- Mardi 28 février 2006
- Audition de M. Richard Samuel, haut fonctionnaire de défense, directeur des affaires politiques, administratives et financières, Luc Retail, responsable de la mission chargée de la police nationale, et Jean-Marie Laperle, chef d'escadron responsable de la mission chargée de la défense civile et de la gendarmerie nationale, au ministère de l'outre-mer
- Audition de M. Philippe Jeannin, président du tribunal de grande instance de Bobigny
- Audition de M. François Barry Delongchamps, directeur des Français à l'étranger et des étrangers en France au ministère des affaires étrangères, de M. Alain Le Seac'h, sous-directeur de la circulation des étrangers, et de Mme Isabelle Edet, chargée de mission pour l'asile
- Mercredi 1er mars 2006
- Audition de M. Philippe Etienne, directeur général de la coopération internationale et du développement au ministère des affaires étrangères, accompagné de M. Jean-Christophe Deberre, directeur des politiques de développement, de M. Jean-Claude Kohler, chef du bureau Afrique-Océan indien, et de Mme Sarah Lahmani, chargée de mission à la direction des politiques de développement
- Audition de M. Alain Lecomte, directeur général de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction, et Mme Dominique de Veyrinas, chef du service de l'habitat
- Audition de M. Stéphane Diémert, sous-directeur des affaires politiques au ministère de l'outre-mer
Mardi 28 février 2006
- Présidence de M. Christian Demuynck, secrétaire, puis de M. Georges Othily, présidentAudition de M. Richard Samuel, haut fonctionnaire de défense, directeur des affaires politiques, administratives et financières, Luc Retail, responsable de la mission chargée de la police nationale, et Jean-Marie Laperle, chef d'escadron responsable de la mission chargée de la défense civile et de la gendarmerie nationale, au ministère de l'outre-mer
La commission d'enquête a tout d'abord entendu MM. Richard Samuel, haut fonctionnaire de défense, directeur des affaires politiques, administratives et financières, Luc Retail, responsable de la mission chargée de la police nationale, et Jean-Marie Laperle, chef d'escadron responsable de la mission chargée de la défense civile et de la gendarmerie nationale, au ministère de l'outre-mer.
M. Richard Samuel a souligné que l'immigration clandestine revêtait un caractère très particulier en outre-mer compte tenu de son ampleur -en France, près d'une mesure de reconduite à la frontière sur deux est effectuée depuis les collectivités ultramarines- insistant par ailleurs sur son effet déstabilisant sur des sociétés aux dimensions géographiques et humaines souvent réduites.
Il a indiqué que cette situation, qui touche plus particulièrement la Guyane, la Guadeloupe et Mayotte, justifiait des mesures législatives propres à l'immigration clandestine dans les collectivités françaises d'outre-mer, arrêtées lors du comité interministériel de contrôle de l'immigration du 27 juillet 2005, qui avait retenu trois axes d'action :
- l'adaptation, chaque fois que nécessaire, du droit applicable en métropole afin d'améliorer les conditions d'intervention des services et de réduire l'attractivité des territoires ultramarins ;
- le renforcement de la capacité d'action opérationnelle des moyens de l'Etat, soit par un accroissement de ceux-ci, soit par une optimisation de leur mise en oeuvre ;
- l'intensification de l'action diplomatique envers les pays d'origine ou de transit par la signature d'accords de réadmission et l'accroissement de la coopération en vue de leur développement.
Il a mis en exergue la forte augmentation, depuis quelques années, de la pression migratoire sur les collectivités d'outre-mer, en particulier sur la Guyane, la Guadeloupe et Mayotte, précisant qu'entre 2001 et 2005, le nombre de reconduites avait plus que doublé, passant de 7.640 à 15.588. Il a indiqué que cette progression atteignait 106 % à Mayotte, 100 % en Guyane et 85 % en Guadeloupe et, bien que les taux portent sur des chiffres moins élevés en valeur absolue, 178 % en Martinique et 167 % à la Réunion.
Il a jugé que Mayotte connaissait la situation la plus grave puisqu'on estimait généralement que près de 40 % de la population, c'est-à-dire environ 60.000 personnes, sur une population de 160.000 habitants, était constituée d'étrangers aux trois quarts en situation irrégulière. Il a souligné qu'avec une proportion identique, la métropole compterait plus de 18 millions d'immigrés clandestins.
M. Richard Samuel a rappelé que certaines caractéristiques des collectivités ultramarines rendaient difficile la gestion des flux migratoires :
- sauf en Guyane, l'insularité alliée à l'exiguïté : le recensement de juillet 2002 faisant apparaître une densité de 430 habitants au kilomètre carré à Mayotte, 338 en Martinique, 237 en Guadeloupe, 281 à la Réunion, cette densité atteignant, pour cette dernière, 740 habitants au kilomètre carré en excluant les territoires montagneux ;
- les relations historiques existant entre ces collectivités et leur environnement, qui rendent notamment difficile la négociation d'un accord de réadmission ou l'obtention de facilités pour la reconduite des Comoriens, compte tenu des relations familiales existant entre Anjouan et Mayotte et de la revendication de souveraineté portée par les Comores ;
- la dualité de statuts civils applicables à Mayotte où quelques Mahorais sont soumis au statut civil de droit commun tandis que la majorité d'entre eux bénéficient d'un statut de droit personnel, au sens de l'article 75 de la Constitution, inspiré du droit coranique. Il a souligné que, depuis la modification de l'ordonnance n° 2000-218 du 8 mars 2000 par la loi du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer, la filiation naturelle pouvait être établie, dans le cadre du statut civil de droit local, par dation du nom ;
- une situation économique qui favorise l'attractivité des territoires ultramarins dans leur environnement régional. M. Richard Samuel a indiqué que le SMIC mahorais représentait, certes, 48 % du SMIC métropolitain, mais que le produit national brut (PIB) par habitant de cette collectivité représentait, en mai 2005, neuf fois celui des Comores, qui s'élève seulement à 431 euros. Il a précisé qu'en 2002, le PIB par habitant était de 14.037 euros en Guadeloupe et de 15.519 euros en Martinique, alors qu'il atteignait, dans le même temps, seulement 1.610 euros en Haïti et 5.640 euros à la Dominique. Il a rappelé que les Comores et Haïti étaient les pays les plus pauvres de la planète, leur indice de développement humain les classant respectivement aux 136e et 149e rang mondial, alors que, à titre de comparaison, la Guadeloupe, si elle était un Etat, serait classée au 33e rang mondial.
M. Richard Samuel a indiqué que le ministère de l'outre-mer cherchait à améliorer les outils juridiques actuels afin de mieux lutter contre l'immigration clandestine outre-mer dans le respect des dispositions des articles 73 et 74 de la Constitution qui organisent, pour les départements d'outre-mer, un régime d'assimilation juridique permettant des adaptations législatives « tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités » et, pour les collectivités d'outre-mer, un principe de spécialité législative permettant une « organisation particulière » et tenant compte des « intérêts propres » de chacune d'elles au sein de la République.
Il a souligné que le Conseil constitutionnel faisait une appréciation très différente des notions de « contraintes particulières » et d'« intérêts propres », avec, pour la seconde, une plus grande liberté d'action. Il a précisé que le droit applicable dans les collectivités relevant de l'article 74 pouvait largement différer du droit en vigueur en métropole, sous réserve du respect des principes constitutionnels, le Conseil constitutionnel ayant admis, dans une décision du 20 juillet 1993, que le droit de la nationalité pouvait tenir compte des intérêts propres au sein de la République des collectivités régies par le principe de spécialité législative.
Il a indiqué que les mesures examinées par le ministère de l'outre-mer dans ce cadre tendaient à :
- généraliser à toute la Guadeloupe le régime applicable à Saint-Martin et en Guyane en matière de recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière ;
- permettre des visites sommaires de véhicules circulant sur la voie publique ;
- autoriser l'immobilisation des véhicules terrestres ayant servi à commettre des infractions aux règles d'entrée et de séjour des étrangers en Guadeloupe, en Guyane et à Mayotte ;
- imposer, pour la dation de nom en vigueur à Mayotte, que les deux parents soient de statut civil de droit local ;
- étendre à tout le territoire de la République les mesures d'interdiction du territoire, de reconduite à la frontière et d'expulsion prononcées outre-mer.
Il a relevé que certaines de ces mesures reprenaient des propositions de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'immigration clandestine à Mayotte. Exprimant sa crainte que l'adoption d'un régime plus restrictif en Guadeloupe ne détourne vers la Martinique une grande partie des flux migratoires en provenance des Etats voisins, il a estimé qu'il conviendrait de réfléchir à une extension à la Martinique de certaines des mesures envisagées pour la Guadeloupe.
M. Richard Samuel a exposé que les moyens opérationnels de lutte contre l'immigration clandestine devaient être renforcés, à commencer par les moyens humains. Il a insisté sur l'effort déjà accompli puisque, de 2001 à 2005, les effectifs de la police aux frontières avaient augmenté de 15 % en Guadeloupe, de 53 % en Guyane et de 700 % à Mayotte, ce dernier chiffre tenant compte de l'intégration des policiers mahorais. Il a indiqué que la police aux frontières recevrait cette année de nouveaux renforts à Mayotte et en Guyane.
