M. Dominique De Legge, rapporteur spécial
PREMIÈRE PARTIE :
LE BUDGET 2015 DE LA DÉFENSE,
ÉTAPE CLEF DE LA PROGRAMMATION MILITAIRE
I. LE MAINTIEN FACIAL DES RESSOURCES DE LA MISSION « DÉFENSE » MALGRÉ L'ALTÉRATION DE L'ÉQUILIBRE ENTRE CRÉDITS BUDGÉTAIRES ET RECETTES EXCEPTIONNELLES
A. LA BAISSE DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES
La mission « Défense » s'est vue ajouter en loi de finances pour 2014 un programme 402 « Excellence technologique des industries de défense », doté de 1,5 milliard d'euros dans le cadre du nouveau programme d'investissements d'avenir (PIA). Ces crédits sont bien de nature budgétaire, bien que hors norme de dépense au sens de la loi de programmation des finances publiques, comme le reste du PIA, et comme le précédent programme d'investissements d'avenir. Pour autant, ils sont comptabilisés selon la nomenclature de la loi de programme militaire 2014-2019 comme des recettes exceptionnelles. De fait, le programme 402 n'était pas destiné à être doté de manière pérenne et ne comporte pas de crédits en 2015.
La comparaison de l'évolution des crédits budgétaires devraient donc se faire, selon le ministère de la défense, hors programme 402, quand bien même ces crédits financent des dépenses récurrentes sur la période de programmation, contrairement d'ailleurs à la vocation du PIA.
Dans ce cas, les crédits de paiement (CP) de la mission « Défense » passent de 29,6 milliards d'euros en loi de finances initiales pour 2014 à 29,1 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2015. En seconde délibération, l'Assemblée nationale a adopté, à l'initiative du Gouvernement, un amendement destiné à gager les dépenses supplémentaires qu'elle a introduites dans le projet de loi de finances, en faveur notamment des dispositifs d'emplois aidés, sur le programme 146 « Équipement des forces » pour un montant de 100 millions d'euros. La baisse des crédits budgétaires de la mission « Défense » est dès lors portée à 600 millions d'euros (- 2 %).
Cette convention de comparaison aurait plus de sens si les recettes exceptionnelles « remplaçant » le PIA en 2015 avaient effectivement le même statut que les crédits du programme 402 en 2014. Or il n'en est rien : les premières sont aléatoires car liées à des cessions d'immeubles ou de bandes de fréquences, et d'ailleurs retracées dans des comptes d'affectation spéciale, quand les seconds, financés par emprunt, étaient certains et faisaient partie intégrante du budget général.
La réalité est que les crédits de paiement de la mission « Défense », inscrits au budget général et non soumis à un aléa autre que celui des mesures de gel et gestion budgétaire décidées par le Gouvernement, passent de 32,1 milliards d'euros à 29,1 milliards d'euros, soit un recul de 2 milliards d'euros (- 6,4 %). Si l'on prend en compte l'abondement de 250 millions d'euros réalisé par la loi de finances rectificative d'août 2014 sur le programme 402 et celui du même montant prévu par le projet de loi de finances rectificative de fin d'année, ce sont finalement 2,5 milliards de crédits de paiement du budget général qui manqueront à la mission « Défense » en 2015 par rapport à l'exercice précédent.
Cette observation est importante car l'on verra infra que les recettes exceptionnelles, prévues par le projet de loi de finances pour 2015 pour compenser la baisse des crédits budgétaires et ainsi maintenir le montant total des ressources de la défense, ne sont seront, selon toute vraisemblance, pas constatées.
La bonne comparaison des budgets 2014 et 2015 appelle une autre précision.
En application des orientations fixées par la loi de programmation militaire 2014-2019, le ministre de la défense a décidé de réformer la gouvernance des effectifs du ministère et le pilotage de la masse salariale (crédits du titre2). Ainsi, l'ensemble des crédits de personnel et les effectifs associés de la mission « Défense » et de mission « Anciens combattants ») sont réunis au sein du programme 212 « Soutien de la politique de défense », placés sous la responsabilité du secrétaire général pour l'administration du ministère de la défense 1 ( * ) .
Au sein de ce programme, les crédits sont désormais répartis, essentiellement, par gestionnaire des ressources humaines, chacun pour ce qui le concerne, chargé d'un budget opérationnel de programme.
En conséquence, le programme 167 de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » et les programmes 144, 146 et 178 de la mission « Défense » ne présentent plus, à compter du 1 er janvier 2015, de crédits de personnel (titre 2) ni d'effectifs associés.
Les responsables de ces programmes (respectivement le secrétaire général pour l'administration, le directeur général des relations internationales et de la stratégie, le délégué général pour l'armement et le chef d'état-major des armées) restent toutefois associés à la gouvernance du titre 2 et des effectifs.
Il faut également relever des transferts d'effectifs vers des opérateurs de l'État relevant de la tutelle du ministère de la défense. Ainsi, le plafond d'emploi de l'école Polytechnique intègre désormais les élèves fonctionnaires. Ce transfert entraîne pour le programme 144 la suppression de de 1 546 ETPT et une baisse des crédits de titre 2 de 15,6 millions d'euros, transformés en subvention à l'école Polytechnique.
