Mardi 28 février 2012
- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente -Audition de MM. Dominique Maraninchi, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et Jean-Claude Ghislain directeur de l'évaluation des dispositifs médicaux de (Afssaps)
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je remercie monsieur Maraninchi de bien vouloir poursuivre son après-midi au Sénat avec cette nouvelle audition. Je vais laisser la parole à notre rapporteur, Bernard Cazeau, qui a une longue série de questions à adresser à M. Maraninchi, lequel vient de prendre la tête de la future agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
La réunion de bureau nous a permis de cerner les deux sujets principaux qui occuperont le champ de cette mission : les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique, avec un accent particulier sur la médecine esthétique.
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Le but de cette mission est de faire le point sur les dispositions en place afin d'éviter, à l'avenir, les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui ou que nous avons déjà rencontrés dans le cadre du médicament. Nous nous intéresserons, d'une part, aux dispositifs médicaux implantables de classe III - actifs ou non - et, d'autre part, aux actes à visée esthétique, pour lesquels il nous faudra différencier la chirurgie esthétique, déjà bien encadrée, de la médecine esthétique, beaucoup moins encadrée et où il faut savoir discerner entre ce qui relève de l'esthétique et ce qui relève de la médecine.
Le questionnaire qui vous a été transmis pose deux séries de questions : en premier lieu, sur l'évaluation et le contrôle des dispositifs médicaux, nous vous interrogerons sur le marquage « CE », sur la matériovigilance et sur la surveillance du marché ; en second lieu, nous vous interrogerons sur l'encadrement des interventions à visée esthétique.
Selon la réglementation européenne, l'octroi du marquage « CE » par un organisme notifié suffit à garantir la conformité d'un dispositif médical aux « exigences essentielles » des directives. Pourquoi l'Union européenne n'a-t-elle pas opté pour une procédure d'autorisation de mise sur le marché pour les dispositifs invasifs les plus critiques plutôt que pour l'actuelle « autorisation préalable explicite sur la conformité » ?
Seriez-vous favorable à l'introduction d'une procédure d'autorisation de mise sur le marché pour les dispositifs les plus critiques sur le modèle de la réglementation applicable aux médicaments ?
Les caractéristiques des données cliniques demandées aux Etats-Unis par la « Food and drug administration » (FDA) aux fabricants de dispositifs médicaux vous semblent-elles plus à même de prévenir les risques ? Si la question pouvait légitimement se poser au vu du refus d'agrément des prothèses PIP aux Etats-Unis, elle paraît moins pertinente aujourd'hui avec l'apparition d'un nouveau scandale sur des prothèses de hanche américaines dont le matériau se déliterait dans l'organisme.
Comment expliquez-vous qu'il n'existe en France, qu'un seul organisme notifié habilité à certifier des dispositifs médicaux, quand le Royaume-Uni en compte six et l'Allemagne, seize ? Cette question peut paraître accessoire mais nous aimerions vous entendre sur ce point.
L'Afssaps dispose-t-elle de données sur les organismes notifiés installés à l'étranger certifiant des dispositifs médicaux commercialisés en France ?
Seriez-vous favorable au renforcement du contrôle des organismes notifiés en en confiant la supervision à un organe communautaire dédié au sein de l'Agence européenne du médicament ou à un autre organe ad hoc ?
En matière de matériovigilance, pensez-vous que les exigences inscrites dans les directives de 1990 et 1993 sont correctement transposées en droit français ? Existe-t-il bien, en France, une base de données centralisée et opérationnelle permettant aux praticiens et aux patients de communiquer aux autorités compétentes tout dysfonctionnement observé sur des dispositifs médicaux ? Dans quelle mesure la Commission européenne s'assure-t-elle qu'un niveau minimal de vigilance est assuré par l'ensemble des Etats membres ?
Les dispositions réglementaires relatives à la pharmacovigilance prévoient explicitement que le directeur général de l'Afssaps doit informer l'Agence européenne des médicaments et les autres Etats membres de tout effet indésirable grave concernant un médicament survenu en France. Aucune disposition analogue ne semble exister concernant la matériovigilance applicable aux dispositifs médicaux. Comment expliquez-vous cela ?
La commission nationale de sécurité sanitaire des dispositifs médicaux est-elle pleinement opérationnelle pour assurer les missions que lui confie le code de la santé publique ?
Comment pousser les professionnels de santé et les patients à communiquer de façon régulière à l'Afssaps toutes les informations sur les dispositifs médicaux qu'ils ont utilisés ? Le système actuel doit-il être simplifié ou, au contraire, complété afin de le rendre plus effectif ?
En ce qui concerne la surveillance du marché, les contrôles inopinés chez les fabricants de dispositifs médicaux sont-ils une pratique courante de l'Afssaps ou celle-ci ne procède-t-elle à des contrôles qu'après avoir reçu un certain nombre d'alertes ? Comment expliquer le délai entre les premiers signalements sur la défectuosité des implants mammaires en gel de silicone de la marque PIP en 2008 et la décision de police sanitaire de l'agence du 29 mars 2010 ?
Dans quelle mesure les contrôles inopinés constituent-ils une pratique courante des organismes notifiés ? Observe-t-on des disparités en la matière ?
Faut-il, selon vous, systématiser les enquêtes cliniques, de façon périodique, après la mise sur le marché d'un dispositif médical critique de classe III ? Faut-il conditionner le renouvellement des certifications de conformité à la publication périodique d'essais cliniques ?
J'aimerais aussi connaître votre position sur l'existence de registres de dispositifs médicaux mis en oeuvre dans certains pays tels que la Suède ou le Danemark.
