Mardi 26 septembre 2006

- Présidence de M. Alex Türk, président. -

Audition de MM. Richard Maillet, président de l'association « Stop à la drogue », Julien Baudry, membre de l'association et Jean Costentin, professeur de pharmacologie à la Faculté de médecine et de pharmacie de Rouen

La mission a tout d'abord entendu MM. Richard Maillet, président de l'association « Stop à la drogue », Julien Baudry, membre de l'association et Jean Costentin, professeur de pharmacologie à la Faculté de médecine et de pharmacie de Rouen.

Après avoir remercié la mission de l'avoir invité, M. Richard Maillet, président de l'association « Stop à la drogue », a présenté son association. Celle-ci, créée il y a dix ans afin de prévenir la consommation de drogues, compte 300 familles adhérentes, cinq équipes spécialisées en psychologie, et organise des réunions parents-professeurs ainsi que des débats interactifs avec les élèves. Elle vise à aider les jeunes à trouver des arguments pour refuser les drogues, et à impliquer les parents et les élèves afin qu'ils deviennent eux-mêmes acteurs de la prévention.

M. Richard Maillet a ensuite rappelé que la politique de « réduction des risques » menée à partir de 1998 s'était caractérisée par une tolérance vis-à-vis de la consommation récréative et occasionnelle de drogues, et par la prévention de l'abus d'usage et de la dépendance. Soulignant les carences de cette politique, il a estimé que la tolérance de l'usage récréatif reposait sur l'illusion que les adolescents peuvent maîtriser leur consommation, et a regretté qu'on ait ainsi incité les jeunes à croire qu'ils pouvaient « gérer ». Il a ensuite indiqué qu'en 1998, selon les chiffres de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 27 % des jeunes déclaraient, à 18 ans, avoir fumé un joint, cette proportion étant passée, en 2002, à 57 % des jeunes de 17 ans. Relevant que les demandes d'interventions adressées à l'association concernaient désormais des classes de CM2, l'âge des premières consommations ayant été abaissé à 9-10 ans, il a jugé nécessaire d'abandonner la politique de tolérance, et de mettre en oeuvre des politiques de prévention efficaces, à l'image de la Suède, pays exemplaire en la matière.

M. Richard Maillet a ensuite déploré la banalisation de la drogue dans les medias et incriminé leur influence dans la progression de la consommation. Il a, en conséquence, formulé des propositions pour remédier à cette situation : l'élaboration de codes de conduite à la radio, le développement de campagnes préventives à la télévision mettant en scène des jeunes afin de « démoder » l'usage des drogues » comme l'a été celui du tabac, l'engagement public dans la lutte contre la drogue de vedettes de la musique, notamment du rap ou du reggae et, enfin, le maintien du caractère d'infraction pénale pour l'incitation à consommer des drogues illicites.

M. Julien Baudry, membre de l'association « Stop à la drogue », a indiqué qu'après avoir été, jusqu'à 16 ans, un élève doué, il avait commis l'erreur d'accepter de fumer un joint, erreur qui l'a conduit à la consommation de drogues dures, puis à la délinquance. Il a expliqué avoir eu des comportements violents, commis de nombreux vols, puis s'être impliqué dans des trafics de drogues, afin de trouver les ressources financières nécessaires pour sa consommation. Faisant part de ses craintes pour les générations à venir, il a insisté sur le fait qu'il ne s'attendait pas à évoluer de cette façon, et qu'il s'estimait heureux de s'en être sorti, à la différence d'autres jeunes.

M. Jean Costentin, professeur de pharmacologie à la Faculté de médecine et de pharmacie de Rouen, a dénoncé la « disjonction » qu'il observait depuis quelques années entre le discours ambiant et la réalité de la drogue, notamment du cannabis. Relevant que 70 % des jeunes déclaraient avoir fumé au moins une fois un joint, et que 20 % de ceux-ci étaient devenus des utilisateurs réguliers, c'est-à-dire fumaient au moins un joint tous les trois jours, il a souligné que le cannabis avait des effets rémanents très importants, puisqu'une étude australienne avait montré que ses composés étaient présents dans le corps plus de huit semaines après la consommation. Il a rappelé que le cerveau évoluait jusqu'à l'âge de vingt ans et qu'en conséquence cette consommation pouvait avoir des effets très graves sur son développement. Il a également souligné que la teneur en principe actif présent dans le cannabis avait été multipliée ces dernières années par 15.

