- Mercredi 12 mai 2010
- Audition de M. John F. Ryan, chef de l'unité « Menaces pour la santé » au sein de la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne
- Audition de M. Roger Salamon, président du Haut Conseil de la santé publique
- Audition de M. Jérôme Sclafer, membre du Comité technique des vaccinations rattaché à la commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique (HCSP)
- Audition de M. Philippe de Chazournes, médecin généraliste
Mercredi 12 mai 2010
- Présidence de M. François Autain, président -Audition de M. John F. Ryan, chef de l'unité « Menaces pour la santé » au sein de la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne
La commission a tout d'abord entendu M. John F. Ryan, chef de l'unité « Menaces pour la santé » au sein de la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne, accompagné de MM. Antoon Gijsens et Nabil Safrany, administrateurs à la direction générale de la santé et des consommateurs, et de Mme Estelle Poidevin, représentant en France les services politiques de la Commission européenne.
A titre liminaire, M. John Ryan, soulignant qu'il s'exprimait au nom de la Commission européenne, a remercié la commission d'enquête de lui donner l'occasion d'exposer la position de cette dernière sur la gestion de la pandémie H1N1 au niveau de l'Union européenne.
Il a tout d'abord rappelé que, depuis 1999, la législation communautaire a mis en place un système d'information mutuelle et de coordination des mesures à prendre à l'égard d'un certain nombre de maladies contagieuses, mais que le Traité sur l'Union européenne ne prévoit pas, sauf dans certains cas exceptionnels, d'harmonisation des législations nationales en matière de santé publique. La responsabilité de la gestion des crises sanitaires incombe donc principalement aux Etats membres.
Il a complété ce rappel par trois remarques :
- en premier lieu, la législation communautaire établit un lien entre les notifications sur les crises sanitaires faites par les Etats membres au niveau européen et celles qu'ils font auprès de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en application du règlement sanitaire international (RSI) ;
- en deuxième lieu, le Conseil de l'Union européenne a mis en place, pour améliorer la coordination et les échanges d'informations en cas de crise sanitaire, un « Comité de sécurité sanitaire », instance informelle mais efficace ;
- en troisième lieu, la Communauté dispose depuis 2005 d'une agence spécialisée en matière de maladies transmissibles qui fournit les moyens de la surveillance et d'alerte nécessaires à la gestion des risques dans ce domaine. Elle dispose également de l'Agence européenne des médicaments (EMA), chargée de l'évaluation des médicaments au niveau communautaire avant leur mise sur le marché communautaire, décidée par la Commission sur la base de cette évaluation et en fonction de la législation communautaire en la matière.
Abordant ensuite l'exposé des principales étapes de la gestion de la pandémie H1N1 au niveau communautaire, M. John Ryan a indiqué que l'apparition du nouveau virus avait été signalée à la commission européenne, à travers des contacts bilatéraux avec les Etats-Unis et le Mexique, avant d'être confirmée peu après par l'OMS.
La Commission européenne a alors pris l'initiative de convoquer des réunions des Etats membres, réunions qui regroupaient le Comité de sécurité sanitaire, le comité réglementaire créé par la législation communautaire de 1999 et les agences chargées de l'évaluation des risques - le centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC) et l'EMA - pour examiner la situation sanitaire et les mesures pouvant s'avérer nécessaires pour contrôler l'infection. L'OMS a également été systématiquement associée à ces discussions.
Ces réunions, organisées par audioconférence, ont été convoquées quotidiennement et leurs comptes rendus publiés sur le site de la Commission.
Dans les premières phases de la propagation du virus, les Etats membres ont surtout examiné les mesures à prendre vis-à-vis des voyageurs arrivant des zones infectées ou en partance vers ces zones. On était à une période de l'année où beaucoup de gens avaient réservé des vacances et il était donc important que les conseils qui leur étaient donnés au niveau des vingt-sept Etats membres soient cohérents. Il fallait aussi donner des conseils au grand public quant aux mesures de prévention à envisager, tels les mesures d'hygiène ou le port de masques - car, a rappelé M. John Ryan, il n'y avait pas encore de vaccins disponibles - ou l'utilisation éventuelle d'antiviraux.
Dans un deuxième temps, la Commission a proposé une définition de l'infection permettant d'unifier le système de surveillance communautaire. Le Comité de sécurité sanitaire a également adopté trois déclarations importantes, qui ont été rendues publiques, concernant respectivement la stratégie vaccinale, c'est-à-dire la définition des populations devant être prioritairement vaccinées, la fermeture des écoles et la situation des personnes infectées se trouvant dans un autre Etat membre que leur pays d'origine.
En ce qui concerne la question des vaccins, M. John Ryan a tout d'abord rappelé qu'en 2005 la Commission avait adopté une communication sur la planification de la préparation en cas de pandémie, qui proposait aux Etats membres de constituer des réserves de médicaments permettant de prévenir ou de ralentir l'infection. Cette proposition, qui n'était pas une obligation, a été suivie ou non par les Etats membres. Ainsi, lors de l'apparition du virus H1N1, certains Etats membres avaient constitué des stocks importants d'antiviraux et passé des commandes fermes de vaccins, d'autres ne disposaient que de stocks d'antiviraux d'importance variable mais n'avaient pas passé commande en vue de l'acquisition de vaccins. Le niveau de préparation variait donc selon les Etats membres. Dans ces conditions, la Commission a proposé d'aider les Etats membres à élaborer en commun un cahier des charges pour la publication d'appels d'offres.
Elle s'est aussi efforcée, lorsque la Bulgarie a été confrontée à une rupture de stocks d'antiviraux, de coordonner l'aide à apporter à ce pays par les Etats membres disposant de stocks suffisants.
De même, lorsque la décision a été prise en compte, à la suite d'essais cliniques postérieurs à la mise sur le marché des vaccins pandémiques, de ramener de deux à une le nombre de doses de vaccin nécessaires pour assurer une protection suffisante, la Commission s'est également efforcée d'organiser et de coordonner des transferts volontaires entre les Etats membres disposant de ce fait d'un surplus de stocks et ceux qui n'avaient pu commander les quantités de vaccins correspondant à leurs besoins.
Ce système de solidarité et de partage a également été mobilisé pour acheminer en Ukraine, à la suite de l'apparition dans ce pays d'un nombre important de cas de grippe, des stocks d'antiviraux et de vaccins, et pour mettre des experts à sa disposition.
Parallèlement à ces efforts de coordination au niveau du Comité de sécurité sanitaire, le Conseil des ministres de la santé de l'Union s'est réuni à quatre reprises et la Commission européenne, pour alimenter les discussions, a adopté en septembre une communication et cinq documents de travail qui ont été rendus publics. Elle a également convoqué et présidé, en décembre, une réunion des ministres du G7 et du Mexique constituant l'Initiative Globale de Sécurité Sanitaire.
Enfin, elle a mis en place une démarche d'évaluation, actuellement en cours, de la gestion de la pandémie par les institutions communautaires et nationales. Lors d'une conférence qui se tiendra les 1er et 2 juin prochain, la présidence belge du Conseil, qui débutera le 1er juillet, examinera ces questions avec la Commission. Cette conférence sera immédiatement suivie, les 5 et 6 juillet, d'une réunion informelle du Conseil des ministres de la santé sur l'évaluation de la crise et la gestion de la pandémie. M. John Ryan a indiqué que certains documents avaient déjà été élaborés dans cette perspective et qu'il pourrait les communiquer à la commission d'enquête.
Prenant acte de cette proposition, M. François Autain, président, a demandé si ces documents permettraient d'établir une comparaison entre les stratégies nationales de lutte contre la pandémie et leurs résultats. Relève-t-on, par exemple, des différences notables entre les effets de la pandémie dans un pays qui, comme la Suède, a vacciné une partie importante de sa population et en Pologne, qui n'a pas organisé de campagne de vaccination ?
Précisant que les Etats membres fourniraient des éléments d'information permettant cette comparaison, M. John Ryan a indiqué que la Commission avait élaboré un premier rapport portant sur les quatre premiers mois de la crise pandémique. En ce qui concerne les aspects relatifs aux stratégies en matière de vaccination, l'enquête est en cours et devrait être achevée en juin, afin que le Conseil informel des ministres de la santé puisse disposer de l'ensemble des éléments relatifs à la gestion de la crise. A la lumière de ces réflexions, la Commission entend proposer avant la fin de l'année 2010 une mise à jour du plan de préparation pandémique de 2005, et examiner la nécessité d'une refonte de la législation communautaire de 1999 en matière de gestion des risques sanitaires. Il faudrait également, en liaison avec l'OMS, réfléchir à la définition de la pandémie, qui devrait être la même au niveau de la Communauté européenne et au niveau de l'OMS. La déclaration de pandémie a en effet des incidences au niveau de la Communauté, par exemple dans le domaine de la législation pharmaceutique car il faut une déclaration de pandémie pour permettre l'application des procédures spécifiques d'autorisation des vaccins pandémiques. Il est donc indispensable d'avoir en ce domaine une approche commune et d'éviter tout problème de cohérence.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si, dans le cadre d'une redéfinition de la pandémie, il faudrait faire référence à la notion de gravité de la pandémie.
M. John Ryan a estimé qu'il faudrait pouvoir prendre en considération cette notion, car il peut y avoir les infections géographiquement très répandues mais qui ne sont pas graves : on peut donc avoir un phénomène de dissémination importante d'une maladie sans pour autant pouvoir parler de pandémie. La pandémie, a-t-il souligné, est un mot que l'on pourrait qualifier de « nucléaire » : quand on déclare une pandémie cela déclenche un certain nombre de choses, cela provoque, pour ainsi dire, toute une série de « réactions en chaîne ». La déclaration de pandémie a, comme cela a déjà été rappelé, des conséquences en matière d'application de la législation pharmaceutique communautaire, mais elle en a aussi, au niveau des Etats membres, par exemple, en entraînant la constitution de cellules de crise. C'est un moment clé des processus décisionnels : il est donc nécessaire qu'il fasse l'objet d'une approche commune aux niveaux international et communautaire.
M. François Autain, président, a souligné que l'on pouvait imaginer une définition de la pandémie qui n'aurait pas permis à l'OMS de faire une déclaration de pandémie à propos de la grippe H1N1. Cette déclaration n'aurait d'ailleurs pas été possible si la définition de la pandémie n'avait pas été changée, gommant toute référence à la gravité de la maladie en cause.
M. John Ryan a remarqué que cette interprétation n'était pas celle de l'OMS, qui considère qu'elle n'a pas changé la définition de la pandémie, M. François Autain, président, observant pour sa part que cette interprétation avait été néanmoins évoquée, ce dont est convenu M. John Ryan.
M. John Ryan a ensuite souligné que la démarche d'évaluation engagée par la Commission européenne, analogue à celle qui avait été menée après le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), avait pour objet essentiel de tirer les leçons de l'expérience. Il a indiqué que l'Union européenne devrait aussi s'interroger sur l'opportunité de réviser sa législation sanitaire. A l'heure actuelle, en effet, les Etats membres sont tenus d'échanger des informations sur l'évolution de la situation sanitaire et sur la transmission des maladies mais, en revanche, les échanges d'informations sur les mesures prises pour freiner la propagation de l'infection et leur coordination relèvent d'une démarche consensuelle. Or la collaboration en ce domaine est essentielle car des approches divergentes pourraient porter atteinte au fonctionnement du marché intérieur.
M. Alain Milon, rapporteur, a posé une question sur la procédure des « mock up vaccines », ou « vaccins maquettes ». A-t-elle permis d'obtenir les résultats escomptés en termes de raccourcissement des délais d'autorisation des vaccins pandémiques ? La procédure américaine ne conserve-t-elle pas, de ce point de vue, un avantage ?
M. John Ryan a estimé que cette procédure avait très bien fonctionné, en permettant de développer, d'évaluer et d'autoriser des vaccins pandémiques dans un délai « record » de quatre mois après la mise à disposition des souches pandémiques, tout en assurant la sécurité et l'efficacité des produits.
M. François Autain, président, a observé qu'elle avait néanmoins été moins rapide que la procédure américaine, les vaccins ayant pu être mis à disposition aux Etats-Unis deux mois avant les vaccins européens. Notant que les laboratoires entendus par la commission d'enquête expliquaient cette différence par celles des réglementations, il a demandé s'il serait souhaitable d'essayer de se rapprocher de la législation américaine et s'il y avait des raisons objectives de ne pas le faire.