La deuxième partie de ce questionnaire s'intéresse aux actes à visée esthétique - injection de produits de comblement, de toxine botulique, utilisation de lasers, blanchiment des dents... Quelle est la réglementation applicable en la matière ? Ne faudrait-il pas envisager d'encadrer ces pratiques en imposant, par exemple, une obligation de déclaration par les médecins concernés ? Faut-il davantage encadrer la publicité en ce domaine ?
Quelles sont vos recommandations en matière de traçabilité des produits cosmétiques injectables ? Pouvez-vous préciser le contenu de la récente recommandation de l'Afssaps concernant l'utilisation d'un « carnet esthétique » où seraient notés la date des injections, les produits et les lots utilisés ?
La société française de dermatologie évoque l'existence d'une structure spécifique de vigilance concernant la dermatologie esthétique en vue de recueillir les effets secondaires des dispositifs médicaux utilisés. L'Afssaps gère-t-elle cette « vigilance dermatologique » ?
M. Dominique Maraninchi, directeur général de l'Afssaps. - Nous avons apporté un certain nombre de documents que nous vous remettrons : les réponses écrites au questionnaire, des éléments d'information sur la réglementation ainsi que la synthèse du rapport « PIP ». J'ai également demandé à Jean-Claude Ghislain, directeur général de l'évaluation des dispositifs médicaux, de m'accompagner afin de nous faire profiter de son expertise. Nos réponses, si vous le permettez, pourront donc se faire parfois à deux voix.
Vous me posez tout d'abord une question crue : le dispositif de marquage « CE » constitue-t-il une protection suffisante ? Je suis tenté de répondre non, sans état d'âme : nous avons constaté à plusieurs reprises que ce marquage n'était pas suffisant pour assurer la sécurité. A la suite de l'affaire « PIP » la Commission a d'ailleurs lancé un « stress test » qui démontre déjà la fragilité du système.
Le dispositif de marquage doit évoluer. Vous avez mis le doigt, à plusieurs reprises, sur cette différence essentielle entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Nous devrions nous efforcer de rapprocher notre système de celui d'un processus d'autorisation de mise sur le marché explicite, plutôt que d'essayer de répondre à des exigences essentielles.
Une de nos problématiques sur cette catégorie de produits de santé réside dans la dispersion des organismes notifiés et donc dans la difficulté à arbitrer le risque. Nous devons respecter le principe de libre circulation des produits à l'échelle européenne mais ce type de marquage peut convenir pour des compresses, plus difficilement pour des dispositifs médicaux implantables. Je rappellerai d'ailleurs que la classification des dispositifs de I à III n'est apparue que très récemment et qu'elle commence à peine à être mise en oeuvre. Il faut savoir également qu'il existe des sous-groupes à l'intérieur du groupe III : quand nous devons analyser les risques, il nous faut parfois décider lequel est plus acceptable qu'un autre. C'est pourquoi nous militons pour la mise en place d'une liste positive des risques au sein du groupe III. Il semblerait que nous soyons entendus, y compris par la Commission européenne, parce qu'il s'agit simplement de bon sens. Il y aura débat sur la manière dont elle sera construite et identifiée, il y aura des pressions diverses, mais si nous respectons certains principes de sécurité il sera difficile de s'y opposer. Il en va de la sécurité sanitaire des patients dans lesquels ces dispositifs seront implantés. Notre démarche s'effectue à deux niveaux : nous discutons en France avec la Haute Autorité de santé (HAS) de façon à éviter toute distorsion et à parler d'une même voix ; et nous nous rapprochons d'autres pays européens parmi lesquels l'Allemagne, qui prône déjà l'instauration d'une telle liste, l'Angleterre et l'Espagne, laquelle hésite encore. Nous avons prévu de remettre notre copie à la Commission européenne très rapidement. Cette initiative doit constituer le moteur d'un changement d'attitude envers ces dispositifs de classe III. Nous ne voulons pas attendre que la nouvelle directive soit mise en place et appliquée uniformément, sachant qu'il a fallu au moins trois ans pour digérer la classification actuelle.
M. Jean-Claude Ghislain, directeur de l'évaluation des dispositifs médicaux. - Une des possibilités offerte par la directive nous permet d'être informés de l'arrivée des nouveaux dispositifs sur le marché. Ainsi, chaque mois, nous recevons soixante communications de nouveaux dispositifs de classe III et cent dix de classe IIb, dont une partie est aussi constituée de dispositifs implantables. Nous avons d'ailleurs dû intervenir pour faire remonter dans la classification un certain nombre d'implants - initiatives françaises ou franco-britanniques sur les implants mammaires au début des années 2000 et sur les prothèses articulaires totales hanche-épaule-genou. Il s'agit d'un volume important mais qu'il faut relativiser : les dispositifs ne sont pas tous d'un genre nouveau mais constituent souvent une évolution d'un précédent type.
Une première révision des directives européennes a eu lieu en 2007 sur l'évaluation clinique, c'est-à-dire sur la démonstration du ratio bénéfice/risque favorable avant mise sur le marché, et ensuite sur la surveillance des dispositifs mis sur le marché via la collecte de données d'études cliniques de confirmation. Mais cette révision n'est entrée en vigueur qu'en mars 2010. Nous en sommes donc au tout début. Le problème aujourd'hui, c'est que tout cela reste à la seule appréciation des organismes de certification et à leurs propres experts. Ce sont eux qui vont juger si les données sont suffisantes pour octroyer le marquage « CE ». Nous nous retrouvons face au manque d'harmonisation des pratiques de ces organismes alors qu'il faudrait un comité d'experts européens indépendants en charge de l'évaluation de ces données cliniques cruciales. C'est d'ailleurs l'élément manquant pour que le marquage « CE » se rapproche de l'autorisation de mise sur le marché propre au domaine pharmaceutique. Nous sommes passés d'une phase de certification de conformité avec des référentiels normatifs à une phase réelle d'évaluation, dont nous ignorons encore l'impact puisqu'elle n'est en vigueur que depuis mars 2010. Les autorités sanitaires de chaque Etat membre restent cependant en dehors du système et ne peuvent intervenir qu'a posteriori. C'est ce que nous devons corriger dans le cadre de la refonte annoncée de ces mêmes directives.
