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Mardi 6 mars 2012

- Présidence commune de MM. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes, Philippe Marini, président de la commission des finances, et Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire -

Economie, finances et fiscalité - Audition de M. Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Tout d'abord, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation des trois commissions du Sénat - finances, affaires économiques, affaires européennes. Vous êtes chargé, au sein de la Commission européenne, d'un secteur particulièrement important, puisque le Marché intérieur est à la base de la construction européenne.

Vous avez été à l'initiative de textes de grande portée, sur lesquels le Sénat a travaillé ses derniers mois, je pense notamment aux différents textes concernant la régulation bancaire et financière, les agences de notation, ou encore les brevets. Je voudrais, pour ma part, évoquer deux sujets récemment examinés par la commission des affaires européennes.

Le premier concerne les marchés publics et les concessions de service public. Nous avons des inquiétudes car vous aviez promis un cadre juridique assez souple pour s'adapter aux réalités, ce qui nous aurait permis, en France, de conserver la « loi Sapin » qui fait consensus. Or les propositions de la Commission européenne vont au-delà et nous obligeraient à revoir cette loi. Est-ce que nous pouvons espérer que les négociations permettront d'arriver à plus de souplesse ? Vous savez que c'est une préoccupation importante pour les collectivités territoriales que nous représentons.

Deuxième sujet, le texte sur les qualifications professionnelles. Nous n'en avons pas terminé l'examen au fond, mais je voudrais vous signaler deux préoccupations. D'une part, les professions de santé s'inquiètent de certains aspects du nouveau dispositif qui leur paraît trop automatique, alors que les différentes professions de santé n'ont pas la même définition selon les pays. Ils souhaitent également le maintien d'un contrôle des compétences linguistiques des professionnels de santé avant qu'ils ne s'installent dans un autre pays.

D'autre part, et je souhaiterais attirer particulièrement votre attention sur ce point, le notariat estime qu'il doit rester en dehors de la nouvelle directive sur les qualifications professionnelles, comme c'était le cas avec la directive en vigueur, car les notaires participent de l'exercice de l'autorité publique. J'observe d'ailleurs que nos homologues du Bundesrat allemand partagent cette analyse.

Après ces quelques questions, je passe la parole au président de la commission des finances.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Permettez-moi de me réjouir à mon tour d'avoir l'occasion d'entendre Michel Barnier, avec qui nous avions déjà pu échanger, l'année dernière, lors du séminaire annuel de notre commission à Bruxelles. Vous nous aviez fait part de votre programme d'action et de votre volonté de réconcilier les banques avec le financement de l'économie réelle.

Vous le savez la commission des finances examine de très près les chantiers que vous portez sur les questions bancaires et financières.

Voilà quinze jours, nous avons adopté, à l'unanimité, une résolution européenne sur les deux textes relatifs respectivement aux infrastructures de marchés européennes (EMIR) et aux marchés d'instruments financiers (MIF). Juste après votre audition, nous examinerons une proposition de résolution européenne sur les propositions « CRD IV » (Capital Requirements Directive IV), et qui a trait aux exigences réglementaires en matière de fonds propres. Je crois d'ailleurs que la rapporteure générale a conduit hier, à Bruxelles, une série d'entretiens sur le sujet.

La semaine dernière, nous assistions également à une rencontre interparlementaire au Parlement européen sur la mise en oeuvre du Semestre européen. Il apparaît de plus en plus clairement qu'il revient aux parlements nationaux de s'impliquer directement dans la gouvernance de la zone euro. C'est une nouvelle responsabilité que nous devons assumer.

Si j'ai bien compté, ce sont plus de vingt propositions que la Commission européenne a, sous votre égide, déposé sur les questions de régulation bancaire et financière. Le chantier était nécessaire mais il est foisonnant et, souvent, complexe.

Bien que l'envie de vous interroger sur chacune de ces initiatives soit grande, je me limiterai, compte tenu du temps restreint dont vous disposez, à deux questions.

