Mercredi 7 avril 2010
- Présidence de M. Jean-Pierre Godefroy, président -Table ronde avec les représentants des organisations syndicales de Pôle emploi
La commission a tenu une première table ronde avec les représentants des organisations syndicales de Pôle emploi.
Elle a entendu M. Régis Dauxois, secrétaire général de Force ouvrière des personnels publics de Pôle emploi (FO-PPPE), Mmes Sylvette Uzan-Chomat, Leïla Salière et M. Jean-Charles Steyger, membres du bureau national du Syndicat national unitaire (SNU), Mme Bernadette Billey et M. Philippe Berhault, de la Confédération française démocratique du travail de Pôle emploi (CFDT Pôle emploi).
A titre liminaire, M. Jean-Pierre Godefroy, président, a indiqué que la mission d'information, après avoir entendu beaucoup d'analyses sur la situation des salariés du secteur privé, a souhaité mieux comprendre les problèmes propres au secteur public. Deux tables rondes - avec les syndicats de Pôle emploi et avec les syndicats d'enseignants - sont organisées cette semaine puis deux autres le seront, à la fin du mois d'avril, avec des représentants des policiers et des personnels hospitaliers.
M. Régis Dauxois, secrétaire général de Force ouvrière des personnels publics de Pôle emploi (FO-PPPE), a tout d'abord précisé que cette organisation se préoccupait déjà, depuis une vingtaine d'années, du problème du mal-être au travail au sein de l'agence nationale pour l'emploi (ANPE). La fusion entre l'ANPE et les Assedic pour constituer Pôle emploi n'a certes rien arrangé, mais elle n'est pas la cause centrale des difficultés rencontrées : celles-ci résultent surtout d'une mauvaise organisation du travail et des méthodes managériales appliquées.
Dans ses rapports avec la direction générale, le syndicat FO rencontre deux problèmes principaux :
- une difficulté pour définir l'objet de la discussion : le stress et la souffrance psychologiques sont souvent confondus, alors qu'il s'agit de problèmes distincts ;
- la surdité des directions successives, qui ont commandé des enquêtes mais n'ont jamais véritablement analysé la situation.
En 2007, le syndicat a commandé une expertise au Laboratoire de changement social, qui est composé de chercheurs, puis l'a remise à la direction, mais elle n'a eu aucune suite.
Parmi les facteurs de mal-être au travail, on peut relever :
- la « maladie » des indicateurs : tout ne peut être quantifié et les indicateurs ne sauraient se substituer à une analyse concrète des situations de travail ;
- le manque de participation des agents : sans préconiser un management participatif, qui serait en trompe-l'oeil, il faut reconnaître que les agents sont les mieux placés pour dire ce qui ne va pas dans l'organisation de leur travail ; des groupes d'échanges de pratiques devraient être organisés, ce que la direction accepte aujourd'hui seulement pour les cadres ;
- le caractère souvent incohérent ou contradictoire des consignes données aux agents ; si l'employeur fixe les objectifs, il doit aussi se demander si ceux-ci sont atteignables ;
- la perte du sens du travail : les agents souffrent d'une crise d'identité professionnelle, notamment parce qu'ils ont le sentiment de ne pas respecter les droits des usagers du service public de l'emploi, et ne se sentent pas reconnus dans leur travail.
Des mesures correctives pourraient être apportées sur le plan organisationnel et managérial :
- pour aller vers un plan de prévention des risques psychosociaux, il serait utile de discuter des moyens des institutions représentatives du personnel (IRP), de réfléchir à la formation des élus qui y siègent, de mettre en place un dispositif d'alerte ;
- il faudrait tenir compte, dans la planification du temps de travail, de l'existence d'impondérables, des problèmes imprévus, et faire confiance aux salariés pour les traiter ;
- des réunions d'équipes professionnelles seraient utiles pour échanger et dépasser la simple transmission d'informations par la hiérarchie ;
- les agents doivent enfin avoir le temps de s'approprier les informations et la documentation abondante qui leur est adressée.
Mme Sylvette Uzan-Chomat, membre du bureau national du Syndicat national unitaire (SNU), a souligné que, d'après les résultats d'une enquête réalisée auprès du personnel, 71 % des agents sont dans une situation de travail sous tension, ce qui est un taux très élevé. Ils doivent accomplir des tâches complexes, alors qu'ils ne disposent que d'une faible latitude décisionnelle. En outre, 80 % des agents déclarent souffrir de conflits de valeurs, ce qui signifie qu'ils sont contraints d'accomplir des actes qu'ils désapprouvent.