M. John Ryan a noté que la situation aurait pu être inverse. Il a également souligné que les vaccins américains étaient non adjuvantés, ce qui pouvait simplifier la procédure d'autorisation ajoutant, en réponse au président François Autain, que ce choix pouvait se concevoir mais pouvait nuire à l'efficacité des vaccins.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé pourquoi la validation par l'EMA du schéma vaccinal à une seule injection n'était intervenue qu'à la fin du mois de novembre 2009, et si certains Etats membres avaient anticipé cette validation.
M. John Ryan a indiqué que plusieurs Etats membres avaient souhaité que cette décision intervienne le plus rapidement possible. Elle relevait cependant d'une agence dont l'Union européenne avait voulu qu'elle prenne sa décision en toute indépendance et lorsqu'elle disposerait de tous les éléments nécessaires. Il a ajouté que les autorités sanitaires françaises s'étaient félicitées de la rapidité des procédures européennes, que ce soit pour l'octroi des autorisations initiales ou pour l'approbation du schéma vaccinal à une seule dose, et il a précisé qu'à sa connaissance aucun Etat membre n'avait anticipé la décision de l'EMA.
M. Alain Milon, rapporteur, a ensuite interrogé M. John Ryan sur les différents choix nationaux en matière de stratégie vaccinale.
M. John Ryan a estimé que les choix nationaux avaient notamment été fonction des moyens budgétaires des Etats membres. Certains ont pu prévoir d'affecter les sommes nécessaires à la constitution de stocks d'antiviraux ou signer des contrats de préachat de vaccins. D'autres ne l'ont pas pu, par exemple certains Etats baltes qui éprouvent déjà de grandes difficultés à financer leur système de soins.
M. François Autain, président, a douté que la position de la Pologne, par exemple, ait été uniquement fondée sur des motifs financiers, notant que la ministre polonaise de la santé avait plutôt présenté ce choix comme tenant à une certaine méfiance vis-à-vis des vaccins proposés, et aussi à son appréciation de la menace présentée par la grippe.
Se disant incapable d'analyser la décision de la Pologne, M. John Ryan a souligné que les Etats membres avaient manifesté une approche largement commune sur l'utilité de la vaccination, rappelant à ce propos que le Conseil de sécurité sanitaire avait défini une position commune sur la définition des populations prioritaires. Par ailleurs, les Etats membres ont sans doute pu avoir des appréciations un peu différentes de la gravité de la situation mais ils n'ont pas pu ignorer, non plus, les considérations budgétaires.
En réponse à des questions du président et du rapporteur, il a par ailleurs précisé que certains Etats membres, comme la Hongrie et la Roumanie, avaient utilisé des vaccins pandémiques autorisés selon une procédure nationale proche de la procédure américaine. L'Allemagne a par ailleurs importé des vaccins australiens.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé s'il serait possible à la commission d'enquête de disposer des données comparatives rassemblées par la Commission sur les stratégies vaccinales nationales et leurs résultats en termes de couverture de la population, sur la proportion des vaccins commandés qui avait été utilisée et éventuellement sur les conditions de renégociation des contrats.
M. John Ryan a indiqué que les données fournies par les Etats membres pourraient être transmises à la commission d'enquête sous réserve de leur accord, précisant à cet égard qu'ils avaient déjà autorisé leur communication au Parlement européen.
Rappelant que la ministre française de la santé avait regretté qu'il n'y ait pas eu de stratégie coordonnée des pays de l'Union européenne en ce qui concerne la négociation des achats de vaccins, M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si la Commission partageait ce sentiment et s'il y avait eu néanmoins des échanges entre les Etats membres sur ces négociations.
Indiquant avoir lu dans la presse médicale qu'un milliard de doses de vaccin avait été commandées et seulement 200 millions utilisées, M. François Autain, président, a demandé à M. John Ryan s'il pouvait confirmer ces chiffres.
Répondant au président François Autain, M. John Ryan a confirmé cette estimation, notant toutefois que selon le schéma vaccinal à deux injections initialement envisagé, 400 millions de doses environ auraient été utilisées, M. François Autain, président, a relevé que dans cette hypothèse l'excédent aurait tout de même atteint 600 millions de doses.
M. John Ryan a ensuite rappelé, en réponse au rapporteur, qu'en deux occasions déjà la Commission européenne avait essayé de faire prévaloir une approche communautaire en matière de réponse aux besoins de santé publique. Ainsi, elle avait proposé, en 2006, la constitution d'un stock commun d'antiviraux qui aurait permis de faire face aux besoins qui se seraient manifestés dans tel ou tel Etat membre. Cette proposition a été plusieurs fois repoussée. Les Etats membres ont pris sur cette proposition des positions très partagées, mais une telle décision exigeait un consensus. La seconde proposition de la Commission portait sur l'introduction du vaccin anti-papillomavirus (vaccin anti HPV). Il s'agissait d'un vaccin coûteux, dont la diffusion pouvait représenter un enjeu pour la santé des femmes et la protection contre le cancer ; il aurait donc pu être intéressant de coordonner l'action menée par les Etats membres. Cette suggestion s'est cependant également heurtée à la volonté des Etats membres de préserver leur pouvoir de décision au niveau national
L'expérience de la pandémie H1N1 a sans doute permis de faire progresser l'idée d'appels d'offres communs et aussi celle d'un « stock communautaire virtuel » permettant d'organiser la solidarité entre les Etats, ce qui a permis d'organiser l'aide apportée à la Bulgarie et à l'Ukraine. La modification du schéma vaccinal a également permis des transferts de vaccins entre les Etats membres. Ces expériences seront certainement à creuser et le Conseil des ministres a demandé à la commission d'examiner la possibilité de mettre en place de tels systèmes.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé s'il était logique, au regard du droit communautaire, que les Etats membres aient accepté d'assumer la responsabilité des dommages éventuels liés à l'utilisation de vaccins pandémiques ayant bénéficié d'une AMM.
M. John Ryan a répondu que le droit communautaire prévoit que la responsabilité incombe au fabricant. Il a toutefois jugé possible que des exceptions à cette règle aient pu être prévues dans des contrats passés individuellement entre des Etats membres et des laboratoires, par exemple si des clauses de ce genre avaient pour contrepartie une minoration des prix. Il a dit ignorer si tel avait été le cas, n'ayant pas été informé des négociations et n'ayant eu communication ni des contrats ni des prix fixés.
M. Alain Milon, rapporteur, a voulu savoir si la morbidité et la mortalité liées à la grippe H1N1 avaient substantiellement varié, dans les Etats membres, en fonction des différentes politiques antipandémiques nationales ?
M. John Ryan a indiqué que l'on avait actuellement l'impression que tel n'était pas le cas. Mais qu'il est sans doute trop tôt pour en être certain et il faudra attendre le résultat des enquêtes en cours pour analyser plus précisément la mortalité liée à la grippe H1N1. Aux Etats-Unis par exemple, de telles études sembleraient révéler que du fait de différences dans les déclarations des causes de décès et donc l'établissement des statistiques, la mortalité due à la pandémie pourrait être quatre fois supérieure aux estimations initiales.
M. Alain Milon, rapporteur, a souligné qu'il existait aussi beaucoup d'incertitudes sur les statistiques relatives à la mortalité consécutive à la grippe saisonnière. Est-on confronté à un problème du même ordre pour la grippe H1N1 ?
M. John Ryan est convenu qu'il y avait en effet un problème général de fiabilité des statistiques relatives aux décès causés par la grippe, sauf si l'on pouvait se référer par exemple à des analyses sérologiques.
M. Alain Milon, rapporteur, a enfin demandé s'il serait concevable d'harmoniser, au niveau européen, des « bonnes pratiques » en matière d'organisation de l'expertise sanitaire, de prévention et de gestion des conflits d'intérêt.
M. John Ryan a souligné que de telles pratiques étaient déjà en vigueur au niveau de la Commission et des agences européennes. Elles reposent sur des obligations de déclarations d'intérêt, qui sont publiées. La transparence est en ce cas essentielle : faisant référence à son expérience personnelle, il a ainsi évoqué le cas d'une personne qu'il aurait pu nommer dans un comité technique si une organisation non gouvernementale ne lui avait pas fait observer que la déclaration d'intérêt faite par cette personne, et qui avait été publiée, était incomplète, et que cette personne avait eu des liens qui auraient pu entraîner des conflits d'intérêts.
Tout en convenant avec M. John Ryan de la difficulté de disposer de données statistiques précises, M. Marc Laménie lui a demandé si l'on pouvait avoir une estimation du nombre de décès imputables à la pandémie dans l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne.
M. John Ryan a répondu que, sous les réserves qu'il avait indiquées, les estimations actuellement disponibles étaient de l'ordre de 3 000 décès dans l'Union européenne, et de 15 500 dans le reste du monde. Il a noté que les incertitudes statistiques étaient aussi très importantes quand on s'efforçait d'évaluer le taux d'infection des populations. Au début de la circulation du virus, en effet, on pratiquait des tests sur toutes les personnes atteintes, on « traquait » l'infection, on suivait les personnes en contact avec les personnes infectées. Ensuite, le nombre des personnes atteintes est devenu beaucoup trop important pour que l'on puisse contrôler chaque cas. On a donc abouti à des chiffrages également très approximatifs des personnes infectées par la grippe H1N1.
Soulignant l'intérêt de l'exposé de M. John Ryan et des réponses qu'il avait apportées aux questions du rapporteur, Mme Christiane Kammermann a demandé si l'on pourrait tirer des enseignements de l'expérience de la grippe H1N1 pour affiner les moyens de l'analyse des causes de décès.
M. John Ryan a estimé que l'on ne pourrait sans doute tirer que des enseignements limités en ce domaine. Il a souligné en revanche qu'il y avait des leçons à tirer en ce qui concerne les moyens nécessaires pour assurer le traitement de certains cas graves de grippe H1N1. Ainsi, en particulier dans les petits pays comme la Grèce ou le Portugal, les services de soins intensifs ont été submergés, ce qui était une situation inconnue lors des grippes saisonnières et qui a révélé des problèmes de capacité d'accueil de ces services. Il faudra donc se préoccuper d'aider les hôpitaux à se doter des équipements et des moyens en personnel permettant à l'avenir, en cas de besoin, de traiter les atteintes respiratoires graves.
Mme Christiane Kammermann s'inquiétant des moyens de tirer les enseignements de l'expérience assez vite pour faire face si une nouvelle pandémie devait se déclarer rapidement. M. John Ryan a souligné que c'était dans ce souci que la Commission européenne avait souhaité mener « en temps réel » l'évaluation de la gestion de la pandémie. Ainsi, c'est dès le mois d'avril 2009 qu'ont été signés, avec des évaluateurs indépendants, les contrats relatifs à cette évaluation, et la gestion de la pandémie a été suivie au jour le jour. Il est en effet crucial d'identifier le plus rapidement possible les problèmes qui ont pu se poser et les adaptations de la législation communautaire qu'il apparaîtrait nécessaire de proposer.
Il semble en particulier très important, a observé M. John Ryan, de s'interroger sur la manière de communiquer efficacement un risque au public. On peut en effet craindre qu'une des conséquences de la gestion de la crise soit que les autorités publiques aient quelque peu perdu l'appui du public. Si une nouvelle crise sanitaire se produisait et que l'Union européenne conseille aux gens de se faire vacciner, quelle serait leur réaction ? Ne risquerait-on pas qu'ils se refusent à suivre ce conseil, qu'ils s'interrogent sur l'utilité de la vaccination ? L'expérience de la grippe H1N1 met donc en relief la nécessité de définir une stratégie de communication réaliste, en adéquation avec la situation et susceptible de changer avec elle : s'il s'avère qu'une situation n'est pas aussi dramatique qu'on le pensait au début, il faut pouvoir moduler en conséquence les messages que l'on fait passer.
M. François Autain, président, a dit partager les préoccupations exprimées par M. John Ryan : on peut en effet avoir le sentiment que les messages n'ont pas évolué en même temps que les informations que l'on avait sur l'importance du risque, et craindre que de ce fait la parole publique ait perdu de sa crédibilité. Cependant, on peut penser que si le public constatait sur le terrain l'existence d'une situation de risque élevé, il réagirait en conséquence.
Audition de M. Roger Salamon, président du Haut Conseil de la santé publique
La commission d'enquête a ensuite entendu M. Roger Salamon, président du Haut Conseil de la santé publique (HCSP).