Tout d'abord, nous sommes inquiets de l'évolution réglementaire aux Etats-Unis. La loi Dodd-Frank est entrée en vigueur voilà bientôt deux ans mais les régulateurs continuent de travailler sur les textes d'application. L'Europe ne fait-elle pas cavalier seul au risque de se pénaliser dans la compétition internationale ? S'agissant des normes comptables et des règles de « Bâle III », les Etats-Unis ont des positions bien déterminées, l'Europe, avec ses procédures de décision longues et compliquées, peut-elle alors encore pesée dans le débat ? N'est-ce pas une illustration du décalage entre le temps de la prise de décision politique en Europe et le temps des marchés ?

Ensuite, nous avons assisté il y a quelques semaines à la fin du feuilleton de la fusion « NYSE Euronext - Deutsche Börse », à laquelle la Commission européenne s'est opposée. Par ailleurs, les textes MIF et EMIR devraient s'accompagner de l'émergence de nouveaux acteurs, les référentiels centraux, ou le renforcement d'autres, notamment les chambres de compensation.

J'aimerais connaître votre sentiment sur les conséquences de ces changements sur l'organisation du marché et du post-marché en Europe.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - Parmi les domaines d'action clés identifiés par la Commission européenne dans le cadre de l'Acte pour le marché unique figure le développement de l'entrepreneuriat social. Le 25 octobre 2011, la Commission a publié une communication intitulée « Initiative pour l'entrepreneuriat social ». Elle y présente un plan d'action en trois points :

- premier point : améliorer les conditions de financement en facilitant l'accès aux capitaux privés, en mobilisant les fonds européens et en améliorant la visibilité de l'entrepreneuriat social ;

- deuxième point : développer les outils pour mieux connaître le secteur et dresser une cartographie complète des entreprises sociales en Europe ;

- troisième point : améliorer l'environnement juridique en développant des statuts adaptés aux entreprises sociales, avec notamment la refonte du statut de la coopérative européenne, la création d'un statut de la fondation européenne ou encore le lancement d'une étude sur l'opportunité de légiférer sur le statut des entreprises mutualistes.

Ces questions sont très importantes et nous avons décidé de créer, le 28 février dernier, un groupe de travail « Économie sociale et solidaire » en y associant la commission des affaires sociales.

Je souhaiterais, Monsieur le commissaire, que vous nous disiez quelles sont, à ce jour, les avancées concrètes réalisées dans les domaines que je viens d'énumérer.

Le deuxième point sur lequel je souhaite vous interroger concerne la réforme des règles relatives aux marchés publics, qui s'inscrit elle-aussi parmi les douze actions prioritaires de l'Acte pour le marché unique. Cette réforme propose, en particulier, d'étendre l'accès des PME aux marchés publics. Parmi les mesures envisagées, figurent la réduction de la charge bureaucratique liée au soumissionnement, l'encouragement à l'allotissement et la limitation des exigences de capacité financière requises pour soumettre une offre.

Ne s'agit-il pas là de voies déjà explorées sans avoir donné tous les résultats escomptés ? Pourriez-vous nous indiquer ce que la réforme des marchés publics apporte de vraiment nouveau et prometteur dans ce domaine ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Je limiterai mon propos à la question de la régulation bancaire. A l'issue de votre audition, la commission des finances va se réunir pour examiner mon rapport sur une proposition de résolution présentée par la commission des affaires européennes et consacrée aux projets de règlement et de directive que l'on appelle « CRD IV » et qui sont - pour le dire vite - relatifs à la mise en oeuvre des dispositions de « Bâle III ».

L'un des principes retenus par votre proposition, et que j'approuve, est celui de l'harmonisation maximale - les mêmes règles dans tous les pays -, afin d'éviter les contournements et les zones d'ombre. Cela permettra en particulier au nouveau dispositif européen de supervision de jouer pleinement son rôle. Mais, comme souvent, il faudra surmonter le refus britannique.

