- Mardi 7 septembre 2010
- Gestion de la dette sociale - Audition de M. Ract-Madoux, président de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES)
- Gestion de la dette sociale - Examen du rapport pour avis
- Organisme extra-parlementaire - Désignation d'un candidat
- Nomination de rapporteurs
- Projets de conventions élaborées dans le cadre de la mise en oeuvre de l'emprunt national - Communication
- Mercredi 8 septembre 2010
Mardi 7 septembre 2010
- Présidence de M. Jean Arthuis, président, puis de M. Yann Gaillard, vice-président -Gestion de la dette sociale - Audition de M. Ract-Madoux, président de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES)
Au cours d'une première réunion, la commission procède tout d'abord à l'audition de M. Patrice Ract-Madoux, président de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).
M. Jean Arthuis, président. - L'heure est à la réforme des retraites, mais n'oublions pas les exigences de financement de la dette sociale, et plus généralement de la sphère publique... Le Gouvernement va nous soumettre dans quelques jours un scénario de reprise de la dette de la sécurité sociale. Outre le projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale, le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances pour 2011 traiteront également de cette question.
La nouvelle reprise de dette envisagée est d'une ampleur sans précédent. Seront transférés, entre 2011 et 2018, environ 130 milliards d'euros, soit l'équivalent des déficits transférés depuis la création de la CADES. Cette reprise repose sur le compromis suivant. Tout d'abord, l'adossement du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) à la CADES, qui se voit ainsi affecter 1,5 milliard d'euros correspondant notamment à une partie du produit du prélèvement de 2 % sur les revenus du capital. La liquidation des actifs du FRR entre 2012 et 2024, à hauteur de 2,1 milliards d'euros par an, permettra de financer, dans la limite de 62 milliards d'euros, le remboursement des futurs déficits vieillesse transférés à la CADES entre 2012 et 2018.
Ensuite, l'allongement de la durée de vie de la CADES de quatre ans, dérogation au principe introduit en 2005 selon lequel tout nouveau transfert de dette doit être compensé par des ressources nouvelles, afin de financer les déficits de crise du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) en 2009 et 2010, évalués à 34 milliards.
Enfin, l'affectation à la CADES de 3,2 milliards de recettes supplémentaires résultant de la révision des niches fiscales et sociales, à ne pas confondre avec les 3,7 milliards de recettes nouvelles affectées à la réforme des retraites. Ces 3,2 milliards d'euros, qui correspondent en 2010 à 0,26 point de CRDS, ont vocation à financer, à hauteur de 34 milliards, le remboursement des déficits structurels du régime général et du FSV en 2009 et 2010, ainsi que le déficit prévisionnel de la branche maladie en 2011.
Ce schéma soulève de nombreuses questions ; c'est pourquoi nous avons souhaité que M. Ract-Madoux nous éclaire sur ces sujets.
M. Patrice Ract-Madoux, président de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). - Depuis sa création par ordonnance en 1996, la CADES a vu sa protection améliorée par diverses lois de financement de la sécurité sociale et par la loi organique de 2005. Depuis 2005, la CADES calcule sa date probable d'extinction, que son président est tenu de présenter à son conseil d'administration, ainsi qu'au comité de surveillance, actuellement présidé par M. Jégou. Il y a aujourd'hui une chance sur deux que l'amortissement de la dette sociale soit achevé en 2021, comme le prévoit la loi organique de 2005 ; cinq chances sur cent que la fin de la CADES intervienne dès 2020, cinq chances sur cent qu'elle n'ait pas achevé sa tâche en 2022.
De nouveaux transferts de déficits à la Caisse ont été opérés l'année dernière ; respectant l'esprit de la loi organique, le Gouvernement, au lieu d'augmenter la CRDS, avait attribué à la CADES 0,2 point de CSG - quitte à assécher les ressources du FSV. La CADES émet aujourd'hui un emprunt arrivant à maturité en 2021, pour un milliard d'euros, profitant de taux d'intérêt exceptionnellement bas, à 2,86 %.
Si le schéma de reprise de dette proposé par le Gouvernement est adopté en l'état, la Caisse reprendrait une dette totale de 130 milliards d'euros sur six ans. Une hypothèse serait de reprendre 68 milliards en 2011, puis 10 milliards par an de 2012 à 2018, au titre de la réforme des retraites, pour combler le déficit prévisionnel de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). On aboutirait à une reprise de dette totale de 260 milliards, soit le double des transferts de dette intervenus depuis 1996 ! L'hypothèse optimiste est celle d'un amortissement total des dettes sociales en 2025, comme le prévoit la loi organique, sachant que la dette restante dépasse aujourd'hui les 90 milliards.
Plusieurs ressources nouvelles sont affectées à la Caisse pour financer ce transfert. Tout d'abord, 3,2 milliards d'euros, équivalent à 0,26 point de base de CRDS, dont M. Baroin a promis la pérennité - mais la question n'est pas tranchée... Deuxièmement, la mobilisation des actifs du FRR à hauteur de 2,1 milliards d'euros par an de 2012 à 2024. Troisième ressource : le transfert à la Caisse d'une partie du prélèvement de 2 % sur le capital, pour 1,5 milliard par an, qui devrait croître comme la CRDS. Enfin, la durée de vie de la Caisse est allongée de quatre ans.
Dans ce nouveau cadre, la CADES a une chance sur deux d'avoir amorti la dette en 2025 ; une sur cinq d'avoir terminé dès 2023 ; une sur cinq de n'avoir pas fini avant 2027-2028. Son portefeuille est pour une partie constitué d'emprunts à taux fixe à long terme. La nouvelle dette sera financée avec des taux courts, les conditions étant actuellement favorables. Mais il faudra la transformer ensuite en dette à plus long terme dans des conditions que nous ignorons.
M. Jean Arthuis, président. - Il nous reste à espérer que les autres régimes de protection sociale seront à l'équilibre à compter de 2012...
M. Patrice Ract-Madoux. - Le Gouvernement ne propose que la reprise des déficits des branches maladie et vieillesse pour 2009, 2010 et 2011. D'éventuels déficits de l'assurance maladie en 2012, 2013 ou 2014 se reconstitueront sans doute. S'ils sont transférés à la CADES, de nouvelles recettes devront lui être affectées.
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - Je remercie M. Ract-Madoux, qui a toujours tenu le comité de surveillance informé.
Je m'inquiète de la fragilité du panier de recettes affectées à la CADES. La loi organique prévoit que la reprise de tout déficit soit compensée par des recettes correspondantes, traduites en « points CRDS ». Ainsi, les 3,2 milliards d'euros correspondent à 0,26 point de CRDS 2011, mais ce rapport peut changer... Aujourd'hui, le produit de la CRDS représente 6 milliards d'euros : large assiette et faible taux, c'est l'impôt idéal !
Je m'interroge également sur les modalités de l'adossement du FRR à la CADES. La ressource procurée par la fraction du prélèvement de 2 % sur les revenus du capital est certes relativement liquide, mais il faudra organiser avec soin les décaissements annuels correspondant à la vente des actifs du Fonds : la CADES ne veut pas avoir à gérer les actifs du FRR ! Une parfaite cohésion entre les deux organismes sera nécessaire.
Nous profitons actuellement de taux d'intérêt extrêmement bas. Vos calculs prennent-ils en compte une éventuelle remontée des taux ?
Avec l'entrée des partenaires sociaux dans le conseil d'administration de la Caisse, souhaitée par la Cour des comptes, l'État se retrouverait minoritaire. Est-ce envisageable ?
Enfin, avez-vous calculé les économies qu'aurait permises la reprise de 20 milliards d'euros de dette dès l'an dernier ?
M. Patrice Ract-Madoux. - Comme Édith Piaf, je ne regrette rien : de tels calculs ne serviraient qu'à alimenter d'inutiles regrets !
Nos évaluations prennent en compte une éventuelle dégradation des conditions de marché : c'est pourquoi certaines simulations repoussent l'amortissement de la dette à 2027, voire 2028. En tout état de cause, le président de la CADES est tenu de présenter au Parlement la situation de la Caisse ; si les taux augmentent, il faudra s'assurer que la CADES dispose bien des ressources nécessaires pour remplir sa tâche.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Je félicite M. Ract-Madoux pour la clarté de son exposé. La totalité de la dette aujourd'hui portée par l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (ACOSS) est-elle incluse dans les 130 milliards de dette reprise ?
M. Patrice Ract-Madoux. - Les 68 milliards d'euros repris en 2011 incluent le découvert de l'ACOSS fin 2010, qui devrait s'élever à 55 milliards, moins que le plafond de 65 milliards voté par le Parlement. Les 13 milliards restants correspondent à la reprise anticipée d'une partie du découvert pour 2011. Le déficit de l'assurance maladie avoisinant les 20 milliards, l'ACOSS aura sans doute à nouveau un léger découvert fin 2011.
M. Yann Gaillard. - La dette totale de la France comprend-elle les dettes sociales ?
M. Jean Arthuis, président. - Absolument !
Je remercie M. Ract-Madoux : nous pourrons désormais arrêter nos positions en toute lucidité.
Gestion de la dette sociale - Examen du rapport pour avis
La commission examine ensuite le rapport pour avis de M. Jean-Jacques Jégou sur le projet de loi organique n° 672 (2009-2010) relatif à la gestion de la dette sociale, dans le texte n° 691 (2009-2010) établi par la commission des affaires sociales.
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - Nous savions qu'il nous faudrait légiférer cet automne sur la gestion de la dette de la sécurité sociale, mais nous ignorions qu'il nous faudrait repousser la date d'extinction de la CADES et anticiper l'entrée en jeu du FRR dès 2012.
L'année dernière, je dénonçais l'attentisme du Gouvernement et notre manque de responsabilité collective vis-à-vis des générations futures. Toutefois, la crise a « pipé » les dés et les décisions que le Gouvernement propose aujourd'hui sont malheureusement inévitables.
La dette sociale correspond à la dette des organismes sociaux, soit la dette brute portée par la CADES additionnée à celle prise en charge par les administrations de sécurité sociale (ASSO), régimes d'assurance sociale et organismes dépendant des assurances sociales. En 2009, la dette des organismes sociaux a atteint 155,8 milliards d'euros, soit 8,2 % du PIB : cinq points de plus qu'en 1999. La dette du régime général représente 15 % de ce montant, celle des hôpitaux 14 %, l'UNEDIC près de 6 %.
Dans le contexte du projet de loi organique, la « dette sociale » correspond aux déficits du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Elle a explosé avec la diminution des recettes induite par la crise financière, alors que les dépenses ne diminuaient pas. Le déficit annuel du régime général, d'une dizaine de milliards d'euros par an entre 2005 et 2008, a atteint 20,3 milliards en 2009 et devrait s'élever à 26,8 milliards en 2010.
Le dynamisme de la dette publique, qui atteint 80 % du PIB, pose la question de sa soutenabilité, le risque qu'un État développé fasse défaut n'étant plus aujourd'hui une hypothèse d'école.
La crise a également souligné les limites d'un système de protection sociale structurellement déficitaire. Entré dans la crise avec un handicap de 10 milliards d'euros, c'est avec un handicap de près de 30 milliards qu'il en sortira... Si les marchés avaient l'impression que la France ne compte pas réellement réduire sa dette, les conséquences pourraient être fort dommageables. Ceci doit nous inviter à prendre toutes nos responsabilités.
Les déficits du régime général et du FSV constituent une composante spécifique de la dette publique. En principe, l'équilibre financier de chaque branche est assuré par sa caisse, ce qui justifie, d'une part, le recours limité aux emprunts pour couvrir des besoins de court terme, d'autre part, le caractère exceptionnel de la CADES.
La gestion de la dette sociale est ainsi scindée en deux compartiments : un à court terme et un à long terme. Chaque compartiment a ses contraintes et ses avantages. Le financement à court terme, via l'ACOSS, ne peut être indéfiniment détourné de ses objectifs : le relèvement du plafond d'avances de l'ACOSS proposé l'an dernier, à hauteur de 65 milliards, ne pouvait être réitéré. Au-delà de la dérogation implicite au partage de responsabilités entre la CADES et l'ACOSS, cette dernière ne peut financer n'importe quels besoins de trésorerie. Le Gouvernement doit donc organiser cette année la reprise de la dette du régime général et du FSV. Ce n'est pas une décision courageuse, mais contrainte et forcée !
