Mercredi 17 octobre 2007

- Présidence de M. Joël Bourdin, président. -

Economie - Prospective - Audition de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques

M. Joël Bourdin, président, a préalablement remercié M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'évaluation des politiques publiques, d'avoir répondu à l'invitation de la délégation dont les compétences sont voisines de celles du secrétaire d'Etat.

Il a insisté sur le fait que, selon la délégation, l'évaluation des politiques publiques doit être pluraliste, participative et utile. Dans ce contexte, la création d'un secrétariat d'Etat à l'évaluation des politiques publiques constitue une étape opportune, notamment en ce qu'elle pourrait déboucher sur une institutionnalisation pérenne d'une évaluation des politiques publiques pleinement démocratique.

Puis, il a invité M. Eric Besson à s'exprimer, d'une façon générale, sur ses projets pour conforter la prospective et l'évaluation des politiques publiques, ainsi que ses travaux concernant la redéfinition de notre système de financement de la protection sociale.

Après avoir souligné l'intérêt des considérations sur la « TVA sociale », contenues dans le rapport de la délégation sur les perspectives économiques à l'horizon 2011, M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'évaluation des politiques publiques, a précisé la nature de ses attributions.

Il a souligné qu'elles relevaient de la « longueur de vue » et de l'« esprit de suite ».

La « longueur de vue », c'est la vision prospective des enjeux de long terme pour notre pays (à 15-20 ans). A ce titre, le ministre conduit des travaux permettant d'identifier et de mesurer l'impact des grandes évolutions de l'économie mondiale sur la France, notamment dans le domaine économique et social, en liaison avec les ministres intéressés. Il identifie les bonnes pratiques mises en oeuvre pour s'y préparer et favorise leur expérimentation en France.

L'« esprit de suite », c'est l'évaluation rétrospective de l'action publique destinée à apprécier leur efficacité en comparant leurs résultats aux objectifs poursuivis et aux moyens mis en oeuvre. A cela s'ajoute l'évaluation préalable des mesures envisagées par le gouvernement. A ce titre, il propose un processus d'évaluation préalable de l'impact des projets de loi, comprenant le diagnostic des difficultés à résoudre, l'énoncé précis des objectifs poursuivis et l'examen de différentes options et de leurs incidences respectives.

M. Eric Besson a remarqué que, ces dernières années, la France a sous-estimé l'importance des questions de prospective. Il existe pourtant un lien direct et démontré entre la capacité anticipatrice d'une nation et sa compétitivité internationale.

Les exercices de prévision ont en outre d'indéniables vertus pédagogiques. Ainsi, le Commissariat général du Plan a souvent été dans le passé le lieu d'un diagnostic partagé, dont le rapport Charpin sur l'avenir des retraites constitue un exemple. Le dernier rapport sur la TVA sociale a permis de mettre en lumière la problématique de la compatibilité entre haut niveau de protection sociale et compétitivité, dont une fiscalisation croissante des ressources de la sécurité sociale constitue la clé.

Puis, M. Eric Besson a décrit les actions engagées à ce jour : en premier lieu, la réalisation d'un diagnostic stratégique à 15 ans pour la France. Il s'agit de mettre en lumière les évolutions fondamentales du monde et de les mettre en rapport avec les forces et les faiblesses de notre pays. Le Premier ministre lui a demandé de concevoir cet exercice à l'échéance de janvier 2008, pour une période de 9 à 12 mois, en s'appuyant sur le Centre d'analyse stratégique, sur le Conseil d'analyse économique, sur un comité d'orientation et, éventuellement, sur un cabinet de conseils en stratégie. Il a suggéré que la délégation du Sénat pour la planification s'associe à cet exercice.

En deuxième lieu, le secrétariat d'Etat accomplit diverses missions se traduisant par la remise de rapports. Celui sur la TVA sociale a déjà été remis au Premier ministre et transmis au Conseil économique et social. Bientôt, un rapport sur la journée de solidarité (« lundi de Pentecôte ») sera rendu et le secrétariat d'Etat s'apprête à travailler sur les partenariats public-privé. D'autres projets sont en gestation : l'employabilité à l'issue des filières de formation professionnelle et supérieure, les politiques migratoires au sein de l'Union européenne, l'aide au retour en tant que levier de création d'activité dans les pays d'émigration...

En troisième lieu, le secrétariat d'Etat est impliqué dans la revue générale des politiques publiques (RGPP). Il s'agit d'un processus permanent de réexamen des politiques publiques qui vise à garantir leur pertinence et à réaliser des économies, à l'image, notamment, de la pratique canadienne. Ce processus peut déboucher sur des audits approfondis. Par exemple, actuellement, le traitement réservé par les politiques de l'emploi aux personnes faiblement productives consiste à inscrire ces dernières dans des trajectoires de formation et d'emploi aboutissant, en théorie, au retour à une productivité « normale », ce qui est illusoire pour nombre d'entre elles : la question peut alors se poser d'imaginer, en France, des solutions nouvelles pour les personnes « faiblement productives ».

