la réforme de la politique commune de la pêche. Les enjeux sont suffisamment importants dans l'hexagone, comme pour les régions ultrapériphériques, pour justifier d'un tel débat en juillet, afin de peser sur les négociations communautaires.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. - La pêche participe à la gestion durable des ressources de notre planète.
Parmi les seize recommandations que nous avons formulées dans le récent rapport d'information « Rio + 20 », la cinquième concerne la prise en compte des spécificités de l'outre-mer.
Pour le reste, je tiens à rendre hommage au travail qui a été accompli par les trois commissions qui auront encore l'occasion de travailler ensemble.
M. Joël Guerriau, rapporteur. - La première proposition de résolution concerne la proposition de réforme de la politique commune de la pêche (PCP) qui devrait être adoptée par le législateur européen début 2013. La seconde proposition porte sur les incidences de la réforme de la PCP sur la pêche dans les territoires ultra-marins.
La réforme de la PCP s'est imposée comme une évidence, tant le dispositif mis en place en Europe a montré ses limites. La première grande organisation de 1983 visait à accroître les capacités de production. La réforme de 2002 a opéré un virage à 180 degrés afin de réduire les prises. Dix ans après cette réforme, le constat est sévère. Selon la Commission, la réglementation a seulement permis d'éviter une évolution catastrophique des prises. Le bilan est donc plus que modeste.
La Commission a préparé sa nouvelle réforme en publiant un Livre vert en avril 2009. En juillet 2011, elle a présenté un « paquet législatif », destiné à réformer la PCP. La Commission européenne dresse un constat d'échec tant sur le plan environnemental qu'économique de la PCP. Son objectif est de lutter plus efficacement contre la surpêche, qu'elle considère comme généralisée dans les eaux européennes, et à réduire la surcapacité des flottes de pêche.
Le Sénat a pris sa part dans ce débat en adoptant le 16 juillet 2010, à la suite de la publication du Livre vert, une résolution européenne critiquant en particulier le projet de quotas individuels transférables. Nous avons également participé aux réunions interparlementaires organisées sur cette question. Avec Odette Herviaux et deux collègues députés nous avons pu, à Bruxelles, constater les points d'accord et de divergence avec nos partenaires.
La dernière initiative de la Haute assemblée a été de constituer un groupe de travail commun aux commissions des affaires économiques, du développement durable et des affaires européennes afin de vous présenter cette proposition de résolution.
Tout d'abord, nous considérons que le diagnostic de la situation de la pêche établi par la Commission est discutable. Les avis scientifiques sur l'état de la ressource halieutique sont très controversés. A peine la moitié des stocks sont aujourd'hui connus, avec des marges d'erreur importantes. Les effets du changement climatique sur les eaux augmentent les difficultés de prévision. De même, le jugement sur la surcapacité est contestable. L'expertise scientifique doit donc être renforcée et les travaux menés en étroite collaboration avec les pêcheurs.
Ensuite, nous pensons, comme la plupart des autres États, que le délai pour atteindre le rendement maximal durable (RMD) ne pourra pas être tenu. Le RMD représente ce qui peut être capturé chaque année sans affecter le renouvellement du stock. Il y a un accord général sur l'objectif de parvenir à organiser une pêche durable « en ramenant l'exploitation des stocks halieutiques à un niveau compatible avec la production maximale équilibrée ». La Commission européenne propose d'atteindre le RMD pour toutes les espèces dès 2015. Il ne saurait être question de nier l'intérêt et même la nécessité de fixer une date butoir accompagnée d'un échéancier, pour éviter tout dérapage. Néanmoins, fixer un butoir général pour toutes les espèces semble irréaliste. Il convient de privilégier une approche pêcherie par pêcherie, concertée avec les scientifiques et les pêcheurs, et il paraît plus raisonnable d'envisager le RMD entre 2015 et 2020 au plus tard.
En troisième lieu, nous refusons une régulation des flottes par les concessions de pêche transférables (CPT). Le système actuel des quotas a plusieurs inconvénients : fondé essentiellement sur l'antériorité, il ne prend en compte ni les façons de pêcher, ni les rejets, ni l'emploi. Cependant, le système proposé par la Commission, fondé sur les quotas individuels transmissibles, est encore pire.