M. Dominique Maraninchi. - Un des leviers d'action possible est d'agir sur les obligations des organismes notifiés en matière de transparence et de qualité. Les décisions de leurs experts mériteraient certainement une confrontation scientifique élargie.
Votre deuxième question porte sur la mise en place d'une autorisation préalable de mise sur le marché. Nous nous sommes exprimés sur ce point dans le rapport « PIP » : pour certains dispositifs médicaux à risque et largement diffusés, cette autorisation devrait être confiée à une agence indépendante qui vérifierait les données fournies par le fabricant. Des dispositifs similaires existent au sein de la FDA. Il ne s'agirait pas d'une autorisation de mise sur le marché stricto sensu, mais d'une autorisation conditionnée à la fourniture de données cliniques comparatives, contradictoires et vérifiables. Comment y parvenir ? Sûrement pas par l'autocertification des organismes notifiés mais plutôt par un système en plusieurs étapes, qui garantirait la collégialité de l'évaluation. Certains parlent de créer une nouvelle agence européenne, à mon sens ce serait une catastrophe. Soit l'on considère qu'il s'agit d'une extension de la vocation de l'Agence européenne du médicament (EMA) - ce qui aurait l'avantage de la simplicité même si la culture du médicament ne correspond tout à fait à celle de l'évaluation technique des dispositifs médicaux -, soit l'on crée une commission ad hoc, sous l'autorité de la Commission européenne, qui analyse de manière systématique et en toute neutralité les données fournies.
De telles dispositions nous permettraient d'être plus à même de prévenir les risques. Cependant, ces nouvelles exigences risquent de supprimer du marché un grand nombre de petits fabricants. Pourquoi y a t-il moins de dispositifs mis sur le marché américain ? La production de données cliniques, leur exploitation et la surveillance du marché constituent une charge financière importante. Sans parler de la responsabilité induite lors de la délivrance des produits. Certes, nous n'avons pas vraiment le choix et l'artisanat n'a pas sa place en matière de dispositifs médicaux. Il faut cependant avoir conscience que ces nouvelles exigences seront vécues comme une atteinte à la créativité des petites entreprises. A elles de s'allier avec de plus grosses.
Nous insistons aussi beaucoup pour que ces entreprises puissent disposer d'une personne responsable. Il s'agit d'une notion essentielle. Le pharmacien responsable est protégé devant son PDG quand il refuse de délivrer un lot de médicaments qu'il considère inadéquat. Il n'y a pas d'équivalent dans le domaine des dispositifs médicaux, comme vous avez pu le constater dans les minutes de l'affaire « PIP ». Le refus de libérer un lot doit reposer sur des critères de santé publique plutôt que sur des critères de qualité de production ou sur la conscience professionnelle d'un directeur de fabrication. La nomination d'une personne responsable, à l'image des pharmaciens responsables, devrait faire partie des obligations à la charge des fabricants. Il ne s'agit pas là d'un coût considérable par rapport à l'enjeu de la libération des lots de prothèses mammaires ou de sondes cardiaques, par exemple.
Pourquoi n'y a-t-il qu'un seul organisme notifié en France, le Laboratoire national d'essais ? Je vais laisser monsieur Ghislain répondre.
M. Jean-Claude Ghislain. - Cela tient à des raisons historiques. Je n'ai que peu d'informations sur la genèse de l'évaluation des dispositifs médicaux en France. Il y avait un système d'homologation pour quelques dispositifs et c'est à partir de ce noyau qu'est né le Laboratoire national d'essais. C'est un organisme ouvert : tout le monde peut, à tout moment, déposer un dossier. D'ailleurs, une demande d'homologation est en cours.
Y a-t-il trop d'organismes notifiés en Europe ? Ils sont environ quatre-vingt mais il faut savoir que sur le marché des dispositifs implantables, cinq organismes se partagent 70 % des demandes de certification - parmi lesquels le LNE G-Med français, le TUV Produkt Service allemand et le BSI anglais. Il y a donc une concentration des organismes d'évaluation des dispositifs de classe III. Les autres organismes travaillent essentiellement dans le domaine de la certification des systèmes qualité des entreprises.
Un consensus européen se dégage actuellement sur les procédures de désignation des organismes notifiés. La Commission devrait pouvoir avancer sur l'idée d'une définition de critères de compétence et de transparence pour la désignation de ces organismes ainsi que sur le renouvellement périodique de leur agrément. On parle également d'une codification de leurs modalités d'intervention. On commence même à évoquer l'idée d'un tarif unique afin de limiter la concurrence entre ces opérateurs. Il est encore question de revoir la procédure d'inspection des organismes notifiés et de prévoir une surveillance collégiale des Etats membres sur l'ensemble des organismes et non plus se contenter de ce qui se fait aujourd'hui, à savoir que la France s'occupe de son organisme, l'Allemagne des siens et ainsi de suite sans échange d'informations.
