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Mercredi 27 janvier 2010

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Institutions européennes

Audition de M. Andreas Krautscheid,
ministre des affaires européennes, fédérales et des médias
de la Rhénanie du Nord-Westphalie

M. Hubert Haenel. - C'est avec beaucoup de plaisir que notre commission reçoit aujourd'hui M. Andreas Krautscheid, ministre des affaires européennes de la Rhénanie du Nord-Westphalie.

La Rhénanie du Nord-Westphalie fait partie de ces grands Länder allemands qui pourraient être, à eux seuls, un État membre important de l'Union européenne, comme c'est le cas aussi de la Bavière ou du Baden-Würtenberg. La Rhénanie du Nord-Westphalie est le plus peuplé des Länder allemands, avec près de 18 millions d'habitants ; s'il était un pays indépendant, il serait le 8e État membre de l'Union européenne par la population, avant les Pays-Bas, et sans doute le 6e pour ce qui est du poids économique.

Le plaisir que nous avons à vous recevoir ne tient pas seulement à l'importance de votre Land. Il est question, aujourd'hui, de revivifier les relations franco-allemandes, comme on doit le faire périodiquement pour ne pas sombrer dans la routine. Mais les relations franco-allemandes, ce ne sont pas seulement les gouvernements, les diplomates, les administrations. Ce sont aussi les relations entre parlements - nous tenons beaucoup à cet égard à notre coopération avec le Bundesrat - et ce sont aussi les relations avec les Länder, compte tenu de leur importance dans le système fédéral allemand. Je pourrais d'ailleurs citer aussi les nombreux jumelages entre communes allemandes et françaises, qui contribuent à faire vivre notre rapprochement.

Il y a des affinités particulières, Monsieur le Ministre, entre votre Land et la France, notamment parce que géographiquement nous sommes très proches. Et je dois rappeler que la ville d'Aix-la-Chapelle, en allemand Aachen, était notre capitale commune lorsque nous faisions partie d'un même empire, celui de Charlemagne. Nos relations s'inscrivent donc très naturellement dans les relations franco-allemandes et la construction européenne. Nous sommes donc très intéressés de savoir quelle est l'approche de votre Land vis-à-vis de la construction européenne et des relations franco-allemandes.

M. Andreas Krautscheid. - « L'unité de l'Europe était le rêve de quelques-uns. Elle est devenue l'espoir d'un grand nombre. Elle est aujourd'hui une nécessité pour nous tous ». C'est avec ces mots que le premier chancelier fédéral allemand, Konrad Adenauer, décrivit la réalité de l'Europe voici maintenant plus de quarante ans. Le président de Gaulle et lui ont, avec courage, oeuvré au rapprochement de nos deux peuples, faisant de l'Europe une réalité. Je pense que ces paroles ont gardé leur valeur pleine et entière. L'unité de l'Europe demeure un rêve, un espoir, une nécessité, une réalité.

C'est donc pour moi une joie, un honneur d'être ici, au Sénat français, aujourd'hui à votre invitation, Monsieur le Président, et je vous en remercie. Je suis heureux d'être venu à Paris en ma qualité de membre du Bundesrat allemand et d'un gouvernement allemand afin de vous présenter notre vision de l'intégration européenne.

Mon intervention s'articulera de la façon suivante. Après un bref tour d'horizon sur la situation actuelle de l'intégration européenne dans une perspective constitutionnelle, j'aborderai la question du rôle joué par les régions en Europe. Ensuite j'évoquerai le traité de Lisbonne, mais plus particulièrement le principe de subsidiarité et l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale allemande du 30 juin 2009 avant de conclure par quelques remarques sur les perspectives européennes.

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? Position de l'Union européenne en termes de droit constitutionnel

L'unification européenne a souvent été comparée à un vélo, pour citer les paroles bien connues de Jacques Delors : « L'Europe est comme un vélo : si elle n'avance pas, elle tombe ». Avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l'Europe a retrouvé un nouveau souffle. Les décideurs vont devoir maintenant apporter la preuve de leur capacité à diriger l'Europe. Mais, qu'est-ce qui fait l'Europe ? L'Union européenne, quelle sorte de structure est-ce donc ?

En Allemagne, un débat ne cesse de resurgir : l'Union européenne peut-elle se définir par des concepts classiques tels que État fédéral, confédération ou organisation internationale et comment ? Une chose est sûre, même après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, elle conserve les caractéristiques d'une confédération. Mais, parallèlement, elle est une structure autonome qui, en exerçant en partie et directement le pouvoir de l'État, (par exemple par la voie de règlements, sous forme de législation) présente concrètement les caractéristiques d'un État fédéral.

Dans son arrêt « Maastricht » du 12 octobre 1993, la Cour constitutionnelle fédérale a parlé d'une association d'États (Staatenverbund) visant à réaliser une union toujours plus étroite des peuples d'Europe. Selon cette formule, l'Union européenne est bien plus qu'un vague regroupement d'État souverains. Elle représente une alliance étroite au sein de laquelle les États membres et l'Union européenne se partagent la souveraineté. Dans l'arrêt « Lisbonne » du 30 juin 2009, la Cour constitutionnelle allemande parle pour la première fois d'une « association sur la base d'une union contractuelle d'États souverains ». Les juges de Karlsruhe ont certainement eu l'occasion de vous expliquer personnellement les spécificités de cette définition lors de votre visite à la Cour constitutionnelle.

Je me bornerai donc ici à des considérations générales. L'intégration européenne génère une construction de droit international d'une qualité inédite. Étant donné les défis communs auxquels nous sommes confrontés, une définition précise en matière de droit national est quelque peu secondaire. Selon moi, il est indispensable que nous ne perdions pas de vue l'avenir. Le Ministre Président de la Rhénanie du Nord-Westphalie l'a récemment résumé en ces termes : « Le grand objectif sur ce long chemin est, quant à moi, que la République fédérale d'Allemagne fasse partie intégrante des États-Unis d'Europe ».

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? Position des régions européennes - Avant et après le traité de Lisbonne

Ces différents concepts ; fédération, État fédéral, etc. précisent les rapports entre l'Union européenne et les États Membres. Par ailleurs, par le biais d'un processus d'intégration en place depuis maintenant plus d'un demi-siècle, une nouvelle dimension est apparue : l'Europe des régions.

La structure fédérale de l'Union européenne n'envisage pas uniquement les États Membres comme ses seuls interlocuteurs. Les régions elles aussi jouent un rôle et assument une responsabilité particulière pour le processus d'intégration européenne. Une de nos missions, à nous les régions, est de concrétiser, de rendre compréhensible et de faire passer le message d'une Union européenne plus proche des citoyens et pas seulement d'une Union agissant dans l'abstraction. L'importance des régions européennes n'a cessé de grandir. Leur rôle a pris de l'ampleur suivant l'évolution de la législation européenne. De modification d'un traité en modification, le niveau régional a été valorisé en droit communautaire. Et cela vaut également pour le niveau communal.

