Mercredi 29 février 2012
- Présidence de M. David Assouline, président -Droits des malades et à la fin de vie - Audition de M. Régis Aubry, président de l'Observatoire national de la fin de vie
M. David Assouline, président. - Nous inaugurons aujourd'hui, à l'initiative de notre collègue Gaëtan Gorce, un des aspects du travail de notre commission qui consiste, en plus de nos rapports thématiques, à donner des « coups de projecteur » sur l'application de certaines lois, notamment en auditionnant des personnalités qui contribuent à leur évaluation. Le professeur Régis Aubry préside l'Observatoire national de la fin de vie (ONFV), qui vient de remettre un rapport intitulé « Fin de vie : un premier état des lieux ». La question de la fin de vie est souvent abordée de manière très émotionnelle ; or nous avons besoin d'un travail de fond. Je suis certain que les nombreux sénateurs présents cet après-midi ne démentiront pas leur sagesse proverbiale.
M. Gaëtan Gorce. - Il est utile de faire le point sur l'application de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, non seulement pour procéder à une évaluation formelle, mais pour éclairer un débat public inévitablement agité, où il est fait appel à la conscience de chacun. Ce qui est en jeu, c'est notre rapport à la médecine, au progrès médical et technologique. On se demande aujourd'hui si la loi de 2005 va assez loin, ou s'il faut autoriser l'aide active à mourir ; le rapport de l'Observatoire reste prudent à cet égard. Il importe de se fonder sur des éléments aussi objectifs que possible, sur l'expérience du terrain, afin de ne pas en rester à la confrontation de points de vue subjectifs.
La création de l'Observatoire fut un grand progrès, mais il ne répond pas encore tout à fait à nos attentes, faute de moyens financiers et humains peut-être. Le rapport observe que, sur l'obstination déraisonnable - nom donné par la loi de 2005 à l'acharnement thérapeutique -, nous ne disposons d'aucune indication fiable permettant d'apprécier globalement la situation. Ce serait pourtant indispensable pour porter un jugement sur cette loi. De même, il n'existe aucune enquête nationale sur ce que les médecins savent de la loi. Il semble qu'ils ne se sont pas encore tout à fait approprié la législation. Ces lacunes empêchent toute réflexion globale.
M. David Assouline, président. - Nous attendons d'autant plus de l'audition de Monsieur Aubry qu'en plus d'être président de l'ONFV, il est chercheur et praticien.
M. Régis Aubry, président de l'Observatoire national de la fin de vie. - Outre le rapport, l'Observatoire a publié un document synthétique, qui vous a été distribué, pour mieux faire connaître ses conclusions. Le débat ne doit pas se limiter à la question de l'euthanasie. Grâce aux progrès sanitaires, la population âgée s'accroît ; et du fait des progrès de la médecine, il est possible de maintenir en vie des personnes affectées de maladies chroniques, dont certaines ne sont pas guérissables. Le vieillissement s'accompagne aussi du problème de la dépendance. Tout cela appelle une réflexion politique, au sens noble du terme.
La mission d'évaluation de l'application de la loi de 2005 avait recommandé en 2008 de créer un observatoire pour suivre l'évolution des pratiques soignantes et de la perception que la société a de la fin de vie. Notre objectif est double : recueillir les données disponibles pour éclairer le débat public, et inciter à la recherche de nouvelles données. Dans ce premier rapport nous faisons preuve, sinon d'humilité, du moins d'honnêteté : nous ne disposons pas de tous les moyens nécessaires pour évaluer l'impact de la loi de 2005. On ne sait guère dans quelle mesure les soignants se sont approprié cette réforme : seules existent des études régionales. Le problème tient sans doute moins à la connaissance de la loi qu'à sa mise en oeuvre. Je rappelle que ce texte faisait suite à la loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui a amorcé une véritable révolution culturelle et bouleversé l'exercice du métier de soignant : il est désormais admis que le malade est le meilleur juge de ce qui le concerne. Naguère, selon un point de vue que l'on a qualifié de « paternaliste », on avait tendance à décider de ce qui était bon pour eux... Mais le principe n'est pas toujours facile à appliquer : une personne gravement malade n'est pas toujours en mesure de porter un avis suffisamment neutre sur elle-même. L'important est l'esprit de la loi.
Notre rapport a mis en lumière les difficultés de sa mise en oeuvre, et confirmé une particularité française : l'approche très médicalisée, et même très hospitalière de la fin de vie. En Belgique et aux Pays-Bas, où de nombreuses recherches ont été menées à ce sujet - ce qui n'est pas le cas en France, où l'on préfère les études d'opinion - il en va tout autrement. Alors que six français sur dix meurent à l'hôpital, les néerlandais meurent à domicile dans la même proportion.
La société française a du mal à aborder la question de la fin de vie, à accepter la finitude de l'homme. Un tiers seulement des personnes qui meurent en France se voient offrir des soins palliatifs, alors que ce devrait être le cas pour les deux tiers d'entre elles. Aux urgences, elles ne sont même que 7 %, quand 70 % en auraient besoin ! Des efforts ont pourtant été faits depuis une vingtaine d'années, au fil de trois plans successifs, et nous avons rattrapé notre retard au plan des structures : il existe aujourd'hui une centaine d'unités de soins palliatifs, 4 500 lits identifiés et 400 équipes mobiles. Mais les soins palliatifs ne doivent pas être considérés comme une spécialité médicale : ce doit être une pratique soignante intégrée dans n'importe quel type de soins, destinée à traiter l'inconfort lié à la chronicisation des maladies et à la fin de vie. Or, sur ce plan, les carences sont patentes.
Le problème tient pour partie à l'organisation des études médicales. La médecine a de plus en plus partie liée avec les biotechnologies, et elle a perdu sa dimension humaniste. Or il est essentiel pour un médecin de porter un regard critique sur la relativité des savoirs, de se poser des questions d'ordre éthique sur la pertinence de la poursuite des traitements, sur le sens qu'il y a à maintenir en vie une personne qui souffre. Rien dans leur formation ne prédispose les futurs praticiens à affronter les problèmes de demain.
M. Gaëtan Gorce. - La question a été soulevée dès 2004. Mais entre le moment où l'on prend conscience des problèmes et celui où on les résout, le délai peut être long ! Une commission comme la nôtre doit éviter ces lenteurs.
M. Régis Aubry. - Que l'on ait tant tardé n'a rien de surprenant, car il est très difficile de modifier quoi que ce soit au cursus des études de médecine ! J'espère que la réforme imposée par les accords de Bologne sera l'occasion d'introduire une formation aux soins palliatifs. Nous aurons besoin de votre soutien, car la communauté hospitalo-universitaire est sceptique ! Nous n'avons pas besoin d'enseigner aux futurs médecins le texte de la loi, mais de leur apprendre à aborder de manière rigoureuse les problèmes éthiques. Si nous savons faire beaucoup, est-ce une raison de le faire ? L'objet principal de la médecine doit-il être de prolonger la vie ? Comment se comporter face aux apories liées aux limites des savoirs ? Les médecins ne sont pas non plus formés à la communication avec les malades, dont on prétend pourtant défendre les droits et entendre la parole.
Face à la fin de vie, il faut travailler de manière plus transversale et collégiale : une infirmière en sait souvent beaucoup plus qu'un médecin sur un patient, et devrait avoir son mot à dire.