Il a ensuite estimé que la hausse de la consommation de cannabis et celle de la délinquance étaient corrélées. A l'appui de cette thèse, il a tout d'abord expliqué que l'association du cannabis, qui réduit les inhibitions, à des stimulants comme le tabac ou des drogues plus dures, augmentait la tendance à la violence. En outre, il a indiqué que, d'après des expériences scientifiques menées sur des rongeurs, la consommation de cannabis favorisait celle d'alcool, et que le mélange des deux, même en faible quantité, avait des effets très nocifs sur le comportement. En outre, il a expliqué que, pour un sujet introverti, le cannabis pouvait jouer un rôle d'anti-dépresseur, sans empêcher toutefois, à terme, la réapparition, sous une forme accentuée, des troubles, conduisant ainsi à une corrélation étroite entre la hausse de la consommation de cannabis et celle des tentatives de suicide chez les jeunes. En conclusion, il a estimé qu'il existait une incidence très forte de la consommation de cannabis sur les violences chez les jeunes.

Un débat s'est alors instauré.

Mme Marie-France Beaufils a demandé  si l'association abordait, auprès des élèves, la question de l'utilisation des jeunes collégiens par des plus âgés pour développer le trafic de drogue. M. Richard Maillet lui a indiqué que le sujet était effectivement évoqué, mais pourrait sans doute l'être davantage.

Après avoir remercié les intervenants pour la clarté de leurs exposés, M. Pierre André, rapporteur, a demandé à M. Jean Baudry ce qu'il attendait des pouvoirs publics pour renforcer la lutte contre les toxicomanies. Soulignant que l'usage de drogues était étroitement liée aux violences dans les banlieues, à l'échec scolaire et aux problèmes d'insertion professionnelle, celui-ci a précisé que la consommation de cannabis empêchait la concentration et induisait des comportements violents. Il a, en conséquence, jugé nécessaire d'accorder davantage de moyens financiers à la prévention.

Appuyant ces propos, M. Jean Costentin a estimé nécessaire de mettre en oeuvre une communication forte sur ce sujet, et a contesté l'action de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie, estimant qu'elle entravait parfois les actions locales.

En réponse à M. Alex Türk, président, qui l'interrogerait sur le poids de l'économie parallèle dans les quartiers, M. Jean Baudry a estimé qu'il s'agissait d'une activité à temps plein pour beaucoup de personnes, soulignant qu'il y avait « beaucoup d'offre et beaucoup de demande ». Il a précisé que les opérations « coup de poing » n'était que de faible utilité, les trafics étant repris par d'autres jeunes, ou se déplaçant vers d'autres quartiers.

Audition de M. Amar Lasfar, recteur de la mosquée de Lille-Sud

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Amar Lasfar, recteur de la mosquée de Lille-Sud.

M. Amar Lasfar a, tout d'abord, rappelé ses fonctions de président de l'Association de la ligue islamique du Nord et de recteur de la mosquée de Lille-Sud. Abordant la question de la culture musulmane dans les quartiers de la métropole lilloise, il a décrit la mosquée comme un espace social, culturel et éducatif, répondant à la demande des pratiquants, mais dont le rôle dépasse également largement les seules frontières religieuses.

Evoquant son parcours personnel, il a constaté une profonde dégradation des quartiers de Lille-sud au cours des 25 dernières années, dépeignant les quartiers dits « difficiles » comme frappés par un fort taux de chômage et d'échec scolaire, ainsi que par un manque d'équipements. Il a, notamment, estimé que, mis à part le projet de la mosquée de Lille-Sud, ces quartiers n'avaient bénéficié d'aucune perspective d'avenir au cours des dernières décennies.

M. Alex Türk, président, a souhaité revenir sur les événements survenus dans les quartiers en difficulté de Lille en novembre 2005, et s'est enquis d'éventuelles différences de comportement, à cette occasion, en fonction de la culture et de la religion des habitants.

M. Amar Lasfar a jugé qu'aucun lien ne pouvait être établi entre ces événements et le fait religieux. Il a, au contraire, tenu à souligner l'existence d'une culture commune à ces quartiers et les profonds liens de solidarité qui les unissent les uns aux autres.