Et pourtant, le fait qu'il s'agisse de régions possédant des compétences législatives ou uniquement des compétences administratives et exécutives n'intervient guère. La compétence législative, celle qu'un Land allemand comme la Rhénanie du Nord-Westphalie exerce, est décisive essentiellement au niveau de la structure intérieure d'un État-nation. En Rhénanie du Nord-Westphalie, nous avons la chance de pouvoir participer de façon significative à la politique allemande. Le gouvernement de notre Land forme, de concert avec celui des 15 autres Länder allemands, la deuxième chambre parlementaire, le Bundesrat. La plupart des actes législatifs allemands requièrent l'approbation de cette assemblée pour entrer en vigueur. La commission de conciliation, composée de représentants de ces deux assemblées, intervient en cas de divergences entre le Bundestag et le Bundesrat. C'est ce qui sera le cas une fois de plus, ce soir, à Berlin.

Avant d'aborder plus en détail le principe de subsidiarité et son importance, essentiellement pour le niveau régional, je tiens ici à mettre au point un élément. Cette affirmation de l'autonomie régionale et locale comme expression de l'identité nationale, telle qu'elle est définie dans la première phrase du second paragraphe de l'article 4 du traité sur l'Union européenne, a doté les régions européennes d'une nouvelle dimension.

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? Principe de subsidiarité

Ce point correspond d'ailleurs au principe de subsidiarité qui n'est pas, comme vous le savez, une invention de l'intégration européenne. Principe formulé par Aristote et développé par Thomas d'Aquin, il a été largement repris dans la doctrine sociale de l'Église catholique, selon la formulation classique de l'encyclique « Quadragesimo anno » de 1931. Bien sûr, l'idée de la subsidiarité n'a pas seulement évolué dans la doctrine sociale de l'Église catholique. Elle fait maintenant partie intégrante de la pensée de la théorie de l'État et est indissociable de nos structures démocratiques.

L'application moderne du principe de subsidiarité dans le domaine des institutions repose sur une idée simple : l'échelon de la société le plus à même de mener à bien une tâche doit le faire - en supposant qu'il s'agit de l'échelon pertinent le plus proche des citoyens. L'échelon immédiatement supérieur, doit apporter son soutien, sans rien dicter. Je pense qu'il s'agit là d'un bon principe, un principe satisfaisant pour le citoyen. La personne doit être au coeur des préoccupations politiques, et non pas les procédures, les structures, les institutions, la bureaucratie.

Le principe de subsidiarité a été introduit dans le processus législatif européen par le traité de Maastricht et clairement renforcé par le traité de Lisbonne. Nous, les Länder allemands, y avons oeuvré avec une ferme volonté. En particulier, cet instrument qu'est le contrôle de subsidiarité va garantir le respect de la subsidiarité en Europe. Grâce à cet instrument, les différents échelons en-dessous de l'Union européenne, c'est-à-dire les États membres, mais aussi les régions, ont le droit de contrôler et, le cas échéant, de limiter l'extension des compétences de l'Union européenne au cas par cas à l'aune du principe de subsidiarité.

Ainsi donc, depuis le 1er décembre 2009, il est de notre ressort d'effectuer un contrôle de subsidiarité sous une forme institutionnelle. En Allemagne, le Bundesrat joue là un rôle déterminant. Au sens du traité de Lisbonne, le Bundesrat peut être considéré comme une deuxième chambre d'un parlement national et, en tant que tel, il bénéficie des droits que le traité de Lisbonne reconnaît aux parlements nationaux. Sa structure efficace lui permet d'effectuer ce contrôle de subsidiarité selon un schéma clairement établi : les projets de loi de l'Union européenne sont transmis aux gouvernements des Länder dès que le gouvernement fédéral les reçoit. Ils sont alors étudiés et analysés en détail. Les différents parlements des Länder sont impliqués dans ce processus qui aboutit à une question : ce projet de loi respecte-t-il le principe de subsidiarité ou non ? Ce processus, tel que je viens de le décrire, se déroule simultanément dans tous les 16 Länder et aboutit à une décision du Bundesrat. Nous n'avons pour ces procédures complexes pas plus de huit semaines, un véritable défi !

Et c'est justement au cours des premiers mois d'application de ce principe qu'il est essentiel d'effectuer ce contrôle avec la plus grande minutie. Cela vaut tout autant pour le Bundesrat que pour le Sénat français, et naturellement aussi pour les autres parlements nationaux de l'Union européenne. Il faut insister ici sur le fait que le contrôle de subsidiarité n'est pas un tigre édenté, une absurde procédure dilatoire du processus législatif. Nous devons démontrer que notre travail apporte une valeur ajoutée indéniable à la fixation de normes européennes. Lorsqu'un processus se met en marche, nous avons la possibilité d'y apporter notre empreinte. Nous devons faire un usage judicieux des droits que nous venons seulement d'acquérir. Ce n'est qu'ainsi qu'ils deviendront des habitudes à Bruxelles. Pour cette raison, il faut que nous prenions au sérieux ce précieux instrument qu'est le contrôle de subsidiarité.

Un instrument qui pèsera encore plus lourd si nous unissons nos forces. Non seulement l'Assemblée nationale et le Sénat, non seulement le Bundesrat et le Bundestag doivent se mettre d'accord et agir de concert. Un échange doit se développer par delà les frontières, un échange qui intensifiera notre influence. Et qui pourrait mieux et de façon plus crédible mettre en branle cet échange transfrontalier que le moteur franco-allemand, un moteur couronné de succès depuis des années. En effet, il sera difficile d'organiser cet échange, et il faudra effectuer un véritable travail de conviction si l'on veut établir ce contrôle de subsidiarité de telle sorte qu'il réussisse. Mais la démocratie, la transparence, la participation sont toujours difficiles ; le centralisme, le monopole du pouvoir, une action verticale sont plus faciles. Il faut que nous, Français et Allemands, oeuvrions de concert au développement de ce nouvel instrument et apportions la preuve concrète que la subsidiarité est le principe au coeur de l'unité dans la diversité, le principe même de l'unification européenne.

Ainsi c'est pour moi une grande satisfaction que vous ayez déjà par le passé effectué au Sénat ce contrôle de subsidiarité, et cela de manière exemplaire et avec une lucidité dont nous pourrions tirer un enseignement.

Je souhaiterais donc également que nos deux institutions restent en contact étroit et entretiennent cet échange. Des visites telles que celle d'aujourd'hui sont précieuses. Nous devons nous connaître en Europe, nouer et entretenir des contacts étroits. Je suis donc particulièrement heureux de votre invitation.

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? Arrêt de la Cour constitutionnelle

Permettez-moi ici de revenir brièvement sur l'arrêt de la Cour constitutionnelle allemande sur le traité de Lisbonne. Vous vous y êtes déjà intéressés en détail. Cet arrêt a fait l'effet d'un coup de tonnerre, et cela même si le traité de Lisbonne lui-même ainsi que la loi portant approbation ont été déclarés conformes à la Loi fondamentale.

Par-delà les obligations faites par la Cour au Bundestag et au Bundesrat, de nombreuses remarques peu aimables sur la légitimité du Parlement européen et sur l'avenir de l'Union ont suscité, à juste titre, la surprise, voire la critique.

Cela a toutefois déclenché un débat politique en Allemagne qui n'aurait pas été possible autrement. Je suis persuadé que l'intégration européenne joue aujourd'hui en Allemagne dans le ressenti public un bien plus grand rôle justement à cause de ce coup de tonnerre. Et c'est une bonne chose.

En ce qui concerne l'application de cet arrêt, le gouvernement fédéral et les Länder se sont mis d'accord en moins de deux mois sur le projet d'une nouvelle loi d'accompagnement, nous l'appelons Integrationsverantwortungsgesetz, c'est-à-dire la loi sur la responsabilité de l'intégration. Cela concerne également les autres lois rendues nécessaires dans ce contexte.