Il a également souligné le renforcement des effectifs et la mobilisation des forces de sécurité non spécialisées dans la lutte contre l'immigration clandestine mais qui, dans leur activité quotidienne, pouvaient exercer des actions efficaces en ce domaine. Il a indiqué que les services de sécurité publique et de gendarmerie avaient augmenté respectivement de 2 % et 7 % à la Guadeloupe, de 29 % et 7 % à la Martinique et de 9 % et 15 % en Guyane.
Il a évoqué l'effort accompli en ce qui concerne les moyens matériels, soulignant qu'à Mayotte, la police aux frontières disposait désormais de deux embarcations, dont une vedette de 12 mètres mise en service en mai 2005, deux autres vedettes devant être mises en chantier et livrées en 2006. Il a rappelé que la gendarmerie maritime avait mis en service une vedette neuve l'année dernière, une neuvième vedette devant être affectée à la Guadeloupe en 2006.
Il a également insisté sur l'enveloppe de 2,5 millions d'euros dégagée par le ministère de l'outre-mer pour l'installation de deux radars de surveillance maritime à Mayotte : le premier, entré en service en novembre 2005, ayant déjà fait la preuve de son efficacité en permettant l'interception de 13 embarcations ; le second devant entrer en service en avril 2006.
Il a, en outre, évoqué l'intensification de la lutte contre le travail clandestin, estimant que celle-ci aurait une incidence sur le nombre d'infractions à la législation sur les étrangers relevées par les services de police et de gendarmerie.
Il a rappelé que, dans le cadre de l'action de l'Etat en mer, le préfet de la Guadeloupe et le préfet de Mayotte bénéficiaient désormais d'une délégation du délégué du gouvernement pour l'action de l'Etat en mer -respectivement les préfets de la Martinique et de la Réunion- pour la lutte contre l'immigration clandestine par voie maritime. Il a estimé que ce dispositif permettait à la fois de mobiliser les services de l'Etat au plus près des réalités locales et d'assurer une cohérence plus forte entre les dispositifs terrestre et maritime de lutte contre l'immigration clandestine.
Il a jugé que les résultats obtenus dans la lutte contre l'immigration clandestine témoignaient de l'effort réalisé par l'Etat puisque, pour le mois de janvier, le nombre de reconduites à la frontière avait plus que triplé dans l'ensemble des collectivités d'outre-mer par rapport à 2005 : au 31 janvier 2006, 2.092 reconduites avaient été effectuées, l'augmentation atteignant 424 % à Mayotte.
M. Richard Samuel a estimé que beaucoup restait à faire, en matière de coopération régionale, pour réduire l'attractivité des territoires français d'outre-mer par rapport aux Etats voisins, jugeant que, par des actions de développement économique ou de développement des infrastructures locales, ce type de coopération pouvait permettre de retenir dans leur pays des étrangers tentés par l'émigration vers la France.
Il a ainsi indiqué que, lors de la cinquième commission mixte franco-comorienne, en avril 2005, deux domaines d'action avaient été définis pour l'aide française, qui pourraient contribuer à freiner les mouvements migratoires vers Mayotte :
- d'une part, le développement rural, producteur de richesses et créateur d'emplois, afin de développer les filières et la commercialisation des produits agricoles, de stabiliser la propriété foncière et de favoriser le désenclavement rural ;
- d'autre part, la santé, en dissuadant les femmes comoriennes de se rendre en France pour y accoucher dans de meilleures conditions. Il a souligné que l'Agence française de développement (AFD) était chargée d'un programme d'appui aux services de santé pour la prise en charge de la grossesse et de l'accouchement et que, dans les prochains mois, serait mis en oeuvre un plan d'action associant le ministère des affaires étrangères, l'AFD et l'agence régionale de l'hospitalisation de la Réunion tandis que, parallèlement, un appui technique et financier serait apporté à des organisations non gouvernementales capables d'améliorer rapidement la santé maternelle et infantile à Anjouan. Il a ainsi évoqué la création possible d'un « peace corps » à la française.
Il a estimé que le développement des actions de coopération impliquait de mieux mobiliser les outils financiers disponibles, en particulier les fonds de coopération régionale, dotés seulement de 3,6 millions d'euros, l'AFD et les crédits communautaires INTERREG. Il a jugé que rien n'interdisait que les fonds de coopération régionale soient mobilisés dans des domaines qui pouvaient avoir une influence sur l'immigration clandestine, comme l'éducation, la santé ou le développement rural. Il a insisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas seulement de construire des dispensaires ou des écoles, mais qu'il fallait également fournir les personnels qui permettront d'assurer les soins ou l'enseignement.
Soulignant la tension extrême qui régnait à Mayotte entre la population mahoraise et les immigrants comoriens, M. François-Noël Buffet, rapporteur, s'est interrogé sur les mesures qui permettraient de mettre fin, à très court terme, à cette situation, abordant notamment la question de la résorption des bidonvilles de Mamoudzou.
M. Richard Samuel a reconnu que l'importance de l'immigration clandestine alliée à l'exiguïté des collectivités suscitait une montée du racisme et de la xénophobie, ce qui était notamment palpable en Guadeloupe. Il a jugé que, dans un premier temps, le renforcement de l'appareil répressif devait se poursuivre mais qu'il ne suffirait pas à régler le problème.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, rappelant que la conférence des bailleurs de fonds des Comores avait prévu une aide de 65 millions d'euros sur la période 2006-2009, a demandé s'il ne serait pas préférable que la France effectue elle-même, sur le terrain, les actions de coopération financées par ce biais. Il a souligné les difficultés liées à l'absence de délimitation territoriale claire de la frontière entre la Guyane et le Surinam sur le fleuve Maroni et a demandé si celle-ci ne constituait pas un obstacle à l'exercice des contrôles frontaliers. Il a rappelé que la départementalisation de la collectivité de Mayotte était souhaitée par la majorité de la population, mais qu'elle pourrait avoir pour effet de renforcer l'attractivité de cette île sur les immigrants clandestins.
M. Richard Samuel a insisté sur la nécessité de mettre en place une coopération destinée à améliorer la qualité des équipements et personnels de santé aux Comores. Il a estimé qu'il conviendrait de joindre à l'aide ainsi apportée des recommandations en matière de bonne gouvernance. Il a souhaité que les négociations concernant la délimitation frontalière sur le fleuve Maroni soient accélérées, mais a estimé qu'elles ne seraient pas absolument déterminantes pour assurer un meilleur contrôle des flux d'immigration. Il a rappelé que la loi du 11 juillet 2001 avait prévu une consultation sur la départementalisation de Mayotte en 2010. Il a jugé qu'il était nécessaire de tenir compte des spécificités locales, et notamment de l'existence d'un statut civil de droit local.
M. Louis Mermaz a considéré que Mayotte constituait une société de type post-colonial. Il a insisté sur la nécessité d'accroître la coopération interrégionale en estimant qu'il convenait d'exécuter directement sur place les programmes d'aide. Il a jugé que la répression ne saurait constituer une réponse adaptée à l'ampleur du problème.
Mme Catherine Tasca a estimé qu'il convenait déjà de régler les problèmes suscités par les immigrés clandestins présents sur le territoire national, évoquant les bidonvilles ainsi créés. Elle a jugé qu'il existait un laisser-aller en matière d'urbanisme et en matière sanitaire, soulignant par ailleurs la montée du racisme parmi les populations autochtones.
M. Richard Samuel a rappelé que, quelle que soit leur situation au regard du séjour, les étrangers étaient soignés et leurs enfants scolarisés. Il a estimé que le problème le plus délicat en outre-mer était celui de l'habitat. Il a relevé l'existence de difficultés foncières ainsi que le fait que nombre d'habitats illégaux avaient été construits sur le domaine public maritime. Il a jugé nécessaire de régulariser ces habitats, relevant qu'à Mayotte cela permettrait également aux communes de disposer d'une ressource fiscale.
Il a souligné que les départements d'outre-mer faisaient l'objet de programmes de rénovation urbaine importants, évoquant les opérations menées par l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) à Fort-de-France, Pointe-à-Pitre et Cayenne.
M. Louis Mermaz a souligné que les personnes retenues dans les centres de rétention, en outre-mer comme en métropole, étaient avant tout des victimes. Il a estimé que les contrôles d'identité aléatoires menés par les services de police pouvaient pénaliser les étrangers irréguliers séjournant en France depuis longtemps. Il a souhaité que les éloignements de Comoriens soient suspendus durant la campagne électorale qui débutait aux Comores, car ils étaient de nature à favoriser les candidats intégristes.
M. Richard Samuel a indiqué que l'application des lois de la République était une nécessité et qu'elle permettait également, dans ce domaine, de mettre un terme à des formes d'esclavage moderne à l'encontre des clandestins.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, a souligné que les élus locaux, notamment en Guyane, se plaignaient que le calcul de la dotation globale de fonctionnement ne prenne pas en compte les populations étrangères en situation irrégulière installées sur leur territoire, alors que leur nombre était parfois supérieur à celui des Guyanais.