Les expériences menées dans plusieurs pays montrent que les CPT conduisent à concentrer les droits de pêche au détriment de la pêche artisanale, pourtant principal vivier d'emplois. La mise en place des CPT affaiblirait les organisations de producteurs, si utiles au secteur, qui seraient remplacées par le seul jeu des marchés. Il est néanmoins peu probable que cette proposition de la Commission soit suivie d'effet car une large majorité d'États membres s'est prononcée contre les CPT obligatoires, préférant laisser à chaque État, la possibilité de choisir son système de distribution des droits de pêche.
En quatrième lieu, nous nous opposons à l'interdiction des rejets. La pêche reste une activité de production aléatoire puisque le pêcheur remonte souvent des prises accessoires indésirables. L'importance de ces prises dépend beaucoup des types et des modes de pêche : le chalutage profond présente plus de risques de prises accessoires que la pêche des poissons de mer du Nord rassemblés en colonnes d'eau. Les quotas, calculés au débarquement, provoquent eux-mêmes des rejets. Il y a là un gâchis économique, écologique et alimentaire incontestable. La Commission propose d'interdire purement et simplement les rejets, en obligeant les navires à ramener à terre tout ce qu'ils ont pêché. Cette approche est préoccupante parce que les navires ne sont pas adaptés pour ramener à terre toutes leurs prises. La solution consistant à valoriser les rejets résiduels par la confection de farine de poisson ne fait que donner une valeur économique dérisoire aux prises accessoires sans répondre au défi environnemental. La solution passe par une réduction des rejets via une meilleure sélectivité des engins de pêche. Là encore, l'approche régionale par pêcherie est meilleure que l'application d'une norme uniforme décidée à Bruxelles.
Enfin, la réforme de l'Organisation commune des marchés (OCM) supprime les soutiens au stockage et les dispositifs d'intervention en cas de perturbation des marchés. Même si les prix de retrait étaient souvent dérisoires, ce filet de sécurité était une assurance pour les pêcheurs. Nous regrettons aussi que la réforme soit pratiquement muette sur les conditions de concurrence internationale auxquelles les pêcheurs européens doivent faire face.
La nouvelle OCM renforce l'information du consommateur. Les données actuelles sur les lieux de pêche (type « pêche Atlantique Nord Est ») sont inadaptées. Pour ne pas assommer le consommateur avec des données inutiles, une information plus pertinente est nécessaire.
Enfin, la réforme transforme le Fonds européen pour la pêche (FEP) - apprécié par les pêcheurs - en un Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) dont l'objet est plus large puisqu'il traite de la politique maritime de l'Union. Cette extension paraît opportune mais il faudra veiller à ce que le volet pêche ne soit pas « cannibalisé » par les dépenses portant sur l'espace et l'environnement. Ce fonds doit permettre d'améliorer les flottes et pas seulement d'accompagner la cessation d'activités. Cette amélioration doit concerner en particulier les domaines sociaux et environnementaux, comme la réduction de la consommation d'énergie des navires.
En fonction de ces considérations, mes collègues et moi-même avons présenté cette proposition de résolution que notre commission pourrait reprendre à son compte.
M. Bruno Retailleau. - Nous approuvons les conclusions du rapporteur.
La France compte plus de 5 000 kilomètres de côtes, d'où une histoire, des traditions, mais aussi un avenir et une économie spécifiques. Or, la pêche a trop souvent servi de monnaie d'échange avec d'autres intérêts européens, ce qui n'a pas été bien vécu par cette profession.