Le grand public est mal averti. Selon un sondage publié il y a près d'un an, 76 % des Français ignoraient qu'une loi - pour dire les choses simplement - interdisait l'acharnement thérapeutique ! La question de la fin de vie est abordée lorsque les gens tombent malades ; en revanche, les sondeurs n'interrogent que les bien-portants. Il faudrait un débat public pour éclairer chacun sur la loi de 2005, ses mérites et ses limites. Car aucune loi n'est parfaite. Dans deux pays voisins où l'on a dépénalisé l'euthanasie, les résultats sont très différents : en Belgique, on estime que la moitié des euthanasies se pratiquent hors du cadre légal, un tiers sur des personnes qui n'ont rien demandé. Or, s'il doit y avoir débat, il ne doit évidemment porter que sur l'euthanasie répondant à une demande : il serait dangereux d'autoriser à décider pour autrui. La loi belge fixe des critères rigoureux, mais la sédation en fin de vie, de plus en plus fréquente, permet d'y échapper. Aux Pays-Bas en revanche, dans un pays de culture voisine, les euthanasies pratiquées hors du cadre légal sont rares. C'est sans doute lié au fait que le débat public y a duré douze ans, contre moins d'un an en Belgique !
Il est d'autant plus nécessaire d'avoir sur ce sujet un débat éclairé que le terrain est volcanique et la caricature facile. L'Observatoire s'efforce d'avoir une approche non partisane, aussi factuelle que possible. Notre rapport a été critiqué de tous côtés, ce qui est peut-être bon signe !
Pour l'avenir, je ne réclame pas de moyens financiers supplémentaires, mais je souhaite que le champ opérationnel de l'Observatoire soit élargi, afin qu'il puisse lui-même faire des recherches pour alimenter le débat. Marie de Hennezel qui en a démissionné lui reprochait de ne pas aller sur le terrain, mais il ne pouvait pas sortir du rôle qui lui avait été assigné ! Cette année, nous nous concentrerons sur la fin de vie à domicile, les soins qui y sont apportés et le vécu des malades. Les données étant très rares, il faudra nous atteler nous-mêmes à la tâche.
M. Jean-Pierre Godefroy. - Nous avons eu l'occasion de nous rencontrer, monsieur Aubry, à l'occasion du dépôt de ma proposition de loi sur l'assistance médicalisée pour mourir - expression qui n'est pas tout à fait synonyme d'euthanasie. Je suis entièrement d'accord pour dire que l'approche française de la fin de vie est trop médicalisée. Lorsqu'on rédige un texte législatif, si l'on n'accorde pas aux médecins un rôle prééminent dans la prise de décision, on est sûr d'échouer ! Or je crois pour ma part que les personnes en fin de vie doivent avoir le choix : cette vie leur appartient et à personne d'autre. On oppose trop souvent les soins palliatifs et le droit à une mort organisée, alors qu'ils sont complémentaires. Peut-être les sondeurs n'interrogent-ils que les bien-portants, mais dans les hôpitaux, on rencontre des patients qui réclament qu'on les aide à mourir. On le fait aujourd'hui de manière occulte. Vous avez justement appelé à réfléchir à l'objet de la médecine, aux limites du savoir. Les médecins n'acceptent que trop rarement d'avouer qu'ils ne savent plus.
Je ne suis pas du tout opposé à la loi Léonetti, mais il faut franchir un cap, pour que le patient puisse décider de la manière dont il souhaite finir son existence et accomplir ce que j'appelle un « passage ».
S'agissant d'ailleurs des soins palliatifs, de quoi parle-t-on ? Combien d'hôpitaux sont-ils démunis de toute unité dédiée ? Quelle formation les soignants reçoivent-ils ? La légalisation de l'assistance médicalisée pour mourir - dans des conditions très spécifiques, car je ne suis pas pour le suicide assisté - renforcerait les soins palliatifs, loin qu'il faille les opposer.
M. Jacques-Bernard Magner. - Vous avez dit que six français sur dix meurent à l'hôpital. Mais qu'en est-il de l'hospitalisation à domicile ? Des soins palliatifs sont-ils offerts dans ce cadre ? Le problème se pose notamment à la campagne. J'ai participé à la création d'une maison de santé dans le Puy-de-Dôme : on a sollicité les services de l'hospitalisation à domicile, ce qui n'aurait pas été le cas il y a dix ans.
M. Régis Aubry. - Monsieur Godefroy souligne qu'il faut savoir de quoi on parle. Justement, on ne sait pas ! Nous attendons les résultats de recherches menées avec l'Institut national des études démographiques sur les pratiques médicales en fin de vie. J'espère que cela permettra un débat plus sain : pour l'instant, les chiffres produits dans un sens ou dans l'autre sont tous faux, puisqu'ils ne sont fondés sur aucune étude.
La France est championne de la médicalisation de la fin de vie, mais aussi de l'acharnement thérapeutique, que la loi de 2005 visait pourtant à empêcher. Nous jouons les Prométhée, et voudrions être capables de prolonger la vie indéfiniment. Mais est-ce le sens de la médecine ? Quel est le sens d'une vie qui ne se résume plus qu'à la souffrance ? La loi, insuffisamment appliquée, n'a pas arrêté les dérives. Face aux progrès et aux limites du savoir médical, un médecin doit s'interroger. Or le système de santé ne l'y encourage pas : la tarification à l'activité, sur laquelle il ne m'appartient pas de porter de jugement, ne valorise ni la réflexion, ni l'abstention de tout acharnement thérapeutique. Or c'est bien la prévention de l'acharnement qui devrait être au centre de nos réflexions, avant même l'euthanasie.
Pour répondre à Jacques-Bernard Magner, 21 000 patients à domicile relèvent chaque année des soins palliatifs. Or les politiques de développement de ces soins ont négligé jusqu'ici l'hospitalisation à domicile.
M. Claude Dilain. - La question de la formation est fondamentale. Depuis le tournant du siècle, le profil des médecins a changé, et la dimension humaniste s'est perdue. N'est-ce pas en partie lié à la sélection des étudiants en fin de première année, fondée sur des matières scientifiques où l'évaluation est plus facile et excluant les matières littéraires ?
Quant aux soins palliatifs, je suis défavorable aux services dédiés. Quelle violence de dire à un patient : « Vous allez passer en soins palliatifs » ! On va ainsi à l'encontre de l'objectif recherché.
Mme Dominique Gillot. - Je connais des gens qui ont vécu sereinement leur passage en unité de soins palliatifs, parce qu'ils s'y étaient préparés et savaient qu'ils y seraient bien accompagnés. Cette approche de la médecine doit être valorisée. L'évaluation de l'application de la loi de 2005 débouche immédiatement sur la question de l'assistance pour mourir ou du suicide assisté, mais je crois qu'il faudrait nous concentrer sur l'objet de cette loi. Vous avez rappelé qu'un tiers seulement des personnes qui meurent en France se voient offrir des soins palliatifs. C'est dire quelles sont les carences !
Vous déplorez que l'Observatoire ne dispose pas de toutes les données nécessaires. Est-il en mesure de réorienter ses travaux, de mener des recherches pluridisciplinaires avec des philosophes ou des éthiciens, à l'exemple du Centre d'études cliniques de Paris ? Sa composition actuelle le lui permet-elle ? Cela pourrait aussi déboucher sur une réforme des études médicales.
M. Yannick Vaugrenard. - Il est dommage que nous disposions de si peu de temps pour cette audition. Notre frustration ne fait que confirmer la nécessité d'un débat public sur pareil sujet, qui traverse les partis. On dit que la certitude rend fou. C'est rassurant, car je suis plein d'incertitudes. Est-ce vraiment au malade de décider de son sort, dans l'état d'affaiblissement psychique qui est le sien ? Peut-il se prononcer en connaissance de cause, et formuler un choix qu'il ne regretterait pas quelques temps après ? L'entourage et le corps médical doivent aussi avoir leur mot à dire.
