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Mardi 7 avril 2009
- Présidence de M. Hubert Haenel -Agriculture et pêche
Élaboration de vins
de table rosés
par coupage de vin rouge et de vin
blanc
Communication et proposition de
résolution
de MM. Gérard César et Simon
Sutour
M. Simon Sutour. - Voici en quelques mots les raisons qui me paraissent justifier le dépôt d'une proposition de résolution.
Tout d'abord, autoriser la production de vin rosé par coupage de vin rouge et de vin blanc me paraît une mauvaise mesure sur le fond. Ces dernières années, des efforts importants ont été faits pour promouvoir le vin rosé et en améliorer la qualité. Ces efforts étaient d'ailleurs cohérents avec le discours que tenait la Commission européenne au moment de la réforme de l'OCM « vin » : privilégier la qualité et savoir s'adresser au consommateur. Les résultats sont là, puisque les ventes de vin rosé ont progressé, et notamment au profit des producteurs français, qui assurent 29 % de la production mondiale. Ces efforts pour revaloriser l'image du vin rosé vont être compromis dès lors que cette catégorie de vins ne correspondra plus à un type de production, mais pourra aussi recouvrir un mélange de vins. On va exactement dans le sens contraire de l'orientation en faveur de vins de qualité, identifiables par le consommateur. On va brouiller l'image du vin rosé.
Le résultat sera forcément négatif. Quand le consommateur ne trouve pas, sous une dénomination qu'il connaît, un produit répondant à ses attentes, il perd confiance dans cette dénomination et s'en détourne. Par ailleurs, le marché risque d'être déstabilisé. On va utiliser les excédents d'autres vins pour produire un pseudo-rosé qui va arriver sur le marché au moment même où on va jeter le doute dans l'esprit du consommateur.
Ensuite, je voudrais souligner que cette mesure est particulièrement malvenue. La viticulture est une activité en crise dans certaines régions, dont la mienne. Or, cette mesure sera perçue comme un manque de respect. Le vin représente une culture, un savoir-faire, une tradition. Autoriser n'importe quel mélange, c'est ignorer cette dimension du vin, qui n'est pas un produit industriel. Les viticulteurs vont avoir le sentiment d'une forme d'ignorance, voire de mépris pour ce qu'ils font, alors qu'ils doivent faire face à une situation difficile.
J'ajoute que la procédure de décision me paraît anormale. On a le sentiment que personne ne contrôle vraiment ce qui se passe dans ces comités où des experts de la Commission retrouvent des experts des États membres. Personne ne semble contrôler ces comités, et notamment pas notre Gouvernement, alors que le vin n'est pourtant pas une petite affaire pour notre pays, même du point de vue strictement économique. Dans un premier temps, notre représentant a dit « oui » ; lors d'un second vote, il s'est abstenu ; et tout laisse à penser que le troisième vote sera négatif, alors que pendant un certain temps il était question de se contenter d'une concession sur l'étiquetage.
Il est particulièrement étonnant que l'expert représentant la France ait donné son accord dans un premier temps. On nous a dit qu'il s'agissait d'un « paquet », et que l'expert en question avait considéré que, les autres aspects du « paquet » étant satisfaisants, il pouvait approuver l'ensemble. Je considère pour ma part qu'une appréciation de ce type est une appréciation politique qui ne devrait pas être laissée à un expert. Je le disais à l'instant, le vin a une dimension culturelle, symbolique ; je veux bien que les comités règlent des questions purement techniques, mais certainement pas des questions qui touchent à cette dimension culturelle, et qui ont donc une portée politique.
Quand nous avons entendu le secrétaire général du SGAE, il nous a dit que son administration elle-même ne parvenait pas à contrôler ce qui se passe dans ces comités. On se demande où se trouve la supervision pourtant indispensable.