Abordant les aspects organisationnels, M. Eric Besson a indiqué la nécessité de faire évoluer le Conseil d'analyse stratégique, dont les nombreux rapports, pourtant de qualité, sont, selon lui, trop peu exploités. Il est souhaitable que la part des saisines ministérielles augmente, sachant qu'aujourd'hui, dans 90 % des cas, le Conseil d'analyse stratégique s'autosaisit. A cet égard, la Grande-Bretagne fait figure de modèle : le Premier ministre formule ses demandes de rapports à une « Strategy Unit », dont les conclusions restent rarement lettre morte.

Par ailleurs, le secrétariat d'Etat se dote d'une équipe réduite, matériellement rattachée au Conseil d'analyse stratégique, qui sera chargée de l'évaluation ex post des politiques publiques. Enfin, le secrétariat d'Etat s'emploie à favoriser une meilleure synergie entre les différents organismes d'études rattachés au Premier ministre.

M. Joël Bourdin, président, après avoir favorablement accueilli la perspective d'une collaboration de la délégation à l'exercice de prospective stratégique 2020, a souhaité que M. Eric Besson s'exprime sur la TVA sociale, insistant sur les problèmes de compatibilité des manipulations des taux de TVA et, plus largement, des prélèvements obligatoires avec l'esprit européen qui devrait faire prévaloir des politiques plus coopératives.

M. Eric Besson a estimé que, d'une façon générale, la mise en place d'une TVA sociale ne serait pas perçue, en Europe, comme un « dumping ». Les Allemands et les Danois estiment qu'en l'absence de maîtrise du change, favoriser la compétitivité au travers d'une hausse de la TVA destinée à financer les charges sociales, est légitime. Pour sa part, la Commission européenne a abordé ces questions ; ses réflexions lui suggèrent, à terme, une harmonisation par le haut du taux normal de TVA. Par ailleurs, M. Eric Besson a précisé que la structure des taux de TVA admise par l'Union européenne - trois taux de TVA possibles, dont un taux normal dans la limite de 25 % - empêche, en pratique, d'expérimenter la TVA sociale sur un secteur particulier.

M. Eric Besson a ensuite livré son analyse de la TVA sociale. Selon lui, la mesure comporterait plus d'avantages que d'inconvénients. La France profite peu de la croissance mondiale et souffre actuellement d'un problème de compétitivité. Il est donc utile de mettre en oeuvre des mesures de compétitivité-prix, même si les coûts de production ne sont pas la seule cause de la dégradation de notre commerce extérieur. Les délocalisations intra-européennes pourraient également se trouver légèrement freinées par la mise en place d'une TVA sociale. Par ailleurs, dans une économie ouverte, il semble toujours plus favorable en termes de compétitivité de taxer la production plutôt que les facteurs de production. Enfin, pour trois points de TVA au taux normal, la mesure entraînerait des créations d'emplois, au moins 160.000 d'après le ministère de l'Economie, des finances et de l'emploi. Une première difficulté pourrait provenir de l'impact sur le pouvoir d'achat. En Allemagne, sur ce point, le débat n'a pas eu lieu car le taux réduit n'a pas été touché. En France, compte tenu, d'une part, du fait que plus de 50 % du panier de consommation des ménages modestes sont soumis à un taux réduit et que, d'autre part, les minima sociaux seraient indexés sur le coût de la vie, une hausse du taux normal de TVA serait en réalité favorable pour les premiers déciles de revenus.

Une deuxième difficulté pourrait provenir du caractère anti-redistributif de la TVA. Sur ce point, le ministre a estimé que s'il est vrai que la TVA est globalement un impôt dégressif, cela ne signifie pas que sa hausse ait de forts effets anti-redistributifs.

En effet, au-delà de la distinction qu'il faut faire entre taux normal et taux réduit, du fait des mécanismes d'indexation des minima sociaux sur les prix, l'effet d'une hausse de TVA (à supposer qu'elle entraîne une hausse sensible des prix) peut même s'avérer positif pour les premiers déciles de revenus d'après les simulations de Bercy.

Enfin, une dernière difficulté pourrait provenir du caractère inflationniste de la TVA sociale. En Allemagne, la hausse de 3 points de la TVA a entraîné un supplément de hausse des prix de l'ordre de seulement 1 point, bien que les entreprises n'aient récupéré, en termes d'allègement des charges, que l'équivalent de 1 point de TVA. Cependant, le comportement des entreprises allemandes, qui ont un taux de marge supérieur à celui des entreprises françaises, n'est peut-être pas transposable à ces dernières.