Depuis 2005, les conditions de reprise ont été durcies afin de garantir le caractère exceptionnel et provisoire de la CADES. Désormais, toute reprise de dette ne peut être opérée que si la Caisse perçoit des ressources nouvelles de manière à ne pas prolonger sa durée de vie au-delà de 2021, afin d'éviter de reporter sur les générations futures des charges correspondant à des dépenses courantes. Cette règle, dont le Conseil constitutionnel a souligné la nature organique, constitue aujourd'hui un obstacle pour un Gouvernement qui ne souhaite pas augmenter les impôts, et notamment la CRDS.
Le cantonnement de la dette sociale au sein de la CADES a l'avantage de permettre l'amortissement de la dette sociale : 46 milliards d'euros depuis 1996. Le déficit est amorti sur une durée limitée, alors que la dette portée par l'État est refinancée sans horizon déterminé. Dotée d'une ressource dédiée, la dette sociale a été conçue pour s'éteindre. Contrairement à la CADES, 1'ACOSS n'amortit pas les déficits. Elle finance le découvert par des emprunts de court terme, eux-mêmes remboursés par de nouvelles ressources de court terme. Ce dispositif permet aux différents gouvernements de différer les reprises de dette.
La reprise de la dette préparée par le présent projet de loi organique révèle particulièrement complexe compte tenu des montants de transferts envisagés en 2011, puis entre 2012 et 2018 : en sept ans, la CADES devrait en effet reprendre 130 milliards d'euros, soit l'équivalent des déficits transférés en quatorze ans. L'importance des déficits transférés a suscité un débat sur l'opportunité d'une reprise de la dette par l'État ou par une caisse spécifique. Pour reprendre 80 milliards d'euros sans allonger la durée de vie de la Caisse, il faudrait doubler le taux actuel de CRDS ! Il devient difficile de maintenir le dogme présidentiel de non augmentation des impôts alors même qu'on envisage de réduire les niches fiscales et sociales... Au total, la reprise de dette proposée cette année nécessite l'adoption de trois textes législatifs, dont une loi organique, afin de proroger la durée de vie de la CADES.
Le schéma financier du Gouvernement mobilise trois leviers afin d'éviter une hausse trop brutale des prélèvements obligatoires. La CADES serait destinataire de 3,2 milliards de recettes supplémentaires résultant de la révision des niches fiscales et sociales, ce qui correspond en 2010 à 0,26 point de CRDS. Elles ont vocation à financer, à hauteur de 34 milliards d'euros, le remboursement des déficits structurels du régime général et du FSV en 2009 et 2010, ainsi que le déficit prévisionnel de la branche maladie en 2011.
La durée de vie de la CADES serait prolongée de quatre ans. Cet allongement, qui sera organisé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, a vocation à financer les déficits de crise du régime général et du FSV en 2009 et 2010, évalués également à 34 milliards.
Le FRR serait adossé à la CADES qui se verrait donc affecter les ressources du Fonds, soit 1,5 milliard d'euros correspondant notamment à une partie du produit du prélèvement de 2 % sur les revenus du capital ; cet adossement sera précisé en PLFSS. La liquidation progressive des actifs du FRR entre 2012 et 2024 financera, dans la limite de 62 milliards, le remboursement des futurs déficits vieillesse transférés à la CADES entre 2012 et 2018.
Le projet de loi organique n'ouvre que des possibilités qui devront être confirmées lors du PLFSS pour 2011 ou du PLF pour 2011. Principal sujet d'inquiétude, les ressources affectées à la CADES s'éloignent des fondamentaux ayant présidé à sa création.
La création d'un panier de recettes et la liquidation progressive des recettes du FRR constituent -elles des mesures pertinentes et opportunes ? Sont-elles de nature à garantir le financement du remboursement de la dette sociale ? Le produit des mesures concernant les niches ne devrait-il pas être affecté à la réduction des déficits de l'État ?
L'exonération de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance (TSCA), dont bénéficient aujourd'hui les contrats complémentaires santé dits « solidaires » et « responsables » serait supprimée et remplacée par une taxation à un taux intermédiaire de 3,5 %, pour un rendement attendu de 1,1 milliard. Si le dispositif devrait demeurer attractif pour les complémentaires, cette charge nouvelle risque d'être répercutée sur les assurés, d'autant que les complémentaires ont déjà vu leur régime fiscal s'alourdir ces dernières années. L'impact de cette mesure sur la CMU-complémentaire ou aide à l'acquisition d'une complémentaire devra être analysé avec attention.
L'assujettissement annuel aux prélèvements sociaux de la partie « euros » des contrats d'assurance-vie multisupports pose des difficultés techniques et nie le caractère global de ce type contrat et la nature incertaine des plus values. Ce dispositif, dont on attend un rendement de 1,6 milliard d'euros, pourrait conduire à prélever les cotisations sur le rendement « euros» du contrat, y compris en l'absence in fine de produits, si la performance des unités de compte est mauvaise.
Enfin, la création d'une taxe de sortie sur les sommes de la réserve de capitalisation des sociétés d'assurance, qui devrait rapporter 1,4 milliard d'euros, ne doit pas remettre en cause l'engagement prudentiel de solvabilité envers les assurés. Il faudrait en tirer les conséquences dans l'application des nouvelles règles issues de la transposition de la directive Solvabilité II. En l'état actuel des règles prudentielles, la réserve de capitalisation est comptabilisée dans la catégorie des quasi-fonds propres, mais pourrait ne pas être entièrement intégrée dans la marge de solvabilité dans le cadre de Solvabilité II. Il appartiendra à la France de définir le rôle de cette réserve et donc sa qualification ou non de quasi fonds propres.
Trois incertitudes demeurent quant à l'adéquation des nouvelles recettes aux besoins de la CADES. Premièrement, l'exposition de la Caisse au risque de taux s'intensifiera : leur remontée, qui paraît vraisemblable, aurait, selon M. Ract-Madoux, été prise en compte par le rallongement de la durée de la caisse ; la reprise de dette induit un changement d'échelle de la CADES, de sorte que l'augmentation du coût du portage pourrait affecter le calcul du niveau de ressources nécessaires pour refinancer l'ensemble des déficits repris. Le Parlement devra vérifier annuellement qu'on est dans l'épure.
Deuxièmement, dans quelles conditions les actifs du FRR seront-ils mobilisés ? Le Gouvernement souhaite que la vente soit progressive. La somme de 2,1 milliards d'euros n'est pas de nature à perturber les cours. Cependant, l'objectif de résultat représente une contrainte, surtout en fin de période.
Troisièmement, le panier de recettes ressemble à un « panier percé ». Il faut des recettes pérennes et dynamiques. Lors de chaque transfert, la CADES calcule un tarif en points de CRDS. C'est ainsi que pour reprendre en 2011 les 34 milliards de déficit structurel, il conviendrait de lui affecter 0,26 points de CRDS au tarif 2011, soit 3,2 milliards d'euros. Or de même que 0,26 point 2002 représentait 2,4 milliards d'euros, soit 800 millions d'euros de moins qu'en 2010, de même, 0,26 point de CRDS 2011 n'équivaut pas à 0,26 point 2020. Le produit de la CRDS a augmenté en moyenne de 3,7 % par an entre 2002 et 2010.
L'une des trois mesures de recettes alternatives étant « à un coup », on devra revoir le panier de recettes. Cela a fait l'objet d'une polémique récente à l'occasion de la reprise par la presse d'une lettre envoyée par le ministre aux membres de la commission de suivi de la dette sociale.
L'exit tax sur la réserve de capitalisation n'aura pas d'impact au-delà de 2012 et l'assujettissement des compartiments euros aux prélèvements sociaux aura un rendement décroissant à partir de 2012 ; la TSCA à taux réduit sur les complémentaires-santé aura un rendement au mieux constant car ces contrats sont déjà très répandus, et au pire décroissant, en cas de perte d'assiette.
Cette fragilité des recettes est-elle acceptable ? Les mesures proposées ne possèdent pas la pérennité et le dynamisme souhaités. Toutefois, l'article 7 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 prévoit un mécanisme de correction, le Gouvernement devant soumettre au Parlement « les mesures nécessaires pour assurer le paiement du principal et des intérêts aux dates prévues ». Le mécanisme pourrait être réaffirmé par le présent projet qui modifie les règles organiques applicables à la Caisse. La commission des affaires sociales a proposé que chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale vérifie l'adéquation des ressources de la CADES afin d'éviter une nouvelle prorogation de sa durée de vie. Elle a également adopté un amendement permettant d'avancer la dernière échéance de remboursement de la dette sociale si ses recettes sont deux années de suite supérieures de 10 % aux prévisions.
La confiance des investisseurs devrait ne pas être affectée, a assuré l'agence de notation Fitch France lors de son audition par la commission des affaires sociales. En tant qu'établissement public administratif, la CADES est, en effet, considérée comme un « démembrement de l'Etat » et donc à ce jour parfaitement solvable
Est-il opportun d'affecter 3,2 milliards d'euros de recettes nouvelles au refinancement de la dette sociale ? Sur 10 milliards attendus de la réduction des niches fiscales et sociales...
Mme Nicole Bricq. - Le Gouvernement ne les a pas trouvés !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - ... 6,9 milliards sont fléchés en faveur de la sécurité sociale et certains ont critiqué le fait qu'on ne consacre que 3,1 milliards à la réduction du déficit de l'Etat. L'ACOSS ne pouvant continuer à garantir le financement de la dette sociale, l'affectation au budget de l'Etat des 3,2 milliards d'euros que le Gouvernement veut attribuer à la CADES ne pourrait être envisagée qu'à condition de relever en contrepartie le taux de la CRDS. Or celui-ci ne souhaite pas relever nominalement les impôts.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - La réduction des niches fiscales tend à garantir les recettes.
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - Les mesures proposées ne traitent pas les déficits au-delà de 2012. Et je ne parle pas de la dépendance. Les projections du dernier PLFSS prévoyaient 12,5 milliards de déficit en 2012 et 11,6 milliards en 2013. Le transfert de déficit à la CADES ne constitue pas une réponse optimale, et il y a un risque de report sur les générations futures. Des réformes de fond, permettant de faire face au vieillissement de la population, sont nécessaires. Vu l'ampleur des transferts proposés, l'enjeu ne réside pas seulement dans le choix du schéma du financement jusqu'en 2012, mais aussi dans la révision du panier de recettes à partir de 2013, ainsi que dans le début de liquidation progressive des actifs de FRR. Enfin, une remontée des taux d'intérêt pourrait à elle seule requérir un ajustement.
Je vous propose de donner un avis favorable au projet de loi organique dans la rédaction de la commission des affaires sociales. Il ouvre en effet des possibilités. Il nous appartiendra en PLFSS, comme en PLF, d'apprécier pleinement la pertinence du compromis proposé, d'évaluer le degré de bricolage ou de provisoire acceptable. Le contexte actuel des finances publiques requiert un délicat arbitrage entre soutien à la reprise et assainissement des déficits.
M. Jean Arthuis, président. - Le projet propose de prolonger de quatre ans la durée de la CADES et de permettre le transfert d'actifs du FRR vers la CADES. Il est bien dommage de ne pouvoir rassembler en un article d'équilibre la protection sociale et l'Etat car il y a une part d'arbitraire dans les transferts - le législateur constitutionnel y reviendra peut-être.
Vous indiquez que 3,7 milliards vont à la réforme des retraites et 3,2 milliards à la dette sociale. Mais le refinancement de la dette sociale à compter de 2012 fait également partie de la réforme des retraites.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - L'analyse de M. Jégou est complète et argumentée, les questions sont bonnes et sa conclusion équilibrée. J'y souscris. Le risque de première grandeur est celui d'une remontée des taux d'intérêt, le reste n'est que détail. Comment se prémunir ? Par une gestion sérieuse : tout ce qui conduit à un doute accélère la réalisation du risque. Nous en sommes tous responsables. Nous verrons si l'on progresse vers une réelle maîtrise des finances publiques car c'est la seule question.
