Mercredi 1er mars 2006

- Présidence de M. Dominique Braye, puis de M. Yves Dauge. -

Audition de Mme Bernadette Malgorn, préfet de la région Bretagne, présidente du conseil d'orientation de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS)

Au cours d'une première réunion tenue le matin, la mission a d'abord procédé à l'audition de Mme Bernadette Malgorn, préfet de la région Bretagne, présidente du conseil d'orientation de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS).

Mme Bernadette Malgorn a indiqué que tant ses expériences antérieures que ses fonctions actuelles l'avaient conduite à concilier l'action et l'observation, et lui avaient permis de suivre 30 années de politique de la ville, même si elle a fait observer que la Bretagne était l'une des seules régions à ne pas avoir de Grand projet de ville (GPV).

Elle a estimé que l'ONZUS, créé par la loi du 1er août 2003 de programmation et d'orientation pour la ville et la rénovation urbaine, s'inscrivait dans une démarche novatrice, visant à ordonnancer l'observation au regard des objectifs énoncés par le législateur dans l'annexe de cette même loi. Elle a relevé, en effet, l'insuffisance des moyens spécifiques mis en place jusqu'alors par les grandes administrations pour évaluer l'impact de leur politique sur ces quartiers.

Elle a indiqué que des objectifs généraux avaient déjà été fixés auparavant, notamment dans le cadre de la mission « Banlieues 89 », dont le slogan « Pour en finir avec les grands ensembles » avait suscité des déceptions : en effet, au lieu d'un programme de démolition ou de restructuration profonde, seules avaient été réalisées des opérations de réhabilitation d'importance diverse, bénéficiant notamment de la subvention à l'amélioration des logements locatifs sociaux (PALULOS). Elle a considéré que ces actions, influencées par le discours du « romantisme de la cité », n'étaient pas allées dans le sens d'une « déghettoïsation ».

Mme Bernadette Malgorn a salué l'effort accompli par la loi du 1er août 2003 pour définir des principes généraux et 21 objectifs précis, dont le suivi est assuré par 65 indicateurs, qui concernent les domaines d'action suivants : l'emploi et le développement économique ; l'habitat et l'environnement urbain ; la santé ; la réussite scolaire ; la sécurité et la tranquillité publiques ; les services publics. Il s'agit de mesurer l'écart entre l'ensemble des ZUS et la moyenne nationale d'une part, et entre chaque ZUS et son agglomération d'autre part, en vue de « mesurer le retour de ces quartiers dans la République », conformément à la mission confiée à l'ONZUS.

Mme Bernadette Malgorn a indiqué que le rapport 2005 révélait une situation globalement mauvaise, aussi bien pour l'ensemble du pays que pour les agglomérations comportant des ZUS.

En matière d'emploi, elle a noté que le taux de chômage y était très largement supérieur, représentant en général près du double de celui constaté dans l'agglomération, avec toutefois des nuances concernant les jeunes, les immigrés ou les femmes.

S'agissant du taux de chômage des jeunes, elle a précisé que l'ONZUS avait pris en compte celui des jeunes actifs, pour éviter que les taux de poursuite d'études viennent biaiser les données. Elle a estimé que cela n'avait pas pour objet de minimiser le phénomène, mais de mieux en identifier les facteurs et donc les leviers d'action pertinents.

Mme Bernadette Malgorn a abordé, ensuite, les données relatives au développement économique dans les zones franches urbaines et à la création d'entreprises.

Elle a rappelé que les habitants des ZUS représentaient 30 % des salariés des entreprises créées dans les zones franches, ce qui peut apparaître, certes, insuffisant, mais qui est conforme aux objectifs fixés. En effet, il est également nécessaire de créer une mobilité entre le domicile et le travail, afin de sortir d'une logique de ghetto.

Elle a précisé, en matière de logement, que l'ONZUS n'avait pas encore pu mesurer l'impact des actions menées par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), créée par la loi du 1er août 2003.

Reconnaissant ensuite, que dans le domaine de la santé, la loi avait défini des indicateurs statiques, elle a indiqué que le travail engagé avec les caisses de sécurité sociale avait vocation à mieux apprécier l'accès réel aux soins.

Quant à l'objectif de réussite scolaire, elle a souligné le retard scolaire des élèves en ZUS, qui se traduit, notamment, par un écart de 3 points en matière de redoublement et de 10 points pour le taux de réussite au brevet des collèges, en notant cependant la difficulté à collecter des données a priori basiques auprès du ministère de l'éducation nationale.

Elle a relevé, par ailleurs, l'inexistence ou l'insuffisance d'indicateurs permettant de mesurer l'évitement scolaire. Après avoir défini ce phénomène comme la tentative de certaines familles d'échapper à la scolarisation de leur enfant dans l'établissement de leur secteur, elle a souligné la nécessité de mieux identifier les stratégies mises en oeuvre.

Elle a noté également les difficultés à apprécier le problème des violences scolaires. En effet, les données statistiques, issues du logiciel SIGNA notamment, sont à la fois très lacunaires et très hétérogènes d'un établissement à l'autre, selon la perception que ces derniers ont du phénomène. A ce titre, elle a indiqué que la présence de témoins de terrain, parmi les personnalités qualifiées membres de l'observatoire, avait permis d'affiner l'analyse du problème.

Mme Bernadette Malgorn a salué, ensuite, la qualité des données disponibles en matière de sécurité publique, qui remontent des circonscriptions de police, et bientôt des circonscriptions de gendarmerie. Ces données permettent de constater un taux de criminalité de 60 pour mille en ZUS, bien supérieur à la moyenne nationale de 40 pour mille, notamment pour les violences volontaires et les dégradations, mais pas sensiblement plus élevé que le taux observé dans leur agglomération. Toutefois, elle a fait remarquer que le phénomène de délinquance ne pouvait pas s'analyser à un niveau aussi fin que celui du quartier.

Concernant enfin l'accès aux services publics, elle a indiqué qu'à côté des indicateurs territoriaux, d'autres étaient fondés sur une approche «  population ».

Citant l'étude relative à la mobilité résidentielle dans les ZUS, elle a vu dans l'existence de nombreux flux un signe positif, puisque les personnes quittant les ZUS s'inscrivent en général dans un parcours de promotion sociale. Tout en faisant observer qu'il était possible d'améliorer ses conditions de vie et de logement à l'intérieur d'une même zone, elle a précisé que ceux qui restent dans ces quartiers sont soit leurs premiers habitants, qui y sont attachés, soit ceux qui y sont contraints, la politique de la ville devant cibler ses actions sur ces derniers.