En résumé, selon moi, les points suivants sont déterminants :

- les exigences dépassant l'arrêt de la Cour constitutionnelle et susceptibles de porter préjudice à l'intégration européenne n'ont pas été mises en application,

- la perspective à long terme de l'Europe, à savoir une structure étatique supranationale, demeure, et,

- la capacité d'agir du gouvernement fédéral au sein du Conseil de l'Union européenne est garantie aussi dans l'avenir et l'Allemagne demeure un partenaire fiable au sein de l'Union européenne.

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? Notre regard sur l'Europe

Avec ces commentaires sur l'arrêt de la Cour constitutionnelle, j'ai montré clairement que l'intégration européenne n'est pas moins qu'un projet prenant des dimensions de droit constitutionnel. Et c'est justement pour cette raison que nous, Français comme Allemands, devons être des Européens de conviction. Nous savons maintenant que tous les grands défis, la crise économique mondiale, le changement climatique, le terrorisme, ne peuvent plus être gérés à un niveau national. Pour cela, nous avons besoin de l'Europe et de l'Union européenne. Il faut qu'elle avance. Ce n'est qu'ainsi que le progrès est possible en Europe. Nous ne pouvons pas nous permettre de rester sur place.

Si nous ne sommes pas capables de garantir le progrès de l'Europe, l'Union européenne va sombrer dans l'insignifiance. Et avec elle, ses États membres. Mais l'Europe est une réussite unique qui mobilise les forces et elle ne le permettra pas. Pendant des décennies, l'Europe de l'ouverture des marchés et des frontières nous a accordé paix, droit et liberté. Cette Europe des marchés et des frontières ouvertes a apporté une énorme amélioration du bien-être et de la qualité de vie. C'est le cas de la Convention de Schengen, du marché intérieur et de l'euro. Cette crise économique et financière montre de façon impressionnante que seul le modèle européen est à la fois synonyme de bon sens économique et de justice sociale, et même en ces temps si difficiles. Nous n'avons donc pas besoin de moins d'Europe, mais de plus d'Europe. Et c'est en ce sens que l'Allemagne s'engage en Europe.

En conclusion, notre engagement européen est surtout une orientation vers l'avenir. Je pense que pour beaucoup des plus âgés d'entre nous, l'intégration européenne est une évidence. Elle doit devenir une affaire de coeur pour la jeunesse. Et c'est notre devoir, à nous les femmes et les hommes engagés dans la politique et la société civile de nos pays et de nos régions, de faire passer ce message.

Nous devons donc continuer d'accompagner l'Europe sur cette bonne voie où elle se trouve déjà, j'en suis persuadé. Pour cela, il faut des idéaux que nous devons communiquer essentiellement aux jeunes Européens. Il me semble que ces idéaux européens se retrouvent de façon saisissante dans le cinquième tract de janvier 1943 du groupe de résistance « La Rose blanche ». En ce 27 janvier 2010 où, soixante-cinq ans après la libération du camp de concentration d'Auschwitz, nous commémorons la Shoah, permettez-moi de conclure par une citation de ce tract : « Liberté de parole, liberté de conviction, protection du citoyen contre les actes arbitraires d'États criminels, voilà les bases de la nouvelle Europe ».

M. Hubert Haenel. - Merci de vous être exprimé dans un aussi excellent français. Votre conviction européenne, on le sent, est profonde ; vous voulez vous adresser à la jeunesse, vous souhaitez « plus d'Europe », vous souhaitez faire vivre l'axe franco-allemand et en particulier la coopération entre le Bundesrat et le Sénat : voilà qui ne manque pas de susciter notre adhésion.

Lorsque nous insistons sur le contrôle de subsidiarité, ce n'est pas pour empêcher que l'Europe se construise : c'est pour qu'elle se construise mieux. Le contrôle de subsidiarité est un acquis de la Convention sur l'avenir de l'Europe, qui doit beaucoup à l'action de celui qui représentait le Bundesrat, mon voisin d'outre-Rhin, Erwin Teufel, avec lequel nous avons entretenu une étroite concertation. Nous devons poursuivre notre coopération. Un échange de fonctionnaires est en cours, et c'est une bonne chose, mais il faut aller plus loin pour parvenir à une information réciproque très rapide dès que nous nous interrogeons sur le respect du principe de subsidiarité.

Vous avez évoqué l'arrêt de la Cour de Karlsruhe : je ne crois pas, pour ma part, qu'il signifie que l'Allemagne devra cesser d'être à l'avant-garde de la construction européenne. Le message est plutôt que les avancées ne doivent plus se faire en catimini, qu'il y a une « responsabilité dans l'intégration » qui doit être pleinement assumée : les progrès de la construction européenne doivent résulter d'un choix pleinement démocratique, conscient et volontaire. Vous avez parlé d'un « coup de tonnerre », je dirai volontiers qu'il a des aspects salutaires.

M. Jacques Blanc. - Cette rencontre exprime une démarche nouvelle. Nous prenons acte du rôle d'une grande région dans la construction européenne. J'ai participé à la mise en place du Comité des régions dont j'ai été le premier président. Je crois qu'il est capital que des chambres comme le Sénat et le Bundesrat, mais aussi l'ensemble des régions par l'intermédiaire du Comité des régions, travaillent en commun et échangent des informations en vue d'une bonne application du principe de subsidiarité.

Naturellement, il y a de grandes différences dans le poids et le statut des régions selon les pays. Les Länder allemands ont des responsabilités sans commune mesure avec celles des régions françaises. Il existe plusieurs modèles : fédéralisme, autonomies régionales, décentralisation ...

Je voudrais évoquer l'avenir de la politique régionale. Le « non paper » de la Commission européenne qui envisageait de conserver seulement le fonds de cohésion et l'aide aux régions défavorisées a suscité de vives critiques, à mon avis justifiées. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Mme Bernadette Bourzai. - Je voudrais remercier M. Krautscheid pour son exposé sincère et convaincant. Je partage son espoir d'une relance de la construction européenne maintenant que le traité de Lisbonne est en vigueur.

Il existe effectivement de grandes différences entre le système fédéral allemand et le système français qui demeure largement centralisé. Nous sommes en plein débat sur notre organisation territoriale : il nous faudrait, à mon avis, des régions plus fortes.

Je partage l'interrogation de Jacques Blanc sur l'avenir de la politique régionale ; je voudrais l'étendre à l'avenir de la politique agricole commune, qui a une grande importance pour le maintien d'une activité dans les zones en altitude, comme c'est le cas pour une bonne partie du département que je représente.

Mme Colette Mélot. - Vos propos ont exprimé un engagement passionné pour l'Europe auquel je suis très sensible. Nous souhaitons que l'axe franco-allemand continue à jouer un rôle moteur dans la construction européenne. Malheureusement, en France, l'idée européenne n'a pas le même pouvoir mobilisateur qu'autrefois, notamment dans la jeunesse. La participation aux élections européennes diminue à chaque scrutin. On entend dire que l'Europe en fait trop. Je crois comme vous, au contraire, que nous avons besoin de plus d'Europe.

M. Hubert Haenel. - Je voudrais ajouter une question ponctuelle : dans l'accord de coalition qui est à la base de l'actuel gouvernement allemand, quelles sont les orientations retenues au sujet de la construction européenne, je pense par exemple au budget européen ?