Les propositions de la Commission doivent être plus pragmatiques et plus nuancées. Cette réforme repose sur deux hypothèses : il n'y pas assez de poissons et trop de pêcheurs. Il ne peut bien évidemment y avoir de pêche durable si le stock ne se reconstitue pas, et nous sommes tous d'accord avec la notion de RMD. Mais les stocks halieutiques sont-ils réellement en danger ? Moins de la moitié de ces stocks ont fait l'objet d'évaluations scientifiques à peu près incontestables et sur cette moitié, le quart des stocks court un risque de sécurité biologique. Le 8 juin, la Commission a publié un document attestant la surpêche de certaines espèces, mais constatant que d'autres deviennent plus abondantes, comme le merlan bleu, le sprat ou le cabillaud. Il faut donc nuancer le jugement. Il est possible de demander des sacrifices à une profession, mais en s'appuyant sur des données scientifiques incontestables, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Nous devons donc encourager la co-expertise car scientifiques et pêcheurs sont capables de s'entendre, pour peu qu'on leur en donne l'occasion.
La Commission estime que la flotte de pêche est trop importante, mais en dix ans, le nombre de navires français a diminué de plus de 20 %. Avec 20 000 pêcheurs, nous approchons d'un seuil en deçà duquel le métier pourrait disparaître. D'ailleurs, les patrons pêcheurs artisanaux ont déjà beaucoup de mal à recruter. Depuis 10 ans, les débarquements se sont réduits de 25 % tandis que nos importations progressaient de 50 %. L'Europe importe deux tiers de sa consommation et la France plus de 75 %. La pêche artisanale va mal et les bateaux vieillissent : tentons d'éviter la disparition non pas des poissons mais des pêcheurs.
Le RMD repose sur un bon principe, mais les modalités doivent être échelonnées, pêcherie par pêcherie. La marchandisation des droits de pêche est inacceptable : privatiser les stocks, qui sont un bien collectif, et demander au marché d'en assurer la régulation n'est pas admissible. L'interdiction des rejets est effectivement une fausse bonne idée. Ce n'est pas en ramenant les rejets dans des bateaux qui ne sont pas prévus pour cela et qui risquent de chavirer ni en développant une filière minotière que l'on va améliorer la situation : la sélectivité des prises doit en revanche être encouragée.
Le FEAMP reste enfin trop modeste : il devra encourager l'installation des jeunes et la modernisation des bateaux, mais aussi leur déchirage, quand il est inévitable.
Ce problème est crucial : l'avenir de la pêche est en jeu.
Mme Odette Herviaux. - Dès la parution du Livre vert en 2009, nous avions fait des propositions quasi-identiques à celles que nous défendons aujourd'hui. A l'époque, nous étions contre les quotas individuels transférables (QIT) et ce n'est pas le changement de dénomination en CPT qui va modifier notre point de vue, d'autant que nous disposons aujourd'hui du bilan des expériences menées en Islande, dans les pays baltes et au Danemark qui prouve que nous avions tout à fait raison de nous méfier de cette marchandisation des droits de pêche.
Nous devrons réguler la ressource, tout en préservant l'emploi, les différents types de pêche et le développement durable. La Commission a une vision souvent trop restrictive en ce qui concerne la préservation des espèces marines. On peut au moins demander que chaque État puisse gérer ses CPT comme bon lui semble.
Le RMD est un bon instrument mais nous ne pouvons l'approuver dans la mesure où il concerne toutes les espèces et doit entrer en application trop rapidement. Ce n'est pas ainsi que nous règlerons le problème de la surpêche ou de la surcapacité de la flotte européenne, d'autant que les définitions que la Commission en donne ne nous conviennent pas. Nous estimons en effet que de gros efforts de sélectivité ont déjà été faits, notamment en France. Nous avons constaté lors de nos différentes auditions que les positions des chercheurs français et européens différaient singulièrement. D'ailleurs, moins de la moitié des stocks est suivie et a fait l'objet d'un véritable diagnostic : à peine un quart est exploité au-delà du seuil de sécurité biologique et moins de la moitié est au niveau des RMD ou légèrement au-dessus. Ne confondons donc pas le RMD avec le seuil de sécurité biologique. Certaines émissions de télévision ou de radio donnent une vision apocalyptique de la pêche, qu'il conviendrait de nuancer, en tous cas pour ce qui concerne l'Europe. Les expertises scientifiques mériteraient d'être renforcées en y associant les pêcheurs.
La position européenne en matière de rejets est une ineptie écologique. En voulant interdire les rejets, on risque d'aboutir au résultat inverse, en encourageant une pêche minotière et en décourageant les efforts de sélectivité engagés depuis des années. Enfin, les rejets en mer permettent de nourrir les autres espèces : c'est le cycle de la vie.