Oui, il est indispensable de donner aux médecins une formation psychologique et philosophique, de rendre à la médecine son caractère humaniste.
Nous avons tous vécu la mort d'un proche. Lorsqu'on décide de mettre un terme aux souffrances d'un patient, il est indispensable d'en informer son entourage. On ne le faisait pas il y a vingt ou trente ans. Est-ce devenu systématique ?
Il faut poursuivre le débat avec des professeurs de médecine, des philosophes et d'autres professionnels, pour aboutir à une décision partagée.
M. Gilbert Barbier. - Les médecins se livrent parfois contre leur volonté à l'acharnement thérapeutique. J'ai exercé en chirurgie infantile : si l'on ne fait pas tout afin de réanimer, même pour quelques heures, un enfant accidenté dont on sait d'emblée qu'il est impossible de le sauver, on se fait traiter d'assassin ! Certes, il y a parfois des exagérations. Mais la loi de 2005 a conduit au développement des soins palliatifs, et si elle n'est pas complètement appliquée, il faut s'en donner les moyens. Les malades ne veulent souffrir ni physiquement, ni psychiquement. Personne ici n'est pour l'acharnement thérapeutique. Mais est-il facile de recueillir la volonté d'un patient à demi-conscient ? Qui en sera chargé ? Ne peut-il pas changer d'avis ?
A vous entendre, j'ai cru comprendre que les médecins faisaient trop de médecine. Mais ils sont là pour soigner, pas pour tuer. Si l'euthanasie est légalisée, il faudra en confier la charge non à eux, mais à un corps spécialisé.
M. Jean-Pierre Michel. - Pourquoi votre rapport n'évoque-t-il pas le suicide ? Celui-ci n'est pas réprimé par la loi, non plus que l'assistance au suicide. Pourquoi ne pas aider quelqu'un à mourir de façon moins violente s'il en fait la demande ?
M. Régis Aubry. - Je l'ai dit, les structures palliatives existent aujourd'hui, mais il reste à en diffuser la culture parmi tous les soignants. Les unités de soins palliatifs accueillent les patients dont l'état est le plus complexe, ceux qui sont affectés de douleurs réfractaires. Il ne faut pas laisser croire que la mort puisse être facile et agréable : mourir, c'est toujours souffrir. Une des missions des médecins est aujourd'hui d'empêcher la douleur physique, mais quant à la souffrance existentielle et spirituelle, aucun médecin ni aucun médicament ne l'apaisera jamais. Si l'on parvenait à l'éliminer, c'est l'homme que l'on ferait disparaître !
Arrêter le traitement, ce n'est pas arrêter les soins : c'est le devoir de tout homme que d'offrir des soins à son alter ego qui souffre. Les soins palliatifs s'imposent, quel que soit le cadre. Monsieur Jean-Pierre Godefroy a raison de dire qu'il ne fallait pas les opposer à l'euthanasie. Il ne faut pas non plus verser dans l'acharnement : un patient en fin de vie a besoin qu'on le laisse en paix, et le rôle des soignants est de satisfaire ce besoin d'isolement tout en évitant la solitude.
Le suicide relève du choix de chacun. Mais contrairement au suicide, l'euthanasie implique l'intervention d'un tiers. Lors d'une audition, Monsieur Robert Badinter s'est montré très éclairant à ce sujet : il est impossible d'interdire le suicide, mais il faut se poser la question de l'implication personnelle. Ce que l'on attend des autres, il est difficile de le faire soi-même. Eh bien, si c'est difficile, parlons-en.
Quant aux moyens de l'Observatoire, je demanderai ce soir au comité de pilotage d'élargir nos missions pour que nous puissions réaliser des enquêtes.
M. David Assouline, président. - Nous aurons à débattre prochainement de ces sujets, que l'allongement de la vie met à l'ordre du jour : couverture du « cinquième risque », place respective de l'hospitalisation et du maintien à domicile, suivi personnalisé à la maison, etc. Dans ce contexte, il est étonnant, choquant même, que les médecins ne soient pas formés à la réflexion éthique sur la fin de vie.
M. Gaëtan Gorce. - Le rapport de l'Observatoire a été injustement attaqué, alors qu'il explore de nombreuses questions sans prétendre apporter de réponses définitives. Les compétences et l'honnêteté de ses membres ne sont plus à démontrer. Il faut débattre de ce sujet plus sereinement. Plus que jamais, nous avons besoin de votre institution, qu'il faut conforter et dont il faut préciser les missions. J'ai longtemps regretté de n'avoir pas déposé en 2005 un amendement tendant à créer cet observatoire, et il a fallu attendre longtemps pour que le Gouvernement le fasse, en donnant l'impression de s'y résigner. Pour légiférer, nous avons besoin de savoir ce qui se passe réellement.
M. David Assouline, président. - Le président Régis Aubry regrette que l'Observatoire ne dispose pas des données nécessaires. C'est un problème que notre commission rencontre aussi. Aux Etats-Unis, les parlementaires disposent de moyens considérables pour mener des enquêtes en toute indépendance.
Droit au logement opposable - Table ronde avec les représentants d'associations et d'institutions, membres du comité de suivi de la mise en oeuvre du Dalo
M. David Assouline, président. - A l'initiative de la commission de l'économie, nous nous sommes saisis du contrôle de l'application de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (Dalo). Nous avons désigné deux co-rapporteurs, Claude Dilain, du groupe socialiste et Gérard Roche, du groupe centriste. Chacun pourra suivre leur programme de travail sur notre blog. Nous avons innové, pour ouvrir nos travaux à la discussion sur le site du Sénat. Notre objectif est de présenter nos conclusions en juin ou juillet prochain. Pour élaborer leur rapport de contrôle de l'application de la loi, les co-rapporteurs ont choisi d'entendre les partenaires associatifs mobilisés sur cette question sous la forme d'une table ronde plutôt que d'entretiens bilatéraux. Nos travaux sont filmés par Public Sénat, qui va les diffuser en différé.
Je suis heureux d'accueillir Monsieur Bernard Lacharme, du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD), Monsieur Jean-Baptiste Eyraud, président de l'association Droit au logement (DAL), Monsieur Jean Yves Guéranger et Madame Marisol Nodé-Langlois, respectivement responsable d'Habitat-Ville et chargée des relations parlementaires d'ATD Quart Monde. Deux responsables d'association, qui nous ont prévenus de leur empêchement, nous enverrons leur contribution écrite, Monsieur Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre et Monsieur Bruno Morel, délégué général d'Emmaüs Solidarité. Nous souhaitions aussi entendre les pouvoirs publics et avions invité M. Apparu, dans des délais convenables. Nous ne savions pas qu'il serait en séance publique pendant cette table ronde. Nous ferons en sorte que son audition puisse avoir lieu.
M. Claude Dilain , co-rapporteur. - Qu'est-ce que contrôler l'application d'une loi ? Constater que les décrets d'application sont bien pris, vérifier que les circulaires sont conformes à la loi ? A une ou deux exceptions près, ce travail est bien fait. Nous aurions pu en rester là. Nous avons souhaité aller au-delà, pour évaluer l'efficacité de la loi sur le terrain. C'est pourquoi votre présence est indispensable. S'agissant de la méthode, nous vous avons envoyé un questionnaire et avons effectivement mis en ligne sur le site du Sénat un appel à contribution pour recueillir un maximum de témoignages, d'ici à la remise de notre rapport fin juin. Nous avons choisi de vous recevoir tous ensemble, non pour gagner du temps mais pour susciter un dialogue entre vous, puis avec nous.
