M. Edmond HERVÉ, rapporteur spécial
INTRODUCTION
Lors de la campagne présidentielle, François Hollande s'est engagé à améliorer le bon fonctionnement de la justice 1 ( * ) .
Le présent projet de budget concrétise une promesse qui appelle une continuité durable au cours des années qui viennent : je suis heureux que Madame la ministre de la Justice, garde des Sceaux, ait annoncé la création de 1 500 postes pour les trois années à venir.
Alors que le contexte nous oblige au redressement de nos comptes publics, la justice bénéficie d'un effort particulier légitime.
D'une manière générale, si les dépenses de l'Etat se maintiennent au niveau de la loi de finances pour 2012 et que ses effectifs demeurent stables, les dépenses consacrées à la justice augmentent de 4,3 % et ses effectifs de 480 (500 si l'on compte les 20 juges administratifs créés). Ces 480 emplois du ministère se répartissent ainsi : 133 créations nettes pour l'administration pénitentiaire, 142 pour les services judiciaires et 205 pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Ces moyens supplémentaires servent une juste ambition, faisant de la jeunesse une priorité (la PJJ doit retrouver son rang), de la justice civile un service mieux équipé, de l'application des peines une politique mieux assurée, de la réinsertion un objectif mieux pourvu, de la modernisation de l'administration une voie confirmée, de l'aide aux victimes une manifestation de solidarité.
Dans notre précédent rapport spécial 2 ( * ) , nous avons regretté les effets de la révision générale des politiques publiques (suppression pour 2012 de 400 emplois équivalent temps plein), la surpopulation carcérale, la difficulté à équilibrer les frais de justice, la persistance du nombre insuffisant de greffiers, la détresse de la PJJ (106 équivalents temps plein supprimés en 2012), l'alourdissement du coût d'accès à la justice...
Nous concluions par l'appel à la sincérité budgétaire, à l'amélioration des moyens de gestion, au dialogue social, à l'autonomie du Conseil supérieur de la magistrature...
Autant d'actions à parfaire pour faire vivre une justice apaisée, sereine, confiante, respectée, pour que les professionnels de la justice oeuvrent en bonne intelligence, conformément aux standards européens, dans le cadre d'un dialogue républicain.
Différentes avancées sont à accomplir. Les parlementaires, au premier chef, sont concernés :
- l'avalanche des textes, souvent précipités, ne facilite pas le travail du juge ;
- si l'indépendance et l'impartialité du juge sont des vertus cardinales, elles exigent - entre autres - une condition : des moyens et une bonne organisation. Bien évidemment, il faut compter avec la concurrence des priorités, avec le contexte économique et financier, avec la disponibilité des compétences et les nécessités du temps.
Nous ne devons pas oublier l'impératif de la cohérence : on ne peut afficher une fermeté pénale et inciter - par la loi ou la circulaire - à libérer au maximum avant la fin de la peine. On ne peut pas anticiper une libération alors que l'intéressé est sans accueil et sans projet.
Pourquoi donner de la justice une image « pénale », alors que la grande majorité des décisions relève du « civil » ?
Autant de réflexions qui nous aident à soutenir aujourd'hui une politique novatrice et un projet de budget inaugurant un cours nouveau et souhaité.
Pour nourrir celui-ci, voici quelques observations :
1) De 2007 à 2012, en euro constant, la part du budget justice dans le budget de l'Etat a évolué de la manière décrite à l'annexe 1.
2) Sur la période allant de 2009 à 2012, le ministère de la justice a particulièrement participé à la révision générale des politiques publiques (RGPP). Ses crédits de fonctionnement ont baissé de 18,5 %, représentant 37,2 % du total interministériel des économies 3 ( * ) , alors que le poids du ministère dans les crédits de fonctionnement de l'Etat n'est que de 5 % 4 ( * ) .