Après avoir indiqué n'avoir aucun lien d'intérêt avec les entreprises du secteur de la santé, M. Roger Salamon a souhaité préciser que les propos tenus par M. Yves Charpak lors de son audition par la commission d'enquête n'engageaient que lui et non le HCSP comme avaient pu le laisser entendre certaines dépêches d'agences de presse.
M. François Autain, président, a précisé que M. Yves Charpak s'était exprimé à titre personnel et que ses propos n'avaient été présentés à aucun moment ni considérés, par la commission d'enquête, comme reflétant une position officielle du HCSP.
M. Roger Salamon a indiqué que, s'il n'avait aucune inquiétude quant à l'interprétation donnée par la commission d'enquête aux propos de M. Yves Charpak, leur reprise médiatique avait suscité certaines inquiétudes, notamment au sein du cabinet de la ministre de la santé. Il souhaitait donc lever d'emblée toute ambiguïté.
M. Roger Salamon a ensuite présenté son activité et celle du HCSP. Professeur de santé publique à l'université de Bordeaux et rattaché à l'INSERM, il a été élu président du HCSP en 2007. Le HCSP, créé par la loi de santé publique de 2004, résulte de la fusion de deux organismes préexistants : le Haut Comité de la santé publique et le Comité supérieur d'hygiène publique de France. Il a pour mission d'évaluer les objectifs fixés par la loi de santé publique et d'en définir de nouveaux. Il procède également à l'évaluation des différents plans de santé publique. A côté de cette mission pérenne d'évaluation, le HCSP est également chargé de répondre à des saisines souvent urgentes sur des questions de santé publique. Sont principalement concernées par ces saisines sa commission des maladies transmissibles, dont dépend le comité technique de vaccination, et sa commission des risques liés à l'environnement.
Sur la gestion de la grippe pandémique, le HCSP n'a été interrogé qu'après qu'ait été prise la décision d'acheter des vaccins et fixée leur quantité. En mai 2009, le Haut Conseil a été consulté sur les priorités à établir dans la distribution des vaccins, dès lors qu'il était établi que leur livraison serait étalée dans le temps. Il a donc établi une liste de catégories de personnes prioritaires parmi laquelle figuraient d'abord celles en charge de la sécurité publique puis les personnes à risque. Cette liste ne différait que très peu de celle établie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou le Center for disease control (CDC) aux Etats-Unis.
M. François Autain, président, a précisé que le HCSP avait été informé en juin de la commande de 72 millions de doses de vaccin et en août de la commande totale de 94 millions de doses mais n'avait été consulté à aucun moment sur le volume de ces achats.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé des précisions sur le comité informel réuni autour de la ministre de la santé pour la gestion de la pandémie, dont M. Roger Salamon avait mentionné l'existence lors d'une émission télévisée.
M. Roger Salamon a répondu que ses propos se référaient au Comité de lutte contre la grippe dont il considère qu'il est informel car ne faisant pas partie du HCSP. Il paraît d'ailleurs difficile d'intégrer ce comité au HCSP en l'état, comme a semblé le suggérer le directeur général de la santé lors de son audition par la commission d'enquête. Les modalités de composition des deux organismes sont en effet incompatibles puisque les membres du HCSP ont été désignés de manière totalement indépendante par un comité scientifique après appel à candidatures, alors que les membres du Comité de lutte contre la grippe sont nommés par l'autorité politique.
M. François Autain, président, a indiqué que cette différence de composition n'avait pas empêché le HCSP et le Comité de lutte contre la grippe de travailler en étroite collaboration pendant la pandémie.
M. Roger Salamon a confirmé cette collaboration mais a indiqué que le HCSP ne s'était en aucun cas comporté comme une chambre d'enregistrement des avis du Comité de lutte contre la grippe. De fait, de nombreuses questions posées au HCSP sur la gestion de la lutte contre la pandémie, notamment celle des priorités en matière de vaccination, ne concernaient nullement le Comité de lutte contre la grippe.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité connaître l'opinion de M. Roger Salamon sur les propos de M. Yves Charpak, décelant une réticence du HCSP face à la vaccination de masse.
M. Roger Salamon a précisé qu'il existe deux modalités de vaccination face à la pandémie. Si l'arrivée de celle-ci est suffisamment postérieure à l'arrivée des vaccins, une vaccination préventive de masse, commençant par les enfants, est envisageable pour l'enrayer. Si l'épidémie s'est déclarée avant l'arrivée des vaccins, il est impossible de l'enrayer par la vaccination, celle-ci permettant toutefois d'en limiter les conséquences. Dans ses avis, le HCSP n'a fait que constater que la France n'était plus en mesure, au moment de l'arrivée des vaccins, d'enrayer l'épidémie et que la vaccination devait donc servir à limiter les conséquences de la diffusion du virus.
M. François Autain, président, a demandé à quel pourcentage de la population correspond une vaccination de masse.
M. Roger Salamon a indiqué que pour espérer avoir un effet barrière préalable à une pandémie, le taux retenu est de 30 % de la population vaccinés avant l'arrivée du virus. Si le virus est déjà présent, la vaccination doit permettre de vacciner le plus grand nombre de personnes en commençant par les populations à risque. Il faut donc déterminer la distribution optimale des vaccins pour limiter les conséquences individuelles de l'infection.
M. François Autain, président, a demandé quel avis aurait rendu le HCSP s'il avait été consulté sur l'opportunité de l'achat de vaccins pour l'ensemble de la population.
M. Roger Salamon a indiqué que cet avis du HCSP aurait dû être d'abord soumis à la commission des maladies transmissibles et au comité technique de vaccination. A titre personnel, il aurait recommandé l'achat tel qu'il a été décidé par les autorités publiques. Un tel choix lui paraît relever de l'évidence et s'imposer à toute personne en position de responsabilité.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé sur quelles bases scientifiques repose le seuil barrière de 30 %. Le Royaume-Uni, par exemple, avait pris la décision de vacciner l'intégralité de sa population.
M. Roger Salamon a indiqué que s'il lui était impossible de justifier le chiffre exact de 30 %, le seuil d'immunisation susceptible d'enrayer les pathologies transmissibles était un fait scientifiquement avéré.
M. Alain Milon , rapporteur, s'est interrogé sur la nécessité de vacciner la population en vue d'un éventuel deuxième pic pandémique, la première circulation du virus ayant en théorie immunisé une part importante de la population.
M. Roger Salamon a estimé difficile de s'exprimer sur cette question à titre personnel étant donné le contexte de remise en cause de la politique de lutte menée contre la grippe, que certains estiment surdimensionnée, et de perte regrettable de crédibilité de la vaccination. Il est également difficile de comprendre certaines hypothèses sur la mutation du virus grippal, les analogies faites avec la grippe espagnole ayant rendu le débat plus confus. Le mieux serait que le HCSP soit saisi de cette question par le Sénat pour pouvoir apporter une réponse sereine.
M. François Autain, président, s'est interrogé sur l'efficacité de la vaccination annuelle contre la grippe.
M. Roger Salamon a précisé que la question du deuxième pic était distincte de celle de la transformation du virus H1N1 en virus saisonnier. Il est certain que les mutations virologiques peuvent être faibles comme elles peuvent être fortes. Il est nécessaire d'étudier la recommandation actuelle de vaccination annuelle, la pratique suivie dans l'armée de vacciner tous les trois ans pouvant peut-être présenter une alternative.
M. François Autain, président, ayant rappelé les réserves du professeur Gentilini sur la vaccination annuelle, M. Roger Salamon a estimé que si le taux de vaccination était sujet à débat, on pouvait néanmoins être sûr de l'innocuité des vaccins.
M. François Autain, président, a demandé si cette innocuité est prouvée pour tous les vaccins, quel que soit leur type de culture, et qu'ils soient ou non adjuvants.
M. Roger Salamon a précisé qu'il ne pouvait s'exprimer qu'en tant qu'épidémiologiste. A ce titre, il constate que la vaccination ne comporte pas de risques. Même si la vaccination contre le virus H1N1 n'était pas d'une efficacité totale, il vaudrait donc quand même mieux y avoir recours.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si M. Roger Salamon partageait l'opinion exprimée par le professeur Gentilini sur le plus grand intérêt de la vaccination contre le pneumocoque afin de lutter contre les complications grippales.
M. Roger Salamon a indiqué qu'il avait été l'élève du professeur Gentilini et avait le plus grand respect pour son opinion scientifique. Il ne s'est permis de le contredire, lui et le professeur Debré, que lorsqu'il a estimé que leurs propos contre les mesures prises pour lutter contre la pandémie donnaient créance aux positions anti-vaccinales. Ces propos ne reposaient d'ailleurs sur aucune étude scientifique mais sur un simple pari.
M. François Autain, président, a remarqué que c'étaient pourtant les professeurs Gentilini et Debré qui avaient porté un jugement exact sur le virus ainsi que sur les mesures à prendre.
M. Roger Salamon a estimé que les mesures prises découlaient nécessairement de l'alerte de niveau 6 lancée par l'OMS. Aucun ministre de pays développé, spécialement dans notre pays, avec l'influence du principe de précaution et du précédent de la canicule, n'aurait pu agir autrement que la ministre de la santé ne l'a fait.
M. François Autain, président, a souligné son total désaccord avec cette analyse. De nombreux faits ainsi que des publications scientifiques disponibles dès les premières semaines de l'épidémie permettaient de connaître sa véritable nature. Néanmoins, la plupart des experts ont ignoré ces faits ou gardé leurs convictions pour eux, ce que n'ont pas fait les professeurs Gentilini et Debré.
M. Roger Salamon a jugé que les convictions ne permettent pas de faire des prévisions scientifiques, celles-ci devant reposer sur des faits. A l'époque où on pouvait penser que la pandémie entraînait une forte létalité et où le Gouvernement essayait de mettre en place une politique de vaccination, il n'était pas opportun que des personnalités faisant autorité s'expriment pour entraver une action de santé publique.
M. François Autain, président, a déclaré que, précisément, c'étaient ceux qui avaient émis des réserves sur la politique menée qui s'étaient appuyés sur les faits.
M. Roger Salamon a considéré que dès lors que des moyens avaient été mis en place pour organiser une vaccination de la population et que cette vaccination n'entraînait pas d'effets secondaires, il était préférable de la conduire à son terme.
M. François Autain, président, a rappelé que sur les 94 millions de doses achetées, seule une faible part avait été injectée et qu'au niveau mondial, seuls 200 millions du milliard de doses achetées par les Etats avaient servi. Dès lors qu'aucune différence notable n'apparaît quant à l'état de santé des populations, quelle que soit la stratégie vaccinale retenue, il est impératif de se poser des questions sur la marche à suivre face à une future pandémie pour ne pas répéter les mêmes erreurs.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si la suggestion du directeur général de la santé d'intégrer le comité de lutte contre la grippe au HCSP paraissait une bonne idée.
M. Roger Salamon a regretté que le comité de lutte contre la grippe n'ait pas été intégré dès l'origine au HCSP, ce qui aurait rendu la procédure d'examen des avis plus rationnelle et aurait notamment permis la saisine de la commission d'évaluation dont fait partie M. Yves Charpak. Mais il est nécessaire de changer le mode de désignation des membres du comité de lutte contre la grippe avant d'envisager toute intégration au HCSP.
M. Marc Laménie a demandé quelles étaient les difficultés pratiques que la HCSP avait rencontrées dans son fonctionnement au moment de la pandémie et qui devraient être corrigées pour l'avenir.
M. Roger Salamon a indiqué que la principale difficulté pour le HCSP avait été de ne pas être consulté sur l'ensemble des questions relatives à la gestion de la pandémie. Il aurait dû être l'interlocuteur immédiat et permanent du Gouvernement.
M. Alain Milon, rapporteur, a estimé que de tels enseignements auraient déjà dû être retirés de l'expérience acquise lors de la préparation de la lutte contre le virus H5N1.
M. Gilbert Barbier a demandé si le HCSP aurait dû se distinguer de la vision de la pandémie donnée par l'OMS et si une influence des laboratoires était envisageable en son sein.
M. Roger Salamon a estimé qu'il est impossible pour le HCSP de s'opposer à l'OMS en matière de collecte et de transmission des données mais qu'il avait un rôle à jouer pour aider à la gestion de la pandémie. Il ne faut pas oublier qu'à l'origine, la létalité du virus semblait élevée et toucher principalement des jeunes sans facteurs de risque.
M. François Autain, président, a souhaité savoir si la vaccination avait évité des décès puisque la majorité de la population n'a eu accès au vaccin qu'à la mi-novembre, soit après le pic pandémique et avec une immunité face au virus constituée trois à six semaines plus tard.