M. Richard Samuel a estimé que si, dans son principe, cette prise en compte était souhaitable, en revanche, il s'avèrerait difficile de recenser ces populations en situation irrégulière, notamment en raison du fait qu'elles refusaient de se faire connaître.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, a demandé où en étaient les travaux relatifs à l'état civil à Mayotte, évoquant les difficultés actuellement posées par les dations de nom et les reconnaissances d'enfants.
M. Richard Samuel a répondu que la mise en place de cet état civil se poursuivait, bien que des différends statutaires avec les personnels de la Commission de révision de l'état civil (CREC), aujourd'hui résolus, aient retardé l'accomplissement de ce travail. Il a indiqué que les équipements logiciels seraient améliorés et a souhaité une meilleure évaluation de l'état civil par le ministère de la justice.
Mme Catherine Tasca ayant indiqué que les personnels de la CREC avaient déploré le manque de moyens accordés et les difficultés liées à la double tutelle exercée par les ministères de la justice et de l'outre-mer, M. Richard Samuel a reconnu la nécessité d'une meilleure coordination, tout en estimant logique de confier la tutelle de cet organe au ministère de la justice. Il a, en tout état de cause, jugé qu'il fallait parvenir à un état civil moderne, soulignant qu'il était inacceptable que des Français ne disposent pas de papiers d'identité.
M. Georges Othily, président, a estimé que la coopération avec les Etats voisins des collectivités ultramarines devait être privilégiée, suggérant la mise en place d'une véritable politique d'aide technique permettant d'envoyer des volontaires dans ces pays afin d'y développer certains équipements ou d'y apporter des formations. Il a jugé que cette démarche permettrait d'endiguer la dégradation du tissu social dans ces Etats tout en estimant que l'aide apportée par la France ne devait pas nécessairement transiter par les gouvernements de ces Etats.
M. Richard Samuel s'est déclaré favorable à cette démarche, observant qu'un projet visant à utiliser les moyens du service militaire adapté à la Réunion afin de contribuer au développement et à la formation à Madagascar avait été évoqué. Il a jugé que si une telle expérimentation était mise en place et s'avérait probante, elle pourrait par la suite être étendue.
M. Georges Othily, président, a regretté que, jusqu'ici, l'action des collectivités et de l'Etat n'ait pas eu encore un caractère suffisamment volontariste pour régler les difficultés rencontrées.
Audition de M. Philippe Jeannin, président du tribunal de grande instance de Bobigny
La commission d'enquête a ensuite entendu M. Philippe Jeannin, président du tribunal de grande instance de Bobigny.
A titre liminaire, M. Philippe Jeannin a déclaré que le tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny avait à connaître de l'immigration clandestine en raison :
- du fait que l'aéroport de Roissy était inclus dans son ressort ;
- de la commission de nombreux faits délictueux liés directement ou indirectement à la présence de nombreux clandestins en Seine-Saint-Denis ;
- du problème des mineurs étrangers isolés.
Il a rappelé que la Seine-Saint-Denis comptait 1,4 million d'habitants, dont une proportion d'étrangers s'élevant à 39 %, mais il s'est déclaré incapable d'évaluer le nombre des clandestins, l'activité judiciaire n'offrant qu'un éclairage partiel. Il a ajouté que la présence de l'aéroport de Roissy suscitait une charge de travail importante au titre de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) relatif à la prolongation de la rétention administrative par le juge des libertés et de la détention, mais surtout au titre de l'article L. 221-1 du même code relatif à la prolongation du maintien en zone d'attente.
M. Philippe Jeannin a ensuite détaillé l'activité judiciaire civile du TGI de Bobigny, remarquant que depuis 2001 la situation s'était nettement améliorée.
Concernant les demandes de prolongation du maintien en zone d'attente, après un pic en 2001 avec 12 715 demandes examinées qui avaient profondément désorganisé l'ensemble du travail de la juridiction, il a salué la forte décrue du nombre de demandes : 10.143 en 2002, 2.656 en 2003, 2.122 en 2004 et environ 2.400 en 2005.
Il a expliqué cette évolution par les méthodes nouvelles de la police aux frontières, notamment les contrôles à la descente des avions, par le développement des visas de transit aéroportuaire et par la conclusion d'accords bilatéraux de réadmission.
Concernant les rétentions administratives, il a remarqué que la Seine-Saint-Denis, avec un nombre de demandes de prolongation de la rétention à peu près constant, de l'ordre de 1.500 à 2.000 par an, ne se distinguait pas particulièrement des autres grands départements en zone urbaine.
Il a indiqué que la possibilité prévue par la loi du 26 novembre 2003 de statuer dans une salle d'audience située à proximité du centre de rétention administrative ou de la zone d'attente n'avait pas encore été utilisée, les travaux d'aménagement des salles d'audience sur la zone d'attente de Roissy n'étant toujours pas achevés.
M. Philippe Jeannin a également indiqué que depuis la stabilisation du nombre des dossiers, cinq juges des libertés et de la détention étaient chargés de l'examen des demandes de prolongation de la rétention ou du maintien en zone d'attente, ce qui facilitait l'élaboration d'une jurisprudence cohérente.
Il a rappelé que le contrôle du juge se limitait à celui des conditions d'interpellation, des motivations de la demande de prolongation et du respect des droits.
Evoquant ensuite la question des mineurs étrangers isolés, il a souligné la complexité de chaque affaire. Il s'est notamment demandé si la législation réservait un traitement suffisamment différencié aux mineurs par rapport à celui réservé aux adultes, en dépit des dispositions relatives à l'administrateur ad hoc ou de la circulaire du 2 mai 2005 prévoyant une formation pendant la période d'accueil.
En outre, il a estimé que l'administrateur ad hoc ne constituait un progrès qu'à condition qu'il dispose du temps nécessaire pour assurer une véritable prise en charge de chaque mineur.
Il a également attiré l'attention sur la nécessité de clarifier le partage des compétences entre les juridictions, notamment entre le juge des libertés et de la détention et le juge aux affaires familiales.
De la même façon, il s'est inquiété de l'hétérogénéité des pratiques locales en matière de mode de prise en charge des mineurs isolés se trouvant sur le territoire national, remarquant toutefois que la circulaire du 2 mai 2005 ébauchait une harmonisation du traitement des mineurs de plus de seize ans.
Enfin, il s'est demandé s'il ne convenait pas, suivant en cela une proposition de M. Alvaro Gil-Robles, commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, de modifier la législation afin que les mineurs ne puissent refuser le bénéfice du jour franc avant un éventuel renvoi.
Concernant l'activité pénale du TGI de Bobigny, il a indiqué que les infractions à la législation sur les étrangers au sens large représentaient entre 1.400 et 1.500 affaires par an sur un total de 12.000 à 13.000 affaires correctionnelles.
Il a précisé que les infractions de séjour irrégulier simple étaient exclues de ce décompte, car elles étaient classées sans suite, l'étranger étant directement placé en rétention après la prise d'un arrêté de reconduite à la frontière.
Toutefois, il a déclaré qu'il était très difficile de chiffrer l'incidence de l'immigration clandestine sur le niveau de la délinquance générale. Ainsi, il a indiqué que si de nombreuses affaires concernaient le travail clandestin, elles ne révélaient pas systématiquement l'existence de filières organisées ou d'un phénomène de large ampleur. Il a estimé à une vingtaine le nombre d'ateliers clandestins démantelés par an, chaque atelier comptant entre 4 et 50 clandestins.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, a demandé s'il était fait usage de la visio-conférence pour la tenue des audiences devant le juge des libertés et de la détention, comme le permet la loi.
M. Philippe Jeannin a indiqué que le projet de salles d'audience délocalisées à proximité de la zone d'attente de Roissy prévoyait un système de visio-conférence, mais qu'il n'en avait pas encore été fait usage.
Il s'est interrogé sur le bien-fondé de l'exigence légale du consentement de l'étranger à l'utilisation de la visio-conférence, cette technologie ayant maintenant fait ses preuves, notamment au TGI de Paris.
Revenant au rôle du juge des libertés et de la détention, il a fait observer que celui-ci avait souvent peu de moyens pour apprécier véritablement une situation du fait d'une vue parcellaire sur un dossier.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, a ensuite demandé si la fraude documentaire était à l'origine d'un contentieux important.
M. Philippe Jeannin a répondu qu'en matière pénale, la fraude documentaire était rarement à elle seule la cause d'une condamnation. En revanche, il a expliqué qu'au civil, le parquet était souvent sollicité par les maires pour vérifier l'authenticité de documents d'état civil.
Audition de M. François Barry Delongchamps, directeur des Français à l'étranger et des étrangers en France au ministère des affaires étrangères, de M. Alain Le Seac'h, sous-directeur de la circulation des étrangers, et de Mme Isabelle Edet, chargée de mission pour l'asile
La commission d'enquête a enfin entendu M. François Barry Delongchamps, directeur des Français à l'étranger et des étrangers en France au ministère des affaires étrangères, accompagné de M. Alain Le Seac'h, sous-directeur de la circulation des étrangers, et de Mme Isabelle Edet, chargée de mission pour l'asile.
