Mercredi 7 février 2007
- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président. -Audition de MM. Pierre Laffitte et Claude Saunier, rapporteurs de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
La commission a tout d'abord entendu MM. Pierre Laffitte et Claude Saunier, rapporteurs de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), sur le premier tome de leur rapport consacré aux apports des sciences et de la technologie au développement durable.
Accueillant MM. Pierre Laffitte et Claude Saunier, M. Jean-Paul Emorine, président, s'est félicité que leur audition se déroule en présence de trois présidents de commissions du Sénat du Burundi, en visite d'étude au Sénat, MM. Anatole Manirakiza, président de la commission permanente chargée des questions politiques, diplomatiques, administratives, de défense et de sécurité, Jean-Marie Rugira, président de la commission des questions institutionnelles, juridiques et des droits et libertés fondamentales, et Zozim Vyubusa, président de la commission chargée des questions économiques, des finances et du budget, auxquels il a souhaité au nom de la commission une amicale bienvenue.
A titre liminaire, M. Claude Saunier a rappelé que le document que M. Pierre Laffitte et lui-même présenteraient à la commission constituait le premier tome du rapport sur les apports de la science et de la technologie au développement durable, que l'OPECST les avait chargés d'établir à la suite d'une saisine du Bureau du Sénat.
Il a indiqué que ce sujet avait le mérite d'inviter à une réflexion sur la notion de développement durable. Rappelant que le développement durable avait été défini en 1987 par Mme Gro Harlem Brundtland, présidente de la commission mondiale sur l'environnement, comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs », il a observé qu'il était parfois irritant de constater que cette notion pouvait être « récupérée » par des firmes ou des groupes participant à la dégradation de la planète et qu'il était dès lors important de lui redonner sa véritable dimension, d'ordre philosophique et politique, celle d'une prise en compte des besoins de l'humanité.
Il a indiqué que l'ampleur du thème dont avait été saisi l'Office avait incité ses rapporteurs à le scinder en deux parties, l'une portant sur le changement climatique et la transition énergétique, l'autre sur les biotechnologies et la biodiversité, démarche qui répondait en outre à leur souci d'ouvrir, avant les échéances électorales de l'année 2007, un débat public sur les questions du réchauffement climatique et des choix énergétiques.
Il a relevé que le diagnostic porté par l'Office en juin 2006 avait depuis été confirmé par le rapport Stern, puis par les récentes conclusions du groupe international des experts sur le changement climatique (GIEC).
Se félicitant de l'irruption de la crise de l'environnement dans la grande presse, dans les débats scientifiques, et même sur le plan politique, avec l'écho rencontré par les propositions de M. Nicolas Hulot, M. Pierre Laffitte a observé que les travaux de l'Office se distinguaient par le souci de formuler des propositions crédibles et de se préoccuper des moyens de leur financement.
M. Claude Saunier s'est associé à ce propos en précisant que M. Pierre Laffitte et lui-même avaient souhaité établir un diagnostic et rendre compte des prévisions actuellement disponibles, mais surtout s'interroger sur les réponses que la science et la technologie pouvaient apporter aux défis du réchauffement climatique et présenter des propositions concrètes.
M. Pierre Laffitte a insisté sur la rapidité et la brutalité du changement climatique. Il a noté que chaque mise à jour des prévisions faisait apparaître une nouvelle accélération de ce changement, de surcroît sans doute sous-estimée, car les modèles utilisés ne tiennent compte ni des effets du réchauffement des océans sur leur capacité à absorber le CO2 ni du rythme réel de la croissance de l'Inde ou de la Chine.
M. Claude Saunier a souligné qu'en raison de la prudence naturelle des scientifiques on pouvait également craindre une sous-estimation des risques liés aux changements climatiques, rappelant qu'une hausse supérieure à 2° de la moyenne des températures pouvait entraîner un « emballement climatique » mettant à mal tous les systèmes de régulation des équilibres climatiques de la planète.
Abordant le sujet de l'impact économique du réchauffement climatique, M. Pierre Laffitte a relevé la convergence entre les données dont faisait état le rapport de l'Office et les estimations du rapport Stern. Il a évalué à 1 % du PIB mondial, en 2005, le coût des événements climatiques, coût qui pourrait être porté à 6 % du PIB actuel en 2050, ce qui correspondrait à une récession mondiale susceptible de menacer le modèle économique et social européen. Il a ajouté que ce coût serait aggravé par l'impossibilité de réparer les dégâts causés par les accidents climatiques, évoquant l'exemple du cyclone Katrina, qui a durablement privé d'emploi un million de personnes.