M. Roger Salamon a rappelé que les vaccins avaient passé les différentes étapes réglementaires permettant d'établir leur innocuité. Dès lors, et puisqu'ils présentaient un intérêt individuel, il était préférable de se faire vacciner.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si les personnes décédées du fait du virus H1N1 avaient été ou non vaccinées.
M. Roger Salamon a considéré qu'il s'agit-là d'une très bonne question mais a indiqué qu'il n'était pas en mesure de fournir la réponse.
En réponse à M. Gilbert Barbier, il a indiqué que les laboratoires pharmaceutiques sont les principaux bénéficiaires de la pandémie grippale. La présence dans certaines instances comme l'OMS d'experts ayant des liens forts avec l'industrie ne peut qu'entraîner le soupçon sur l'influence des laboratoires à ce niveau.
M. François Autain, président, a estimé que la protection contre un virus pandémique ne devait pas aboutir au gaspillage des ressources.
M. Roger Salamon a rappelé que tous les pays qui en avaient les moyens avaient fait le choix d'achats importants de vaccins. Il a rejoint l'avis du professeur Gentilini sur le fait que les sommes dépensées auraient pu être plus utilement employées à la lutte contre les maladies endémiques, comme le paludisme, dans les pays en développement.
M. Gilbert Barbier a estimé que dès lors que le virus attaquait des personnes sans facteurs de risque connus, il était très difficile de savoir qu'il ne serait pas grave.
Concernant le contrôle des liens d'intérêt, M. Roger Salamon a précisé qu'au HCSP, ceux qui en avaient fait état devaient quitter la salle quand étaient discutées des questions sur lesquelles leurs liens pourraient avoir une influence. Le problème est que le contrôle de la vérité des déclarations, et surtout des omissions, est très difficile. De fait, les liens sont quasiment inévitables pour certains experts, comme les cliniciens.
M. Gilbert Barbier a demandé s'il faut considérer que les experts mentent dans leur déclaration d'intérêt.
M. Roger Salamon a estimé qu'il s'agit plutôt, en matière d'influence, des effets involontaires du lobbying prégnant. Il est donc possible qu'il existe une influence des laboratoires, même si elle est impossible à prouver. Il s'est néanmoins porté garant de l'honnêteté des déclarations des membres de la commission des maladies transmissibles et du comité technique des vaccinations. Il a rappelé qu'il est quasiment impossible que des experts cliniciens n'aient aucun lien d'intérêt.
M. François Autain, président, a rappelé que 25 % des experts de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) n'avaient aucun lien d'intérêt.
M. Roger Salamon a estimé que l'absence de liens est possible pour certains experts comme les épidémiologues, qui ne sont pas des prescripteurs, mais impossible pour d'autres. L'obligation de mener des essais sur les médicaments et produits de santé oblige les laboratoires à s'adresser aux chefs de service des CHU pour les conduire. Ils ont donc nécessairement des liens.
M. François Autain, président, a souligné que ce n'est pas l'honnêteté des experts qui est en cause mais la mauvaise gestion des liens.
M. Roger Salamon a considéré que le problème est effectivement la perception des liens d'intérêt par l'opinion publique.
Mme Marie-Christine Blandin a estimé que si les épidémiologistes n'intéressaient pas les laboratoires, comme l'a indiqué M. Roger Salamon, le « bruit de fond » de l'épidémiologie a eu un impact important sur la commande excessive des vaccins. Elle a demandé pourquoi les maillons sensibles de la transmission virale que sont les éleveurs de porcs et de volailles, premiers confrontés au risque de réassortiment génétique d'un virus grippal, n'avaient pas été inclus dans les populations à risque.
M. Roger Salamon a estimé qu'avant de juger le caractère démesuré de la demande de vaccins, il était important de se replacer dans le contexte de l'époque. De nombreux pays, comme le Liban, enviaient alors la situation de la France. Concernant la question de l'inclusion des éleveurs de porcs et de volailles parmi les publics prioritaires, elle mériterait d'être étudiée par les virologues.
M. François Autain, président, a demandé pourquoi, si les déclarations de liens d'intérêt avaient été demandées dès 2002, elles ne figurent sur le site du HCSP que depuis le 22 novembre 2009.
M. Roger Salamon a dit ne pas avoir été mis au courant de cette situation et a jugé celle-ci regrettable. La règle était bien de placer immédiatement les déclarations d'intérêt sur le site.
M. François Autain, président, a demandé quelle est la définition d'une pandémie.
M. Roger Salamon a indiqué qu'une épidémie est liée à l'apparition d'un nouveau virus. Une pandémie est déclarée quand de nombreuses régions du monde sont touchées par le virus.
M. François Autain, président, a demandé si la définition de la pandémie ne faisait pas de place à la gravité du virus.
M. Roger Salamon a confirmé que la définition de la pandémie ne prend pas en compte sa gravité. Il faut cependant se rappeler que les premières données transmises par l'OMS concernant le Mexique faisaient état d'une létalité très élevée. A supposer même que le virus H1N1 n'ait pas eu une virulence supérieure à celle de la grippe saisonnière mais une diffusion beaucoup plus importante, le nombre de morts aurait nécessairement été beaucoup plus élevé. S'il avait été consulté, le HCSP aurait pu sans doute apporter plus de précisions.
M. François Autain, président, a indiqué que dans son rapport des 22 juin et 8 juillet, le HCSP a pourtant intégré la notion de gravité à la définition de la pandémie.
M. Roger Salamon a indiqué qu'il vérifierait ce point et que si tel était le cas, il s'agissait d'une erreur qui demande à être expliquée.
M. Alain Milon, rapporteur, a considéré qu'il serait sans doute souhaitable d'intégrer la notion de gravité à la définition de la pandémie et a demandé à M. Roger Salamon de communiquer à la commission d'enquête, après vérification, son appréciation sur la définition de la pandémie dans les avis du HCSP.
Audition de M. Jérôme Sclafer, membre du Comité technique des vaccinations rattaché à la commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique (HCSP)
La commission d'enquête a ensuite entendu M. Jérôme Sclafer, membre du Comité technique des vaccinations rattaché à la commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique (HCSP).
A titre liminaire, M. Jérôme Sclafer a indiqué qu'il n'avait aucun lien d'intérêts avec aucune firme pharmaceutique et qu'il était signataire, chaque année, de la charte « Non merci » de l'association « Mieux Prescrire », s'engageant ainsi à fonder son activité médicale sur le seul intérêt des patients, en refusant toute prise d'intérêts ou « cadeaux » de toute nature en contradiction avec cet objectif. Il n'a jamais accepté de participer aux voyages financés par les firmes pharmaceutiques, ni répondu aux enquêtes qu'elles diligentent auprès des membres du Comité technique des vaccinations (CTV) ; il ne reçoit pas de visiteurs médicaux.
M. Jérôme Sclafer a ensuite présenté ses différentes activités. Médecin généraliste, il s'occupe surtout, dans le cadre de son activité clinique, d'usagers de drogues au centre médical Marmottan à Paris. Il a également une activité libérale en tant que remplaçant dans un cabinet de groupe à Gennevilliers. Il est par ailleurs responsable de rubrique à la revue « Prescrire », publiée par l'association « Mieux prescrire ». Le but de cette association, à but non lucratif et qui rassemble surtout des professionnels de santé, est d'oeuvrer, en toute indépendance, pour des soins de qualité. Elle n'est financée que par les abonnements à ses productions.
M. Jérôme Sclafer a également indiqué qu'il était membre du CTV depuis 2002.
Abordant la question de la gestion de la grippe H1N1, il a indiqué qu'il fallait, pour comprendre ce qui s'est passé, se demander comment on avait préparé les esprits à l'émergence d'un risque pandémique.
Le concept de pandémie grippale n'a en effet constitué une préoccupation majeure qu'à partir des années 1990.
La prise de conscience collective d'un problème de santé résulte généralement de plusieurs facteurs : des découvertes scientifiques, des améliorations techniques ou des découvertes épidémiologiques.
Mais, au départ, elle nécessite surtout qu'on investisse pour mettre en lumière ce problème. Le financement de ces « investissements » peut être soit public, soit privé.
Par nature, le financement par des acteurs industriels est intimement lié à la volonté d'en tirer un bénéfice par la vente d'un produit, quitte à « gonfler » le problème et donc l'intérêt du produit. Les exemples sont assez nombreux dans le domaine pharmaceutique. Evidemment, les stratégies commerciales des entreprises du médicament restent secrètes mais, au cours des années passées, plusieurs procès aux Etats-Unis ont permis d'accéder aux archives de firmes pharmaceutiques, révélant les nombreux moyens, plus ou moins avouables, qu'elles utilisent pour s'attacher des leaders d'opinion.
En ce qui concerne la grippe pandémique, la prise de conscience de ce risque sanitaire a été concomitante à l'amélioration du typage des virus ainsi qu'à l'augmentation de leur surveillance chez les animaux.
Cette prise de conscience a été précédée et s'est accompagnée d'un fort accroissement de l'activité éditoriale autour du concept de grippe pandémique. Ainsi, d'après la base de données américaine Medline, qui répertorie les principales revues médicales, seules deux publications en moyenne par an, dans les années 1980, portaient un titre contenant l'expression « grippe pandémique ». En 1997, dix-huit publications avec un tel titre ont accompagné l'alerte sur la grippe de Hong-Kong. L'intérêt pour ce concept a encore augmenté à partir de 2003 puisque cinquante-et-une publications ont titré sur la grippe pandémique en 2004, cent-vingt-quatre en 2005, puis plus de deux cents par an à partir de 2006. Sur ces deux cents publications, environ une cinquantaine sont des synthèses et des textes d'opinions d'experts. Quelle est l'influence des firmes sur la publication d'articles bienveillants pour les antiviraux ? Le doute est permis.
En tout état de cause, cette augmentation de l'activité éditoriale s'est accompagnée d'un accroissement du nombre de dépêches de presse mentionnant le concept de pandémie grippale, dépêches reprises aussi bien dans la presse « tabloïd » professionnelle que dans la presse destinée au grand public. A la fin de l'année 2005, on pouvait ainsi suivre dans les journaux, presque au jour le jour, l'extension de la grippe aviaire H5N1 chez les oiseaux. On parlera pendant des mois de menace de pandémie. Cette grippe s'avère comme mortelle. Mais, dans le monde entier, il y a eu environ 300 décès en huit ans.
Que se s'est-il passé du côté des médicaments pendant cette période ? M. Jérôme Sclafer a présenté le cas de deux antiviraux : le zanamivir et l'oseltamivir.
Le zanamivir a été commercialisé en France en 1999. Cette commercialisation a été précédée par des annonces enthousiastes dans les médias professionnels et dans les journaux destinés au grand public. Pourtant, les résultats des essais cliniques du zanamivir n'avaient pas été très probants. Quelques journaux grand public ont reconnu, des mois plus tard, être allés trop loin dans les louanges. Le Relenza (nom commercial du zanamivir) n'a été admis au remboursement par la sécurité sociale, au taux de 35 %, qu'en 2009, et seulement pour certains cas. Pourtant, une soi-disant « mission d'observation de la grippe » a fait, à la fin de l'année 2000, du démarchage téléphonique auprès de médecins généralistes pour leur rappeler l'importance de l'épidémie de grippe et l'intérêt du zanamivir.
A la fin de l'année 2002, est arrivé l'oseltamivir, proposé en traitement curatif. Les essais ont montré qu'il diminue d'environ dix heures la durée des symptômes de la grippe ; il n'a pas été prouvé qu'il réduit les complications graves. Le Tamiflu (nom commercial de l'oseltamivir) a été admis au remboursement en France en 2004, contre l'avis de la commission de transparence, au taux de 35 %. Il n'a été largement utilisé qu'au Japon, où ont été signalés des effets indésirables graves. En Europe, il a été stocké, en réaction aux menaces de la grippe aviaire, ce qui a créé une pénurie favorable aux ventes.
En ce qui concerne les vaccins, M. Jérôme Sclafer a indiqué que de nombreuses firmes étaient, pendant la même période, occupées à produire des vaccins adaptés à de nouveaux virus. Diverses publications ont mis en avant la nécessité de produire des vaccins en nombre suffisant pour le monde entier, ce qui justifie les recherches sur des vaccins avec adjuvant qui permettent d'utiliser moins d'antigène.