Il a insisté sur les valeurs de citoyenneté et de responsabilité, diffusées par des associations comme celle qu'il préside. S'il a reconnu un droit pour les jeunes de « tirer les sonnettes d'alarme », il a, en revanche, condamné la tournure prise par ces revendications en novembre 2005. Il a, toutefois, estimé qu'il convenait d'analyser ces accès de violence comme l'expression d'un profond malaise, lié à l'exclusion économique dont souffrent nombre de jeunes de ces quartiers, et la revendication d'une plus grande justice sociale.

Il a considéré que l'aide pouvant être apportée à ces publics, au quotidien, passait par l'écoute et, dans la mesure du possible, par l'orientation.

M. Pierre André, rapporteur, a jugé que les actions entreprises sur les quartiers de Lille-Sud présentaient un caractère exemplaire, mais s'est interrogé sur certaines déclarations récentes concernant une montée en puissance de l'islam dans les quartiers en difficulté.

M. Amar Lasfar a rappelé la vocation pacificatrice de la religion et a, en outre, reconnu un intérêt à nouveau croissant pour le fait religieux : celui-ci se manifeste, notamment, par une demande accrue de mosquées, de salles de prière ou de tout autre lieu de culte. Dans ce contexte, il a rappelé que les premiers prêches en français remontaient à 1988, et qu'aujourd'hui ils étaient devenus la règle.

M. Philippe Dallier a demandé des précisions sur le nombre de pratiquants et sur le rôle modérateur que la religion musulmane est susceptible de jouer.

M. Amar Lasfar a souligné que la pratique religieuse musulmane concernait 12 à 15 % de fidèles, mais était beaucoup plus élevée pour le ramadan et l'Aït El-Kebir. Il a relevé que la pratique était beaucoup plus répandue parmi les jeunes et pouvait s'élever jusqu'aux deux tiers de cette population.

Il a souligné la compatibilité entre l'appartenance à la confession musulmane et le sentiment d'appartenance nationale. Tout en regrettant que la violence ne soit, pour certains, qu'un « passe-temps », il a estimé que la fréquentation régulière de la mosquée pouvait contribuer à aider ceux qui le souhaitent, et notamment les jeunes entre 20 et 30 ans, à revenir dans le droit chemin. Il a jugé que la pratique religieuse pouvait, de même que l'enseignement dispensé dans le cadre scolaire, contribuer à la transmission de valeurs, et que l'islam de France pouvait « se colorer à la française ».

M. Gilbert Barbier a salué l'islam respectueux des règles républicaines ainsi décrit, mais s'est aussi inquiété d'une minorité de dissidents et d'extrémistes échappant à l'autorité de l'islam de France.

M. Amar Lasfar a reconnu que l'intégrisme religieux constituait une voie de facilité et était susceptible de séduire plus facilement les foules, en particulier les jeunes. Il a, toutefois, indiqué qu'il fallait faire face à cet intégrisme, en provoquant le débat. Il a soutenu que ce courant pouvait être efficacement combattu par les modérés, s'ils s'en donnaient les moyens. En particulier, il a rappelé que, même si beaucoup de jeunes se sentent aujourd'hui désorientés et déracinés, de vraies réussites pouvaient être mises en lumière dans les quartiers de Lille-Sud, grâce à des jeunes devenus médecins ou ingénieurs. A cet égard, il a regretté qu'on parle surtout des échecs et trop rarement des succès.

Mme Dominique Voynet a évoqué la place laissée aux convictions personnelles à l'école, compte tenu du principe de laïcité, et l'enseignement des croyances et des religions dans le cadre scolaire.

M. Amar Lasfar a indiqué que, dans sa communauté, le pratiquant était d'abord un citoyen, puis un musulman. Il a estimé que sa religion n'avait aucun problème avec la laïcité, mais que l'inverse était peut-être moins sûr. Il a déploré que la laïcité ait eu pour conséquence que l'on passe désormais sous silence, à l'école, la religion et Dieu en tant que fait social. Aussi s'est-il prononcé en faveur d'un enseignement religieux dans le cadre scolaire, non sous une forme théologique comme à la mosquée, mais sous un angle social.

Il a affirmé que l'islam de France constituait un contrepoids au discours de victimisation dans les quartiers. Il a, par ailleurs, considéré que sa religion ne faisait, dans la région Nord-Pas-de-Calais, l'objet d'aucune hostilité particulière. Il a, enfin, fait part d'un taux de réussite au baccalauréat de 74 % pour le lycée Averroès de Lille, cette réussite traduisant la confiance témoignée à sa communauté religieuse.