La fusion a affecté des agents déjà fragilisés, aucune catégorie de personnel n'étant au demeurant épargnée. Elle n'a pas été précédée d'une réflexion suffisante et s'est accompagnée d'une mise en concurrence avec les opérateurs privés de placement, ce que les personnels ont perçu comme un signe de manque de reconnaissance de leur travail. La fusion a entraîné une chasse aux postes en « doublon », qui déstabilise le personnel d'encadrement. La mise en place des sites mixtes, qui doivent rassembler en un même lieu les personnels issus de l'ANPE et des Assedic, n'est pas achevée, ce qui occasionne de fréquents déplacements et désagrège les collectifs de travail. Enfin, le comité national de l'hygiène, de la sécurité et des conditions de travail qui existait à l'ANPE a disparu.
En raison du manque de moyens, beaucoup d'agents ont l'impression que leur travail est bâclé ou inabouti. L'augmentation du nombre d'agents recrutés en CDD aggrave la situation dans la mesure où ces agents ont du mal à apprendre leur métier dans le temps imparti.
Des négociations sont en cours pour conclure un accord sur les risques psychosociaux mais la direction rejette toutes les propositions susceptibles de ralentir le rythme de la fusion.
M. Jean-Charles Steyger, membre du bureau national du Syndicat national unitaire (SNU), a souligné que la direction générale ne partage pas le diagnostic émis par son syndicat sur les effets de la fusion : pour le SNU, celle-ci a aggravé le mal-être des agents. Quand un suicide survient, la direction générale a tendance à mettre en avant les facteurs personnels et à minorer ceux liés au travail.
La négociation sur les risques psychosociaux a débuté il y a cinq mois et va encore se poursuivre en avril et en mai. D'autres négociations sont en cours sur des sujets connexes, comme le temps de travail. Il ne semble pas, cependant, que le Gouvernement ait donné beaucoup de marge de manoeuvre à la direction de Pôle emploi pour négocier.
La qualité du service public se dégrade du fait des fermetures de sites, de la sous-traitance de certaines tâches à des opérateurs privés ou du recrutement d'agents en CDD pour suivre les demandeurs d'emploi.
M. Philippe Berhault, de la Confédération française démocratique du travail de Pôle emploi (CFDT Pôle emploi), a estimé que la fusion a été trop précipitée, puis il a souligné la difficulté de réunir, dans un même organisme, des agents publics et des salariés de droit privé. Plusieurs questions juridiques restent non résolues, par exemple celle du statut de Pôle emploi par rapport à la médecine du travail ou de son rattachement ou non au « 1 % logement ».
Pôle emploi manque, par ailleurs, d'un véritable projet d'entreprise : la priorité a été donnée dans un premier temps à l'accompagnement personnalisé des demandeurs d'emploi puis l'accent a été mis sur l'indemnisation.
Le directeur général a d'abord expliqué aux conseillers de l'ANPE qu'ils effectueraient les mêmes tâches après la fusion, tout en étant mieux rémunérés. Il a ensuite décidé la mise en place du « conseiller unique », censé assumer les fonctions de placement et d'indemnisation des demandeurs d'emploi. A présent, il est proposé que chacun garde son métier et que l'on constitue progressivement un corps d'agents possédant les deux compétences. Ces changements d'orientation successifs sont déstabilisants pour le personnel.
Pôle emploi a des crédits suffisants pour embaucher en CDI et rien ne justifie donc les récents recrutements en CDD. Certes, la crise actuelle a une dimension conjoncturelle mais, du fait de la pyramide des âges de Pôle emploi, de nombreux départs en retraite vont se produire et il convient donc de les anticiper en procédant dès maintenant à des embauches.
Mme Bernadette Billey, de la Confédération française démocratique du travail de Pôle emploi (CFDT Pôle emploi), a souligné que Pôle emploi emploie 75 % de femmes, qui sont très qualifiées et investies dans leur travail. On leur demande d'accomplir un travail personnalisé, mais de masse, et on les traite souvent de façon infantilisante, sans leur laisser assez d'autonomie. Pour autant, elles refusent la victimisation et aspirent au bien-être, tant il est vrai qu'il faut se sentir bien pour pouvoir aider les autres.