S'agissant du partage des mesures entre PLFSS et PLF, il est préférable que la fiscalité de l'assurance-vie soit traitée en loi de finances et que la fiscalité de l'épargne relève de notre commission.
M. Jean Arthuis, président. - Il faudrait modifier l'article d'équilibre afin de prévoir toutes les recettes de l'Etat et trois lignes de transfert au budget européen, aux collectivités locales et à la protection sociale.
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - Vous avez parfaitement raison. Je n'ose dire que la situation est burlesque...
M. Jean Arthuis, président. - Deux textes traiteront de l'assurance-vie !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - La situation n'est pas convenable. Ne peut-on alerter le Gouvernement sur les risques d'une discussion éclatée ?
M. Jean Arthuis, président. - Vous pouvez compter sur moi.
M. Roland du Luart. - Je remercie le rapporteur pour avis de cet exposé clair et convaincant. Je souhaiterais avoir des précisions sur l'adossement du FRR à la CADES.
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - D'une part, on transfère les ressources du FRR à la CADES, soit 1,5 milliard d'euros par an. D'autre part, s'agissant des actifs, M. Ract-Madoux m'a rassuré : il y aura un partenariat entre la Caisse et le FRR qui continuera de gérer ses actifs tout en procédant chaque année à la vente d'une partie d'entre eux afin de verser 2,1 milliards d'euros à la Caisse.
Mme Nicole Bricq. - Ce sera commode !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - Voilà pourquoi j'ai posé tout à l'heure la question du marché. A compter de 2012, la CADES percevra annuellement, d'une part 1,5 milliard d'euros que l'Etat versait précédemment au FRR afin que celui-ci augmente ses actifs, et d'autre part, 2,1 milliards d'euros résultant de la vente progressive des actifs de ce dernier.
M. Jean Arthuis, président. - Le FRR ne percevra plus de recettes.
M. Roland du Luart. - C'est une extinction à terme.
Mme Nicole Bricq. - Un siphonage !
M. Roland du Luart. - Il conviendra d'attirer l'attention du Gouvernement sur le danger de déstabilisation de l'assurance vie provoquée par les mesures qu'il envisage de prendre. C'est un sujet majeur !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - L'objectivité m'oblige à dire qu'il y avait matière à prélever des impôts. Il s'agissait en effet de réserves. Ce que demande l'Etat à travers l'exit tax, soit 1,4 milliard, ne semble pas infondé.
M. Jean Arthuis, président. - C'est une réserve destinée à lisser les ressources des contrats d'assurance-vie.
M. Roland du Luart. - Voilà pourquoi je dis que c'est dangereux ! Il faut préserver la confiance !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - Le paysage n'est pas encore stabilisé.
M. Jean Arthuis, président. - On demande aux compagnies d'assurances de recapitaliser...
M. Serge Dassault. - Je suis inquiet. La dette sociale augmente alors même que l'Etat compense à la sécurité sociale le coût croissant des allègements sociaux. Où la charge de la dette se trouve-t-elle ? Cette opération ne me paraît pas très saine parce qu'elle revient à cacher de la dette et de l'emprunt. Le budget finance tout cela, soit par emprunts, soit par augmentations d'impôts qui touchent l'ensemble de la population. Que va-t-il se passer après 2011 ? La situation financière, déjà difficile, pourrait s'aggraver.
M. Jean Arthuis, président. - M. Jégou préside le comité de surveillance de la CADES.
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - La dette de l'Etat envers la sécurité sociale a été largement apurée. Je n'en partage pas moins vos préoccupations : les 20 milliards d'allègements de charges ne sont pas payés par les entreprises.
M. Jean Arthuis, président. - C'est tout l'inconvénient d'avoir deux discussions, l'une sur le PLFSS et l'autre sur le PLF.
Mme Nicole Bricq. - Nous sommes d'accord pour ne pas transférer la dette sur les générations futures et pour ne pas transformer le déficit conjoncturel en déficit structurel ; nous convenons aussi que l'ACOSS n'a pas à gérer le déficit social. Cependant, la dette est bel et bien transférée à nos petits-enfants puisqu'on prolonge la CADES tout en siphonnant le FRR. On nous propose un unique scénario sans rien nous dire des impasses. On parle des niches fiscales alors que porter la TVA sur la restauration à 8 % dégagerait 535 millions. Où trouver l'argent ? On sait faire, mais on ne veut pas ! La CRDS à 1 %, c'est 6 milliards supplémentaires. De même, on ne veut pas évoquer la CSG sur le patrimoine. Alors on continue comme avant... On ne peut pas donner un avis favorable.
M. Jean Arthuis, président. - Vous êtes plutôt réservée...
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - Je suis d'accord sur votre analyse. Le projet de loi organique propose une ouverture, il nous sera possible de contester les modalités exactes du refinancement des transferts de dettes envisagés, notamment en ce qui concerne le panier de recettes et le choix de ne pas procéder à une augmentation de la CRDS.
M. Jean Arthuis, président. - Un amendement de la commission avait proposé l'an dernier de l'augmenter de 0,15 point.
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. - Je rappelle que les générations futures rembourseront dans les années 2020 des feuilles maladie des années 1990.
M. Jean Arthuis, président. - Ce texte organique porte uniquement sur la prolongation de quatre années de la CADES afin de digérer la dette née de la crise et pour permettre un transfert de ressources entre le FRR et la Caisse. M. Jégou, qui sera le garant de la transparence, propose de donner un avis favorable.
La commission des finances émet un avis favorable à l'adoption de l'article 1er du projet de loi organique dans le texte élaboré par la commission des affaires sociales.
Organisme extra-parlementaire - Désignation d'un candidat
Au cours d'une seconde réunion, la commission désigne M. Adrien Gouteyron comme candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger, en qualité de membre titulaire, au sein du conseil d'administration de l'Agence française de développement (AFD).
Nomination de rapporteurs
La commission désigne ensuite M. Adrien Gouteyron comme rapporteur des projets de loi suivants, sous réserve de leur transmission :
- n° 2338 (AN - XIIIe législature), en cours d'examen par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- n° 2585 (AN - XIIIe législature), en cours d'examen par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l'Uruguay relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 2586 (AN - XIIIe législature), en cours d'examen par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Vanuatu relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 2587 (AN - XIIIe législature), en cours d'examen par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement d'Antigua et Barbuda relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 2588 (AN - XIIIe législature), en cours d'examen par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Grenade relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 2589 (AN - XIIIe législature), en cours d'examen par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Sainte Lucie relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 2590 (AN - XIIIe législature), en cours d'examen par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Saint Vincent et les Grenadines relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale ;
- n° 2591 (AN - XIIIe législature), en cours d'examen par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Saint Christophe et Niévès relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale.
Projets de conventions élaborées dans le cadre de la mise en oeuvre de l'emprunt national - Communication
La commission entend enfin une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur cinq projets de conventions élaborées dans le cadre de la mise en oeuvre de l'emprunt national.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Conformément à l'article 8 de la loi de finances rectificative du 9 mars 2010, le Premier ministre nous a transmis, entre le 15 et le 26 juillet, quinze projets de conventions dont dix ont été examinés dans le cadre d'une procédure écrite à laquelle chacun d'entre vous a pu participer.
Nous examinons aujourd'hui cinq projets de conventions qui mobilisent trois milliards d'euros. A l'issue de cette réunion, la commission se sera prononcée sur trente-quatre conventions. Il restera un projet à examiner, celui de l'aménagement du plateau de Saclay financé par l'emprunt national à hauteur d'un milliard d'euros consomptibles.
Je souligne tout d'abord que les observations antérieures de la commission des finances ont été partiellement prises en compte. Par lettre en date du 25 août dernier, François Fillon a répondu, pour la seconde fois, aux observations de la commission et s'est félicité de la collaboration entre le Parlement et le Gouvernement.
S'agissant de la transparence du processus de décision, la commission a été entendue sur deux points :
- d'une part, le commissariat général à l'investissement consignera par écrit toutes les raisons pour lesquelles la sélection finale des projets s'écarterait des évaluations des jurys d'experts, ce qui permettra au Parlement d'exercer, le cas échéant, sa mission de contrôle ;
- d'autre part, les projets de conventions comprenant des processus de sélection dérogatoires ont été modifiés afin de clarifier les conditions dans lesquelles cette sélection pouvait avoir lieu. Il s'agit de financement hors appel à projets, c'est-à-dire hors processus compétitif.
S'agissant de l'opération Campus, qui avait suscité de fortes réserves de notre part, le projet de convention a été modifié conformément à nos souhaits :
- d'une part, l'articulation des fonds de l'emprunt avec les fonds issus de la vente d'une partie des actions EDF a été précisée. Rappelons en effet que cette opération, d'un montant de cinq milliards d'euros, est financée par deux catégories de fonds chacun faisant l'objet d'un conventionnement entre l'Etat et l'Agence nationale de la recherche (ANR) : d'un côté, l'emprunt national à hauteur de 1,3 milliard d'euros, de l'autre côté, le produit de la vente d'une partie des titres EDF à hauteur de 3,7 milliards d'euros ;
- d'autre part, l'utilisation des produits financiers des intérêts a été clarifiée. La convention établit nettement une distinction entre la phase transitoire précédant la signature des contrats de partenariats publics privés et la période postérieure à la conclusion de ces partenariats ;
- enfin, un processus de conventionnement spécifique a également été prévu entre les fondations de coopération scientifique, bénéficiaires des intérêts des fonds de l'emprunt, et les établissements universitaires, bénéficiaires de l'opération Campus, ceci afin de garantir le paiement des loyers des partenariats publics-privés.
S'agissant du processus d'évaluation de certains projets, deux conventions ont été modifiées suite aux remarques de la commission :
- concernant l'augmentation des fonds propres d'OSEO opérée par le programme d'investissements d'avenir, un indicateur de performance relatif aux cofinancements bancaires a été ajouté ;
- concernant la formation en alternance, le Premier ministre confirme que le programme d'investissements d'avenir ne doit pas se substituer à l'effort des collectivités territoriales en la matière. Je note également que la convention a été modifiée afin de préciser que les appels à projets seront portés à la connaissance des réseaux consulaires.
S'agissant enfin du projet « Initiatives d'excellence », le Commissariat général à l'investissement n'a pas souhaité suivre les recommandations de la commission des finances qui estimait raisonnable de doubler la période probatoire des Campus sélectionnés (huit ans au lieu de quatre ans) avant de leur attribuer définitivement les dotations en capital. La commission avait fait valoir que l'impact des réformes en cours était difficile à apprécier et avait notamment cité les conclusions de la Cour des comptes concernant la mise en place des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) ainsi que leur faible impact sur la structuration du paysage universitaire à ce jour, quatre ans après leur création.
S'agissant de la possibilité de créer des partenariats entre les lycées français à l'étranger et les établissements membres d'une Initiative d'excellence, il est indiqué que ces lycées pourront se rapprocher des établissements d'enseignement supérieur pour développer des formations d'excellence. Le ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur serait en outre prêt à examiner les conditions dans lesquelles ces partenariats pourraient s'intégrer dans une Initiative d'excellence.
S'agissant des projets de convention examinés par la commission aujourd'hui, un seul appelle selon moi une réserve substantielle.
Il s'agit du projet de convention relative aux internats d'excellence et au développement de la culture scientifique. La rédaction du projet, et plus particulièrement la ventilation proposée des crédits, confirment les doutes exprimés par notre commission lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative, à savoir le manque d'expertise préalable et d'arbitrages concernant l'attribution d'une somme de 300 millions d'euros au « développement de la culture scientifique et [à l']égalité des chances, notamment dans les quartiers de la politique de la ville ». Nous avions d'ailleurs proposé de supprimer ces crédits, ces derniers ne répondant en aucun cas aux exigences de justification requises lors de la discussion d'un projet de loi de finances rectificative. A ce jour :
- seuls 50 millions d'euros, soit 16,6 % du montant initial, sont fléchés sur cette action. Ainsi, sur l'ensemble du programme, 150 millions d'euros restent à attribuer, le projet de convention prévoyant que le commissaire général à l'investissement pourra allouer cette somme soit aux internats d'excellence, soit au développement de la culture scientifique, le critère étant la qualité des projets proposés ;
- contrairement à d'autres actions, la composition du comité de pilotage appelé à sélectionner les projets relatifs à la culture scientifique n'a pas été décidée ;
- la formulation générale de la nature des projets financés au titre de la culture scientifique ne permet pas de discerner l'exacte plus-value du programme d'investissements d'avenir, si ce n'est la compensation d'une diminution des subventions de l'Etat en faveur des réseaux et des fondations ayant inscrit cette mission dans leurs objectifs.