Mme Marie-France Beaufils a demandé au recteur de préciser ce qu'il entendait en se prononçant en faveur de l'étude de Dieu en tant que fait social. Elle s'est interrogée sur la nature de cet enseignement susceptible de privilégier l'apprentissage de l'histoire des religions ou la représentation de Dieu comme « réalité intangible ».

M. Amar Lasfar a expliqué qu'il convenait d'enseigner l'histoire des religions, trop méconnue, et que c'est à la mosquée que les élèves musulmans peuvent acquérir le sens du religieux.

Audition de M. Anthony Bernardi, chef de la section « Etrangers et minorités » à la direction centrale des Renseignements généraux

La mission a enfin procédé à l'audition de M. Anthony Bernardi, chef de la section « Etrangers et minorités » à la direction centrale des Renseignements généraux, sur la place du fait religieux, la montée du communautarisme et l'importance de l'islam radical dans les quartiers en difficulté.

Compte tenu du caractère sensible du sujet, et à la demande de l'interlocuteur de la mission, M. Alex Türk, président, lui a indiqué que son audition ne ferait pas l'objet d'un compte rendu.

Mercredi 27 septembre 2006

- Présidence de M. Alex Türk, président. -

Audition de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement et de Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité

La mission a d'abord procédé à l'audition de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement et de Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.

M. Jean-Louis Borloo, Ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, a indiqué que le risque d'émeutes urbaines avait été pris en compte en 2004 lors de l'élaboration du « plan de cohésion sociale », compte tenu de l'écart grandissant entre ceux qui avaient un avenir et ceux qui en étaient privés.

Il a déclaré que tous les ministres qui ont travaillé depuis 2002 sur les questions sociales étaient préoccupés et conscients de la situation. Il a également remarqué qu' il y avait eu un écart, pendant trop longtemps, entre les mesures annoncées et leurs effets réels sur le terrain, qui avait pu laisser penser que l'on s'occupait du problème, alors qu'en réalité la situation continuait à se dégrader. Il a estimé, par ailleurs, que de nombreux observateurs et responsables politiques avaient eu le sentiment que l'on faisait beaucoup pour les quartiers, alors que les mesures spécifiques venaient, en réalité, en remplacement de moyens de droit commun insuffisants.

M. Jean-Louis Borloo a considéré que les émeutes de 2005 avaient levé ce malentendu. Il a remarqué que les media avaient compris qu'il ne s'agissait pas d'un problème ponctuel, mais bien d'une priorité pour l'avenir de la République et que les responsables politiques avaient reçu des citoyens un mandat pour mobiliser les moyens massifs nécessaires.

Evoquant le problème de la ségrégation urbaine et territoriale, il a observé que la disqualification de certains territoires était un facteur de la ségrégation ethnique. Il a souligné les limites des programmes mis en oeuvre depuis une vingtaine d'années pour améliorer les « cages d'escalier ». Il a indiqué que, pour recréer de la fluidité, il était nécessaire que ces territoires oubliés deviennent plus attirants que les autres, ce qui constituait l'objectif du programme de rénovation urbaine. Il a expliqué que cette politique avait innové à travers sa dimension partenariale et la création d'un « guichet unique ». Il s'est déclaré confiant en expliquant que « la bataille serait gagnée ». Il a précisé que les crédits prévus initialement s'élevaient à 20 milliards € et qu'ils se montaient aujourd'hui à 35 milliards €, tandis que 400 nouveaux quartiers étaient concernés. Il a salué l'engagement des organismes HLM, qui avait permis le triplement de la production annuelle de nouveaux logements depuis 2002 en assurant le copilotage du programme de rénovation urbaine.

M. Jean-Louis Borloo a, ensuite, évoqué les travaux de la mission d'information en soulignant l'intérêt des comptes rendus des auditions. Il a évoqué, en particulier, les débats qui avaient eu lieu concernant la violence dans 65 sites bien identifiés en expliquant qu'il était prioritaire de s'occuper de ces quartiers sur le point de basculer dans la violence. Il a remarqué que c'était la déstructuration du tissu humain, notamment en matière éducative, qui était souvent à l'origine de ces phénomènes.