Enfin, ce manque de responsabilité ne peut que donner une mauvaise image de l'Europe, alors que nous sommes à deux mois des élections européennes. Voudrait-on donner des arguments aux eurosceptiques qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Ce genre de bévue ne peut que décourager ceux qui essayent de faire avancer l'idée européenne sur le terrain. J'espère que nous parviendrons à la rattraper ; je crois que le gouvernement a pris conscience - tardivement - de la nécessité de le faire. C'est le moment ou jamais de montrer que l'Europe, ce n'est pas une machinerie qui tourne inexorablement, mais qu'on peut au contraire corriger, redresser un processus de décision mal engagé.
C'est pourquoi je souhaite que cette proposition de résolution soit adoptée le plus rapidement possible.
M. Gérard César. - La Commission européenne propose de reconnaître, parmi les pratiques oenologiques admises dans l'Union, l'obtention de vins rosés par coupage de vins blancs et de vins rouges.
Cette innovation n'est pas acceptable. Grâce aux efforts pour améliorer la qualité et la notoriété du vin rosé produit dans l'Union, ce type de vin a connu une croissance régulière de ses ventes au cours des quinze dernières années. La France en est d'ailleurs le premier producteur mondial, devant l'Italie et l'Espagne.
Autoriser ce procédé de fabrication brouillerait l'image obtenue grâce à ces efforts, induirait le consommateur en erreur et pourrait déséquilibrer le marché vitivinicole en favorisant l'utilisation des excédents de vin blanc au détriment de la production de vin rosé authentique.
La production européenne doit viser à l'excellence dans le cadre de ses traditions, qui sont perçues par les populations comme un aspect de leur identité culturelle. Elle ne gagnera pas en compétitivité en ternissant l'image de ses productions, ce qui serait le cas dès lors qu'une même catégorie de vins pourrait recouvrir des productions de nature très différente.
Cette mesure va gravement porter atteinte à l'image du vin rosé. Les producteurs ont fait beaucoup d'efforts, et ces efforts vont être remis en cause au moment même où ils commencent à être couronnés de succès. Il est clair qu'une concession sur l'étiquetage ne peut pas résoudre le problème : ce qu'il faut, c'est interdire la production du vin rosé par coupage. Je regrette que la Commission européenne semble surtout s'inspirer des demandes du négoce, au lieu de prendre en compte l'ensemble des données du problème.
Je vous propose donc, en accord avec Simon Sutour, une proposition de résolution invitant le Gouvernement à s'opposer à l'introduction dans la réglementation européenne d'une mesure permettant d'obtenir du vin rosé par coupage de vins rouges et de vins blancs.
M. Jean Bizet. - J'approuve l'analyse de nos rapporteurs. Mais est-il encore possible d'intervenir utilement ?
M. Gérard César. - Je le crois. Le vote a été reporté au 19 juin. Nous avons donc assez de temps pour motiver le Gouvernement, dont la position a déjà évolué.
M. Simon Sutour. - Le report est lié notamment à la demande de l'OMC d'analyser ce texte afin de confirmer que ces nouvelles pratiques sont conformes à ses règles. Nous avons un délai, il faudrait le mettre à profit pour essayer d'amener d'autres pays à partager notre point de vue.
Mme Colette Mélot. - J'approuve l'idée que la définition des vins touche à une réalité culturelle, à des traditions, à des savoir-faire qu'il faut préserver et respecter.
Mme Bernadette Bourzai - Je soutiens également la démarche des rapporteurs. Ce qui se passe aujourd'hui pour le vin rosé risque de se passer demain pour d'autres productions. Je me souviens d'avoir entendu, lorsque j'étais députée européenne, la commissaire européenne Fischer Boel déclarer que l'avenir était à l'« homogénéisation » des productions, en suivant le modèle californien. Il faut absolument faire barrage à cette orientation qui ferait perdre à l'Europe sa spécificité qui est un atout et non un handicap.