Le texte « CRD IV » ne met pas fin à la recherche de solutions pour réduire le risque systémique dans le secteur bancaire. Le Royaume-Uni a édicté la règle Vickers de séparation des activités de banque de détail et d'investissement, selon des modalités juridiques qui restent à préciser. Aux Etats-Unis, la règle Volcker interdit aux banques de spéculer pour compte propre, mais sa mise en oeuvre rencontre des difficultés.

Au niveau de l'Union, vous avez pris une très bonne initiative en créant un groupe de travail dit « Liikanen », chargé d'étudier les différentes réformes du système bancaire pouvant être mises en oeuvre en Europe. Nous y serons évidemment très attentifs car, en France - contrairement aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni -, nous ne nous sommes jamais livrés à un examen critique de notre modèle de la banque universelle. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que vous attendez de ce groupe, sur les conditions dans lesquelles il va travailler et, surtout, quand il rendra son rapport ?

M. Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services. - Messieurs les Présidents, Madame la Rapporteure générale, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Merci pour cette nouvelle invitation collective de la part de vos trois commissions que je connais bien. A titre préliminaire, je tenais à vous dire que mes expériences passées de sénateur et d'élu local me servent tous les jours dans mes fonctions actuelles.

Il y a un peu plus d'un an, le 25 janvier 2011, j'étais venu faire le bilan de ma première année en tant que Commissaire européen.

J'ai voulu revenir aujourd'hui devant vous, avec une ambition très simple : faire le point sur l'action européenne qui me semble parfois méconnue ou passée sous silence.

Je ne suis pas venu vous dire que tout va bien en Europe mais comment l'Europe a fait face depuis deux ans à des crises sans précédent, comment elle a réalisé des avancées majeures et comment elle s'attache à répondre aux vraies questions posées par la crise.

Cela dit, cette succession de crises a conduit l'Europe à proposer des solutions inédites, en matière de gouvernance, de régulation financière et de croissance. Pour la première fois depuis un an et demi, le dernier Conseil européen n'a pas été un conseil de crise. Nous sommes sur la bonne voie.

Ces avancées, trop de candidats, à gauche comme à droite, ont tendance à les nier, ou à se les approprier tout en reprochant à la Commission de ne rien faire.

Je veux ici rétablir la vérité en répondant à trois grandes questions récurrentes :

-  Est-ce que la Commission en fait assez en matière de régulation financière ?

- Est-ce que la régulation financière européenne ne risque pas de pénaliser la croissance ?

- Est-ce que l'Europe est capable de proposer autre chose qu'un projet d'austérité ?

Première question : la Commission européenne en fait-elle assez ? A la lecture de certains programmes, on pourrait en douter, tant ils présentent comme nouvelles des idées qui ont déjà été proposées ou discutées au niveau européen.

Ainsi, il a été proposé de séparer les activités des banques jugées utiles à l'économie de leurs activités spéculatives. Or, voila deux ans que nous mettons en place des règles qui ont précisément pour objet de ramener les banques à leur métier de base - prêter à l'économie.

Quelques faits :

J'ai proposé d'interdire aux banques, dans la révision de la directive sur les marchés d'instruments financiers, dite « MIF », proposée en octobre 2011, de mener des activités spéculatives sur les plateformes de négociation financières qu'elles détiennent elles-mêmes !

Depuis le 1er janvier 2012, grâce à la directive « CRD III », les activités à risque sur les marchés sont strictement encadrées par des garanties exigées des banques. C'était un engagement du G 20, l'Europe l'a mise en oeuvre.

Parallèlement, nous encourageons les prêts à l'économie et notamment aux PME grâce un régime favorable proposé dans la directive « CRD IV » en cours de discussion. J'ai demandé, avec mon collègue Antonio Tajani, à l'Autorité bancaire européenne si on pouvait aller plus loin et j'attends un rapport à ce sujet pour le mois de juin prochain.

S'agissant de la séparation, je crois qu'il faut éviter l'improvisation et la rhétorique. Le modèle des banques dites « universelles » n'a pas provoqué la crise.