M. Andreas Krautscheid. - En ce qui concerne tout d'abord le contrôle de subsidiarité, il faut concevoir l'information réciproque de manière à lui donner l'utilité maximale. Les procédures seront différentes d'un pays à l'autre, et c'est normal. Mais il faut s'efforcer de travailler sur les mêmes textes et d'avoir des critères communs. Ainsi, l'information réciproque sera facilitée et trouvera en même temps tout son intérêt. Il faut également que l'information sur les prises de position des uns et des autres soit très rapide.

J'en viens au rôle des régions. Nous sommes tous conscients qu'il existe des situations très différentes nées d'expériences historiques elles-mêmes très différentes. La France était déjà un État centralisé quand l'Allemagne était encore divisée en centaines de principautés. Il n'est pas étonnant qu'en Allemagne les régions aient un rôle plus important. Si nous pensons que les régions doivent être associées à la construction européenne, c'est parce que, à notre avis, l'Europe doit s'exprimer, se traduire par des résultats positifs dans les régions, des résultats que les citoyens peuvent constater. Il ne faut pas que la législation européenne paraisse imposée d'en haut, mais au contraire qu'elle paraisse concertée et répondant aux besoins. Nous souhaitons que le rôle du Comité des régions soit renforcé. Ses moyens administratifs ont été accrus, c'est bien, mais il faut lui donner une voix plus forte.

Il ne faut pas opposer le rôle des régions à celui des États. La Rhénanie du Nord-Westphalie a presque une « ambassade » à Bruxelles ; sa représentation comprend près de cinquante personnes chargées de veiller aux intérêts du Land. Nous avons à faire valoir dans certains cas des intérêts spécifiques. Par exemple, en matière d'énergie, notre Land compte de nombreuses centrales thermiques fonctionnant au charbon. C'est une situation que nous avons à faire prendre en compte lorsqu'on aborde les questions d'énergie. Mais nous ne sommes pas pour autant en contradiction avec l'Allemagne dans son ensemble.

Il faut une Europe plus lisible, plus compréhensible.

Je crois que nous ne devons pas être trop sceptiques sur l'intérêt des jeunes pour l'Europe. Lorsque nous avons invité les élèves du Land apprenant le français à participer à un séjour dans votre pays, nous avons eu 2 000 demandes et l'affaire n'a pas été facile à organiser ! En mars prochain, ce sont les élèves français qui viendront, ils sont certes moins nombreux, mais ils seront plus de 1 000, ce n'est pas peu ! Quand on discute avec ces élèves, on voit que, pour eux, l'Europe est une évidence, un acquis. Ce n'est plus une conquête. Certes, ils ne sont pas intéressés par les débats juridiques ou techniques. Mais ils voient dans l'Europe un espace de liberté, et ils savent très bien que ces libertés n'existent pas partout dans le monde.

L'avenir de la politique régionale sera pour moi une question prioritaire en 2010. Mon Land a bénéficié des fonds européens, nous souhaitons continuer à en bénéficier. Il est normal de donner priorité aux États et régions défavorisés, mais il est également essentiel d'orienter les fonds vers la recherche et les pôles d'excellence : cependant, pour cela, il faut se tourner vers les économies régionales pour que les progrès se traduisent par des créations d'emplois. Ainsi, les régions peuvent tirer profit de tous les types de programmes européens, dès lors qu'elles ont des partenaires dans le monde économique.

Il est clair que la politique agricole commune ne pourra avoir de moyens supplémentaires après 2013. L'accord de coalition en Allemagne prévoit un plafonnement pour la participation au budget européen. Il y aura une lutte pour se partager les fonds, comme c'est aussi le cas dans nos pays. La lutte contre la crise économique a conduit à augmenter la dette ; il va devenir nécessaire, maintenant, de faire des économies budgétaires. Les moyens disponibles dans le budget européen devront être utilisés au mieux, on ne pourra maintenir les dépenses favorisant la surproduction ; des coupes budgétaires seront nécessaires.

En ce qui concerne l'accord de coalition, il se trouve que les discussions ont eu lieu dans les locaux de notre représentation à Berlin. Elles ont été rapides - seulement trois semaines - et beaucoup d'observateurs ont estimé qu'il aurait fallu peut-être prendre plus de temps pour arriver à un texte plus précis !

Jeudi 28 janvier 2010

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Institutions européennes

Les priorités de la présidence espagnole de l'Union européenne
Audition de M. Francisco Villar,
ambassadeur d'Espagne en France

M. Hubert Haenel. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et d'être venu aujourd'hui jusqu'au Palais du Luxembourg. Notre commission a l'habitude, au début de chaque présidence tournante de l'Union, d'entendre l'ambassadeur du pays qui va exercer la présidence ainsi que notre ambassadeur dans ce pays. Le 9 décembre dernier, nous avons ainsi entendu Bruno Delaye, ambassadeur de France à Madrid. Votre audition constitue ainsi l'autre versant d'une même réalité qui est la présidence espagnole de l'Union européenne.

Pouvez-vous nous présenter les priorités de cette présidence qui s'inscrit dans un contexte particulier dans la mesure où elle coïncide avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, c'est-à-dire avec l'entrée en fonction du président du Conseil européen, de la Haute représentante et de toutes les modifications institutionnelles qui les accompagnent ? La présidence espagnole se caractérisera donc d'abord par des priorités et des projets. Mais aussi par une pratique nouvelle des institutions.

Nous aimerions connaître à cet égard votre sentiment.

M. Francisco Villar. - C'est un grand honneur et un plaisir de présenter les lignes générales de la présidence espagnole de l'Union Européenne devant la commission des affaires européennes du Sénat, toujours active et attentive aux grands sujets de l'Union Européenne, et plus encore maintenant que les parlements nationaux sont appelés à jouer un rôle plus important dans la formulation et la mise en oeuvre des politiques européennes.

L'Espagne assume pour la quatrième fois la présidence de l'Union mais les circonstances actuelles confèrent à notre présidence une responsabilité particulière. D'une part, le contexte de grave crise économique et sociale, premier grand défi à relever. D'autre part, la nécessité de piloter la transition du traité de Nice au traité de Lisbonne qui, avec ses nouvelles institutions et instruments, peut et doit favoriser l'impulsion stratégique dont l'Union Européenne a besoin.

Dans cette perspective, l'Espagne s'appuiera sur le précieux précédent de la présidence française du second semestre 2008, qui a su faire face avec efficacité et détermination à de graves crises internationales et a fait les premiers pas pour affronter de façon concertée la crise financière et économique. La présidence espagnole a, par ailleurs, comme référence un ambitieux programme concerté avec la Belgique et la Hongrie, actuel trio de présidences, qui, nous l'espérons, contribuera à donner une plus grande continuité et cohérence à notre action.

Je souhaite également souligner le soutien que l'Union Européenne suscite auprès de l'opinion publique espagnole, traditionnellement très pro-européenne, ainsi qu'auprès de l'ensemble des forces politiques, qui ont exprimé au mois de novembre dernier aux Cortes leur soutien au programme de la présidence.

Je dois souligner aussi la ferme volonté du gouvernement français de collaborer avec la présidence espagnole, déjà exprimée dans la déclaration conjointe signée par le Président de la République et le Président du gouvernement espagnol au mois d'avril dernier, à l'occasion du dernier sommet hispano-français. Elle reflète clairement la communauté d'intérêts et la convergence entre nos deux pays en ce qui concerne le processus de construction européenne.

