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Mardi 1er décembre 2009
- Présidence de M. Hubert Haenel -Transports
Eurovignette (texte E 3911)
et Systèmes de
transport intelligents (texte E 4200)
Communication de M.
Roland Ries
M. Roland Ries. - Notre commission est appelée à se prononcer sur deux propositions de directives qui concernent le secteur routier. La première est une modification de « l'Eurovignette », c'est-à-dire un dispositif de taxation et de redevances spécifiques aux poids lourds. La seconde traite des systèmes de transport intelligents, les STI, autrement dit l'informatique embarquée dans les véhicules.
Ces deux textes pouvaient être traités sous la forme habituelle de la procédure écrite, mais j'ai considéré qu'ils avaient des prolongements politiques qui méritaient d'être évoqués en commission.
Le cadre général, les fondements et les objectifs poursuivis sont communs aux deux propositions. Le but est de réduire l'impact environnemental du secteur routier, responsable d'un quart des émissions de CO2 en Europe.
Deux moyens sont présentés ici par la Commission européenne : la taxation et la technologie. Je vous propose un examen séparé de ces deux textes, avec dans les deux cas, une présentation sommaire avant une analyse de leurs conséquences politiques.
I - L'Eurovignette
A. Présentation
L'Eurovignette est l'appellation courante et un peu trompeuse de la « taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures ». Le mot de taxation doit être pris au sens large et fait abstraction de la distinction française entre impôts - sans contrepartie identifiée - et redevance - pour usage d'un bien ou d'un service. En fait, dans le dispositif européen, il y a les deux.
Le système d'Eurovignette est à deux volets. Il consiste à fixer des taux minimum de taxes appliquées aux poids lourds et des tarifs maximum appliqués aux péages. Ainsi, le véhicule est taxé avec un taux minimum, et le paiement pour l'usage d'infrastructure est encadré par un tarif maximum.
Le présent projet d'Eurovignette concerne le seul volet « péages », la partie fiscalité étant supposée réglée par les deux versions antérieures de 1999 et 2006.
L'Eurovignette I de 1993 et 1999 a été créée dans le but d'améliorer le trafic intérieur, d'éliminer les distorsions de concurrence. C'est elle qui posa le principe d'une taxation minimale et le principe de péages, alors conçus comme un moyen de faire payer les coûts d'usages des infrastructures.
L'Eurovignette II de 2006 introduit le concept de pollueur-payeur. Le péage n'est plus conçu seulement comme un coût d'utilisation de l'infrastructure mais comme un moyen de compenser les coûts externes du transport de marchandises. L'usage de la route induit en effet ce que les économistes appellent des externalités, parmi lesquelles la pollution, le bruit, les accidents... L'Eurovignette II permet aux États d'établir les péages en prenant en compte ces nuisances. Cette possibilité ne serait en réalité appliquée que dans trois États : Autriche, Allemagne et République tchèque.
La présente proposition Eurovignette III apporte trois modifications.
D'une part, elle prévoit la création d'une sorte de « péage vert ». Les redevances payées par les poids lourds se composeraient donc de redevances d'infrastructures classiques, pour usage, et de redevances fondées sur les coûts externes. Trois externalités sont prises en compte : la pollution atmosphérique, le bruit, la congestion.
D'autre part, elle propose un modèle de calcul unique qui permet d'évaluer ces trois coûts. Tous les constructeurs d'autoroutes font ces chiffrages. La Commission se borne à donner un guide de calcul commun. La redevance ainsi fixée est cependant plafonnée.
Enfin, la Commission propose d'étendre ce système de tarification à tous les poids lourds et au-delà du seul réseau autoroutier international ; il faut cependant noter que la mise en place effective reste facultative.
B. Analyse de la proposition
Ainsi, à travers cette initiative, la Commission se positionne comme un acteur de pointe dans la lutte contre le changement climatique. Toutefois, la proposition a été formulée en juillet 2008 et les États ne se sont pas précipités pour l'adopter, puisque, un an et demi après, la proposition reste en suspens. Il est pourtant facile de comprendre les réticences des États membres.
1. Il y a en premier lieu une série de difficultés techniques et juridiques.
L'internalisation de la congestion par exemple est très controversée. A partir de quel seuil de trafic, de quel temps de transport, y-a-t-il congestion ? Tout dépend du lieu et du moment. Chaque ville a son propre seuil de tolérance aux embouteillages. D'ailleurs, peut-on faire payer aux seuls poids lourds une responsabilité collective ? Dans l'esprit de la Commission, il faudrait à la fois généraliser les péages sans entraver la fluidité du trafic. Mais la suppression des barrières de péage et la généralisation du télépéage représentent également un coût non évalué.
L'affectation de recettes fait toujours l'objet de controverses. Doivent-elles être affectées au transport routier pour l'améliorer ou basculées vers d'autres modes de transport moins énergivores ? En d'autres termes, faut-il taxer pour améliorer ou taxer pour dissuader ?
L'extension du dispositif aux deux fois deux voies pose aussi un problème de compétence puisque, en France, cette voirie relève des départements.
2. Mais les principaux obstacles sont d'ordre politique.
On peut d'abord s'interroger sur la démarche de la Commission. Ce texte cumule les handicaps. Il est à la fois fluctuant et aléatoire. Je rappelle qu'il s'agit de la troisième version en moins de dix ans. Sachant que certaines associations critiquent déjà le fait que les nouveaux péages verts ne sont pas assez ambitieux et sont limités par un plafond, on peut d'ores et déjà pronostiquer une quatrième version dans quelques mois. Ni pour les États, ni pour la Commission, cette succession de textes mal préparés ne paraît une bonne méthode.
D'autant plus que le dispositif reste facultatif. La Commission se borne à prévoir un cadre commun, des principes communs de tarification et des méthodes de calcul, mais la mise en place reste à l'initiative des États membres.
On peut penser que leur implication restera très variable.
Car là encore, la géographique commande. Il est bien certain que les États qui sont dans une position centrale en Europe, au sens propre comme au sens figuré, sont incités à généraliser l'internalisation des coûts environnementaux, tandis que les États périphériques seront beaucoup moins « allants » sur ces questions.
On ne s'étonnera pas, par exemple, que la Suisse est le pays où la taxation verte est la plus avancée. Au-delà de l'intérêt traditionnel de ce pays à ces sujets, il y a le fait que les transporteurs n'ont en réalité pas le choix : ou ils passent et payent, ou ils font 1 000 km de détour...