S'agissant des réponses à apporter à ces problèmes, il a rappelé que les collectivités territoriales avaient souhaité pouvoir disposer de plus de moyens au niveau local. Il a ainsi rappelé que le fonctionnement de la DSU avait été revu et que son montant global doit doubler entre 2004 et 2009, soit 600 millions € supplémentaires sur 5 ans. Il a souligné que la réforme de la DSU avait été votée à l'unanimité par le Sénat et que cette politique permettait de remettre les territoires épuisés « à niveau ».

Il a, par ailleurs, indiqué que les programmes de réussite éducative permettaient de mobiliser des moyens spécifiques pour entourer les élèves qui en avaient besoin parce qu'ils rencontraient, notamment, des difficultés de logement, de fratrie et de santé. Il a aussi rappelé les efforts qui avaient été faits en matière d'apprentissage et de contrats de professionnalisation pour construire des parcours vers l'emploi.

M. Jean-Louis Borloo a évoqué, ensuite, la question des discriminations en observant que la France avait longtemps été tellement confiante dans son modèle qu'elle n'avait pas pris conscience des difficultés qui se présentent aujourd'hui. Il a indiqué que, là encore, les mentalités avaient évolué, ce qui avait permis notamment de créer la HALDE et de s'attaquer véritablement au « plafond de verre » que rencontrent certains jeunes issus de l'immigration.

Il a ensuite noté que les programmes « lourds » étaient désormais engagés et que leurs effets seraient importants, mais aussi nécessairement lents à apparaître. Il a notamment insisté sur la nécessité de poursuivre les efforts en faveur des jeunes âgés de 12 à 25 ans. Il a considéré qu'il y avait maintenant une prise de conscience, au niveau national, sur l'intérêt de poursuivre la politique engagée.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, a rappelé qu'après l'effort massif engagé en faveur de la rénovation urbaine, le Gouvernement avait entrepris un travail sur les aspects humains, dans le cadre du plan de cohésion sociale.

Elle a relevé, toutefois, à la lecture des comptes rendus des auditions menées par la mission commune d'information, la récurrence des notions d'«évaluation» et de «pérennisation», traduisant les incertitudes liées aux évolutions de la politique de la ville.

A cet égard, elle a indiqué que les contrats urbains de cohésion sociale, qui se substitueront à partir de 2007 aux contrats de ville, permettront, en s'inspirant des propositions formulées par le rapporteur de la mission, M. Pierre André, dans un récent rapport d'information sur le sujet, de rendre l'action plus lisible, plus efficace et de l'inscrire dans la durée. En effet, le maire ou le président d'agglomération, ainsi que le préfet, pourront mettre en place une contractualisation sur trois ans, dans le cadre d'une enveloppe globale, autorisant, à partir d'une évaluation annuelle, de procéder aux ajustements nécessaires.

Elle a souligné que cette approche conduirait à renouer la confiance avec les associations, en faveur desquelles un effort a déjà été mené, cette année, pour que les crédits leur soient délégués plus tôt.

En outre, elle a indiqué que la création de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances permettait d'identifier un acteur unique, à savoir le préfet qui en est le délégué sur le territoire.

Enfin, après avoir souligné les réussites du dispositif « Défense 2e chance », en termes d'insertion sociale et pour aider des jeunes en difficulté à bâtir un projet professionnel, Mme Catherine Vautrin a estimé que la création, en parallèle, du service civil volontaire, qui disposera de crédits spécifiques, gérés par l'agence pour la cohésion sociale, permettra aux jeunes de se rendre utiles à la société et d'y trouver leur place.

A l'issue de ces interventions, un large débat s'est engagé.

M. Jacques Mahéas, tout en se déclarant sensible au discours tenu par le ministre M. Jean-Louis Borloo, a relevé, toutefois, que la situation était parfois différente sur le terrain. Tout d'abord, regrettant notamment l'absence des ministres en charge du logement et de l'emploi lors des récents débats au Sénat sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, il a considéré que le caractère interministériel des actions restait à approfondir.

Par ailleurs, s'il a reconnu la hausse de la dotation de solidarité urbaine (DSU), il a fait observer que, globalement, la participation de l'Etat au budget des communes avait diminué par rapport à la précédente législature.

Il a indiqué, ensuite, qu'il était nécessaire de pérenniser les subventions aux associations, alors que le versement des crédits de l'Etat en fin d'année met certaines d'entre elles dans des situations financières très difficiles, conduisant les collectivités territoriales à se substituer à l'Etat, pour assurer leur fonctionnement.