Enfin, M. Eric Besson a souligné que la mise en place d'une TVA sociale ne suffirait pas à permettre un financement intégral par l'impôt des prestations universelles (correspondant aux branches maladie et famille) : d'autres impôts devraient être sollicités à cet effet.

M. Yvon Collin a souhaité comprendre le diagnostic du rapport sur la compétitivité économique de la France, en particulier, en quoi la situation réelle des coûts salariaux unitaires peut fonder le jugement formulé dans le rapport selon lequel il existerait une anomalie française en matière du coût du travail.

Puis, il a insisté sur la pertinence des trois questions posées par M. Eric Besson dans son introduction : faut-il réduire la taxation du travail ? Le financement de la protection sociale doit-il reposer autant sur les salaires ? Quels types d'impôts peut-on mobiliser de façon alternative ?

M. Yvon Collin a estimé qu'il s'agit de questions politiques au meilleur sens du terme. Le projet de TVA sociale, qui y répond à sa manière, semble cependant poser plusieurs problèmes politiques. La proposition de TVA sociale pourrait être considérée comme rassurante pour ceux qui s'inquiètent du démantèlement de notre système collectif de protection sociale. La solution d'une réduction de périmètre des prestations avec transfert à des systèmes privés n'entre pas dans le raisonnement de ses partisans. Toutefois, la rupture avec la logique mutualiste de notre protection sociale que représente le recours à l'impôt pour financer des prestations assurantielles peut inquiéter : en découplant les payeurs et les bénéficiaires des prestations d'assurance, un biais favorable à une progression mal contrôlée des prestations peut apparaître ; à l'inverse, l'idée que la solidarité nationale n'a pas à financer des bénéfices individuels pourrait advenir, ce qui conduirait à aggraver les problèmes de financement du système et, finalement, aboutir à la perspective d'une privatisation d'une partie de la protection sociale.

En réponse, M. Eric Besson a indiqué que, dans son rapport sur la TVA sociale, il ne disconvenait pas que les performances productives de la France peuvent justifier un coût du travail apparemment élevé. Mais en même temps, il constatait que la France présente des coûts horaires de la main d'oeuvre parmi les plus élevés de l'OCDE, et qu'en tendance, ce coût augmente, alors que de nombreux pays, notammment l'Allemagne, adoptent des mesures de modération salariale, de transfert du financement de la protection sociale vers l'impôt, et de réforme de l'Etat. Il en résulte un désavantage compétitif croissant pour notre pays. Un constat s'impose : les pays qui ont fiscalisé leur protection sociale présentent le meilleur rapport entre compétitivité et solidarité. A titre personnel, M. Eric Besson a jugé inéluctable le mouvement de fiscalisation de la sécurité sociale.

M. Bernard Angels, après avoir rappelé qu'il travaillait à un rapport sur les dépenses publiques, a estimé qu'il importait d'évaluer précisément le périmètre de la protection sociale, qui pèse sur le coût du travail, avant de se prononcer sur la compétitivité.

Puis, il a souhaité savoir si le Conseil économique et social avait été saisi de l'étude des effets d'autres prélèvements que la TVA.

En réponse, M. Eric Besson lui a indiqué, en effet, qu'au cours de l'élaboration de son rapport, d'autres prélèvements avaient été envisagés. Le défaut des propositions, telle la cotisation sur la valeur ajoutée, portant sur une modification de l'assiette de cotisations, est d'aboutir vraisemblablement à pénaliser l'investissement. En réalité, personne n'a défini une assiette idéale et le financement d'une partie de la sécurité sociale par un « mix » de différents impôts parait s'imposer, d'autant plus que certaines charges vont augmenter (vieillissement, maladie). De nombreux pays débattent du meilleur système de prélèvements possible, parallèlement à la recherche d'une plus grande productivité publique. Le système français de prélèvements obligatoires est lourd, complexe et faiblement redistributif. Une révision générale des prélèvements obligatoires (RGPO) vient d'être confiée à Mme Christine Lagarde, ministre de l'Economie, des finances et de l'emploi, et le secrétariat d'Etat y sera probablement associé.

Désignation de rapporteurs

La délégation a procédé ensuite à la désignation de M. Joël Bourdin, président, pour le rapport d'information sur les perspectives économiques à moyen terme de l'économie française, de MM. Joseph Kergueris et Claude Saunier pour le rapport d'information sur l'évaluation de la stratégie dite « Technologies clés 2010 » et de M. Joël Bourdin, président, et M. Yvon Collin pour le rapport d'information sur la coordination des politiques économiques en Europe.