En conclusion de ce constat, M. Pierre Laffitte a remarqué que, même si certains voulaient encore douter des causes essentiellement anthropiques du réchauffement climatique, l'activité humaine était le seul domaine sur lequel il était possible d'agir pour tenter d'en limiter l'ampleur et les conséquences : la transition énergétique apparaît donc comme le seul moyen de dépasser la crise.
Analysant la problématique du modèle énergétique mondial, M. Claude Saunier a évoqué l'emballement annoncé (86 millions de barils/jour aujourd'hui, 130 à l'horizon 2030) de la demande d'énergie fossile, qui assure actuellement 90 % des besoins énergétiques mondiaux, réalité souvent mal perçue en France en raison de la place qu'y a prise l'énergie nucléaire.
En raison de l'exploitation de plus en plus difficile de la ressource pétrolière, son renchérissement est donc inéluctable, même si les chiffres avancés peuvent varier entre 100 $ et plus de 150 $ le baril.
Passant en revue les scénarios possibles de réaction à cette hausse, et insistant en particulier sur les conséquences catastrophiques d'une absence de réaction, tant en termes de désorganisation de l'économie mondiale que d'aggravation des tensions internationales, M. Pierre Laffitte a estimé qu'il était indispensable et urgent de faire évoluer le modèle énergétique mondial.
Il a souligné que la réussite de la transition énergétique exigeait un effort de volonté politique se traduisant par la prise de mesures législatives, réglementaires et fiscales et par une action internationale permettant de pénaliser les pays qui ne consentiraient pas les efforts nécessaires, ainsi que la prise en compte des délais requis pour adapter les équipements à la nouvelle donne énergétique, faire évoluer les technologies et changer les comportements.
Il convient donc d'engager sans tarder les évolutions nécessaires. Les perspectives actuelles laissant présager un doublement de la production de CO2 à l'horizon 2030, imputable pour 40 % à la production d'électricité, 24 % au transport et 17 % au secteur résidentiel, il est urgent de rechercher des solutions technologiques nouvelles dans ces secteurs.
Insistant également sur l'importance de la gestion du temps, M. Claude Saunier a rappelé que la production de pétrole devrait atteindre son niveau maximal entre 2035 et 2050 mais commencerait ensuite à décliner. On ne dispose donc plus que de 20 à 40 ans pour trouver une alternative à la dépendance à l'énergie fossile, ainsi que pour développer des technologies de « captation-séquestration » du CO2 émis par les centrales thermiques et pour parvenir à la mise en place de réacteurs nucléaires de quatrième génération.
En ce qui concerne les énergies renouvelables, M. Claude Saunier a souligné qu'elles étaient encore loin d'offrir des potentialités à la hauteur des besoins en électricité. En revanche, on peut attendre beaucoup des économies d'énergie réalisables dans le secteur résidentiel, qui pourraient aboutir à une réduction de 40 % de la consommation, à condition toutefois de mener une action très volontariste pour adapter le parc de logements existant.
M. Pierre Laffitte a considéré que le secteur des transports était celui qui posait les problèmes les plus délicats, compte tenu du développement des besoins et du prix que notre société accorde à la mobilité. Il a illustré son propos en évoquant l'augmentation du parc automobile mondial, 700 millions de véhicules aujourd'hui, 1,5 milliard en 2030, et le taux de développement annuel du transport aérien (+5 %) ou maritime (+6 %).
Examinant les solutions techniques envisageables, il a mis en relief les problèmes politiques et logistiques que pose par exemple le développement du ferroutage, et les délais nécessaires, compte tenu du rythme de renouvellement du parc automobile, pour baisser la consommation des véhicules et explorer les filières alternatives : voiture électrique, filière hydrogène, biocarburants de seconde génération.
Abordant ensuite l'examen des propositions concrètes formulées par le rapport de l'OPECST, M. Claude Saunier a indiqué que certaines pouvaient paraître difficiles à assumer ou très coûteuses dans un premier temps, mais il a fait valoir que le combat pour une nouvelle planète pouvait aussi représenter une « nouvelle frontière » génératrice de développement de l'activité économique et de l'emploi.
Il a en premier lieu souligné qu'il fallait améliorer la connaissance du changement climatique, en particulier en augmentant les moyens dont disposent les scientifiques et en favorisant leur accès gratuit à toutes les données qui leur sont nécessaires.