Abordant ensuite les écarts constatés entre chacune des ZUS et leur agglomération, Mme Bernadette Malgorn a noté que les résultats de l'observation locale étaient très disparates. Ainsi, l'obligation faite aux maires, par la loi du 1er août 2003, de présenter un rapport sur les actions menées dans les ZUS relevant de leur territoire était quasiment restée lettre morte. Toutefois, elle a relevé les efforts menés par les collectivités pour se doter d'outils d'évaluation plus performants.

Revenant sur le chapitre du rapport consacré aux finances locales, elle a insisté sur la nécessité d'approfondir la question des relations entre les communes et leur agglomération dans le cadre des prochaines contractualisations.

Par ailleurs, elle a fait remarquer que l'hétérogénéité dans le découpage des ZUS, qui est soit très ciblé, soit beaucoup plus large, appelait à une évolution de la géographie prioritaire de la politique de la ville. A cet égard, elle a suggéré que des « contrats de sortie » puissent être proposés pour certaines zones.

Elle s'est préoccupée, ensuite, des difficultés pour mesurer les moyens publics consacrés aux ZUS. Elle a cité, à cet égard, une récente étude de l'INSEE sur les zones d'éducation prioritaires, révélant que les moyens spécifiques qui leur sont attribués sont compensés par une dépense de base en général inférieure, dans la mesure où les professeurs sont plus jeunes.

A la faveur de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et du nouveau système d'information financière, Mme Bernadette Malgorn a souhaité qu'une géolocalisation de la dépense publique soit rendue possible.

Tout en saluant le travail réalisé par la délégation interministérielle à la ville (DIV) à travers le document de politique transversale élaboré dans le cadre de la LOLF, concernant 21 programmes, 28 objectifs et 45 indicateurs, elle a souligné les limites de l'observation, mises en exergue dans la dernière partie du rapport de l'ONZUS. Puis elle a suggéré que soit élargie la palette des indicateurs, afin que l'ONZUS puisse assurer le suivi des lois de cohésion sociale postérieures à celle d'août 2003.

A l'issue de cet exposé, un large débat s'est engagé.

M. Pierre André, rapporteur, a salué le travail accompli par l'ONZUS, qui représente une source d'enrichissement pour mieux mesurer l'impact des politiques de la ville. Il a rappelé qu'en tant que rapporteur du projet de loi de programmation et d'orientation pour la ville et la rénovation urbaine, il avait été quelque peu réservé sur son annexe, en raison du trop grand nombre d'indicateurs. Aussi, il a souhaité, dans le cadre de la mission, qu'une synthèse d'une dizaine d'indicateurs pertinents soit établie pour permettre au Parlement d'assurer un meilleur suivi et un contrôle plus efficace de la politique de la ville. Puis il s'est associé aux réflexions engagées par l'ONZUS en vue de compléter ou améliorer le dispositif actuel.

M. Thierry Repentin s'est félicité de la création de l'ONZUS, qui fournit une mine de renseignements restant, néanmoins, trop peu exploités dans le débat public. A cet égard, il s'est interrogé sur la diffusion et la prise en compte des travaux de l'observatoire au niveau interministériel.

Rappelant en outre, que le découpage des ZUS était fondé sur 4 ou 5 critères ainsi que sur un découpage établi par l'INSEE dans les années 1970, il s'est interrogé sur la pertinence des périmètres actuels et sur les évolutions souhaitables, constatant que des problèmes se posaient à la périphérie de certaines ZUS.

Par ailleurs, il s'est demandé s'il existait un bilan et une prise en compte des dispositifs d'évaluation mis en place depuis plusieurs années par certaines collectivités, notamment via des cabinets extérieurs.

Puis il a insisté sur la nécessité de distinguer les moyens de droit commun des moyens spécifiques de la politique de la ville, constatant que des investissements de droit commun étaient parfois labellisés en interventions de politique de la ville, afin de les rendre prioritaires.

Il a souhaité que l'on puisse mesurer aussi bien le retour de ces quartiers dans la République que le retour de la République dans ces quartiers. Enfin, il s'est demandé s'il était possible d'expliquer, au regard des indicateurs disponibles, les événements de l'automne dernier, et si des carences apparaissaient de façon évidente.

Partageant les interrogations de M. Thierry Repentin sur l'évolution du périmètre des ZUS, Mme Marie-France Beaufils a souhaité, en outre, que l'impact des équipes éducatives sur la réussite scolaire des élèves puisse être mieux apprécié. Elle a suggéré, par ailleurs, que les indicateurs en matière de santé fassent apparaître les différents types de carences, s'inquiétant par exemple de l'extinction progressive de la psychiatrie de secteur. Puis elle a demandé s'il était prévu de mesurer l'impact de la mise en place du médecin référent.

Elle s'est interrogée, par ailleurs, sur le profil des personnes venant s'installer dans les ZUS. Puis, relevant que 69 % des entreprises créées dans les ZUS n'avaient pas de salariés, elle s'est demandé, d'une part, s'il s'agissait de créations ou de transferts d'entreprise et s'est inquiétée, d'autre part, des possibilités d'embauche offertes aux habitants des ZUS en dehors de leur quartier. Enfin, elle a souhaité pouvoir disposer d'une analyse plus fine sur l'impact de la nouvelle dotation de solidarité urbaine (DSU).

Faisant observer que l'adjectif « sensible » pouvait évoquer le caractère préoccupant ou menaçant de ces zones urbaines, Mme Dominique Voynet s'est demandé si le terme de « quartiers en difficulté » retenu par la mission ne serait pas mieux adapté et moins stigmatisant. Elle a insisté, ensuite, sur la situation des femmes, s'interrogeant sur la mesure des discriminations dont elles font l'objet, notamment en matière d'accès aux soins ou à l'emploi. Après l'adoption par le Sénat d'une proposition de loi relative à la répression des violences conjugales, elle s'est demandé s'il existait une spécificité dans ces quartiers sur la question des violences sexuelles.

Soulignant la nécessité de distinguer les crédits de droit commun des crédits de la politique de la ville, elle a souhaité savoir si la part des actions de droit commun financées sur des moyens de la politique de la ville pouvait être appréciée.

Elle s'est demandé, ensuite, s'il valait mieux cibler les efforts et les moyens sur les territoires ou établissements les plus en difficulté, ou bien avoir une vision plus globale permettant d'éviter les effets de périmètre.

Enfin, elle a voulu savoir s'il serait pertinent de disposer de données sur l'origine ethnique des personnes.

Après avoir salué le travail remarquable accompli par l'ONZUS, M. Yves Dauge a considéré que notre système institutionnel, dans lequel se superposent différents niveaux d'intervention, était une entrave à l'efficacité. Il a estimé que sa modernisation profonde était impérieuse afin de gagner en réactivité.