Au regard de ces éléments, je souhaite que le commissaire général à l'investissement fasse preuve de la plus grande vigilance afin de garantir la plus-value de l'emprunt national sur l'ensemble des actions votées par le législateur. A ce titre, je rappelle qu'il existe une procédure de redéploiement des crédits et que celle-ci a vocation à s'appliquer, après information du Parlement, si l'exécution du programme d'investissements d'avenir n'est pas satisfaisante.
S'agissant des autres projets de convention transmis, je souligne à nouveau souligner le caractère optimiste des effets de leviers envisagés grâce à l'appui des collectivités territoriales. Je souhaiterais également que la rédaction de la convention relative au véhicule du futur soit renforcée quant à la nécessaire prise en compte de l'ensemble des soutiens publics dans l'analyse économique des projets qui seront examinés. En effet, la filière automobile a été particulièrement soutenue lors de la crise financière et économique, cela ne peut être éludé.
Avant de conclure, j'aimerais aborder la question de la couverture des coûts de gestion de l'Agence nationale de la recherche (ANR) au titre du programme d'investissements d'avenir. Je souhaite avoir communication de la convention financière prévue entre l'Etat et l'agence concernant les frais de gestion qu'elle supporte au titre de la mise en oeuvre des actions financées par l'emprunt. En effet, contrairement aux autres projets de convention transmis, les projets devant être signés avec l'ANR, premier délégataire des fonds de l'emprunt, ne comprennent aucun développement sur cet aspect. Or, les coûts de gestion constituent un point de vigilance de la part de la commission comme cela l'avait été indiqué lors de nos premières observations.
Nous arrivons ainsi au terme d'un processus au cours duquel le Sénat aura pleinement joué son rôle. Pour assurer le suivi de crédits dépensés hors du circuit budgétaire classique, la commission a exercé un contrôle encore plus vigilant qu'à l'ordinaire, de façon à éviter toute banalisation des procédés dérogatoires. Le message a, espérons-le, été entendu.
M. Jean Arthuis, président. - La commission des finances a rempli sa mission dans des délais souvent très brefs. Je transmettrai, si la commission en est d'accord, vos observations au Premier ministre, notamment en ce qui concerne le développement de la culture scientifique et la capacité des collectivités territoriales à appuyer financièrement les projets couverts par l'emprunt national.
Mme Nicole Bricq. - Je regrette particulièrement le faible degré de précision des effets de levier présentés dans les projets de convention alors même que la mobilisation de l'investissement privé est un enjeu majeur. En outre, je m'interroge sur les éventuels redéploiements qui pourraient être envisagés si la somme initialement prévue pour le renforcement des fonds propres d'OESO à partir des ressources de l'emprunt, soit 500 millions d'euros, était revue à la baisse. Comment s'opère le redéploiement des fonds de l'emprunt national ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. - OSEO fait l'objet de plusieurs conventions dans le cadre du programme d'investissements d'avenir. S'agissant du renforcement de ses fonds propres, il conviendra en effet d'être particulièrement attentif. Lors de l'examen par la commission du projet de loi de régulation bancaire et financière la semaine prochaine, j'aurai une proposition à formuler pour renforcer les moyens de refinancement d'OESO par la création d'une catégorie nouvelle d'obligations qui pourrait accroître les effets de levier dont cet organisme serait susceptible de bénéficier.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Quelle est la rémunération du dépôt au Trésor des crédits non consomptibles ? Quelle est la somme des intérêts versés aux opérateurs à ce titre à la date d'aujourd'hui ?
M. Philippe Marini. - Nous demanderons ces informations, notamment à l'occasion des prochaines auditions de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, ainsi que de M. René Ricol, commissaire général à l'investissement.
M. Philippe Dallier. - Alors qu'il n'y a plus de crédits budgétaires pour l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), actuellement financée par « le 1 % logement », et que l'on s'interroge sur son financement à venir, il est étonnant de constater que cette agence ait pu bénéficier de 500 millions d'euros pour réaliser une opération qui ne s'inscrit pas dans son coeur de métier. S'agissant plus précisément de l'action relative au développement de la culture scientifique, est-il envisageable de procéder d'ici six mois à un redéploiement des crédits si les projets ne sont pas en nombre suffisant ou sont insatisfaisants ?
M. Philippe Marini. - Il existe une procédure de redéploiement des crédits. Il est regrettable que nous ayons aussi peu d'informations sur les actions susceptibles d'être financées au titre du développement de la culture scientifique. Peut être le nouvel établissement résultant de la fusion entre la Cité des sciences et le Palais de la découverte est-il concerné ? Certaines incertitudes semblent également peser sur le projet « Ville de demain », doté d'un milliard d'euros, ce qui n'est pas une somme négligeable.
M. Christian Gaudin. - J'ai deux observations. La première concerne la sous-consommation apparente des crédits dévolus au développement de la culture scientifique. Je suis étonné car il existe sur l'ensemble du territoire des projets intéressants qui méritent d'être soutenus dans la mesure où le renforcement de l'intérêt des jeunes pour les sciences répond à une préoccupation majeure. Ma seconde observation sera pour souligner la valeur ajoutée qu'il peut y avoir à mieux structurer les pôles de compétitivité afin d'accélérer la valorisation de la recherche. Toutefois, il faut être attentif à définir des méthodes d'évaluation pertinentes permettant d'apprécier le retour sur investissement des sommes engagées au titre de l'emprunt.
M. Philippe Marini. - Je partage l'avis de mon collègue.
M. François Fortassin. - Mes interrogations portent sur le projet de convention relative au « Véhicule du futur ». Est-ce que le constructeur participe à cet effort de recherche Est-ce de la recherche appliquée ? Quel est le rythme d'engagement des crédits ?
Je souhaite également souligner la nécessité de s'assurer de la rigueur avec laquelle seront employés les fonds de l'emprunt, notamment dans les établissements universitaires.
M. Philippe Marini. - Cette dernière préoccupation est partagée.
Concernant le projet « Véhicule du futur », je peux vous indiquer qu'aux termes du projet de convention, qui devrait être conclue avec l'ADEME, que « ce programme vise à accélérer l'innovation et le déploiement de technologies et usages de mobilité terrestre et maritime plus sobres et dont l'impact sur l'environnement et le climat soit réduit, tout en prenant en compte l'évolution de la demande et des comportements susceptibles d'intervenir dans les vingt prochaines années. Ces crédits donnent aux pouvoirs publics les moyens de poursuivre et d'accélérer la mise en place et le déploiement de nouvelles technologies dans le domaine de la mobilité, en soutenant des projets innovants de démonstrateurs de recherche associant acteurs publics et privés et mutualisant les moyens et des projets d'expérimentations, faisant ainsi le lien entre la recherche amont et la pré-industrialisation. Il s'agira préférentiellement de programmes ciblés destinés, à travers la maîtrise de nouvelles technologies, à renforcer la compétitivité de l'industrie des transports. »
M. François Fortassin. - Qu'est-ce qu'un véhicule du futur ? Un véhicule créé d'ici cinq ans ou vingt-cinq ans ?
M. Philippe Marini. - Personne ne le sait ! Au demeurant, il y aura des appels à projets et la création de partenariats avec le secteur privé. Les crédits seront engagés par tranche, à hauteur de 50 millions d'euros en 2010, 170 millions d'euros en 2011, puis 260 millions d'euros par an entre 2012 et 2014. Ces sommes se répartissent entre la construction automobile, la construction ferroviaire et la construction navale. La procédure de sélection des bénéficiaires, qui s'appuie sur un processus compétitif, apparait correctement encadrée.
La commission adopte les observations de M. le rapporteur général qui seront adressées, sous forme de lettre signée par M. le Président, à M. le Premier ministre.
Mercredi 8 septembre 2010
- Présidence de MM. Jean Arthuis, président de la commission des finances, et de M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire -Audition de M. Hubert du Mesnil, président directeur général de Réseau ferré de France
Au cours d'une première séance, la commission procède, conjointement avec la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, à l'audition de M. Hubert du Mesnil, président directeur général de Réseau Ferré de France.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - Au nom de Jean Arthuis et en votre nom à tous, je souhaite la bienvenue à M. Hubert du Mesnil.
Nous avons à coeur de vous accueillir chaque année car, avec ses 29 000 kilomètres de réseau et ses investissements, la situation de RFF intéresse l'ensemble des élus, surtout après la dernière loi de régulation des activités ferroviaires. Un ancien député, Pierre Cardo, vient d'ailleurs de prendre la tête de l'autorité qui est chargée de cette régulation.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Je m'associe à ces paroles de bienvenue. Nous sommes heureux de vous entendre, monsieur du Mesnil, à un moment où votre établissement public se trouve à la croisée des chemins avec la loi du 8 décembre 2009, votre engagement sur une démarche de performance et l'ouverture du trafic international à la concurrence depuis décembre 2009. Vous avez eu des résultats intéressants en 2009 mais, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, vous avez évoqué une dérive structurelle du système en raison d'une baisse des recettes, d'une lourde dette et d'une augmentation des coûts d'entretien du réseau. Or chacun se rappelle les conditions de la mise en place de RFF. C'est dire notre intérêt, d'autant plus que le Gouvernement va devoir procéder à un ajustement des crédits, notamment des crédits d'intervention. Comment moderniser le réseau quand les ressources se compriment ? Nous avons parmi nous une administratrice de l'établissement, en la personne de Fabienne Keller.
M. Hubert du Mesnil, président directeur général de Réseau ferré de France. - Je vous remercie de votre accueil et je suis sensible à l'intérêt que vous manifestez pour RFF. Le sujet intéresse tous les transporteurs et tous les voyageurs, il intéresse la nation.
La dernière loi a fait franchir un grand pas dans l'organisation du réseau ferroviaire ; elle a marqué l'ouverture internationale et créé un régulateur qui prendra une part significative dans l'organisation du système. On parle souvent d'un gendarme, mais le Parlement lui a confié un rôle économique - c'est toute la question des péages. Nous lui fournirons tous les éléments nécessaires à cet effet.
Dans le contrat de performance, l'Etat nous a donné une feuille de route et nous avons fixé un cadrage économique, avec un plan d'affaires, qui est un instrument de mesure. Les résultats sont-ils en ligne ? Il n'y a pas suffisamment de trains sur les rails. Afin de développer l'activité et augmenter le nombre de trains, il faut offrir aux trains de bons sillons. Voilà notre mission principale. Elle a un caractère commercial. Pour cela, il faut comprendre ce que les entreprises ferroviaires et les régions attendent de nous. Nous organisons ainsi le cadencement. Nous devons accueillir de nouvelles entreprises européennes et adapter le réseau à la concurrence dans le respect de la sécurité. La concurrence progresse pour les marchandises (+ 15 %), les nouvelles entreprises dépassent 15 % de part de marché, mais c'est aussi parce que Fret SNCF réduit son activité.
RFF s'engage aussi pour le trafic des voyageurs et nous discutons avec Trenitalia comme avec la Deutsche Bahn. Les choses évoluent progressivement. Certains avaient cru que des TGV étrangers circuleraient dès 2010. Ce n'est pas le cas ; pourtant, la complexité n'est pas entretenue à dessein - le régulateur y veillera. Il faut avoir des trains, des conducteurs... Quand la concurrence entrera-t-elle dans les faits ? Les Italiens n'ont pas utilisé leurs sillons cette année. Nous répondrons aux demandes en veillant à la coexistence des entreprises et des activités. C'est aussi pour cela que nous avançons sur le cadencement avec résolution.