Pôle emploi souffre de sous-effectifs structurels et d'une incertitude sur la nature de son projet d'établissement, les agents n'ayant pas les moyens d'accomplir correctement leurs missions. Les agents n'ont pas toujours de bureau fixe, et sont donc confrontés à une forme de « nomadisme », et la charge de travail est souvent mal répartie. Les responsables d'équipe souffrent de relayer les instructions contradictoires de la direction. Les gens ne reconnaissent plus leur métier, tant les évolutions sont rapides, et ne sont pas suffisamment formés.
Les salariés ont des idées, que des espaces d'expression permettraient de valoriser, mais la direction considère que l'organisation du travail est une prérogative exclusive de l'employeur. Pôle emploi est pénalisé, enfin, par sa structure qui demeure trop centralisée.
M. Jean-Charles Steyger (SNU) a souligné que les conseillers en charge de l'orientation employés par l'association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) viennent d'être rattachés à Pôle emploi, qui compte désormais 50 000 agents.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle a souhaité obtenir des précisions sur la nature juridique de Pôle emploi et sur la convention collective qui lui est applicable. Puis elle s'est enquise du nombre moyen de demandeurs d'emploi suivis par chaque conseiller et a demandé si des projections existent concernant les futurs départs en retraite. Enfin, elle a souhaité savoir si les cadres sont eux aussi sous pression et si Pôle emploi cotise à un fonds d'aide à la formation.
Mme Annie David a regretté que les chômeurs soient souvent déboussolés par les nouvelles méthodes de Pôle emploi : à titre d'illustration, le 39 49, le numéro de téléphone qu'il faut appeler pour obtenir un rendez-vous avec un conseiller, est payant et souvent coûteux pour les personnes sans emploi. Par ailleurs, combien faudrait-il recruter d'agents supplémentaires pour que Pôle emploi assume convenablement ses missions ?
M. Alain Gournac a fait observer que les promoteurs de la fusion savaient, dès le départ, qu'elle serait complexe à mettre en oeuvre. Il a noté que si 80 % des agents de Pôle emploi déclarent souffrir de conflits de valeurs, bien peu ont présenté leur démission. Dans toute la société, les métiers évoluent vers plus de mobilité et les salariés doivent faire des efforts d'adaptation.
Mme Leïla Salière, membre du bureau national du Syndicat national unitaire (SNU), a fait observer que quelqu'un qui démissionne se prive de son revenu, ce qui doit dissuader beaucoup d'agents de quitter Pôle emploi malgré les conflits de valeurs dont ils se plaignent.
Les personnels venus des Assedic ou de l'Afpa sont accueillis dans les locaux qui étaient auparavant prévus pour les seuls agents de l'ANPE, d'où un manque de place et d'équipements qui les empêche de travailler correctement.
Lorsqu'un conseiller est chargé de suivre 180 demandeurs d'emploi, il ne peut leur proposer un accompagnement personnalisé. Beaucoup d'agents manquent de temps pour assumer toutes leurs tâches pendant la journée et répondent à leurs courriers électroniques le soir, depuis leur domicile, ce qui a bien sûr un impact négatif sur leur vie personnelle.
M. Jean-Charles Steyger (SNU) a précisé que Pôle emploi a le statut d'un établissement public administratif. Une convention collective a été négociée mais le SNU a refusé de la signer.
L'effort de formation des personnels a été insuffisant ; les conseillers de l'ANPE, en particulier, n'ont pas eu le temps d'assimiler les règles d'indemnisation du chômage. Pôle emploi cotise cependant à un fonds d'aide à la formation pour ses agents de droit privé.
Les 23 000 agents de droit public issus de l'ANPE ont la possibilité d'opter pour le statut de salarié de droit privé et ils sont alors couverts par la convention collective. A ce jour, 37 % d'entre eux ont fait ce choix.
Le personnel d'encadrement dispose de peu de moyens et de faibles marges de manoeuvre, ce qui occasionne un réel désarroi des collectifs de travail. Le 39 49 est un numéro payant, contrairement à ce que le secrétaire d'Etat à l'emploi, Laurent Wauquiez, avait annoncé, et il est même une source de bénéfices pour l'établissement. Les agents de terrain doivent gérer l'écart entre les annonces gouvernementales et la réalité vécue par les usagers. La fermeture d'un trop grand nombre de sites risque d'entraîner un recul du service public dans certains territoires.