Il s'est interrogé, en outre, sur la cohérence dans les maîtrises d'ouvrage, lorsqu'il existe, comme à Mantes-la-Jolie, par exemple, plus de dix opérateurs.

Il s'est déclaré favorable à un ciblage plus précis des actions de la politique de la ville, assortie d'une possibilité de retour de ces zones dans le droit commun d'une part, et d'une plus grande hiérarchisation des urgences et des priorités d'autre part.

Il a souhaité que la mission puisse identifier les quartiers où la situation s'est améliorée, comme à Dreux ou encore à Marseille, où la qualité du réseau associatif joue un rôle important. Il s'est inquiété, toutefois, de la pérennité du soutien de l'Etat aux associations, avant de juger primordial de confier aux jeunes des occupations pour lesquelles ils se sentent utiles.

Revenant sur les questions d'habitat, il a rappelé que, si l'objectif de l'architecte Roland Castro était avant tout d'« embellir » les quartiers, les politiques de camouflage menées par les maîtres d'ouvrage avaient ensuite été très décevantes. Toutefois, il a considéré que l'approche actuelle, centrée sur la démolition, était une réponse radicale et simpliste, révélatrice d'un vide conceptuel. Il s'est inquiété des conséquences de cette politique et a souhaité que l'on en prenne très vite la mesure. Il a plaidé, au contraire, en faveur d'une véritable politique de requalification urbaine, qui serait à la fois moins coûteuse et moins traumatisante pour les habitants de ces quartiers.

S'agissant de Mantes-la-Jolie, M. Dominique Braye, président, a précisé que l'existence de 19 bailleurs sociaux n'était plus un handicap depuis qu'un comité de pilotage avait été mis en place, ainsi qu'une charte du logement, un observatoire du logement social et une commission de coordination, qui assure la maîtrise de la totalité du contingent préfectoral.

Revenant, par ailleurs, sur les propos de Mme Dominique Voynet, il a souligné la pertinence du terme de « zones sensibles », en renvoyant à la notion médicale d'« hypersensibilité » : en effet, ces zones réagissent plus rapidement, et de façon exacerbée, à des stimuli externes.

En réponse à ces intervenants, Mme Bernadette Malgorn a apporté les précisions suivantes :

- le « retour de la République dans ces quartiers » doit se traduire par le fait que la loi s'y applique de la même façon qu'ailleurs ;

- la mise en place du nouveau système d'information financière représente un enjeu majeur pour identifier les crédits de droit commun consacrés aux ZUS ; les « jaunes » budgétaires ne permettent aujourd'hui de disposer que d'une reconstitution de ces dépenses ;

- les travaux de l'ONZUS bénéficient d'une excellente écoute auprès de la délégation interministérielle à la ville (DIV) et des différents ministres concernés ;

- il est souligné, dans l'avant-propos du rapport 2005 de l'ONZUS, que l'ensemble des constats effectués « invite à engager la réflexion sur la pertinence actuelle de la géographie des ZUS afin que les politiques publiques soient concentrées sur les territoires aujourd'hui les plus prioritaires », ce qui va dans le sens d'une différenciation des degrés d'intervention, dans le cadre d'une contractualisation plus souple ;

- certaines des enquêtes retracées par l'ONZUS prennent en compte le ressenti des populations, par exemple celle tendant à appréhender le sentiment d'insécurité ;

- les indicateurs définis en matière de santé doivent en effet être améliorés ; le travail engagé avec les caisses de sécurité sociale permettra d'affiner, dans le rapport 2006, l'analyse sur l'accès aux soins ; il serait également pertinent de pouvoir mesurer l'impact de la mise en place du médecin référent; les ZUS sont un miroir grossissant des difficultés de la société française, notamment dans le domaine de la psychiatrie ;

- la population globale des ZUS est en décroissance ; les personnes qui s'y installent, présentant les caractéristiques des populations les plus défavorisées, ne compensent pas les sorties, qui traduisent souvent une amélioration de la situation des intéressés ;

- les indicateurs relatifs à la création d'entreprises sont plutôt statiques ; toutefois, une étude de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) relative à l'accès des populations des ZUS au bénéfice des mesures de la politique de l'emploi révèle que l'action est efficace dès lors qu'il y a un volontarisme ; l'accès aux contrats aidés reste néanmoins plus difficile dans le secteur marchand ;

- le dernier chapitre du rapport 2005, consacré à l'observation locale, conclut en faveur d'une analyse plus précise de la nouvelle dotation de solidarité urbaine (DSU) ; il pourrait être envisagé de fusionner les deux rapports demandés aux collectivités, l'un sur la situation de leur ZUS, l'autre sur la réforme de la DSU ;

- si un débat terminologique a eu lieu au sein de l'ONZUS, la désignation de « zones sensibles » a un sens et n'est pas choquante, dans la mesure où la politique de la ville est née de la nécessité d'agir suscitée par des émeutes urbaines ; par ailleurs, la dimension psychologique est présente dans les politiques menées en direction de ces zones, dont les habitants sont souvent en demande de considération ; enfin, il peut être positif d'introduire de la « sensibilité » dans l'univers machiste de ces quartiers ;

- il n'existe pas, dans l'annexe de la loi du 1er août 2003, d'indicateur permettant de mesurer les discriminations à l'égard des femmes ; toutefois, les statistiques seront présentées de façon sexuée dans le rapport 2006 ; par ailleurs, l'étude sur la perception de la violence permettra de mettre en évidence une forte différenciation entre les hommes et les femmes, tant du côté des victimes que des auteurs de violences ; enfin, s'il ne fallait retenir qu'un seul indicateur synthétique, ce devrait être « la visibilité des femmes dans ces quartiers » ;

- il est essentiel de renforcer le dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales, à savoir les communes, dans une optique d'intercommunalité, mais aussi les conseils généraux, compétents en matière d'action sociale, et les conseils régionaux, dont relèvent les politiques de formation ;

- plutôt que de faire apparaître la catégorie ethnique dans les relevés statistiques, il serait préférable d'identifier ceux dont les parents sont d'origine étrangère, afin d'avoir un suivi de leur intégration ;

- les ZUS sont un miroir grossissant des problèmes de notre société, y compris pour ce qui concerne la réforme de l'Etat ; les interventions à chaque niveau doivent être clarifiées, l'Etat fixant les grandes orientations, la région constituant un échelon d'évaluation, et les acteurs locaux étant chargés de la mise en oeuvre des actions et leur évaluation ; à cette fin, les moyens assurant la présence de l'Etat au niveau local doivent être rénovés ; si, depuis la décentralisation, l'Etat vient davantage en appui des élus locaux qu'au contact direct avec les acteurs de base, les événements de l'automne dernier ont révélé un besoin d'Etat, appelé à être plus présent et plus visible dans ces quartiers ;