Au niveau international, M. Pierre Laffitte a relevé la nécessité d'intégrer le changement climatique dans la mondialisation, ce qui suppose de réactiver, de généraliser et de réorienter le Protocole de Kyoto ; de poser la question des échanges de CO2 -la solution du marché est-elle suffisante ?- comme celles de la création d'une taxe carbone mondiale et d'une adaptation de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) permettant la taxation des importations provenant des pays qui ne l'appliqueraient pas.
M. Claude Saunier a également appelé de ses voeux un « positionnement » de l'Europe, fondé sur une réorientation de la politique énergétique européenne, la création d'un « label carbone » susceptible de favoriser les productions qui ne contribuent pas aux émissions de CO2, le développement du ferroutage et l'harmonisation de la fiscalité des transports.
Au niveau national, M. Pierre Laffitte a jugé préférable, dans le domaine de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire, de densifier les centres-villes plutôt que d'encourager l'extension des zones urbaines, avec ses conséquences sur la minéralisation des sols, préjudiciable à la ressource en eau, et sur l'explosion des transports.
M. Claude Saunier a souligné l'effort de formation et d'information des acteurs économiques et des citoyens qui devrait accompagner la réorganisation du modèle énergétique et plaidé pour la définition de « feuilles de route » destinées à chaque filière d'activité.
En ce qui concerne la difficile question du préfinancement de la transition énergétique, MM. Pierre Laffitte et Claude Saunier ont indiqué que l'Office avait jugé incontournable le recours à l'outil fiscal, y compris dans ses aspects coercitifs, les incitations pouvant n'être pas suffisantes. Ils ont passé en revue certaines des mesures envisageables : augmentation de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), instauration d'une vignette carbone, taxation des transports autoroutiers. Les rapporteurs ont également insisté sur le soutien à apporter à la recherche dans le domaine de l'énergie et sur le rôle essentiel que devraient jouer les collectivités territoriales pour favoriser et accompagner les changements de comportement.
En conclusion, M. Claude Saunier, rappelant que, comme l'avait dit le Président de la République, « la maison brûle », a insisté sur la nécessité d'engager rapidement des actions concrètes et volontaristes, aussi bien, a précisé M. Pierre Laffitte, au niveau national que régional.
Remerciant les deux intervenants pour la qualité de leur exposé, M. Jean-Paul Emorine, président, a fait remarquer que l'accélération du développement de la population mondiale, qui a mis un siècle à passer de 2,5 à 6 milliards d'individus et atteindra 9 milliards à l'horizon 2030/2050, coïncidait avec celle du réchauffement climatique.
Une première série de questions ont ensuite été posées par les commissaires.
Convenant de la nécessité de formuler des propositions concrètes, même si elles pouvaient paraître « rudes », M. Gérard César a demandé à quel niveau pourrait se situer le taux d'une taxe carbone et si la création d'une telle taxe serait acceptée au niveau mondial. Se référant à la différence des choix énergétiques au sein même de l'Union européenne, il a jugé nécessaire de promouvoir vigoureusement le choix français en faveur de l'énergie nucléaire.
Mme Evelyne Didier a mentionné les incidences dramatiques qu'aurait le réchauffement climatique sur la ressource en eau.
S'appuyant sur l'expérience de sa commune, qui a mis en oeuvre une politique de rachat des habitations situées en zones inondables, elle a souligné le poids financier des politiques tendant à intervenir sur le parc bâti existant et elle a relevé par ailleurs la nécessité, pour faire évoluer les techniques de construction, d'informer les professionnels sur les procédés et les matériaux nouveaux auxquels ils peuvent recourir.
Elle s'est enfin demandé s'il ne conviendrait pas, dans le cadre d'une « guerre totale » au gaspillage énergétique, de retirer du marché des biens ou produits qui vont à l'encontre de cette priorité, citant à cet égard l'exemple des « 4x4 ».
Observant que les questions soulevées par M. Pierre Laffitte sur l'utilisation des sols et la concentration ou la dispersion de l'habitat étaient au coeur des problématiques de l'aménagement du territoire, M. Benoît Huré a remarqué que la concentration de l'habitat et des activités économiques était aussi génératrice de pollution et a suggéré que soit menée une réflexion sur les conditions d'une meilleure répartition de l'activité économique sur le territoire.
Approuvant les propos tenus sur le caractère politique des obstacles au développement du ferroutage, M. Jean-Marc Pastor a évoqué les actions de recherche menées au niveau de régions françaises et espagnoles dans le domaine de la production d'hydrogène et l'amendement sur la fiscalité applicable aux installations de méthanisation des déchets proposé par la commission dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances. Rappelant les actions de formation et d'explication sur le terrain que la commission avait menées à la suite de ses travaux sur les OGM, il a suggéré l'organisation d'un semblable « tour de France » permettant de diffuser les analyses et les propositions du rapport de l'OPECST.