En outre, il a fait observer que le « basculement » des quartiers, évoqué en termes positifs par le ministre, pouvait également se traduire, par endroits, de façon négative, dès lors qu'on les stigmatise en y regroupant les populations en difficulté. Il a cité, à cet égard, l'exemple des personnes sans domicile fixe relogées à Neuilly-sur-Marne, dans un quartier jouxtant celui qui fera l'objet d'un programme de rénovation urbaine.

Il a souhaité, enfin, que le maire devienne un véritable partenaire en matière d'attribution de logements sociaux, et que son avis soit davantage pris en compte.

Réagissant, tout d'abord, à ces propos, M. Philippe Dallier a précisé que la participation de l'Etat avait diminué pour les seules communes ne percevant que la dotation forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement (DGF), à hauteur d'environ 10 % depuis 10 ans. Pour les autres, l'addition de la DSU et des autres crédits déconcentrés de l'Etat traduit, au contraire, une hausse globale, constatée aussi bien en Seine-Saint-Denis que dans les Bouches-du-Rhône notamment. Il a ajouté que la rallonge des crédits actée en 2006, et consolidée pour 2007, confirmerait cette tendance.

Abordant, ensuite, le débat sur la carte scolaire, il a exprimé ses vives inquiétudes à l'égard de son éventuelle suppression, qui rendrait la situation ingérable pour les élus. Reconnaissant que le phénomène d'évitement, notamment vers l'enseignement privé, était massif en Seine-Saint-Denis, dès l'école primaire, il a souhaité connaître la position des ministres sur cette question délicate.

Rejoignant les propos tenus par M. Jean-Louis Borloo sur les efforts restant à accomplir pour lutter contre les discriminations à l'embauche, Mme Raymonde Le Texier a estimé que la signature, par quelques grandes entreprises, d'une « charte pour la diversité », ne suffisait pas à répondre au problème. Or celui-ci doit être combattu car il nourrit, y compris chez les jeunes diplômés, un sentiment de désespoir et d'abandon qui peut les conduire à la violence.

Elle s'est inquiétée, en outre, de la montée des phénomènes de repli communautaire dans les quartiers sensibles, en réponse à ces attitudes discriminatoires.

Par ailleurs, elle a considéré que les discours sur la mixité sociale étaient déconnectés de la réalité de certains quartiers, devenus des marqueurs de la relégation. Elle a indiqué que la ségrégation sociale se conjuguait le plus souvent avec l'échec scolaire, en suscitant un nivellement par le bas. A cet égard, elle a évoqué les expériences menées aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, permettant à des familles des quartiers en difficulté de s'installer dans des zones plus favorisées ; celles-ci ont montré des résultats positifs, notamment pour réduire l'agressivité des enfants et améliorer leur réussite scolaire.

S'agissant de la sécurité, elle a constaté que, dans les quartiers les plus sensibles, les policiers étaient à la fois trop peu nombreux, trop jeunes et insuffisamment encadrés. Elle a jugé globalement positive, néanmoins, l'action de la police de proximité et des Maisons de la justice et du droit.

Enfin, elle a indiqué partager les inquiétudes de M. Philippe Dallier au sujet de la carte scolaire, avant de souligner les insuffisances de notre politique d'éducation prioritaire, notamment par rapport aux actions plus ciblées, plus massives et, en définitive, plus efficaces, menées dans d'autres pays.

M. Jean-Paul Alduy, se refusant à sombrer dans le pessimisme, a souligné le pouvoir d'initiative des maires. A cet égard, il a annoncé la création prochaine d'une maison de la justice et du droit dans sa commune et a rappelé qu'il avait mis en place une police municipale, qui a permis à la police nationale de se concentrer sur ses missions essentielles.

Concernant la carte scolaire, il a cité l'exemple d'un collège de sa commune situé dans un quartier difficile qui a créé des classes musicales, ce qui a favorisé la mixité sociale.

Il a souhaité connaître le point de vue du ministre sur les problèmes de gouvernance que rencontrent les villes françaises. Citant l'exemple de l'agglomération de Cologne regroupant quarante communes, qui a mis en place un droit effectif au logement et où le maire dispose de toutes les compétences, il a regretté qu'en France, celles-ci soient morcelées entre la région, le département, les intercommunalités et les communes.