Certains considèrent que ce modèle est plus résistant avec ses deux piliers (banque de détail et banque d'investissement) qui permettent une meilleure diversification du risque. Cela dit, c'est une vraie question. Les Britanniques se sont engagés sur la voie d'une séparation entre banque d'investissement et banque de détail. Les Etats-Unis, quand à eux, ont ciblé les activités spéculatives avec la règle dite « Volcker ». J'ai donc demandé à  Erkki Liikanen, président de la banque centrale de Finlande, de conduire un travail approfondi avec un groupe d'experts indépendants pour faire des propositions sur le sujet. Ce groupe de neuf experts, dont le français Louis Gallois, produira un rapport pour la Commission à la fin de l'été. Le but n'est pas de plaquer un modèle sur l'Europe, mais de bien identifier les risques et de définir les moyens les mieux adaptés pour les prévenir.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Excusez-moi de vous interrompre, mais la segmentation des activités bancaires ne conduit-elle pas mécaniquement à augmenter les besoins en fonds propres et, par voie de conséquence, à durcir les conditions de financement de l'économie ?

M. Michel Barnier. - C'est une des questions importantes auxquelles le groupe « Liikanen » devra apporter des réponses objectives. Je ne me prononcerai pas à sa place. Il débute à peine ses travaux.

Un autre point régulièrement évoqué dans le débat présidentiel est la lutte contre les produits toxiques qui enrichissent les spéculateurs et menacent l'économie. Mais l'Europe, et donc la France, a agi !

Désormais, les autorités de contrôle, dont l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), ont le devoir d'interdire tout produit financier toxique. C'est la réforme de la supervision adoptée depuis plus d'un an.

A titre d'exemple, nous avons interdit, sauf dans des cas exceptionnels et très encadrés, la vente à nu des CDS souverains dans notre texte sur les ventes à découvert, adopté fin 2011.

Par ailleurs, nous venons d'aboutir à un accord politique entre le Parlement européen et le Conseil sur l'encadrement des produits dérivés de gré à gré. Ce marché, qui représente des transactions de plus de 600 000 milliards de dollars par an, opère dans la plus grande opacité.

En ce qui concerne les marchés de matières premières, en particulier agricoles, nous avons proposé dans la révision de la directive MIF que toutes les plateformes de négociation soient tenues de mettre en place des limites de position.

Certains nous reprochent de ne pas aller assez loin dans l'encadrement des marchés financiers. J'ai lu attentivement la récente résolution européenne du Sénat sur notre proposition de révision de la directive MIF. J'entends également les observations de  Jean-Pierre Jouyet, président de l'autorité française des marchés financiers. Mais d'autres critiques, venant notamment de certains de ses collaborateurs, me semblent excessives.

Notre proposition constitue un progrès majeur en termes de règles, de transparence et de responsabilité des acteurs.

A ma connaissance, l'Europe est la seule région du monde à aller aussi loin dans les propositions : sur les nouvelles plates-formes de négociation alternatives et pour lutter contre les effets négatifs des innovations technologiques telles que le « trading » à haute fréquence. On peut toujours aller plus loin, mais je propose un texte qui puisse être adopté.

Incidemment, je répondrai à Philippe Marini sur la fusion NYSE Euronext - Deutsche Börse en indiquant que la Commission européenne s'est attachée à appliquer rigoureusement les règles de la concurrence. Bien entendu, cela ne signe pas la fin des regroupements et des alliances dans ce secteur. Qui peut prédire l'avenir, en particulier dans un secteur financier en perpétuel changement ? A cet égard, les nouvelles règles européennes vont elles-mêmes recomposer le paysage financier européen. C'est dans ce cadre prospectif que la Commission européenne doit sans cesse réévaluer les conditions du respect des règles de la concurrence.

Beaucoup de candidats plaident dans cette campagne pour l'encadrement des bonus.

Là aussi, nous avons agi. La directive européenne « CRD III » est en vigueur dans tous les pays de l'Union depuis janvier 2011. Elle exige que le versement des bonus soit étalé dans le temps et lié à une performance à long terme.