En réponse à ces questions, MM. Pierre Laffitte et Claude Saunier ont notamment apporté les précisions suivantes :
- la réflexion sur la création d'une taxe carbone est née du constat qu'il faut aller au-delà d'une régulation par le marché, mais elle n'a pas encore porté sur la définition de ses modalités ;
- il est important que le nucléaire soit considéré comme un moyen de diversification de la production d'électricité, et les Allemands en font sans doute aujourd'hui le constat ;
- plutôt que d'interdire la vente ou la production de produits portant atteinte à l'environnement, il convient, dans le cadre de l'économie de marché, d'agir par la dissuasion, par exemple au moyen de la taxation ;
- le problème de l'occupation des sols est illustré par le fait qu'en Allemagne, l'espace naturel régresse chaque jour de 100 ha.
Commentant cette dernière réponse, M. Jean-Paul Emorine, président, a rappelé que la densité de la population était beaucoup plus élevée en Allemagne qu'en France, différence qui est certainement à l'avantage de notre pays.
Approuvant MM. Pierre Laffitte et Claude Saunier d'avoir mis clairement en évidence la nécessité d'une rupture et d'une nouvelle politique énergétique, et insistant aussi sur l'importance de la politique d'aménagement du territoire, M. Jean Desessard a estimé que le Sénat, représentant des territoires et des collectivités territoriales, avait un rôle important à jouer dans la défense du développement durable et il a émis l'idée qu'il conviendrait, à l'occasion de l'examen des textes législatifs, de s'interroger systématiquement sur le risque de contradiction entre les mesures proposées et la préservation des ressources naturelles, proposant ainsi d'instituer une procédure d'irrecevabilité écologique : un article « 40 bis ».
M. Bernard Dussaut a cité l'exemple du conseil général de la Gironde, qui impose, dans le cadre des actions menées en partenariat avec les communes et leurs groupements, le respect de critères de développement durable, ce qui favorise la prise de conscience de ces problèmes par l'ensemble des élus et des citoyens.
M. Jean Bizet a insisté sur l'importance d'une prise de conscience collective des problèmes de développement durable et s'est interrogé sur la définition possible d'un « droit d'ingérence » en matière d'environnement. Déclarant partager les positions prises par les rapporteurs, il est convenu de la nécessité d'inventer une « fiscalité innovante » et il a jugé que cette nécessité pouvait être comprise par l'opinion, bien que les mesures fiscales ne soient jamais très populaires.
Il s'est prononcé en faveur d'un renforcement de l'actuel Programme des Nations unies pour l'environnement, souhaitant sa transformation en une Organisation des Nations unies pour l'environnement, et il a estimé qu'il faudrait pouvoir restreindre la libre circulation des produits originaires des pays ne respectant pas les règles de la protection de l'environnement.
M. François Gerbaud a déploré le manque de volontarisme politique qui s'opposait, au niveau communautaire, au développement du ferroutage et aux mesures susceptibles de limiter l'explosion du transport routier. Il a noté que le développement du fret ferroviaire en France dépendrait également de la réponse apportée à une question d'ordre politique, celle de la filialisation de cette activité par la SNCF.
Félicitant à son tour MM. Pierre Laffitte et Claude Saunier pour leur présentation du problème du réchauffement climatique, M. Philippe Darniche s'est demandé si la prise de conscience de ce problème ne serait pas facilitée en mettant davantage l'accent sur les effets collatéraux de ce phénomène dans des domaines très concrets, comme celui de la production agricole.
M. Pierre Laffitte a indiqué que le deuxième tome du rapport, qui traitera de la biodiversité, irait dans le sens de la préoccupation exprimée par M. Philippe Darniche. Il a également insisté sur la nécessité d'évoluer vers la transition énergétique dans le cadre d'un grand programme national, rappelant que la mise en place du nucléaire s'était étendue sur 25 ans, et d'intégrer toutes les décisions politiques nécessaires dans ce programme afin que les industriels et les décideurs « sachent où aller ». Retenant l'idée émise par M. Jean-Marc Pastor, il a souligné que la prise de conscience des changements climatiques exigeait, au-delà d'un tour de France, un tour du monde.