Le Parlement européen et la Commission auraient tout intérêt à prendre en compte nos critiques : de nombreux pays ont d'ailleurs une approche proche de la nôtre. Il y va de l'avenir de la pêche. On ne peut mettre en place une politique environnementale liée au milieu marin sans l'adhésion de la profession. Ainsi, cette semaine, plusieurs comités régionaux des pêches se sont déclarés opposés à la création d'un nouveau parc naturel marin : il faut éviter d'instaurer des contraintes sans contreparties, car chacun doit trouver sa place.
M. Gérard Le Cam. - Certaines règlementations concernant la pêche relèvent du niveau mondial ; 70 % des océans sont encore soumis à la loi du plus fort. Pour autant, la règlementation européenne ne doit pas avoir pour seule logique la marchandisation ni, d'ailleurs, le tout écologique qui se feraient au détriment de l'emploi et de la pêche côtière.
Cette proposition de résolution va dans le bon sens puisqu'elle critique à la fois le constat et le diagnostic de la Commission.
A juste titre, le groupe de travail a inclus un volet social dans sa proposition : en dix ans, le secteur a en effet perdu 20 000 emplois et, en vingt ans, l'Union aura dépensé 3,5 milliards d'euros pour casser les petits bateaux au profit de navires usine gigantesques.
Nous déposerons des amendements pour enrichir la proposition de résolution, notamment en matière sociale - durée de travail, rémunérations, effectifs, accidents du travail. Nous reviendrons aussi sur la pêche artisanale qui n'est pas suffisamment prise en compte ici. La pêche côtière est un atout pour la vie économique et touristique de nos côtes, notamment bretonnes.
Nous déposerons aussi des amendements en faveur de la formation et de l'installation des jeunes afin que la profession demeure attractive.
Enfin, nous reviendrons sur la gestion des criées : la pêche s'oriente vers les espèces qui se vendent tandis que le reste est rejeté, ce qui est regrettable. A Saint-Malo, une association d'insertion récupère les invendus des criées pour les surgeler puis les orienter vers l'aide alimentaire et les associations caritatives. Le prix payé par espèce aux pêcheurs doit être suffisamment rémunérateur pour éviter des rejets intempestifs en mer, ce qui est un scandale dans un pays importateur.
M. Charles Revet. - Une réflexion globale sur la pêche doit avoir rapidement lieu. La France dispose d'une zone économique maritime quasiment identique à celle des États-Unis et elle importe 85 % de ses besoins en poissons et crustacés : c'est impensable !
J'ai été rapporteur pour la pêche de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, la LMAP : nous avions adopté à l'unanimité un amendement pour que pêcheurs et scientifiques travaillent ensemble, sur les mêmes bateaux. Cette disposition n'a pas été, ou mal, appliquée, tandis que les constats des scientifiques, contestés par les pêcheurs, servent de base à la politique européenne.
Il y a donc un gros travail de réflexion à faire pour que la France puisse profiter de ses atouts.
M. Simon Sutour, président. - Élu d'un département riverain de la Méditerranée je me sens très concerné par ce problème.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Il semble y avoir très peu de cohérence entre la directive cadre sur les milieux marins et la politique européenne de la pêche. Or, la diminution de la ressource tient aussi aux diverses pollutions. La politique de l'environnement définit de grandes zones maritimes et je ne comprends pas pourquoi la politique de la pêche ne fait pas de même. L'état de la ressource par grands territoires mériterait d'être mieux connu. Alors que les observations scientifiques divergent, comment espérer une politique européenne cohérente ?
Le rapport ne mentionne pas la question des aires marines protégées, alors qu'elles permettent de reconstituer les ressources : elles n'ont pas qu'une utilité environnementale. En outre, il faut prévoir des compensations pour les pêcheurs si ces aires les obligent à changer de méthodes de pêche : ils y seraient sans doute plus favorables s'ils percevaient une aide du FEAMP.