M. Gérard Roche, co-rapporteur. - Tâche difficile que d'évaluer la loi, non seulement par sa face visible, les nombreux décrets d'application et la mise en oeuvre administrative, mais jusqu'à la réalité des choses, jusqu'au déroulement des contentieux, des démarches juridiques. L'on se rend bien compte que le droit au logement est difficile à opposer en l'absence de logements proposables. J'espère que vous éclairerez notre lanterne.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - Le Dalo, ce n'est pas seulement l'accès au logement, mais aussi une série de mesures qui sont loin d'être accessoires, comme la majoration des droits à construire, redevenue d'actualité, ou les interventions du secteur HLM pour sauver les copropriétés dégradées, que nous connaissons bien à Clichy-sous-Bois.
M. Bernard Lacharme, HCLPD, rapporteur du comité de suivi de la loi Dalo. - La loi Dalo fait l'objet d'un comité de suivi alors que peu de lois en bénéficient. Sa création était une condition de notre avis favorable lorsque le projet nous a été soumis. Il rassemble les membres du Haut comité et l'ensemble des acteurs concernés par l'application de la loi, parmi lesquels les organismes ici représentés : HLM, sociétés d'économie mixte, associations d'élus, maires, communautés, départements, régions, associations de locataires. Il est chargé de remettre un rapport annuel au président de la République, au Premier ministre et au Parlement. Nous en avons déjà produit cinq, le premier avant même l'entrée en vigueur de la loi, en octobre 2007 ! La loi prévoit aussi un rapport d'évaluation du Conseil économique, social et environnemental, qui a été remis en octobre 2010. Il y a aussi un rapport au Conseil d'État. Notre souci est de faire entendre nos conclusions, généralement consensuelles, mais qui ne sont pas toujours audibles...
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - Le titre de votre dernier rapport est éloquent...
M. Bernard Lacharme. - « Monsieur le Président de la République, faites enfin appliquer la loi Dalo » ! Le président nous a reçus une fois, rapidement, en octobre 2007, nous en étions ravis, mais ne l'avons pas revu depuis ! Nous n'avons jamais été reçus par le Premier ministre. Nous avons quelquefois eu l'occasion d'échanger avec des parlementaires et nous vous remercions de cette nouvelle occasion qui nous est donnée. Monsieur Etienne Pinte organise tous les ans un colloque à l'Assemblée pour évaluer l'avancée du Dalo. Ce n'est pas par hasard que le Parlement a prévu la remise de notre rapport aux plus hautes autorités de l'État : Monsieur Benoist Apparu ne détient pas seul les clés de l'entrée du droit opposable dans les faits.
Le Haut comité a proposé en vain, de 2002 à 2006, de rendre le droit au logement opposable. Il a fallu attendre l'élection présidentielle et les manifestations associatives pour qu'il soit entendu. Nous avons toujours dit que la responsabilité de la mise en oeuvre de ce droit fondamental appartenait à la puissance publique. On sait qui est responsable du droit à la scolarité. Il en va autrement du droit au logement, dont la garantie est inscrite dans la loi Besson : tout le monde est responsable, donc personne n'est responsable ! Les compétences sont éclatées entre les communes qui ont des compétences majeures en matière d'urbanisme, de préemption, etc. L'intercommunalité qui a un rôle croissant en matière d'habitat, les départements, pour les plans départementaux pour le logement des personnes défavorisées, et l'État. Nous avons accepté le projet en raison de l'inscription, par défaut, de la responsabilité de l'État dans la loi. Mais la question de l'efficacité demeure ouverte dans la mesure où l'État ne possède pas tous les leviers. Pour nous, le Dalo doit être un levier pour répondre aux besoins de ceux qui sont en difficulté et, au-delà, pour mener une politique mettant en adéquation l'offre et la demande.
Il faut traiter le problème de la gouvernance territoriale. Lorsque nous avons proposé d'instaurer ce droit au président Jacques Chirac, nous lui suggérions d'ouvrir d'abord un débat national puis de nous mettre d'accord sur la gouvernance. La loi est arrivée brutalement, dans l'urgence. Nous avons considéré qu'elle nous permettait d'avancer, avec une responsabilité à l'égard du citoyen, illustrée par l'instance du recours amiable et du recours contentieux devant le tribunal administratif, qui fonctionne, mais restait la question pendante de l'organisation du territoire, qui ne constitue pas un obstacle rédhibitoire partout, puisque la loi est appliquée sur 75 % du territoire. Il faudrait selon nous renforcer les pouvoirs de l'intercommunalité par rapport aux maires.
En Île-de-France, nous sommes en échec, parce que nous n'avons pas tranché la question de la gouvernance. Le sujet déborde largement les compétences du ministre du logement. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons voulu un premier rapport dès 2007. Nous disions qu'il fallait une deuxième loi, nous le disons encore aujourd'hui pour se donner les moyens d'appliquer effectivement le Dalo.
Autre obstacle majeur, sur le terrain : la loi n'est pas assumée par le gouvernement. Respecter la loi, ce n'est pas seulement prendre les décrets et les textes d'application. C'est aussi reloger telle personne dont la commission de médiation a estimé qu'elle devait l'être sous trois ou six mois. Notre précédent rapport était intitulé : « L'État ne peut pas rester hors-la-loi ». Il est encore plus d'actualité, un an après, peut-être encore davantage sur certaines parties du territoire. Nous touchons là aux limites du droit. Quand l'État choisit de ne pas appliquer cette loi, en dépit des décisions de justice, nous nous heurtons à un problème majeur. C'est ce qui incite à nous faire entendre dans cette nouvelle période électorale. Le logement est à l'ordre du jour, ce qui est plutôt une bonne chose. Ce n'était pas le cas il y a quelques mois. Mais l'on n'entend guère parler du droit au logement. Attention à ne pas réitérer l'argument qu'on nous opposait entre 2002 et 2006 : il fallait attendre que l'on construisît suffisamment de logements pour appliquer le droit ! Ce droit fondamental de la personne humaine n'a pas à être mis en balance avec je ne sais quelle contrainte ! Ce droit de l'homme, à la base du pacte républicain, nous oblige. D'autant plus que l'on régresse sur certaines parties du territoire.
La situation de certains territoires est inacceptable. On ne peut se contenter d'affirmer qu'il faut construire davantage de logements. Aujourd'hui, des gens désespérés, déclarés prioritaires par la commission de médiation, restent sans logement, dans des conditions indignes. Il est faux de dire que l'on n'a pas les moyens d'agir : on ne s'est pas donné les moyens. En Île-de-France, il y a 12 000 prioritaires par an. On attribue 75 000 logements sociaux par an. Je sais que ce n'est pas facile, j'entends ceux qui disent qu'ils ont beaucoup de logements sociaux et qu'on ne peut concentrer les personnes en difficulté sur leur territoire. Il faut diversifier. Nous avons ainsi proposé un plan d'urgence pour mobiliser les logements du parc privé. Nous avons réclamé un plan d'urgence pour 9 000 logements par an pour l'Île-de-France qui permettrait d'alléger la charge du logement social. Le Conseil économique, social et environnemental a aussi fait des propositions. Aucune n'a été reprise !
Il faut saisir le débat de la prochaine mandature pour améliorer la gouvernance et ce qui doit l'être. Il faut dire si oui ou non le gouvernement et le Parlement ont l'obligation de mettre en oeuvre le droit au logement en France.