Enfin, on comprendra que cette proposition, certes justifiée pour des raisons écologiques, ne tombe pas au meilleur moment.
L'idée de charger encore un peu plus un secteur déjà très fragilisé par la crise économique ne suscite pas un enthousiasme débordant.
Il est vraisemblable que les États ne se précipiteront pas pour adopter cette proposition, et même s'ils y parviennent, que la faculté offerte aux États membres restera encore ouverte un certain temps.
Et pourtant, l'internalisation des coûts environnementaux est un pas important pour une économie et une société responsables. Le Parlement européen a donné son accord, en mars dernier, à cette « écologisation des transports ».
Malgré les difficultés que j'ai soulignées, il faut espérer que le Conseil parvienne à un consensus qui permette l'adoption de cette directive.
M. Hubert Haenel. - Si l'on peut soutenir l'objectif, je crains que le fait que l'application dans les États reste optionnelle nuise considérablement à l'efficacité de la directive. Dans le texte actuel, on n'améliore pas et on ne dissuade pas le transport routier, puisque tout reste à la discrétion de l'État membre.
M. Simon Sutour. - Qui applique cette Eurovignette verte aujourd'hui ? J'ajoute que cette « écologisation des transports » peut être très utile dans certains sites. Dans mon département, les flux de trafic de poids lourds vers et en provenance d'Espagne, jour et nuit, sont considérables et même abominables. Il y a des risques pour la population. Nul doute que cette Eurovignette verte mérite attention.
M. Roland Ries. - À condition bien entendu que le système soit appliqué par tous. C'est la principale faiblesse de la proposition. La taxation ne peut être utile que si elle est généralisée. Les systèmes à la carte ne sont pas efficaces et sont même contreproductifs en induisant des détournements de trafics. L'Alsace en a eu l'expérience directe il y a quelques mois. À la suite de l'introduction d'un péage vert en Allemagne (qui applique cette formule comme la Suisse, l'Autriche et la République tchèque), une partie du trafic poids lourds s'en est immédiatement détournée et s'est reportée sur la région Alsace. Les applications isolées conduisent à des distorsions dont pâtissent les voisins.
L'internalisation des coûts environnementaux permettra aussi de lutter contre les distorsions et concurrences entre modes de transport. Aujourd'hui, le transport par route ne supporte au mieux que le coût d'usage de l'infrastructure.
M. Hubert Haenel. - Le caractère facultatif est une grande faiblesse du dispositif. Il me semble que tant l'analyse que l'expérience doivent nous inciter à une grande vigilance.
*
À l'issue du débat, la commission a
approuvé les conclusions suivantes :
II - Les Systèmes de transport intelligents
Les inconvénients évoqués pour l'Eurovignette vont se retrouver amplifiés dans le texte relatif aux systèmes de transport intelligents, les STI, plus connus sous leur sigle anglais ITS.
A. Présentation de la proposition
Les STI désignent les applications des technologies de l'information et de la communication au secteur des transports. En d'autres termes, il s'agit de l'informatique embarquée et des informations routières interactives. Le système repose sur des informations recueillies par des capteurs, localisées et traitées par le calcul de façon à assurer des fonctions dites intelligentes telles que la mémorisation, la communication, la réactivité.
Il y a d'ores et déjà des applications courantes, qu'il s'agisse de localisation, du calcul d'itinéraire, de paiement électronique, ou de l'affichage des temps d'attente des transports publics.... Mais les potentialités sont énormes, qu'il s'agisse de l'information individuelle, telles que l'analyse des distances entre véhicules, le signal des dépassements de vitesse autorisée, l'information automatique des centres de secours en cas d'accident, ou bien de l'information collective sur les transports urbains telles que l'annonce des temps de parcours, l'information sur des itinéraires de délestage, l'automatisme des feux de circulation à l'approche des véhicules de transport en commun ... On peut même imaginer qu'un conducteur coinçé dans un embouteillage serait informé de son temps de trajet présumé, d'un délestage recommandé sur une autre voie ou sur un transport en commun, avec une information sur le temps de transport et l'heure du train, mais aussi le lieu, la disponibilité et les tarifs de parking, etc. Tout cela sur un mini-ordinateur embarqué...
Que propose la directive ? La directive a pour but d'organiser la correspondance - l'interface - des systèmes. De faire en sorte que les systèmes d'information puissent communiquer entre eux. Ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Un abonné du télépéage aux Pays-Bas ne peut utiliser son abonnement sur une autoroute française. Pour aller du Portugal au Danemark, par exemple, un chauffeur routier doit disposer de cinq équipements différents.
Le but est de fixer des spécificités fonctionnelles et techniques de façon à ce que les systèmes déployés par les gestionnaires d'infrastructures et les équipementiers privés d'informatique embarquée puissent dialoguer entre eux. Il faut par exemple que lorsqu'une collectivité établit une limitation de vitesse sur un tronçon de route, cette information puisse être lue et comprise par tous les systèmes de navigation, nationaux ou européens.
Le citoyen va applaudir à de telles performances. L'informatique semble ne pas avoir de limite. C'est la clef de son succès et peut-être aussi son principal danger. Mais notre mission est aussi de ne pas être dupe des mirages technologiques et de prendre conscience assez tôt des conséquences qu'ils peuvent avoir, en particulier pour les élus locaux.
B. Quelles conséquences ?
Ou plutôt quelles conséquences politiques, puisque sur ces textes qui touchent à la technologie, c'est sur ce terrain politique que notre commission peut trouver son rôle. La question ne se pose pas en termes de subsidiarité ou de proportionnalité mais en termes de cohérence et d'implications politiques.
Il me faut distinguer les deux applications - privative et collective -, qui me semblent poser des problèmes de nature différente.
1. Pour l'individu, l'informatique embarquée est bien entendu avant tout une aide à la conduite. Il ne faut pas être grand clerc pour savoir que c'est aussi une sorte de mouchard permanent qui identifie votre localisation, vos pauses, votre parcours, votre vitesse, vos infractions éventuelles. L'information sur le véhicule est aussi une information sur le conducteur. L'informatique embarquée est une sorte de bracelet électronique installé sur le rétroviseur.