M. Philippe Berhault (CFDT) a précisé que la convention collective n'aborde pas certains sujets, qui doivent être traités lors de prochaines négociations : classifications, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, égalité entre les femmes et les hommes, retraite complémentaire, etc.
Le service rendu aux usagers ne s'est pas amélioré grâce à la fusion et on est très loin de l'objectif, fixé initialement, de soixante demandeurs d'emploi par conseiller. On peut évaluer à cinq mille le nombre d'embauches auxquelles il faudrait procéder pour pallier ce déficit de personnel. Cependant, Pôle emploi n'a pas seulement besoin de recrutements mais aussi d'un projet d'établissement clair.
M. Gérard Dériot, rapporteur, a fait part de son incompréhension : le fait d'avoir rapproché les agents de l'ANPE et des Assedic dans un même établissement a-t-il donc occasionné tant de dysfonctionnements ?
M. Régis Dauxois (FO) a répondu qu'il serait erroné de croire que Pôle emploi est simplement confronté aux problèmes classiques que rencontre tout établissement amené à gérer une fusion. Le coeur du problème réside plutôt dans un modèle managérial qu'il faut remettre en cause.
M. Jean-Charles Steyger (SNU) a estimé qu'il aurait fallu différer la fusion pour permettre au service public de l'emploi de faire face dans de bonnes conditions à l'afflux de chômeurs dû à la crise.
M. Jean-Pierre Godefroy, président, a demandé s'il serait utile que Pôle emploi se dote d'un nouvel organe de concertation au niveau national.
M. Régis Dauxois (FO) a jugé qu'il serait préférable d'élargir les moyens d'action des IRP existantes.
M. Jean-Charles Steyger (SNU) a ajouté qu'il est important de recréer des temps d'échanges entre les agents, afin de renforcer leur sentiment d'appartenance à une équipe.
Mme Leïla Salière (SNU) a déploré la persistance d'inégalités de carrières et de salaires entre les femmes et les hommes, auxquelles la convention collective n'apporte pas de solutions.
Table ronde avec les représentants des organisations syndicales d'enseignants
La commission a tenu une seconde table ronde avec les représentants des organisations syndicales d'enseignants.
Elle a entendu Mme Alice Cardoso, secrétaire nationale de la fédération syndicale unitaire (FSU), MM. Emmanuel Protin et Philippe Charbonnel de la confédération syndicale de l'éducation nationale (CSEN), Alain Rael, secrétaire fédéral de la fédération nationale de l'enseignement, de la culture et de la formation professionnelle - Force ouvrière (Fnec-FO), Mme Chantal Lacassagne du syndicat des enseignants - union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA) et Mme Armelle Galard de la confédération syndicat général de l'éducation nationale - confédération française démocratique du travail (SGEN-CFDT).
M. Alain Rael, secrétaire fédéral de la FNEC-FO, a indiqué que le mal-être généralisé des enseignants provient avant tout des remises en cause successives de leur statut public. La multiplication des réformes, dont la révision générale des politiques publiques (RGPP) n'est que le dernier avatar, conjuguée à l'augmentation du nombre d'élèves par classe et à la diminution du nombre de postes, crée un sentiment d'exaspération du corps enseignant. La hausse du nombre d'accidents du travail témoigne de ce malaise, d'autant plus profond que la hiérarchie ne joue pas correctement son rôle, pour deux raisons : non seulement elle ne soutient pas les enseignants lorsque ceux-ci sont victimes d'agression, alors même que la loi du 13 juillet 1983 oblige l'administration à engager un recours pour le compte de son agent, mais en outre les différentes inspections se rendent souvent coupables d'un harcèlement moral inacceptable. L'évaluation individualisée a ainsi dérivé vers un contrôle collectif bureaucratique qui dénature le métier d'enseignant. Par ailleurs, plusieurs engagements de l'Etat n'ont toujours pas été tenus : par exemple, les infirmiers des collèges et lycées, qui ont participé à la campagne de vaccination contre la grippe H1N1, n'ont toujours pas été indemnisés pour le surcroît de travail occasionné.
En conséquence, la FNEC-FO demande la création de comités d'hygiène et de sécurité (CHS) dans la totalité des établissements, la création de trois cents postes de médecins de prévention, l'arrêt du transfert de responsabilités sur les directeurs d'établissement et l'arrêt des différentes contre-réformes en cours (RGPP et « masterisation » des cursus notamment).