Remerciant la commission d'enquête de lui donner l'occasion de s'exprimer sur un sujet qui est au centre des préoccupations de la direction des Français à l'étranger et des étrangers en France (DFAE), M. François Barry Delongchamps a indiqué que son intervention, qui s'inscrirait dans la suite des propos tenus par le ministre des affaires étrangères lors de son audition par la commission d'enquête, s'organiserait autour de quatre points principaux illustrant l'action de la DFAE dans la lutte contre l'immigration irrégulière : le rôle des consulats, le dialogue avec les pays source d'immigration, la participation à la définition de l'immigration choisie, la mise en oeuvre de la politique de l'asile.
Soulignant que le réseau diplomatique et consulaire était, par définition, aux avant-postes de la politique migratoire, M. François Barry Delongchamps a fait valoir que la DFAE, qui assure l'animation et la gestion du réseau consulaire, était impliquée au premier chef dans la définition et la mise en oeuvre des nouvelles orientations de la politique de l'immigration.
Il a, à ce titre, évoqué en premier lieu les mesures importantes prises en vue de la généralisation progressive de la biométrie. Alors que cinq consulats étaient équipés en 2005, 29 autres devraient l'être en 2006, la généralisation devant être réalisée en 2008 si le ministère dispose des moyens nécessaires.
M. François Barry Delongchamps a évalué à 145 millions d'euros entre 2006 et 2008 le coût global de cette opération, observant que ces dépenses pourraient être couvertes par l'encaissement des frais de dossier de demandes de visas : il a indiqué à cet égard que la France en demanderait, lors du prochain Conseil Justice et Affaires Intérieures, le relèvement de 35 à 60 €, relèvement dont elle souhaitait qu'il puisse être effectif à partir du 1er octobre prochain.
Abordant ensuite la question de la fraude documentaire, M. François Barry Delongchamps a rappelé que les filières de l'immigration clandestine utilisaient les procédures « régulières », souvent avec la complicité des autorités locales, et insisté sur l'importance des trafics de « vrais-faux » documents : le contrôle des actes de l'état civil constitue en conséquence un aspect essentiel de la lutte contre l'immigration illégale.
Notant la rapide croissance des « mariages mixtes » célébrés à l'étranger -13.000 en 1994, 44.000 en 2004- qui sont devenus la première source d'immigration légale, il a estimé que la fraude au mariage, et donc à l'acquisition de la nationalité française, était un élément déterminant du phénomène de pression migratoire auquel était confronté le réseau diplomatique et consulaire.
M. François Barry Delongchamps a indiqué que le ministère des affaires étrangères était partie prenante à la modernisation de certaines règles qui résultera du projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages qui sera prochainement examiné par le Parlement, mais aussi de l'avant-projet de loi sur l'immigration et l'intégration, qui prévoit notamment, pour les conjoints de Français, l'allongement des délais d'obtention de la nationalité française par déclaration.
Faisant état du « naufrage » de l'état civil dans certains pays, M. François Barry Delongchamps s'est demandé si ces mesures seraient à la hauteur des enjeux et a émis l'idée que le recours à des tests ADN pourrait, par exemple, faciliter les mesures de regroupement familial, citant à cet égard le cas de familles de réfugiés statutaires qui restent en attente de visas faute de pouvoir établir avec certitude le « périmètre familial ».
Abordant ensuite le thème du dialogue avec les pays source d'immigration, M. François Barry Delongchamps a rappelé que la DFAE assurait, en liaison avec le ministère de l'intérieur, la négociation des accords de réadmission et le suivi de leur application.
Indiquant que la France avait signé 37 accords bilatéraux de réadmission et était liée par cinq accords communautaires, M. François Barry Delongchamps a mis en relief l'utilité de ces instruments pour encadrer les procédures d'éloignement et notamment la délivrance des laissez-passer consulaires.
Il a en revanche douté de l'intérêt de généraliser de tels accords, d'une part parce que les pays source, qui ne sont généralement pas demandeurs d'accords auxquels leurs opinions publiques sont hostiles, sont en conséquence enclins à exiger des contreparties en matière de liberté de circulation qui peuvent aller à l'encontre de l'effet recherché et, d'autre part, parce que des arrangements ad hoc ou la coopération policière peuvent permettre de parvenir au même résultat sans exiger une négociation compliquée.
Le choix doit donc résulter d'un examen au cas par cas, la DFAE et la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur ayant fait celui de s'orienter vers une systématisation des accords de réadmission avec les pays d'Europe centrale et orientale et les pays de la zone Caraïbe.
M. François Barry Delongchamps a par ailleurs jugé plutôt encourageant le bilan de la politique conduite par le gouvernement pour améliorer le taux de délivrance des laissez-passer consulaires, qui est passé de 35 % en 2004 à 46 % en 2005, relevant que seuls deux des douze pays ayant fait l'objet de démarches diplomatiques spécifiques depuis le mois de septembre 2005 posaient encore des problèmes. Il a noté à cet égard que l'éventualité de sanctions à l'égard des pays insuffisamment coopératifs relevait d'une décision politique, la DFAE pouvant pour sa part proposer une liste de sanctions possibles et graduées.
M. François Barry Delongchamps a ensuite exposé la participation de la DFAE à la définition d'une immigration choisie, notamment par une meilleure sélection des étudiants étrangers.
Relevant que la France, qui accueille plus de 50.000 nouveaux étudiants étrangers chaque année, est aujourd'hui un des pays les plus ouverts après les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, il a souligné qu'il importait de mieux accueillir les meilleurs étudiants, les plus motivés, mais aussi de mieux contrôler, dès le pays d'origine, la réalité et le sérieux de leurs projets d'études. C'est le rôle des nouveaux « centres pour les études en France » (CEF). L'articulation entre les CEF, chargés de l'examen pédagogique des dossiers, et les consulats donne des résultats très satisfaisants et permet aux postes de se concentrer sur l'approche régalienne de la délivrance des visas.
M. François Barry Delongchamps a insisté à cet égard sur la transmission de tous les dossiers aux postes consulaires, qui leur permet de conserver toutes leurs capacités d'action et toutes leurs compétences.
Il a souligné que des conclusions positives pouvaient être tirées de la campagne « étudiants » 2005-2006 dans les cinq pays (Chine, Vietnam, Tunisie, Maroc et Sénégal) où elle a été mise en place, relevant notamment son impact auprès des autorités locales et la baisse de la demande - sauf en Chine - qui met en évidence le rôle de filtre des CEF.
Il a noté que si des difficultés demeuraient - le poids des interventions locales, les divergences d'opinion entre les universités, soucieuses de développer leurs effectifs, et les CEF, l'accès des consulats à la totalité des informations et des dossiers - elles ne remettaient toutefois pas en cause le bien-fondé de cette réforme, à laquelle la DFAE a pris une grande part, et qu'intègre l'avant-projet de loi sur l'immigration et l'intégration en prévoyant la délivrance de plein droit d'un premier titre de séjour pour certains étudiants.
M. François Barry Delongchamps a enfin exposé le rôle de la DFAE dans la mise en oeuvre d'une politique de l'asile conforme à nos engagements internationaux et permettant de mieux contrôler les détournements de procédure.
Il a rappelé qu'en France la politique de l'asile relevait du ministère des affaires étrangères et non, comme c'est souvent le cas ailleurs, du ministère de l'intérieur : il a indiqué que c'était la DFAE qui était en charge de l'asile et que le programme « Français à l'étranger et étrangers en France » de la mission « Action extérieure de l'Etat », dont il assurait la responsabilité, prévoyait les moyens budgétaires de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).
Soulignant que la politique de l'asile ne relevait pas du contrôle des migrations, il a cependant observé que les procédures de l'asile ne devaient pas être détournées pour devenir une voie de migration économique.
M. François Barry Delongchamps a insisté sur la chute, confirmée sur deux années, de la demande d'asile en France : après le pic atteint en 2003 avec 93.540 demandes, dont 31.547 au titre de l'asile territorial, 65.614 dossiers ont été enregistrés en 2004 et 59.038 en 2005.
Il a toutefois relevé que cette tendance reflétait deux réalités différentes :
- une baisse plus importante du nombre des premières demandes, qui passent sous la barre des 50.000 dossiers ;
- une augmentation de 34 % des demandes de réexamen, progression cependant beaucoup moins importante que celle constatée en 2004.
M. François Barry Delongchamps a souligné que seules avaient augmenté en 2005 les demandes d'asile en provenance d'Haïti (+ 61 %) et de Serbie-Monténégro (+ 8 %).
Il a également insisté sur la réduction du délai total de traitement des demandes d'asile, qui dépassait 18 mois en 2003 et 2004 et est actuellement inférieur à huit mois - deux mois et demi à l'OFPRA, quatre à cinq mois à la commission des recours des réfugiés (CRR) - l'objectif demeurant de traiter toutes les demandes en six mois.
M. François Barry Delongchamps a mis en relief les deux facteurs expliquant la chute des demandes d'asile :
- la moindre « attractivité » de notre pays après l'entrée en vigueur en 2004 de la réforme de la loi sur l'asile, en raison de la plus grande efficacité des procédures et de leur accélération, notamment depuis l'été dernier avec l'établissement de la liste des pays d'origine sûrs ;
- la stabilisation politique des Balkans, de la zone des Grands Lacs, de l'Algérie, le caractère conjoncturel de ce second facteur devant inciter à la prudence.