Probablement en réaction à l'éventuelle pénurie de vaccins annoncée, des rumeurs ont fait état de négociations, en France comme ailleurs, entre les pouvoirs publics et les firmes pharmaceutiques pour s'assurer une bonne place dans la distribution des futurs vaccins pandémiques. Les contreparties ont été, d'une part, des engagements financiers dans la recherche, pour lesquels un retour sur investissement n'était pas certain avant plusieurs années, et, d'autre part, un élargissement immédiat des recommandations de vaccination contre la grippe saisonnière.
Faut-il y voir un lien ? Toujours est-il, a indiqué M. Jérôme Sclafer, qu'à la fin de l'année 2005, sans consultation du CTV, le Sénat a adopté un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 obligeant les professionnels de santé à se faire vacciner contre la grippe saisonnière. Peu de temps après, le CTV a été consulté sur un élargissement de l'obligation vaccinale aux enfants. Le CTV s'est prononcé, a posteriori, contre la vaccination obligatoire des professionnels de santé, et contre la vaccination généralisée des enfants.
En 2008, le syndicat des entreprises du médicament, le LEEM, a négocié avec la direction générale de la santé (DGS) pour que le CTV prenne des décisions plus rapides. Au mois d'avril 2008, le CTV a ainsi dû se prononcer en urgence sur l'utilisation du vaccin dit pandémique H5N1, avant même que l'autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne ne lui ait été accordée par l'Agence européenne des médicaments.
Ainsi, à la fin de l'année 2008, les autorités sanitaires des pays développés avaient bien intégré l'éventualité d'une pandémie grippale et pensaient avoir deux outils - pourtant d'efficacité incertaine - pour y répondre : l'oseltamivir et la vaccination. Les protocoles étaient prêts pour lutter contre la pandémie de grippes graves. Presque « heureuses » de pouvoir tester si rapidement ces protocoles, les autorités sanitaires ne s'inquiéteront pas du fait que la grippe porcine ne ressemble pas vraiment à la grippe aviaire grave attendue.
M. Jérôme Sclafer a relevé deux « moments clés » dans la vague épidémique de la grippe H1N1 en 2009 : la découverte du virus au mois d'avril 2009, d'une part, et la connaissance assez précise de son niveau de gravité à la fin du mois d'août 2009, d'autre part.
Le 21 avril 2009, deux cas de grippe d'un type inhabituel étaient détectés aux Etats-Unis. Les deux enfants concernés ne présentaient pas de symptômes sévères, mais avaient été testés dans le cadre d'un réseau de surveillance du virus de la grippe. Dans leur entourage, un adulte et trois autres enfants avaient des symptômes compatibles avec la grippe. Ces six premiers cas identifiés demeuraient bénins.
Neuf jours plus tard, un éditorial du British Medical Journal révélait que 1 840 cas de pneumonies graves, dont 150 décès, peut-être liés à cette grippe, étaient dénombrés au Mexique. Seuls 26 cas de grippe A(H1N1)v ont finalement été confirmés. Dans le même temps, on apprenait que des cas de grippe A(H1N1)v étaient confirmés aux Etats-Unis, au Canada, en Espagne, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et en Israël. Aucun décès n'était rapporté hors du Mexique. L'information avait été diffusée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dans le cadre du règlement sanitaire international (RSI), sans plus de renseignements cliniques.
Dès ce moment, dans le monde entier, tout ce qui avait été préparé pour lutter contre une pandémie a été mis en branle dans l'urgence et l'émulation mutuelle. Il est moins risqué de se tromper avec tout le monde que d'avoir raison seul, mais a posteriori.
En ce qui concerne la gravité de la maladie, de fortes incertitudes ont pesé jusqu'au mois d'août car les services d'épidémiologie enregistraient le nombre de cas identifiés, mais sans savoir combien de personnes étaient réellement infectées. On évoquait alors une grippe peu grave à assez grave. Quelques personnes y sont allées de leur estimation, sans que leurs motivations ne soient connues : un objectif politique, une mise en avant de leur personne, un lien d'intérêts avec les fabricants d'antiviraux et de vaccins ?
A la fin du mois d'août, ces incertitudes ont été levées par les publications sur les épidémies néo-zélandaises et australiennes. Ces études ont mis en évidence les tensions limitées provoquées sur les systèmes de soins et la gravité modérée de cette grippe mondiale : en Nouvelle-Zélande, sur environ 500 000 personnes infectées, 16 étaient décédées et 120 avaient été admises en réanimation. Ce n'était pas rien, certes, mais on était très loin de la grande pandémie grave attendue et à laquelle on se préparait.
Au même moment, les autorités françaises élaboraient la liste des populations à vacciner en priorité. Lors de la réunion du CTV du 3 septembre, cette question a été abordée dans l'urgence comme s'il s'agissait d'une pandémie de grippe grave. Alors qu'il proposait une attitude prudente de limitation de la vaccination, dans l'immédiat, aux seules personnes à risques, le représentant de la direction générale de la santé (DGS) a fait valoir à M. Jérôme Sclafer que pour la ministre, il n'était pas acceptable de ne pas vacciner toute la population. Lors des réunions suivantes du CTV, ses nouveaux appels à la mesure n'ont pas été plus écoutés. Tout semblait préparé à l'avance, les modifications autorisées n'étaient que marginales.
Or les personnes à risque - entre 5 % et 8 % de la population totale - ont finalement représenté 80 % des cas d'hospitalisation en réanimation.
La liste des personnes à vacciner, validée à la fin du mois de septembre par le Premier ministre, est restée ensuite inamovible au cours des mois suivants, malgré les données qui s'accumulaient pour montrer que les vaccins ne seraient pas livrés à temps, que la grippe était moins grave que prévu et que les données concernant les enfants étaient moins préoccupantes qu'annoncées.
Au début du mois de décembre, la DGS recommandait l'oseltamivir pour tout cas de suspicion de grippe. L'argument, non expliqué aux médecins, était alors que plus de 50 % des patients, présentant un syndrome pneumogrippal testé par le réseau des Groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG), étaient infectés par le virus A(H1N1)v et que l'on disposait de quelques données - de faible niveau de preuve néanmoins - en faveur d'une efficacité de l'oseltamivir pris en tout début d'infection. M. Jérôme Sclafer a indiqué ne pas savoir si cette décision tenait compte du fait que l'efficacité de l'oseltamivir restait incertaine, que la gravité de la maladie était manifestement moindre que prévue et qu'un très grand nombre de personnes allaient être exposées aux effets indésirables de cet antiviral sans en tirer de bénéfices.
Abordant, enfin, la question des conflits d'intérêts, M. Jérôme Sclafer a observé que dans l'urgence les résistances à tout type de pression sont réduites, que ces pressions soient industrielles, politiques ou médiatiques. On constate, de manière générale, que le potentiel nocif des conflits d'intérêts n'est pas bien intégré par les autorités publiques françaises.
En matière de santé publique, la prévention de ces conflits d'intérêts semble ainsi ne reposer, dans certaines instances, que sur un principe d'« autodéclaration ». Selon les instances d'expertise, des procédures de gestion des conflits d'intérêts ont parfois été élaborées, mais leur application n'est pas constante. Ainsi, les procédures de sélection des experts ne comportent pas, de manière formelle, la prise en compte de leurs liens d'intérêts et ce sujet n'est pas abordé de manière préventive avec les experts.
M. Jérôme Sclafer a indiqué qu'à titre personnel, il n'a reçu aucune consigne, ni n'a été interrogé, lors de ses candidatures au CTV, sur d'éventuels liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. Une fois nommé, il n'a pas reçu d'autres instructions quant à son rôle d'expert. En 2003, il s'est battu pour que, au moins, les liens d'intérêts soient déclarés à chaque séance du comité et pour que la DGS agisse en cas de conflits d'intérêts importants.
Lors de la création du Haut conseil de la santé publique (HCSP), la prévention des conflits d'intérêts n'a pas non plus été formalisée. Il a fallu l'énergie de M. Daniel Floret, président du CTV, pour mener à bien la définition d'un cadre de déclaration des liens d'intérêts, de classification de ces liens, de non-participation aux discussions ou au vote en cas de conflit d'intérêts. Ces principes s'appliquaient au sein du CTV, mais M. Jérôme Sclafer a indiqué qu'il ne savait pas s'il en avait été de même au HCSP, qui valide les décisions du CTV. Il ignore également si les conflits d'intérêts sont pris en compte au sein de la DGS et des cabinets ministériels impliqués dans les décisions.
Il a estimé qu'il serait naïf de penser que les différents industriels, qu'ils soient proches des experts ou du pouvoir politique, n'ont eu aucune influence. L'industrie a vraisemblablement accompagné les décisions qui allaient dans le sens d'un retour sur investissement de leurs projets de recherche et développement, et elle n'a rien dit lorsque les décisions irrationnelles lui profitaient.
Il serait également erroné de croire que les autorités publiques ont mis en place un dispositif de prévention des conflits d'intérêts. Ce dispositif est encore à construire, à améliorer et surtout à appliquer pour chaque strate de l'Etat. L'OMS n'est pas plus vertueuse que les Etats, ni pour gérer les conflits d'intérêts, ni pour les prévenir.
M. Jérôme Sclafer a conclu en indiquant qu'il ne faut pas seulement se prémunir contre les pressions industrielles. Il convient également de mieux préserver les agences et les instances de conseil, des pressions politiques. En 2009, elles ont été fortes, provoquant l'urgence, au risque parfois de paralyser les services de santé.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir si des études scientifiques sur l'efficacité de la vaccination contre la grippe sont aujourd'hui envisagées. En effet, le directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique, M. Antoine Flahault, a indiqué devant la commission d'enquête que les connaissances scientifiques actuelles sont insuffisantes pour préconiser une vaccination de masse. De même, aucune étude n'aurait prouvé l'efficacité de la vaccination des personnes âgées contre la grippe saisonnière. Ces propos ont été confirmés par le professeur Marc Gentilini, également entendu par la commission d'enquête.
M. Jérôme Sclafer s'est dit pour sa part moins catégorique. Jusqu'à aujourd'hui, on disposait de preuves suffisantes pour penser que la vaccination contre la grippe était efficace pour protéger les personnes âgées : si ces données n'étaient pas d'un très haut niveau de preuve, elles étaient néanmoins convergentes. Deux méta-analyses publiées par la revue COCHRANE ont, depuis, fait naître des doutes sur l'efficacité de la vaccination saisonnière.
M. Jérôme Sclafer a dit avoir principalement étudié la méta-analyse portant sur la vaccination des personnes dans l'entourage des personnes âgées. Les essais retenus par le réseau COCRHANE montrent que vacciner l'entourage des personnes âgées placées en institution permet de diminuer la mortalité totale de ces dernières, mais pas les complications liées à la grippe. A cause de cette discordance, la revue COCHRANE estime anormal de conclure que la vaccination contre la grippe saisonnière est efficace pour protéger les personnes âgées.
Un élément doit, cependant, tempérer les conclusions de cette analyse, selon M. Jérôme Sclafer : la revue COCHRANE utilise des critères très rigoureux pour sélectionner les données sur lesquelles reposent ses travaux, ce qui est bienvenu, mais, de ce fait, elle écarte de son analyse des données d'un moindre niveau de preuve. Or on ne peut ignorer ces données. Dans certains cas, il convient en effet de « faire avec » les informations dont on dispose et d'agir sans attendre de preuves intangibles.
M. François Autain, président, a souhaité savoir si des essais complémentaires étaient envisageables pour prouver l'efficacité de la vaccination anti-grippale saisonnière.
M. Jérôme Sclafer a répondu que de tels essais sont difficiles à réaliser dans la mesure où, dans le cas de la grippe saisonnière, le virus en circulation est, chaque année, incertain. Le prochain hiver constitue une exception, de ce point de vue, puisque l'on sait que le virus A(H1N1)v circulera. Cependant son impact demeure inconnu puisque beaucoup d'individus devraient être immunisés. Il a indiqué, par ailleurs, ne pas savoir si de tels essais, bien qu'évidemment souhaitables et intéressants, sont actuellement financés.
Rappelant que dans l'hémisphère nord les vaccins sont arrivés trop tard pour faire barrage à la pandémie et même, comme l'a indiqué le professeur Bruno Lina à la commission, « à la limite de l'intérêt individuel », M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si, dans ces conditions, la réponse vaccinale constitue réellement le moyen le plus efficace de lutte contre une pandémie grippale.