M. François Patriat. - La position de certains pays membres peut évoluer, et lors du prochain vote le ministre français aura changé. C'est le moment d'agir, car, après les élections européennes, il sera trop tard. Je ne suis pas de ceux qui refusent sans discernement toute évolution, mais, en l'occurrence, l'opposition est justifiée. Il ne faut pas que les positions du négoce deviennent le critère exclusif d'appréciation.
M. Raymond Couderc. - Dans quelle mesure peut-on espérer que l'Italie et l'Espagne aillent dans notre sens ?
M. Jacques Blanc. - Je crois que nous devrions également nous appuyer sur l'Association des régions viticoles d'Europe. Par ailleurs, je me propose, pour ma part, de saisir le Comité des régions de l'Union européenne.
M. Gérard César. - À l'échelon professionnel, des contacts ont déjà été pris par la Confédération nationale des AOC avec ses homologues européens, notamment en Espagne et en Italie. Je crois que la Hongrie et la Roumanie peuvent être également des alliés.
Je reviens un instant sur l'aspect culturel. On considère de plus en plus la gastronomie comme un aspect des patrimoines culturels, mais la gastronomie française est inséparable du vin, de même que bien d'autres traditions culinaires en Europe.
M. Simon Sutour. - Le report de la décision est un premier progrès. La position du ministre a évolué : il est conscient désormais qu'une mesure concernant l'étiquetage ne peut régler le problème. Je crois que nous devons tout mettre en oeuvre, tant qu'il est temps, pour obtenir le retrait de cette mesure.
M. Jean Bizet. - Dans le cas des allégations nutritionnelles, le Président Barroso lui-même a invité ses services à revoir leur projet.
M. Gérard César. - La commission des affaires économiques va instruire cette proposition de résolution. Ce sera l'occasion, je l'espère, de faire valoir notre point de vue à Bruxelles auprès de la Commission, en même temps que nous inviterons le Gouvernement à agir.
*
À l'issue du débat, la commission a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante et a chargé MM. Gérard César et Simon Sutour de la présenter en son nom :
Économie, finances et fiscalité
Action de l'Union
européenne
pour répondre à la crise économique
et financière
Audition de Mme Christine
Lagarde,1(*)
Ministre de
l'économie, de l'industrie et de l'emploi
M. Hubert Haenel. - Au cours des derniers mois, vous avez passé beaucoup de temps au sein des institutions européennes. Et nous avons pu en juger les résultats. Si le G20 a été considéré unanimement comme une réussite, c'est en large partie grâce aux travaux préparatoires qui ont été menés au sein du Conseil Ecofin et qui ont permis de dégager une position commune au sein de l'Union européenne, notamment à la suite de la concertation franco-allemande.
Nous serions donc très heureux que vous nous exposiez les apports de ce G20, les difficultés surmontées et les perspectives.
Nous souhaiterions aussi que vous nous expliquiez comment sont accueillies au sein de l'Union européenne les propositions du rapport de Jacques de Larosière et si une solution commune - c'est-à-dire avec le Royaume-Uni - est envisageable.
Mme Christine Lagarde. - Il est incontestable que le sommet du G20 du 2 avril 2009 a été un succès. Il a permis d'éviter que l'histoire ne se répète et qu'on ne réédite l'échec de la Conférence de Londres de 1933 lors de la grande crise des années 30. Ce sommet a fourni un signal évident d'unité, qui est susceptible de ranimer la confiance des opérateurs de marchés. Ce sommet a également traduit le retour du politique dans l'économie, quelles que soient les tendances de chacun des participants. Il va permettre de prendre des mesures de relance concertées et de régulation des marchés, de s'opposer au protectionnisme, de réformer les institutions financières internationales et de faciliter le financement du commerce mondial.
Ce sommet a été la manifestation d'un monde multipolaire, où les pays émergents ont pesé sur le débat à côté des pays industrialisés, comme pour la création de nouveaux droits de tirages spéciaux de 250 milliards de dollars pour le Fonds Monétaire International (FMI). Il en a été de même pour le financement des pays en voie de développement et des pays émergents.