Il a en conséquence estimé qu'il semblait légitime de poursuivre la réflexion sur les moyens d'améliorer encore ce dispositif, tels l'élargissement de la liste des pays d'origine sûrs ou la réduction d'un mois à 15 jours du délai de saisine de la CRR, décidée par le comité interministériel de contrôle de l'immigration du 29 novembre 2005.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, a demandé des précisions sur l'expérimentation des visas biométriques et sur les progrès qu'on pouvait en attendre en termes de contrôle des sorties du territoire.
Ayant observé que le choix des visas biométriques imposait d'accueillir dans les postes tous les demandeurs de visas, ce qui pose des problèmes matériels non négligeables, M. François Barry Delongchamps a expliqué que les premiers postes retenus pour l'expérimentation, sauf Minsk et San Francisco, étaient des postes où étaient déjà reçus personnellement la totalité ou la quasi-totalité des demandeurs de visa.
Il a souligné que l'expérience apparaissait positive quant à l'utilisation du matériel, le recueil des données biométriques s'effectuant très facilement et de manière « conviviale », même s'il suppose un effort d'accompagnement et d'explication de la part des agents. M. François Barry Delongchamps a également observé que la biométrie exigeait la constitution d'une banque européenne de données et un effort d'équipement en bio terminaux. Il a rappelé à cet égard que 80 % des visas Schengen étaient délivrés par les consulats d'autres Etats membres.
Affirmant la nécessité d'aller de l'avant dans la mise en oeuvre de la biométrie, il a annoncé la publication prochaine du décret relatif à la liste des consulats qui seraient équipés dès cette année.
A propos du contrôle des sorties du territoire, M. François Barry Delongchamps a tout d'abord douté que l'origine principale du séjour irrégulier soit le maintien sur le territoire de détenteurs de visas de tourisme, indiquant que, selon une enquête menée dans certains pays sensibles, 20 % seulement des personnes reconduites à la frontière avaient bénéficié de tels visas. Il a ensuite évoqué l'expérience engagée pour vérifier le retour des bénéficiaires de visas, notant toutefois qu'elle ne s'appuyait sur aucun texte et que par ailleurs les intéressés ne regagnaient pas obligatoirement leur pays d'origine après avoir quitté la France.
M. Alain Le Seac'h a précisé que l'expérience du rendez-vous de retour était menée dans une dizaine de postes exposés à des risques migratoires élevés. Il a indiqué que la procédure, assez lourde, ne concernait qu'un public ciblé et qu'il était procédé à un signalement des personnes dont le retour n'avait pu être vérifié.
Notant que certaines catégories de visas, notamment les visas de circulation, ne se prêtaient pas à ce type de contrôle, il a précisé que l'éventuelle extension de l'expérience dépendrait du bilan qui pourra en être dressé.
Se félicitant que la commission d'enquête entende, après le ministre des affaires étrangères, le directeur des Français à l'étranger et des étrangers en France, M. Jean-Pierre Cantegrit a évoqué le problème de l'accueil dans certains consulats, qui a pu être à l'origine d'incidents.
Citant le cas d'un homme d'affaires algérien empêché, faute d'avoir obtenu un visa, de venir en France pour signer un contrat important relatif à un investissement dans notre pays, il a souhaité que l'on puisse demander au personnel des postes d'assurer un accueil courtois des demandeurs de visas et de faire la différence entre les demandes auxquelles il faut, dans l'intérêt de la France, apporter une réponse rapide et celles qui peuvent, très normalement, nécessiter certaines vérifications.
M. François Barry Delongchamps a répondu en soulignant que la politique des visas devait permettre d'encourager la venue en France de personnes qui sont des acteurs importants des relations avec notre pays et, d'une manière générale, d'accueillir de matière satisfaisante tous les demandeurs. Exprimant le souci d'éviter le phénomène des files d'attente dans la rue, qui a entre autres inconvénients celui d'encourager les trafics, il a indiqué qu'il s'efforçait de développer la méthode de la prise de rendez-vous par téléphone, mise en place, notamment, à Londres.
Il a cependant évoqué le déficit en personnels des postes, indiquant que des ratios avaient été fixés pour imposer le traitement par agent et par an de 3.000 dossiers de visas dans les pays où existe une forte pression migratoire, de 4.500 dossiers dans les autres. Il a souligné que le passage aux 35 heures avait diminué de 9 % la force de travail disponible, sans création de postes, mais qu'il n'entendait pas que cela se traduise par une baisse de vigilance et de qualité dans l'examen des dossiers. Il a par ailleurs observé que le paiement des frais de dossier dès le dépôt des demandes avait permis de faire baisser le nombre de celles-ci.
M. François Barry Delongchamps a rappelé que les instructions données aux postes traduisaient une politique des visas qui doit être claire et permettre de distinguer entre les acteurs importants des relations avec la France et les personnes qui souhaitent venir dans notre pays.
En ce qui concerne les premiers, il a indiqué que les partenaires des postes, plutôt que de se plaindre d'être mal accueillis, avaient tout intérêt à les aider à dresser des listes d'attention positive permettant de faciliter la délivrance de visas aux personnes - scientifiques, artistes, hommes d'affaires - dont il est de notre intérêt de faciliter la venue en France.
S'agissant des personnes qui souhaitent venir en France, il faut bien entendu instruire leurs demandes avec équité et rigueur : M. François Barry Delongchamps a rappelé à cet égard que les instructions communautaires recommandaient de refuser la délivrance de visa en cas de doute sur le risque migratoire, recommandation qui devait être appliquée par les postes.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, a posé des questions sur l'avancement de la négociation des accords de réadmission avec les Etats voisins de la Guyane et sur l'ouverture dans ce département d'un consulat du Guyana. Il a également souhaité connaître l'opinion de M. François Barry Delongchamps sur les liens entre codéveloppement et politique de l'immigration.
Après avoir rappelé que la France avait signé avec le Brésil un accord de réadmission qui est en vigueur depuis 1996, Mme Isabelle Edet a indiqué que le projet d'accord avec le Guyana n'était pas encore signé mais que les deux parties s'étaient attachées, avant sa signature formelle, à définir les conditions de son application, la visite récente au Guyana du ministre délégué au tourisme ayant contribué à créer un climat de confiance avec nos partenaires. En ce qui concerne la Dominique, Trinité-et-Tobago et la Barbade, la négociation porte sur les contreparties en matière de liberté de circulation demandées par ces Etats, que la France souhaite cibler sur des dispenses de visas pour les très courts séjours ou au bénéfice de certaines catégories, comme les groupes scolaires.
La concrétisation du projet de création en Guyane d'un poste consulaire du Guyana paraît également en bonne voie, dans l'attente d'une demande officielle d'ouverture de ce consulat.
En ce qui concerne le codéveloppement, M. François Barry Delongchamps a estimé qu'il apparaissait comme une solution à terme, et comme la réponse la plus intelligente à apporter à l'immigration économique motivée par la pauvreté. Soulignant les problèmes particuliers qu'affrontent certains départements et collectivités d'outre-mer, il a relevé, à propos de Mayotte, l'importance de l'immigration comorienne en France, qui aboutira à terme à la francisation d'une proportion non négligeable de la population de l'archipel, se demandant si les migrations vers Mayotte, facilitées par la fraude et les dysfonctionnements de l'état civil, n'apparaissaient pas comme un pis aller par rapport à un projet de migration en métropole.
M. François Barry Delongchamps a noté à cet égard qu'il convenait de s'interroger sur la dégradation de l'état civil d'un grand nombre de pays partenaires, qui justifierait sans doute qu'on leur apporte une aide en ce domaine.
Insistant sur la nécessité de ne pas limiter à un aspect défensif la politique de contrôle de l'immigration, il a estimé qu'il conviendrait sans doute de mettre davantage l'accent sur une « contre-offensive » en agissant sur les raisons de l'immigration et en aidant les pays source à mettre en oeuvre une « gouvernance » favorable à leur développement : le codéveloppement peut certainement être à cet égard un instrument très utile, ce qui ne veut pas dire qu'il soit facile à gérer.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, a enfin demandé à M. François Barry Delongchamps de préciser les indications qu'il avait données sur la proportion, parmi les étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement, d'anciens bénéficiaires de visas de court séjour.
M. François Barry Delongchamps a répondu qu'il lui fournirait les chiffres, que ses services étaient en train de rassembler, relatifs aux reconduits à la frontière ayant bénéficié d'un visa délivré par la France.
Mercredi 1er mars 2006
- Présidence de M. Christian Demuynck, secrétaire, puis de M. Georges Othily, présidentAudition de M. Philippe Etienne, directeur général de la coopération internationale et du développement au ministère des affaires étrangères, accompagné de M. Jean-Christophe Deberre, directeur des politiques de développement, de M. Jean-Claude Kohler, chef du bureau Afrique-Océan indien, et de Mme Sarah Lahmani, chargée de mission à la direction des politiques de développement
La commission d'enquête a tout d'abord entendu M. Philippe Etienne, directeur général de la coopération internationale et du développement au ministère des affaires étrangères, accompagné de M. Jean-Christophe Deberre, directeur des politiques de développement, de M. Jean-Claude Kohler, chef du bureau Afrique-Océan indien, et de Mme Sarah Lahmani, chargée de mission à la direction des politiques de développement.
