Mercredi 9 avril 2008
- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président. -Energie nucléaire - Audition de M. André-Claude Lacoste, président du collège de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), de M. Michel Bourguignon, Mme Marie-Pierre Comets et M. Marc Sanson, commissaires
La commission a procédé à l'audition de M. André-Claude Lacoste, président du collège de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), de M. Michel Bourguignon, Mme Marie-Pierre Comets et M. Marc Sanson, commissaires.
M. Jean-Paul Emorine, président, s'est félicité de l'audition du président de l'Autorité de sûreté nucléaire, rappelant que celle-ci avait été créée par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire -dite loi TSN- dans laquelle la commission des affaires économiques du Sénat s'était fortement investie. Il a ajouté qu'il était important pour la commission de procéder à cette audition dans le contexte général du développement de la filière nucléaire et de son intérêt économique tant au niveau international qu'en France, comme en témoigne la publication récente du Livre vert relatif au pôle nucléaire bourguignon.
M. André-Claude Lacoste, président du collège de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a tout d'abord présenté le rapport de l'ASN sur l'état de la sûreté et de la radioprotection en France en 2007 en rappelant le cadre juridique dans lequel s'inscrit cette Autorité. Il a indiqué que la loi TSN du 13 juin 2006 et la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs avaient toutes deux rénové ce cadre juridique en transformant l'ancienne Autorité de sûreté nucléaire, qui dépendait de plusieurs ministères, en une autorité administrative indépendante. Il s'est félicité du fait que, malgré certaines difficultés, la plupart des décrets d'application de ces deux lois aient été pris et que les décrets les plus urgents aient tous été signés avant le mois de mars 2008.
Il a ensuite présenté le mode de fonctionnement de l'ASN. Cette autorité est tout d'abord en charge du contrôle des 120 grandes installations nucléaires ainsi que de 50.000 sources radioactives, représentant le « nucléaire de proximité », essentiellement dans le domaine médical. L'ASN pratique des contrôles proportionnés à l'importance des enjeux constitués par chacune de ces installations, en procédant par examen des dossiers d'autorisation, par des vérifications sur le terrain ou par des inspections. Pour la première année d'activité de l'ASN en tant qu'autorité administrative indépendante, il a été procédé à 800 inspections d'installations nucléaires importantes et à autant d'inspections concernant le nucléaire de proximité.
S'agissant de l'organisation de l'ASN, celle-ci est dirigée par cinq commissaires, dont trois, parmi lesquels le président, sont nommés par le Président de la République et les deux autres respectivement par le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat. Les services de l'ASN, animés par un directeur général, se composent de sept directions nationales et de onze divisions territoriales, dirigées chacune par un délégué qui n'est autre que le directeur régional de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) mis à disposition de l'Autorité pour 10 % de son temps. Au total, l'ASN emploie 400 agents répartis à égalité entre administration centrale et territoriale, pour un budget annuel de 50 millions d'euros, auxquels viennent s'ajouter 70 millions d'euros de « droit de tirage » sur les expertises réalisées par l'Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire (IRSN). L'action des services de l'ASN est par ailleurs complétée par les travaux de différents groupes d'experts.
M. André-Claude Lacoste a ensuite présenté les principales conclusions de l'ASN après un an de contrôle des grandes installations nucléaires, estimant que la situation française était assez satisfaisante pour chacun des quatre grands exploitants nucléaires. Concernant EDF, il a estimé que le niveau de sûreté des centrales, plutôt satisfaisant, nécessitait d'être amélioré, notamment en termes de rigueur d'exploitation. Il a distingué, d'une part, deux centrales plus performantes que la moyenne en termes de sûreté, celle de Nogent-sur-Seine et de Golfech et, d'autre part, trois centrales étant dans une situation moins favorable que la moyenne, à savoir les centrales de Fessenheim, Flamanville et Gravelines. Plus spécifiquement, il a fait état du contrôle par l'ASN de la construction du réacteur EPR à Flamanville et mentionné un problème générique de colmatage des générateurs de vapeur des réacteurs de 900 et 1.300 mégawatts (MW).