M. Jean-Baptiste Eyraud, président du DAL. - Depuis 2003-2004, nous défendons, avec les personnes qui sont à mes côtés, le Dalo. La loi que nous avons demandée a été promulguée. Quelques jours avant l'adoption de la loi Besson du 31 mai 1990, j'ai rencontré le Président David Assouline, place de la Réunion, dans le 20e, sur le site où a été créée par la suite l'association DAL. Nous voilà donc en terrain de connaissance.
La question du logement s'est améliorée au fil du temps. Le nombre de mal-logés a diminué. Puis, depuis 2000, la situation a basculé. Prédominent le sentiment d'une régression, une inquiétude, qui expliquent que les candidats se soient emparés du sujet. De plus en plus de personnes sans abri se trouvent dans la rue, à tel point que chacun se demande si lui-même, ses enfants, ses petits-enfants ne s'y retrouveront pas un jour. L'association « Les morts de la rue » a montré que l'on mourait à l'âge moyen de 45 ans, dans la rue. Être condamné à la rue, c'est être condamné à mort. La violence qui frappe ceux qui sont jetés dans la rue est mal appréhendée : c'est une souffrance mentale, physique, sociale. La loi découle de l'action de l'association « Les Enfants de Don Quichotte » au bord du canal Saint-Martin. Dans notre société, le droit au logement est une question de civilisation : sans logement, on n'existe pas, on meurt. Des enfants, des femmes, des familles se trouvent dans des situations de plus en plus difficiles, à la mesure de l'aggravation de la crise du logement.
La loi a été adoptée en 2007 dans un contexte préélectoral, paradoxalement demandée par un président de la République fervent soutien des milieux immobiliers, et qui a abrogé la loi de 1948 ainsi qu'une série de dispositions protégeant les locataires, mais qui s'est rattrapé en faisant adopter cette loi juste avant de partir.
Depuis lors, les limites de la loi ont été repérées, à tel point que beaucoup d'élus s'interrogent sur sa pertinence, face à la difficulté de la mettre en oeuvre. Ce nouveau droit concernait au premier chef les adhérents de notre association, mal logés, sans logis ou menacés d'expulsion sans relogement. C'est dire si elle a suscité un espoir. Dès son examen, nous avions indiqué ses insuffisances. Le comité de suivi les a mises en évidence : inégalités de traitement très importantes, en particulier dans les zones tendues ; certaines règles des commissions de médiation, qui sont souvent inégales, voire illégales, tendent à limiter le nombre de personnes éligibles au relogement. Dans les départements d'Île-de-France hors Paris sont pratiqués des filtrages illégaux.
Les délais d'examen sont grosso modo respectés. Des progrès ont été accomplis à cet égard. Dans 75 % du territoire, hors Île-de-France, et dans une moindre mesure, les régions Rhône-Alpes, Paca et Nord Pas-de-Calais, la loi est correctement appliquée, comme l'a souligné Bernard Lacharme. C'est là où le marché est le plus tendu, où la crise du logement est la plus sévère, que nous rencontrons les difficultés d'application les plus importantes.
L'État ne reloge pas dans les délais, au point que de nombreux ménages déclarés prioritaires en 2008-2009 ne sont toujours pas relogés ! Cela se traduit par une injustice dans la mise en oeuvre de la pénurie. Aujourd'hui, on reloge les prioritaires du mois dernier alors qu'on ne prend pas en compte ceux qui ont été reconnus prioritaires les premiers. Pourquoi ? On ne le sait pas. Aucune justice, aucun critère ne l'explique.
Comment régler cette question ? Le ministre Benoist Apparu s'était engagé à relever le nombre de prioritaires relogés en région parisienne et à rattraper le retard. Sur le terrain, le nombre de relogements au titre du Dalo a augmenté, mais le retard n'a pas été rattrapé. Le nombre de prioritaires non relogés augmente d'année en année.
Il faut une organisation territorialisée, céder des compétences aux collectivités territoriales. Mais surtout l'État ne s'est pas donné tous les moyens. La loi a créé des limitations délibérées dans le dispositif de relogement. Elle oblige l'État à utiliser le contingent préfectoral. Il faudrait lui donner des moyens de relogement supplémentaires : réquisition, sous-location dans le parc locatif privé (Solibail), dispositifs qui ne sont pas mis en oeuvre. Au lieu de limiter les capacités de relogement du préfet, la loi aurait dû s'ouvrir à tous les moyens de relogement pour sortir les gens de leurs difficultés.
Autres problèmes : les astreintes et la procédure spécifique Dalo. Il faut déplafonner les astreintes, plafonnées en 2009 par la loi Boutin. Les premières décisions des tribunaux administratifs prononçaient des astreintes d'environ 100 euros par jour. Un amendement du sénateur Philippe Dallier les a plafonnées à un niveau équivalent à un loyer HLM : elles sont passées de 3000 euros par mois à 300 à 500 euros par mois. Elles ont été affectées à un fonds qui était censé aider les communes n'atteignant pas le seuil de 20 % de logements sociaux, compte tenu de leur surcharge foncière, donc sans relation directe avec l'intérêt des ménages en difficulté. Il y a là une injustice. La justice administrative n'aurait pas vocation à donner de l'argent à des ménages démunis. L'État n'est pas encouragé à utiliser tous les moyens légaux dont il dispose pour satisfaire à ses obligations. Il faut lui redonner des contingents supplémentaires ou les maires doivent participer au relogement. Dans quelques cas, une partie du contingent du 1 % logement doit être affecté au relogement Dalo, c'est une petite avancée, mais qui n'est pas suffisante.
Notre pays n'a jamais été aussi riche, il n'a jamais connu autant d'inégalités, depuis le XIXe siècle. La possibilité d'y mettre en oeuvre le Dalo est à notre portée. C'est un défi qu'il nous faut absolument relever. Ce serait un honneur pour notre pays de rendre cet hommage au combat de l'Abbé Pierre et de tous ceux, maires, bailleurs sociaux, qui se sont battus pour le droit au logement. Il faut conclure ce combat qui dure depuis 150 ans.
Nous avons vu passer un amendement qui, plutôt que d'améliorer les conditions d'accès aux prioritaires Dalo, les limitait. Son objet était de rendre impossible le relogement des prioritaires Dalo dans les communes qui comptent plus de 50 % de logements sociaux, M. Dilain en sait quelque chose. Pourquoi pas ? Mais faites attention au mauvais message que vous transmettez ! Il faut améliorer les dispositions relatives au relogement avant d'en mieux répartir la charge. J'entends bien que les charges ne sont pas les mêmes pour les communes riches et pauvres.
Les copropriétés HLM sont un sujet très complexe...
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - Certes !
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Pensons d'abord à ceux qui y vivent : ils sont éligibles à la loi Dalo. Ils doivent être encouragés à saisir les commissions et être reconnus prioritaires. Le problème des propriétaires occupants mal logés peut également se poser...
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - Ils sont moins nombreux que les locataires maltraités, mais ils existent !
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Pour les rares cas constatés, il faut suggérer de trouver un bailleur social ou une collectivité territoriale, pour leur proposer un bail emphytéotique ou un Solibail, de telle sorte que ces petits logements puissent conserver leur vocation sociale.