M. Philippe Etienne, directeur général de la coopération internationale et du développement, a souligné que la France jouait un rôle moteur en matière d'aide publique au développement et rappelé qu'elle était le premier contributeur des pays du G8 au regard de la part de cette aide dans le revenu national brut. Il a ajouté qu'à l'initiative du président de la République, une conférence sur les financements innovants du développement venait d'être organisée à Paris les 28 février et 1er mars 2006.
Il a indiqué que la politique de coopération française s'efforçait depuis de nombreuses années de réduire la pression migratoire en favorisant le développement des pays d'origine des migrants. Observant que l'attention de l'opinion publique française avait récemment été attirée sur les liens entre immigration et aide au développement par les drames de Ceuta et Melilla, il a précisé que, depuis ces événements, la direction générale de la coopération internationale et du développement avait relancé les travaux de son réseau d'experts sur ce thème.
M. Philippe Etienne a rappelé que la France s'était engagée depuis une dizaine d'années dans une politique de co-développement, qui suscite aujourd'hui l'intérêt des autres Etats occidentaux. Il a exposé que cette politique avait conduit :
- en premier lieu, à la mise en place de fonds de solidarité prioritaire, d'abord au Mali puis aux Comores, au Sénégal et dans d'autres Etats de l'Afrique subsaharienne, au Maroc, au Vanuatu, en Haïti et en Ethiopie, afin de financer des projets de développement local et des projets de réinsertion professionnelle de migrants en s'appuyant, dans le cas du Mali, sur des diasporas actives et structurées ;
- en second lieu, à l'élaboration d'un projet de mobilisation des diasporas scientifiques, techniques et économiques de sept pays émergents -l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Cambodge, le Laos, le Vietnam et le Liban- consistant à appuyer les initiatives des universitaires, chercheurs, ingénieurs, cadres d'entreprises issus de ces pays et établis en France et, ainsi, à favoriser « le retour de l'intelligence » dans les pays d'origine des migrants.
Il a précisé que le projet de mobilisation des diasporas scientifiques, techniques et économiques s'était traduit par le développement des coopérations universitaires, avec des résultats mitigés mais quelques succès significatifs comme celui des écoles inter-Etats de Ouagadougou, et la création de doubles chaires, permettant à un Français ou à un étranger d'occuper des fonctions, notamment de recherche ou d'enseignement, à la fois en France et dans son pays d'origine.
M. Philippe Etienne a estimé que la politique de coopération, dans son volet lié à la politique d'immigration, devait concentrer son action dans trois domaines : les transferts de fonds des migrants, le retour des compétences et le développement local.
Relevant que les transferts de fonds opérés chaque année par des migrants étaient estimés par la Banque mondiale à 200 milliards de dollars, soit un montant près de trois fois supérieur à celui de l'aide publique au développement, il a souligné la nécessité d'inciter les détenteurs de ces capitaux à les utiliser pour financer des projets contribuant au développement de leur pays d'origine. A titre d'exemple, il a évoqué le programme « 3 pour 1 » lancé par le Mexique en 2002, consistant dans un abondement à due concurrence, par le gouvernement fédéral et les autorités locales de cet Etat, des sommes investies dans leur pays par les Mexicains émigrés aux Etats Unis. Il a également mentionné une expérience impliquant les organismes de crédit, en cours entre l'Espagne et l'Equateur. Enfin, il a jugé nécessaire, pour encourager ces investissements, de réduire le coût des transferts financiers et de faciliter l'accès à l'intermédiation bancaire.
Au titre des actions destinées à favoriser le retour dans leur pays d'origine des compétences acquises par les migrants, M. Philippe Etienne a mentionné l'initiative prise par des personnalités de la diaspora africaine dans le cadre de l'Institut de la Banque mondiale, baptisée « Nelson Mandela », de créer sur le continent africain des instituts de sciences et de technologies. Il a ajouté que la France entendait participer à cette initiative en soutenant les écoles régionales inter-Etats. Il a également souligné la nécessité d'adapter les formations et d'aider les étudiants sortant de ces écoles à créer des entreprises dans leur pays, les doubles chaires lui semblant de nature à améliorer l'encadrement universitaire. Enfin, il a évoqué l'expérimentation de formations supérieures à distance, notamment dans le domaine de la santé, permettant d'éviter le « pillage des cerveaux ». Il a expliqué que ces différents projets étaient soutenus par la direction générale de la coopération internationale et du développement dans le cadre soit des relations bilatérales avec les pays d'origine des migrants, soit de l'Agence universitaire de la francophonie.
Au titre de l'aide au développement local, M. Philippe Etienne a souligné les actions entreprises par la France dans des régions comme celles de Kayes au Mali, d'Anjouan aux Comores ou des Nippes dans le sud-ouest d'Haïti, qui constituent des points de départ vers la France d'un grand nombre de migrants. Convenant que ces actions n'avaient pas encore permis d'enrayer les flux migratoires, il a marqué sa volonté de les développer dans la limite des moyens budgétaires alloués à la direction générale de la coopération internationale et du développement. Enfin, il a indiqué qu'avec l'Agence française de développement, il entendait promouvoir des projets de plus en plus ciblés dans les secteurs de l'agriculture, de la santé, de l'éducation et de la formation professionnelle.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, a insisté sur la nécessité de favoriser le développement local des régions d'origine des migrants, tout particulièrement de celles voisines des collectivités territoriales d'outre-mer, afin de réduire la pression migratoire qui s'exerce sur elles.
Relevant qu'au cours d'une conférence des bailleurs de fonds organisée à l'île Maurice au mois de décembre 2005, la France avait décidé de consacrer au redressement des Comores 65 millions d'euros pour la période 2006-2009, il a souhaité avoir des précisions sur les actions envisagées et les délais dans lesquels elles seraient mises en oeuvre.
Enfin, il s'est demandé s'il ne convenait pas, comme certains membres de la commission d'enquête l'avaient suggéré, qu'à l'instar de la Chine, la France prenne en charge elle-même la réalisation des projets qu'elle souhaite financer afin de s'assurer de la bonne utilisation des fonds.
M. Philippe Etienne a souligné que la France avait décidé d'augmenter son aide aux Comores dans un cadre à la fois bilatéral et européen. Il a reconnu qu'il ne suffisait pas d'apporter de l'argent mais qu'il importait également de s'assurer de la réalisation effective des projets. Enfin, il a précisé que l'Agence française de développement avait pour objectifs prioritaires le développement des capacités sanitaires et agricoles de l'île d'Anjouan et que l'aide bilatérale de la France aux Comores se traduirait par l'octroi de 40 millions d'euros, sous forme de dons, au cours des cinq prochaines années.
M. Jean-Claude Kohler, chef du bureau Afrique-Océan indien, a ajouté qu'un appel d'offres venait d'être passé, le 27 février 2006, pour étudier la faisabilité d'un programme de coopération dans le domaine de la santé au bénéfice des Comores, pour un montant de 10 millions d'euros, la décision de lancer le programme devant être prise par l'Agence française de développement au cours du dernier trimestre de l'année 2006.
Il a indiqué qu'à la fin du mois de mars 2006, un médecin de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales de Mayotte se rendrait à Anjouan pour y réaliser une mission d'expertise, l'Agence française de développement devant ensuite décider d'affecter un médecin à l'hôpital de Domoni et de participer à l'équipement en matériels des structures sanitaires de l'île.
Enfin, M. Jean-Claude Kohler a exposé que l'Agence française de développement avait, au mois de novembre 2005, entériné un projet de renforcement et de diversification des structures agricoles des Comores, pour un montant de 3,75 millions d'euros, et que la convention financière permettant la mise en oeuvre de ce projet était sur le point d'être signée.
M. Philippe Etienne a rappelé que, pour tenir compte des critiques qui lui étaient adressées, la France avait récemment renoncé à assurer elle-même la réalisation des projets ayant son soutien, au bénéfice d'une politique de coopération consistant dans l'octroi d'aides financières aux pays concernés et confiant aux ambassades françaises une mission de suivi et d'animation des projets.
Il a ajouté que cette politique n'excluait pas toute participation directe au développement des pays aidés, mentionnant à titre d'exemple qu'une infirmière française assurait la formation des infirmières sur l'île de la Grande Comore.
Enfin, il a noté que la livraison « clef en mains » d'équipements ne garantissait pas la réussite des politiques d'aide au développement si les pays concernés n'étaient pas en mesure d'assurer la maintenance et de faire fonctionner ces équipements. A cet égard, il a relevé que l'aide de la Chine aux pays africains consistait exclusivement dans la fourniture d'équipements.
M. Jean-Christophe Deberre, directeur des politiques de développement, a souligné que la politique d'aide au développement des Comores conduite par la France s'inscrivait dans la durée, concernait l'ensemble des secteurs essentiels d'activité et tenait compte de la situation géographique de l'archipel.
M. Philippe Etienne a souligné que la France était pratiquement le seul bailleur de fonds des Comores, avec le Fonds européen de développement dont elle constitue l'un des principaux financeurs. Il a toutefois noté que des communautés islamiques et la Chine s'intéressaient de plus en plus à l'archipel.
Estimant que les politiques de coopération et d'aide au retour des migrants avaient jusqu'à présent échoué, Mme Alima Boumediene-Thiery a souhaité connaître les raisons de cet échec.