- les associations sont un bon relais pour l'Etat et les collectivités territoriales ; toutefois, chaque niveau doit mieux afficher les objectifs attendus et cibler les crédits alloués sur ces priorités ;

- l'ANRU s'est engagé à fournir les premières mesures de son action pour le rapport 2006 ;

- des progrès rapides et de long terme pourraient être réalisés en renforçant les politiques menées en matière d'éducation, qui renvoient à un champ d'action plus large que le seul aspect scolaire ; à cet égard, la mise en place des équipes de réussite éducative est une très bonne initiative ; la responsabilité de ces actions incombe au ministère de l'éducation nationale, mais aussi aux conseils généraux, dans le cadre de leur compétence en matière d'action éducative en milieu ouvert ;

- la stabilité des équipes pédagogiques doit être assurée, notamment dans le cadre de la contractualisation ; toutefois, cette stabilité peut parfois aller à l'encontre des conditions de mobilité et de progression de carrière des personnels enseignants.

Après avoir remercié Mme Bernadette Malgorn pour la qualité de son intervention et la richesse des informations fournies par l'ONZUS dans son rapport, M. Pierre André, rapporteur, a indiqué qu'il partageait l'ensemble des remarques formulées. Il a identifié, ensuite, plusieurs sujets à approfondir dans le cadre de la mission, notamment les problèmes liés à la géographie prioritaire ou les relations entre les communes et leurs agglomérations, qui doivent jouer un rôle pilote alors que cela ne se traduit pas toujours avec évidence sur le terrain.

Il a souhaité, en vue de faciliter l'observation locale, qu'une dizaine d'indicateurs simples et synthétiques soient élaborés et que l'analyse de l'évolution de la DSU soit prise en compte. Il a insisté, ensuite, sur les enjeux de la contractualisation, se déclarant favorable à une contractualisation directe entre l'Etat et les collectivités de base de la politique de la ville. Il a indiqué que les prochains contrats de ville devraient faire apparaître la distinction entre les politiques de droit commun et les politiques spécifiques menées dans ces quartiers et a souhaité, par ailleurs, qu'une analyse qualitative de l'action des associations soit réalisée.

Enfin, s'étonnant que certains statisticiens considèrent qu'ils n'ont pas vocation à éclairer les politiques, il a souhaité au contraire approfondir la réflexion sur les indicateurs pour assurer un suivi plus efficace de la politique de la ville et pouvoir être plus réactif.

Table ronde composée de M. Jean-Marie Bockel, président de l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF), de M. Bruno Bourg-Broc, président de la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM), et de M. Claude Pernès, vice-président de l'Association des maires de France (AMF)

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la mission a d'abord procédé à l'audition de M.  Jean-Marie Bockel, président de l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF), de M. Bruno Bourg-Broc, président de la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM), et de M. Claude Pernès, vice-président de l'Association des maires de France (AMF).

M. Dominique Braye, président, a rappelé que l'objectif de la mission était d'aboutir à des propositions constructives qui permettent de répondre aux problèmes apparus dans les quartiers en difficulté.

M. Claude Pernès, vice-président de l'Association des maires de France, a constaté que rien n'avait été fait depuis six mois pour analyser les causes des événements intervenus dans certains quartiers en novembre 2005. Pour répondre à ce besoin, il a annoncé que l'AMF prévoyait d'organiser prochainement une rencontre qui aurait pour thème le rôle du maire face à la gestion des quartiers en difficulté.

Il a considéré que la politique de la ville souffrait aujourd'hui d'une triple insuffisance caractérisée par des objectifs ambigus, une absence de continuité des politiques menées et une difficulté à en évaluer les résultats, estimant qu'à l'avenir, il conviendrait de mieux cibler les actions engagées.

Evoquant les événements du mois de novembre, M. Claude Pernès a estimé que la carte des quartiers qui avaient connu des troubles ne recouvrait pas celle des quartiers concernés par un contrat de ville ou une zone urbaine sensible. Il a insisté sur la nécessité de mieux prendre en compte les populations concernées en examinant des indicateurs comme l'échec scolaire. Il a rappelé la nécessité de l'engagement des partenaires des communes que sont l'Etat, les EPCI, les conseils généraux et régionaux.

Il a ensuite souligné l'intérêt d'une meilleure articulation entre les actions de rénovation urbaine et la mise en oeuvre du Plan de cohésion sociale. Il a considéré que des moyens financiers importants étaient nécessaires, mais qu'ils ne devaient pas donner lieu à une profusion de documents administratifs, ni à un saupoudrage.

M. Bruno Bourg-Broc, président de la Fédération des maires des villes moyennes, a déclaré que les villes moyennes n'avaient pas toutes été touchées de la même façon par les événements de novembre, la taille de la ville jouant un rôle important en ce domaine. Il a également regretté que la politique de la ville se caractérise par une grande complexité, une absence de lisibilité et un manque d'évaluation. Néanmoins, il a estimé qu'en l'absence de politique de la ville les heurts intervenus à l'automne auraient sans doute été plus graves encore.

Evoquant l'avenir de la politique de la ville, M. Bruno Bourg-Broc a considéré que la dispersion des acteurs et des moyens constituait sa principale faiblesse. Il a demandé à ce que l'application des contrats de ville ou d'agglomération soit menée systématiquement à son terme pour préserver la continuité de l'action. Il a aussi évoqué la nécessité de mieux travailler avec les associations et d'améliorer leurs modalités de financement.

M. Claude Pernès a indiqué qu'une des difficultés rencontrées par la politique de la ville tenait à l'évolution des publics avec, en particulier, l'apparition d'un public très difficile et particulièrement éloigné de l'employabilité qui nécessitait la mobilisation de nombreux travailleurs sociaux.

M. Bruno Bourg-Broc a estimé pour sa part que la situation dans les villes variait sensiblement en fonction de la proximité des élus avec la population, ceux-ci ayant été d'autant plus en mesure d'intervenir sur le terrain en novembre dernier qu'ils connaissaient personnellement les habitants.

M. Dominique Braye, président, a noté l'accord des intervenants sur le fait qu'il ne fallait pas remettre en cause la politique de la ville dans son principe. Il s'est interrogé sur les éventuelles corrélations qui pouvaient exister entre les actions de politique de la ville et la carte des heurts de novembre.

M. Bruno Bourg-Broc a considéré que les médias avaient joué un rôle déformant lors de ces événements en incitant par leur présence à une surenchère. Il a également indiqué que le bilan des dégâts occasionnés était quelquefois trompeur, en citant l'exemple de Châlons-en-Champagne où certains incendies de voiture avaient pu finalement être attribués à des litiges d'ordre strictement privé, sans lien avec les événements. Il a estimé que les destructions avaient sans doute été moins importantes qu'on ne l'imaginait.