On a déjà des amorces de coopération volontaire entre pays qui ont fait des audits conjoints mais tout cela devrait être formalisé l'été prochain dans la nouvelle directive. Cela étant dit, cette harmonisation ne répondra à l'exigence que nous évoquions tout à l'heure, à savoir la nécessité d'une expertise du bénéfice/risque à l'échelle européenne, qu'avec des experts communs à l'ensemble des organismes.
Au-delà de la compétence et de l'indépendance des organismes notifiés, nous ne disposons pas dans le domaine des dispositifs médicaux du recul existant dans celui du médicament. Nous manquons donc cruellement de guides d'application des bonnes pratiques, notamment pour l'évaluation clinique. Nous avons beaucoup de normes - européennes ou internationales - décrivant les standards sur les matériaux ou autres, mais aucune ne concerne l'évaluation clinique. C'est pourquoi nous militons pour la création d'une liste positive précise, déterminée par un groupe d'experts indépendants, opposable aux fabricants par les organismes notifiés. Il n'en existe qu'une pour les stents coronaires, laquelle est arrivée trop tardivement sur un marché où étaient déjà présents de nombreux produits.
Nous avons donc beaucoup avancé sur les organismes notifiés dans le cadre de la refonte de la directive, par contre, l'aspect « centralisation » de l'évaluation du bénéfice/risque fait encore débat au sein des Etats membres. Il est indispensable que la France ait une position très forte sur ce thème.
M. Dominique Maraninchi. - Nous pouvons toujours progresser, mais la France est bien située en matière de matériovigilance par rapport aux autres pays.
Comparée à la pharmacovigilance, dont l'éclatement en centres régionaux est une source de dysfonctionnement potentiel pointée par l'IGAS, la matériovigilance peut s'appuyer sur la centralisation du système mis en place et sur la responsabilisation des établissements de santé dans chacun lesquels se trouve un correspondant de matériovigilance. Il s'agit donc théoriquement d'un dispositif lourd, puissant, transparent ; et pourtant, le signalement ne fonctionne pas. Il faut dire que le code de la santé publique est parfois ambigu : il demande de signaler des événements ayant entraîné la mort ou susceptibles de la donner, ce qui, en termes de gestion prévisionnelle des risques, est un peu réducteur. D'autre part, pour avoir dirigé un établissement de santé, je peux dire qu'il existe une dissociation entre celui qui achète le dispositif et le correspondant de matériovigilance : ils n'ont aucun contact entre eux. Limiter les achats des établissements de santé aux dispositifs médicaux présents sur une liste préétablie conjointement avec la HAS, sur la base de critères objectifs, et parvenir à décloisonner les procédures internes serait très positif.
Il faut également ouvrir le système de vigilance aux usagers. Nous devons être capables de recueillir des informations qui ne sont pas inscrites dans un formulaire Cerfa de surveillance du marché. Nous disposons de beaucoup d'atouts, bien que le code de la santé publique définisse ce qui doit être déclaré de façon vraiment inadéquate.
A nous de nous appuyer sur les investigations des correspondants, avec l'appui de l'ARS, afin de mieux analyser certains événements. Le système actuel raisonne - on a vu les chiffres donnés par Jean-Claude Ghislain sur les déclarations de mise sur le marché - en termes d'analyse comparative de surveillance de marché, ce qui ne peut pas être efficace. On arrivera toujours trop tard.
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Je vous comprends bien mais ceux qui achètent des dispositifs le font à la demande de praticiens. C'est bien là qu'est le problème.
M. Dominique Maraninchi. - Si nous donnons des règles sur ce qui est achetable ou pas - ce qui relève de notre rôle d'agence de sécurité -, cela va certes créer des tensions, mais l'établissement d'une liste positive permettra aux chirurgiens et aux hôpitaux de savoir sur quoi s'appuyer. Aujourd'hui, ils reçoivent de manière irraisonnable un catalogue de soixante nouveaux produits tous les mois.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Comment fonctionnerait cette liste positive que vous évoquez ? Vous recommanderiez à l'achat certains dispositifs plutôt que d'autres ?
M. Dominique Maraninchi. - Il s'agirait d'une liste de dispositifs médicaux implantables que nous considérons comme à risque - tels que les défibrillateurs ou les prothèses mammaires. A l'intérieur de cette liste, nous ferions plusieurs préconisations aux fabricants et aux distributeurs en matière de sécurité : établissement de données cliniques et création d'un registre de suivi des patients, par exemple. Si les fabricants ne répondaient pas à ces préoccupations, la HAS considérerait alors que ces dispositifs ne peuvent être achetés par les établissements de santé français.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Vous faites donc des préconisations en matière d'évaluation clinique, de surveillance des patients et de traçabilité des dispositifs.
M. Dominique Maraninchi. - Effectivement, sur l'ensemble du spectre de sécurité des dispositifs médicaux. Notre marché intérieur est attractif et de nombreux fabricants ou distributeurs devraient jouer le jeu. Cette liste, qui doit bien évidemment être très précise, constituerait un complément crucial à notre dispositif de matériovigilance. Nous ne pouvons nous contenter de comparer quelques marques entre elles en cas de rupture de prothèses mammaire, sans assurer une véritable sécurité sanitaire en amont. Il est bien plus facile de s'appuyer sur une firme qui surveille ses patients et à qui on peut demander chaque année combien de patients ont été implantés, combien et quels types d'incidents se sont produits. Ce faisant, elle engage sa responsabilité, y compris avec les utilisateurs ; nous retrouvons ici l'idée des registres de dispositifs médicaux qui sont bien plus efficaces que la simple surveillance des dérives du marché.
Mme Catherine Deroche. - Vous vous placez donc en amont de la surveillance du marché en demandant aux fabricants de remplir un certain nombre de critères de qualité. Actuellement, un tel système n'existe pas ?