Le plan de rénovation représente 13 milliards d'euros d'ici 2015. Nous avons doublé les chantiers, ce qui gêne d'ailleurs la circulation des trains régionaux, nous en avons conscience. Le plan est tenu, le doublement du rythme de la rénovation est une réalité. Nous essayons de réduire les coûts, ce qui nous conduit à arrêter la circulation quand c'est acceptable pour les voyageurs car cela permet une baisse des coûts de plus de 20 %. On ne peut pas faire plus, même si le plan de relance nous a donné un petit coup de pouce, car toute notre capacité technique et financière est mobilisée. Restera la question des lignes qui ne font pas partie du plan de rénovation ; il conviendra d'y réfléchir au cas par cas.
L'équilibre économique devait être atteint à terme selon la formule du coût complet, les recettes couvrant l'entretien et le renouvellement des voies. Nous y reviendrons.
Le développement durable a donné lieu à de nombreuses initiatives. La matière est essentielle mais compliquée et le Grenelle de l'environnement a fixé des orientations ambitieuses. Nous sommes mobilisés sur ces dossiers, car ce serait une erreur de négliger les nuisances au prétexte que le train est par lui-même un moyen de transport écologique. Il faut aussi s'occuper des traverses et du bruit !
RFF a une dette de 28 milliards d'euros. Il nous faut absolument démontrer qu'à moyen terme, nous dégagerons suffisamment de résultats pour la résorber. Si la trajectoire n'y tend pas, si la convergence apparaît illusoire, les pires menaces sont devant nous. Nous avons traversé la crise financière sans trop de difficulté. Adossés à l'Etat, nous avons conservé notre notation AAA. Les banquiers n'en regardent pas moins où nous allons et ils ne répondraient plus présents en cas de divergence, c'est un vrai risque. Or la vertu du contrat de performance est en train d'être minée. Les recettes prévues additionnaient les péages, qui devaient augmenter, et des subventions, qui devaient rester stables. Nous attendions une augmentation des recettes. Or la baisse du trafic de marchandises est plus importante que prévu, et l'on n'a pas constaté de reprise pour ce secteur, qui a encore baissé de 7 % au premier semestre, tandis que les péages du fret sont très faibles (200 millions d'euros sur 4 milliards d'euros).
Côté voyageurs, la croissance était portée par les régions, car, pour les trains nationaux, l'augmentation des TGV est compensée par des suppressions d'autres trains. Conserverons-nous 3 % de croissance l'an dans le transport régional ? Pour les barèmes, la hausse repose sur les TGV, les autres étant simplement réévalués de l'inflation. La croissance de la recette attendue pour les TGV était de 200 millions d'euros, soit 6 % à 9 % l'an. Chaque année, le barème augmente de l'inflation, plus 60 millions d'euros, au titre de la rénovation du réseau et pour tenir compte de la convention de gestion de la SNCF. Une centaine de millions pour l'année 2011 traduit l'effet retraites à la SNCF. Le TGV aide donc à la rénovation du réseau et porte la hausse des coûts d'entretien. Pourra-t-on longtemps continuer comme cela ? Si ce n'était plus le cas, il faudrait que le coût du réseau n'augmente plus, et pour cela, qu'on réorganise l'entretien, ce qui suppose un grand changement. Ne pas aller au bout de l'effort de rénovation serait la pire des choses car si, par exemple, nous ne rénovons qu'un tronçon de la ligne des Alpes, nous ne tirerons pas les profits de la rénovation.
Nous nous inquiétons d'autant plus pour les subventions de l'Etat. Nous rêvions qu'elles demeurent stables, or elles diminuent tous les ans, le gel ayant touché 180 millions d'euros cette année. Cela efface complètement la croissance des péages. Si l'on ne peut pas compter sur cette contribution supplémentaire, jamais nous n'atteindrons l'équilibre du coût complet et c'est tout l'ensemble qui est menacé. Nous avons, et c'est normal, des débats avec la SNCF ; le régulateur refera nos comptes respectifs et se formera une opinion sur le bon équilibre. Traitons ce débat rationnellement et avec professionnalisme. Sous-tarifer une ligne utilisée par une compagnie européenne ne sert pas l'intérêt national : il faut que le train paie le péage autant qu'il le peut. Les hausses de péage ont pu peser sur les résultats de la SNCF, mais la reprise est là et la qualité du produit TGV est telle qu'on peut avoir confiance en son avenir et escompter une croissance.
La dérive dépasse déjà 300 millions d'euros par rapport au contrat de performance. L'évolution des recettes ne suffira pas si les coûts augmentent de 3 % l'an : la rénovation est la meilleure des réponses. Nous travaillons aussi avec SNCF Infrastructures sur la maintenance en nous inspirant des exemples étrangers, allemands et néerlandais par exemple. Il convient, sauf à se faire du souci pour la dette et pour le réseau, de poser la question de notre capacité à porter la dette en tendant vers l'équilibre.
J'ai évoqué l'impact de la réduction de Fret SNCF. S'agissant toujours du fret, nous participons à l'engagement national pour le fret ferroviaire avec la mise en oeuvre d'autoroutes ferroviaires et réservons aux trains de marchandises des sillons de qualité. Nous signons avec les transporteurs des accords de qualité qui prévoient des pénalités si nous ne tenons pas nos engagements - c'est la meilleure contribution que nous puissions apporter à cette activité. Nous croyons, malgré les débats, aux actions en faveur des transports de proximité. Les expériences réussiront-elles ? Nous serions coupables de ne rien faire pour les activités de proximité. Nous n'arrêtons pas les petites lignes et cherchons à les entretenir. Nous pouvons en confier l'entretien à qui le veut et, comme le sait bien M. Patriat, nous venons de le faire dans le Morvan, avec des entreprises locales. Nous baissons les prix et adaptons les lignes : si un transporteur local veut s'organiser pour cela, tentons l'expérience ! Enfin, nous poursuivons l'effort pour l'accès aux ports.
Un mot sur les grands projets. Les projets réalisés en mode classique que sont la LGV Est-2eme phase sur Strasbourg et Rhin-Rhône entre Dijon et Mulhouse se déroulent comme prévu. Nos marchés sont signés dans de bonnes conditions pour nous. Nous avons trois projets de LGV en partenariat public-privé, comme Sud-Europe-Atlantique (Bordeaux-Tours) avec Vinci ; Le Mans-Rennes et le contournement de Nîmes-Montpellier sont en cours de négociation. Les dix-sept projets du Grenelle, soit 70 milliards d'euros, sont à l'étude ou en préparation du débat public. Comme le calendrier de tout cela dépasse notre compétence, je me bornerai à dire que nous nous efforçons d'avoir un comportement responsable dans la concertation et travaillons avec les élus pour concevoir une bonne insertion de ces projets dans les territoires.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Je vous remercie de cet exposé très clair. Nous mesurons le dynamisme de votre équipe : RFF n'est plus une structure de défaisance de la dette de la SNCF. Nous avons compris votre projet, vos ambitions, mais aussi vos contraintes. Comment l'ouverture à la concurrence se passe-t-elle, quel est le potentiel de concurrence et n'y a-t-il pas un risque de saturation des sillons ?
Quelles sont les perspectives de remboursement de la dette et ne s'agit-il pas, suivant l'expression de Jean-Pierre Fourcade, d'une « dette perpétuelle » ? Qu'adviendra-t-il en cas de pression sur les taux ? D'ailleurs, quels taux obtenez-vous sur les 28 milliards d'euros et comment ferez-vous en cas de baisse de 10 % des crédits d'intervention qui atteignent 2,3 milliards d'euros?
M. Hubert du Mesnil. - Une entreprise qui nous demande un sillon doit respecter des règles techniques de sécurité (ce qui relève surtout de l'établissement public de sécurité ferroviaire). Les trains ont en effet été dimensionnés en fonction des réseaux de chaque pays, de sorte que les Italiens peuvent prétendre que nous leur compliquons volontairement les choses et que les Français peuvent dire la même chose en Italie.
S'agissant des sillons, le « document de référence » est un mode d'emploi du réseau ferroviaire disponible sur Internet. Il définit en particulier le calendrier d'inscription. Les demandes pour 2011 devaient être formulées en avril ; nous les traitons avant septembre et répondons à 80 % des demandes, l'année nouvelle commençant dès décembre. Resteront les sillons de dernière minute pour le fret. L'Italie et l'Allemagne déposent des demandes, nous rentrons en discussion : combien de trains, à quelle vitesse ? Le processus de concertation est continu. Les sillons non utilisés doivent être annulés assez tôt pour ne pas être facturés. Un Milan-Paris est possible à condition que les voyageurs pris en charge dans une gare française intermédiaire ne représentent qu'une fraction minoritaire des passagers.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Cela restreint la concurrence !
M. Hubert du Mesnil. - Des décomptes doivent être opérés.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - C'est une fiction !
M. Hubert du Mesnil. - Ce n'est possible que sur des liaisons au trafic très important. A vrai dire, Milan-Chambéry, d'une part, et Chambéry-Paris, d'autre part, apparaissent plus intéressants qu'un Milan-Paris, qui peut se faire par avion. En revanche, la contrainte sera moindre pour la Deutsche Bahn quand elle ira jusqu'à Londres via Lille.
D'une part, l'on ne peut pas toujours répondre à la demande, d'autre part l'antériorité n'établit aucun droit : nous devons redistribuer les sillons chaque année entre toutes les demandes. Nous avons néanmoins des discussions avec la SNCF pour lui réserver des sillons sur plusieurs années, mais cela n'est possible que pour une partie de la capacité et, le moment venu, RFF est obligé d'ouvrir.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Quelle est la proportion tolérable ?
M. Hubert du Mesnil. - Pour un contrat de cinq ans, nous pensons pouvoir viser environ 70 %. Le régulateur examinera nos propositions dans le cadre européen.
Concernant la dette, le taux moyen d'intérêt des 28 milliards est de 4,5 %. Nous avons bénéficié de la baisse des taux : la crise nous a été, à cet égard, favorable puisque l'économie a atteint 300 millions d'euros. Mais notre capacité à rembourser cette dette se dégrade actuellement et une partie de cette dette finira par être perpétuelle. Il y a deux ans, nous avions dans l'idée que RFF pourrait commencer à se désendetter en 2020 mais cette perspective a disparu avec l'augmentation des coûts et la baisse des recettes. La dette va donc continuer d'augmenter.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - La subvention de l'Etat ne peut-elle apparaître comme le moyen de la rembourser, ce qui en ferait une dette « maastrichtienne » ?
M. Hubert du Mesnil. - La subvention de désendettement a été transformée en complément des péages, en contrepartie d'une augmentation de ceux-ci. Si ce n'est plus possible, notre adossement à l'Etat apparaîtra comme notre seul soutien et l'on ne pourra pas entretenir la fiction du désendettement.
Mme Fabienne Keller. - Alain Fouché et moi-même sommes administrateurs de RFF et je précise qu'il s'agit d'une petite entreprise, environ deux cents fois plus petite que la SNCF en nombre de salariés. Les deux entreprises sont, du reste, liées par une convention de gestion : RFF est censé gérer les sillons mais il confie cette tâche à des salariés qui sont restés agents de la SNCF et elle supporte ainsi 160 millions d'euros de surcharge financière liée aux statuts des salariés. Le péché originel est là ! Et l'on a pu croire que RFF était une structure de défaisance. Mais l'établissement a des compétences propres : construction de lignes, rénovation, gestion de la dette... Laquelle, soit dit en passant, représente seulement une année de dette de la sécurité sociale !
« Il n'y a pas suffisamment de trains sur les rails », dit M. du Mesnil. Effectivement, les régions ont consenti des investissements considérables, qu'il faut rentabiliser. Des trains en plus grand nombre, c'est moins de pollution et moins de dépenses sur les infrastructures routières. Nous devons nous interroger sur les deux questions de la concurrence et des coûts d'exploitation de la SNCF, dans ce qui est un domaine d'excellence de la France.
Je veux souligner également que le bon entretien du réseau produit un cercle vertueux car le trafic cadencé qu'autorise un réseau en bon état engendre des recettes supplémentaires, alors que, quand l'infrastructure vieillit trop, la structure n'est plus rentable et coûte cher.