S'agissant ensuite du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), lui aussi exploitant de grandes installations nucléaires, il a fait état des efforts d'organisation réalisés, mais a toutefois considéré que des progrès restaient à accomplir en matière de sûreté. Il a notamment mentionné un incident survenu sur le site du CEA de Saclay, qui avait consisté en la pénétration d'une personne non autorisée dans la zone rouge de l'installation. Il a précisé que cet événement avait donné lieu à la convocation du directeur du centre de Saclay devant le collège de l'ASN à des fins d'explications.
En ce qui concerne AREVA, il a indiqué que les questions essentielles touchaient d'une part, à la reprise par l'entreprise des déchets anciens du site de La Hague ainsi qu'à l'assainissement d'une installation du site de Cadarache dénommée ATPU, dont les déchets radioactifs doivent être repris en charge par AREVA avant le 1er juillet prochain.
Enfin, concernant l'Agence nationale des déchets radioactifs (ANDRA), l'ASN a mentionné les retards pris par la création d'un site de stockage des déchets à faible activité, prévu par le plan national de gestion des déchets radioactifs, et nécessaire pour accueillir les déchets issus du démantèlement des réacteurs d'EDF de première génération.
Puis M. André-Claude Lacoste a rendu compte de l'action de ses services en matière de contrôle du nucléaire de proximité. Dans le secteur de l'industrie et de la recherche, il a fait part de la très forte attention accordée par l'ASN à l'utilisation de la gammagraphie, technique qui utilise des sources très actives, dont les pertes sont susceptibles d'occasionner des dommages très graves aux personnes qui les manipulent ou lorsqu'un incident se produit. Il s'est interrogé sur l'opportunité de restreindre les conditions d'utilisation de cette technique, en particulier dans les cas où elle n'est pas vraiment justifiée ou lorsque le personnel n'est pas en mesure d'assurer une complète sécurité du processus. En matière médicale, il a rappelé que, chaque année, 70 millions d'actes de radiologie et d'imagerie étaient réalisés en France, ainsi que 200.000 actes de radiothérapie dans le cadre du traitement des cancers. Revenant sur les accidents déclarés à Epinal et à Toulouse, il a estimé que seule une part des problèmes de la radiothérapie était aujourd'hui connue et que, ceux-ci se révélant souvent bien a posteriori, il n'était pas impossible que de nouveaux accidents soient révélés dans les années qui viennent. Aussi, a-t-il indiqué qu'en 2007, l'ASN avait procédé à des inspections des 180 centres de radiothérapie pour lesquels des mesures seraient prochainement proposées. A ce stade, il a tenu à souligner d'une part, le manque de personnel qualifié et d'autre part, les insuffisances en termes de respect des procédures de qualité et des règles de radioprotection dans les établissements de santé.
Enfin, il a évoqué plusieurs perspectives pour l'avenir. L'ASN devra tout d'abord approfondir son approche intégrée de l'ensemble des enjeux relatifs aux installations nucléaires de base, qu'il s'agisse des aspects techniques, de la protection des travailleurs et de l'environnement, de la bonne organisation de l'installation ainsi que de l'équilibre entre sûreté et compétitivité. Compte tenu de l'importance de la mission de l'ASN en matière de transparence, ses services ont pris le parti de publier les lettres de suite relatives aux contrôles de sûreté réalisés dans l'industrie. Il est également envisagé de publier les lettres de suite d'inspections dans le domaine médical. L'ASN pourrait également être davantage en charge des aspects de la sécurité nucléaire qui dépassent le strict cadre de la sûreté, à savoir les mesures de prévention, notamment relatives aux règles de construction des installations, ou de la protection contre les actes de malveillance. S'agissant de l'activité internationale de l'Autorité, elle mène une action active en faveur d'une harmonisation des règles par le haut et elle est en outre fortement sollicitée par des demandes de coopération et d'assistance émanant aussi bien de pays déjà avancés en matière nucléaire que de pays en voie de développement.