Nous vérifions en ce moment la bonne application de ces règles. Je suis prêt à aller plus loin si nécessaire. Par exemple en imposant un ratio chiffré entre la partie fixe et la partie variable de la rémunération, ou entre les rémunérations les plus élevées et les rémunérations les plus basses dans une même banque.

Enfin, beaucoup souhaitent la création d'une taxe internationale sur toutes les transactions financières. Là aussi, je suis très heureux que la Commission européenne inspire à ce point les programmes des candidats ! Notre proposition en la matière date du 28 septembre 2011 : la taxe porterait sur une assiette très large (sur toutes les transactions sur tous les produits financiers, avec des taux de prélèvement très faibles) et elle permettrait selon nos estimations de générer un revenu de 57 milliards d'euros par an.

Deuxième grande question : la régulation financière européenne ne risque-t-elle pas de pénaliser la croissance ?

On tombe ici dans la critique inverse de la précédente.

Il y a un vrai paradoxe dans ce débat : au moment où certains me disent qu'il faut aller plus loin et plus vite, d'autres me disent qu'il faut faire attention à ne pas tuer la croissance par un excès de règles.

Sur ce point, je ferai trois observations.

Tout d'abord, n'ayons pas la mémoire courte : ce qui a pénalisé la croissance, c'est justement le manque de régulation. C'est cela qui a conduit certaines institutions financières sur la voie des excès que l'on connait.

Ensuite, nous calibrons toutes nos propositions afin qu'elles tiennent compte des risques qu'une régulation trop rigide ferait peser sur le financement de l'économie.

Par exemple, notre proposition visant à augmenter les exigences de fonds propres des banques, qui est fidèle à l'accord de Bâle III, a été minutieusement calibrée pour éviter que les banques ne réduisent par contrecoup leurs prêts à l'économie.

Enfin, l'un des traits saillants de notre action consiste justement à diriger l'épargne vers des secteurs porteurs d'une croissance équilibrée plutôt que vers des placements risqués.

J'en prends quelques exemples :

- la proposition d'un passeport européen pour les fonds de capital-risque permettra d'attirer l'épargne vers l'innovation et les PME, qui jouent un rôle fondamental dans le financement des jeunes pousses innovantes ;

- nous venons également de proposer des mesures pour que les fonds d'entreprenariat social soient mieux identifiés et puissent lever des capitaux dans toute l'Europe. Il s'agit là d'orienter l'épargne vers des secteurs nouveaux, ou qui ne figuraient pas sur nos écrans radars parce que leur contribution économique est fortement sous-estimée, comme l'économie sociale et solidaire.

Ces exemples montrent les bénéfices que peut apporter une finance intelligemment régulée à l'économie réelle. La finance en tant que telle n'est pas l'ennemi. C'est la finance dérégulée qui pose problème, et à laquelle nous nous attaquons avec détermination au niveau européen.

Troisième question clef : l'Europe est-elle capable de proposer autre chose qu'un projet d'austérité ?

Là aussi, je voudrais rétablir quelques vérités.

J'entends parfois dire que la Commission promeut l'austérité au détriment de la croissance. La crise a mis en évidence l'irresponsabilité de nos comportements budgétaires. Je n'ai pas besoin de rappeler que le dernier budget en équilibre de la France remonte à 1975. Cette situation, nous en sommes tous responsables, à gauche comme à droite.

Il est donc nécessaire de consolider nos finances publiques, et nous ne pouvons pas nous permettre un nouveau plan massif de relance budgétaire. Des pays comme le Canada et la Suède ont accompli cet effort d'assainissement il y a longtemps et ils résistent bien mieux à la crise.

Pour autant, une initiative européenne forte pour la croissance est urgente et indispensable. Qu'avons-nous fait ?

Nous avons adopté en avril 2011, avec une dizaine de mes collègues, l'Acte pour le marché unique qui contient douze leviers et autant d'actions clés pour faire revenir la croissance. Parmi ces douze actions clés, dix ont déjà été proposées par la Commission européenne. L'objectif est de créer un écosystème favorable à la croissance en Europe, notamment en décloisonnant nos économies entre elles.