M. Michel Teston. - Il aurait fallu plus de temps pour un sujet de cette importance. M. du Mesnil nous a parlé de la rénovation du réseau. Le rapport de l'Ecole polytechnique de Lausanne, en septembre 2005, a souligné le mauvais état du réseau et recommandé de compléter le réseau à grande vitesse en le maillant avec le réseau classique afin d'assurer une bonne irrigation des territoires. Je dresserai un bilan un peu différent de celui exposé par le président de RFF. L'extension du réseau à grande vitesse passe de plus en plus souvent par des partenariats public-privé ; et les régions sont obligées d'intervenir pour enrayer le vieillissement du réseau classique, voyez le cas de l'Auvergne et de Midi-Pyrénées.
La dette de 28 milliards d'euros pénalise considérablement RFF. La seule solution pour répondre à ce défi est de vendre les biens immobiliers qui ne sont pas nécessaires à l'exploitation, de développer le fret ferroviaire et d'augmenter les péages, qui ne sont pas parmi les plus élevés d'Europe. Le Grenelle de l'environnement impose, dans le total du trafic de marchandises, une part modale du non-routier et du non-aérien de 25 % (essentiellement le fluvial et le ferroviaire) : il est donc temps de redonner à RFF des marges de manoeuvre et de demander à l'Etat un plan de réorganisation de la dette. Les parlementaires ne pourront pas faire longtemps l'autruche, ils devront aider l'Etat à prendre des décisions. Il n'y a pas de solution sans résorption de l'endettement de RFF.
M. François Patriat. - Les régions participent à l'achat des trains, à l'entretien du réseau, au cadencement du trafic, à la construction de nouvelles lignes à grande vitesse : tout cela finit par engloutir plus d'un quart de leurs budgets ! Les financements inscrits dans les conventions avec la SNCF ont augmenté de 55 % en quatre ans. M. Pépy me dit que ce sont les péages qui alourdissent le coût des conventions. Cela devient intenable ! L'offre de trains se réduit ; la ligne Besançon-Dijon-Cherbourg par Caen s'arrêtera à la fin de l'année faute d'équilibre financier. Les régions ont participé au plan de relance de l'Etat pour la régénération du réseau. Pourront-elles continuer ? Leur situation financière leur imposera inévitablement de réduire la voilure.
N'allez pas entretenir l'illusion que des lignes à grande vitesse pourront être construites sur tous les territoires : Rhin-Rhône avec une branche sud et ouest, Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon, Lyon-Marseille-Barcelone-Italie, ligne Sud longeant l'A39 entre Dijon et Lyon, qui ferait gagner trois minutes pour un coût de 4 milliards d'euros... Non, tout ne sera pas possible !
M. Rémy Pointereau. - Les LGV sont des investissements de long terme. Il faut respecter le Grenelle de l'environnement. La fongibilité des investissements est inscrite pour les projets prévus après 2025. Mais ne serait-il pas possible d'élaborer un business plan, au moins pour les vingt ans à venir, regroupant les différents projets prévus ?
Les banques font confiance à RFF. Elles ont été aidées par l'Etat il y a quelques mois. A leur tour, elles pourraient apporter leur contribution en finançant plus largement les partenariats public-privé. La Caisse des dépôts pourrait y participer.
M. François Fortassin. - Les entreprises françaises et les entreprises étrangères acquittent-elles les mêmes péages ? Si oui, la concurrence paraît respectée, mais en réalité elle ne l'est pas puisque seules les françaises financent la rénovation des sillons par la puissance publique. Nous avons en fait de la concurrence déloyale.
M. Roland Courteau. - Le contournement de Nîmes-Montpellier par une ligne à grande vitesse est une avancée, après la réalisation du Perpignan-Figueras transfrontalier. Mais il y a un chaînon manquant : Montpellier-Perpignan ! La mission Querrien, en 1990, prévoyait sa réalisation sous dix ans ; on nous l'annonce aujourd'hui dans les dix ans à venir. L'attente aura duré trente ans ! Chacun sait pourtant le goulot d'étranglement qui existe sur le plus grand axe européen de LGV, de l'Europe du Nord jusqu'à Séville. Le tronçon Montpellier-Perpignan sera-t-il construit dans dix ans ou attendrons-nous encore trente ans ? Et que devient le Narbonne-Toulouse, pour désenclaver Toulouse ?
M. Raymond Vall. - La région Midi-Pyrénées a dépensé 500 millions d'euros pour la rénovation des voies et l'on nous a annoncé ensuite la suppression de 3 000 à 4 000 kilomètres de lignes ! Il ne faut pas appliquer aux territoires ruraux une vision trop sectaire, dit pourtant le Président de la République. Vous faites disparaître, dans votre schéma national, presque toutes les lignes de fret et le trafic des TER ! Qu'en est-il de la traversée du Massif central vue du côté de RFF ?
M. François Marc. - J'évoquerai le lien entre les contrats de projet et le schéma national des infrastructures de transport, en prenant l'exemple de la ligne de l'extrême Ouest breton. Le contrat de projet comprenait une ambition précise : mettre Brest et Quimper à trois heures de Paris. Quelques travaux ont été programmés, qui feront descendre la durée du trajet à trois heures quarante. Mais ensuite ? Le schéma national a modifié sans délibération la priorité, qui devient le barreau vertical Rennes-Nantes. Comment peut-on piétiner ainsi les contrats de projets ?
Mme Marie-France Beaufils. - Vous avez choisi Vinci pour construire la ligne à grande vitesse du Sud-Est Atlantique. Mais quel est le poids de la rémunération des actionnaires privés sur le coût du projet ? N'aurait-il pas été moins onéreux de recourir à un emprunt bancaire pour un tel investissement, pour lequel les collectivités territoriales seront sollicitées ?
La Deutsche Bahn, en Allemagne, reprend les wagons isolés. La même chose est-elle envisageable en France ? Pourquoi nous renvoie-t-on aux opérateurs privés, alors que Proxirail est tombé à l'eau ?
M. Dominique Braye. - La situation de RFF empire d'année en année. Et songez au risque si les taux augmentent... Il y a un vrai problème et si effectivement la dette est de 28 milliards d'euros, RFF doit tout faire pour augmenter ses recettes. On vous sent évoluer dans une concurrence obligée, dans laquelle vous privilégiez l'opérateur historique au détriment des recettes. Il conviendrait d'adopter une attitude plus moderne et de considérer la concurrence comme un atout.
M. Jean-Jacques Mirassou. - La suppression des trains est une réalité dans la région Midi-Pyrénées et en Haute-Garonne. Quand on habite Bagnères-de-Luchon, par exemple, il vaut mieux partir à pied que d'attendre sur le quai un train pour Saint-Gaudens... Le département et la région ont consenti un effort de respectivement 320 et 450 millions d'euros, mais ils n'ont pas encore la certitude que les choses sérieuses vont commencer pour Bordeaux-Toulouse. On brandit le spectre maastrichtien lorsqu'il s'agit de la dette de RFF mais on ne s'émeut de rien lorsque les collectivités sont sollicitées en dehors de toutes leurs compétences. Mais la convention a été signée ce matin pour le Bordeaux-Toulouse : il semble que l'on soit, si je puis me permettre, sur la bonne voie !
M. Philippe Dallier. - Quel est l'impact de la réforme de la taxe professionnelle sur votre entreprise ? L'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER) a été créée pour éviter les effets d'aubaine. Maintenant que vous êtes déficitaire presque structurellement, n'y a-t-il pas là une marge de négociation pour trouver un peu d'oxygène ?
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - Quel est le coût moyen au kilomètre d'une construction de ligne à grande vitesse, d'une rénovation de l'existant et d'une électrification ?
M. Hubert du Mesnil. - A l'Etat de prendre les décisions qui relèvent de sa compétence : choix des programmes de lignes à grande vitesse, choix des modes de financement, promotion des objectifs du Grenelle de l'environnement... Nous exécutons les étapes décidées par le Gouvernement. Je suis donc incapable de vous dire quand et comment seront financés les 70 milliards d'euros d'investissement. Notre métier est de discuter avec les riverains, de rénover les voies, de réaliser les programmes décidés, de faire fonctionner le réseau.
Partenariat public-privé ou non, la question est ouverte. Nous aurons bientôt des retours d'expérience, puisque sur cinq projets mis en oeuvre actuellement, trois le sont dans le cadre d'un partenariat public-privé, deux dans un cadre classique. Sans les PPP, nous ne pourrions mener les cinq de front. Quant au bilan du coût, nous en saurons plus dans quelque temps. Il est certain que la rémunération du capital est plus lourde. Et il me semble illusoire de penser que les PPP constituent une solution pour les 70 milliards d'euros d'investissements. Les banques apportent l'argent, même si, durant la crise économique, elles voulaient la garantie de l'Etat ; mais on est impressionné par les capacités industrielles déployées lorsque les contrats sont regroupés.
RFF a remis en service des petites lignes ces dernières années. Et ce sont souvent les riverains qu'il faut convaincre car ils sont dérangés par le trafic, notamment le fret... Qu'on ne nous fasse pas le procès de la fermeture des lignes, nous avons rouvert de petites lignes, comme Flamboin-Montereau, et, si notre rôle est parfois de nous interroger sur l'utilité de voies sur lesquelles ne circule presque aucun train, nous n'avons pas à décider seul, surtout quand la région a fait beaucoup pour rénover et moderniser les lignes. Il faut voir les choses au cas par cas, mais sachez que ce n'est jamais un plaisir que de fermer une ligne.
RFF n'est ni pour ni contre la concurrence. Est-ce que Trenitalia et Deutsche Bahn nous trouvent bienveillants à l'égard de l'opérateur historique ? Est-ce que la SNCF nous juge trop bienveillants à l'égard de ses concurrents étrangers ? Il faut adapter notre fonctionnement à la concurrence mais sans précipitation, raisonnablement. Nous sommes déjà à 16 % de part de marché pour les étrangers. Jusqu'à présent notre attitude a été jugée irréprochable et, si nous étions condamnés pour distorsion de concurrence, je considérerais que nous aurions commis une faute grave.
C'est l'Etat qui a élaboré le projet de schéma national des infrastructures de transport. Nous serons consultés, vous le serez aussi, à chacun de formuler ses avis sur des améliorations souhaitables ou des ajustements au nom de la cohérence. Nous n'oublions pas l'objectif de Brest-Paris en trois heures et voulons y travailler. Il faudra mettre sur ce point le schéma en cohérence avec les contrats. Quant à la traversée centrale, c'est à l'Etat de dire comment et quand il mettra en oeuvre ce projet qui tient à coeur aux Espagnols.
Je préside l'association européenne des gestionnaires d'infrastructures, tous les pays connaissent les mêmes problématiques. Mais nous le savons, il ne faut pas s'attendre à ce que l'Europe apporte des financements.
Pour répondre à la question du président Emorine, la construction d'une nouvelle ligne coûte 15 à 25 millions d'euros au kilomètre ; la rénovation, 1 million ; l'électrification, quelques millions.
Il est évident que l'avenir d'une partie du réseau dépend de notre capacité à gérer les wagons isolés ou du moins les petits trains. Je sais que la SNCF déclare qu'elle n'est plus en mesure de le faire. Et je ne suis pas certain que d'autres puissent le faire à sa place. Mais nous résigner et fermer serait une décision gravissime pour les entreprises industrielles. Nous devons tout essayer. Ce n'est pas la Deutsche Bahn qui va nous proposer de gérer ce fret ; si des entreprises locales, avec des moyens sobres, souhaitent essayer, il faut les suivre et les encourager et faire en sorte que les péages ne soient pas dissuasifs.
M. Patrick Persuy, directeur général adjoint, finances et achats de RFF. - L'imposition forfaitaire est un poste en forte augmentation dans le budget de RFF. Les subventions ont été réorganisées l'an dernier, et la valeur ajoutée ayant augmenté, l'assiette de l'IFER s'est élargie, indépendamment de la réforme de la taxe professionnelle. En effet, les subventions de désendettement, d'exploitation et de renouvellement ont été fondues en une seule, qui figure dans le compte de résultats.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - La plafonnement de 3,5 % s'applique à une valeur ajoutée beaucoup plus large. Avez-vous une idée de l'évolution de l'IFER ? Et « quid » de la subvention ?