Se déclarant partisan de l'intercommunalité, qui permet un regroupement et une meilleure coordination des compétences, il a notamment regretté le retard de la région parisienne en ce domaine.

Il a souhaité que ce problème essentiel de gouvernance urbaine fasse l'objet d'une réflexion préalable spécifique, notamment pour l'Ile-de-France.

Mme Marie-Thérèse Hermange a fait observer que le cumul à Paris des compétences municipales et départementales constituait un avantage indéniable.

Concernant l'accompagnement scolaire, elle a souligné l'intérêt d'une coopération étroite entre l'école et les familles. Elle a évoqué l'expérience conduite dans le 18° arrondissement qui a permis aux parents et à leurs enfants d'entreprendre ensemble un parcours éducatif, ce qui a permis de réduire les conflits susceptibles de se développer entre les familles et l'école.

Au terme des travaux de la mission, M. Pierre André, rapporteur, a dit partager le constat de M. Jean-Louis Borloo sur la situation actuelle. Saluant les progrès que représente la mise en place de l'Anru et de l'Ancsec et le plan de cohésion sociale, il a regretté que cette politique n'ait pas été conduite plus tôt et avec plus de vigueur.

Il a indiqué que la Seine-Saint-Denis, qui se caractérise par une concentration des difficultés, ferait l'objet d'un traitement spécifique dans le rapport de la mission. Il a salué, à cet égard, la contribution des sénateurs de ce département et de l'Ile-de-France à la réflexion sur les problèmes spécifiques de la région parisienne. Il a fait observer que la Seine-Saint-Denis bénéficiait de moyens bien supérieurs à ceux alloués aux autres départements, comme en témoignent les chiffres sur la fiscalité locale et sur les crédits délégués par l'Etat à ce département.

Il a souligné la nécessité de procéder à une analyse fine de la situation et de donner des réponses politiques adaptées à chaque territoire.

Il a également plaidé pour le renforcement des pouvoirs du maire qui devrait jouer un rôle central dans la mise en oeuvre des politiques de la ville et être l'interlocuteur privilégié de l'Etat.

Il s'est enfin dit convaincu de la nécessité d'instituer un pôle ministériel fort chargé de la politique de la ville, qui disposerait d'un véritable poids lors des arbitrages budgétaires.

En réponse à ces interventions, M. Jean-Louis Borloo, Ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, a apporté les précisions suivantes :

- les crédits de fonctionnement consacrés à la politique de la ville sont globalement passés de 291 millions d'euros en 2002 à 769 millions d'euros pour 2007, auxquels s'ajoutent 465 millions d'euros par an dédiés aux programmes de rénovation urbaine ;

- l'offre de logement social a connu ses « chiffres noirs » sous la précédente législature, cette insuffisance ayant créé de fortes tensions sur le marché : 38 000 logements ont été construits en 1999, pour une moyenne annuelle d'environ 40 000 sur une période de 5 ans, contre 96 000 cette année et plus de 100 000 par an à terme ;

- alors que certaines communes de Seine-Saint-Denis échappent aux dispositifs de la politique de la ville, on pourrait envisager d'y mettre en place une DSU départementale ;

- si l'organisation actuelle de la carte scolaire contribue à renforcer la ségrégation territoriale, une totale liberté de choix serait ingérable ; le principal problème vient du fait que l'on a enfermé les écoles au coeur des quartiers ; il conviendrait de réexaminer la localisation des établissements scolaires, et mettre en place, pour le moins, une priorité d'inscription dans l'école du quartier ;

- le terme de « mixité » est ambigu ; mieux vaut rechercher la fluidité, en levant les barrières qui lui font obstacle ;

- les mauvaises conditions de logement des familles sont l'un des principaux facteurs d'échec scolaire ; aussi bien faut-il prendre en compte l'école et son environnement ; en ce sens, les équipes de réussite éducative, inspirées d'un programme qui a fait ses preuves aux Etats-Unis, apportent un soutien global aux enfants et à leur famille ;

- lorsque les transformations sont profondes, la situation des quartiers évolue dans un sens positif, comme cela fut le cas, par exemple, pour le quartier de la Duchère à Lyon ;

- il existe en effet un problème de gouvernance, notamment en Ile-de-France ; la situation est d'autant plus complexe quand il n'y a pas de ville-centre puissante, mais une juxtaposition de communes connaissant les mêmes difficultés, comme tel est le cas en Seine-Saint-Denis ; cela justifierait une action forte et spécifique en faveur de ce département et de quelques autres sites de la région parisienne ; toutefois, les problèmes ne viennent pas d'un manque de moyens : il faut à cet égard changer de méthode et refonder notre pacte républicain.