Je pense en particulier au brevet unique européen, à la modernisation de la reconnaissance des qualifications professionnelles entre pays européens, aux « project bonds » ou encore à la construction d'un véritable marché unique numérique.

S'agissant des marchés publics et des concessions, j'entends les craintes. Notre proposition sur les marchés publics a été plutôt bien accueillie car elle simplifie et sécurise la commande publique. Sur les concessions, la loi « Sapin » de 1992, complétée par la loi de 1995 qui porte mon nom, a permis d'assainir ce secteur. La législation française est le modèle à suivre. Mais il faut aussi être conscient qu'il n'existe aucune législation européenne sur les concessions et que par conséquent, dans certains Etats membres, des concessions sont conclues en dehors de tout cadre juridique. Il y a donc un intérêt pour l'Europe à se doter d'une législation. Bien sûr, notre proposition peut être améliorée et je veillerai à ce que la législation française serve de référence.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous le voyez, l'Union européenne prend des initiatives ambitieuses pour répondre à la succession de crises que nous traversons toujours. Nos efforts en faveur d'une régulation financière intelligente, d'une meilleure gouvernance et d'une croissance plus forte et plus soutenable sont en bonne voie.

M. Martial Bourquin. - Vous avez abordé la problématique de l'austérité budgétaire, or il s'agit d'une question capitale en ce moment. L'austérité empêche les gouvernements nationaux de retrouver des situations financières équilibrées. En effet, la crise et les déficits sont aussi les résultats d'une croissance extrêmement molle ainsi que des politiques de déflation. Vous nous avez parlé de relance, mais on ne voit pas grand chose arriver.

J'ai une question en matière d'harmonisation fiscale, notamment pour l'impôt sur les sociétés. Nous avons autant de législations que d'Etats membres : où en est la réflexion européenne à ce sujet afin de coordonner enfin les politiques fiscales ? Avons-nous avancé s'agissant de l'utilisation des quotas carbone, ce qui allègerait la fiscalité qui pèse sur le travail ? Je m'interroge aussi sur la volatilité des prix des matières premières dont on parle peu : quelles sont vos réflexions sur ce problème ? Enfin, alors que nous comptons près de 5 millions de chômeurs en France, qu'attend l'Europe pour aboutir à une relance concertée et faire de la lutte contre le chômage une véritable priorité ?

M. Marcel Deneux. - Ma première remarque porte sur la régulation des marchés des matières premières agricoles. C'est un sujet d'importance. J'ai été, l'année dernière, rapporteur de la proposition de résolution européenne déposée par Jean Bizet et Jean-Paul Emorine sur la volatilité des prix agricoles, dans le cadre de la présidence française du G 20. Je me ferai un plaisir de vous adresser notre rapport afin que nos propositions vous aident dans votre réflexion.

Ma seconde remarque concerne les banques : plus de 70 % de ce secteur relèvent, pour notre pays, de structures coopératives ou mutualistes. Une telle situation est inédite en Europe et explique pourquoi les difficultés rencontrées par la France sont de moindre ampleur que celles subies par d'autres pays. A cet égard, je souligne que le Crédit agricole a certes enregistré une perte nette de 1,47 milliard d'euros au cours de l'année 2011 d'après les résultats publiés la semaine dernière, mais quand on regarde dans le détail des comptes on voit que les caisses régionales, qui pèsent un peu moins de la moitié de l'activité du groupe, dégagent des bénéfices. On voit ici l'intérêt d'isoler toutes les composantes d'une situation financière pour dégager la vérité.

M. Jean Bizet. - J'ai écrit avec Simon Sutour, il y a un an, un rapport sur la politique européenne de sûreté nucléaire qui proposait une gestion du risque de crise à l'échelle de l'UE. Nous avions en effet vu l'enjeu que représentait un traitement de cette question au niveau européen, l'exemple japonais ayant montré le danger que fait courir un traitement isolé du risque nucléaire. Vous aviez souhaité en 2006 la mise en place d'une force de sécurité civile en Europe. Peut-on avoir, aujourd'hui, votre concours pour créer un tel dispositif ?