Ces dangers avaient été évoqués par le Contrôleur européen de la protection des données. Certes, la directive qui précise que « les États veillent à ce que les données des STI soient protégées contre toute utilisation abusive » est censée apporter un garde-fou. Mais est-il suffisant ?
J'ajoute que l'équipement de la voiture n'est pas neutre sur un plan industriel et commercial. L'informatique embarquée peut être un élément d'innovation utile pour les constructeurs spécialisés dans le haut de gamme mais présente aussi un coût embarrassant pour les constructeurs positionnés sur des véhicules d'entrée de gamme, pour une clientèle pour laquelle chaque euro compte.
Il me faut préciser que c'est sur ce terrain industriel et des libertés publiques que nos homologues de l'Assemblée nationale ont choisi d'interroger le gouvernement.
2. Mais je veux insister surtout sur les conséquences politiques collectives des STI présentées comme un outil de lutte contre la congestion des trafics, en évoquant trois questions.
La première question est une question de cohérence. Il est bien sûr tentant de justifier toutes les propositions technologiques par la lutte contre le changement climatique. Mais si l'objectif est connu et accepté par tous, si les initiatives se multiplient - moteur hybride, bonus/malus, STI... - n'y a-t-il pas des priorités à définir, des sélections à opérer... On ne peut pas tout faire en même temps. D'ailleurs, le meilleur moyen de transport contre le changement climatique restera toujours le transport collectif.
Deuxième question : qui décide effectivement des spécifications fonctionnelles et techniques ?
Afin de préciser les mesures d'application de cette directive-cadre, la Commission se fait assister par un comité composé de représentants des États membres ainsi que par un groupe consultatif européen, composé de personnalités « de haut niveau », qui « la conseille sur les aspects techniques et commerciaux de l'utilisation des STI dans la communauté ». On retrouve là le couple Commission/experts maintes fois évoqué. Est-ce aux experts de déterminer comment un individu peut librement se déplacer ? Il paraît essentiel de garder un contrôle politique de ces propositions et des travaux qui vont suivre.
Enfin, troisième question : qui va payer ?
Les services techniques des ministères se retranchent derrière la lettre de la directive : il ne s'agit pas d'adopter un plan d'équipement mais de prévoir des correspondances entre systèmes.
Certes, mais il va de soi que cette directive n'a de sens que si les automobilistes et les infrastructures sont équipées (par des capteurs, des caméras...). L'exposé des motifs précise d'ailleurs que le bon fonctionnement des STI suppose « une installation synchronisée dans le véhicule et sur l'infrastructure ». Et donc sur la collectivité locale.
Ces STI n'intéressent pas seulement le conducteur avide de technologie, mais elles impliquent aussi les grandes villes. Qui doit payer la lutte contre la congestion des abords de ville ?
Sur cette question centrale, il n'y a rien. Cela dépasse le champ du texte disent les techniciens. Mais en réalité, c'est la condition de son succès.
Est-ce à la commune urbaine de payer pour les automobilistes des autres communes ? Puisqu'il s'agit d'un défi national, n'est-ce pas à l'État d'aider les collectivités ? Puisqu'il s'agit d'un défi européen, n'est-ce pas aussi au budget communautaire de cofinancer ces équipements ?
Passé le moment d'exaltation technologique, ce texte soulève des questions de fond et de financement. Il me semblait nécessaire de vous alerter.
Je crois même que si l'Assemblée a été dans son rôle en s'interrogeant sur le respect des libertés publiques, il me semble que le Sénat est dans le sien quand il prend en compte l'incidence de ce texte sur les collectivités locales.
III - Alors que faire ?
J'ai deux propositions à faire, qui d'ailleurs ne sont pas exclusives l'une de l'autre.
Tout d'abord, comme le Secrétaire général des affaires européennes nous y invitait, quand il fut entendu par notre commission le 2 avril dernier, je crois que nous pourrions demander que le comité STI fasse partie des comités sensibles dont l'activité doit être suivie au plus près.
Cette affaire concerne aussi bien entendu les collectivités locales, en particulier les grandes villes de France. Elles doivent d'une façon ou d'une autre « entrer dans la boucle ». Sans aller jusqu'au mandat de négociation, il est indispensable qu'elles soient régulièrement informées des avancées de ces travaux. Soit directement, soit par notre intermédiaire.
Ensuite, je crois que le débat que j'ai ouvert devant vous mériterait un prolongement. Il est heureux que les initiatives sur la mobilité urbaine se multiplient, mais qui paiera ?
Je voudrais mettre en garde contre une conception curieuse de la subsidiarité qui consiste à prendre une décision au niveau communautaire et à en laisser le coût aux collectivités locales. Les collectivités locales doivent être vigilantes à ne pas supporter des transferts de charges. Le débat n'est pas nouveau. C'est une nouvelle occasion de le rappeler. Il me paraît donc opportun de demander au Gouvernement de réaliser une étude d'impact de la mise en place des STI, tout spécialement destinée aux collectivités locales.
*
À l'issue de cette présentation, la commission a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :
Mercredi 2 décembre 2009
- Présidence de M. Hubert Haenel -Environnement
Table ronde dans la perspective de la Conférence de Copenhague portant sur les conséquences du changement climatique
En commun avec la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, la commission des affaires européennes a entendu Raymond Cointe, directeur des affaires européennes et internationales du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, Jean-Pierre Clamadieu, président de la commission du développement durable du Mouvement des entreprises de France, Sébastien Geneste, président de l'association France Nature Environnement et Benoît Faraco, Fondation Nicolas Hulot, dans le cadre d'une table ronde sur la position française à la veille de la Conférence des Nations unies sur le climat, à Copenhague, qui a été conclue par Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - 192 pays vont se retrouver à Copenhague le 7 décembre 2009 pour parvenir à un accord destiné à succéder au protocole de Kyoto. Il faut saisir l'opportunité de la crise actuelle pour passer à une économie durable à faibles émissions de dioxyde de carbone, qui stimulera l'activité et sera créatrice d'emplois. Cette transition est d'autant plus nécessaire que le dérèglement climatique, plus rapide que prévu, a déjà commencé à produire ses effets. En conséquence, il faut défendre un accord ambitieux qui comporte non seulement des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les pays industrialisés comme pour les pays en développement ainsi que des engagements financiers en faveur de ces derniers, mais aussi un mécanisme de sanction pour les pays qui ne respecteraient pas leurs engagements. La France doit se mettre d'accord avec ses partenaires européens sur le niveau de contribution financière que l'Union européenne compte arrêter pour aider les pays les plus pauvres à s'adapter aux changements climatiques.