M. Dominique Maraninchi. - Non, il n'existe aucune obligation de fournir aux autorités sanitaires les éléments cliniques dont les fabricants disposent. Ce qui nous laisse un peu nus et qui complique notre tâche...
Mme Catherine Génisson. - On tourne beaucoup autour d'un sujet central qui est celui de l'évaluation clinique. Quand on parle du ratio bénéfice/risque, c'est malheureusement souvent le risque qui l'emporte.
Vous avez évoqué les organismes notifiés. Sont-ils les seuls concernés par l'évaluation clinique ou faut-il établir des liens avec les praticiens ? Et si oui, comment peut-on s'assurer de la transparence, de l'indépendance, de la neutralité des choix qui seront faits ?
M. Dominique Maraninchi. - Il faut davantage impliquer les praticiens dans les essais cliniques. Ces essais sont aujourd'hui peu transparents et d'un niveau qui ne garantit pas, par exemple, la sécurité des cent mille prothèses de hanches implantées chaque année. Par contre, si la société française d'orthopédie s'engage à examiner le suivi des prothèses posées, quelle que soit la marque, on peut espérer que cette initiative soit financée. Ce serait un peu dangereux si c'était le club des chirurgiens clients de certaines marques de prothèses qui s'en chargeait. Le club des poseurs de prothèses « PIP » ne nous a pas beaucoup aidés mais beaucoup d'entre eux ont aussi été victimes de cette société. Par contre, la société française de chirurgie revendique aujourd'hui le suivi de toutes les prothèses. Nous apprécions cette initiative et j'estime que cela fait aussi partie des devoirs des praticiens, qui ne peuvent le faire isolément. Ils sont expérimentateurs et clients, il faut donc éviter qu'ils soient financés par les fabricants. C'est une manière d'imposer aux firmes de participer à des registres nationaux par le biais de sociétés savantes. Si vous lisez le rapport de la FDA sur les prothèses mammaires à base de gel de silicone, vous verrez qu'il y a trois types d'informations disponibles sur des centaines de milliers de femmes : obligatoires fournies par les firmes ; contradictoires fournies par les sociétés de chirurgie esthétiques ; plus la liste des incidents signalés par l'agence centrale. Quand vous disposez d'un tel faisceau de données vous avez une meilleure vue d'ensemble du système et vous pouvez réagir plus vite.
M. Bernard Cazeau. - Il faut tout de même que quelqu'un synthétise ces données, c'est-à-dire la HAS ou l'Afssaps...
M. Dominique Maraninchi. - Les deux : nous, pour des raisons de sécurité ; la HAS pour des raisons de valeur financière ou de classification. La sécurité passe avant tout et la HAS refuserait de financer quelque chose qui n'est pas sûr. Nous devons donc travailler conjointement car un dispositif qui ne serait pas remboursé serait très pénalisé. J'insiste donc pour l'élaboration d'une liste positive, raisonnablement restrictive, à l'image de ce qui a été fait pour les stents.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous allons nous arrêter sur le thème de la matériovigilance.
M. Jean-Claude Ghislain. - Je voudrais juste donner quelques éléments chiffrés. En 2011, nous avons enregistré 11687 signalements sur l'ensemble des dispositifs. La part des dispositifs médicaux implantables dans ces signalements est de l'ordre du tiers. Nos données, en volume et en proportion, sont assez proches de celles du Royaume-Uni.
Il n'existe pas, à l'échelle européenne, de centralisation des incidents survenus en Europe dans une même banque de données. Chaque pays enregistre les signalements survenus sur son territoire. La seule possibilité dont je dispose pour m'informer sur les incidents concernant un dispositif précis est de lancer une demande à mes collègues européens. Il s'agit d'une procédure un peu lourde. Les gens n'ont pas toujours le temps pour nous répondre rapidement. Nous espérons que la révision de la directive nous fera progresser sur ce point. Nous partageons uniquement nos conclusions, c'est-à-dire les décisions de police sanitaire prises - à l'instar de ce que nous avons fait s'agissant des implants « PIP » -, mais pas les incidents survenus. Il y a beaucoup de dispositifs médicaux qui représentent un petit volume sur les marchés intérieurs et, en ne mettant pas en commun les incidents survenus sur ce type de produits, on peut passer facilement à côté d'un problème.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Il n'existe pas de système européen automatique d'alerte ? Un pays qui constaterait une augmentation anormale du nombre de rupture de prothèses n'a pas l'obligation d'avertir les autres Etats membres ?
M. Jean-Claude Ghislain. - L'obligation de communication ne porte que sur les mesures prises à l'encontre des produits. Si un Etat ne prend aucune mesure, il n'est pas tenu d'informer les autres pays des incidents survenus. Il n'est bien évidemment pas interdit de le faire et un certain nombre de pays échangent déjà leurs signaux mais, malheureusement, il n'existe pas de lieu opérationnel pour travailler en commun sur des données de vigilance.
M. Dominique Maraninchi. - Il n'y a pas de système européen de surveillance. Quand la France a pris sa décision de police sanitaire concernant les prothèses « PIP », elle en a informé la Commission, les Etats membres et tous les autres pays. Certains d'entre eux ont malgré tout continué à commercialiser ces produits, parfois jusqu'en décembre 2011. Il a fallu une alerte sanitaire dans une ambiance de crise pour que tout le monde réagisse. Même une suspension de commercialisation n'est pas forcément considérée comme contraignante par les autres Etats. C'est une faiblesse du système des dispositifs médicaux que nous ne retrouvons pas dans celui du médicament.