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je souhaite revenir sur la nécessité de concilier la rigueur budgétaire avec la relance de la croissance. Je relève que la gravité du problème des dettes souveraines conduit les gouvernements nationaux à mettre en place des politiques d'austérité. On souhaite ensuite transposer ces dernières au niveau européen, notamment par un gel du budget communautaire, sachant que 84 % des ressources de ce budget sont issues des contributions des Etats membres et non de véritables ressources propres. Un tel raisonnement pose un problème d'appréciation : dans la mesure où il n'existe pas de dette souveraine européenne, on ne devrait pas appliquer la même analyse à l'Union européenne qu'aux finances publiques nationales.

Il faut, à l'inverse, accepter une augmentation du budget de l'Union, qui reste dérisoire avec environ 1 % de la richesse nationale brute (RNB). Une telle hausse ne doit pas conduire à solliciter davantage les Etats membres, mais à identifier de nouvelles ressources propres. Alors qu'elles représentent 15 % des recettes de l'Union, on pourrait convenir de l'objectif de les porter à 60 %. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'augmentation du budget communautaire, de la hausse des ressources propres ainsi que d'une relance organisée au niveau européen puisque les priorités au niveau national sont la dette et la lutte contre les déficits.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Comme l'a exprimé notre collègue Martial Bourquin, nos perspectives sont marquées par ce que l'on appelle l'austérité. Peut-on se libérer de cette contrainte dans un monde meilleur, qui serait le monde européen, où l'on pourrait se financer par des impôts indolores et bénéficier d'une capacité d'emprunt qui ne poserait pas de problèmes de crédibilité sur quelque marché que ce soit ? Pouvez-vous, M. le commissaire, nous permettre de nous évader de notre impasse et de nos contradictions ?

M. Michel Barnier. - Je suis heureux que l'on puisse parler d'Europe et j'espère que ce sera le cas pendant cette campagne présidentielle. Il faut en effet, Philippe Marini, dire la vérité sur les mesures prises au niveau européen et dire la vérité aussi sur le monde tel qu'il est. Nous sommes dans un environnement plus instable et plus injuste auquel nous devons faire face. La Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie, ou, encore, les Etats-Unis s'affirment et n'ont pas besoin de nous pour compter. Notre choix est le suivant : soit on existe dans ce monde tel qu'il est, soit on est définitivement sous-traitant et sous l'influence des autres puissances. Par exemple, en matière de politique industrielle, nous ne serons plus que de simples consommateurs si nous ne faisons pas attention. Voilà pourquoi il faut être européen tout en étant patriote. L'Union européenne doit aller au bout de sa logique de mutualisation, elle doit unir sans uniformiser.

Jean Arthuis va remettre sous peu son rapport au Premier ministre sur l'avenir de la zone Euro. Il a fait un travail important, qui représente une leçon politique. Le pacte budgétaire et fiscal exige en effet plus de démocratie parlementaire et une plus grande implication des parlementaires nationaux sur un plan européen. Je l'ai moi-même dit à mon collègue Olli Rehn et à d'autres commissaires : nous devons de plus en plus travailler ensemble, institutions européennes et parlementaires nationaux.

Pour répondre à Martial Bourquin, nous n'avons plus les moyens d'agir par l'endettement. Il faut donc conduire des actions structurelles. Ainsi, par une action efficace sur le marché unique, qui représente 500 millions de consommateurs et 22 millions d'entreprises mais reste trop fragmenté, il serait possible de produire 2 à 4 points de croissance supplémentaires. S'agissant de l'harmonisation en matière fiscale, la Commission européenne a mis des idées sur la table : je vous invite à prendre connaissance de notre proposition d'assiette commune pour l'impôt sur les sociétés, ainsi que de notre projet relatif à la fiscalité écologique. Nous devons mettre en oeuvre de nouveaux instruments, à l'image des projects bonds qui pourraient permettre de financer, entre autres, des travaux sur les infrastructures, tels que les réseaux transeuropéens (RTE).