M. Claude Pernès, après avoir rappelé que les événements de novembre n'avaient pas été le fait de groupes organisés, a estimé qu'il n'y avait pas de lien entre les troubles constatés et les actions menées dans le cadre de la politique de la ville. Il a remarqué que le nombre de destructions de véhicules par le feu s'était élevé à 86 dans sa commune, ce qui est élevé au regard d'une population de 42.000 habitants. Il a considéré que cette situation s'expliquait par la détermination des meneurs, qui, lorsqu'elle était forte, pouvait entraîner une petite minorité à commettre des dommages importants.

M. André Vallet s'est interrogé sur la possibilité, qui pourrait être donnée aux élus, de mieux contrôler certaines associations dont l'activité pouvait être considérée comme discutable. Il a également indiqué que certaines associations réussissaient avec le temps à obtenir des moyens considérables sans toujours pouvoir justifier cette évolution par de nouvelles actions ou des besoins réels.

M. Bruno Bourg-Broc a estimé que s'il existait effectivement des associations plus ou moins sérieuses, il revenait aux collectivités de veiller, dans le cadre de la politique contractuelle, à ce que les objectifs fixés en commun soient effectivement atteints et fassent l'objet d'une évaluation.

M. Claude Pernès a déclaré qu'il avait veillé pendant les événements de novembre à refuser les offres de service d'associations ayant des activités religieuses ou communautaristes.

M. Dominique Braye, président, a expliqué pour sa part qu'il conditionnait les subventions aux associations à la signature de chartes d'engagement.

M. Jean-Marie Bockel, président de l'Association des maires de grandes villes de France, a ensuite indiqué que l'idée de transversalité propre à la politique de la ville était entrée dans les pratiques et dans les esprits, comme l'illustrait par exemple la création de l'Agence nationale de la rénovation urbaine. Il a déploré l'absence en France d'une véritable culture de l'évaluation qui lui semblait pourtant inséparable des conditions de succès de la politique de la ville.

Il a estimé que les principes de zonage avaient fait leurs preuves et qu'il fallait cibler les actions, mais il a observé que les périmètres étaient devenus de plus en plus poreux à mesure que les problèmes se diffusaient dans un même bassin de vie. Il a expliqué par exemple qu'il y avait de moins en moins de différences dans sa commune entre les caractéristiques des collèges classés en ZEP et ceux qui ne l'étaient pas.

M. Dominique Braye, président, a souhaité connaître l'avis des intervenants sur la création du ministère de la ville, en s'interrogeant notamment sur le fait de savoir si celle-ci n'avait pas réduit le caractère interministériel de cette politique.

M. Jean-Marie Bockel a considéré que c'était le rattachement auprès du Premier ministre qui constituait la garantie du caractère interministériel de la politique de la ville. Il a insisté sur le fait qu'il fallait éviter « l'effet balancier » qui pouvait caractériser le changement des titulaires des fonctions ministérielles, en observant qu'une délégation interministérielle permettait de cautionner une plus grande continuité.

Il a réaffirmé la nécessité de conduire une démarche d'évaluation au niveau national et de la compléter par une démarche d'évaluation locale et systématique de tous les projets, laquelle constitue la seule méthode efficace pour s'assurer de la bonne utilisation des moyens.

M. Pierre André, rapporteur, a rappelé que Mme Bernadette Malgorn, préfet de la région Bretagne et présidente du conseil d'orientation de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles, avait déclaré lors de son audition par la mission que les élus avaient l'obligation de réaliser un rapport annuel des actions menées dans les zones urbaines sensibles, mais qu'ils étaient peu nombreux à le faire.

M. Claude Pernès a fait état de son expérience à la tête du Fonds de solidarité urbaine d'Ile-de-France pour expliquer que les élus étaient plus attentifs quant à l'obligation de réaliser des évaluations lorsque les fonds provenaient de la solidarité entre les communes.

Il a regretté que les élus ne puissent disposer d'enquêtes sur le devenir des publics-cible de la politique de la ville sur une longue période.

M. Dominique Braye, président, a observé que si on ne pouvait comparer les résultats des politiques menées dans les ZFU et les ZUS les unes par rapport aux autres, il était, en revanche, possible d'analyser l'évolution dans le temps des caractéristiques de chacun de ces espaces pour apprécier l'effet des politiques menées.

M. Jacques Mahéas a indiqué, en sa qualité de maire, qu'il s'attachait à faire régulièrement le bilan avec l'ANPE, avec le rectorat et avec les services de police des résultats obtenus dans le domaine de l'emploi, de l'éducation et de la lutte contre la délinquance. Mais il estimé qu'il lui était plus difficile d'obtenir des informations en matière de logement social.

M. Yves Dauge a déclaré qu'il y avait également un problème lié à la fiscalité, les communes les plus défavorisées en ressources fiscales étant par nature celles ayant le plus de problèmes. Il a observé par ailleurs qu'il existait un déficit démocratique, les habitants des quartiers en difficulté étant sous-représentés à la fois en élus locaux et nationaux.

Il s'est également interrogé quant à l'influence des élus sur la politique d'attribution des logements d'HLM en observant qu'on constatait souvent une concentration de publics difficiles dans les mêmes immeubles.

Il s'est enfin enquis des attentes des associations d'élus vis-à-vis de l'Etat.

M. Dominique Braye, président, évoquant la question des attributions de logement, a souhaité que la mission entende des praticiens spécialisés dans les questions de mixité urbaine.

S'agissant du logement social, M. Claude Pernès a rappelé que la loi avait fixé un principe de 20 % par commune qui avait été réaffirmé par le Président de la République, considérant qu'il convenait maintenant d'inciter les maires à construire des logements sociaux. Il a indiqué que les maires pouvaient rencontrer avec les populations riveraines des difficultés pour conduire des opérations de logements très sociaux.

Il a déclaré que pour éviter le risque de ghettoïsation, il était nécessaire de gérer l'attribution des logements jusqu'au niveau de la cage d'escalier. Evoquant le rôle de l'État, il a considéré que celui-ci devait faire confiance aux élus qui sont ceux qui connaissent le mieux les familles.

M. Dominique Braye, président, a estimé qu'il était possible d'obtenir des données précises concernant le logement social auprès de l'Observatoire du logement social.

M. Bruno Bourg-Broc a considéré qu'il appartenait aux partis politiques et aux associations d'améliorer la représentation des habitants des quartiers en difficulté en suscitant des vocations. Concernant la composition sociologique de la population des HLM, il a rappelé que les élus étaient représentés dans les instances de direction et qu'il leur appartenait d'y faire valoir le principe de mixité.