M. Jean-Yves Guéranger, responsable Habitat Ville, ATD Quart Monde. - L'idée que la non-application du Dalo est due à l'insuffisance des logements dans certaines régions est en partie exacte. Il n'en est pas moins vrai que certains logements qui pourraient être attribués au titre du Dalo ne le sont pas. Nous déplorons un manque de transparence et de communication entre les bailleurs, d'une part, et les préfets et leurs services, d'autre part : ils ne se communiquent pas l'identité des ménages prioritaires, en mettant en face les logements disponibles. Cela cause une déperdition qui n'explique pas la totalité de la différence de 500 logements manquants par mois, mais une partie. Les rouages sont grippés. En vertu d'une convention passée entre l'État et les bailleurs, sur 37,5 % des contingents, 15 % doivent être sanctuarisés pour le Dalo, mais la réalité est différente.
Il y a une capacité de logements disponibles pour le Dalo qui n'est pas exploitée, en particulier en Île-de-France. Le manque de volonté politique y est pour quelque chose.
Le 1% logement devait fournir 400 logements par mois. Nous en sommes à une centaine. Il en manque 300 ! Le mécanisme d'attribution du 1 % au Dalo ne fonctionne donc pas complètement. Il y a là un fossé considérable ! Redonnons une impulsion, afin que les services préfectoraux fonctionnent mieux ! Les bailleurs devraient savoir qui sont les bénéficiaires du Dalo et les préfets quels sont les logements disponibles.
Autre raison des dysfonctionnements actuels : le montant des loyers, de 5 à 7 euros par mètre carré et par mois en logement social. Une bonne partie des éligibles au Dalo ne peut payer un loyer mensuel de 5 euros par mètre carré. Je siège dans la commission de médiation du département du Nord. Sur 130 dossiers examinés toutes les trois semaines, nous en retenons une cinquantaine de prioritaires. Nous savons qu'une dizaine d'entre eux ne pourront payer leur loyer. C'est un échec programmé. Certains bailleurs refusent de les prendre en raison de l'insuffisance de leurs moyens financiers.
On ne peut plus augmenter les aides d'État, l'APL, il n'y a plus d'argent public, je sais que cela se discute, mais la contrainte financière est là. La solution consiste à demander aux organismes HLM de moduler les loyers, au-delà de la limite actuelle de 7 euros, pour se rapprocher du marché. Celui-ci se situe à 20 euros. Il ne s'agit pas d'aller jusque là, mais de monter jusqu'à 8, 10 ou 11 euros, en fonction, bien sûr, des ressources réelles des locataires, afin, par les moyens complémentaires ainsi obtenus, d'offrir aux plus pauvres un loyer de 3 euros, qu'ils pourront payer, contrairement aux loyers actuels de 5 euros. Le groupe Logement français qui est l'un des plus gros bailleurs sociaux d'Île-de-France, procède de la sorte, par des remises sur quittance. La mesure ne peut pas toucher beaucoup de monde mais il serait d'accord pour ce déplafonnement des loyers HLM, afin de dégager les ressources nécessaires au Dalo. Cela ne coûterait pas un euro à l'État. Nous comptons sur vous, messieurs les sénateurs, pour soutenir une telle initiative législative.
Un tiers des propositions de baux sont refusées par les candidats locataires, parce qu'ils craignent de ne pouvoir payer. Ce sont les bailleurs qui le disent.
Troisième difficulté : l'insuffisance de logements, surtout dans les régions où les loyers et les prix des logements atteignent des sommets, comme l'Île-de-France, l'arc méditerranéen et la zone frontalière avec la Suisse. Il existe une relation évidente entre les tensions du marché foncier et les difficultés d'application du Dalo. Il faut donc construire. Il faut aller vers une densification immobilière. Les logements HLM modernes sont désormais très beaux. Construire permet de rassembler plus de monde sur un territoire donné.
Nous demandons également une réforme foncière qui permette de récupérer une partie des gains immobiliers réalisés par les collectivités locales sur les terrains vendus afin de constituer des réserves foncières.
M. Yves Rome. - Oui.
M. Jean-Yves Guéranger. - Une partie des revenus des collectivités pourrait servir à constituer des réserves foncières. C'est une solution pour baisser le prix des logements, qui dépendent non de celui de la construction, mais de celui des terrains.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - Merci pour vos contributions très enrichissantes. Vous nous avez confirmé que 75 % du territoire ne posent aucun problème, ce qui ne correspond pas à l'idée que l'on se fait de l'application de cette loi, y compris quand on lit les rapports.
Vous avez très peu parlé du manque de logements, qui est souvent invoqué à propos de la loi Dalo. Vous nous avez expliqué qu'il y a des logements, mais que ce sont plutôt les moyens et les modes de fonctionnement qui sont en cause. Bien sûr, le cas de l'Île-de-France est particulier...
M. Jean-Yves Guéranger. -D'un point de vue arithmétique, il y aurait assez de logements pour loger 1 000 personnes par mois...
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - Cela contredit les commentaires que l'on entend souvent sur le manque de stock.
En revanche, vous confirmez l'absence d'homogénéité des commissions. On a l'impression qu'elles fonctionnent de façon différente, non seulement entre l'Île-de-France et les autres régions, mais au sein d'une même région, que l'interprétation de certains critères pourrait influencer par le contexte.
Vous n'avez pas évoqué les catégories socioprofessionnelles des demandeurs. Diffèrent-elles de celles des demandeurs de droit commun ? Selon le ministre délégué, les courbes se superposent, ce qui ne correspond pas à l'impression que nous avons sur le terrain.
M. Yves Rome. - Je tiens à réagir à l'affirmation selon laquelle il y aurait des logements en nombre suffisant pour satisfaire toutes les demandes. Dans mon département, l'Oise, qui soufre de l'extension de la région parisienne, nous constatons que plus de 25 000 demandes ne sont pas satisfaites. L'absence de logements explique les difficultés d'accès au logement.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - Telle est effectivement l'idée que l'on se fait habituellement du problème.
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Construire plus de logements ne signifie pas nécessairement plus de possibilités pour les demandeurs Dalo, car l'accession à la propriété s'adresse à des personnes disposant de quelques moyens. S'il faut remodeler les politiques de logement, il faut également encadrer les loyers dans les zones tendues et décourager la spéculation immobilière et foncière en la taxant.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - C'est bien cela, plus de logements ne se traduirait pas nécessairement par une amélioration de la situation.
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Absolument !
M. Bernard Lacharme. - Le fait que le parc de logements existant soit suffisant pour faire respecter le droit au logement opposable, y compris en Île-de-France, ne signifie pas qu'il y ait assez de logements pour répondre correctement aux besoins de la population. Au contraire, il en manque même pour éviter que nombre de demandes au titre du Dalo ne continuent d'être déposées pour cause de délais de réponse anormalement longs à une demande de logement social.
On a toutefois l'impression que la pénurie de logements sert de prétexte pour ne pas honorer l'obligation de résultat, notamment en Île-de-France, alors que, si toutes les mesures étaient prises, l'État pourrait remplir cette obligation et ne serait plus condamné par les tribunaux administratifs. Nous avons d'ailleurs proposé des mesures d'urgence en ce sens, pour mobiliser des logements vacants, telles que l'acquisition de logements par les offices HLM dans des copropriétés, afin de reloger des ménages.
La question des loyers renvoie plus généralement au fait que l'on ne considère toujours pas le Dalo comme une obligation de résultat vers laquelle les différents instruments doivent tendre. On continue donc de produire des logements sociaux sans se préoccuper de savoir qui ils accueilleront. Certes, 120 000 logements sociaux sont produits annuellement, mais combien parmi ceux-ci correspondent à un niveau de loyer compatible avec les revenus des demandeurs ?
Je défends pour ma part la prise en compte du loyer plafond de l'APL comme loyer de référence.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - Non chargé !