M. René-Paul Savary. - En matière pharmaceutique tout est stoppé dès la première alerte.
M. Dominique Maraninchi. - Oui. Si on déclare la suspension d'un produit, une procédure européenne est enclenchée et l'Agence européenne du médicament doit alors ouvrir une instruction pour savoir s'il est légitime que ce médicament soit suspendu dans les autres Etats membres.
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quand la FDA a fait ses remarques sur les prothèses « PIP », il n'y a pas eu de réaction de votre part...
M. Dominique Maraninchi. - Aucune...
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Vous n'étiez pas en place à l'époque...
M. Dominique Maraninchi. - Il n'y a eu aucune réaction. Nous le disons dans le rapport...
M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Et pourquoi ?
M. Jean-Claude Ghislain. - Simplement parce que, comme on vient de l'expliquer, les échanges internationaux d'information sont basés sur les retraits de produits déclarés dangereux. Toutes les autres mesures de police plus « administratives », telles que les sanctions à l'égard des entreprises, sont, au mieux, rendues publiques sur les sites internet des agences de surveillance mais ne donnent pas lieu à alerte. Et la FDA ne nous prévient pas quand elle vient inspecter un fabricant français alors qu'une telle information nous serait utile. Cela fera débat, dans le cadre des suites de l'affaire « PIP », sur nos forums de convergence internationale. L'équivalent pour les dispositifs médicaux de l'International conference on Harmonisation (ICH) du domaine pharmaceutique, c'est la Global Harmonisation Task Force (GHTF) et, avec les Etats-Unis, le Canada, l'Australie et le Japon, nous allons discuter de la mise en place d'une meilleure coopération. On ne peut pas passer son temps à rechercher les informations passives publiées sur les sites de chaque agence de santé. Il faut savoir aussi que notre dossier en cours à propos de « PIP » visait les prothèses remplies de gel de silicone alors que la FDA s'intéressait aux prothèses de solution saline. De plus, nous cherchions à réévaluer de manière globale les prothèses de silicone présentes sur le marché français et nous n'avions pas ciblé « PIP » en particulier.
M. Dominique Maraninchi. - La sécurité ne peut, bien évidemment, pas être assurée que par l'international. Nous venons de réexaminer toutes les prothèses en silicone présentes sur le marché. Nous avons beau inspecter, contrôler, prélever des échantillons, il faut bien avoir à l'esprit que les lieux de production changent d'une année sur l'autre. Comment assurer la sécurité sanitaire si la coopération internationale entre régulateurs n'est pas renforcée ? Telle prothèse contrôlée aux Etats-Unis et vérifiée par la FDA n'aura pas les mêmes caractéristiques lorsqu'elle sera vendue en Europe ou en Asie puisque la régulation n'y est pas de même nature. Le terme même de « marque » ne veut plus dire grand-chose de nos jours. Nous devons bâtir de nouvelles normes européennes.
Mme Catherine Génisson. - Je sais combien nous avons envie, les uns et les autres, d'encadrer ce domaine qui en a bien besoin. Il faut cependant faire attention à ne pas provoquer de guerre économique ni susciter des malveillances entre fabricants. Le sujet n'est pas simple.
M. Dominique Maraninchi. - L'impact est non négligeable. Nous devons graduer nos mesures et nous concentrer d'abord sur les fabricants...
Mme Catherine Génisson. - Ce manque de communication que vous décrivez, sur des informations élémentaires, est assez effarant.
M. Jean-Claude Ghislain. - Il s'agit d'un secteur immense et tardivement réglementé. L'immensité du sujet fait que l'on a été très sélectif sur les échanges d'informations. Il nous faut définir les bonnes priorités et trouver les domaines dans lesquels développer plus d'échanges et de coopération. On ne peut pas le faire sur l'ensemble du champ. Les marchés évoluent, les opérateurs changent ; certains marchés sont très stables, d'autres pas du tout ; il faut tenir compte des sauts technologiques et des dispositifs qui ont une durée de vie de plus en plus courte. Nous avons peu de données, peu de statistiques de consommation. Nous manquons d'informations qui pourraient nous permettre d'être plus réactifs.
M. Dominique Maraninchi. - Ne nous méprenons pas sur nos propos. Il est tout à fait possible d'élever le niveau de sécurité pour certains dispositifs médicaux. L'artisanat dans ce domaine peut être dangereux pour les produits de très grande diffusion et implantables à long terme. Il demeure incompréhensible qu'il n'y ait pas de personne responsable chez les fabricants, à l'image du pharmacien responsable, et que toute la responsabilité repose sur le chirurgien qui implante le dispositif et sur l'agence qui surveille le marché. Nous espérons que votre mission nous aidera à remplir ce vide.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Un dernier point, peut-être, sur les formulaires de vigilance que vous évoquez dans votre rapport ?
M. Dominique Maraninchi. - Nous ferons des propositions d'ici un mois et demi pour faire évoluer ces formulaires. Il faut que la notion d'alerte et de signalement soit accessible à tout un chacun.
Il y a des avantages et des inconvénients à avoir des registres. Il n'en reste pas moins que nous sommes pénalisés parce que nous n'en avons pas du tout. La France doit se lancer dans ce domaine. Un registre peut être surveillé par nous-mêmes ou par la HAS, par exemple. Il ne doit pas s'agir d'un simple registre entre l'industriel et son client.
Sur la notion de contrôle inopiné et de contrôle programmé, nous vous avons remis par écrit quelques éléments chiffrés. Ce qui est vrai pour nous devrait l'être encore plus pour les organismes notifiés. Nous disposons d'une centaine d'inspecteurs en tout, et une dizaine est affectée au contrôle des dispositifs médicaux. Nous effectuons environ 130 contrôles chez des fabricants chaque année ; une quinzaine sont inopinés.