Evoquant à son tour le rôle de l'État, il a déclaré partager l'idée selon laquelle il fallait faire davantage confiance aux élus et, lorsque cela était nécessaire, leur apporter une assistance technique. Il a enfin estimé que les communes qui pouvaient avoir recours à des agences d'urbanisme obtenaient souvent de meilleurs résultats.

M. Jean-Marie Bockel a déclaré que les conseils de quartier permettaient d'améliorer la représentation des habitants. Citant l'exemple de Mulhouse, il a indiqué qu'il avait demandé que chaque conseil soit présidé par un adjoint afin de renforcer son efficacité, considérant que l'expérience des conseils de quartier avait convaincu les habitants qu'ils avaient les moyens de faire passer des messages à leurs élus.

Concernant le rôle de l'Etat, M. Jean-Marie Bockel a déclaré que l'avenir n'était pas dans les sous-préfets à la ville, les élus ayant démontré leur capacité à mieux prendre en charge la politique de la ville. Il a estimé que l'Etat devait avant tout se concentrer sur ses missions régaliennes comme la sécurité et l'éducation ainsi que sur la politique de santé.

M. Bruno Bourg-Broc a estimé qu'il fallait éviter de recourir à des politiques d'exception.

M. Thierry Repentin a remarqué que lorsque les élus étaient présents sur le terrain, ils étaient en mesure de contrôler l'action des associations. Concernant la gouvernance, il s'est interrogé sur le rôle que pourrait jouer l'intercommunalité dans la conduite de la politique de la ville. Il s'est également interrogé sur les indicateurs qui devraient faire l'objet d'une évaluation.

Mme Marie-France Beaufils a regretté que l'on n'ait pas analysé les causes des événements de novembre 2005 dans leur diversité. Elle a estimé que les habitants de ces quartiers demandaient à être considérés.

Evoquant la question de l'évaluation, elle a considéré qu'il faudrait pouvoir disposer de données concernant notamment le devenir des élèves scolarisés en ZEP.

Elle a évoqué la baisse des crédits de fonctionnement qui pouvait hypothéquer la conduite des actions ayant un impact sur la vie quotidienne. Elle a, par ailleurs, évoqué la nécessité de revoir les modalités de calcul de la DSU.

M. Bruno Bourg-Broc a estimé que le rôle respectif de la commune et de l'intercommunalité dans la politique de la ville devait dépendre de chaque situation locale. Il a considéré que les critères d'évaluation devaient être de nature quantitative et porter par exemple sur les diplômes, le nombre de plaintes déposées et l'évolution du taux de chômage. Il a déclaré que le rôle de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances pourrait être de déterminer des critères objectifs.

MM. Jean-Marie Bockel et Yves Dauge ont estimé que la DIV avait été affaiblie au fur et à mesure que sa dimension interministérielle s'était réduite et que la création l'ANRU répondait à une nécessité. Toutefois, M. Yves Dauge a fait part de ses craintes que la multiplication des structures ne nuise à l'unité d'action de l'État.

Revenant sur les évènements de novembre, M. Claude Pernès a considéré que l'analyse de leurs causes restait encore à réaliser et que le président d'un EPCI n'aurait pas eu la même légitimité que le maire pour intervenir dans ces circonstances. Il a convenu qu'il existait bien des problèmes liés aux modalités de calcul de la DSU.

M. Pierre André, rapporteur, a estimé que cette audition avait permis d'examiner la place du maire dans la politique de la ville et ses rapports avec l'État au niveau local. Il a observé qu'il y avait un manque d'Etat et que celui-ci avait tendance à se disperser et à manquer de coordination dans ses actions.

Concernant l'intercommunalité, il a évoqué l'hostilité de certains maires à ce qu'elle devienne le niveau d'exercice de la politique de la ville. Il a observé que la question de l'évaluation de cette politique constituait un enjeu important et a insisté sur la nécessité de travailler sur les problématiques d'éducation et de formation dans les quartiers.

Il a enfin considéré qu'il était devenu nécessaire de rattacher les agences, le moment venu, directement au Premier ministre, sur le modèle de l'ancienne DATAR.

Table ronde composée de MM. Michel Berson, secrétaire général, et François Scellier, membre de l'Association des départements de France (ADF), François Langlois, délégué général de l'Association des régions de France (ARF)

La mission a ensuite entendu M. Michel Berson, secrétaire général de l'Association des départements de France (ADF).

Rappelant qu'il était également président du conseil général de l'Essonne, M. Michel Berson a indiqué que ce département avait été particulièrement touché par les violences urbaines de novembre dernier.

Tout en rappelant que la politique de la ville ne faisait pas partie des compétences obligatoires des départements, il a estimé que de nombreux départements complétaient les dispositifs de l'Etat et des communes, qui en constituent les deux acteurs pilotes, et indiqué à titre d'exemple que le conseil général de l'Essonne disposait d'une véritable politique de la ville depuis une dizaine d'années, date de la création d'une direction du logement et de la politique de la ville.

M. Michel Berson a considéré que la politique de la ville résidait en premier lieu dans la mise en cohérence des politiques de droit commun dans les quartiers en difficulté, notamment en matière de politique sociale, de politique de l'enfance, de politique éducative et d'aménagement urbain, et a préconisé de développer cette coordination.

Estimant que le débat opposant les politiques portant sur le bâti et le lien social était dépassé, il a jugé indispensable d'intervenir sur ces deux axes.

M. Michel Berson a ainsi indiqué que le conseil général de l'Essonne avait mis en place un fonds départemental d'aide à l'investissement (destiné aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale) et d'aide aux projets (notamment pour les associations), ainsi que divers mécanismes correcteurs des inégalités sociales et territoriales, comme le fonds départemental de solidarité urbaine, destiné à des communes non éligibles à la politique de la ville, mais répondant à certains critères (notamment une proportion de logements sociaux supérieure à 20 %).

Déplorant l'absence de continuité de la politique de la ville depuis son origine, indépendamment des alternances politiques, il a indiqué que le conseil général de l'Essonne avait engagé dès 1999 une démarche de contractualisation pluriannuelle en signant un contrat quinquennal d'objectifs avec l'Etat, renouvelé depuis, prévoyant un dossier unique de demande de subvention auprès de l'État et du département, ainsi qu'une évaluation et des objectifs prioritaires communs. Il a ajouté que des contrats d'objectifs avec appels à projet d'une durée de trois ans avaient également été signés avec les communes, avant de rappeler que des mesures générales étaient prévues pour toutes les communes dans les contrats de ville.