La bataille sera difficile, notamment pour rallier les pays en développement à la cause de la lutte contre les changements climatiques. Mais l'Europe a fait la preuve de son engagement en acceptant de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d'au moins 20 % avant 2020, par rapport à 1990, et jusqu'à 30 % en cas d'accord international.
Pour assurer la transition vers une économie éco-efficiente, la France a fait le choix d'une taxe carbone. En outre, nombre de sénateurs sont favorables à ce que soit rapidement mis en place un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Union européenne, afin de lutter contre le « dumping écologique » de pays tiers qui refuseraient de s'engager dans des efforts comparables à ceux des États membres. Le volontarisme de la France ne doit pas la conduire à fragiliser la compétitivité de ses industries, ni à détruire des emplois dans ses territoires.
La France est aux avant-postes de la lutte contre les changements climatiques. C'est l'un des rares pays au monde à respecter le protocole de Kyoto. Il convient désormais d'agir à plusieurs niveaux pour conforter la transition vers une économie durable : formation, éducation, et volet industriel, en encourageant le recours à des technologies propres. Dans tous ces domaines, les collectivités territoriales peuvent jouer un rôle majeur.
Je suis convaincu que le cours des cinquante prochaines années peut se décider dans les semaines à venir. Mais, l'Europe ne pourra pas régler seule la question des changements climatiques, puisqu'elle ne représente aujourd'hui que 17 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone. Chacun doit apporter sa contribution selon ses capacités et son niveau de responsabilité.
M. Hubert Haenel. - J'évoquerai quelques points à ne pas perdre de vue, quel que soit le résultat de la Conférence de Copenhague.
En premier lieu, il faut garder à l'esprit que tout ne sera pas résolu par la Conférence. Même en cas de succès, il n'est pas acquis que les signataires respecteront leurs engagements sur le long terme. Il est en outre certain que des effets pervers apparaîtront, et qu'un accord aussi complexe et global demandera des ajustements. Il est, de plus, difficile de prévoir les avancées technologiques des dix années qui viennent, ainsi que le comportement des agents économiques. Pour s'en convaincre, il suffit de voir les débats intenses sur l'opportunité de maintenir les mécanismes de développement propre, c'est-à-dire des mécanismes qui permettent à des entreprises de pays riches de réaliser des projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des pays émergents. Et les débats ne sont pas moins animés sur la meilleure manière de lutter contre la déforestation.
En deuxième lieu, il est nécessaire de réfléchir dès à présent à l'après-Copenhague. Prenons l'exemple du marché des quotas de CO2. Le marché européen du carbone va connaître un véritable « big bang » avec le principe de la mise aux enchères des quotas. Or, rien n'est prévu pour encadrer ce marché et le rendre exemplaire au regard de l'objectif climatique. C'est pourquoi la commission des affaires européennes a adopté, à l'initiative de notre collègue Fabienne Keller, une proposition de résolution européenne appelant de ses voeux un contrôle de ce marché naissant. A ce propos, je remercie la commission de l'économie d'avoir décidé d'examiner ce texte dans un délai extrêmement rapide, de manière à ce qu'il puisse devenir définitif en temps utile pour la Conférence de Copenhague.
En troisième lieu, il faut être conscient que la stratégie européenne de réduction des émissions de gaz à effet de serre est encore en construction. Le paquet « énergie-climat » a posé les bases de l'action européenne en la matière. Mais les modalités de sa mise en oeuvre restent encore très largement à définir, et le débat français sur la taxe carbone en est l'illustration.
M. Raymond Cointe, directeur des affaires européennes et internationales du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer. - Je ferai d'abord un point sur la situation à l'ouverture de la Conférence de Copenhague, qui constitue l'aboutissement de la treizième conférence des parties à la convention des Nations unies sur le changement climatique, tenue à Bali il y a deux ans. Le travail est organisé dans différentes instances prévues pour faciliter un accord global, sur la base de la « feuille de route » approuvée par les 192 pays parties à la Conférence de Bali.
En pratique, un point de blocage résulte depuis plusieurs mois de la séparation entre, d'une part, les organes liés à la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique et, d'autre part, ceux liés au protocole de Kyoto, ce qui pose la question de la forme juridique du résultat final de la Conférence. Alors qu'il est important que les pays émergents et les États-Unis d'Amérique prennent des engagements, les premiers n'ont pas d'obligations en vertu du protocole de Kyoto, et les seconds ne l'ont pas ratifié. Les deux conférences des parties seront présidées à Copenhague par Connie Hedegaard, ministre danoise en charge de l'énergie et du climat qui doit bientôt prendre ses fonctions comme commissaire européen en charge du climat. Elles se réuniront dans un premier temps au niveau technique, pour aboutir à une formation à haut niveau, qui concernera d'abord les ministres, puis les chefs d'États et de gouvernement.
Deux groupes de travail préparatoires se sont réunis depuis la Conférence sur le climat de Bali : l'un est relatif à la coopération à long terme, l'autre est relatif aux améliorations qui pourraient être apportées au protocole de Kyoto et aux engagements qui pourraient être pris pour une deuxième période. Les négociations se trouvent bloquées dans le cadre de ce second groupe, du fait que les États-Unis ne participent pas au protocole de Kyoto. Parallèlement des discussions plus politiques ont lieu au niveau des ministres et chefs d'États, qui se réuniront à Copenhague les 12 et 13 décembre 2009.
A propos de la position de négociation européenne, l'Union s'est préparée depuis le Conseil européen tenu en mars 2007, sous présidence allemande, qui a fixé un objectif dit « trois fois vingt » à l'horizon 2020 : moins 20 % d'émissions de gaz à effet de serre, 20 % d'économies d'énergie et 20 % d'énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale. Ce triple engagement a été concrétisé, sous présidence française, lors du Conseil européen de décembre 2008 qui a adopté le paquet « énergie-climat ». Dans la perspective de la Conférence de Copenhague, les positions de négociation européennes seront arrêtées lors du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2009.