M. Hubert du Mesnil. - Nous n'avons guère d'indications sur le montant que nous devrons acquitter l'an prochain. Il est question d'une baisse de 10 % de la subvention.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Si la dette de RFF était gérée par France Trésor, cela ne coûterait-il pas moins cher ?
M. Patrick Persuy. - En effet. La différence est de 15 points de base.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Soit 50 millions d'euros de subventions aux banques !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - Nous vous remercions.
- Présidence de M. Jean Arthuis, président -
Régulation bancaire et financière - Audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi
Au cours d'une seconde séance, la commission procède à l'audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, sur le projet de loi n° 555 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, de régulation bancaire et financière.
M. Jean Arthuis, président. - Au nom de la commission, je souhaite la bienvenue à Mme Lagarde et la prie de l'excuser de notre retard. Nous entendions, à l'occasion d'une audition organisée conjointement avec la commission de l'économie, M. du Mesnil, président de Réseau Ferré de France (RFF), occasion d'apercevoir une dette perpétuelle, comme si RFF était une structure de défaisance. Et certains de rêver du rétablissement du service annexe de la dette de la SNCF...
Nous poursuivons aujourd'hui nos travaux préparatoires sur le projet de loi de régulation bancaire et financière. Nous nous retrouverons, dès le 14 septembre à 16h15, pour la présentation du rapport et l'examen des amendements de la commission. Je rappelle que ce texte, à la différence des lois de finances, sera examiné selon la nouvelle procédure constitutionnelle : le texte discuté en séance publique à la fin du mois de septembre sera donc celui établi par la commission à l'issue de ses travaux de la semaine prochaine. Mais, revenons sans plus attendre à la réunion d'aujourd'hui.
Le projet de loi, adopté par les députés juste avant l'été, tire les conséquences en droit interne de la crise financière, brutale et inattendue, et de la crise économique que nous vivons encore. Indissociables des travaux européens et internationaux, la cinquantaine d'articles qu'il comprend ne recouvre pas l'intégralité du champ de la régulation. Néanmoins, son premier volet sur la régulation est ambitieux et le second, consacré au financement de l'économie dont la crise a montré qu'il était parfois fragile, original. Heureux hasard, la clôture des travaux du groupe de travail sur le financement des entreprises, que la commission a constitué en son sein, coïncidera harmonieusement avec l'examen de ce projet de loi. Or si les banquiers ont bien fait leur travail, nous ont-ils dit, et que des entreprises ont effectivement connu des processus de reprise, les chefs d'entreprise se font aujourd'hui l'écho d'une certaine inertie des banques devant leurs difficultés à financer leur fonds de roulement.
Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. - Merci de m'accueillir. J'apprécie les contacts et la coopération avec votre commission, qui a brillé par ses propositions et sa vision pertinente ces deux dernières années. Elle a su exprimer avec modération et sobriété, mais beaucoup de fermeté, sur le sujet de la régulation bancaire et financière à la suite de la crise qui a ébranlé notre pays, comme toutes les économies du monde, et a imposé une action vigoureuse aux niveaux international, européen et national. Le président, Jean Arthuis, le rapporteur général, Philippe Marini, ainsi que d'autres commissaires ont toujours été au rendez-vous pour avancer des propositions et soutenir celles des positions de la France qui leur paraissaient souhaitables.
Certains se sont émus du délai avec lequel ce projet de loi a été présenté devant l'Assemblée nationale, puis le Sénat. C'est que la France, en qualité de présidente de l'Union européenne et membre extrêmement actif du G20, a concentré ses efforts sur les priorités du moment, soit les niveaux international et européen, face à cette crise globale, enracinée dans des circuits de financement qui, par définition, ne connaissent pas de frontières. Je remercie d'ailleurs le Sénat de son soutien actif aux mesures d'urgence que nous avons prises pour débloquer les circuits de financement, lutter contre les mécanismes d'entraînement de la crise au sein de la zone euro et soutenir notre monnaie unique. Hier soir, mardi 7 septembre, le Conseil européen a approuvé le compromis sur la supervision européenne à Bruxelles, et j'espère que le Parlement européen en fera autant dans les prochains jours. En quelque sorte, ce travail, similaire à celui que la France avait engagé sur la consolidation de ses autorités de supervision en janvier dernier avec l'ordonnance portant fusion des autorités d'agrément et de contrôle de la banque et de l'assurance, fait ressortir l'articulation des différents étages de supervision qui, je l'espère, travailleront en étroite harmonie.
J'en viens au premier volet de ce projet de loi, la régulation financière. En cette période de rentrée, nous retrouvons ces « créatures », que nous avons appris à mieux connaître depuis la crise, que sont les ventes à découvert, les ventes à découvert à nu ou encore les produits dérivés, tels les « credit default swaps » ou CDS. Cette période de décantation nous a permis d'appréhender ces « animaux étranges » dans un texte qui présente l'avantage de la sobriété : une cinquantaine d'articles contre les 1 200 pages de la loi Dodd-Franck. Quantité ne rime pas toujours avec qualité... Le texte encadre les ventes à découvert, ces activités non régulées, opaques et obscures, sur lesquelles nous avions peu de prise jusqu'à présent, notamment, concernant les volumes. Dorénavant, l'Autorité des marchés financiers, l'AMF, pourra les interdire en cas de circonstances exceptionnelles. Rappelons, à ceux qui affirment que l'Allemagne est plus efficace sur ce dossier, que l'AMF avait adopté, dès octobre 2008, une décision visant à interdire les ventes à découvert sur les quinze valeurs financières déterminantes pour le marché français, mesure qui n'a pas été levée.
Ensuite, le texte transpose dans notre droit interne la réglementation européenne relative aux agences de notation, sujet qui continuera de faire couler de l'encre tant le système actuel est source de vicissitudes qu'ont mises en lumière de récents travaux, notamment ceux de Moody's et de Standard & Poor's aux États-Unis. Grâce aux travaux précurseurs de la France, le texte, abouti, précise la manière dont les agences seront agrées, contrôlées, et sanctionnées si nécessaire. Il détaille les questions de leurs règles de fonctionnement, du dépôt de modèles et de la clarification des conflits d'intérêt. S'agissant de la régulation des marchés de produits dérivés, l'AMF pourra désormais sanctionner les abus, je pense notamment aux CDS. Le renforcement des pouvoirs de l'AMF appelle légitimement le renforcement des sanctions financières qu'elle peut prononcer, multipliées par dix, et le doublement de celles décidées par l'Autorité de contrôle prudentiel, issue de la fusion de la Commission bancaire et de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles. En outre, le texte rend obligatoire la publicité des sanctions décidées par l'AMF, manière d'ajouter l'opprobre à la pénalité.
Enfin, ce projet de loi rend obligatoire la mise en place d'un comité des risques et d'un comité des rémunérations dans chaque entreprise concernée afin de clarifier la rémunération des opérateurs de marché, plus communément appelés traders. La France s'était montrée très active sur ce dossier au sein du G20 et de l'Union européenne. Entrant en vigueur le 1er janvier 2011, la directive, dite CRD 3, comporte des mesures sur les bonus garantis, désormais interdits, sur le différé de rémunérations durant une période de trois ans et le versement d'une partie de la part non différée de la rémunération variable sous forme d'actions. Enfin, ce texte ratifie l'ordonnance du 21 janvier 2010 que le Parlement m'avait habilitée à prendre par la loi de modernisation de l'économie. Je rappelle que la création de l'Autorité de contrôle prudentiel avait pour but, non de faire « sauter des chaises », mais d'éviter que certains secteurs, entre autres celui de la distribution du crédit, ne soient dans un angle mort de notre dispositif de contrôle.
Le deuxième volet de ce projet de loi vise à faciliter le financement de l'économie pour appuyer la reprise. Cela est d'autant plus indispensable que les discussions en cours sur les règles dites de « Bâle III » aboutiront à une augmentation et de la quantité et de la qualité des capitaux de toutes les banques, y compris les nôtres. Le Gouvernement français veillera, dans ces négociations, au respect des critères spécifiques à notre économie et aux économies européennes continentales, soit un financement en majorité d'origine bancaire, et non obligataire comme aux États-Unis, avec pour souci d'éviter des disparités de traitement qui pénaliseraient nos banques par rapport à leurs homologues américaines. Cette position, je ne le cache pas, est difficile à faire valoir devant le comité de Bâle, composé d'autorités de contrôle, extrêmement sensibles aux événements de la fin de l'année 2008, considérant qu'il y a eu une insuffisance de supervision, peut-être faute de moyens. Dans ces conditions, nous devons faciliter l'accès des PME et des entreprises intermédiaires aux fonds propres en introduisant sur leur marché boursier, c'est-à-dire Alternext, des mécanismes tels qu'une procédure d'offre publique obligatoire dès lors qu'un investisseur détient plus de 50 % du capital d'une société et, mesure très attendue, une procédure de retrait obligatoire lorsqu'un actionnaire devient fortement majoritaire dans le capital d'une entreprise de ce type. Le texte renforce également OSEO, un acteur qui s'est révélé déterminant dans la gestion des conséquences de la crise sur les PME.
Autre élément, la création d'obligations de financement de l'habitat, comparables mais non similaires au régime juridique des obligations foncières en ce qu'elles ne présentent pas l'inconvénient d'être situées hors bilan ou de procéder de mécanismes de titrisation qui pourraient être dangereux. Nous n'avons pas l'intention d'introduire les « subprimes » en France... Le secteur immobilier, ou plutôt les banques, ont besoin d'un tel mécanisme de financement, compte tenu du risque. Enfin, dernier sujet, la régulation des intermédiaires financiers qui, aujourd'hui, tient de la mosaïque, améliorera la protection du consommateur par une meilleure information sur le champ de compétence des « commercialisateurs ». Voilà les grandes lignes de ce projet de loi.
M. Jean Arthuis, président. - Merci de ces précisions. Nous avons effectivement besoin d'une vraie coordination et d'une articulation adéquate entre la réglementation européenne et ce projet de loi.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Réservant l'analyse du projet de loi à la discussion de ses articles en commission qui aura lieu en présence de Mme Lagarde, je m'en tiendrai aujourd'hui à des considérations générales et politiques, au sens fort du terme. L'examen de ce texte est forcément un exercice délicat à l'heure où la place des parlements est de plus en plus difficile à apprécier, pour ne pas dire de plus en plus étroite. Deux raisons à cela. Tout d'abord, la régulation bancaire et financière étant de nature internationale et, a fortiori, communautaire, la tentation est grande de dire : « Mes bons amis, ne faisons rien ! Nous sommes en train de négocier ». Au contraire, il revient au Parlement de fixer un cap pour conforter la position de notre pays dans les discussions. Si nous devons avoir conscience que nous voterons, avec ce texte, des articles virtuels, du moins provisoires, il ne faut pas y voir une raison de ne rien faire, mais une raison supplémentaire d'agir.
L'exercice est donc particulier en ce que ce texte a vocation à s'articuler avec le droit communautaire. Or l'Union européenne ne fonctionne pas comme les Etats-Unis où la négociation est complexe mais le pouvoir fédéral. L'Union est cette chose qui comprend la Grande-Bretagne... Laquelle n'a pas les mêmes intérêts que l'Europe continentale en matière de régulation bancaire et financière. C'est une réalité géostratégique. Point n'est donc besoin de se voiler la face. Il nous faudra donc essayer d'aller le plus loin possible tout en conservant à l'esprit que le résultat de la mécanique poly-synodique et poly-institutionnelle européenne est souvent imprévisible, quel que soit le talent de nos ministres...