M. Jean-Claude Ghislain. - Il faut garder à l'esprit que nous sommes des intervenants de deuxième niveau. En matière de contrôle, les organismes notifiés sont en première ligne pour assurer le suivi des entreprises, contrairement au système pharmaceutique où nos inspecteurs sont les seuls habilités à intervenir. Aujourd'hui, il y a peu de pays européens qui pratiquent des inspections et c'est aussi un problème.
M. René-Paul Savary. - Les organismes de contrôle peuvent-ils être privés ?
M. Jean-Claude Ghislain. - Rien n'est arrêté. Ils peuvent relever du droit privé ou du droit public selon les pays.
M. Dominique Maraninchi. - Les fabricants peuvent être tentés de choisir l'organisme notifié le meilleur marché, qui audite le plus vite et qui n'est pas trop exigeant sur certaines caractéristiques. Il est donc intéressant de réfléchir à la notion de tarif unique évoquée tout à l'heure. Trop de concurrence peut se révéler dangereux, sans parler des conflits d'intérêt. La Commission est très décidée à réglementer ce domaine rapidement car elle en a déjà la possibilité.
M. Jean-Claude Ghislain. - Nous sommes toujours dans le cadre des directives « nouvelle approche » du début des années quatre-vingt-dix. Le schéma actuel correspond encore à ce qui se fait dans de nombreux autres domaines industriels, car ces directives n'avaient prévu aucune disposition spécifique aux organismes de certification des dispositifs médicaux. Nous sommes en train d'évoluer vers un nouveau règlement européen qui devrait, nous l'espérons, nous sortir du carcan de départ des directives « nouvelle approche ».
Mme Catherine Deroche. - A partir de quels critères décidez-vous d'aller effectuer ces contrôles normalement dévolus aux organismes notifiés ?
M. Jean-Claude Ghislain. - Nous sommes soit réactifs, c'est-à-dire que nous avons reçu un signal d'alerte auquel nous décidons de répondre ; soit proactifs, c'est-à-dire que nous sélectionnons chaque année des programmes que nous souhaitons examiner. Dans ce dernier cas de figure, nous nous décidons sur la base de critères complexes et en fonction de l'évolution très rapide des marchés. Nous nous sommes, par exemple, intéressés aux prothèses dentaires dont l'importation se développait. Ou encore parce qu'il y a un saut technologique important et qu'il faut vérifier de manière globale la qualité des nouveaux dispositifs.
Nous déployons alors trois modalités qui peuvent se combiner : soit en examinant sur dossier, c'est-à-dire que nous demandons au fabricant de nous remettre son dossier de marquage « CE » ; soit en inspectant l'entreprise sur site ; soit en effectuant un contrôle en laboratoire. Cette dernière possibilité est la plus compliquée à mettre en oeuvre. On peut vérifier un gel de silicone en laboratoire, c'est plus difficile pour un stimulateur cardiaque.
M. Dominique Maraninchi. - Abordons maintenant le grand champ des actes à visée esthétique. Il s'agit de dispositifs qui contiennent des produits. Sous prétexte que le produit se trouve dans une seringue, il s'agit d'un dispositif et nous devons donc envisager l'ensemble du dispositif et non précisément le liquide contenu. Les exigences demandées pour les médicaments injectables pourraient être pensées également pour les produits non médicamenteux injectés. Je ne dis pas qu'il faut nécessairement la même régulation mais rester aveugle en ce domaine pose problème.
M. Jean-Claude Ghislain. - En 2011, une centaine de produits à visée esthétique ont été déclarés auprès de nos services. Ils ne sont pas tous en classe III. Les compléments résorbables de comblement de rides sont en classe III, tandis que les lasers sont en classe IIb ou IIa, par exemple.
Le statut de ces produits fait débat. Un dispositif qui n'a qu'une visée esthétique doit-il être soumis à un marquage « CE » au même titre qu'un dispositif à finalité médicale ? Si l'on s'en tient à une stricte lecture des règles, ce n'est pas nécessaire. Je pense que la Commission va consacrer le caractère de dispositif médical pour tout ce qui est invasif ou implantable à visée esthétique. On verrait mal des implants mammaires arriver sur le marché sans marquage « CE ».
Là encore, la difficulté est d'accéder à la démonstration de la qualité. S'il existe une pharmacopée, ce référentiel doit être pris en compte par l'organisme notifié. Mais cette information, encore une fois, ne sera publiée nulle part. Il n'y a pas de résumé officiel, public, des caractéristiques du dispositif au moment de sa certification. Les professionnels qui achètent ces dispositifs n'ont accès qu'aux informations publicitaires mises en avant par le fabricant.
L'agence n'est compétente qu'en matière de produits, mais produits et actes sont très proches et nous travaillons conjointement avec la HAS. Elle est saisie des actes à risque en matière esthétique, puisque la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) avait prévu que le ministre puisse restreindre ou interdire certains actes esthétiques jugés dangereux. Nous ne pouvons intervenir que sur le produit et non sur les règles ou les compétences professionnelles.
En matière de publicité, le dispositif législatif nouveau va ouvrir la possibilité d'un contrôle de la publicité des dispositifs médicaux - nous attendons les textes d'application - et on pourrait considérer que ces dispositifs à caractère esthétique tombent sous ce contrôle.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Cela fait beaucoup de « si »...
M. Dominique Maraninchi. - Vous nous posiez la question du carnet. Il s'agit d'une bonne formule. Il importe d'avoir une traçabilité de ce que les personnes ont reçu comme produits, et ce d'autant plus qu'elles peuvent changer de praticiens au fil du temps et que ces derniers n'auront pas forcément les mêmes exigences en matière de traçabilité. De plus, les incidents, quand il y en a, se développent souvent sur le long terme et, à l'heure actuelle, nous ne savons rien du parcours des produits et des incidents. C'est pourquoi M. Ghislain a mis au point ce carnet...