M. Claude Saunier a également approuvé la suggestion de M. Jean-Marc Pastor et est convenu avec M. Jean Bizet de l'intérêt de la notion de « devoir d'ingérence environnementale ».
Répondant à l'invitation à participer au débat adressée par M. Jean-Paul Emorine, président, aux hôtes de la commission, M. Jean-Marie Rugira, président de la commission des questions institutionnelles, juridiques et des droits et libertés fondamentales du Sénat du Burundi, a exprimé l'intérêt que ses collègues et lui-même avaient pris à l'exposé de MM. Pierre Laffitte et Claude Saunier.
Il a souligné que le problème du réchauffement climatique concernait aussi les pays en voie de développement, même si la prise de conscience de ce problème y est actuellement limitée à une élite. Il a émis l'opinion qu'un « devoir d'ingérence » en matière d'environnement devrait s'accompagner d'un devoir de solidarité à l'égard des pays qui, s'ils sont aussi des pays « pollueurs », ne le sont pas par mauvaise volonté mais parce que leur manquent les moyens de développer des technologies et des activités plus respectueuses de l'environnement.
Audition de M. Pierre Mongin, président-directeur général de la Régie autonome des transports parisiens (RATP)
Puis la commission a procédé à l'audition de M. Pierre Mongin, président-directeur général de la Régie autonome des transports parisiens (RATP). En préambule, M. Pierre Mongin a rappelé que la RATP représentait 50 % du transport public en France, 80 % des transports publics en Ile-de-France, 16 lignes de métro et 300 stations, deux lignes de RER, 320 lignes de bus et 3 lignes de tramway, soit 2,8 milliards de voyageurs par an, ou encore 10,5 millions de voyageurs par jour.
L'évolution de la RATP est marquée par deux tendances : d'une part, la hausse de l'offre de transport, qui correspondait aux demandes de l'autorité organisatrice des transports (AO) de la région, c'est-à-dire le Syndicat des transports en Ile-de-France (STIF) ; et, d'autre part, une recherche de gains de productivité. Avec un chiffre d'affaires de 3,5 milliards d'euros, la RATP est un des premiers opérateurs de transport en commun du monde. Ce chiffre pouvait se comparer aux 4,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires de Veolia Transport, premier opérateur mondial, ou avec les 2,4 milliards d'euros de Keolis, autre grand opérateur français. Il convient, en outre, de prendre en compte les 850 millions d'euros de Transdev, filiale de la RATP et de la Caisse des dépôts et consignations.
M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP a ensuite indiqué que le règlement européen sur les obligations de service public (OSP) qui serait adopté en 2007, introduirait, après une longue période de transition, la concurrence sur le marché des transports en commun en Ile-de-France. La RATP doit donc se préparer à cette échéance. Il a également fait mention des dispositions de la loi « Solidarité et renouvellement urbains » (SRU) qui avaient permis à la RATP de développer son activité hors d'Ile-de-France. Celle-ci s'inscrivait dans un cadre transparent au sein de la filiale RATP-développement, qui réalisait un chiffre d'affaires de 110 millions d'euros.
L'évolution de la régie était également rendue nécessaire par les nouvelles relations avec l'AO. En effet, en application de la loi de 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, le STIF avait rejoint le droit commun et est désormais présidé par le président de la région Ile-de-France. Il a jugé que le dispositif actuel était équilibré. Rappelant que le STIF gérait 4 milliards d'euros par an, il a précisé que celui-ci choisissait les objectifs quantitatifs et qualitatifs qui justifiaient la compensation tarifaire qu'il versait. Il a souligné que tous les grands systèmes de transport urbain comportaient un système de compensation tarifaire.
Il a fait valoir, ensuite, la spécificité de la RATP, qui était maître d'ouvrage des équipements nouveaux et qui participait à leur financement. Cette situation originale justifiait que la RATP inscrive à son actif la totalité des équipements, soit 40 milliards d'euros. Il a précisé que la RATP était sous le contrôle de l'Etat et, en particulier, de l'Agence des participations de l'Etat (APE).
Il a conclu de ces divers éléments que la RATP était plus une entreprise qu'une administration. En témoignait, par exemple, l'organisation décentralisée de la gestion et du dialogue social aux niveaux central, départemental (c'est-à-dire par mode de transport) et local, dans le cadre des unités opérationnelles (UO). Déclarant que le dialogue social était un élément important de la modernisation de l'entreprise, il a également précisé que celle-ci comptait plus de 44.000 salariés.