L'Europe prétend soutenir les PME mais dans le secteur de la pêche, rien n'est prévu pour valoriser les coopératives ni les petits artisans, si bien que les immenses navires usine, néfastes pour l'environnement, se multiplient, amplifiant par là même les importations.
Je présenterai donc des amendements en faveur des coopératives dont le statut est reconnu par l'Union européenne.
Notre flotte vieillit ; il faut la renouveler. La Caisse des dépôts demande une rentabilité des placements de 15 %, comme le ferait une banque privée, alors que l'aide publique française devrait consolider cette filière. Or, pour l'instant, il n'en est rien et les jeunes commencent à penser qu'il n'y a plus d'avenir pour eux dans ce métier.
M. Jean Bizet. - Je salue le travail du rapporteur. Oui à la valorisation de la pêche artisanale, oui à une expertise scientifique en collaboration avec les pêcheurs. Je soutiens l'approche nuancée du rapport sur les rejets. La médiatisation de ce sujet n'a pas encore eu lieu ; elle sera dévastatrice pour la pêche. La question est pourtant complexe, car les rejets varient selon les modes de pêche, selon qu'il s'agit d'espèces benthiques ou pélagiques. Il faut une approche pragmatique.
L'Union européenne ne reconnaît pas la notion de « pêche artisanale », à laquelle nous sommes tout particulièrement attachés dans la Manche. Le concept européen de « petite pêche côtière », qui exclut les engins remorqués, et donc les nombreux bateaux qui pratiquent le chalutage, ne répond pas à notre situation. Contrairement au précédent, le nouveau règlement du Fonds européen des affaires maritimes et de la pêche, n'y consacre pas d'article spécifique. C'est regrettable, car nos artisans marins-pêcheurs ont besoin de cette reconnaissance.
Je suggère donc d'ajouter à la proposition de résolution un considérant après l'alinéa 15 qui pourrait être ainsi rédigé : « considérant que la petite pêche côtière et la pêche artisanale ont une très grande importance sociale » ; et, après l'alinéa 28, un alinéa ainsi rédigé : « déplore l'absence d'un article spécifique consacré à la petite pêche côtière et demande de rétablir cette individualisation ». Il faudra travailler avec la commission des affaires économiques pour affiner cette notion de pêche artisanale, car derrière de nombreux emplois et la vitalité de nos territoires côtiers sont en jeu.
M. Daniel Raoul, président. - Nous y reviendrons dans quinze jours, lorsque la commission des affaires économiques examinera le texte. Le rapporteur et les membres du groupe de travail seront invités, même s'ils ne font pas partie de notre commission.
M. Michel Delebarre. - La résolution qui nous est présentée me satisfait pleinement. J'aurais même été plus sévère encore pour dénoncer les effets nocifs de la PCP, devenue une caricature de politique européenne. Les délégations de pêcheurs qui se rendaient à Bruxelles se voyaient refuser toute évolution de mesures qui leur avaient été imposées de manière très autoritaire. Je suis très satisfait que la résolution refuse toute régulation de la flotte par concessions de pêche transférables : cette vision par trop libérale risquait d'entraîner de graves dérives.
Une suggestion : que la mise en oeuvre concrète de cette politique soit évaluée tous les ans ou tous les deux ans, afin de s'assurer qu'elle répond bien à toutes nos attentes.
M. Simon Sutour, président. - Je suis d'accord avec vous. Comme l'a rappelé Gérard Le Cam, plus de 3 milliards d'euros pour aboutir à 20 000 suppressions d'emplois, cela mérite qu'on y réfléchisse !
Je propose aux membres de la commission des affaires européennes d'adopter cette proposition de résolution en l'état. Les éventuels amendements seront examinés par la commission des affaires économiques.
M. Jean Bizet. - Cela me convient, du moment que l'on prend acte de ma suggestion.
M. Bruno Retailleau. - Sur le fond, je suis d'accord avec Jean Bizet, mais il faut éviter une formulation qui risquerait paradoxalement d'affaiblir notre position. Pêche artisanale, pêche côtière : ces termes ont des acceptions précises, et ne recouvrent pas la même chose pour nous et pour Bruxelles. Attention à bien ciseler notre rédaction.