Ce sont tout particulièrement les travaux menés entre les Français et les Allemands, ces derniers mois, qui ont permis aux Européens de faire des propositions constructives. Dès le 3 mars, une réunion du Conseil économique et financier franco-allemand avait conduit à identifier les principaux problèmes à traiter : contrôle des agences de notation, définition des territoires non coopératifs et détermination des sanctions qui pourraient leur être appliquées, enregistrement des fonds spéculatifs dès lors qu'ils peuvent avoir des effets systémiques, modification de certaines normes comptables pour la valorisation d'actifs actuellement non cotables du fait des règles de fair value et de mark-to-market, limitation des risques pris par certains opérateurs de marché sous le contrôle du Forum de la stabilité financière.
Ce sont ces propositions, validées par les autorités françaises et allemandes, qui ont donné la possibilité aux États membres d'adopter une position commune lors du Conseil Ecofin et du Conseil européen du mois de mars. Ce sont ces propositions qui ont permis à l'Union européenne d'avoir une position forte tout au long de ce sommet. Ce sont ces propositions qui ont entraîné les autres pays lors du sommet du G20.
La question de la régulation des marchés financiers n'était pas intégrée au communiqué final et elle figurait seulement sous la forme d'une annexe lorsque le Président de la République française et la Chancelière allemande ont fait leur conférence de presse commune à l'ouverture du sommet. C'est bien leur détermination commune qui a permis d'intégrer, entre autres, la liste des centres non coopératifs dans la déclaration finale. C'est cette détermination qui a conduit à faire prendre en compte la flexibilité des outils de prêt du FMI pour répondre aux difficultés financières de certains pays.
La déclaration finale est satisfaisante puisqu'elle répond, à la fois, à l'objectif de relance économique demandé par les États-Unis avec les 5 000 milliards de dollars déjà engagés - les États acceptant par avance d'aller plus loin encore si un nouveau dérapage de la conjoncture intervenait -, et à l'objectif de retour à l'équilibre des finances publiques à moyen et long terme après la crise économique et financière actuelle. Elle est également satisfaisante puisque la nécessité de régulation des marchés est reconnue pour les agences de notation, pour les fonds spéculatifs, pour la rémunération des opérateurs de marché, pour les principes comptables, pour les territoires non coopératifs et pour les engagements minimum des banques en matière de titrisation.
Le Conseil de stabilité financière (CSF) remplace en outre l'ancien forum de la stabilité financière. Il s'agit d'une institution renforcée par la présence de l'ensemble des membres du G20 ; elle aura pour mission la surveillance des marchés, la préservation de l'efficacité de la supervision, l'alerte, avec le FMI, des autorités en cas d'émergence de nouvelles bulles spéculatives.
Le financement des pays en voie de développement ou des pays en difficultés temporaires est renforcé par le triplement à 750 milliards de dollars des ressources du FMI, dont les conditions d'intervention sont par ailleurs assouplies. En effet, ses moyens sont renforcés en partie par la création d'un nouvel instrument qui pourrait être les prémices d'une nouvelle monnaie à caractère supranational sous la forme de droits de tirage spéciaux (DTS) à hauteur de 250 milliards de dollars.
Le refus du protectionnisme se traduit enfin par l'engagement d'un financement du commerce international à hauteur de 250 milliards de dollars et par la demande faite à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) d'identifier toutes les formes de protectionnisme pour pouvoir mieux les dénoncer. Le G14 de juillet prochain en Italie devrait ainsi prolonger ces mesures par une relance du cycle des négociations commerciales de Doha menées dans le cadre de l'OMC.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Je vous félicite pour les résultats obtenus au G20. Pourriez-vous nous préciser la nature des relations qui vont s'établir entre le FMI et le Conseil de stabilité financière (CSF) ? Par ailleurs, comment peut-on envisager la reprise des négociations à l'OMC tout en sauvegardant les intérêts de notre pays ? Enfin n'êtes-vous pas inquiète de la frilosité de nos partenaires sur les questions de la régulation financière ? Quels sont les crans d'arrêt qui permettraient d'éviter que le succès du G20 ne soit qu'un succès provisoire ?