M. Jérôme Sclafer a tout d'abord fait remarquer que répondre à la question suppose de poser le principe selon lequel nous sommes dans un contexte pandémique, ce dont il n'est pas convaincu. Tout dépend en effet de la définition du mot pandémie retenue.
Etymologiquement, la grippe A(H1N1)v constitue bien une pandémie, comme d'ailleurs chaque année puisque la grippe se répand en permanence dans le monde entier. Mais, au delà de cette définition, les seuls critères qui permettent de parler de pandémie en ce qui concerne le virus A(H1N1)v, sont, d'une part, sa large diffusion dans la population et, d'autre part, le fait que le virus A(H1N1)v ait touché des populations inhabituelles.
Néanmoins, le mot « pandémie » est chargé d'une telle menace qu'il convient de préférer la notion d'épidémie par un virus nouveau qui a présenté une certaine gravité pour une partie étroite, mais inhabituelle, de la population. En effet, entre 15 % et 30 % de la population française ont contracté la grippe A(H1N1) pendant cet hiver.
La réponse vaccinale demeure certes la meilleure solution face à une pandémie. Deux stratégies sont alors envisageables :
- soit une vaccination de masse, mais force est de constater qu'elle est très difficile à organiser, à l'exception de certaines campagnes menées depuis plusieurs années pour certaines pathologies et avec l'appui de campagnes de sensibilisation actives ;
- soit une vaccination des personnes les plus fragiles.
En ce qui concerne la grippe A(H1N1)v, quelque cinq millions de personnes présentaient des risques particuliers, leur vaccination était donc réalisable grâce à l'appui de messages publicitaires et l'envoi de bons de vaccination. Elle aurait en outre permis de protéger partiellement contre 80 % des cas de syndromes de détresse respiratoire aiguë (SDRA). En revanche, souhaiter vacciner 63 millions d'individus est « une autre affaire ».
M. François Autain, président, a rappelé qu'en dépit de la situation privilégiée dans laquelle se trouvait l'hémisphère nord, qui a été atteint par le virus A(H1N1)v après l'hémisphère austral, la vaccination est intervenue trop tard, après le pic pandémique. Certes, six millions de doses ont été utilisées, pour un nombre de patients plus réduit compte tenu de la nécessité, dans certains cas, de deux doses de vaccins. Mais à combien peut-on estimer le nombre des individus qui, grâce à la vaccination, ont pu effectivement éviter de contracter la grippe A(H1N1)v ?
M. Jérôme Sclafer a indiqué qu'il était difficile de répondre à cette question. Certains individus ont certainement pu tirer un bénéfice de la vaccination, mais cela dépend de nombreux paramètres, notamment de l'efficacité du vaccin, de la contraction antérieure du virus par le patient ou de sa rencontre future du virus. Pour sa part, il a vacciné, cet hiver, dans un objectif de protection individuelle, des patients atteints de cirrhose ou affectés par le virus HIV.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir si l'on dispose aujourd'hui de données sur le nombre d'individus hospitalisés pour un SDRA qui n'avaient pas été vaccinés.
M. Jérôme Sclafer a indiqué que l'Institut de veille sanitaire (InVS) est compétent en la matière. Cependant, il semble que l'InVS ait rencontré des difficultés pour faire remonter ce type d'informations. Par ailleurs, compte tenu du faible pourcentage de la population vaccinée, ces données ne permettraient pas de conclure sur l'efficacité du vaccin. En revanche, il pourrait être intéressant d'étudier ces données dans d'autres pays car la pandémie n'a pas eu, partout, le même impact.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir sur quels fondements reposait l'affirmation du HCSP, dans son avis du 8 juillet 2009, selon laquelle, en dépit des incertitudes sur l'immunogénicité des vaccins contre le virus A(H1N1)v, un schéma vaccinal ne pourrait comporter moins de deux doses.
M. Jérôme Sclafer a répondu qu'à l'époque, les études sur le virus A(H1N1)v étaient limitées et que le vaccin était encore en phase de fabrication. Les seules connaissances disponibles étaient donc les essais menés sur les vaccins prépandémiques élaborés à partir du virus H5N1. Or, le virus H5N1 étant peu immunogène, la vaccination contre ce virus nécessite deux injections. Par extrapolation, il a été considéré que deux doses étaient également nécessaires pour le virus A(H1N1)v. A posteriori, il s'agit d'une erreur. Il aurait fallu, dans un premier temps, privilégier un schéma vaccinal reposant sur une injection unique et, ensuite, envisager un schéma à deux doses si des études, menées entre temps, en démontraient la nécessité.
Il est convenu qu'il aurait néanmoins fallu s'assurer de la compatibilité de cette stratégie avec le délai devant être observé entre deux injections. Il a également confirmé que deux doses demeurent aujourd'hui requises pour les enfants, comme pour la grippe saisonnière.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir quelles conséquences, quant au rôle du HCSP, peuvent être tirées des propos de la ministre de la santé devant la commission selon lesquels ce sont des arguments éthiques et non pas scientifiques qui ont fondé le choix de commander des vaccins pour permettre à tous ceux qui le souhaitaient d'être vaccinés.
Complétant les propos du rapporteur, M. François Autain, président, a ajouté que le président du HCSP venait d'indiquer à la commission que le Haut conseil n'avait pas été consulté sur les commandes de vaccins et qu'il avait été mis devant le fait accompli. Il a souhaité savoir si M. Jérôme Sclafer avait un avis à formuler sur ces achats de vaccins.
M. Jérôme Sclafer a confirmé que le HCSP n'a pas été consulté sur les commandes de vaccins et qu'il a simplement été « tenu au courant » de ces achats.
Il a rappelé que tout avait été fait, depuis des années, pour attiser la peur. C'est pourquoi, dès l'annonce des premiers cas de grippe A(H1N1)v, il était difficile d'imaginer autre chose que l'émergence d'une pandémie. Le fait de réserver des doses de vaccins auprès des laboratoires pharmaceutiques et, ensuite, de résilier une partie des commandes n'est pas choquant. Cependant, ces commandes ne devaient pas guider la stratégie vaccinale : acheter 94 millions de doses ne signifiait pas qu'il fallait toutes les utiliser. Or, lorsque les vaccins sont arrivés, la stratégie vaccinale n'était plus adaptée.
La principale erreur, commise d'ailleurs à tous les niveaux décisionnels y compris au CTV, a été de réagir « bille en tête » dès les premières annonces de cas de grippe A(H1NI)v, alors que ces données devaient encore être confirmées. La préparation à une éventuelle vaccination de masse peut certes toujours être envisagée. Mais il faut ensuite adapter la stratégie vaccinale au fur et à mesure des nouvelles connaissances sur le virus.
A une question de M. François Autain, président sur la « faisabilité » d'une vaccination de masse, il a répondu que celle-ci est envisageable en cas de vraie menace. En effet, face à un risque réel de pandémie, la motivation de la population et des personnels soignants est alors plus importante. En tous les cas, il ne faudrait pas procéder comme cela a été fait pour la grippe A(H1N1)v.
M. François Autain, président, a conclu des propos de M. Jérôme Sclafer, que si l'achat de 94 millions de doses de vaccin était justifié au mois de mai, il ne l'était plus une fois que l'on s'est aperçu que la menace n'était pas celle attendue.
M. Jérôme Sclafer a précisé que la ministre de la santé et l'ensemble de ses conseillers auraient dû attendre avant de passer ces commandes. Il y avait certes un risque que les laboratoires honorent les achats des autres Etats avant ceux de la France. Mais c'était un pari tenable car, à l'époque, le niveau de connaissances sur le virus A(H1N1)v était encore faible.
M. Alain Milon, rapporteur, a fait remarquer que si la France avait, dans un premier temps, calibré ses commandes sur la base d'un schéma vaccinal à une seule injection, comme le préconise M. Jérôme Sclafer, le risque était alors de ne pas disposer au final de doses suffisantes s'il s'était avéré que deux injections étaient nécessaires.
M. Jérôme Sclafer a indiqué que les pouvoirs publics auraient pu faire pression sur les laboratoires pour obtenir des vaccins conditionnés en monodoses, ce qui aurait facilité la campagne de vaccination, au prix certes de livraisons plus tardives. Mais, en tous les cas, aller au plus vite et commander le maximum de doses de vaccin n'était pas une bonne façon de procéder.
Rejoignant M. Alain Milon, rapporteur, il a considéré que la non-association des médecins généralistes à la campagne de vaccination avait été une erreur, même si, dans le cas du Royaume-Uni, la vaccination par les médecins généralistes n'a pas permis une meilleure couverture vaccinale qu'en France.
Allant dans le sens de M. François Autain, président, qui soulignait qu'il aurait fallu adapter le plan de lutte contre la pandémie à la menace, et non l'inverse, il a ajouté que le flot d'informations et de publications sur le virus A(H1N1)v aurait dû conduire les autorités publiques à assouplir, au fur et à mesure de ces nouvelles connaissances, les mesures prises. Cependant, comme l'a noté M. Alain Milon, rapporteur, cela suppose dès lors des plans de lutte différents en fonction du niveau de risque encouru.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir si la « pensée scientifique unique » privilégiant une vision catastrophiste de la grippe qui a dominé le discours sur la pandémie peut s'expliquer par une sorte d'« auto-restriction » de la liberté d'expression des experts pour lesquels il peut paraître difficile de se désolidariser publiquement de l'opinion exprimée par des confrères ou des instances d'expertise. Dans ces conditions, faut-il « réformer l'expertise » et comment envisager une telle réforme ?
M. Jérôme Sclafer a estimé que la pensée scientifique catastrophiste qui a dominé le débat ne pouvait résulter d'une sorte d'autocensure des experts. Elle s'explique davantage par deux éléments :
- d'une part, le fort investissement, à tous les niveaux politique et scientifique, sur cette future pandémie : tout le monde attendait cette menace, si bien qu'il y a eu un certain « enthousiasme » au moment de l'annonce des premiers cas de grippe A(H1N1)v ;
- d'autre part, l'impression de consensus mondial qui émergeait après chaque réunion de l'OMS.
Il a ajouté que les voix discordantes sont apparues plus tardivement, notamment sur la question de la proportionnalité des moyens financiers déployés au regard de la gravité de la pandémie.
M. François Autain, président, a jugé qu'il convenait plutôt d'interpréter la notion d' « auto-restriction », employée par le rapporteur, comme une sorte de mutisme observé par certains experts par crainte d'aller à l'encontre des propos tenus par leurs confrères. Il a ajouté qu'il avait ainsi eu le témoignage de journalistes qui s'étaient adressés au mois de juillet à des personnalités qualifiées qui refusaient alors de s'exprimer sur cette question.
M. Jérôme Sclafer a précisé que personne n'était sûr de rien jusqu'au mois de juillet. Ce n'est qu'au milieu de l'été, une fois les épidémies de New-York et du Royaume-Uni passées, que l'on a été rassuré sur la gravité de la pandémie.
Mme Marie-Christine Blandin s'est inquiétée du rapprochement fait, dans le propos liminaire de M. Jérôme Sclafer entre, d'une part, l'investissement organisationnel et financier dans la recherche de moyens de lutte contre le risque pandémique et, d'autre part, sa conséquence, à savoir l'« enthousiasme » à voir finalement émerger cette pandémie. Elle s'est interrogée à ce propos sur les recherches actuellement menées sur un éventuel croisement des souches H5N1 et H1N1 pandémique. Ne sommes-nous pas en train de préparer la prochaine pandémie ?
M. Jérôme Sclafer a indiqué qu'il était difficile de répondre à cette question. Il faudrait analyser précisément ces recherches avant de les juger. Cependant, il ne lui semble pas anormal que ce type de recherches soit mené. En revanche, c'est l'emballement à partir de données incertaines qui est préjudiciable.
M. Marc Laménie s'est interrogé sur la faisabilité, sur le terrain, d'une vaccination de masse compte tenu des réticences des patients et du scepticisme des professionnels de santé. Quelles leçons tirer, de ce point de vue, de la campagne menée dans le cadre de la gestion de la pandémie de grippe A(H1N1)v ?
M. Jérôme Sclafer a indiqué que la meilleure solution consiste à vacciner les personnes les plus en danger, ce qui permet de réduire le nombre de personnes à vacciner et augmente la « rentabilité » du geste vaccinal. Ce n'est que dans un second temps que peut être envisagée la vaccination d'autres tranches de la population. Mais la stratégie vaccinale dépend beaucoup de la gravité de la maladie contre laquelle on souhaite se protéger. Plus la menace est grande, plus la population est motivée et plus la campagne de vaccination a des chances de réussir.