Mission « Défense » (hors pensions, ressources exceptionnelles, fonds de concours et attributions de produits) par programme, à structure constante (LFI 2014) et courante
(en millions d'euros)
Programmes |
LFI 2014 |
PLF 2015 à structure constante |
PLF 2015 à structure courante (1) |
||||||||
Hors pensions - hors REX - hors fdc & adp |
CP |
AE |
CP |
Évol. |
AE |
Évol. |
CP |
Évol. |
AE |
Évol. |
|
144 |
Environnement et prospective de la politique de défense |
1 796 |
1 796 |
1 328 |
-26% |
1 344 |
-25% |
1 334 |
-26% |
1 350 |
-25% |
146 |
Équipement des forces |
8 994 |
10 898 |
7 781 |
-13% |
15 180 |
39% |
7 786 |
-13% |
15 186 |
39% |
178 |
Préparation et emploi des forces |
16 049 |
16 535 |
7 086 |
-56% |
8 782 |
-47% |
7 088 |
-56% |
8 783 |
-47% |
212 |
Soutien de la politique de la Défense |
2 715 |
3 303 |
12 866 |
374% |
13 506 |
309% |
12 895 |
375% |
13 531 |
310% |
TOTAL hors PIA |
29 554 |
32 532 |
29 061 |
-2% |
38 812 |
19% |
29 103 |
-2% |
38 850 |
19% |
|
402 |
Excellence technologique des industries de défense |
1 500 |
1 500 |
0 |
-100% |
0 |
-100% |
0 |
-100% |
0 |
-100% |
TOTAL |
31 054 |
34 032 |
29 061 |
-6% |
38 812 |
14% |
29 103 |
-6% |
38 850 |
14% |
(1) Les crédits inscrits au PLF 2015 à structure courante intègrent, au sein du programme 212, les crédits alloués au titre 2 de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », conformément au rapport annexé de la LPM 2014-2019 qui prévoit le regroupement des effectifs et de la masse salariale du ministère dans un programme unique.
Les crédits du PLF 2015 à structure constante ne présentent pas les dépenses de personnel de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » et ne comprennent pas les transferts du PLF 2015.
Source : ministère de la défense
Les autorisations d'engagement sont portées de 34 milliards en 2014 à 38,8 milliards en 2015, soit une hausse de 14 %, afin de passer les commandes et marchés prévus par la loi de programmation militaire (voir infra).
Une éventuelle insuffisance des crédits de paiement au cours de l'année 2015 conduirait à des mesures de régulation sur les engagements et remettrait en cause le programme pluriannuel d'investissement et d'acquisition de matériel.
B. UNE HAUSSE ÉQUIVALENTE DES RECETTES EXCEPTIONNELLES
L'équilibre de la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 repose sur la réalisation de ressources exceptionnelles (REX), particulièrement en début de période, la part des REX devant progressivement reculer au profit de crédits budgétaires.
Le projet de loi de finances pour 2015 revient sur cette trajectoire en minorant les crédits budgétaires de 600 millions d'euros et en majorant les REX attendues du même montant (500 millions d'euros dans le projet initial, 100 millions d'euros supplémentaire à la suite l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement du Gouvernement).
Le montant total des ressources de la mission « Défense » étant formellement inchangé, le Gouvernement affirme que la LPM est respectée.
Comparaison LPM/PLF 2015
(en milliards d'euros)
2015 |
Écart |
|||
LPM |
PLF |
|||
Crédits budgétaires (hors PIA) |
29,6 |
29 |
- 0,6 |
- 2% |
Ressources exceptionnelles (y.c. PIA) |
1,8 |
2,4 |
+ 0,6 |
+ 33% |
Total |
31,4 |
31,4 |
0 |
0% |
NB : Le programme 402 « Excellence technologique des industries de défense », abondé par le second programme d'investissements d'avenir, est considéré par la loi de programmation militaire 2014-219 comme relevant des recettes exceptionnelles du ministère de la défense, bien que faisant partie intégrante de la mission « Défense » du budget général.
Source : commission des finances du Sénat
Les recettes exceptionnelles prévues pour le projet de loi de finances pour 2015 tel qu'adopté par l'Assemblée nationale sont composées :
- de recettes à hauteur de 2,2 milliards d'euros sur le compte d'affectation spéciale (CAS) « Fréquences » qui doit recevoir le produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences dite des « 700 Mhz » ainsi que les redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquences déjà réalisées ;
- de recettes à hauteur de 230 millions d'euros issues de la cession d'emprises immobilières.
Dans ses réponses au questionnaire que lui a adressé votre rapporteur spécial, le ministère de la défense affirme que « l'encaissement de ces recettes exceptionnelles, en termes de montant comme de calendrier, est aujourd'hui la préoccupation de l'ensemble du Gouvernement. Il s'agit en effet de garantir au Président de la République que le total des recettes prévues sera bien au rendez-vous, car l'équilibre financier de la loi de programmation militaire en dépend. »
Le ministère de la défense reconnaît ainsi que le « contexte [est] marqué par le risque que l'encaissement en 2015 d'un premier versement du produit de la cession de la bande des 700 MHz ne soit reporté en 2016, voire au-delà » et affirme d'ailleurs avoir souligné « la fragilité de l'hypothèse 2015 ».
Cette situation particulièrement préoccupante marque la fragilité et l'insincérité du budget 2015 et est analysée plus longuement infra .
* 1 Ce regroupement est complété par la prise en compte de la contribution du service industriel de l'aéronautique (SIAé) aux réductions d'effectifs du ministère à hauteur de 115 ETPT (4,2 millions d'euros de crédits). Ces ETPT étant rémunérés par le compte de commerce « exploitation industrielle des ateliers aéronautiques de l'Etat », une mesure de transfert de crédits hors T2 du programme 178 vers les crédits T2 du programme 212 vise à permettre la comptabilisation de cette réduction d'effectifs et de crédits de T2.