M. Emmanuel Protin, membre de la CSEN, a indiqué que trois raisons essentielles expliquent le malaise des instituteurs. D'abord, et c'est là l'origine du problème, la société ne valorise plus la réussite par le travail, notamment scolaire. Il en résulte une dégradation de l'image de l'instituteur, dont la fonction sociale apparaît moins utile et moins noble. Ensuite, le rapport entre l'école et les parents s'est inversé : lorsqu'un enfant rencontre une difficulté scolaire, les parents n'hésitent pas à remettre en cause l'instituteur, soupçonné de ne pas faire suffisamment d'efforts pour s'adapter à l'enfant. Les agressions physiques et les procès intentés aux maîtres d'école ne sont que l'expression extrême de cette méfiance désormais généralisée et de ce mépris devenu spontané pour l'autorité du maître. Le manque de courage de la hiérarchie, qui préfère souvent donner raison aux parents et désavouer l'instituteur pour ne pas ébruiter un problème rencontré avec un élève, ne peut que décourager les professeurs les plus motivés et consciencieux. Enfin, la multiplication des tâches dépourvues de lien avec la fonction d'enseignement, comme la convocation à diverses réunions et l'obligation de répondre à un nombre croissant de formulaires ou documents incongrus, ne peut qu'accroître ce malaise de plus en plus répandu et profond chez les instituteurs.
Pourtant, il existe des pistes de réforme simples, mais dont la mise en oeuvre exige du courage politique. D'abord, il faut réaffirmer sans transiger le rôle de transmission des savoirs de l'école et de l'instituteur. Ce n'est pas l'élève qui doit être au centre du système scolaire, mais bien le savoir et l'apprentissage des connaissances. Ensuite, les établissements doivent être dirigés par des directeurs formés qui n'hésitent pas à prendre leurs responsabilités. Par ailleurs, les agressions contre les enseignants doivent être sévèrement punies. Enfin, les compétences des CHS devraient être élargies aux conditions de travail pour devenir de vrais comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Mme Chantal Lacassagne, secrétaire nationale en charge du dossier santé au travail du SE-Unsa, a confirmé que les enseignants se sentent de plus en plus abandonnés par leur hiérarchie, qui manque souvent de courage. Ce constat est particulièrement prégnant dans les établissements où les enseignants sont soumis à des agressions récurrentes, tant physiques que verbales, notamment dans les banlieues dites sensibles. La mise en cause permanente des professeurs devrait pourtant conduire l'administration à les soutenir et les aider à sortir de leur isolement.
Trois mesures pourraient être particulièrement utiles. D'abord, des services de santé internes ou rattachés aux établissements devraient assurer le suivi médical des professeurs, ce qui permettrait sans doute de diminuer le nombre de troubles musculo-squelettiques en augmentation continue ces dernières années. Ensuite, l'administration devrait systématiquement soutenir les professeurs lorsque leurs décisions sont contestées par les parents d'élèves, ce qui freinerait certainement la judiciarisation de leurs rapports avec les enseignants. Enfin, le problème de la sécurité à l'école doit être urgemment résolu, ce que les états généraux organisés par le ministre de l'éducation nationale ne permettent pas d'espérer. Faute d'assurer leur sécurité, l'Etat ne doit plus contester, comme il le fait trop souvent, la possibilité pour les professeurs d'exercer leur droit de retrait.
Mme Armelle Galard, membre de la confédération SGEN-CFDT, a insisté, à son tour, sur le mal-être croissant des enseignants, largement corroboré par les enquêtes qui mettent en évidence une augmentation de la fatigue, des troubles de sommeil, des douleurs de dos et des problèmes de voix des enseignants. Ce malaise est largement dû à la violence et à l'agressivité, d'une intensité jusqu'alors inconnue, de la part des élèves et de leurs parents. Des phénomènes nouveaux se produisent, comme l'incursion de personnes extérieures qui viennent violemment agresser un élève au milieu d'un cours d'éducation physique ou la mise en cause judiciaire des professeurs qui refusent de céder à un chantage ou une pression des parents. Les directeurs d'établissement tentent parfois de soutenir leurs enseignants, mais ils sont souvent désavoués par la hiérarchie intermédiaire, notamment les inspecteurs de l'éducation nationale, qui ne sont plus au contact des élèves et connaissent mal la réalité du terrain.