Mme Odette Herviaux. - Je partage cette analyse. La pêche côtière n'est pas uniquement artisanale ; de même, la pêche artisanale n'est pas nécessairement côtière. Les différents modes de pêche participent au développement de nos territoires et au maintien de l'activité de pêche et de transformation. Attention à ne pas affaiblir notre position, car la commission Pêche à Bruxelles n'a pas la même interprétation que nous !
M. Joël Guerriau. - Je partage cette position. Il faut être vigilant : selon la définition de Bruxelles, la petite pêche côtière ne concerne que les bateaux de moins de douze mètres, sans engin remorqué et donc sans chalut.
M. Jean Bizet. - À nous de rédiger la proposition de résolution de manière à faire évoluer la politique communautaire. N'est-ce pas le but de toute résolution ?
La proposition de résolution européenne n° 580 est adoptée à l'unanimité par les membres de la commission des affaires européennes.
M. Simon Sutour, président. - Le président du Sénat fait tout son possible pour obtenir l'inscription de cette proposition de résolution à l'ordre du jour de la session extraordinaire de juillet.
Nous passons à la proposition de résolution européenne n° 575 relative à la prise en compte par l'Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises.
M. Charles Revet, auteur de la proposition de résolution européenne. - En l'absence de Serge Larcher, président de la Délégation, et de Maurice Antiste, co-auteur, retenus à la Martinique, il me revient de vous présenter cette proposition de résolution. La pêche est un secteur essentiel pour le développement des DOM, dont les réalités ne sont pas prises en compte par l'Union européenne.
Grâce aux outre-mer, la France dispose de la deuxième surface maritime mondiale. La pêche ultramarine représente 35 % de la flotte artisanale française et 20 % des effectifs de marins-pêcheurs au niveau national, et la Martinique est le premier département de France en matière de pêche artisanale. Localement, le secteur joue un rôle économique et social vital. En Guadeloupe, son poids en termes de chiffres d'affaires est proche de celui des filières de la canne à sucre ou de la banane. Largement artisanale, la pêche ultramarine entretient un véritable lien social du fait de son caractère essentiellement vivrier.
Le secteur est certes soumis à des contraintes importantes : outre l'éloignement de l'Europe continentale, le développement du secteur est freiné par le coût du carburant, les difficultés de financement des entreprises, l'insuffisance des infrastructures portuaires et des structures de transformation, la vétusté des embarcations ou encore, aux Antilles, la pollution des côtes par la chlordécone. Il dispose cependant d'atouts, au premier rang desquels des ressources halieutiques abondantes et souvent sous-exploitées. La pêche dispose d'un potentiel de développement important, tout comme l'aquaculture, à condition de se structurer.
Troisième constat : l'Union européenne ne tient pas compte des réalités de la pêche ultramarine. La dernière réforme de la PCP ne correspond en rien aux réalités ultramarines, alors que la Commission européenne a elle-même souligné que « les RUP possèdent des ressources halieutiques riches et relativement préservées ». Les règles de gestion de la ressource, qui sont au coeur de la PCP, sont euro-centrées, pensées par et pour l'Europe continentale. Pourquoi appliquer aux DOM l'interdiction des aides à la construction de navires, alors que leur flotte est artisanale et vétuste ?
Dans le même temps, l'Union européenne subventionne le développement de la pêche dans des pays potentiellement concurrents. Ainsi, l'accord de partenariat de pêche conclu avec Madagascar prévoit une aide de 550 000 euros par an pour le développement de la pêche malgache ! Pourquoi refuser une telle aide aux DOM ? La pêche des DOM souffre de la pêche illégale pratiquée par des pêcheurs des pays voisins. En Guyane, les zones de pêche sont soumises à une pression constante des pêcheurs brésiliens et surinamais, avec de graves conséquences économiques, écologiques et de sécurité. Enfin, dans le cadre de ses politiques commerciale et de développement, l'Union européenne conclut des accords de libre-échange avec certains pays d'Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique (ACP) qui menacent là encore la pêche des DOM.