3) Le dernier rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) nous livre des enseignements utiles 5 ( * ) :
- sur la période 2008-2012, 23 pays ont un budget « justice » en croissance. La France se situe en quinzième position après notamment la Suède, la Suisse, l'Islande, la Belgique, l'Angleterre, la Pologne, l'Espagne, avant l'Autriche, les Pays-Bas, l'Islande, l'Italie...
- le budget global de l'aide judiciaire a augmenté en moyenne de 18 %. Cette évolution marque d'importantes disparités : l'Angleterre et les Pays-Bas accordent en moyenne 3 551 euros par affaire ; l'Irlande et l'Autriche 1 000 euros ; l'Allemagne, la Turquie, la Finlande, les Pays-Bas, l'Italie entre 500 et 1 000 euros ; Monaco, la France, le Portugal entre 300 et 500 euros ; les anciens pays de l'Europe de l'Etat : 100 euros.
Le montant français peut paraître faible, mais notre pays a choisi d'ouvrir très largement les conditions d'accessibilité à l'aide judiciaire. Certains pays - Angleterre, Irlande, Pays-Bas, Finlande - sont généreux pour le montant alloué par affaire et l'accessibilité.
- La France compte 11 juges, 3 procureurs et 32 fonctionnaires de greffe pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne est respectivement de 23,11 et 71. Ce serait les parquetiers français qui traiteraient le plus de dossiers (plus de 2 500 affaires pénales par an, hors compétences commerciales, civiles ou autres, la moyenne européenne étant de 615 dossiers).
- Le salaire annuel brut d'un juge de la Cour supérieure (ou de la dernière instance de recours) est de 113 478 euros en France ; de 115 647 euros en Autriche ; de 127 956 euros en Belgique ; de 172 738 euros au Danemark ; de 120 912 euros en Finlande ; de 73 679 euros en Allemagne ; de 257 872 euros en Irlande ; de 176 000 euros en Italie ; de 152 607 euros au Luxembourg ; de 128 900 euros aux Pays-Bas ; de 181 971 euros en Norvège ; de 243 190 euros en Angleterre et Pays de Galles ; de 230 147 euros au Royaume-Uni. Soit une moyenne de 86 616 euros pour les 36 pays consultés.
C'est à la lumière de ces propos introductifs qu'il nous faut, aussi objectivement que possible, analyser le contenu de ce projet de budget.
Comme l'a justement déclaré Madame la ministre de la justice, garde des Sceaux, lors de son discours de Colmar, le 19 octobre 2012, il ne suffit pas d'énoncer clairement des priorités, il faut en indiquer la traduction en termes budgétaires pour participer à la création des conditions de la belle mission constitutionnelle confiée aux magistrats en particulier, au monde judiciaire en général.
Ces conditions ne sont pas toutes d'ordre budgétaire : il y a la part du droit, de l'éthique, de la déontologie, de l'implication personnelle, de ce qui ne coûte rien mais c'est le devoir du rapporteur spécial de la commission des finances que de s'en tenir à son champ.
Au 10 octobre 2012, date limite, en application de l'article 49 de la LOLF, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent projet de loi de finances, 99,1 % des réponses portant sur la mission « Justice » étaient parvenues à votre rapporteur spécial. |
I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE LA MISSION
A. UNE MISSION À SIX PROGRAMMES DEPUIS 2012
En application de l'article 9 de la loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010 relative à l'application de l'article 65 de la Constitution, un nouveau programme dédié au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) s'est substitué, en loi de finances pour 2012, à l'action qui lui était jusqu'alors dédiée au sein du programme « Justice judiciaire ». Cette modification vise à mettre en oeuvre la disposition votée par le législateur organique pour assurer l'autonomie budgétaire de cette institution.
Votre rapporteur spécial rappelle que cette création correspondait à un voeu exprimé depuis 2010 par votre commission .