M. Jean Bizet. - Je vous félicite pour votre excellent travail. Quel est votre sentiment sur la position des États-Unis au regard du dollar compte tenu de l'importance du déficit budgétaire américain ? Peut-on imaginer l'émergence d'une autre monnaie internationale de réserve que le dollar ? Sur les relations commerciales internationales, j'imagine mal que les négociations puissent repartir sur la base du pré-accord de juillet 2008 qui était inacceptable pour les Européens, notamment sous l'angle agricole. Or, un nouvel accord impliquerait aussi que soit revue la notion de pays en voie de développement, en particulier pour la Chine, l'Inde ou le Brésil. L'absence de préoccupations environnementales n'est pas non plus tolérable. Quel est votre sentiment ?
Mme Nicole Bricq. - Les compromis actés dans la déclaration finale sont une base de départ. On peut néanmoins regretter que les mesures de soutien à l'économie réelle soient passées au second plan, puisque l'environnement est renvoyé à la Conférence de Copenhague de la fin 2009 et que les mesures de relance sont hétérogènes. La déclaration ne retient par ailleurs des hedge-funds que ceux qui présentent un risque systémique ; quelle est la méthode, en France et en Europe, pour la sélection de ces hedge-funds ? Qu'en est-il finalement de la création d'un Comité européen du risque systémique qui avait été suggéré par le rapport de M. de Larosière, mais qui n'a pas le soutien des Britanniques ? De quelle manière seront financés les 75 milliards d'apport de l'Union européenne au FMI ?
M. Christian Poncelet. - Je vous fais part aussi de mes compliments pour l'action difficile que vous menez à la tête de votre ministère. Les grands pays industrialisés se sont montrés tous en faveur de la régulation de la finance mondiale. Mais quels sont les autres grands pays qui ont été contre ? L'Allemagne venant d'engager une nouvelle relance économique, la France a-t-elle l'intention d'agir de la même manière ? Compte tenu de la différence de situation économique des États en Europe, ne faut-il pas une réelle solidarité entre eux ? Peut-on craindre enfin une dévaluation du dollar ?
M. Pierre-Yves Collombat. - La déclaration suggère de remettre la croissance et le monde de la finance au service des citoyens et des entreprises. J'en déduis qu'elle ne l'était pas, ce qui m'étonne ! Que veut dire, d'autre part, pour la France, cette autre suggestion tendant à sauver des millions d'emploi par le soutien aux revenus ? Cette suggestion est-elle compatible avec la résolution portant sur la soutenabilité à long terme des finances publiques et sur la stabilité des prix ? Ce qui veut dire, en fait, l'exclusion de toute mesure en faveur des salaires ayant pour conséquence un déficit budgétaire, lui-même source d'inflation.
M. Dominique Braye. - J'ai cru comprendre, selon diverses sources, que la liste de l'OCDE sur les territoires non coopératifs n'était pas exhaustive et que certains centres proches de grands États forts, comme la Chine ou certains États fédérés américains, avaient été oubliés. Cette situation résulte-t-elle de concessions que certains membres du G20 ont été obligés de faire pour arriver à un consensus général ?
M. Jacques Blanc. - On oublie que si le G20 a pu se réunir, c'est bien parce que la présidence française de l'Union européenne avait lancé cette initiative sur la crise financière l'année dernière. Le succès est déjà réel, même s'il faut attendre pour en voir les effets. Comment vont être financés les engagements pris ?