M. Bernard Lacharme. - Il est vrai dans la limite d'un plafond, avec des charges forfaitaires qui sont d'ailleurs très mal prises en compte dans ce dispositif.
Nous avons demandé au ministère, sans réponse, quelle était la part des logements produits - de type prêt locatif social (PLS), logement prêt locatif à usage social (PLUS) et même prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) - dont le loyer est compatible avec les barèmes de l'aide personnalisée au logement (APL). S'il s'avère que l'obligation de résultat du Dalo appelle une aide de l'État en matière de loyers, il conviendra d'en tirer les conséquences en termes d'arbitrages budgétaires.
Je pense que nous devons aussi mobiliser les logements privés, le comité de suivi ayant proposé un dispositif de bonus-malus consistant à taxer les propriétaires qui fixent des loyers élevés afin d'aider ceux qui acceptent de louer leur logement à des conditions sociales.
L'objectif du droit opposable au logement est tout à fait réalisable si l'on le considère comme tel et que l'on met en oeuvre des outils adaptés.
M. Louis Nègre. - Ayant doublé la proportion de logements sociaux dans ma commune, notamment en aménageant un nouveau quartier où ils coexistent sans problème avec des logements privés à 6 000 euros le mètre carré, il me semble que la principale difficulté tient à l'inquiétude que génère la construction d'un habitat social.
Or, cette mauvaise image est imputable au comportement de moins de 2 % de la population de ces immeubles.
Si notre société était capable de mieux garantir à nos concitoyens qu'ils ne seront pas incommodés par une toute petite minorité, les choses fonctionneraient mieux, mais les moyens d'action en la matière sont très limités, par exemple contre ceux qui sèment le désordre dans les cages d'escalier. Personne hélas ne s'en préoccupe...Il faut rassurer notre population qu'il peut y avoir une mixité sociale sans que cela ne pose des problèmes.
Quant à l'idée de vases communicants entre les loyers de différents logements sociaux, elle renvoie aussi à la question du caractère définitif de l'attribution de ces logements, qui aboutit à ce qu'un couple dont les enfants sont partis continue d'occuper un cinq pièces, alors que des familles nombreuses sont sur la liste d'attente. L'État pourrait améliorer ce type de situations sans bourse déliée.
Pouvez-vous enfin nous éclairer sur vos propositions en faveur d'une gouvernance locale plus efficace ?
M. Yves Rome. - Le problème majeur étant celui de la charge foncière, je tiens à rappeler qu'ont été créées, à l'initiative d'un certain nombre de collectivités, plus d'une quinzaine d'établissements publics fonciers locaux qui s'organisent pour valoriser le foncier et éviter l'explosion de son coût. Ce type de dispositif demeure optionnel, mais si la loi obligeait les collectivités à se doter de pareils outils, cela constituerait un élément déterminant en faveur de la production de logements. Car, s'il ne suffit pas de construire pour résoudre la totalité des difficultés, il faut bien considérer que produire du logement mieux adapté, notamment aux publics concernés par le Dalo, permettrait de mieux répondre à leurs besoins. Plus généralement, c'est même à l'ensemble de nos concitoyens qu'il convient de garantir l'accès à un logement dans des conditions financièrement compatibles avec le niveau de leurs revenus.
M. Yves Guéranger. - Effectivement, les établissements publics fonciers existants, il n'est donc pas besoin de créer un nouvel outil, mais encore faut-il leur donner les moyens financiers nécessaires à l'acquisition massive de foncier, ce qui n'est pas le cas.
M. Yves Rome. - Si elle n'est peut-être pas suffisante, la généralisation de ce dispositif à l'ensemble du territoire permettrait de mobiliser des masses considérables. A l'échelle d'un département de 800 000 habitants comme le mien, l'établissement dispose d'une réserve financière de 50 millions d'euros qui lui permet de geler le foncier en agissant en partenariat avec les collectivités territoriales, le droit des sols relevant bien sûr du pouvoir municipal. Cela fonctionne bien et je vous invite à venir le vérifier.
M. Bernard Lacharme. - En matière de gouvernance, la cohérence exigerait de transférer certaines compétences des maires aux intercommunalités, afin que les arbitrages soient rendus au plus près des bassins d'habitat, là où s'expriment véritablement les besoins de logement. Nous préconisons que l'urbanisme revienne de droit aux intercommunalités, tout comme le droit de préemption. Dans le cas particulier de l'Île-de-France, il conviendrait sans doute de constituer une autorité organisatrice régionale prenant éventuellement la forme d'un syndicat, comme c'est le cas en matière de transports.
Le droit au logement, qui légitime les prérogatives des pouvoirs publics, implique des devoirs pour la collectivité. Il n'est dès lors pas normal qu'un maire dispose d'autant de pouvoirs en matière de logement sans remplir en contrepartie ses obligations vis-à-vis de ses administrés en souffrance de logement.
M. Gérard Roche, co-rapporteur. - Le logement c'est un peu « la patate chaude », la solidarité ne joue pas entre les communes souvent peu homogènes du point de vue de leurs situations financières, du prix du foncier ou du logement social, le programme électoral de certains élus consistant presque exclusivement à construire le moins de logements sociaux possible, ce qui pose un problème moral.
Certes 75 % de la demande de logements est satisfaite, mais les réalités sont très hétérogènes, notamment parce que ces données comptabilisent comme « logements sociaux » des logements qui n'ont plus rien de social car devenus inaccessibles, les loyers privés étant parfois inférieurs à ceux de certains HLM. La deuxième loi qui a été évoquée devra revenir sur ce problème de fond.
M. Bernard Lacharme. - Concernant les profils, nous entendons deux discours. D'une part, les demandeurs Dalo ne se distinguent pas des autres....
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - C'est ce que dit le ministre.
M. Bernard Lacharme. - Il est vrai que dans des territoires tendus comme l'Île-de-France, la demande de logement concerne aussi des salariés.
Mais d'autre part, le 1 % logement connaît des difficultés pour mobiliser son contingent Dalo car les prioritaires Dalo sont plus pauvres que le public habituel. Tout en confirmant la similitude générale des profils par rapport à l'emploi et à la composition familiale, une étude réalisée en région parisienne note que la proportion d'étrangers est plus forte parmi les demandeurs Dalo, ce qui tient sans doute aux discriminations dont cette population peut être victime.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - L'un des freins ne réside-t-il pas dans une forme de compétition entre les demandeurs Dalo et les autres ?
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Face à la crise du logement, ces demandeurs Dalo sont en concurrence, plus ou moins affichée, avec d'autres demandeurs, comme le sont d'ailleurs toutes les autres catégories sociales à l'exception des bien-logés. Dans ce contexte, la proposition d'un encadrement et d'une limitation des loyers, issue des travaux du Sénat de décembre dernier, nous apparait particulièrement opportune.
Si la concurrence entre les demandeurs Dalo et les autres a pu être parfois attisée par les élus, elle n'a en principe plus lieu d'être puisque, depuis le 1er janvier, les anciens demandeurs de logement sont reconnus prioritaires d'office.
Mais dans le même temps, face à la flambée des prix dans le secteur privé, les classes moyennes demandent, elles aussi, à accéder aux logements sociaux. La seule solution est le retour à une situation normalisée, par l'encadrement des loyers et leur baisse, ainsi que par la production de logements dès lors que ces derniers sont accessibles.
Sur la modulation des loyers, nous sommes prudents, tout en observant qu'elle est déjà engagée dans les HLM au travers du conventionnement d'utilité sociale (CUS) rendu obligatoire par la loi Boutin. Les bailleurs peuvent ainsi moduler les loyers en fonction des prestations proposées, la hausse de certains loyers devant être compensée par la baisse d'autres.