Plusieurs questions se posent à ce stade du processus de négociation :
- le type d'accord qui pourra être obtenu, car il semble difficile qu'un texte juridique tel qu'une convention puisse être adopté. L'hypothèse la plus vraisemblable est celle d'un accord politique contraignant, couvrant tous les éléments d'un nouveau régime et conforme à la « feuille de route » fixée lors de la Conférence de Bali. Assorti d'outils de contrôle solides, cet accord politique pourrait être ultérieurement transformé en engagements juridiques ;
- l'équilibre entre la convention sur le climat et le protocole de Kyoto, puisque les grands pays émergents veulent le maintien du protocole, tandis que l'Union européenne souhaite un accord global ;
- le niveau d'ambition de l'accord qui sera conclu à Copenhague, qui doit aboutir à une trajectoire compatible avec le plafonnement du réchauffement climatique à une augmentation moyenne de la température de la planète de deux degrés seulement. Les différents partenaires ont commencé à mettre des chiffres sur la table, mais il est difficile de comparer ces engagements ;
- l'intégrité des règles : un accord satisfaisant ne pourra reposer que sur un système ambitieux qui soit à la fois mesurable, communicable et vérifiable, et qui constituera l'embryon d'une organisation mondiale de l'environnement, que la France appelle de ses voeux ;
- le niveau de solidarité entre le Nord et le Sud : les pays émergents veulent un haut niveau de soutien financier et technique, afin de pouvoir s'adapter aux changements climatiques et accéder à un développement propre. Cette question sera l'une des clefs du succès de la Conférence de Copenhague, même s'il n'est pas raisonnable de considérer de manière homogène les pays émergents et les pays les plus vulnérables.
Mme Fabienne Keller. - J'observe que, depuis plusieurs semaines, le débat est devenu mondial. Les peuples de la terre se sont passionnés pour le défi climatique, et il est de la responsabilité des dirigeants politiques de ne pas décevoir leurs attentes.
Les pays du sud sont appelés à subir les plus graves conséquences des changements climatiques alors qu'ils en sont peu responsables. Pouvez-vous préciser les propositions qui pourraient être faites pour parvenir à un accord équitable ?
A l'opposé, les États-Unis sont les premiers émetteurs de gaz à effet de serre par habitant. Les débats sur la lutte contre le changement climatique sont très vifs dans ce pays. Pouvez-vous nous éclairer sur le positionnement nord-américain pour la Conférence de Copenhague ?
M. Raymond Cointe. - L'aide aux pays les plus vulnérables prend la forme du financement par les pays développés d'actions de lutte contre l'intensification de l'effet de serre et d'adaptation aux changements climatiques. Toutefois, ces mécanismes de développement propres ont tendance à bénéficier surtout aux pays émergents, et très peu à l'Afrique. Il s'agit d'un vrai enjeu pour la Conférence de Copenhague, qui pose la question d'un financement public de ces mécanismes.
A la différence de l'Union européenne, qui se présente avec une position de négociation et une législation communautaire résultant du paquet « énergie-climat », les États-Unis ne se sont préparés que récemment à la négociation et sont réticents à s'engager sans approbation du Congrès. Le président Obama a annoncé des engagements qui sont cohérents avec les discussions en cours au Congrès, à savoir une diminution des émissions de gaz à effet de serre de 17 % en 2020 par rapport à 2005, soit une baisse de 4 % seulement par rapport à 1990. Mais il a pris un engagement plus important à plus long terme, soit une diminution de 83 % en 2050 par rapport à 1990. La question est de savoir si les États-Unis ont engagé leur économie dans une trajectoire compatible avec un objectif aussi ambitieux.
M. Louis Nègre. - Comment faire admettre aux pays émergents la nécessité de faire des efforts, alors qu'ils sont en pleine phase de croissance ? Par ailleurs, à quelles conditions les États membres de l'Union européenne pourront-ils s'accorder pour définir leur contribution financière en faveur des pays émergents ? Enfin, comment pourrait être financé l'ensemble des actions prévues dans le cadre de la Conférence de Copenhague ? Une taxation des entreprises financières est-elle envisagée à cette fin ?
M. Raymond Cointe. - L'Union européenne ne demande pas aux grands pays émergents, comme la Chine ou l'Inde, de prendre d'engagements de réduction en valeur absolue, mais d'amorcer une déviation de leurs émissions de gaz à effet de serre par rapport à un scénario de référence. La Chine est déjà le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre en valeur absolue. Or, selon le GIEC, il ne sera pas possible de réduire de 50 % les émissions dans le monde sans un effort de la Chine, qui doit progressivement améliorer son efficacité énergétique. Récemment, la Chine a annoncé un engagement en ce sens à l'horizon 2020.
La Commission européenne a estimé les besoins de l'aide aux pays émergents et aux pays les moins avancés à 100 milliards d'euros par an, dont 27 à 50 milliards de financements publics à terme.
Le financement devrait reposer à la fois sur des mécanismes de marché, tels que les quotas de CO2, et sur des financements innovants, tels que l'inclusion des transports aériens et maritimes. La taxation des transactions financières est une éventualité envisagée.
M. Jean-Pierre Clamadieu, responsable de la commission du développement durable du MEDEF. - Les propos des intervenants précédents rejoignent et résument la position des entreprises sur trois thèmes : la reconnaissance que les changements climatiques sont un défi majeur ; le fait que l'Europe, qui ne représente que 17 à 18 % des émissions totales, ne peut pas tout réaliser ; la nécessité de préserver la compétitivité des entreprises européennes.
En matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, une dizaine de pays seulement importent vraiment : l'Union européenne considérée dans son ensemble, les États-Unis, la Chine, l'Inde et quelques autres grands pays industrialisés ou émergents qui représentent 70 % à 75 % des émissions de CO2. Les pays d'Afrique et d'autres pays moins avancés souffrent des retombées des changements climatiques, ce qui confère une grande légitimité au sujet de l'aide au financement des adaptations nécessaires. Les outils favorisant la réduction des émissions existent et ont fait la preuve de leur efficacité, mais ils présentent également des points de faiblesse ou des marges d'amélioration.
Les chefs d'entreprises, pragmatiques et réalistes, n'attendent pas forcément de traité juridiquement contraignant. Mais ils ont besoin de visibilité à un horizon de quatre à cinq ans, voire de neuf à dix ans. En effet, les temps de retour sur investissement dans les technologies réductrices d'émissions de carbone sont longs, et il est à craindre que la Conférence de Copenhague n'apporte pas de réponses à toutes les questions que peuvent se poser les investisseurs.