Dans ce contexte, trois évolutions urgentes semblent nécessaires. D'abord, les professeurs doivent pouvoir accéder plus facilement à un médecin au sein de l'établissement. Ensuite, des cellules d'information, d'aide et d'accompagnement pourraient accompagner les professeurs dans les établissements difficiles. Enfin, il est indispensable de développer la mobilité professionnelle des enseignants, qui sont parfois épuisés mentalement par leur métier et souhaitent évoluer dans leur carrière.
Mme Alice Cardoso, secrétaire nationale de la FSU, a ensuite confirmé que le malaise des enseignants s'est clairement accru durant les dernières années. Alors que de plus en plus de collègues expriment leur volonté de quitter le métier, de nombreuses études, tant quantitatives que qualitatives, confortent les sentiments exprimés par les personnels : celles menées par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale (Depp) font par exemple état d'un malaise au travail reconnu par 97 % des personnels de collège et de lycée interrogés, 67 % d'entre eux se disant directement concernés. D'autres enquêtes du syndicat national des enseignements du second degré (Snes), de la mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN) ou qui sont réalisées par des chercheurs constatent également un épuisement, une usure, une démotivation des enseignants.
Le malaise au sein de l'éducation nationale présente en outre des spécificités, qui se rapprochent de celles d'un métier de service à la personne, par ailleurs soumis à une pression accrue en raison de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Alors que les enseignants se font une haute idée de leur métier et se fixent pour objectif la progression des élèves, ils souffrent d'un sentiment d'inutilité et rencontrent des difficultés à se réaliser dans leur travail. Cette crise se traduit de plus en plus fréquemment par un « burn-out » des personnels, qui entraîne, au-delà des conséquences immédiates sur leur santé, un désengagement et une insatisfaction dans l'accomplissement professionnel. Qui plus est, un enseignant travaille, pour une large part, hors de l'école, ce qui entraîne une grande porosité avec la vie privée.
Les causes de l'augmentation du malaise des enseignants sont multiples et largement liées à la dégradation de leurs conditions de travail : les effectifs des classes sont très lourds, les défis de la démocratisation de l'école reposent avant tout sur la mobilisation des personnels, les exigences de résultat sont plus fortes alors qu'il est difficile de mobiliser les élèves sur les savoirs. En outre, l'écart grandit entre l'école, qui reste un lieu d'autorité et non de permissivité, et le reste de la société ; à cet égard, il est important de noter que l'école résiste encore, contrairement aux idées reçues. Par ailleurs, l'école souffre de la multiplication et de l'empilement de tâches mal coordonnées et parfois contradictoires : l'orientation, l'aide, le soutien, l'accueil ou les nouvelles formes d'évaluation constituent des activités extérieures à la classe, ne sont pas stabilisées et brouillent les repères traditionnels. Plusieurs études avancent à ce sujet le sentiment croissant de l'impuissance à bien faire son travail, notamment en raison du fossé entre ce qui est prescrit aux enseignants et le travail qu'ils sont en mesure de réaliser sur le terrain. Ce sentiment pose la question de la reconnaissance et de la fierté du travail accompli. Or, certaines réformes tendent à déresponsabiliser les personnels, en supposant qu'ils n'ont qu'à reproduire les « bonnes pratiques » qui leur sont transmises.
Par ailleurs, comme les autres institutions, l'école est de plus en plus soumise à la critique de la société et il est épuisant pour les enseignants de devoir se justifier en permanence, que ce soit en matière de discipline ou d'apprentissage, d'autant que l'institution fait elle-même peser une suspicion sur le travail réalisé. Ceci peut finalement expliquer le sentiment d'absence de reconnaissance professionnelle que les enseignants avancent comme première cause de la souffrance au travail.
En ce qui concerne les violences physiques, elles sont minoritaires, mais constituent naturellement une source d'aggravation du malaise des personnels. Au fond, les violences verbales, plus diffuses et fréquentes, sont tout aussi importantes, car elles sont une source constante de stress et d'usure et participent de l'épuisement nerveux et physique. Si les enseignants sont plus nombreux à parler de fatigue tout au long de l'année dans les établissements difficiles, il faut également relever que le travail en équipe y est souvent de meilleure qualité et contribue, lorsqu'il est correctement soutenu par la direction, à ce que les difficultés ne tournent pas en souffrances. Paradoxalement, le corps enseignant est plus isolé et parfois plus fragile dans des établissements considérés comme plus tranquilles. D'une manière générale, les projecteurs braqués sur les incidents violents tendent malheureusement à occulter la question des violences symboliques, devenues aujourd'hui ordinaires.