L'entreprise dégage des résultats positifs après investissements. L'investissement est en phase de croissance, en raison de l'augmentation des besoins et des demandes de l'AO. De 2000 à 2005, l'investissement représentait 400 à 500 millions d'euros par an, en 2006, il a atteint 800 millions d'euros et s'élèverait à 1 milliard d'euros en 2007 et 1,1 milliard en 2008. L'autofinancement couvre 70 % des investissements, le reste faisant l'objet de subventions. La RATP ne pourrait pas maintenir cette proportion si l'investissement devait effectivement continuer à se développer.
Abordant ensuite la question du statut des personnels, il a fait valoir que seules deux caractéristiques essentielles le distinguaient aujourd'hui du droit commun du travail, à savoir la garantie de l'emploi (sauf en cas de faute) et le régime spécifique de retraite. Il a rejeté l'idée que les rémunérations des salariés de la RATP seraient significativement supérieures à celles des entreprises privées du secteur. De fait, la régie était en mesure, via ses filiales, de répondre aux appels d'offres des collectivités territoriales dans les mêmes conditions que les entreprises privées. Il a enfin souligné que la RATP dégageait un résultat net positif de 50 millions d'euros par an, ce qui n'était pas négligeable et démontrait la nature compétitive de l'entreprise.
M. François Gerbaud a interrogé M. Pierre Mongin sur l'opportunité du recours aux partenariats public/privé (PPP) pour faire face aux lourds investissements nécessaires, dans un contexte où l'argent public se faisait rare.
M. Charles Revet a souhaité savoir s'il était possible de discuter sans a priori de l'évolution du régime des retraites de la RATP. Il estimait, en effet, qu'une prise de conscience était intervenue à la SNCF dans ce domaine, et il souhaitait savoir s'il en était de même à la RATP. En second lieu, il a demandé si la RATP était prête à l'ouverture à la concurrence du marché francilien.
M. Michel Teston, après avoir noté que 70 % des transports d'Ile-de-France se faisaient en voiture, a souhaité savoir si cette proportion évoluait et dans quel sens. Il a également appuyé l'interrogation de M. Charles Revet quant aux conséquences pour la RATP de l'ouverture à la concurrence.
M. Dominique Braye, après s'être réjoui de la nomination de M. Pierre Mongin à la tête de la RATP, a souhaité faire part de la vigilance des élus locaux quant aux services que la RATP pouvait rendre aux habitants de leurs collectivités, par exemple à l'occasion du rachat des cars Giraux.
Mme Evelyne Didier a souhaité savoir si la RATP, de concert avec l'Etat et l'AO, envisageait de resserrer le maillage des transports en commun dans certaines zones peu desservies, notamment en banlieue.
En réponse à ces différents intervenants, M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP, a indiqué :
- qu'il était vrai que le problème du financement des infrastructures allait devenir crucial pour le pays, puisque le modèle traditionnel de financement avait atteint ses limites. Il convenait de noter que de gros progrès avaient été faits dans l'allocation des moyens et dans la prise de décisions à la suite de la décentralisation ;
- que les transports en commun étaient appelés à connaître un fort développement à l'avenir, notamment en raison des exigences environnementales croissantes. Il convenait de noter que l'augmentation de l'offre des transports en commun était un corollaire indispensable à toute politique de réduction de la part de l'automobile. Il a estimé que la RATP saurait faire face à la croissance de la demande, dès lors que de nouveaux moyens financiers seraient dégagés. Il a jugé que le versement-transport ne pourrait permettre à lui seul de faire face à cette évolution et qu'il fallait donc repenser le modèle économique des transports en Ile-de-France. De ce point de vue, il n'était pas invraisemblable qu'une partie de l'économie réalisée par le voyageur utilisant les transports en commun plutôt que la voiture soit réaffectée à ces transports en commun. Rappelant que les tarifs ne couvraient que 30 % du coût du service, il a noté que leur évolution ne pourrait suffire à elle seule à faire face aux besoins de financement. En revanche, il a fait part de sa conviction que les usagers étaient prêts à payer plus cher les transports en commun, dès lors que la qualité du service rendu augmentait. Il a émis le souhait que le cadre législatif fixé par la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) ne soit pas un frein à la recherche de nouvelles sources de financement pour les transports en commun ;