Elle a relevé que nombre d'organisations non gouvernementales se plaignaient d'être exclues des programmes européens d'aide au développement.
Enfin, elle a souligné que la diminution de l'aide publique au développement allait à l'encontre du discours officiel prônant son renforcement pour réduire la pression migratoire. Elle a déclaré que l'aide publique au développement accordée au Mali était cent fois inférieure aux fonds rapatriés par les Maliens installés à l'étranger.
M. Philippe Etienne a tout d'abord rappelé la distinction entre les aides au retour, qui relèvent de la compétence de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, et les aides à la réinsertion, dont la responsabilité échoit à la direction générale de la coopération internationale et du développement.
Il a estimé que, sans être nombreuses en raison des contraintes budgétaires, les aides à la réinsertion accordées par la France n'étaient pas toutes vouées à l'échec. Il a ainsi souligné que 330 projets de réinsertion avaient été menés à bien au Mali.
M. Philippe Etienne a ensuite observé que la critique à l'encontre du manque d'association des organisations non gouvernementales par le Fonds européen de développement pouvait sembler fondée mais n'était pas forcément justifiée dans la mesure où ce fonds finance essentiellement la réalisation d'infrastructures.
Il a indiqué que les ambassades françaises disposaient d'un fonds social de développement leur permettant de financer les projets d'organisations non gouvernementales.
Enfin, M. Philippe Etienne a souligné que, loin de diminuer, l'aide publique au développement de la France avait progressé au cours des dernières années et devrait représenter respectivement 0,47 % et 0,50 % du revenu national brut en 2006 et 2007. Il a reconnu que cette hausse concernait principalement l'aide multilatérale, soulignant à cet égard que la France apporterait en 2006 une contribution de 700 millions d'euros au Fonds européen de développement -soit 23 % du budget du Fonds- et une contribution de 225 millions d'euros au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
M. Philippe Etienne a rappelé l'initiative prise par la France d'instaurer une contribution de solidarité sur les billets d'avion et observé que plusieurs Etats envisageaient de suivre son exemple, notamment le Brésil, le Chili, Madagascar et la Norvège.
Il a ajouté que diverses pistes avaient été évoquées au cours de la conférence de Paris sur les financements innovants du développement : mobiliser les transferts de fonds des migrants, instituer une loterie humanitaire, multiplier les partenariats publics privés, développer la coopération décentralisée, notamment dans le domaine de l'eau.
M. Louis Mermaz a souhaité connaître l'évolution de l'aide publique au développement de la France.
Il a demandé la liste des traités liant la France aux Comores puis souligné la nécessité de verser rapidement l'aide promise aux autorités de l'archipel pour l'organisation des élections prévues au mois d'avril 2006.
M. Philippe Etienne a précisé que le versement de cette aide était en cours.
Notant que nombre d'étrangers entrés régulièrement sur le territoire national s'y maintenaient irrégulièrement par crainte de ne plus pouvoir obtenir de visa après être revenus dans leur pays, M. Louis Mermaz a souhaité connaître la politique suivie en matière de visas pour favoriser les allers-retours des travailleurs étrangers entre la France et leur pays d'origine.
M. Philippe Etienne a indiqué que l'aide publique au développement représentait 0,41 % du revenu national brut de la France en 2003 et 2004 et devrait être supérieure à 0,45 % en 2005, en raison notamment de l'annulation de dettes du Nigeria. Il a rappelé que cette progression concernait essentiellement l'aide multilatérale. Il a observé que les organisations non gouvernementales critiquaient moins le montant de cette aide que sa composition, en particulier le poids important des annulations de dettes, tout en réclamant elles-mêmes de telles annulations.
Ne disposant pas de la liste des traités liant la France et l'Union des Comores, M. Philippe Etienne a pris l'engagement de la communiquer ultérieurement à la commission d'enquête.
Enfin, il a estimé que le visa de circulation constituait l'instrument idoine pour favoriser les allers-retours entre la France et le pays d'origine d'un étranger. Il a ajouté que les services de coopération à l'étranger attiraient l'attention des consulats sur les personnes devant, à leurs yeux, bénéficier d'un tel document.
Mme Catherine Tasca a demandé si une politique spécifique était menée pour délivrer des titres de séjour aux étudiants étrangers. Elle a relevé que des étudiants en cours de scolarité étaient conduits en centre de rétention administrative parce qu'ils n'avaient pas obtenu le renouvellement de leur titre de séjour.
M. Philippe Etienne a indiqué qu'il était possible que ces personnes ne soient pas venues en France munies d'un visa étudiant. Il a souligné que la France s'efforçait de développer les formations permettant aux étudiants étrangers de ne pas couper les ponts avec leur pays d'origine. A cet égard, il a mentionné l'intérêt des co-tutorats. Il a observé que le Comité interministériel de contrôle de l'immigration avait décidé de faciliter l'obtention d'un titre de séjour pour les étudiants étrangers et de développer les centres pour les études en France. Enfin, il s'est demandé s'il ne convenait pas de permettre aux étrangers souhaitant venir en France y faire leurs études d'effectuer l'ensemble de leurs démarches administratives à distance, par Internet : pré-inscription, demande de visa puis inscription définitive à l'Université.
Audition de M. Alain Lecomte, directeur général de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction, et Mme Dominique de Veyrinas, chef du service de l'habitat
La commission a ensuite entendu M. Alain Lecomte, directeur général de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction, et Mme Dominique de Veyrinas, chef du service de l'habitat, placés sous l'autorité du ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement et du ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.
M. Alain Lecomte a d'abord exposé les conditions d'accès des étrangers en situation irrégulière au logement.
Il a indiqué que les étrangers, même en situation irrégulière, pouvaient conclure un contrat de bail pour occuper un logement dans le parc privé. Toutefois, un propriétaire qui conclurait, en connaissance de cause, un contrat de bail avec un étranger en situation irrégulière s'exposerait aux sanctions pénales prévues en cas d'aide au séjour d'un étranger en situation irrégulière.
En vertu de l'article R. 441-1 du code de la construction et de l'habitation, l'accès au logement social est en revanche subordonné à la détention, par l'étranger, d'un titre de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté. Cette exigence est source de difficultés pour les réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire, qui ne sont pas titulaires de l'un des titres de séjour visés par l'arrêté. M. Alain Lecomte a souligné que les contrôles effectués n'avaient pas mis en évidence un nombre de fraudes significatif en ce domaine.
Concernant les foyers de travailleurs migrants, il a fait observer qu'ils s'adressaient, par nature, à des travailleurs et que l'obtention d'une autorisation de travail était elle-même subordonnée à une condition de séjour régulier sur le territoire. Il a noté qu'il était procédé à une vérification du titre de séjour au moment de l'entrée de l'étranger dans les lieux, mais qu'il n'y avait pas, par la suite, de contrôle du devenir du titre de séjour.
Au sujet de l'hébergement, M. Alain Lecomte a d'abord rappelé que les particuliers pouvaient héberger des étrangers, éventuellement en situation irrégulière, puis que l'accès aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et aux centres d'hébergement d'urgence n'était pas subordonné à une condition de séjour régulier sur le territoire.
Il a souligné que certaines situations anormales en matière de logement pouvaient laisser présager la présence d'immigrés en situation irrégulière, sans que cela soit toutefois systématique. Il a cité les cas de suroccupation de foyers de travailleurs migrants et les situations d'habitat indigne, qui posent le problème du relogement des résidents dont l'évacuation est décidée.
M. Alain Lecomte a ensuite abordé la question du regroupement familial. Il a rappelé qu'un décret du 17 mars 2005 imposait à l'étranger déposant une demande de regroupement familial de disposer d'un logement répondant à une double condition de superficie, variant selon la taille du ménage, et de décence. Il a précisé que les conditions prévues étaient proches de celles exigées pour percevoir l'aide au logement. La construction de logements neufs obéit aussi à des règles minimales en matière de superficie des logements.
Il a ajouté que le bénéfice de l'aide personnalisée au logement était subordonné à une condition de séjour régulier sur le territoire et que la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) effectuait des contrôles pour s'assurer que les titres de séjour arrivant à échéance étaient bien renouvelés. Il a jugé limités les risques de détournement du dispositif par des étrangers en situation irrégulière.
L'Etat s'est engagé dans une politique de rénovation des foyers de travailleurs migrants, qui vise à améliorer le confort et la sécurité de ces établissements. La moitié du programme de réhabilitation prévu est aujourd'hui réalisée. Ce programme donne l'occasion de mettre un terme à des situations abusives constatées dans les foyers.
Les pouvoirs publics s'efforcent également d'éradiquer l'habitat indigne. La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) du 13 décembre 2000 a réformé les procédures mises en oeuvre en cas d'insalubrité des logements ou de péril. A la suite de ces mesures, le nombre d'arrêtés préfectoraux pris pour insalubrité a fortement augmenté, pour atteindre 740 en 2004. La loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 a habilité le Gouvernement à prendre deux ordonnances, destinées à améliorer encore les procédures et à permettre aux communes d'effectuer des travaux en se substituant aux propriétaires négligents et en récupérant les loyers pour compenser les dépenses ainsi engagées.