M. André-Claude Lacoste a aussi fait valoir son attachement à la promotion d'une expertise diversifiée, estimant que les parties prenantes devaient pouvoir faire appel à d'autres intervenants que l'IRSN et qu'il convenait notamment de promouvoir et de valoriser les compétences des universités et des autres centres de recherche en la matière. A propos du budget de l'ASN, il a souligné le caractère complexe de la structure budgétaire actuelle en vertu de laquelle l'Autorité est financée par des crédits relevant de trois actions budgétaires inscrites dans deux programmes différents et auxquelles s'ajoutent les crédits de l'IRSN relevant eux-mêmes d'une autre mission du budget de l'Etat.
Après avoir félicité le président de l'ASN pour la qualité de sa présentation et de ses explications, M. Jean-Paul Emorine, président, s'est interrogé sur la gravité des anomalies relevées par l'ASN à l'occasion de ses contrôles dans les installations nucléaires, notamment les centrales.
En réponse, M. André-Claude Lacoste a précisé que l'ASN recherchait, au travers de contrôles très minutieux, à promouvoir une exploitation en toute sûreté dans des conditions optimales. Il a par conséquent considéré que le caractère très rigoureux de ces inspections conduisait nécessairement l'ASN à détecter des anomalies, dont la plupart ne présente, en règle générale, aucune dangerosité.
M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l'ASN, a ajouté que les contrôles étaient effectués site par site et que le jugement de l'Autorité sur un site était fondé sur le résultat des inspections effectuées, les incidents signalés par l'exploitant et sur les examens techniques préalables aux autorisations. Ces appréciations sur la sûreté, qui constituent une photographie de l'installation à un instant donné, ont conduit l'ASN à émettre un jugement positif sur deux sites nucléaires exploités par EDF (Nogent-sur-Seine et Golfech) et à formuler des observations particulières sur trois sites (Fessenheim, Flamanville et Gravelines). Dans le second cas de figure, ces remarques sont liées à une mauvaise ou insuffisante application des règles d'exploitation, à des difficultés d'exploitation et à des insuffisances portant sur la préparation et l'exécution des arrêts périodiques de réacteurs nucléaires, avec une attention particulière portée, dans ce cadre, au contrôle des prestataires extérieurs. Suite à la communication de ces remarques à l'exploitant, il lui appartient alors d'y donner les suites appropriées et de procéder aux améliorations nécessaires.
M. Henri Revol a demandé des précisions sur le rôle joué par l'ASN tout au long des procédures d'instruction des dossiers d'autorisation d'exploitation des installations nucléaires et s'est interrogé sur les évolutions des missions qu'avait occasionnées, pour l'Autorité, l'adoption de la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité nucléaire, notamment dans ses relations vis-à-vis du gouvernement.
Rappelant qu'à l'occasion de l'examen du projet de loi, un débat avait eu lieu sur l'articulation des compétences respectives entre l'ASN et le gouvernement, M. André-Claude Lacoste a relevé que ce dernier avait en définitive conservé la maîtrise d'un nombre limité de procédures d'autorisation, au nombre desquelles celles ayant trait aux décrets d'autorisation de création d'une installation nucléaire. Dans ce cadre, l'ASN procède à l'instruction des dossiers et le gouvernement conclut la procédure, celui-ci demeurant compétent pour signer, ou non, le décret. Même si l'ASN manque encore de recul pour porter une appréciation définitive sur cette nouvelle procédure, l'instruction des premiers dossiers d'autorisation sous ce régime juridique laisse apparaître une mise en oeuvre satisfaisante.
Faisant référence à un rapport rédigé par M. Jean-François Viel, professeur de médecine, qui aurait mis en évidence des risques liés aux activités nucléaires sur la santé humaine, notamment par une augmentation des risques de leucémie chez les enfants, M. Jean Bizet, doutant que les conclusions de cette étude soient probantes, s'est demandé si l'ASN disposait d'études fiables ayant permis d'apporter une réponse à ces questions qui demeurent d'actualité. Puis il a déploré l'absence d'un cadre juridique harmonisé au plan communautaire régissant les prérogatives des autorités de sûreté nucléaire et les conditions d'autorisation des installations nucléaires.
M. André-Claude Lacoste a rappelé que le rapport de M. Viel avait mis en évidence une anomalie statistique en matière de répartition des cas de leucémies infantiles, et ce, autour du site de La Hague. Il a nuancé la portée de ce résultat en précisant que, parmi les nombreuses études consacrées à ce sujet, celle-ci était la seule qui concluait dans ce sens.