Les mesures prises par le ministère de l'éducation nationale, qui se contente souvent de changer l'enseignant de poste, sont insuffisantes : les voies de reclassements sont limitées et les solutions ponctuelles. En outre, la prévention est défaillante, puisqu'il n'y a qu'un médecin du travail pour 16 000 agents et que l'institution se désintéresse de la prise en charge médicale, même quand elle est liée à l'activité professionnelle. D'ailleurs, on a trop tendance à renvoyer les problèmes vers le médical ou le psychologique, ce qui tend à rendre responsable la personne elle-même, sans s'interroger au fond sur ses conditions de travail. Pour autant, certaines choses avancent : l'accord signé dans la fonction publique sur la santé et la sécurité au travail reconnaît cette situation calamiteuse et devrait permettre de s'engager vers une réglementation plus contraignante. Dans ce cadre, même si les rectorats ne s'intéressent guère à ces structures de concertation, la transformation des comités d'hygiène et de sécurité (CHS) en « CHSCT » permettra de prendre en compte les conditions de travail.
Les propositions de la FSU pour lutter contre le mal-être au travail des enseignants sont les suivantes :
- alléger les effectifs des classes et arrêter la dispersion des tâches pour permettre de se recentrer sur le coeur de métier ;
- encourager le développement des « collectifs de travail », pour donner un sens véritable au travail en équipe ;
- améliorer les conditions matérielles, la prévention en matière de santé et la formation des professeurs, tant initiale que continue ;
- prendre réellement en charge les personnes en souffrance.
M. Emmanuel Protin (CSEN) a ensuite présenté une analyse radicalement différente de la situation, même si le constat est commun. Certes, le mal-être des enseignants au travail résulte de causes exogènes, mais elles sont aussi endogènes : les professeurs ont progressivement refusé d'exercer leur métier. Les réformes engagées à partir des années soixante tendent en fait à nier le rôle même de l'enseignant ; l'école est d'ailleurs devenue, dans la loi d'orientation sur l'éducation de 1989, dite loi Jospin, un « lieu de vie », alors qu'elle est un lieu d'enseignement. Trop souvent, le principe de l'autorité est rejeté par les professeurs, qui estiment a priori que punir est mal. La hiérarchie de l'éducation nationale concourt également à cette évolution néfaste, en produisant des circulaires parfois contradictoires sur ce sujet.
Dans le même ordre d'idées, les « nouvelles » pédagogies, liées au constructivisme, entraînent une négation du statut de l'enseignant, qui ne serait plus là pour transmettre des connaissances mais pour « accompagner » les élèves. La place que certains voudraient donner aux ordinateurs entre dans la même logique : ils ne devraient constituer qu'un outil, non une finalité. La baisse du nombre d'heures de cours, par exemple en français, est dramatique. Au total, on ne devrait pas s'étonner de la remise en cause de l'école si elle-même remet en cause la culture et le savoir.
Mme Muguette Dini a rappelé que la mission d'information a pour objet le mal-être au travail, non l'analyse ou l'évaluation de l'ensemble des réformes de l'éducation nationale.
M. Jean-Pierre Godefroy, président, a souhaité avoir des précisions sur plusieurs points abordés par les intervenants :
- qui exerce réellement l'autorité hiérarchique dans les écoles primaires ?
- quelles sont plus précisément les difficultés rencontrées par les enseignants en matière de droit de retrait ?
- que recouvre la notion de « collectif de travail » ?
- quel bilan peut-on tirer de la semaine de quatre jours ?
M. Philippe Charbonnel (CSEN) a estimé que, dans le cadre actuel, les écoles primaires ne sont pas véritablement dirigées car les directeurs exercent, en définitive, très peu de responsabilités. Pour elles, le seul référent est l'inspecteur de l'éducation nationale (IEN), qui s'occupe de circonscriptions larges, comprenant parfois jusqu'à quatre-vingts écoles, et qui applique de manière très variée les directives nationales. Il serait nécessaire d'encadrer son action, car il constitue en définitive la première hiérarchie pour le primaire.