J'insiste sur la situation particulière de l'Union européenne qui, prise collectivement, est la seule région du monde en ligne avec ses engagements du protocole de Kyoto. L'Europe s'est exprimée très clairement, dans le cadre du paquet « énergie-climat », sur ce qu'elle fera pour la période 2012-2020, et travaille à la mise en place de mécanismes réglementaires pour réduire à cet horizon ses émissions de gaz à effet de serre de 20 %. Le projet de loi sur le changement climatique que le président Obama a réussi de justesse à faire adopter par la Chambre des Représentants ne sera pas voté en l'état par le Sénat américain. Quant à la Chine, ses engagements chiffrés ne sont pas comparables à ceux des pays anciennement industrialisés : elle s'est engagée à réduire l'intensité en carbone de son produit national brut, ce qui implique non pas une réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais leur augmentation de 150 % à 200 %. Cette présentation obéit à des raisons compréhensibles, mais l'engagement de la Chine n'est en conséquence pas de même nature que celui des pays développés. Or, d'ores et déjà, la Chine ne doit plus être considérée comme un pays émergent, mais comme un pays industriel encore en phase de développement. En 2009, elle est devenue le premier producteur d'automobiles du monde, devant les États-Unis.
Le MEDEF soutient l'engagement de l'Union européenne de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 20 % avant 2020, et de 21 % pour le secteur industriel. Les entreprises contribueront à la réalisation de cet objectif. Toutefois, je mets en garde contre l'éventualité de passer à un objectif d'une réduction de 30 % si la Conférence de Copenhague débouchait sur un accord satisfaisant. Alors que l'objectif de moins 20 % représente déjà une accélération de la trajectoire, celui de moins 30 % constituerait une rupture forte qui n'aurait de sens que si elle avait pour contrepartie des engagements réels des partenaires de l'Union européenne. Notre inquiétude est de voir celle-ci mettre encore davantage sur la table de négociation pour forcer la conclusion d'un accord, alors que les autres pays demeureraient en retrait. La condition de l'efficacité d'un accord suppose l'élaboration de mécanismes précis de vérification des émissions et l'Union européenne doit veiller à ne pas prendre des engagements en décalage par rapport à ceux des autres puissances industrielles, y compris la Chine.
M. Jean-Paul Emorine. - Dans mon propos introductif, j'avais pris la précaution d'indiquer que l'objectif d'une réduction de 30 % des gaz à effet de serre en Europe ne serait retenu que si les autres parties à l'accord prenaient des engagements ambitieux.
Pour éclairer ce débat, je remarque que la Chine émet quatre fois plus de CO2 que l'Inde pour une population comparable. De manière générale, les contraintes de réduction de chaque pays doivent prendre en compte le rapport entre ses émissions de gaz et sa population.
M. Jean-Pierre Clamadieu. - L'indicateur le plus pertinent est celui des émissions annuelles de CO2 par habitant. La France se situe à environ six tonnes de CO2 par an et par habitant, la Chine à quatre et l'Inde autour d'une tonne. La Chine et la France sont à des niveaux proches, alors que l'Inde appartient à une autre catégorie.
M. Didier Guillaume. - J'évoquerai plusieurs points :
- on ne sait pas encore si l'accord qui pourrait être conclu à Copenhague sera une déclaration de principe ou un engagement contraignant ;
- on ne sait guère dans quelle mesure l'Union européenne peut se démarquer des autres grands pays émetteurs ;
- certains pays en voie de développement émettent très peu de gaz à effet de serre ;
- il est indispensable de passer d'un discours culpabilisant axé sur la responsabilité individuelle à une véritable responsabilité collective ; il est inutile de montrer du doigt nos concitoyens car nombre d'entre eux n'ont pas les moyens financiers pour investir dans des équipements moins émetteurs de CO2, qu'il s'agisse du choix d'un véhicule ou de l'isolation du logement.
M. Jean-Paul Emorine. - La lutte contre les changements climatiques s'inscrit en France dans une approche collective, qui inspire les deux lois issues du « Grenelle de l'environnement ».
M. Ladislas Poniatowski. - Je suis très inquiet de la stratégie qui consiste, pour les pays industrialisés, non pas à s'engager dans la réduction de leurs émissions, mais à les compenser par une reforestation dans les pays en voie de développement. Cette stratégie revient à promettre une aide financière en échange d'un moratoire sur l'exploitation forestière. Or, il existe un risque que ces aides découragent l'exploitation raisonnée des ressources forestières dans des pays, comme le Gabon, qui gèrent précautionneusement leurs stocks.
M. Daniel Dubois. - L'Europe s'est déjà dotée d'une législation contraignante pour lutter contre les émissions de CO2. En cas d'absence d'accord à Copenhague, l'industrie européenne sera exposée à une distorsion de concurrence importante. Or, la mise en place d'un mécanisme d'ajustement aux frontières pour neutraliser cette distorsion constitue une solution risquée, susceptible d'exposer l'Europe à des accusations de protectionnisme. Dans ces conditions, il y a lieu de réfléchir à un Grenelle de l'industrie après le Grenelle de l'environnement.
Mme Évelyne Didier. - Plusieurs remarques et interrogations :
- l'affichage d'objectifs de réduction des émissions pour 2020 et pour 2050 risque d'inciter les acteurs à reporter les véritables efforts sur la deuxième date ;
- si les émissions de gaz à effet de serre sont pour l'essentiel le fait de dix États, l'Union européenne dans son ensemble étant considérée comme l'un d'eux, il serait peut-être plus simple et plus efficace de rechercher un accord de réduction des rejets de gaz entre ces dix pays plutôt que d'engager des négociations entre les 192 États signataires de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques ;
- la réussite de la lutte contre les changements climatiques passe par une mobilisation de tous les acteurs, ce qui suppose que ces derniers connaissent et comprennent bien les enjeux de questions de plus en plus complexes ; l'information des populations est donc un défi à relever ;
- il serait intéressant de savoir comment les multinationales se positionnent face à l'enjeu de la lutte contre les changements climatiques ;
- pour appuyer le financement des politiques de lutte contre les changements climatiques, on pourrait imposer au secteur financier une contribution spécifique.