M. Jean-Pierre Vial. - Je m'associe aux félicitations qui vont ont été adressées. Je voudrais vous interroger sur la prise en compte des besoins de l'économie réelle par l'Union européenne. Je vous avais interrogée, il y a un an, sur le devenir du secteur industriel des électro-intensifs qui est très dépendant du prix de l'énergie sous le contrôle de la Commission. Nous avons encore deux industriels de l'aluminium en France grâce au fait que nous disposons d'une énergie au meilleur coût, qui est aussi une énergie non carbonée. Mais il n'y en aura bientôt plus en Europe du fait de ces contraintes tarifaires européennes. Ne faut-il pas revoir ces règles pour maintenir compétitives nos industries ?
Mme Christine Lagarde. - Le CSF comprend désormais les superviseurs de tous les pays du G20. C'est donc un organe représentatif de l'ensemble du monde industrialisé. Il peut également formuler des propositions, comme on a pu le constater, par exemple, pour la rémunération des opérateurs de marché. Le G20 a décidé que le CSF et le FMI doivent travailler en étroite coopération. Le FMI, outre son rôle de financeur, est désormais aussi chargé de la mise en oeuvre des recommandations du CSF ; il lui revient aussi d'alerter ses membres en cas d'apparition de risques systémiques.
Pour les raisons que vous avez évoquées, je crois, comme vous, qu'il serait déraisonnable de relancer les négociations de l'OMC sur la base du relevé de conclusions de juillet 2008, relevé qui ne couvre ni les questions sociales, ni les questions environnementales, ni les questions d'investissements. Il faudrait, soit repartir des négociations de Hong-Kong de 2007, soit redéfinir le cadre des négociations sur la base d'une véritable impulsion politique et dans l'intérêt de tous les pays. J'en veux pour preuve les avancées réalisées dans le cadre bilatéral entre la France et le Brésil sur les questions agricoles - bioéthanol, poulet, vache allaitante. Cela me semble d'autant plus souhaitable que les États-Unis sont en train de réexaminer leurs positions sur la demande de rééquilibrage du « paquet » de juillet 2008, qui est sur la table des négociations.
Pour la régulation financière, il faut bien comprendre que chaque pays est arrivé au G20 avec ses propres revendications. Figurant à l'origine dans une annexe, la liste des territoires non coopératifs est devenue une déclaration solennelle, grâce, notamment, à la détermination du Président de la République. La meilleure garantie du succès du G20, c'est l'échec du système antérieur de supervision et de régulation, parfois incohérent et non coordonné, échec qui a détruit tellement de valeur. De nombreuses mesures ont déjà été prises à la suite du précédent sommet de Washington et sont consignées dans le document du G20 de Londres.
La question du dollar est une question déterminante pour les relations commerciales internationales et pour les grands équilibres monétaires. Personne, à commencer par la Chine, qui dispose d'importantes réserves en dollar, n'a intérêt à un affaiblissement du dollar.
Le sommet de Londres n'était qu'un pas dans le long processus commencé à Washington. Il y aura ainsi une réunion d'évaluation à New York en septembre prochain pour faire le point sur les mesures prises à la suite du G20 de Londres, en particulier sur l'établissement de la liste des sanctions, d'une part, vis-à-vis des territoires non coopératifs restés en liste grise, et, d'autre part, vis-à-vis des banques qui continueraient à travailler avec ces centres non coopératifs.
L'augmentation de la contribution de l'Union européenne aux ressources du FMI sera graduelle et progressive. Il ne s'agit pas de passer en une fois de 250 à 750 milliards de dollars. Ce montant lui donne en fait la possibilité d'intervenir jusqu'à ce niveau, en fonction des besoins des pays en difficulté. Les Japonais se sont engagés pour 100 milliards de dollars. La Chine ne s'est pas encore déterminée, mais il est probable qu'elle devrait augmenter sa participation financière pour pouvoir bénéficier d'une présence plus importante dans la gouvernance mondiale. Les 75 milliards d'euros de contribution de l'Union européenne au FMI seront fournis sous la forme de prêts souscrits auprès des banques centrales, sans incidence budgétaire, selon les quotas habituels des États membres.