M. François Autain, président, a ensuite interrogé M. Jérôme Sclafer sur l'inocuité des nouveaux adjuvants utilisés pour les vaccins contre le virus A(H1N1)v. En effet, de fortes incertitudes, relayées sur le réseau Internet, ont pesé sur les vaccins, ce qui a contribué à l'échec de la campagne de vaccination. Or une campagne de vaccination est d'autant mieux acceptée que la vaccination ne fait pas l'objet d'une controverse.
M. Jérôme Sclafer a indiqué que la réponse à cette question est différente selon que l'on se place au mois de juillet 2009 ou aujourd'hui. Des essais cliniques réalisés sur des millions de personnes permettent désormais de penser que les adjuvants utilisés pour les vaccins contre le virus A(H1N1)v ne présentent aucun risque. Cependant, au moment où la campagne de vaccination a débuté, certaines incertitudes demeuraient. Certes il existait un vaccin contre la grippe commercialisé avec adjuvant, mais celui-ci était peu prescrit et était destiné à des patients appartenant à certaines tranches d'âges.
La décision de recourir ou non à ce vaccin dépendait de la balance bénéfice/risque qui peut être analysée au regard de trois éléments : la gravité de la maladie, l'efficacité du vaccin et le risque encouru. S'il est question de vacciner les populations à risque et si la maladie est grave et se diffuse rapidement, alors le recours à ce vaccin doit être préconisé en dépit des incertitudes qui peuvent peser sur son inocuité. En revanche, s'il s'agit de vacciner des tranches d'âges inhabituelles ou des femmes enceintes, c'est un autre pari qui ne pouvait être pris en ce qui concerne la grippe A(H1N1)v.
L'ensemble de ces interrogations a nourri les suspicions sur la campagne de vaccination contre le virus A(H1N1)v.
M. François Autain, président, a conclu en indiquant que l'audition de M. Jérôme Sclafer avait permis de démentir certains propos selon lesquels il n'existe pas d'expert à la fois indépendant et compétent.
Audition de M. Philippe de Chazournes, médecin généraliste
Enfin, la commission d'enquête a entendu M. Philippe de Chazournes, médecin généraliste.
M. Philippe de Chazournes a tout d'abord souligné n'avoir aucun lien d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.
Se présentant comme un « simple médecin de terrain », il a souhaité pouvoir être, auprès de la commission d'enquête, le relai d'un certain nombre de confrères réunionnais et métropolitains, et lui faire part de leur « expertise libérale ». Il a indiqué que son expérience de médecin à la Réunion depuis plus de vingt ans l'avait conduit à côtoyer à de nombreuses reprises le monde de la recherche :
- en 2006 pour le chikungunya, comme coinvestigateur principal de l'étude Curachik ;
- il y a quelques mois avec l'Institut de veille sanitaire (InVS), comme coresponsable d'une étude (Chikarticulaire 36) sur les douleurs articulaires trente-six mois après l'infection au chikungunya ;
- avec Méd'Océan, association de recherche clinique en médecine de ville à la Réunion et dans l'Océan indien, qu'il préside et dont l'indépendance vis-à-vis de l'industrie est spécifiée dans ses statuts. Cette association a conduit des études sur le chikungunya, l'insuffisance rénale chronique et le diabète, véritables fléaux de santé publique à la Réunion, ainsi qu'une étude sur « l'impact de la visite de pairs dans le changement de pratique des médecins » qui a obtenu en 2005 le premier prix de recherche de médecine générale en France ;
- dans le cadre de la Délégation à la recherche clinique et à l'innovation (DRCI) : il a déploré à ce propos que l'industrie pharmaceutique et les entreprises du médicament apparaissent seules en mesure de financer la recherche, alors qu'il suffirait d'un peu de financement public pour mener une recherche indépendante, objective et fiable.
M. Philippe de Chazournes a indiqué avoir eu l'occasion de coopérer avec les acteurs institutionnels dans le cadre des épidémies de chikungunya puis de grippe A(H1N1) : l'Agence régionale d'hospitalisation (ARH), la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS), le Comité des maladies infectieuses (CMI) et, désormais, la nouvelle Agence régionale de santé (ARS) de l'Océan indien.
Il a pu ainsi acquérir une certaine expérience de la gestion décentralisée des décisions et des éventuels retours d'expériences, sujets qui étaient au centre du déplacement effectué à la Réunion par Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, le 29 août 2009, au maximum du pic épidémique. Il a regretté que ce voyage n'ait pas été évoqué par la ministre lors de son audition par la commission d'enquête, M. François Autain, président, indiquant que la question n'avait alors pas été posée.
M. Philippe de Chazournes a estimé, pour le regretter, qu'il n'y avait pas eu de retour d'expérience sur la gestion de la grippe à la Réunion, se demandant si cela était imputable à une absence de transmission par les responsables locaux, ou à la non-prise en compte de ces retours d'expériences par les responsables nationaux.
Il a indiqué que l'on avait localement, début juin, le sentiment que les autorités sanitaires locales n'avaient aucune marge de manoeuvre dans leur prise de décision et devaient s'en tenir au respect des circulaires ministérielles.
On s'est ainsi privé de l'expertise des médecins généralistes et de l'expertise réunionnaise, trois mois avant l'arrivée de l'épidémie en métropole, où sa chronologie a été un véritable « copié-collé » de ce qui s'était passé à la Réunion.
Cette situation est regrettable, car on aurait pu éviter des fermetures de classes en métropole, des mesures de prévention inadéquates comme l'annulation de rencontres sportives, et éviter aussi de créer un vent de panique dans l'esprit des patients, dans les services d'accueil des urgences, dans la réception des appels des centres d'urgence du 15 et, enfin, dans les cabinets de médecine libérale.
Le bon sens aurait été de dire aux patients grippés de rester chez eux pour ne pas contaminer des malades fragiles et pour ne pas se contaminer eux-mêmes.
M. Philippe de Chazournes s'est, par ailleurs, demandé comment on pouvait dire, à l'époque de l'achat des vaccins, que cette grippe pouvait être grave. En effet, sa létalité a été peu importante au Mexique, où elle était apparue, de même qu'à la Réunion, en Nouvelle-Zélande, en Nouvelle-Calédonie et en Australie.
Il aurait fallu extrapoler à la métropole ce qui s'était passé à la Réunion : la grippe H1N1 a très rapidement pris le pas sur la grippe saisonnière, et l'épidémie s'est ensuite très rapidement éteinte.
Fin août, lors du pic épidémique à la Réunion, on savait que cette grippe n'était pas grave :
- le premier cas de grippe A(H1N1) à la Réunion a été confirmé le 5 juillet ;
- le premier cas autochtone a été identifié le 23 juillet ;
- la durée de l'épidémie a été estimée à neuf semaines ;
- il y a eu six décès à la Réunion, dont quatre cas où des comorbidités ont été identifiées, et deux décès sans autre cause apparente que la grippe A(H1N1), celui d'un homme de trente-trois ans et d'une femme de trente-huit ans ;
- il n'y a pas eu de surmortalité : 611 décès ont été observés, alors qu'il en était attendu 669 sur la période ;
- aucune école n'a été fermée, mais l'éviction scolaire des enfants symptomatiques a été recommandée ; il n'y a pas eu d'augmentation de la tendance épidémique après la rentrée scolaire le 21 août 2009. Alors que M. Didier Houssin, directeur général de la santé, a indiqué à la commission d'enquête que la fermeture des classes en Ile-de-France avait ralenti la propagation du virus, cette affirmation ne s'est pas vérifiée à la Réunion.
En 2009, sur l'île de la Réunion, le virus pandémique a ainsi provoqué une épidémie de grippe modérée, d'intensité légèrement supérieure à celle observée dans le passé pour la grippe saisonnière, mais d'une gravité comparable, voire inférieure, selon l'InVS.
A partir de ce constat, M. Philippe de Chazournes a soulevé un certain nombre d'interrogations :
- était-il raisonnable de continuer sur une voie manifestement inappropriée ?
- disposait-on d'éléments suffisants pour commander des vaccins, et en de telles quantités ?
- pourquoi avoir semé la panique pour inciter à tout prix la population à se faire vacciner, alors qu'on connaissait l'absence de gravité de cette grippe ?
- était-il raisonnable de vouloir vacciner tout le monde, de « harceler » les professionnels de santé, notamment les élèves infirmiers, à qui l'on a dit que leurs stages et examens ne seraient pas validés s'ils refusaient de se rendre dans les « vaccinodromes » ?
- ne pouvait-on pas partager les risques avec l'industrie pharmaceutique, dont les profits auraient dû être fonction des besoins ?
- pourquoi avoir octroyé aussi vite l'immunité juridique aux producteurs de vaccins, créant un climat de suspicion dans la population ?
M. Philippe de Chazournes a estimé qu'il aurait été plus crédible de reconnaître que l'on s'était trompé et que chacun assume ses responsabilités et en tire les conséquences, plutôt que de vacciner à tout prix pour écouler les vaccins déjà achetés. Pourtant, a-t-il relevé, pour la grippe saisonnière, un congrès Cochrane à Rome en 2006 avait déjà montré que l'efficacité du vaccin n'avait jamais été prouvée, à partir d'études portant sur 260 000 enfants et 60 000 adultes depuis trente-sept ans. La vaccination réduirait le risque de grippe d'à peine 6 % pour les personnes en bonne santé ; aucune étude ne permet de constater l'efficacité du vaccin chez les personnes âgées ; il n'y a pas eu de diminution des décès dus à la grippe aux Etats-Unis entre 1980 et aujourd'hui, alors que la couverture vaccinale a augmenté de 15 % à 65 %. La meilleure protection contre la grippe est sans doute le port de masques ou le lavage des mains.
En ce qui concerne la grippe A(H1N1)v, il s'est demandé si le « délire collectif » pouvait s'expliquer autrement que par des conflits d'intérêts chez les décideurs, ou leurs conseillers, les experts de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou les experts français.
Il a rappelé qu'il avait ainsi « poussé un coup de gueule » dans un article de presse paru le jour de la visite de la ministre de la santé à la Réunion, article dont il a affirmé revendiquer l'intégralité du contenu, qui s'était révélé exact.
Cet article s'interrogeait en effet sur :
- l'efficacité de l'oseltamivir et sur celle du vaccin ;
- la surcharge des services d'urgence, au détriment des nécessités vitales ;
- la surcharge des cabinets médicaux, qui multipliait les risques d'auto-infections et d'erreurs diagnostiques, et pesait sur la qualité de la prise en charge des autres patients, notamment les malades chroniques ;
- la production de certificats attestant qu'un patient n'était pas grippé, et les arrêts de travail des parents gardant leurs enfants exclus des classes ;
- la demande d'une meilleure organisation et anticipation, en l'absence d'initiative laissée aux directeurs de la DRASS et de l'ARH.
L'Union régionale des médecins libéraux (URML) de la Réunion, dont il est secrétaire général, a écrit au préfet en septembre et organisé une conférence de presse sur le thème « Non à la vaccination de masse contre la grippe H1N1 » le 29 octobre 2009.
Un sondage a permis de recueillir l'opinion des Réunionnais.
A une première question, les deux tiers des personnes interrogées répondaient qu'elles n'étaient pas disposées à se faire vacciner dans les centres de vaccination de masse spécialement ouverts dans les gymnases ou les salles communales.
Les raisons de ce refus étaient diverses : 11 % des personnes interrogées estimaient la vaccination inutile, pensant avoir déjà eu la grippe ; 52 % n'avaient pas complètement confiance dans les vaccins ; d'autres refusaient le dispositif de vaccination de masse (7 %) ou préféraient attendre (21 %). Enfin, 47 % souhaitaient demander conseil à leur médecin traitant, entraînant un afflux d'appels téléphoniques et de rendez-vous.
La dernière question du sondage portait sur la vaccination par des équipes mobiles des enfants des écoles. La majorité des personnes interrogées n'étaient « certainement pas d'accord » (36 %) ou « plutôt pas d'accord » (27 %) pour faire vacciner leurs enfants dans ces conditions. Comme il était prévu de vacciner les enfants sauf refus explicite des parents, l'URML de la Réunion avait rédigé une lettre-type aux directeurs d'école, à l'intention des parents qui ne souhaitaient pas que leurs enfants soient vaccinés.
En conclusion de ce sondage, M. Philippe de Chazournes a déploré la médiatisation de la peur et la mise en cause des autorités sanitaires par les parents. Il a estimé impossible de vacciner une population contre son avis.