M. Sébastien Geneste, président de France Nature Environnement. - Je mettrai l'accent sur les points suivants :
- l'objectif de contenir le réchauffement climatique en deçà de deux degrés appelle une politique ambitieuse, ainsi qu'une appropriation des enjeux par chacun. Un accord à Copenhague qui ne serait pas suivi d'une mobilisation de tous les acteurs resterait lettre morte ;
- la responsabilité particulière des grands pays développés doit être rappelée : ils doivent être les plus ambitieux dans leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et soutenir les pays les moins développés ;
- à propos de la lutte contre la déforestation, il convient d'adopter une approche différenciée selon les pays. Il convient aussi d'aborder cet enjeu sans l'isoler des autres aspects des politiques de préservation de l'environnement ; en effet, dans certains pays comme le Brésil, la déforestation est en partie la conséquence du développement des agro-carburants qu'on promeut au nom de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ; la complexité et l'interdépendance des questions environnementales montrent l'utilité qu'il y aurait à créer une organisation mondiale de l'environnement, seule capable d'avoir une approche globale cohérente des problèmes, associant les États et la société civile.
- les discussions dans le cadre de la négociation de Copenhague atteignent un haut degré de complexité, ce qui rend plus difficile l'appropriation d'un accord par les populations concernées.
M. Jean-Pierre Clamadieu. - Il est vrai que les petites et moyennes entreprises ont plus de difficultés à s'approprier ces questions. Un effort d'éducation économique est indispensable. Pour y remédier, la clef de lecture la plus simple est celle de l'amélioration de l'efficacité énergétique : comment produire autant ou plus en consommant moins de ressources.
Je souhaite aussi évoquer le risque de nouvelles barrières douanières pour se protéger des importations en provenance de pays peu engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique. En théorie, la réponse d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières peut sembler bonne. Mais, en pratique, il sera très difficile d'évaluer le contenu carbone d'un produit. La compatibilité avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce n'est pas certaine et il n'existe pas de consensus en Europe. En revanche, je suis d'accord que, dans le cadre des négociations en cours, c'est une menace qu'il faut être prêt à brandir.
Enfin, à propos de l'implication des grandes entreprises dans le monde, il y a lieu d'être optimiste. Aux États-Unis, une vingtaine de multinationales sont conscientes de la nécessité d'avancer et qu'il serait contre-productif de rester à l'écart de ce mouvement. En outre, elles craignent qu'en l'absence d'une législation fédérale contraignante, chaque État fédéré se dote d'une législation spécifique, ce qui induirait une complexité administrative coûteuse. Par ailleurs, au niveau mondial, certaines branches industrielles sont en train de se concerter, notamment dans des secteurs à forte concentration et utilisant des technologies assez homogènes, comme la cimenterie ou la sidérurgie.
Mme Fabienne Keller. - Je ne partage pas vos réserves sur la création d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières (MIC). Selon un rapport conjoint du secrétariat de l'Organisation mondiale du commerce et du Programme des Nations-Unies pour l'environnement, ce mécanisme serait compatible avec les règles de l'OMC, sous réserve du respect de certaines conditions. J'attire aussi l'attention sur les effets contre-productifs du vocabulaire employé. Un ajustement aux frontières n'a pas pour but d'égaliser la compétitivité des produits européens et extra-européens, mais de neutraliser la charge écologique résultant d'un choix politique interne. Quant aux objections techniques, elles ne sont pas insurmontables. La quasi-disparition des contrôles douaniers aux frontières européennes a entraîné une perte de savoir-faire dans la gestion des tarifs extérieurs, mais cette compétence serait vite reconstituée. Si l'on se donne réellement les moyens, ce mécanisme peut être mis en oeuvre. En outre, il est paradoxal d'afficher ce mécanisme comme un argument dans les négociations et, simultanément, de le défendre aussi timidement en interne, au risque de ruiner sa crédibilité.
M. Jean-Pierre Clamadieu. - Vous avez raison sur l'argument de négociation. Mais il est certain que les entreprises françaises et européennes préféreraient ne pas voir renaître ce type de mécanisme qui, quel que soit son bien-fondé, sera lourd à gérer et compliquera nécessairement les échanges. La meilleure solution est d'arriver à un accord à Copenhague qui prive ce mécanisme de son objet.
M. Benoît Faraco, responsable du programme énergie et changement climatique à la Fondation Nicolas Hulot. - J'attire l'attention sur les points suivants :
- la structure des émissions chinoises de gaz à effet de serre montre que celles-ci sont le fait des secteurs économiques tournés vers l'exportation. La Chine émet beaucoup de gaz à effet de serre pour des productions destinées à l'Europe ou aux États-Unis ;
- le véritable enjeu de Copenhague n'est pas celui du partage du fardeau, mais celui de l'inflexion de notre modèle de développement ;
- sans méconnaître les préoccupations du MEDEF à propos de la compétitivité des entreprises européennes, il faut garder à l'esprit que les grands pays émergents sont confrontés à un double défi technologique et social. Ils doivent adapter leur secteur industriel, qui est comparable à celui des pays riches, et résorber la pauvreté immense d'une grande partie de leurs populations. En Inde, cinq cents millions de personnes n'ont pas l'électricité. Il faudra donc une sorte de plan Marshall d'au moins 100 milliards d'euros par an pour aider ces pays, ce qui correspond à une contribution d'une centaine d'euros pour chaque habitant des États membres de l'OCDE. Pour y parvenir, des financements innovants seront indispensables, qu'il s'agisse d'une taxe sur les transactions financières ou sur le transport aérien et maritime ou de l'utilisation de droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international.
M. Jean Bizet. - Je suis favorable à une contribution climat-énergie. Mais son impact sur la compétitivité doit être, le cas échéant, neutralisé par un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières (MIC), ce qui pose la question de la compatibilité de ce mécanisme avec les règles de l'OMC : l'article XX du GATT semble indiquer que cette compatibilité est possible, mais, d'un autre côté, il n'est pas certain qu'un MIC soit compatible avec la notion de « produit similaire » ; par ailleurs, si l'utilité de ce mécanisme fait l'objet d'un large accord en France, le point de vue de nos partenaires européens semble plus réservé.
Sur les moyens d'aider les pays en développement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, je souhaiterais connaître le montant dont serait doté le fonds international consacré à cet objectif. Incidemment, il ne faut pas remettre en cause la brevetabilité des technologies vertes. Un fonds d'aide bien doté est préférable à une remise en cause des droits de la propriété intellectuelle.