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On a beaucoup parlé des longues années de débat institutionnel dans lequel l'Union Européenne a été plongée, souvent face à l'indifférence, voire l'incompréhension, de nos opinions publiques. Avec la ratification et l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne s'achève une longue période d'incertitude et nous entrons dans une nouvelle étape où doit primer une vision plus politique de la construction européenne, une plus grande concertation économique et où le rôle de l'Union dans le monde doit être renforcé, sans oublier celui qui doit être le principal objectif de notre action : nos citoyens.

Nous comptons maintenant avec de nouvelles institutions et un cadre juridique renforcé que nous devons appliquer avec détermination et rigueur. Celle-ci sera, précisément, l'une des priorités de notre présidence : l'application pleine et effective du traité de Lisbonne. À cet effet et comme nous en avons déjà fait la preuve au début de notre présidence, le gouvernement espagnol collaborera de façon étroite et loyale avec le Président stable du Conseil et avec la Haute représentante avec pour objectif la consolidation, la visibilité et le déploiement de tout le potentiel de ces deux nouvelles figures institutionnelles.

Nous favoriserons aussi la mise en oeuvre des dispositions du traité, surtout en ce qui concerne deux de ses grandes nouveautés : la création du Service européen d'action extérieure et la mise en pratique du droit à l'initiative législative populaire. Les deux questions ont déjà fait l'objet de premiers débats à l'occasion de la récente réunion informelle des ministres des affaires européennes, qui a eu lieu à Ségovie, et nous espérons pouvoir avancer dans ces domaines tout au long de notre présidence.

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Bien entendu, ce processus institutionnel ne doit pas nous dévier de la priorité la plus pressante de notre présidence : celle de favoriser et consolider la reprise économique en Europe et de lancer une nouvelle stratégie qui assure une croissance durable d'ici à l'année 2020. Dans cette perspective, l'Espagne continuera de donner la priorité au renforcement de la coordination des politiques économiques et à la concertation d'une véritable gouvernance économique de l'Union en faveur de la reprise et de la création d'emploi de qualité en sorte de pouvoir relever les trois principaux défis auxquels nous devons faire face : l'impact de la globalisation, le changement climatique et le nécessaire renforcement de notre modèle social. Nous devons affronter le défi de la globalisation et la dure concurrence avec les pays émergents en misant clairement sur l'innovation et en promouvant les secteurs de production de haute technologie et ayant une forte composante en Recherche et Développement. Quant à la lutte contre le changement climatique, l'Union européenne doit consolider son leadership dans ce domaine, en stimulant la transition vers une économie à faible émission de carbone, avec le potentiel en innovation et création d'emploi de qualité que cela implique. Le troisième défi, de caractère social, nous amène à la nécessité d'encourager l'insertion et la cohésion sociale, à travers l'Agenda Social Renouvelé.

Ce sont précisément ces trois défis, économique, environnemental et social, qui définiront la nouvelle stratégie, objet du prochain Conseil européen extraordinaire du 11 février convoqué par le Président van Rompuy et du Conseil européen de la fin du mois de mars. Nous espérons qu'elle sera approuvée en juin, à l'occasion du dernier Conseil européen de la période de la présidence espagnole. Le but est que la nouvelle stratégie, partant de l'expérience peu fructueuse de celle de Lisbonne, se dote d'un mécanisme de gouvernance souple et opérationnel, définisse des objectifs quantitatifs clairs et, dans la mesure du possible, fixe des marges d'exigibilité. Évidemment, il s'agira là d'un exercice pour lequel nous devrons compter avec un large consensus et qui, à partir des propositions que formulera la Commission européenne, devrait susciter une réflexion la plus vaste possible et impliquer tous les interlocuteurs sociaux.

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Le nouveau cadre institutionnel du traité de Lisbonne devrait permettre aussi à l'Union européenne d'exercer une influence et de jouer un rôle plus important sur la scène internationale. Celle-ci sera notre troisième priorité : renforcer le rôle de l'Union européenne comme acteur global sur la scène internationale. Il ne s'agira pas uniquement des questions abordées lors des 14 sommets bilatéraux ou multilatéraux avec des pays tiers qui auront lieu pendant ce semestre mais de bien plus. Il s'agit d'utiliser le traité et les nouvelles figures de Président du Conseil et de Haute représentante pour avancer dans la définition et la mise en oeuvre d'une authentique politique extérieure et de sécurité et d'une politique de défense commune, qui tienne compte de notre poids comme acteur dynamique de stabilité et de progrès. En toute logique, la mise en marche du Service européen d'action extérieure supposera un pas important dans cette direction.

Comme je l'ai souligné, 14 sommets avec des pays tiers sont prévus pour le semestre en cours, dont certains de grande envergure comme le régional UE-ALC, celui de l'UPM et les bilatéraux avec les États-Unis et la Russie. Je n'aborderai que certains de leurs aspects.

Indépendamment des relations étroites dans tous les domaines entre l'Amérique latine et l'Espagne, nous pensons qu'il est indispensable de doter d'une plus grande entité politique et de plus de contenus les relations entre l'Union européenne et cette région. Dans cette perspective, nous consacrerons le sommet à la coopération en matière d'innovation, de développement durable et d'insertion sociale et nous mettrons en marche un mécanisme qui facilite les investissements dans la région. Nous souhaiterions également avancer vers un accord d'association avec l'Amérique centrale et obtenir la signature d'accords commerciaux avec le Pérou et la Colombie, ainsi que réactiver les négociations avec le Mercosur.

Nous accordons aussi une grande importance au sommet de l'UPM, qui aura lieu en juin à Barcelone. Nous espérons que le Sommet sera celui de la confirmation de cet ambitieux processus, de la réactivation de ses projets et de la consolidation institutionnelle en marche.

Nous nous proposons de situer également les relations entre l'Union européenne et les États-Unis au niveau que requièrent les défis actuels. Des facteurs positifs jouent en notre faveur comme la meilleure disposition de l'administration américaine, la collaboration pendant l'actuelle crise économique et une plus grande perception des défis globaux communs. Nous pensons qu'il nous faudra exploiter le large champ de concertation existant, à l'occasion du sommet prévu en mai.

De la même manière, nous pensons que l'Union européenne doit promouvoir une relation plus stable et intense avec la Russie, à travers un réseau d'accords qui instaurent la confiance et contribuent à mieux intégrer ce pays comme acteur fiable et constructif de l'ordre international. Nous nous efforcerons pour que le sommet avec la Russie, qui aura lieu au printemps, obtienne des avancées significatives sur des sujets-clés comme l'énergie, la sécurité ou la mobilité.

Dans le domaine européen, nous continuerons de développer le Partenariat oriental et nous poursuivrons nos efforts pour promouvoir la stabilité dans les Balkans occidentaux, ainsi que les perspectives d'adhésion à l'Union européenne. Nous prêterons, par ailleurs, attention aux processus d'adhésion en cours, afin qu'ils continuent d'avancer à mesure que seront remplies les conditions requises.

Enfin, l'action extérieure de l'Union européenne ne peut se comprendre sans l'expression d'une profonde solidarité à l'égard des plus défavorisés. Pendant notre présidence, nous veillerons à tenir nos engagements internationaux dans la lutte contre la faim et la pauvreté, avec en vue le respect des Objectifs du Millénaire. Le drame que vit actuellement Haïti nous renforce dans cette action.