La délégation a donc estimé que la réforme de la PCP, dont les principaux volets ne trouvent pas aujourd'hui à s'appliquer dans les DOM, constituait une occasion à saisir pour prendre en compte les réalités ultramarines. La proposition de résolution appelle à faire figurer, dans les projets de textes présentés par la Commission européenne, des dispositions spécifiques aux RUP, en s'appuyant sur l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
Il est indispensable de rétablir la possibilité d'octroyer des aides à la construction de navires dans les RUP. Les flottes ultramarines sont vétustes ; ralentir leur modernisation empêche la mise en service de bateaux plus écologiques et plus sécurisés. Les critères de l'aide au remplacement des moteurs sont inadaptés aux réalités ultramarines : dans les eaux tropicales, l'obsolescence est plus rapide. Il faut rétablir le financement public des dispositifs de concentration de poissons (DCP) ancrés collectifs. Ces dispositifs, qui recréent artificiellement la chaîne alimentaire au fond de l'eau, sont essentiels pour le développement des pêches antillaise et réunionnaise. Il faut enfin créer un comité consultatif régional spécifique aux RUP, afin de permettre aux DOM de faire entendre leur voix au sein de l'Union européenne.
La proposition de résolution appelle également à mieux coordonner la politique commerciale de l'Union européenne avec les autres politiques sectorielles, à commencer par la PCP et la politique de cohésion. Il faut notamment évaluer systématiquement et préalablement les effets sur les RUP des accords commerciaux négociés par l'Union européenne.
Ce texte a fait l'objet d'une approbation unanime au sein de la délégation. La pêche représente un enjeu et un potentiel important pour l'outre-mer : nous souhaitons que la réforme de la PCP en tienne compte.
M. Joël Guerriau, rapporteur de la commission des affaires européennes. - Il est important d'adopter cette proposition de résolution, qui marque la première orientation politique de la délégation. C'est également l'occasion de rappeler que l'article 349 du traité prévoit que l'on tient compte des spécificités des RUP. La PCP n'est pas adaptée à la situation des DOM, qui ne souffrent pas de la rareté de la ressource, mais où la flotte a en revanche besoin d'être rénovée. Il faut marquer la volonté du Sénat de défendre les intérêts des territoires d'outre-mer.
Mme Odette Herviaux. - S'il est des régions où la pêche a toute son importance, c'est bien l'outre-mer. Les aides européennes ont permis certains progrès, mais ceux-ci concernent plus les infrastructures que la mise en sécurité des bateaux, qui sont souvent de très petits esquifs. La commercialisation du poisson est également différente outre-mer : si la consommation y est forte, on achète l'arrivage du jour.
Il faut également veiller à ce que les aides accordées à des pays extracommunautaires ne pénalisent pas nos outre-mer. On subventionne la pêche malgache, mais les pêcheurs de Mayotte, eux, ne perçoivent aucune aide !
M. Michel Delebarre. - Sur la forme, je suggère que l'on introduise un considérant à la première proposition de résolution rappelant le problème des RUP.
M. Charles Revet, rapporteur. - Je me suis posé la question. Attention toutefois à ne pas minimiser les problèmes de l'outre-mer en se limitant à une seule phrase. L'enjeu que représente l'outre-mer est tel, pour la France et pour l'Union européenne, qu'il faut le traiter pleinement !
M. Simon Sutour, président. - Michel Delebarre a une grande expérience des institutions européennes. On sait qu'à Bruxelles, les RUP sont sur la sellette : voyez la place qui leur est faite dans le budget 2014-2020... Il peut être bon de sensibiliser la Commission à la richesse que peuvent représenter les RUP pour l'Union. Je peux témoigner pour ma part de la richesse halieutique fabuleuse de La Réunion, par exemple. Le débat se poursuivra en commission des affaires économiques et en séance. N'oublions pas que les outre-mers sont divers : la situation n'est pas la même à Saint-Pierre-et-Miquelon et aux Antilles ! Pour ma part, je trouve l'idée de Michel Delebarre intéressante. Il faudra songer à un amendement, car nous recherchons avant tout l'efficacité !
La proposition de résolution européenne n° 575 est adoptée à l'unanimité par les membres de la commission des affaires européennes :