Pour faire suite aux interrogations de Marcel Deneux, j'appuie son raisonnement sur la financiarisation des marchés des matières premières agricoles : elle a été multipliée par trente au cours des quinze dernières années. Nous avons fait des propositions pour réguler ces marchés, à travers des dispositions concrètes, dont nous avons parlé :

- la directive MIF ;

- la régulation des marchés des dérivés ;

- la supervision financière ;

- et, enfin, le projet de directive sur les abus de marché, qui vise notamment à criminaliser certaines pratiques.

Pour ce qui concerne votre observation sur la nature des banques et la situation du Crédit agricole, je relève que sur les 8 300 banques européennes qui vont se voir appliquer les nouvelles normes prudentielles, près de 4 000 sont coopératives ou mutualistes. Nous devons veiller à ne pas fragiliser cette diversité quand nous appliquerons la réglementation. Les Etats-Unis sont dans un rapport inverse avec 75 % d'établissements commerciaux contre 25 % de structures coopératives.

S'agissant du projet évoqué par Jean Bizet de force européenne de protection civile, il me semble que l'Europe aurait tout intérêt à mutualiser ses moyens et pouvoir ainsi répondre très rapidement à toute catastrophe de grande ampleur. Ma collègue, Kristalina Georgieva, commissaire européenne à la coopération internationale, à l'aide humanitaire et à la réaction aux crises, travaille actuellement à des propositions en ce sens. Nous allons progressivement vers un tel mécanisme intégré, mais des Etats - voire des régions - restent réticents à transférer leurs compétences en ce domaine.

A la question de Pierre Bernard-Reymond, je précise qu'il faut avoir en tête que le budget communautaire dépense 10 milliards d'euros par an en France au titre de la politique agricole commune (PAC), alors que le budget national est loin de dépenser autant de crédits d'intervention pour les agriculteurs. J'indique que le budget européen, qui atteint à peine 1 % du PIB des Etats membres et risque de ne pas augmenter sensiblement, n'est manifestement pas à la hauteur des enjeux. Je suggère de l'accroître, non pas en relevant les impôts mais, comme pour la PAC, en transférant au niveau européen des prélèvements déjà existants, ainsi qu'en créant une taxe sur les transactions financières. Cette dernière, à large assiette et faible taux, rapporterait potentiellement 57 milliards d'euros par an.

Par ailleurs, la qualification professionnelle est l'un des grands enjeux du marché unique européen. Je soutiens la mise en place d'une carte professionnelle européenne, qui garantirait les compétences de leurs titulaires, renforcerait la mobilité des travailleurs et apporterait davantage de transparence. Un arrêt récent de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur les conditions d'accès à la profession de notaire précise que la nationalité n'en relève pas, ce qui devrait favoriser la mobilité intra-européenne en ce domaine. S'agissant d'une activité ayant une dimension d'intérêt public, il convient toutefois d'être attentif, et de poursuivre la discussion avec les professionnels. Le texte que je propose devrait permettre, à cet égard, de prévenir des recours et jugements qui pourraient être beaucoup moins favorables à l'avenir.

Enfin, je vous rappelle que mes sujets d'actualité pour 2012 en matière de régulation, sur lesquels vous serez appelés en tant que parlementaires nationaux à émettre un avis, porteront sur les produits dérivés et la capitalisation des banques, à travers les accords de « Bâle III » ; ils conduiront à s'interroger sur le respect par les Etats-Unis, le Japon ou la Chine de la réglementation que nous entendons nous imposer. Seront également abordés, cette année, le shadow banking et la régulation des agences de notation.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Merci, Monsieur le commissaire, d'être venu répondre à nos questions. Nous allons à présent regagner la séance publique pour justement examiner une proposition de résolution européenne (PPRE) sur le projet de règlement relatif à la protection des données personnelles.