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La quatrième priorité de la présidence espagnole de l'Union européenne aspire à ce que le renforcement politique et économique de l'Union corresponde avec un renforcement de la citoyenneté européenne. L'Espagne veut, pendant sa présidence, approfondir ce concept en dotant les européens de plus de droits fondés sur les valeurs d'égalité, de liberté et de solidarité.

Dans le domaine de l'égalité, nous ferons en sorte que ce principe inspire aussi l'action de la présidence, en particulier en ce qui concerne l'égalité entre les hommes et les femmes. La présidence espagnole a l'intention de présenter des propositions dans ce domaine afin de freiner la violence de genre, comme la création d'un observatoire européen ou la réflexion sur la possibilité d'établir un mandat européen de protection des victimes.

En ce qui concerne l'Espace de liberté, de sécurité et de justice, nous espérons que le Plan d'action 2010-2014 du Programme de Stockholm récemment approuvé sera rapidement élaboré. Il situe le citoyen au centre de l'action de l'Union et a pour objectif d'approfondir le domaine des droits et des libertés. Quelques exemples : la protection accrue des victimes les plus vulnérables, le renforcement de l'espace judiciaire européen, une plus grande harmonisation dans le domaine civil, par exemple en matière de succession, l'amélioration de l'assistance consulaire, une plus grande coordination en matière de protection civile, etc. Dans ce domaine, l'Espagne encouragera la définition d'une Stratégie européenne de sécurité intérieure, cohérente et efficace, et qui réponde aux préoccupations des citoyens.

En matière d'immigration et d'asile, partie intégrante du Programme de Stockholm, nous procéderons à la consolidation et l'application du Pacte européen d'immigration et d'asile, qui a été, sans aucun doute, l'un des succès de la présidence française, avec la contribution très active de l'Espagne. Nous pensons que le phénomène complexe de l'immigration ne peut être abordé que d'un point de vue concerté avec les pays d'origine et de transit, en luttant avec fermeté contre les réseaux d'immigration illégale, en nous efforçant de favoriser l'intégration des immigrés légaux et en renforçant notre coopération pour le développement. Dans la mise en oeuvre du Pacte, l'Espagne tentera d'avancer dans l'action commune en matière d'asile, dans l'adoption de mesures relatives au problème des mineurs non accompagnés et dans la gestion intégrale des frontières, en renforçant les moyens matériels et humains de Frontex.

En ce qui concerne la solidarité, nous nous efforcerons de donner la priorité à la coopération dans le cadre de l'agenda RELEX, en maintenant l'engagement de 0,56 % du PIB à l'Aide officielle au développement, avec l'objectif d'avancer dans la concrétisation des Objectifs du Millénaire (ODM). Nous mettrons tous les moyens à notre portée afin d'éviter que la situation actuelle de crise internationale ne mette en danger cet acquis.

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Permettez-moi de conclure, mesdames et messieurs les Sénateurs :

Après plus de 15 ans de débats institutionnels, l'Union européenne se trouve confrontée à un moment crucial. Elle a l'opportunité et les moyens de dépasser la crise actuelle et de sortir de cette dernière renforcée, de centrer son action sur les politiques qui intéressent nos citoyens et d'aspirer à être un acteur global dans un monde multipolaire.

On a beaucoup parlé du manque d'instruments de l'Union européenne pour développer son action de façon efficace. Enfin, l'Union s'est dotée de ces instruments. Mais cela n'est pas suffisant : il faut aussi et surtout de la volonté politique de la part des États membres. Je peux vous assurer que l'Espagne, pays à vocation clairement européenne, fermement engagée dans la construction d'une Europe politique, efficace, une Europe des valeurs et des citoyens, va mettre toute sa volonté et son enthousiasme dans cette présidence au cours de cette nouvelle étape que nous venons d'entreprendre.

M. Hubert Haenel. - Voilà une feuille de route très détaillée. Il y a de la substance. Je regardais le Président Badinter, nous avons parfois des doutes, lui comme moi, à propos du programme de Stockholm.

M. Simon Sutour. - Je souhaiterais aborder trois points. En premier lieu, je voudrais connaître votre sentiment sur la mise en oeuvre du traité de Lisbonne, notamment en ce qui concerne les rapports de la présidence tournante avec le président stable du Conseil européen et la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Nous avons l'impression que votre présidence s'annonce très bien. En revanche, nous sommes moins convaincus jusque-là par le rôle de Mme Ashton. Je pense, pour ma part, qu'il aurait été utile qu'elle se rende en Haïti ou à la conférence de Montréal.

En second lieu, pourriez-vous nous donner des éléments sur la situation en Catalogne à propos de la décision très attendue de la Cour suprême sur le nouveau statut d'autonomie ?

Enfin, je voudrais aborder la problématique de la cohésion territoriale, sur laquelle je suis en train de travailler avec mon collègue Yann Gaillard. Cette question est liée à la révision des perspectives financières post-2013. Les discussions commenceront dès cette année. Quel est le point de vue de votre pays sur cette question en tant que présidence de l'Union, mais aussi en tant que pays membre ? Je ne vous cache pas que nous sommes très inquiets sur les perspectives d'avenir des fonds structurels européens, à la suite du document de travail de la Commission européenne sur la réforme du budget, qui prévoyait la suppression de l'objectif 2 de la politique régionale. Autrement dit, seuls les départements d'Outre-mer seraient encore éligibles aux fonds structurels pour la France.

Mme Monique Papon. - Je note avec satisfaction les propos que vous avez tenus sur l'enthousiasme et la volonté de la présidence espagnole de faire avancer les grands dossiers européens. Le sentiment européen au sein de la population espagnole est-il toujours aussi vivace ? La crise économique a-t-elle eu des conséquences à cet égard ?

Je voudrais également vous interroger sur l'articulation qui pourra se faire entre les fonctions traditionnelles de la présidence tournante de l'Union européenne et les nouvelles missions confiées au président stable.

Enfin, vous avez évoqué les nombreux sommets internationaux qui auront lieu sous votre présidence. Cuba figure-t-il à l'agenda ?

M. Jean-Pierre Bel. - Je voudrais rendre hommage à votre qualité d'écoute, que j'ai pu apprécier en tant que président du groupe d'amitié France-Espagne. Dans le contexte de la crise, on fait régulièrement des comparaisons entre la France et ses voisins, notamment l'Espagne. Or, je constate, tout en le regrettant, que l'Espagne connaît actuellement de très grandes difficultés économiques, et qu'elle n'est pas encore sortie de la crise. Pourriez-vous nous donner des explications sur la situation économique particulière de votre pays ?

M. Alain Gournac. - Je ferai trois commentaires. Tout d'abord, vous avez raison, il faut profiter des spécificités et de l'histoire de chaque pays. De ce point de vue, votre présidence a tout à fait raison d'accorder une importance particulière à l'Amérique latine, région avec laquelle votre pays entretient des contacts privilégiés.

Ensuite, je crois qu'il faut absolument qu'on évolue au niveau de l'immigration illégale, puisque votre pays est très touché par ce phénomène. La France commence à être concernée, comme on a pu le constater il y a quelques jours encore en Corse. Nous devons donc encore progresser dans ce domaine.