M. Yves Guéranger. - Ils font des remises de quittance.
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Il est toutefois possible de déroger à la stabilité des loyers en cas de travaux d'amélioration de l'habitat, ce qui présente un risque de renforcement des discriminations urbaines entre les HLM des différents quartiers.
Dans le cas particulier du Dalo, nous sommes favorables à un lissage des loyers complété par une modulation au moyen de l'APL plutôt qu'en fonction du marché.
M. Yves Guéranger. - Mais il est bien question d'une modulation en fonction des ressources.
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Dans le cadre de lissage des loyers, nous pensons que dans certains cas, les surloyers pourraient être utilisés pour financer des minorations de loyers de logements Dalo, dans des PLI (prêts locatifs intermédiaires) ou des PLS (prêts locatifs sociaux).
M. Yves Guéranger. - C'est ce que fait déjà le groupe Logement Français.
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Certes, mais en s'adressant plutôt à des classes moyennes alors que ce dispositif pourrait être un facteur de mixité sociale.
M. Bernard Lacharme. - Logement Français a pris une bonne initiative en finançant des diminutions de loyers par le produit tiré de majorations. Il est toutefois étonnant que l'État ne donne pas de consigne quant à l'utilisation de cette recette supplémentaire des organismes alors que les préfets pourraient, par exemple, l'utiliser sur leur contingent de logements afin de subventionner des loyers, et loger des personnes bénéficiant du Dalo. Ce manque de souplesse est l'une des raisons expliquant la sous-utilisation, en Île-de-France, du contingent préfectoral dédié au Dalo.
M. Yves Guéranger. - Le Président du groupe Logement Français a travaillé sur une proposition de loi visant à lisser les loyers en fonction des ressources.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - Entendu mais, sur le terrain, la disparité de loyers pour des logements identiques est très mal perçue. Je suis donc favorable à l'idée de moduler les loyers par les APL plutôt que par des remises sur quittance.
M. Jean-Baptiste Eyraud. - L'idée présentée par Bernard Lacharme est une bonne idée dans son principe, sans que nous ayons pourtant d'avis définitif quant à savoir qui, du préfet ou du bailleur, devrait gérer cette ressource.
M. Bernard Lacharme. - Il faut aussi veiller à ne pas aboutir à une situation dans laquelle les HLM devraient loger les plus riches pour pouvoir accueillir les plus pauvres. Aussi cette péréquation doit-elle, au nom de la solidarité nationale, être assurée par l'État.
Enfin, la question de l'hébergement constitue l'un des bémols au chiffre de 75 % qui a été cité. En effet, les obligations légales ne sont pas assurées dans ce domaine, même dans les zones peu tendues, comme par exemple à Limoges. Mais le DAL a obtenu du Conseil d'État statuant en référé, le 10 février dernier, que le droit à l'hébergement soit reconnu comme une liberté fondamentale, ce qui constitue une avancée importante dans ce domaine où, une fois de plus, l'État est hors-la-loi. La Cour des comptes et l'Assemblée nationale ont pourtant souligné que des places supplémentaires étaient nécessaires, ce que le gouvernement refuse.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - De nombreux maires se plaignant, à tort ou à raison, de voir les demandeurs au titre du Dalo être affectés là où il y a déjà beaucoup de « pauvres », existe-il des secteurs vers lesquels les préfets auraient plutôt tendance à orienter ceux-ci en priorité ?
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Ces demandeurs sont, par définition, logés là où il y a des logements sociaux. L'État étant en charge de l'attribution de 25 % des logements prioritaires, il en attribuera davantage à Clichy qu'à Neuilly.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - Je ne suis pas sûr qu'il n'y ait que ça.
M. David Assouline, président. - N'y a-t-il pas, au sein du parc social, des endroits où l'on les logerait plus naturellement ?
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Il faut déjà prendre en compte le fait que certains maires ont repris le contingent préfectoral.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - C'est un autre problème !
M. Jean-Baptiste Eyraud. - C'est tout de même le cas de toutes les communes des Hauts-de-Seine !
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Dès lors, la « clientèle » du préfet est un peu coincée, et ce dernier reloge ceux qu'il souhaite loger, le maire s'en souciant peu.
M. Bernard Lacharme. - Outre l'inégale répartition des logements sociaux, force est de constater que l'on n'a pas recherché de moyens hors du secteur social. De plus, les loyers abordables au sein du parc social sont inégalement répartis, puisque l'offre neuve est généralement chère. Dans ce contexte, il me semble qu'aujourd'hui, là où le maire proteste, le préfet renonce, ce qui explique que les taux de relogement soient aussi faibles.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - C'est là où je souhaitais en venir.
M. Bernard Lacharme. - L'attribution des logements sociaux constitue en tout cas une problématique réelle, exigeant que l'on en finisse avec l'actuel jeu de rôles mené entre de trop nombreuses parties prenantes (réservataires, commissions d'attribution, maires...) ce qui finit par le rendre illisible.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - Il est aussi opaque et sans voie de recours...
M. Bernard Lacharme. - Le comité a d'ailleurs identifié quelques bonnes pratiques, telles que l'utilisation de système de hiérarchisation des demandes avec des grilles de points etc.
La situation est toutefois différente en Île-de-France, où la définition du contingent du préfet, logement par logement, conduit ce dernier à attribuer directement chacun d'entre eux sans les connaître, alors que dans d'autres régions, ce contingent n'étant pas aussi précisément identifié, les préfets réunissent l'ensemble des bailleurs, afin que ces derniers procèdent à l'affectation individuelle des personnes relogées, ce qui aboutit à des décisions plus pertinentes et moins en butte à l'opposition des maires.
M. Jean-Baptiste Eyraud. - De façon caricaturale, la question est de savoir comment reloger des demandeurs Dalo à Neuilly.
M. Claude Dilain, co-rapporteur. - On ne le dira pas !
M. David Assouline, président. - Pas tous, quand même !
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Pour répondre à cette question, il y aurait la réquisition, la négociation mais celle-ci est sans doute très difficile, avec les bailleurs privés...
M. Bernard Lacharme. - On peut utiliser un système de bonus-malus des loyers...
M. Jean-Baptiste Eyraud. - Ma proposition consisterait plutôt à conventionner obligatoirement une partie du parc locatif privé, dont une partie serait affectée en priorité aux demandeurs Dalo.
M. Bernard Lacharme. - Encore faut-il le financer !
M. Jean-Baptiste Eyraud. - En tout cas, telle est ma proposition.
M. David Assouline, président. - Il est particulièrement important pour nous de disposer d'un diagnostic aussi consensuel que possible de l'application des lois votées, sur lesquelles nous n'avions d'ailleurs pas toujours eu tous les mêmes positions.
Il s'agit de pouvoir ensuite ré-ouvrir le débat afin d'améliorer les choses mais, s'agissant du logement, nous ne doutons pas qu'il constituera un thème central de la campagne électorale et de ce qui viendra ensuite.
Je prends bonne note de votre dernière proposition, mais nous ne pouvons nous contenter de prendre acte du fait que certaines communes préfèrent payer plutôt que remplir leurs obligations en matière de logement social. Nous aurons aussi à revenir sur la loi SRU !
En prévision de tous ces débats, il était donc d'autant plus important pour nous de dresser le diagnostic le plus précis possible de cette loi, comme nous envisageons aussi de le faire à propos de la loi sur le handicap, de la loi pénitentiaire et de la loi sur l'audiovisuel.