Lors des derniers débats entre ministres des finances à Prague, de nombreux pays se sont montrés en faveur des propositions du rapport Larosière sur le Conseil européen d'identification des risques et sur le comité des superviseurs compétents en matière bancaire, boursière et d'assurances. Ces organes pourraient avoir des compétences normatives et d'arbitrage en cas de divergences d'interprétation entre superviseurs.
Qui s'oppose à la régulation financière ? Aucun pays. Mais chacun a des revendications particulières.
M. Christian Poncelet. - Les décisions sont prises à la majorité ou à l'unanimité ?
Mme Christine Lagarde. - À l'unanimité. Mais les positions se sont beaucoup rapprochées pendant les travaux préparatoires.
Dans sa déclaration sur le monde de la finance, le G20 a voulu que le citoyen et l'entreprise, qui sont les véritables créateurs de valeur au côté des banques, soient replacés au coeur de l'économie. Sur les mesures de soutien à l'économie, l'Allemagne a consacré 80 milliards d'euros, la France près de 50 milliards d'euros, sans compter l'effet des stabilisateurs automatiques.
M. Pierre-Yves Collombat. - Est-ce que vous voulez dire par là que la France a fait son travail et qu'on va en rester là ?
Mme Christine Lagarde. - Il y a des divergences sur les modes de comptabilité des plans de relance : prise en compte ou non des stabilisateurs automatiques et des investissements des entreprises publiques. Mais la déclaration indique bien que, si la situation devait s'aggraver, les pays iraient au-delà des 5 000 milliards déjà engagés au niveau mondial. La situation est très variable selon la situation des uns et des autres. La partie de la déclaration sur « la soutenabilité budgétaire à long terme » a été insérée à la demande de deux États pour que l'objectif de finances publiques saines et équilibrées à long terme ne soit pas oublié. Cela veut dire aussi qu'on ne peut pas en permanence créer une dette qui sera reportée sur les générations futures.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je déduis des termes de cette déclaration que le G20 n'a pas pris de nouvelles décisions en la matière, mais qu'il a simplement pris acte des engagements passés.
Mme Christine Lagarde. - J'attire votre attention sur le paragraphe 6 de la déclaration qui indique clairement que les pays iront au-delà de ces engagements si la situation l'exige : « Nous avons pris l'engagement de porter notre effort budgétaire au niveau nécessaire pour relancer la croissance ». Avec ce paragraphe 6 et le paragraphe 10 sur la soutenabilité budgétaire à long terme, vous avez tous les éléments de cadrage des décisions de relance. Mais les plans déjà décidés ne sont pas encore tous en phase d'application : pour la France, près de 80 % des mesures de relance porteront sur l'année 2009 alors que seuls 24 % du plan Obama concernent l'année 2009.
La liste OCDE a évolué. La liste noire s'est progressivement réduite avant même la réunion du G20 du fait des engagements des pays concernés à coopérer et à se mettre aux normes de l'OCDE : Suisse, Autriche, Lichtenstein, Singapour, Monaco, Andorre. Depuis Londres, la liste noire est vide ; le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l'Uruguay ont accepté de se mettre aux normes de l'OCDE. Mais il faudra surveiller les États placés en liste grise. Le Luxembourg a déjà relancé le débat sur les territoires qui n'apparaissent pas dans les listes.
Pour les industries grosses consommatrices d'énergie électrique, il est probable que les positions européennes vont évoluer du fait de la crise, comme elles vont sans doute aussi évoluer sur le terrain de la concurrence, des aides d'État et de la politique industrielle en général.
* 1Cette réunion était ouverte à tous les sénateurs.