Enfin, il me semble que nous nous sommes montrés incapables jusqu'ici de présenter les bénéfices de l'Europe à nos citoyens, pour qui celle-ci reste trop lointaine, bureaucratique et complexe. Nous devrions faire des efforts de pédagogie pour expliquer à chaque citoyen l'acquis unique de la construction européenne.

M. Jacques Blanc. - Je constate avec bonheur que l'Espagne n'a pas perdu la flamme européenne. C'est l'un des pays qui reste porteur d'une ambition européenne dans la population, plus que chez nous. Je me souviens des craintes de nos agriculteurs à l'époque de l'adhésion de votre pays à l'Union européenne. Aujourd'hui, je constate que c'est l'inverse : ceux-ci comptent sur le soutien de leurs voisins espagnols.

Le sommet de juin de l'Union pour la Méditerranée devrait marquer une nouvelle étape de ce grand projet. Les réunions ministérielles prévues pourront-elles se tenir, et le secrétariat général sera-t-il installé à Barcelone où l'Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne, ARLEM, a d'ailleurs tenu sa session inaugurale la semaine dernière ? J'aimerais également savoir ce que vous pensez des perspectives de déblocage de l'Union pour la Méditerranée.

Enfin, je m'interroge sur l'avenir de la politique régionale. Quelle est la position de l'Espagne à cet égard ? En outre, je souhaiterais connaître la position de votre pays sur le maintien, à terme, d'une politique agricole commune rénovée, dans le contexte de débats qui s'annoncent très difficiles.

M. Robert Badinter. - Quelle sera l'action de la présidence espagnole au regard de l'espace judiciaire européen, et en particulier de la création d'un parquet européen ? Le traité de Lisbonne facilite les conditions d'une telle création. Tant qu'il n'existera pas un tel parquet, nous ne pourrons espérer lutter efficacement contre la criminalité organisée sous toutes ces formes. Celle-ci est transeuropéenne et transnationale. Elle appelle donc une action transeuropéenne. Eurojust ne suffit pas. Quand franchirons-nous ce pas ? La présidence espagnole compte-t-elle prendre des initiatives en ce sens ?

Mme Christiane Kammermann. - Je voudrais savoir où en est la francophonie en Espagne, et notamment l'enseignement du français par rapport à l'anglais ? Est-il atteint comme dans beaucoup d'autres pays où, malheureusement pour nous, l'anglais a souvent pris la place du français ?

Ensuite, je souhaiterais savoir quelles sont les conséquences sociales de la crise économique dans votre pays ?

M. Francisco Villar. - Sur la mise en oeuvre du traité de Lisbonne et l'articulation de la présidence tournante avec les nouvelles autorités de l'Union européenne, je pense qu'il nous faudra être patients, car nous ne sommes qu'au tout début du processus. Nous sommes actuellement dans une phase de transition, une phase de rodage des nouvelles institutions. Les relations entre la présidence espagnole et le président du Conseil européen sont bonnes, contrairement à ce que l'on a pu lire dans la presse. M. Zapatero a rencontré M. Van Rompuy à plusieurs reprises, et ils se sont mis d'accord sur la distribution du travail. Ils se consultent régulièrement. M. Van Rompuy est un homme discret, efficace et habile, spécialiste du consensus, comme il l'a montré dans son pays, dans des circonstances plutôt difficiles. Il a d'ores et déjà pris une décision importante en convoquant un Conseil européen extraordinaire le 11 février prochain, qui sera consacré à la réponse à la crise économique, sociale et environnementale et au lancement de la stratégie de l'Union européenne pour 2020. À cet égard, M. Zapatero a proposé de réfléchir sur l'opportunité et la possibilité d'introduire des mesures correctives, au-delà des mesures incitatives, afin de renforcer l'efficacité de la stratégie, ce qui a provoqué des remous dans certains pays. Quoi qu'il en soit, le président stable devra s'appuyer sur la présidence tournante espagnole pour la préparation des sommets avec les pays tiers et pour celle des Conseils européens, car il dispose d'une équipe limitée. Il a été convenu entre M. Zapatero et M. Van Rompuy que ce dernier présiderait tous les sommets avec les pays tiers, y compris ceux qui se tiendront en Espagne.

Mme Ashton est une personnalité plus controversée que M. Van Rompuy. Il faut aussi lui laisser du temps. Elle n'a pas encore la plénitude de ses moyens, en l'absence du Service européen d'action extérieure. La coopération avec notre présidence fonctionne bien. On a organisé avec elle une réunion de coordination à Bruxelles sur la situation en Haïti. Il me semble que les difficultés pourraient davantage venir de la coordination interne à la Commission européenne, avec les autres commissaires exerçant des compétences en matière des relations extérieures, qu'avec la présidence tournante.

Sur la Catalogne, la décision de la Cour constitutionnelle relative au nouveau statut d'autonomie est toujours attendue et pourrait être rendue d'ici quelques semaines. Je rappelle que le recours a été déposé, il y a trois ans, par d'autres régions et le parti de l'opposition sur une centaine d'articles. C'est une question très complexe et délicate. Il faudra une majorité claire de la part de la Cour. Il paraît que des réflexions ont actuellement lieu entre les juges pour obtenir une majorité claire sur les points les plus difficiles. Il ne faudrait pas que la décision sanctionne de trop nombreux articles du statut, car cela serait très difficile à gérer politiquement, étant donné que celui-ci, corrigé par le Parlement national, « les Cortes », a ensuite été adopté par le parlement catalan puis approuvé par référendum par la population catalane. Il s'agit donc d'une question juridique qui pourrait avoir des conséquences politiques compliquées.

En ce qui concerne la cohésion territoriale et la politique régionale, l'Espagne était également très inquiète sur les rumeurs qui ont circulé par rapport au non-papier de la Commission européenne. Notre pays est clairement favorable au maintien de la politique régionale. Le fonds de cohésion en particulier a contribué au développement du pays de façon déterminante. Nous croyons fermement que la question de la cohésion est essentielle pour l'avenir de l'Union. Car comment peut-on parler d'unité si nos pays et nos territoires sont divisés par des inégalités de développement ?

Nous sommes également en faveur du maintien de la politique agricole commune, qu'il faudra moderniser. L'agriculture n'est pas seulement une question économique. Elle a des implications environnementales, sociales, de sécurité alimentaire et sanitaire fondamentales.

Le sentiment pro-européen se maintient au sein de la classe politique espagnole et de façon majoritaire au sein de la population, si l'on en croit le dernier Eurobaromètre. En revanche, ce sentiment diminue parmi les jeunes. Pour eux, la construction communautaire est un acquis, ils n'ont pas connu la guerre et le franquisme et ne réalisent pas le bénéfice apporté par l'Europe. Il faudrait certainement faire des efforts de communication à ce sujet, pour présenter les réalisations de l'Europe dans les différents domaines. Mais cela est difficile. Nous profiterons donc de ces six mois de présidence pour faire de la pédagogie auprès de nos citoyens.