En complément, M. Jean-Christophe Niel a indiqué que l'ASN avait constitué un groupe d'experts dédié à cette question, en partenariat notamment avec l'IRSN, qui aura pour tâche de poursuivre les travaux sur l'impact des activités nucléaires sur la santé humaine.
S'agissant de l'harmonisation du cadre juridique des activités nucléaires au niveau européen, M. André-Claude Lacoste a rappelé que la Commission européenne avait, il y a quatre ans, préparé plusieurs propositions de directives qui avaient ensuite été abandonnées à la suite de réticences formulées par certains Etats membres. En revanche, il a souligné que, dans le cadre de la « Western European Regulators' Association » (WENRA) (association qui regroupe les responsables des 17 autorités de sûreté nucléaire en Europe), des travaux d'harmonisation des règles techniques avaient été effectués. Par ailleurs, cet organisme s'attache à l'élaboration de nouvelles propositions de directives. Tout en notant que la Commission européenne souhaitait également reprendre de tels travaux, qui pourraient être relancés sous l'impulsion de la présidence française de l'Union européenne, il s'est félicité de la très bonne qualité de la coopération entre les autorités de sûreté dans ce cadre.
M. Philippe Darniche s'est interrogé sur les progrès réalisés en matière de traitement des déchets nucléaires, se demandant si ceux-ci se situaient à la hauteur des enjeux liés à la relance du nucléaire. Puis, faisant référence à l'émotion suscitée dans l'opinion publique par les récents incidents liés à une exposition trop forte aux radiations dans le secteur médical, qui mettent en lumière la nécessité de disposer d'un personnel médical qualifié, il s'est demandé si des mesures avaient été prises auprès du corps médical après ces incidents.
M. André-Claude Lacoste a tout d'abord fait valoir que la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs avait permis d'instaurer un plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs. Au-delà, il est nécessaire que la France dispose, sur le terrain, des structures adaptées pour procéder à une gestion satisfaisante des déchets, ce qui est le cas avec l'usine de retraitement de La Hague et les deux centres de stockage de déchets radioactifs de faible activité. En outre, les recherches sur les autres types de stockage, notamment pour les déchets à haute activité à vie longue, doivent être poursuivies, la loi de 2006 ayant fixé comme objectif l'ouverture à terme d'un centre de stockage situé en couche géologique profonde. En ce qui concerne les incidents liés aux actes médicaux radiologiques, il a relevé les difficultés à définir des mesures d'amélioration ayant un impact immédiat, dans la mesure où il apparaît nécessaire au préalable de former et de recruter des personnels compétents et de diffuser dans le corps médical une culture de la radioprotection, soit autant d'actions devant être mises en oeuvre dans la durée.
Constatant que le nucléaire français constituait un atout énergétique, mais aussi économique à l'exportation, dans la mesure où peu de pays au monde maîtrisent cette technologie, M. Jean-Marc Pastor s'est interrogé sur le positionnement de l'ASN dans ses relations avec les pays qui souhaitent importer les technologies nucléaires françaises.
M. André-Claude Lacoste a précisé que l'ASN ne jouait pas le rôle du promoteur du nucléaire, puisqu'elle a pour mission de le contrôler. Il a ensuite indiqué que les relations entretenues par l'ASN avec les différents pays dépendaient de leur degré de maîtrise de ces techniques. A titre d'exemple, les coopérations avec des pays comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni sont essentiellement techniques et pratiques puisque ces pays maîtrisent depuis longtemps la technologie. En revanche, les actions de coopération avec les pays ne disposant pas aujourd'hui de la technologie s'inscrivent dans la durée, dans la mesure où il est nécessaire d'élaborer, dans ces pays, une législation adaptée, de créer une autorité de sûreté nucléaire, ce qui demande des délais compris entre dix et quinze ans avant la mise en route effective d'une centrale nucléaire.
M. Claude Biwer s'est demandé si l'ASN pouvait travailler en coopération avec les élus de la région de Bure pour faire le point sur les enjeux liés à la création d'un site de stockage en couche géologique profonde, sollicitation à laquelle M. André-Claude Lacoste a répondu favorablement.