M. François Autain, président, a demandé si la vaccination était présentée comme obligatoire.
M. Philippe de Chazournes a répondu que la population était en tout cas fortement incitée à se faire vacciner.
Certes, l'industrie pharmaceutique française permet de créer des emplois, mais son souci, en tant que médecin de terrain, est que les décisions soient prises sur des critères purement médicaux, ceux de l'Evidence Based Medicine (EBM).
Après avoir rappelé que Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, lors de son audition par la commission d'enquête, avait souligné son attachement aux principes de justice, d'éthique et de responsabilité, il a affirmé n'être, pour sa part, missionné par aucun organisme ni institution. Médecin généraliste et de terrain, il est impliqué dans une recherche pragmatique et éthique, ayant le patient pour unique bénéficiaire.
Tous les patients atteints de chikungunya ont été vus par les médecins généralistes à la Réunion. Il aurait dû en être de même pour la grippe H1N1 - à la Réunion et en métropole -, et il a déploré que n'aient pas été davantage associés les 50 000 généralistes français, experts de terrain qui étaient cependant en première ligne et devaient répondre à toutes les interrogations de leurs patients.
Revendiquant son absence de tout lien d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique, il a rappelé être correspondant de la Haute Autorité de santé (HAS) depuis plus de dix ans, membre de plusieurs groupes de lectures de recommandations (notamment la charte de la visite médicale en 2005), ainsi que d'un groupe de travail sur une prochaine recommandation de la HAS concernant « un autre scandale », le vaccin anti-papillomavirus (anti-HPV) contre le cancer du col de l'utérus.
M. François Autain, président, a rappelé que les investigations de commission d'enquête se limitaient à la grippe A (H1N1)v.
En conclusion de son exposé liminaire, M. Philippe de Chazournes a souligné l'importance des recommandations des autorités sanitaires, qui « se déclinent » à tous les niveaux : elles sont reprises dans les formations médicales internes et continues des médecins, par les experts, par les médecins, qui ont confiance dans les autorités sanitaires, par les associations de patients et, enfin, par la presse grand public.
Alors qu'une recommandation nécessite parfois plus d'un an pour être élaborée et peut ne pas être remise en cause pendant plus de cinq ans, ses modalités doivent être bien définies dès le départ. S'il y a au départ un défaut d'appréciation, un « bug », il va être répercuté jusqu'à la base.
Il est incompréhensible, dans le cas de la grippe A(H1N1)v, qu'on ait pu être aussi aveugle vis-à-vis d'une situation qui était loin d'être dramatique.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé à M. Philippe de Chazournes si la réponse vaccinale lui paraissait adaptée à la lutte contre une pandémie grippale, pour faire barrage à la pandémie et assurer une protection individuelle ?
Il a également voulu savoir si une campagne de vaccination était prévue à la Réunion pour l'hiver austral.
Il a enfin demandé quelle comparaison on pouvait faire entre la gestion du chikungunya et celle de la grippe H1N1.
M. Philippe de Chazournes a jugé la réponse vaccinale bien évidemment adaptée à une pandémie s'il s'agit de lutter contre une affection grave.
M. Alain Milon, rapporteur, a relevé que le critère de gravité n'était pas retenu actuellement dans la définition d'une pandémie.
M. Philippe de Chazournes a estimé que la réponse vaccinale doit répondre à un besoin de santé publique, en faisant la balance des bénéfices et des risques, pour protéger contre des maladies graves.
En ce qui concerne une campagne vaccinale à la Réunion pour l'hiver austral, le virus H1N1 est l'une des souches retenues dans le vaccin contre la grippe saisonnière. Des afflux de personnes souhaitant se faire vacciner sont improbables, et les médecins examineront les situations au cas par cas. La différence de discours avec l'année passée met toutefois les généralistes en porte-à-faux avec leurs patients.
A propos du chikungunya, dans la lutte contre lequel il s'est beaucoup impliqué, sur lequel il a rédigé plusieurs articles parus dans Le Praticien en 2006, il a regretté le manque de suites données aux retours d'expériences, à l'exception de l'important travail réalisé par les agents du service de lutte anti-vectorielle. En effet, le manque de propreté dû aux décharges, la présence de réserves d'eau pour les moustiques, ont compliqué la tâche des autorités sanitaires.
Dans une étude publiée en 2006 sur les critères cliniques et thérapeutiques du chikungunya, il a montré l'intérêt de disposer d'une liste des symptômes permettant de diagnostiquer le chikungunya, sans avoir besoin de procéder à une prise de sang. Des signes comme le prurit de la plante des pieds permettent d'identifier le chikungunya.
M. Alain Milon, rapporteur, a observé qu'il s'agit de signes d'appel.
M. Philippe de Chazournes a remarqué que dix signes d'appel, dans une période épidémique, peuvent être considérés comme un signe de certitude. De la même façon, au plus fort du pic épidémique de grippe H1N1 à la Réunion, une combinaison de symptômes permettait d'identifier la pathologie sans faire d'études sérologiques.
Une fois la pathologie identifiée, se pose la question de la réponse à apporter. Pour le chikungunya, la prescription de paracétamol a coïncidé avec une augmentation du nombre d'hépatites, ce qui donnait matière à la réalisation d'études randomisées par la Cellule interrégionale d'épidémiologie (CIRE) de la Réunion et de Mayotte. En l'absence de telles études, malgré les moyens structurels dont on dispose, il s'est adressé à Mme Chantal de Singly, directrice générale de l'ARS mise en place le 1er avril 2010.
En tout état de cause, la petite reprise des cas de chikungunya à la Réunion - une cinquantaine - a été exagérée dans les médias. Elle n'a pas remis en cause la préparation de l'équipe de France de football à la Réunion. L'hypermédiatisation ne doit pas conduire à des réactions telles que la limitation des déplacements à la Réunion. La cinquantaine de cas de chikungunya est mineure et complètement localisée. Elle pourrait cependant permettre de procéder à des études utiles pour l'avenir.
M. Philippe de Chazournes a insisté sur son souhait d'améliorer la recherche basée sur la médecine de terrain, ayant été mandaté par la conférence nationale des présidents des unions de médecins libéraux pour le projet « Horizon santé » de la direction générale de la santé (DGS). Dans ce cadre, un dialogue transversal doit associer tous les acteurs - médecins, patients, industriels...
Dans la conduite de ces travaux, il a indiqué qu'il ne dérogerait pas à la règle de l'absence de conflits d'intérêts. Il a évoqué à ce sujet la position prise par la Haute Autorité de santé (HAS) qui a déclaré : « les membres du groupe de travail ont communiqué leurs déclarations d'intérêt à la HAS. Elles ont été analysées et prises en compte ». Il a estimé que c'était insuffisant et que la HAS devrait s'inspirer, notamment, de l'exemple de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) : en cas de conflits d'intérêts sur une question, quelle que soit leur autorité en la matière, les experts devraient ne pas participer aux discussions et quitter la salle.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si des études avaient fait apparaître des hépatites toxiques dues à la prescription de paracétamol.
M. Philippe de Chazournes a cité l'exemple de Saint-Benoît, dans l'ouest de l'île, où le chikungunya était important. Il a été constaté une consommation excessive de paracétamol, jusqu'à 4 ou 5 grammes par jour, ayant provoqué des hépatites toxiques.
M. Alain Milon, rapporteur, a estimé que les hépatites toxiques n'étaient sans doute pas causées par la seule prise de paracétamol.
Il a rappelé qu'il avait été fait état, devant la commission d'enquête, d'une étude réalisée en mai 2009 qui envisage l'éventualité d'une nouvelle vague pandémique dans l'hémisphère sud en mai-juin 2010. Les éléments aujourd'hui disponibles font-ils apparaître la possibilité d'une nouvelle vague à la Réunion ?
M. Philippe de Chazournes a déclaré qu'il n'y aurait pas de deuxième vague de grippe H1N1, pas plus qu'il n'y avait eu de deuxième vague de chikungunya, pourtant attendue depuis 2006. Les modèles mathématiques présentent des limites, comme tout travail humain. Les auteurs des études sur les prévisions de létalité de la grippe H1N1 ont d'ailleurs reconnu s'être trompés.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé à M. Philippe de Chazournes quels enseignements il tirait de la gestion de la grippe pandémique en matière de liens d'intérêts et du rôle de l'expertise. Pense-t-il qu'il faudrait diversifier les « profils » des experts et, notamment, inclure systématiquement des généralistes dans les comités d'experts ?
M. Philippe de Chazournes a estimé qu'il aurait été souhaitable de se poser la question avant l'épidémie de grippe A(H1N1). En 2006, pour le chikungunya, il n'y avait déjà pas eu de retour d'expérience, alors qu'on avait déjà affirmé la volonté de mettre le médecin traitant au centre du système.
De même, Mme Roselyne Bachelot a déclaré, le 2 juillet 2009, que les médecins traitants étaient au centre du dispositif de lutte contre le virus grippal. Or, le message médiatique aurait dû consister à dire que les patients grippés devaient rester chez eux, et non submerger les services d'urgence.
Dans ce contexte, il est frustrant que les bulletins épidémiologiques de l'InVS sur la grippe A (H1N1) 2009 et la grippe saisonnière n'aient fait état ni des critiques des médecins libéraux sur la gestion de l'épidémie, ni des positions de leurs représentants, les unions régionales des médecins libéraux.
M. François Autain, président, a observé que la gestion gouvernementale de la pandémie n'avait laissé qu'une place restreinte aux médecins généralistes. Les bulletins épidémiologiques de l'InVS ne font qu'illustrer ce fait, que l'on peut effectivement déplorer.
M. Marc Laménie a noté que le sondage cité avait donné des informations claires sur la réaction des populations. Compte tenu de son expérience de médecin à la Réunion, et de la gestion de la pandémie dans la métropole, quelles seraient les recommandations de M. Philippe de Chazournes pour essayer d'être plus efficace si une telle situation se reproduisait ?
M. Philippe de Chazournes a jugé indispensable de s'adresser aux bons interlocuteurs, à savoir ceux qui ont travaillé sur un sujet.
Pour sa part, il vient d'être auditionné dans le cadre d'un projet mis en place avec la DGS sur les techniques de l'insecte stérile à la Réunion, portant sur l'importation d'insectes stériles pour éviter la propagation de chikungunya.
Mme Marie-Christine Blandin a indiqué que, dans le cadre des travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur la mutation des virus et la gestion des pandémies, à partir de l'exemple du virus A (H1N1), elle a fait partie d'une délégation de parlementaires qui a rencontré une dizaine de médecins généralistes de l'Union régionale des médecins libéraux de la Réunion. Leurs observations figureront dans le rapport de l'OPECST.
Elle a indiqué qu'en Guyane, à Saint-Laurent-du-Maroni, les jeunes personnes recrutées pour participer aux opérations de vaccination étaient toutes exclusivement francophones et avaient donc rencontré des problèmes pour se faire comprendre des Guyanais qui parlaient les langues locales et ne pouvaient répondre à des questions posées en français, ce qui est un bon exemple de « parachutage » d'un dispositif inadéquat et inadapté à la réalité de l'Outre-mer.
M. François Autain, président, a considéré que les recommandations de l'OMS sur les opérations de lavage des mains n'étaient pas non plus toujours adaptées à la situation de l'Outre-mer.
M. Philippe de Chazournes a rappelé que, dès le 8 juin, le point épidémiologique fait avec la CIRE montrait une létalité de la grippe H1N1 inférieure à celle de la grippe saisonnière. Le 29 juin, parmi les 239 cas confirmés en France, il n'y avait ni forme sévère, ni décès. Malgré ces constats, la direction régionale des affaires sociales (DRAS) s'en remettait aux schémas nationaux de lutte contre l'épidémie, sans volonté d'anticiper.
Le manque de remontée d'informations peut s'expliquer par des défauts d'organisation, en l'absence de compte rendu et d'ordre du jour. Il faudrait que la mise en place des ARS soit une occasion de relancer la pratique des comptes rendus et qu'elles s'attachent à favoriser la remontée des informations, ce qui aurait peut être permis d'éviter que la population de la Réunion, au pic de l'épidémie, ait été opposée à la vaccination.
M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé que, dès juin 2009, l'OMS avait reconnu que l'épidémie était modérément grave.
Par ailleurs, en tant qu'ancien rapporteur du projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), il a rappelé que c'est le médecin généraliste qui est placé au centre du système de santé.