Dans le cadre du sommet avec l'Amérique latine et les Caraïbes, qui sera une échéance importante, il y aura un certain nombre de rencontres bilatérales ; en particulier, le premier sommet bilatéral entre l'Union européenne et le Mexique. En revanche, Cuba ne figure pas pour le moment à notre agenda. Avec Cuba, nous avons essayé toutes les politiques, du dialogue aux sanctions, mais aucune n'a donné les résultats escomptés. Il s'agit d'une question délicate, et nous nous efforçons de faire évoluer les relations entre l'Union européenne et ce pays. Nous devrions à cet égard nuancer notre position commune. Cuba est actuellement dans une difficile phase de pré-transition. Je pense que tant que l'ombre de Fidel Castro planera sur le pays, on pourra difficilement envisager une évolution vers la démocratie et les droits de l'Homme. Au sein de l'Union, certains pays se montrent réticents à toute ouverture. Nous resterons donc prudents sur ce dossier au cours de notre présidence.

Sur la situation économique en Espagne, la crise nous a frappés de plein fouet. Mais nous avons davantage souffert de la crise économique et sociale que de la crise financière, du fait de la relative solidité de notre système bancaire et financier. Nous avons cependant un problème avec les caisses d'épargne. Vous le savez, le problème majeur en Espagne est le taux de chômage, en partie structurel. Même pendant la décennie de très forte croissante économique, notre taux de chômage se situait à un niveau plus élevé que le taux moyen de la zone euro. Cela s'explique notamment par l'immigration, mais aussi par une arrivée massive et plus tardive que dans d'autres pays des femmes sur le marché du travail. En outre, les chiffres du chômage espagnol ont toujours été majorés, car l'économie souterraine augmente beaucoup en période de récession. Cela n'a pas la même importance qu'en d'autres pays européens, mais c'est un phénomène non négligeable.

Comment expliquer cette mauvaise situation économique ? Notre modèle économique nous a permis de bénéficier d'une forte croissance pendant plus de dix ans, mais il reposait sur des bases fragiles. En effet, ce modèle était fondé sur la construction immobilière, qui s'est effondrée. En conséquence, les travailleurs précaires de l'immobilier ont été licenciés, ce qui explique en partie la situation. Néanmoins, une reprise semble s'amorcer. Nous devrions donc saisir l'opportunité de la crise pour adopter un nouveau modèle de croissance, reposant sur des bases plus solides. Cela prendra du temps. Nous nous sommes engagés dans un effort important d'investissement dans les énergies renouvelables et la recherche et développement. Nous avons ainsi doublé voire triplé nos investissements publics dans ces secteurs stratégiques. En revanche, les investissements du secteur privé dans ces domaines sont encore très insuffisants. L'Espagne est le dernier pays de la zone euro à être entré en récession et sera probablement le dernier à en sortir, peut-être cette année, mais avec une croissance très faible. Donc il faudra plutôt attendre 2011 pour la reprise.

L'immigration s'est avérée un phénomène complexe et spectaculaire en Espagne, qui fut pendant des siècles un pays d'émigration. En quelques années seulement, nous sommes devenus une terre d'immigration, avec plus de 5 millions de migrants sur une population de 47 millions d'habitants. Les immigrants s'intègrent plutôt bien, et sont perçus positivement du point de vue économique et démographique, car ils ont contribué à l'augmentation du taux de natalité. Nous devons adopter une approche européenne globale. L'Espagne s'est d'ailleurs beaucoup mobilisée pour l'adoption du pacte européen sur l'immigration et l'asile. Cette démarche collective est nécessaire pour lutter contre les trafics, organiser l'intégration de l'immigration légale, l'aide au développement, ou encore la coopération avec les pays d'origine et de transit.

Sur l'Union pour la Méditerranée, nous travaillons sur le sommet du 10 juin. Malgré quelques difficultés, la présidence espagnole est confiante. Nous sommes enfin sortis de l'impasse sur la nomination du Secrétaire général, qui doit être confirmée par les ministres par la procédure du silence. En revanche, la nomination des secrétaires généraux adjoints reste bloquée du fait des divisions entre la Turquie et Chypre. Nous espérons que cet obstacle pourra être surmonté avant le sommet. Il n'y a pas de problème du point de vue des réunions sectorielles. Mais les ministres des affaires étrangères des pays arabes refusent de participer aux réunions car ils ne veulent pas siéger aux côtés du ministre israélien, Avigdor Lieberman. Heureusement, des formats informels nous permettent de travailler et d'avancer, comme l'a démontré la récente réunion du Caire. Je vous confirme que Barcelone est prête à accueillir le Secrétariat général de l'UPM dans des locaux magnifiques.

Sur l'espace judiciaire, je suis tout à fait d'accord avec M. Badinter, et l'Espagne est en faveur d'un parquet européen. Je pense que, dans ce domaine, si nous voulons être ambitieux, il nous faudra sans doute avancer par petits groupes avant d'arriver à un consensus général, sous la forme de coopérations renforcées, formelles ou informelles. A cet égard, la coopération franco-espagnole dans le domaine judiciaire et policier est exemplaire. Il existe par exemple des équipes communes d'enquête et d'autres instruments très développés qui permettent d'atteindre des résultats très positifs dans la lutte contre le terrorisme de l'ETA ou islamiste. Il existe un centre de coordination de lutte anti-terroriste en Espagne, que nous allons ouvrir à tous les États membres, dans le but de créer l'embryon d'un centre de coordination européen de lutte anti-terroriste. Nous devons travailler entre pays européens pour lutter contre la criminalité organisée. L'Espagne travaille aussi avec le Maroc sur cette question. Quoi qu'il en soit, la présidence espagnole s'efforcera de faire avancer ce dossier dans la mesure du possible.

Sur la place du français en Espagne, j'ai le regret de constater que la situation est préoccupante, bien que nous soyons voisins. Alors que ma génération étudiait systématiquement le français, l'anglais étant alors une langue « exotique », la situation est inversée aujourd'hui. Il faudrait introduire l'apprentissage obligatoire d'une seconde langue étrangère, mais cela coûterait très cher. En outre, l'enseignement des langues régionales est obligatoire en Espagne, ce qui ne facilite pas l'apprentissage de plusieurs langues étrangères.

M. Jean-Pierre Bel. - Cela marche un peu dans les deux sens. Ainsi, ma fille, qui est professeur de français en Espagne, a été obligée de passer deux ans à apprendre le catalan pour pouvoir enseigner à Barcelone. Cela complique les choses.

M. Alain Gournac. - Je constate avec regret dans ma région l'arrêt d'un jumelage entre un lycée français et un lycée espagnol, car la partie espagnole a décidé de retirer ses professeurs. C'est dommage, car cela se traduit par un recul de l'apprentissage de la langue espagnole.

M. Jacques Blanc. - J'aimerais savoir où en est, en Espagne, le projet de TGV qui doit relier la France et l'Espagne. Celui-ci devait être opérationnel en 2004, mais les travaux ont pris beaucoup de retard.

M. Francisco Villar. - La ligne de TGV sera bientôt opérationnelle du côté catalan. Il reste cependant à construire le tronçon entre Figueras et Barcelone, dont le retard est dû aux délais irréalistes du projet initial et à la volonté des forces politiques catalanes de faire passer la ligne dans Barcelone et dans Gérone, plutôt que de les contourner. Cela coûte beaucoup plus cher et c'est aussi bien plus compliqué. Mais on travaille actuellement à une solution provisoire.

M. Hubert Haenel. - Monsieur l'ambassadeur, nous vous remercions pour toutes les précisions que vous nous avez apportées sur les priorités de la présidence espagnole de l'Union européenne, ainsi que pour les clés de compréhension que vous nous avez données pour mieux apprécier encore votre pays.