La manière selon laquelle le soutien scolaire s'est mis en place est également caractéristique de l'absence de reconnaissance du travail effectué sur le terrain : de multiples tâches « annexes », notamment via de volumineux questionnaires, détournent en fait l'enseignant de son rôle, alors que lui faire confiance serait à la fois plus efficace et plus productif.
Mme Armelle Galard (SGEN-CFDT) a ensuite indiqué que l'application de la semaine de quatre jours pose en effet des difficultés, principalement en raison du poids trop important pris par les hiérarchies intermédiaires dans sa mise en oeuvre concrète : l'idée peut être bonne, mais elle doit être prise en charge localement au niveau de chaque école.
Mme Chantal Lacassagne (SE-Unsa) a souligné les incertitudes juridiques qui entourent le droit de retrait. Par exemple, une enseignante enceinte a souhaité exercer son droit de retrait durant la période de la grippe A, en présence de malades parmi ses élèves et en l'absence de vaccination, mais un jour de salaire lui a été retiré par le rectorat. La question s'est posée de manière plus globale au lycée Adolphe Chérioux de Vitry-sur-Seine, où le droit de retrait a également été refusé aux enseignants, alors même que les premières mesures du Gouvernement, certes insuffisantes, reconnaissaient de fait le danger encouru.
Mme Alice Cardoso (FSU) a mentionné l'ouvrage de Françoise Lantheaume et Christophe Hélou sur la souffrance des enseignants et les résultats d'un autre travail de recherche mené par Dominique Cau Bareille sur le vécu du travail et la santé des enseignants en fin de carrière, qui évoque la nécessité du développement de « collectifs de travail ».
Mme Annie David s'est interrogée sur l'impact de la succession et du rythme rapide des diverses réformes de l'éducation nationale sur le malaise des personnels. Cet empilement, sans possibilité d'appropriation réelle, s'ajoute certainement au problème des classes surchargées. Par ailleurs, quel est le lien entre les conditions d'accueil des élèves dans les établissements et la violence qui y pénètre progressivement ?
Interrogée par M. Gérard Dériot, rapporteur, sur le nombre d'élèves par classe, Mme Alice Cardoso (FSU) a précisé que la très grande majorité des classes de seconde compte au moins trente-cinq élèves.
A une question de M. Jean-Pierre Godefroy, président, Mme Armelle Galard (SGEB-CFDR) a répondu qu'une des causes du malaise des enseignants réside dans celui des élèves ; c'est en cela qu'elle a évoqué la question des lycées professionnels dans son exposé liminaire car malheureusement, l'orientation vers ces établissements résulte encore trop souvent de l'échec en filière générale.
Mme Chantal Lacassagne (SE-Unsa) a estimé que les professeurs n'ont pas le sentiment d'être mal considérés en étant en poste en lycée professionnel ; d'ailleurs, le travail en équipe y est souvent de meilleure qualité, car plus anciennement pratiqué. Par ailleurs, une approche par le seul prisme des effectifs des classes ne saurait suffire ; une compréhension globale est nécessaire et elle passe par une amélioration de la prévention et une meilleure reconnaissance par l'institution.
M. Emmanuel Protin (CSEN) a noté que, si le rythme des réformes est effréné, elles vont toutes dans le même sens... Un nombre élevé d'élèves par classe peut éventuellement être supportable, pour certains cours, mais à la condition que l'autorité du professeur ne soit contestée ni par les élèves ou leurs parents, ni par la hiérarchie. La question des moyens est fondamentale mais ne résout pas tout ; au fond, la véritable problématique est la destination de ces moyens. Par ailleurs, les parents poussent encore aujourd'hui leurs enfants à poursuivre un cursus général, plutôt que de les orienter vers un lycée professionnel, sans que l'on prenne véritablement en compte ses capacités ; or, si ces filières souffrent d'une image dévalorisante, il n'y a pourtant aucune honte à exercer des métiers manuels.
M. Alain Rael (FNEC-FO) a estimé que toutes les réformes menées depuis plusieurs années ont eu un effet sensible sur la question du mal-être au travail des enseignants. Il a enfin rappelé que son syndicat s'est opposé à la transformation des CHS en CHSCT, car cette seule mesure ne suffira pas à faire réellement fonctionner ces structures, qui n'ont aujourd'hui aucune existence.