Orientations du rapport - Echange de vues

La mission a enfin procédé à un échange de vues sur les orientations du rapport de la mission.

M. Pierre André, rapporteur, a tout d'abord rappelé les prochaines étapes des travaux de la mission : transmission du projet de rapport à ses membres le 13 octobre, examen et adoption du rapport le 18 octobre et publication du rapport et présentation à la presse le 25 octobre. Il a ensuite indiqué que le rapport devrait effectuer un bilan des politiques menées envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années, et non constituer une réponse conjoncturelle aux événements de l'actualité la plus récente, et il a estimé que les problèmes de sécurité devaient être envisagés en liaison avec les autres politiques menées dans ces quartiers. Il a ensuite présenté le plan du rapport, qui abordera, successivement, les thèmes de la rénovation urbaine, de l'adaptation de l'école aux besoins prioritaires d'éducation, de la politique de l'emploi, du renforcement de la cohésion sociale et du rôle des associations, de la prévention de la délinquance et des crédits de la politique de la ville. Il a ajouté que le rapport traitera également de la gouvernance de la politique de la ville et des actions spécifiques à mener en faveur de la Seine-Saint-Denis, du fait des particularités de ce département et des phénomènes de contagion qu'il a suscités. Puis il a précisé que le rapport se composerait d'un premier tome d'une centaine de pages complété par des annexes et d'un second tome comportant le compte rendu des auditions et des déplacements de la mission.

A Mme Raymonde le Texier qui l'interrogeait sur ses propositions en matière de logement et d'éducation, M. Pierre André, rapporteur, a précisé que le rapport ferait des propositions concernant, notamment, la carte scolaire et les zones d'éducation prioritaire et que la partie consacrée à la rénovation urbaine traitera également du logement.

En réponse à M. Jacques Mahéas qui l'interrogeait sur le contenu de la partie relative à la gouvernance de la politique de la ville, le rapporteur a indiqué que celle-ci évoquerait notamment les questions institutionnelles, comme celle de la place de la délégation interministérielle à la ville. 

M. Jacques Mahéas a ensuite estimé que l'essentiel des thèmes à aborder figurait dans le plan annoncé, mais que son groupe se déterminerait en fonction des propositions. Il a, notamment, évoqué la question des logements sociaux et de la possibilité de supprimer le bénéfice de la dotation globale de fonctionnement aux maires n'ayant pas respecté, dans les cinq dernières années, leurs obligations en matière de construction de logements sociaux. Il a jugé indispensable que des propositions fortes et concrètes soient formulées.

M. Alex Türk, président, a invité les membres du groupe socialiste à présenter en amont au rapporteur les idées et propositions qui leur semblaient prioritaires, afin que celui-ci puisse, le cas échéant, les intégrer au rapport.

M. Jacques Mahéas a indiqué que celles-ci figuraient dans les comptes rendus des auditions, au cours desquelles ils avaient eu l'occasion de s'exprimer.

M. Philippe Dallier a souligné la complexité du département de la Seine-Saint-Denis, puisqu'il était certes riche, mais qu'il concentrait 35 % de la pauvreté. Il a estimé que ses problèmes n'étaient pas liés uniquement à la gouvernance, et qu'il convenait de ne pas stigmatiser les maires de ce département. Il a jugé que des réponses spécifiques pouvaient en revanche être apportées, comme le fait de ne pas imposer de manière uniforme aux quarante communes du département l'obligation de construire 20 % de logements sociaux, ou encore de mettre en oeuvre une réelle péréquation financière au niveau de la région. Il a jugé opportun de réfléchir à la mise en place d'une structure à l'échelle de l'agglomération parisienne, incluant les départements limitrophes, et mutualisant la taxe professionnelle.

M. Alex Türk, président, a observé que trois points essentiels lui semblaient avoir été évoqués au cours de cet échange : la spécificité des problèmes de la Seine-Saint-Denis, la nécessité de mener une réflexion plus large sur le rôle des autorités locales, et l'importance de la place du maire.

M. Pierre André, rapporteur, a confirmé que ce dernier avait un rôle majeur à jouer dans la conduite de la politique de la ville.