- que les PPP étaient de ce point de vue une bonne solution. Développant l'exemple du projet « Métrophérique », il a rappelé que la région et l'Etat avaient décidé de faire figurer ce projet au prochain schéma directeur régional d'Île de France (SDRIF) et au contrat de projet Etat-région (CPER). Il visait à relier toutes les extrémités de lignes de métro et à croiser les deux RER. Cela devait permettre de mettre en place un véritable réseau banlieue/banlieue, ce qui aurait également des effets très positifs sur le réseau parisien. Il a souligné que 20 % des usagers de la ligne 13 effectuaient en réalité un trajet de banlieue à banlieue. Déclarant que le mode de financement classique ne serait pas optimal pour le projet Métrophérique, il a ajouté que celui-ci supposait la mise en place d'une véritable intermodalité avec la construction de parkings souterrains aux abords des stations de Métrophérique, ce qui se concevait bien dans le cadre d'un PPP. Il a comparé les 25 millions d'euros inscrits pour ce projet au CPER aux 4 à 6 milliards d'investissements que représentait son financement. Il a fait part de sa conviction, dans la mesure où il s'agissait d'un investissement sur cent ans, qu'il serait tout à fait possible de trouver un investisseur privé. Il conviendrait de mettre en place un tarif spécifique pour Métrophérique, ce qui ne soulevait pas de difficultés techniques ;
- que Paris risquait de perdre en compétitivité par rapport aux autres capitales européennes du fait du développement insuffisant de son réseau de transports en commun. Il convenait de noter que Madrid réalisait 8 km de métro par an, alors qu'il avait fallu à la région parisienne la durée du dernier contrat de plan Etat-région pour réaliser une augmentation du réseau de cet ordre ;
- que le surcoût du régime spécial de retraite de la RATP était clairement identifié depuis la création, au 1er janvier 2006, d'une caisse d'Etat qui le gérait. Ce surcoût était de 270 à 300 millions d'euros et était inscrit au budget de l'Etat. Il a dit souhaiter que ce régime soit adossé au régime général, moyennant une compensation versée par la RATP. Il était vrai que beaucoup d'observateurs s'attendaient à ce que le rendez-vous prévu en 2008 par la loi Fillon sur les retraites amène à rediscuter les caractéristiques des régimes spéciaux. Il a souhaité souligner le caractère très sensible de ce sujet pour les personnels de l'entreprise, dans la mesure où le régime spécial faisait partie du pacte social de la RATP. Il a également fait part de sa conviction qu'il fallait prendre en compte les conditions de travail des conducteurs de bus et de métro. Il a estimé, enfin, qu'il était indispensable de négocier ce dossier avec les partenaires sociaux avant toute initiative législative ;
- que, concernant l'ouverture à la concurrence, il était normal, dès lors que la RATP obtenait des marchés hors d'Ile-de-France, que d'autres entreprises puissent être candidates sur le marché francilien. Il a déclaré accepter la concurrence et y préparer l'entreprise ;
- qu'alors que les transports en commun représentaient 75 % des déplacements à Paris, ils n'en représentaient que 20 % dans le département voisin du Val-de-Marne. Il a rappelé, à cette occasion, l'impact positif qu'aurait Métrophérique sur les trajets de banlieue à banlieue ;
- que le service garanti était désormais clairement contractualisé entre la RATP et le STIF. La RATP devait fournir au moins 50 % du service en cas de grève, sous peine de sanctions financières. Par ailleurs, dès lors que 25 % d'un mode de transport étaient affectés par une grève, la RATP devait en avertir le public la veille, également sous peine de sanctions financières. M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP a estimé qu'il s'agissait d'un bon système qui avait permis une diminution de la conflictualité. Celle-ci s'expliquait aussi par la mise en place d'un intéressement des salariés qui était directement lié à la qualité de services ;
- que l'entreprise avait fait la preuve de sa réactivité à l'occasion de l'allongement d'une heure du service le week-end, suite à une demande du STIF. Il a précisé que ce nouveau service était apprécié, puisque cette heure supplémentaire faisait l'objet d'une fréquentation importante ;
- qu'il était prêt à rencontrer tous les élus locaux concernés par la reprise des Cars Giraux par la RATP. Il a précisé que ce rachat permettait à la RATP de se développer dans l'ouest de la grande couronne, où elle n'était pas assez présente jusqu'alors ;
- que la RATP était prête à développer son maillage de la banlieue par le bus, mais qu'il revenait au STIF de le décider s'il le souhaitait. C'était, en effet, le STIF qui décidait du réseau de lignes structurantes de bus, pour lequel s'appliquait la norme Mobilien. En deçà de ce réseau structurant, un service urbain de proximité pouvait être mis en place par les communes avec ou sans subvention du STIF.