Il convient, par ailleurs, de souligner que la mission « Justice » ne comprend pas les juridictions administratives , qui figurent au sein du programme 165 « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat ». Cette question avait d'ailleurs été largement débattue lors de l'entrée en application de la LOLF et de la définition du périmètre de la présente mission. Si le bon fonctionnement de la mission « Justice » n'est certes pas entravé par la « sortie » des juridictions administratives, la question reste néanmoins posée de la cohérence d'ensemble du traitement « budgétaire » des juridictions.
B. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS DE 4,3 % EN 2013
La mission « Justice » est dotée, dans le projet de loi de finances pour 2013, de 7,699 milliards d'euros de crédits de paiement (hors fonds de concours 6 ( * ) ), soit une progression de 4,3 % . Ses autorisations d'engagement passent de 9,76 milliards d'euros à 7,341 milliards d'euros, soit une baisse de 24,8 %.
Au sein de la mission, les dépenses de personnel absorbent 60,7 % de l'ensemble des crédits.
Le tableau ci-après ventile les crédits, ainsi que les plafonds d'emplois en équivalent temps plein travaillé (ETPT).
Les crédits de paiement de la mission « Justice »
Source : d'après le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2013
C. L'ÉVOLUTION DES CRÉDITS SUR LA PÉRIODE 2013-2015
Les plafonds alloués à la présente mission dans le cadre de l'article 10 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, hors contribution directe au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », sont fixés à 6,2 milliards d'euros en 2013 , 6,3 milliards d'euros en 2014 et 6,32 milliards d'euros en 2015.
Pour 2013, les crédits demandés pour la mission sont de 7,699 milliards d'euros, dont 1,497 milliard au titre de la contribution d'équilibre au CAS « Pensions » 7 ( * ) . Votre rapporteur spécial observe donc que le plafond fixé par le projet de loi de programmation des finances publiques précité est respecté .
Dans un contexte marqué par l'effort de redressement des comptes publics de la France, la justice bénéficiera donc d'un effort tout particulier. Alors que les dépenses de l'Etat se maintiendront en valeur au niveau de la loi de finances pour 2012 et que ses effectifs demeureront stables, les dépenses consacrées à la justice augmenteront de + 3 % (hors CAS « Pensions ») en 2013 . Sur les 5 000 emplois supplémentaires prévus par le Gouvernement d'ici 2017 pour la justice et la sécurité, les emplois du ministère de la justice augmenteront de 480 agents dès 2013 . Dans la répartition de ces moyens, un rééquilibrage au profit de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sera engagé en 2013.
* 1 « Mes 60 engagements pour la France » - Proposition 53 - Trois domaines ont été déclarés prioritaires : la justice, l'éducation nationale et la sécurité.
* 2 Sénat, rapport spécial n° 107 (2011-2012) - tome III - annexe 16.
* 3 Le développement des alternatives à l'incarcération (bracelets électroniques) permet d'afficher une économie de 268 millions d'euros.
* 4 Mission de l'Inspection générale de l'administration (IGA), de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF) sur le bilan de la RGPP, conclusions du 25 septembre 2012. Cette mission regrette une approche strictement comptable, une absence de consultation des acteurs et un éloignement croissant de la réalité : c'est le cas de la réforme de la carte judiciaire. Certaines mesures ont été positives : l'équipement en matériel de visioconférence, la professionnalisation de la fonction achat.
* 5 La CEPEJ a été mise en place par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe (Edition 2012). Toute comparaison a ses limites mais elle peut servir à se situer.
* 6 Les fonds de concours et les attributions de produit s'élèvent pour la mission « Justice » à 5,3 millions d'euros en 2013.
* 7 Le montant total de la somme affectée au CAS « Pensions » se décompose de la manière suivante :
- 0,654 milliard d'euros au titre du programme « Justice judiciaire » ;
- 0,686 milliard d'euros au titre du programme « Administration pénitentiaire » ;
- 0,128 milliard d'euros au titre du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » ;
- 0,029 milliard d'euros au titre du programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » ;
- 0,4 million d'euros au titre du programme « Conseil supérieur de la magistrature ».