M. Michel Berson a ensuite regretté la complexité des procédures et l'enchevêtrement des zones d'intervention, et souscrit aux critiques formulées par le rapport de la Cour des Comptes de février 2002 et le rapport d'information de M. Pierre André consacré aux contrats de ville.

Il a conclu en soulignant la territorialisation croissante des politiques départementales, ainsi que l'amélioration de l'appréhension de la spécificité des quartiers et du fait urbain par les départements, même à dominante rurale, en s'appuyant sur une étude de l'ADF menée en 2002.

M. François Scellier, membre de l'ADF et président du conseil général du Val-d'Oise, a indiqué que la politique de la ville avait débuté dès 1994 dans ce département afin de pallier les insuffisances de la politique de la ville de l'Etat, à savoir un manque de coordination interministérielle, une imprécision des objectifs, un manque de suivi et d'évaluation politique et une lourdeur des procédures. Il a précisé qu'aux contrats de développement urbain, ayant pour objet de définir de grands objectifs, une enveloppe budgétaire pluriannuelle ainsi que des contrats commune par commune, avaient succédé en 1999 les contrats d'initiative ville qualité (CIVIQ), aux critères de répartition affinés afin de tenir compte des difficultés spécifiques de chaque commune (par exemple la répartition par âge de la population).

Il a indiqué que ces contrats, qui concernent 32 communes pour un montant de 15 millions d'euros, seraient prochainement remplacés par un dispositif plus axé sur les collèges, compétence directe du conseil général, avec pour objectif prioritaire d'intéresser les élèves à l'école et d'éviter des sorties du système scolaire sans diplôme ni maîtrise du français.

Il a regretté que M. Claude Bartolone, alors ministre de la ville, ait refusé sur ce point sa proposition de mieux coordonner les dispositifs étatiques et départementaux.

M. François Scellier a ajouté que le département consacrait également 15 millions d'euros aux grands projets de villes, qui concernent dans le Val-d'Oise Sarcelles, Garges-lès-Gonesse et Argenteuil, ainsi que 76 millions d'euros à l'ANRU, tout en déplorant que les départements ne puissent qu'augmenter les crédits de cette agence, sans pouvoir participer à la définition de ses actions.

Tout en reconnaissant que les délégations de crédits avaient permis de diminuer les lourdeurs de procédure, il a regretté la persistance d'un trop grand nombre d'instances en matière de politique de la ville, citant notamment l'Institut des villes, la délégation interministérielle à la ville, l'ANRU et la future agence nationale de cohésion sociale.

M. Yves Dauge, président, a salué l'implication de ces deux conseils généraux, tout en soulignant leur caractère exceptionnel.

M. François Langlois, délégué général de l'Association des régions de France (ARF), a tout d'abord rappelé qu'il avait exercé des responsabilités en tant qu'enseignant dans les zones difficiles, puis directeur général des services de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et de la ville de Grenoble.

Soulignant que la politique de la ville n'entrait pas dans le champ de compétence obligatoire des régions et qu'il s'agissait donc d'une politique volontariste, il a rappelé qu'il leur était parfois reproché leur engagement, jugé trop coûteux, alors même qu'il permettait souvent de boucler les financements.

Il a ainsi indiqué que les régions avaient versé sur la période 2000-2006 1,16 milliard d'euros -dont la moitié dans le cadre de l'actuel contrat de plan État-régions, dont les contrats d'agglomération constituent le volet social.

M. François Langlois a précisé que ces interventions prenaient la forme de crédits d'investissement -aides à l'aménagement urbain, à la rénovation urbaine, soutien aux organismes d'HLM ou aux opérations sur le foncier destinées à favoriser la mixité sociale-, mais aussi de crédits de fonctionnement, ce qui leur était souvent reproché, afin notamment de soutenir des associations ou des initiatives locales, en matière notamment d'éducation, de sport et de soutien aux familles monoparentales. Il a estimé que les régions avaient ainsi apporté un soutien non négligeable à la politique des emplois jeunes initiée par l'Etat et jugé que cette politique avait permis d'éviter des violences dans certains quartiers à la population pourtant très défavorisée en novembre dernier.

Indiquant partager l'analyse des intervenants précédents concernant la complexité des procédures, la multiplicité des intervenants, ainsi que le manque de continuité de la politique de la ville, il a souligné que la suppression des emplois jeunes puis leur renaissance ultérieure sous une appellation différente avait entamé la crédibilité de celle-ci.

M. François Langlois a en outre estimé que les régions contribuaient à mettre en cohérence des politiques de droit commun, notamment en matière d'enseignement, de formation professionnelle, d'apprentissage et de développement économique, tout en reconnaissant qu'elles intervenaient plus en soutien qu'en tant qu'initiatrices, les communes demeurant au coeur du dispositif de la politique de la ville.

Soulignant que les quartiers en difficulté connaissaient des problèmes de logement, mais aussi d'emploi et d'exclusion, il a indiqué que moins de la moitié des conseils généraux s'étaient engagées avec l'ANRU, considérant d'une part qu'elle ne pouvait apporter de réponse globale, et refusant d'autre part d'être relégués au rôle de payeur sans participer à l'élaboration des stratégies, certains remettant en cause la logique de destruction-reconstruction de logements, en considérant qu'elle conduisait de fait à des déplacements de populations.

M. Pierre André, rapporteur, a tout d'abord souligné que le maire était au centre de la politique de la ville, puis a rappelé que de nouveaux contrats Etat-régions seraient élaborés dans les mois prochains et regretté que ce processus de contractualisation soit utilisé par l'État pour faire financer par les collectivités territoriales les politiques de droit commun relevant de sa compétence.

Soulignant la complexité des procédures, il a préconisé une plus grande réactivité et déploré la pratique des financements croisés, considérant que les contrats de ville, plus que la suppression des emplois jeunes, avaient fragilisé les associations. Il a donc souhaité privilégier les contrats entre les communes et les départements ou entre les communes et les régions, et jugé anormal que l'ANRU conditionne l'attribution de ses financements à la signature d'accords avec les départements et régions.

Il a enfin rappelé que si les collectivités territoriales disposaient de compétences propres, par exemple en matière d'enseignement, elles n'avaient aucun pouvoir s'agissant de la pédagogie ou de la fermeture d'un établissement.

M. Thierry Repentin s'est interrogé sur la réalité de l'engagement des départements et des régions, en rappelant que les personnes auditionnées par la mission, si elles soulignaient les partenariats entre l'Etat et les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale, n'évoquaient jamais spontanément l'action des départements et des régions. Il a pour sa part estimé que la plupart des départements prenaient encore insuffisamment en compte le fait urbain et privilégiaient l'aménagement du territoire rural. Evoquant son expérience d'ancien membre du conseil d'administration de l'ANRU, il a observé que les subventions des départements et des régions ne représentaient que 5 à 7 % du montage financier des opérations.