M. Jean Desessard, après s'être félicité de la clarté et de la transparence du discours de M. Pierre Mongin, a déploré les problèmes techniques récurrents sur la ligne A du RER. Il a souhaité savoir quelle était la moyenne de kilomètres de transports en commun disponible par habitant d'Ile-de-France et les chiffres équivalents pour les autres capitales européennes. Concernant les PPP, il a demandé quelles raisons pouvaient amener à privilégier le recours à des investisseurs privés plutôt qu'à l'emprunt. Il a considéré que le taux de rentabilité attendu par les investisseurs privés pouvait être supérieur au taux d'emprunt. En outre, la RATP semblait avoir une importante capacité d'autofinancement. Il a, enfin, demandé quel premier bilan pouvait être fait du service du T3.
M. Philippe Dominati a estimé que l'entreprise était marquée du sceau de l'ambiguïté. En effet, elle était l'une des dernières entreprises publiques, essentiellement centrée sur une seule région et dans le cadre d'un monopole. Il a relevé que le dialogue social à la RATP avait été une préoccupation constante de tous les gouvernements. Il s'est étonné de la progression de 10 % d'une année sur l'autre des frais de personnel et a déploré les difficultés pour connaître la valeur exacte du patrimoine de la RATP. En effet, si M. Pierre Mongin l'estimait aujourd'hui à 40 milliards d'euros, un rapport de 2002 l'avait évalué à 10 milliards d'euros. Il souhaitait également connaître le montant des dettes, l'actif net, la valeur de l'entreprise, le niveau des salaires par rapport au secteur privé et la durée du travail. Il a conclu de ces différents éléments et questions que l'on ne pouvait pas considérer, comme le faisait M. Pierre Mongin, que l'entreprise connaissait une situation normale. Après avoir noté que l'Etat contribuait peu au fonctionnement de la RATP, l'essentiel du financement reposant sur les collectivités territoriales et les entreprises par le biais du versement-transport, il a demandé s'il était envisageable de dissocier le réseau de surface du réseau souterrain, afin de pouvoir introduire de la concurrence dans le réseau de surface.
M. Gérard Cornu s'est félicité des ambitions que M. Pierre Mongin avait pour la RATP. Il a également souhaité savoir si une forme de patriotisme économique était envisageable pour l'achat des matériels roulants de la RATP.
En réponse à ces intervenants, M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP a indiqué :
- qu'il communiquerait à M. Jean Desessard les éléments de comparaison qu'il avait demandés, tout en observant que ceux-ci pouvaient être difficiles à établir, les réseaux européens étant souvent différents ;
- qu'il était tout à fait disposé à envisager le recours à l'emprunt plutôt qu'aux PPP, à la double condition que l'Etat actionnaire et la Commission européenne en soient d'accord ;
- que la dette de la RATP n'était pas le fruit d'erreurs de gestion passées, mais du fait que l'on demandait à la RATP d'être maître d'ouvrage et d'assurer le financement des infrastructures nouvelles. Il a insisté sur le fait que si les collectivités publiques prenaient à leur charge les dépenses d'infrastructures, la RATP serait bénéficiaire ;
- qu'il maintenait qu'il n'y avait pas une grosse différence de salaires entre la RATP et les entreprises privées de transport. Quant à l'augmentation des frais de personnel, elle s'expliquait, pour l'essentiel, par une contribution exceptionnelle au régime de retraites à l'occasion de la création de la caisse de retraites. Les salaires eux-mêmes n'avaient progressé que de 2,6 %, hors glissement-vieillesse-technicité (GVT) ;
- que la dissociation des réseaux lui paraissait être une très mauvaise idée, dans la mesure où la force de la RATP était précisément d'être une entreprise intégrée, ce qui permettait, notamment, des efforts de recherche plus importants et des économies d'échelle ; cela permettait également d'assurer une meilleure efficacité du réseau au service des voyageurs ;
- que le patriotisme économique pouvait être opportun, mais qu'il fallait prendre en compte le fait que les concurrents d'Alstom (retenu pour le matériel du T3) étaient également implantés en France. Ainsi, Siemens employait 16.000 personnes en France. En tout état de cause, les achats faisaient l'objet d'appels d'offre ;
- et que le tramway T3 était une grande réussite, notamment parce que sa mise en service avait été accompagnée par la réorganisation de 37 lignes de bus adjacentes. D'ores et déjà, le trafic s'élevait à 75.000 voyageurs par jour au lieu des 40.000 prévus initialement. Sa seule préoccupation était que la capacité maximale de 100.000 voyageurs par jour soit rapidement atteinte.