La seconde raison est liée à la compétitivité de la place de Paris. Interdire, réglementer, sanctionner, nous pouvons nous faire plaisir en expliquant, lorsque nous rentrons dans nos communes, combien nous avons été rigoureux mais « quid » des conséquences sur la localisation des activités ? Quel est l'intérêt supérieur à poursuivre ? Soyons volontaristes et lucides : évitons les postures qui provoqueraient une hémorragie des activités sur la place de Paris. Nouveau paradoxe : la place de Paris ne se porte pas si mal que cela ! Prenons les obligations foncières qui représentent aujourd'hui un énorme marché, cette réforme financière structurelle, parmi les plus fructueuses, a été faite par la place de Paris. En matière de règlement-livraison et de compensation, soit pour toutes les activités « post-marché », nous avons des chances réelles de fédérer à Paris les grands acteurs de l'industrie financière et bancaire. L'un des trois nouveaux organes européens sera d'ailleurs à Paris, et non l'un des moindres, celui qui s'occupera du marché des actions ! S'agissant de l'industrie de la gestion collective, il nous appartient de discipliner son cadre, d'affirmer sa régulation, mais aussi de conforter son rôle de leader européen.
Sur tous ces sujets, il convient de trouver le juste équilibre entre les objectifs quelque peu contradictoires que sont, d'une part, le maintien et le développement de la place de Paris et, d'autre part, la garantie de la sécurité et de la moralité financières - n'ayons pas honte de ce dernier mot que la crise nous impose d'utiliser.
Ce projet de loi est un texte utile. L'Assemblée nationale a bien travaillé. Le Sénat y apportera sa contribution. Il est, pour m'en tenir à un seul exemple, possible de créer de nouvelles techniques sur le marché obligataire pour mieux animer le marché secondaire des obligations. C'est un enjeu de place et d'emploi. En outre, les quotas de CO2, que Fabienne Keller a beaucoup étudiés, sont des objets techniques et financiers échangés sur des marchés, marchés à la fois primaire et secondaire. Il est essentiel de définir les principes et les compétences de régulation en la matière pour éviter des scandales et affirmer le rôle leader de l'industrie financière et de la place de Paris.
Pour conclure, dans cette phase de concertation avec vos collaborateurs, madame la ministre, chacun espère des concessions réciproques. Puissions-nous trouver un juste milieu !
Mme Christine Lagarde. - Sans vouloir faire l'article de la place de Paris, permettez-moi une anecdote. Lors des débats hier soir à Bruxelles sur une taxe européenne sur les transactions financières défendue par la France, l'actuel Chancelier de l'Echiquier, M. Osborne, à qui n'a pas échappé qu'une telle taxe pèserait de manière non négligeable sur les établissements financiers, a rappelé que la City de Londres doit sa bonne fortune à l'imposition de charges excessives par l'administration Kennedy qui avait entraîné un déplacement des opérations au détriment de New York. Il ne faudrait pas, a-t-il dit, rééditer cet exploit aux dépens de Londres en favorisant Zurich, Genève ou « accessoirement » Paris...
M. Aymeri de Montesquiou. - Ces « animaux étranges » que sont les CDS et les ventes à découvert sont-ils en voie de disparition aux Etats-Unis ? Y a-t-il un risque qu'ils se reproduisent chez nous par insémination ? Ensuite, le contrôle des agences de notation ne risque-t-il pas de jeter le doute sur leur indépendance quand celles-ci sont déjà suspectées de conflits d'intérêts ?
Mme Nicole Bricq. - Je commencerai par un satisfecit sur le paquet européen de supervision financière. Pour autant, sa réussite dépendra de l'harmonisation, de l'articulation entre les trois autorités, dépourvues de pouvoir supranational, le conseil du risque systémique et les autorités nationales. En effet, dès qu'il y a des failles dans le marché européen unique, des divergences d'appréciation apparaissent qui alimentent la spéculation. Le rapporteur général a raison de souligner la place délicate du Parlement dans l'examen de ce projet de loi qu'il faut adapter à la directive et à la réglementation européenne en préparation.
La France a des divergences avec l'Allemagne sur l'encadrement des ventes à découvert, qui a beaucoup agité l'Assemblée nationale : où en est-on de la possibilité d'une harmonisation sur les délais de livraison, sources de spéculation à outrance ?
Autre sujet, la rémunération des opérateurs de marché : allez-vous profiter de cette loi pour adapter notre réglementation à la directive CRD 3, qui diffère de l'arrêté que vous avez pris en novembre 2009 ?
Pour terminer, permettez-moi de vous demander des éclaircissements sur des points que vous n'avez pas abordés. Le marché des quotas de CO2 devait, selon une annonce gouvernementale, être étudié au Sénat à l'automne : qu'en est-il ? Avez-vous l'intention d'introduire dans la prochaine loi de finances la taxe bancaire, que l'Allemagne et la Grande-Bretagne ont déjà adoptée ? Enfin, quelle position défendra la France à l'occasion de la révision de la directive « Epargne » de 2003 quant aux exceptions dont bénéficient nos paradis fiscaux européens, entre autres le Luxembourg et l'Autriche ?
M. Jean-Pierre Fourcade. - A examiner la candidature d'une deuxième banque canadienne pour devenir spécialiste en valeurs du Trésor que l'Agence France Trésor a reçue, on comprend pourquoi les banques américaines, canadiennes et australiennes sont opposées à toute réglementation internationale. Elles appliquent des règles complètement différentes des nôtres en matière de ratios et de composition des fonds propres. Un seul exemple : pour elles, le ratio est de 12 %-13 % ; pour nous, de 7 %-8 %. Dans le cadre de l'Union et des négociations de Bâle III, quelles décisions a-t-on prises sur le calcul des ratios et sur l'évolution des fonds propres du système bancaire ? Dans le cadre du G20, peut-on trouver un accord avec les banques américaines, canadiennes et australiennes ?
M. François Marc. - La commission a entendu plusieurs représentants des agences de notation. Je fais partie de ceux qui estiment que les agences font bien leur travail, mais auraient dû tirer la sonnette d'alarme plus tôt, entre autres, dans l'affaire Enron. Ce texte prévoit que les Etats vont réguler les agences de notation qui, de plus en plus, sont amenées à apprécier leur dette publique -je vous renvoie à l'épisode irlandais il y a deux jours. Bref, il pose avec acuité la question de leur indépendance...
M. Jean Arthuis, président. - A l'occasion des différents travaux du « G24 » et de ceux de la commission, qui s'est déplacée en mission aux Etats-Unis, il est apparu que, pour encadrer les marchés, prévenir les déconvenues et contenir la spéculation, il serait bon de standardiser les produits et de privilégier des chambres de compensation. Où en est-on sur ce dossier au niveau européen ?
Mme Christine Lagarde. - Monsieur de Montesquiou, ces « étranges animaux » ne sont pas en voie de disparition... La créativité financière est-elle un mal en soi ? Non, à condition d'être contrôlée, régulée et, en cas d'abus, sanctionnée. Air France, notamment, a besoin de ces produits pour couvrir ses risques sur le marché pétrolier.
Au sein du G20, monsieur le président Arthuis, nous défendons l'enregistrement des produits dérivés sous la forme de « trade repositories » et la compensation obligatoire sur les chambres de compensation. Pour moi, il est indispensable que nous en ayons une dans la zone euro.
L'indépendance des agences de notation, question soulevée par MM. Montesquiou et Marc, est garantie par la réglementation européenne que nous transposons : il est notamment interdit à une agence de conseiller une entreprise ou un État qu'elle note. Les règles sont très précises afin d'éviter tout conflit d'intérêt. Défendre l'indépendance des agences n'empêche pas de leur imposer des règles de fonctionnement. En matière de pertinence et de qualité des évaluations, des progrès restent à faire. Celles-ci faisaient parfois montre d'une absence de scrupules et de rigueur. Souvenez-vous de la dégradation brutale de la note de la Grèce, malgré le lancement du plan de soutien européen. D'où la nécessité de règles en matière de calendrier et de révision des notations. Enfin, un marché dominé par trois agences de notation, c'est comme un ménage à trois : cela ne fonctionne pas ! Il faudrait agréger certains mécanismes de notation existants, adossés aux banques centrales, pour faire émerger de nouveaux acteurs tels que la Coface.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Qui va noter les notateurs ?
Mme Christine Lagarde. - N'oublions pas que la crise a eu un effet d'accélération...
M. Jean Arthuis, président. - Au fond, mieux vaudrait que les banques et les investisseurs comprennent ce qu'ils achètent sans recourir à des agences...
Mme Christine Lagarde. - Concernant les ventes à découvert, la prise de position de l'Allemagne pose effectivement des problèmes à l'Agence France Trésor et à l'ensemble des opérateurs puisqu'elle a des répercussions sur l'ensemble des titres émis dans la zone euro. C'est pourquoi j'ai fait des propositions à M. Barnier pour que l'écart se réduise entre nos positions : il faut trouver un mécanisme de coordination et d'alerte, au moins entre les membres de la zone euro.
Nous examinons, avec M. le rapporteur général, la question des délais de livraison et j'espère que nous parviendrons rapidement à une solution qui rende hommage à la créativité de votre collègue.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Et qui prendra en compte l'essentiel des préoccupations de Mme Bricq.
Mme Christine Lagarde. - Avec mon arrêté du 5 novembre 2009, la France a été le premier pays à réglementer la rémunération des opérateurs de marché, et je suis déterminée à adapter nos règles à la directive CRD 3 dès qu'elle sera publiée, très prochainement, afin que tout soit en règle au 1er janvier 2011.
Sur le marché du CO2, nous travaillons de concert pour que l'Autorité des marchés financiers dispose des pouvoirs de supervision, de régulation, et, éventuellement, de sanction sur ce marché.
Quant à la taxe bancaire, son dispositif vous sera présenté dans la loi de finances, conformément à l'engagement du président de la République d'éviter toute dispersion des dispositions fiscales.
S'agissant de la révision de la directive de 2003 sur la fiscalité de l'épargne, la France maintient sa demande d'un échange automatisé d'informations entre Etats. Il faut l'unanimité, mais l'Autriche comme le Luxembourg ne sont pas disposés à renoncer à leur régime actuel. La France tente de faire évoluer leur position.
M. Jean Arthuis, président. - La position du Luxembourg devient intenable, quand le président Junker demande à tous les Etats membres de respecter leurs obligations et nous fait les poches...
Mme Christine Lagarde. - S'agissant du calcul des ratios, je vous rejoins, Monsieur Fourcade : les banques canadiennes sont en position de force, pour avoir appliqué rigoureusement leur ratio de levier, ce qui leur fait aborder confortablement les nouvelles normes, alors que les banques européennes doivent lever des dizaines de milliards pour s'y conformer. Notre position, sur ce dossier, est des plus délicates. Nous faisons face, en quelque sorte, à la revanche du superviseur-régulateur, qui veut éviter cette fois-ci d'être mis en cause en cas de pépin !
M. Jean Arthuis, président. - Les prélèvements éventuels sur les banques et les assurances ne vont-ils pas compliquer leur tâche pour renforcer leurs fonds propres ?
Mme Christine Lagarde. - En l'état actuel, ces prélèvements ne les exonèrent pas de leurs obligations de constitution de capitaux. Dans les négociations en cours au comité de Bâle, ce n'est pas prévu.
M. Jean-Pierre Fourcade. - Et sur les délais ?
Mme Christine Lagarde. - Ils ne sont pas arrêtés, on envisage environ cinq ans, quoique les Britanniques souhaiteraient aller au-delà de 2018.
M. Philippe Marini, rapporteur général. - Nous souhaiterions que le Gouvernement nous informe régulièrement des avancées de la négociation sur ces questions centrales et nous explique sa stratégie, car nous ne pouvons pas nous en tenir aux informations que nous communique la Fédération bancaire française, laquelle ne saurait être neutre. Nous voyons trop souvent ces questions par les yeux des banquiers et, tout en respectant cette profession, nous avons besoin d'une information neutre sur les négociations et les solutions possibles.
Mme Christine Lagarde. - J'accède d'autant plus volontiers à votre requête que je sais combien les agents du Trésor s'attachent à faire primer en tout l'intérêt général et le financement de l'économie française.
M. Jean Arthuis, président. - Où en est-on sur la question de la finance islamique ? Avez-vous progressé, notamment au plan européen ?
Mme Christine Lagarde. - Londres n'a pas le monopole de la finance islamique. En prenant des instructions fiscales appropriées, je crois avoir rempli ma feuille de route pour que Paris puisse être utilisée comme place de la finance islamique.
M. Jean Arthuis, président. - Je vous remercie et j'invite chacun à venir la semaine prochaine pour entendre notre rapporteur général présenter son rapport.