Il a préconisé une plus grande implication des départements et régions sur leurs compétences de droit commun, comme l'éducation, et jugé la lisibilité de leurs actions insuffisante. Il a ainsi déploré que les collèges situés en ZEP comptent souvent un nombre d'élèves supérieur à la moyenne alors que le nombre d'assistantes sociales par habitant était inférieur.

M. Yves Dauge, président, a souhaité vérifier la réalité de l'implication des départements et des régions en matière d'aide sociale, d'éducation et d'apprentissage, qui relèvent de leurs compétences propres. Il a considéré qu'ils avaient de ce fait un rôle déterminant en matière de politique de la ville.

Tout en reconnaissant que les plus grands collèges étaient situés en ZEP, M. François Scellier a indiqué que l'objectif était d'atteindre une moyenne de 600 élèves par établissement. Il a en outre mis en avant les difficultés de recrutement d'assistantes sociales et préconisé de redéfinir la politique de prévention de la délinquance en impliquant davantage les maires. Il a enfin rappelé que le code général des collectivités territoriales reconnaissait au conseil général une compétence générale en prévoyant qu'il gère les affaires du département.

M. François Langlois a souligné les efforts de construction et de rénovation des lycées, citant l'exemple de la création de 15 nouveaux lycées par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur pendant la précédente mandature et un important programme de rénovation des lycées professionnels et agricoles.

Il a rappelé que 1,16 milliard d'euros avaient été versés par les conseils régionaux au titre de la politique de la ville, tout en reconnaissant la disparité des contributions. Il a ainsi indiqué que si la région Ile-de-France y avait consacré 300 millions d'euros et la région Provence-Côte d'Azur 237 millions d'euros, la région Auvergne-Limousin n'avait attribué aucun crédit à la politique de la ville sous l'ancienne mandature.

Tout en reconnaissant la complexité des financements croisés, il a jugé leur disparition irréaliste, soulignant leur intérêt en cas de désengagement d'un partenaire. Il a cependant préconisé de déterminer des chefs de file uniques.

M. Jacques Mahéas s'est pour sa part déclaré opposé aux financements croisés, avant de souhaiter dans un souci de lisibilité une clarification des compétences de chaque collectivité territoriale, notamment s'agissant des compétences exercées à titre expérimental. Il a enfin déploré la lenteur des procédures, rappelant qu'il fallait désormais six ans pour construire un lycée.

Après avoir elle aussi regretté la complexité des procédures, Mme Raymonde Le Texier a estimé qu'aux trois problèmes identifiés par M. François Langlois -le logement, l'emploi et l'exclusion- s'ajoutait le problème scolaire. Elle a déploré l'obligation faite aux communes d'orienter leurs projets en fonction de critères fixés par l'Etat pour pouvoir bénéficier de financements, avant de se prononcer en faveur d'un développement de l'évaluation, notamment en matière d'attribution de subventions.

M. François Langlois a rappelé que les programmes européens auxquels étaient adossés les contrats de plan Etat-régions prévoyaient une évaluation obligatoire. Il a cependant reconnu que la culture de l'évaluation était encore balbutiante en France. Il a relevé les difficultés de méthodologie, s'agissant de la détermination des objectifs et des critères d'évaluation. Par ailleurs, il a observé qu'une évaluation externe posait le problème du professionnalisme des organismes privés d'évaluation, tandis que l'évaluation interne pouvait souffrir d'un manque d'esprit critique et de recul.

M. François Langlois ayant souligné la difficulté pour certains élus d'accepter la critique, Mme Raymonde Le Texier a souligné la difficulté pour un élu de critiquer le travail d'une association, tandis que M. Yves Dauge, président, regrettait l'absence de grille spécifique d'évaluation.

M. Michel Berson a reconnu la nécessité de l'évaluation, en estimant que les indicateurs et les objectifs devaient impérativement être fixés dans le contrat. Il a cependant rappelé les problèmes méthodologiques et l'absence de culture de l'évaluation chez les élus, tout en saluant les progrès accomplis.

Il s'est ensuite prononcé en faveur de l'instauration de chefs de file, comme cela avait été fait dans le département de l'Essonne, jugeant difficile d'échapper aux financements croisés dans la pratique.

M. Michel Berson a recommandé de prendre en compte tous les crédits de droit commun alloués au niveau d'un territoire, et non les seuls crédits de la politique de la ville pour évaluer l'importance de l'action publique en faveur des quartiers en difficulté. Il a ainsi estimé que la construction d'un collège en ZEP, bien que n'étant pas comprise dans la politique de la ville, avait une importance prépondérante dans un quartier. Il a rappelé que des crédits similaires étaient ainsi consacrés à des programmes éducatifs ainsi qu'à des centres sociaux.

M. Thierry Repentin ayant regretté l'absence de données chiffrées sur l'action des départements et des régions, M. Michel Berson a indiqué ne pouvoir évoquer que l'action du conseil général de l'Essonne, indiquant que la prévention spécialisée y avait conduit à la mise en place de territoires d'actions concertées.

S'agissant de la taille optimale des collèges, il a estimé que la limitation à 400 du nombre des élèves pouvait induire des effets pervers en termes de mixité sociale.

M. Michel Berson a enfin reconnu que l'implication des départements était variable, seuls, 20 à 25 d'entre eux ayant véritablement une politique de la ville. Parmi ces derniers, il a distingué entre les départements intervenant directement, comme le Val-d'Oise et le Rhône, ceux travaillant en partenariat avec l'Etat, comme l'Essonne, le Pas-de-Calais et le Bas-Rhin, et enfin ceux devant faire faire, comme la Seine-Saint-Denis, en raison de leur manque de moyens. Il a cependant considéré que tous les départements, même ruraux, prenaient désormais mieux en compte le fait urbain.

Après s'être également prononcé en faveur de la notion de chef de file, M. François Scellier a toutefois jugé nécessaire de laisser à chacun sa liberté. Il a ensuite estimé que l'objectif final de la politique de la ville, relevant de la discrimination positive, était sa disparition à terme.

S'agissant de la taille des collèges, il a estimé que la mixité sociale pouvait entraîner une baisse générale du niveau et une fuite des meilleurs élèves vers l'enseignement privé, et jugé préférable de privilégier de petits collèges dotés de moyens supplémentaires.

M. Pierre André, rapporteur, a précisé que son appréciation des financements croisés concernait principalement les contrats de ville et reconnu l'importance des partenariats, à condition qu'un chef de file -la collectivité légalement compétente- soit désigné.

Il a conclu en estimant que la politique de la ville était avant tout une politique de droit commun forte.