Tout en saluant les progrès du droit de l'environnement, et notamment la consécration constitutionnelle du principe de précaution, le principe d'un droit à l'innovation de même portée juridique qui lui ferait pendant est nécessaire ; la solution aux problèmes environnementaux ne passe pas, en effet, par une logique malthusienne de décroissance, mais par des ruptures technologiques adéquates.
M. Marcel Deneux. - Quel est le sentiment du ministre devant la multiplication des publications faisant preuve de scepticisme quant à la réalité du réchauffement climatique et à son impact ?
M. Sébastien Geneste. - Le respect des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050 implique une rupture par rapport aux modes de production et de consommation actuels. Pour autant, il est très difficile de savoir ce que sera le nouveau modèle économique : sa définition dépendra notamment des ruptures technologiques à venir. Cette incertitude sur l'avenir à long terme de notre système économique et de nos modes de vie ne dispense cependant pas, dès aujourd'hui, de se placer sur une trajectoire ambitieuse de réduction des émissions.
M. Grégory Jean, chargé de mission « forêt » de France Nature Environnement. - A propos de l'enjeu de la forêt, dont l'exploitation représente 20 % des émissions de gaz à effet de serre, il faut :
- créer un mécanisme permettant de donner plus de valeur économique à la préservation de la forêt qu'à sa destruction ;
- mieux quantifier le rôle de la forêt dans le cycle du carbone et mieux connaître la déforestation à éviter, ce qui constitue en quelque sorte le préalable méthodologique à l'instauration du mécanisme précédemment évoqué ;
- déterminer comment ce mécanisme sera financé.
M. Benoît Faraco. - J'insiste sur la place, non seulement du secteur forestier, mais plus largement de l'agriculture en matière de réduction des émissions : 40 % des rejets de gaz à effet de serre proviennent en effet des activités agricoles et des forêts ; cet enjeu doit donc être présent dans les négociations sur le climat de Copenhague. Par ailleurs, cet enjeu ne peut être traité indépendamment d'une réflexion d'ensemble sur les modes de vie : l'activité agricole la plus émettrice, l'élevage, est en effet inséparable d'un modèle culturel alimentaire qui privilégie la consommation carnée.
M. Jean-Paul Emorine. - Le ministère de l'agriculture, en France, est également le ministère de l'alimentation, ce qui dénote un souci de penser ensemble la production agricole et la consommation alimentaire.
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer. - Les objectifs de la Conférence de Copenhague sont ambitieux, puisqu'il s'agit de mettre 192 pays, soit quasiment le monde entier, en mouvement. Il est nécessaire de conduire des analyses très rigoureuses, l'approximation pouvant conduire à la mise en accusation de certains pays par d'autres. Je rappelle à cet effet la grande diversité des situations entre pays quant à la perception du chaos climatique.
L'accord obtenu entre les 27 pays membres de l'Union européenne, qui fixe des objectifs contraignants, constitue, au vu des négociations actuelles, un véritable tour de force. Cet accord illustre que l'Europe prend ses responsabilités face aux défis des changements climatiques.
La Conférence de Copenhague ne doit pas aboutir à une renégociation des traités existants, la feuille de route ayant été définie à Bali.
La position française n'a pas varié au cours des derniers mois : il est nécessaire de convaincre chaque pays que les mesures de lutte contre les changements climatiques amélioreront la compétitivité économique mondiale et qu'il ne s'agit pas du partage d'un fardeau.
Je souligne que la division entre pays développés et pays en voie de développement ne correspond plus à la réalité géopolitique, du fait de l'hétérogénéité de chacun de ces deux blocs historiques. Il faut distinguer trois catégories de pays :
- les pays industrialisés, parmi lesquels les États-Unis, ce pays n'ayant pas suffisamment confiance en son potentiel pour s'engager sur un objectif ambitieux de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre ;
- les grands pays émergents, qu'il ne faut pas stigmatiser et qui ne constituent pas, par ailleurs, un bloc homogène. L'Inde, par exemple, émet peu de gaz à effet de serre et a lancé un des plans de réduction des émissions les plus avancés au monde ;
- les pays vulnérables sont les pays les plus pauvres du monde et les plus touchés par les risques liés au réchauffement climatique, alors qu'ils n'ont aucune responsabilité historique en matière d'émissions de gaz à effet de serre et n'en émettent que peu. Un des enjeux de la Conférence de Copenhague est de déterminer ce que les pays industrialisés vont investir dans ces pays afin qu'ils puissent incarner une partie de la solution au réchauffement climatique. En effet, les financements prévus dans le protocole de Kyoto ne leur ont pas bénéficié.
J'exprime le souhait que la Conférence de Copenhague puisse marquer le début de la reconstruction de la solidarité internationale, dans le même temps que celui d'un nouveau développement économique pour l'Europe. A cet égard, il faut la mise en place d'un fonds ciblé minimum garanti.
J'espère que le niveau de la représentation des États à Copenhague sera le plus élevé, le Gouvernement français ayant tenté de convaincre nombre de chefs d'État de la planète d'être présents lors de la Conférence.
En réponse aux différents intervenants, quelques éléments de réponse :
- le « climato-scepticisme » reste étonnamment limité au regard des enjeux essentiels des négociations en cours ;
- il convient d'être particulièrement précautionneux s'agissant de la forêt ;
- l'existence d'engagements contraignants n'est pas un enjeu central, et peu de pays ont tenu les engagements souscrits dans le protocole de Kyoto ;
- la création d'une organisation mondiale de l'environnement (OME) est une question essentielle. Si la compatibilité d'une réglementation préservant l'environnement avec les règles définies par l'OMC est aujourd'hui un véritable enjeu, l'enjeu sera demain la compatibilité des normes de l'OMC avec celles de l'OME.
M. Hubert Haenel. - Cette table-ronde a atteint son objectif de clarification afin de mieux comprendre les enjeux de la Conférence de Copenhague.
Je retiendrai plusieurs choses :
- l'importance de l'accord conclu entre les vingt-sept États membres de l'Union européenne en vue de la Conférence de Copenhague ;
- l'importance du suivi de l'accord auquel la Conférence aboutira plus que de l'accord lui-même ;
- l'enjeu d'une représentation au plus haut niveau lors de cette Conférence vis-à-vis de l'opinion publique.
En conclusion, je salue la force de conviction et de persuasion du ministre d'État, espérant qu'elle soit tout aussi efficace à Copenhague.