M. Alain Lecomte a indiqué que sa direction travaillait avec le ministère de l'outre-mer sur la question des constructions illicites en Guyane et à Mayotte et qu'il était procédé à des démolitions.
Il a conclu en précisant que sa direction ne disposait d'aucune donnée chiffrée relative à l'immigration clandestine. Les données issues du recensement ou des enquêtes nationales sur le logement contiennent des informations sur le nombre de ménages étrangers mais ne permettent pas de connaître le nombre d'étrangers en situation irrégulière.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, après avoir fait observer que des étrangers en situation irrégulière bâtissaient à Mayotte des constructions illégales sur des terrains appartenant à l'Etat, a demandé pourquoi les pouvoirs publics laissaient perdurer une telle situation.
M. Alain Lecomte a répondu que l'ordonnance du 28 juillet 2005, portant adaptation de diverses dispositions relatives à la propriété immobilière à Mayotte et modifiant le livre IV du code civil, allait fournir de nouveaux outils pour lutter contre les constructions illégales, citant notamment son article 4 qui introduit une condition de séjour régulier sur le territoire pour bénéficier de la protection contre les procédures d'expropriation. Il a également rappelé que l'urbanisme relevait surtout de la compétence des collectivités territoriales.
Audition de M. Stéphane Diémert, sous-directeur des affaires politiques au ministère de l'outre-mer
La commission a enfin entendu M. Stéphane Diémert, sous-directeur des affaires politiques au ministère de l'outre-mer.
A titre liminaire, M. Stéphane Diémert a rappelé que l'article 73 de la Constitution autorisait des dérogations à la règle d'identité législative dans les départements et régions d'outre-mer pour tenir compte des contraintes et caractéristiques locales ; ces dérogations sont soumises au contrôle de proportionnalité du Conseil constitutionnel. L'article 74 permet d'édicter des règles distinctes du droit commun, sous réserve du respect des dispositions constitutionnelles.
Il a souligné que les collectivités d'outre-mer n'étaient pas soumises au droit communautaire, qui s'applique en revanche dans les départements d'outre-mer (DOM), à l'exception des accords de Schengen sur la libre circulation.
Il a ensuite indiqué qu'il entendait présenter, dans la première partie de son exposé, les possibilités d'adaptation de nos règles de droit aux particularités existant outre-mer, avant d'examiner les modalités d'association des collectivités ultramarines à la politique d'immigration de l'Etat, puis les possibilités d'évolution du statut civil de droit local ouvertes par l'article 75 de la Constitution.
Sur l'adaptation de nos règles de droit outre-mer, M. Stéphane Diémert a d'abord noté que les conditions d'entrée et de séjour des étrangers outre-mer avaient longtemps fait l'objet de règles dérogatoires. Elles sont désormais régies par les règles de droit commun, sous réserve de quelques adaptations permises par l'article 73 de la Constitution : les recours contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière n'ont ainsi pas de caractère suspensif en Guyane et à Saint-Martin et des possibilités de fouille sommaire de véhicules sont prévues en Guyane. Les possibilités d'adaptation des règles de droit commun sont certainement plus importantes encore dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution. Il a insisté sur le caractère spécifique des règles applicables aux étrangers, qui permettrait, selon lui, d'apporter des dérogations au principe d'égalité plus importantes que celles qui seraient admissibles entre citoyens français.
M. Stéphane Diémert a ensuite souligné que le droit de la nationalité outre-mer, en dehors des DOM, avait longtemps été régi par des dispositions particulières. Jusqu'en 1993, un enfant né dans ces territoires devait avoir au moins un parent de nationalité française pour obtenir lui-même la nationalité française. La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur ces questions est cependant limitée. Une décision du 12 février 2004 relative au statut de la Polynésie semble indiquer que des dispositions spécifiques peuvent s'y appliquer, mais dans certaines limites ; il serait par exemple difficilement envisageable que les règles de transmission de la nationalité française des parents à leurs enfants soient différentes sur certaines parties du territoire. Il en va différemment en matière de naturalisation, le principe de souveraineté permettant à l'Etat de choisir ses ressortissants. Le principe d'indivisibilité de la République ne fait pas obstacle à ce que des règles différentes soient édictées sur certaines parties du territoire en matière de droit de la nationalité, dès lors qu'elles restent définies par l'autorité centrale.
Abordant la question du droit social, il a rappelé que l'accès des étrangers en situation régulière aux régimes de protection sociale était garanti par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, aussi bien en métropole qu'outre-mer.
Dans la deuxième partie de son exposé, M. Stéphane Diémert a d'abord rappelé que les exécutifs de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie étaient consultés sur les décisions de délivrance de titres de séjour, en raison de la compétence qui leur est reconnue en matière d'accès des étrangers à leur territoire. Il a ajouté que les collectivités étaient également consultées sur les projets de loi ou de décret les concernant.
Les collectivités relevant de l'article 74 de la Constitution peuvent, en outre, participer à l'exercice des compétences régaliennes de l'Etat, en fixant des règles législatives ou réglementaires. La Polynésie a usé de cette faculté, par exemple pour assouplir les conditions d'entrée des touristes sur son territoire.
Dans les DOM, une consultation des exécutifs locaux sur la délivrance des titres de séjour et des autorisations de travail serait envisageable, de même qu'une adaptation des règles régissant l'emploi des étrangers.
Il a conclu en évoquant les possibilités d'évolution du droit local en vigueur à Mayotte. Sa suppression serait contraire à l'article 75 de la Constitution, mais le législateur peut y apporter des modifications, comme l'a montré récemment l'exemple des amendements « Kamardine », interdisant la polygamie. D'autres modifications pourraient être envisagées, comme l'obligation de célébrer les mariages devant un officier d'état civil ou la possibilité de reconnaître les enfants naturels.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, a demandé ce qu'il adviendrait du droit local dans l'hypothèse où Mayotte deviendrait un département d'outre-mer.
M. Stéphane Diémert a noté que le statut de DOM n'était pas incompatible avec l'existence d'un droit local, comme l'a montré en son temps l'exemple des départements algériens. Il a également fait observer que le statut local applicable à Mayotte tendait à se rapprocher du droit commun, ce qui permet d'envisager plus facilement son application dans un DOM.
Après que M. François-Noël Buffet, rapporteur, eut évoqué les problèmes posés par la dation de nom à Mayotte, M. Stéphane Diémert a indiqué qu'il était possible d'introduire une procédure de reconnaissance de paternité d'enfant naturel, avec l'accord de la mère, assortie de mesures destinées à lutter contre la fraude.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, a souhaité savoir si le droit de la nationalité, sans remettre en cause le droit du sol, pouvait néanmoins être aménagé outre-mer.
M. Stéphane Diémert a estimé que tel était bien le cas : la situation locale propre aux DOM pourrait justifier, par exemple, que l'on prévoie une condition de séjour régulier des parents sur le territoire national pour que leurs enfants puissent acquérir la nationalité française.
M. Georges Othily, président, a demandé pourquoi il était possible au Parlement d'édicter des règles spécifiques en matière d'emploi des étrangers outre-mer, mais pas en matière d'accès aux régimes de protection sociale.
M. Stéphane Diémert a rappelé que la jurisprudence du Conseil constitutionnel interdisait d'exclure les étrangers en situation régulière des régimes de protection sociale. Une modification des articles 73 et 74 de la Constitution serait donc nécessaire si l'on voulait instaurer une telle exclusion outre-mer. Les étrangers en situation irrégulière, en revanche, ne bénéficient pas des régimes de protection sociale et ont seulement droit à l'aide médicale d'Etat et à la scolarisation de leurs enfants.
M. Georges Othily, président, a indiqué que des personnes en situation régulière prenaient parfois en charge les enfants d'immigrés en situation irrégulière afin de percevoir des prestations sociales auxquelles ils n'auraient autrement pas accès.
M. Stéphane Diémert a insisté sur la nécessité de renforcer les contrôles pour lutter contre ce type d'abus, qui mériteraient peut-être d'être sanctionnés plus lourdement.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, a évoqué les situations humaines très difficiles où se trouvent des jeunes en situation irrégulière, scolarisés dans nos écoles, et qui se voient menacés d'expulsion à leur majorité. Il s'est interrogé sur les mesures qui pourraient être adoptées pour traiter ces situations douloureuses sur le plan humain, tout en évitant de rendre le pays plus attractif pour l'immigration clandestine.
M. Stéphane Diémert a indiqué que des mesures de régularisation des étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire pouvaient être envisagées, à condition qu'elles soient assorties de mesures strictes de contrôle des flux. Se remémorant son expérience de juge administratif, il a insisté sur la nécessité pour l'administration de tenir compte des réalités humaines. Il a indiqué avoir annulé, pour erreur manifeste d'appréciation, une décision d'éloignement d'une jeune femme de nationalité bulgare, arrivée en France à l'âge de huit ans, et parfaitement intégrée au point de travailler dans un cabinet d'avocats. Il s'était également opposé, au nom du droit à une vie familiale normale, à la reconduite à la frontière d'une Syrienne dont le mari et les enfants résidaient en France, alors qu'elle n'avait en Syrie que des frères et des cousins.
M. François-Noël Buffet, rapporteur, a conclu sur la nécessité de conserver aux préfets une certaine marge d'appréciation des situations individuelles.