M. Jean-Claude Ghislain. - L'idée est d'inciter au développement d'un principe général de traçabilité. Les discussions sont en cours avec le ministère, notamment sur la réglementation actuelle qui oblige à enregistrer dans son dossier et à remettre au patient la référence du lot d'où est tiré le dispositif médical implantable. Les produits de comblement de rides, par exemple, sont logiquement inclus dans cette réglementation mais ce n'est pas tout à fait explicite. Il faudrait le préciser dans le décret fixant les règles en matière de dispositifs implantables.
En cas d'injections répétées, il est important de pouvoir garder la trace du lieu d'injection et de la référence du produit administré. Il faut éviter la multiplication des produits qui constitue un facteur aggravant de l'apparition des granulomes. Le carnet nous permettrait de retracer très précisément les choses. Encore faut-il que les gens conservent cette information, mais ce n'est pas quelque chose que notre agence peut imposer.
Il existe près d'une centaine de produits de comblement de rides différents en Europe pour une vingtaine d'opérateurs. Aux Etats-Unis, le système d'autorisation de mise sur le marché fait qu'on y trouve que neuf produits...
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Comment expliquer cette différence ?
M. Jean-Claude Ghislain. - C'est lié au système d'autorisation préalable.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Ces produits sont donc classés, aux Etats-Unis, dans ce que vous imaginez être une liste positive.
M. Jean-Claude Ghislain. - Exactement. L'évolution clinique de ces produits - à l'exception de l'acide hyaluronique qui est maintenant bien connu - n'est pas évidente et disposer de données fiables est très compliqué.
M. Dominique Maraninchi. - Vous nous demandez si l'on peut réguler la médecine esthétique. A tout le moins peut-on faire preuve de bon sens et, par exemple, interdire l'augmentation mammaire par injection directe d'acide hyaluronique. Il y a également des personnes qui se sont injecté du silicone. Il est fondamental qu'un professionnel - je ne parle pas de sa formation - garantisse la traçabilité de ses actes.
Mme Catherine Génisson. - Serait-il souhaitable, d'après vous, de créer une spécialisation en médecine esthétique permettant d'assurer une formation minimale des professionnels de ce secteur ? Aujourd'hui, n'importe quel généraliste ou dermatologue peut faire de la médecine esthétique. Il me semble que nous sommes face à un vide réglementaire effrayant.
M. Jean-Claude Ghislain. - Ce serait d'autant plus pertinent que ces produits ont souvent des règles de profondeur d'injection très précises et contraignantes. Cela influe beaucoup sur la réussite de l'intervention et sur les effets indésirables.
M. Dominique Maraninchi. - A titre personnel, je pense qu'il faudrait bien évidemment demander à ces professionnels de suivre une formation avec un diplôme qualifiant. Il s'agit là d'une garantie pour la population. Je serais aussi favorable à une obligation de déclaration des actes et à la tenue d'un dossier, pour chaque patient, afin d'assurer la traçabilité des produits injectés. Il s'agit là d'une évolution logique qui ne mérite pas de gratification supplémentaire particulière. Leur degré d'indépendance vis-à-vis des fabricants de produits injectables devrait aussi pouvoir être vérifiée sinon mesurable.
M. Jean-Claude Ghislain. - Dans ce domaine - cela vaut pour tous les dispositifs médicaux - nous n'avons pas de circuit de distribution des produits. Soit c'est le client qui s'approvisionne sur les conseils du praticien, soit c'est le médecin lui-même qui s'approvisionne auprès des firmes.
M. Dominique Maraninchi. - C'est le dilemme du médecin pharmacien...
M. Jean-Claude Ghislain. - Nous avons des raisons de penser que beaucoup de patients et de professionnels se fournissent sur Internet. Nous avons donc établi des listes de produits dont les opérateurs se sont déclarés auprès de l'Agence, conformément à la réglementation, ce qui permet d'établir un premier niveau de sécurité. Il ne sert à rien de soumettre certains de ces produits à prescription médicale si on ne crée pas le circuit pharmaceutique adéquat. C'est au législateur d'intervenir en la matière.
Mme Catherine Deroche. - Quelle est la place des appareils du type laser ? Comment s'assurer de leur bon usage ? J'aimerais connaître votre avis même si nous sommes là plus dans le cadre de l'esthétique que dans celui des dispositifs médicaux.
M. Jean-Claude Ghislain. - Nous n'avons pas eu l'opportunité de mener une étude spécifique sur les lasers. La technologie a beaucoup évolué : les premiers appareils étaient réservés aux médecins car très puissants. Nous trouvons aujourd'hui - hors marquage « CE » et dispositifs médicaux - des appareils qui « ressemblent » à des lasers médicaux, la puissance en moins. Nous arrivons au paradoxe que des esthéticiennes ne peuvent utiliser ces appareils réservés aux actes des médecins, alors que le public peut s'en procurer librement dans le commerce. Leur utilisation peut être très contraignante. Je crois qu'il faut éviter de pointer le laser trop souvent sur une même zone, mais j'imagine mal quelqu'un tenir une cartographie corporelle de ses épilations. Ce domaine n'entre pas dans le champ des dispositifs médicaux mais pourrait y être inclus dans le cadre de la refonte des directives.
Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je vous remercie pour cette audition très intéressante. La semaine prochaine, nous recevrons M. Xavier Bertrand, puis le président du comité économique des produits de santé.